Robespierre : le psychopathe légaliste

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ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND SEPTEMBRE 2011 - N° 777 RobespieRRe Le psychopathe légaliste Le psychopathe légaliste L’HISTOIRE DE NOUVEAU SACCAGÉE DANS LES PROGRAMMES SCOLAIRES LES SAPEURS- POMPIERS DE PARIS FÊTENT LEUR BICENTENAIRE L’homme du génocide vendéen Le forcené de la guillotine Les enjeux de sa mémoire 3:HIKPKG=\UZZU[:?a@r@h@r@a; M 05067 - 777 - F: 5,50 E

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L'Etat vient d'acheter à prix d'or ses brouillons. Mais qu'en est-il du personnage ? Un fou sanguinaire ? Un idéaliste fanatique ? Le sauveur de la révolution ?

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ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND

septembre 2011 - N° 777

RobespieRReLe psychopathe légalisteLe psychopathe légaliste

L’Histoire de Nouveau saccagée daNs Les programmes scoLaires

Les sapeurs- pompiers de paris fêteNt Leur biceNteNaire

L’homme du génocide vendéen

Le forcené de la guillotine

Les enjeux de sa mémoire3:H

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Jacques-olivier boudonProfesseur à l’université Paris-Sorbonne, président de l’Institut Napoléon, vient de sortir Georges Darboy, archevêque de Paris (Le Cerf).

olivier CoquardNormalien, agrégé et docteur en histoire, professeur de première supérieure au lycée Henri-IV… Est l’auteur de Marat (Fayard, 1993).

bernard GainotDirecteur de recherches à Paris I, rattaché à l’Institut d’histoire de la Révolution française. Dernier ouvrage paru : Marengo (LEM, 2010).

anne bernetElle a publié chez Perrin Les Grandes Heures de la chouannerie ; Histoire générale de la chouannerie et Charette.

6 aCtualité

15 dossierLe cas RobespierreAu nom de la loi et de la raison d’État, cet abolitionniste

convaincu a cautionné l’extermination des Vendéens,

envoyé à la guillotine des milliers de ses compatriotes,

ensanglanté et souillé le drapeau de la République. Des

excès qui l’ont conduit à son tour sur l’échafaud. Un

génocide qui l’aurait aujourd’hui envoyé au tribunal in-

ternational de La Haye. Et dire que des rues portent son

nom et que le gouvernement a dépensé près d’un million

d’euros pour que 113 pages de ses manuscrits ne partent

pas à l’étranger !

moments d’histoire46 Le coup de force de Dugay-Trouin, à Rio

En 1711, l’ancien corsaire malouin devenu officier de la

Royale mène un raid victorieux contre la colonie portu-

gaise du Brésil. Et, pourtant, ce n’était pas gagné !

50 Les sapeurs-pompiers à l’honneurÀ cause d’un incendie spectaculaire à l’ambassade

d’Autriche, au cours de la réception de mariage de Na-

poléon et de Marie-Louise, l’Empereur crée le 18 septem-

bre 1811, à Paris, le premier bataillon des soldats du feu.

Un bicentenaire fêté comme il se doit.

56 L’abolition tourne courtLes parlementaires de la Monarchie de Juillet, sous

l’égide de Louis-Philippe, ont failli voter la suppression

de la peine de mort en 1830… Raté ! Il faudra attendre…

60 spéCial villeBayonne, la force basqueSituée au confluent de l’Adour et de la Nive, la cité, long-

temps dans le giron anglais, a néanmoins conservé son

identité. Commerçante, elle prospère tout au long des

siècles, comme le souligne son riche patrimoine archi-

tectural, disséminé dans les trois quartiers historiques

de la ville.

70 À l’affiCheExpositions, théâtre, cinéma, DVD et télévision.

76 l’art de l’histoireJean Fouquet, metteur en scène de laroyauté

78 livres

91 l’inédit du moisEn voiture pour Saint-Denis !

93 mots Croisés

95 noms de noms !Carpentier

97 un illustre inConnuMichelin

98 l’idée reçueLes époux Rosenberg ne sont pasdes espions

sommaire Septembre 2011

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Spécial ville : Bayonne p. 60La force basque

Dossier : Le cas Robespierre p. 15L’itinéraire d’un psychopathe légaliste

Jean-Yves Le NaourProfesseur à Aix-en-Provence, en prépa Sciences Po, il est l’auteur du documentaire Le Dernier Guillotiné, Planète Justice, 9 octobre 2011, 20 h 35.

rémi KaufferMembre du comité éditorial d’Historia, professeur à l’Institut d’Études politiques. A publié La Saga des Hachémites, 1909-1999 (Stock).

paul rogerSpécialiste de l’histoire des marines de guerre européennes et de leur représentation dans l’art, il collabore à diverses revues.

Yves bruleyMaître de conférences à Sciences-Po. Il a participé à la rééditition, en 2003, de L’Europe et la Révolution française, d’Albert Sorel.

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en un clin d’œil 1793. la France au bord de l’implosionPour la jeune république, ce printemps-là est celui de tous les dangers : elle se retrouve aux prises avec la menace étrangère, l’invasion de son territoire et la guerre civile. Depuis le mois de mars, conséquence de la persécution religieuse et de la levée de 300 000 hommes, des provinces entières se sont insurgées. Vendée

militaire, au sud et au nord de la Loire, mais aussi Midi, Pays basque, Flandre, Champagne, Bourgogne, Alsace, Lozère, Ardèche, région lyonnaise, Dauphiné, Sud-Ouest, où la déchristianisation forcée est mal vécue. Certes, la plupart de ces mouvements improvisés sont écrasés en quelques jours, mais la colère

populaire persiste, prête à rejaillir. Le coup de force des Montagnards contre les Girondins, le 31 mai à l’Assemblée, provoque une nouvelle crise : une partie de la province fédéraliste, notamment la Normandie, prend fait et cause pour les proscrits ; prétexte idéal à la révolte de Lyon, où les mécontentements s’accumulent,

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aggravés par le chômage des canuts, que la disparition de la Cour a ruinés. Fin juin, soixante départements sont en état d’insurrection.

Partout, la population en a assez : de la guerre, de la conscription, de la crise économique, du ravitaille-ment difficile, des accapareurs, des denrées essentielles manquantes, du

climat de suspicion. Chacun a peur. Non sans raison. Car, on l’oublie trop sou-vent, l’écrasante majorité des victimes de la Terreur ne seront pas des aristo-crates, mais des petites gens, accusées de crimes improbables… Aux frontiè-res, l’Autriche poursuit la guerre ; les Prussiens assiègent Ma yen ce et me-nacent l’Alsace ; les États de Savoie oc-

cupent les vallées françaises de Mau-rienne et Tarentaise, les Espagnols attaquent dans les Pyrénées. Au nord, la route de Paris est ouverte aux coalisés, l’Angleterre menace les côtes et s’em-pare des Antilles françaises. « La Ré-publique n’est plus qu’une grande ville assiégée », crie Barère à la Convention. C’est exact. L Anne Bernet

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Dossier robespierre

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face à face Paradoxe : l’adversaire farouche de la peine de mort du début des années 1780 devient un maniaque de la guillotine.

Jean-Yves le Naour« Selon lui, l’exécution empêche l’amendement du coupable et ruine toute morale en donnant l’exem-ple du crime pour apprendre à ne pas tuer. »

En 1784, un jeune avocat d’Arras, Maximilien Robespierre, remporte un concours organisé par l’Académie de Metz où il affirme qu’un bon

législateur doit se montrer avare de sang, « même le plus vil ». Dix ans plus tard, cet abolitionniste convaincu, dans la droite ligne de Cesare Beccaria dont le Traité des délits et des peines (1764) a inauguré le combat contre la peine de mort, incarne la Terreur et son flot de sang. Quel paradoxe ! Pourtant, on aurait tort de considérer le chef des Montagnards comme un hypocrite ayant renié ses convictions humanistes et ses principes philosophiques au profit d’une realpolitik sans états d’âme. La pensée de Robespierre est plus complexe.Le 30 mai 1791, alors que l’Assemblée constituante se penche sur le futur code pénal, il est un des seuls à dénoncer la mise à mort des criminels que l’on pourrait tout autant rendre inoffensifs à la société en les maintenant dans les fers. Selon lui, l’exécution empêche l’amendement du coupable et ruine toute morale en donnant l’exemple du crime pour apprendre à ne pas tuer. Sans compter le problème des erreurs judiciaires car « les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d’autres hommes sujets à l’erreur ». Aussi, les exécutions capitales « ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels, commis non pas par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales ». En un mot, Robespierre abhorre le châtiment suprême qui ne saurait demeurer dans un pays de liberté, le bourreau et sa justice absolue étant en quelque sorte consubstantiels au défunt pouvoir absolu. Seulement

voilà : comme Beccaria, il admet une exception à son abolitionnisme et considère que les traîtres et rebelles à la patrie doivent être châtiés sans faiblesse afin d’éviter l’anarchie ou la perte de liberté d’une nation. Le redoutable danger de cette restriction ne portait pas à conséquence en 1764, mais il n’en va pas de même sous la Révolution. Parce que la France est plongée dans la guerre, intérieure et extérieure, depuis 1793, et que la Révolution est en danger, le gouvernement doit être intraitable. En vertu de cette théorie qui sacrifie la fin aux moyens, Robespierre soutient la Terreur sans renier ses convictions. En avril 1792, par exemple, il n’hésite pas à démissionner d’un tribunal qui, contre son avis, a condamné à mort des assassins et des faux-monnayeurs. Mais pouvait-on être aussi clément avec les agents de la tyrannie menaçant la souveraineté du peuple ?Pas de contradiction non plus avec ses principes lorsqu’il vote la mort du roi, car, tant que le monarque restera en vie, il sera l’espoir des adversaires de la Révolution : « Pour moi, j’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n’ai pour Louis ni amour ni haine ; je ne hais que ses forfaits. […] Louis doit mourir pour que la patrie vive », affirme-t-il le 3 décembre 1792. Le 20 janvier 1793, quatre jours après le scrutin décidant de la décapitation du roi, Robespierre dénonce, une fois de plus, la peine de mort qui défie « les principes d’éternelle justice ». Cela peut sidérer, mais il y avait une logique : le crime politique, qui menaçait la Révolution et donc la liberté du peuple, ne pouvait se confondre avec le crime de droit commun. L Jean-Yves Le Naour, historien, vient de publier Histoire de

l’abolition de la peine de mort. 200 ans de combats. (Perrin).

Abolitionniste ou sanguinaire ?

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face à face Paradoxe : l’adversaire farouche de la peine de mort du début des années 1780 devient un maniaque de la guillotine.

Max Gallo« Enfermé dans une forme de solitude psycholo-gique, il laisse se dérouler la machine à exécuter, dans une logique folle de l’efficacité politique. »

La position de Robespierre à l’égard de la peine de mort est à la fois le fruit de sa formation, de son caractère mais aussi le produit des

circonstances. Lorsque, jeune avocat, en 1784, il affirme « qu’un bon législateur doit se montrer avare de sang », puis lorsqu’il propose, plus tard, d’abolir la peine de mort, il s’exprime comme un homme du XVIIIe siècle marqué par les Lumières. Le fait que l’on trouve parmi les Constituants un certain nombre d’avocats n’est pas un hasard. Cette corporation perçoit l’Ancien Régime comme trop répressif, notamment lors de l’affaire du chevalier de La Barre. Ce dernier ayant été torturé et décapité à Abbeville, parce que soupçonné d’avoir éraflé un crucifix avec son épée ! Ces jeunes avocats, lecteurs de Voltaire et de Rousseau, rejettent l’idée de la question et de la peine de mort. Robespierre est de ceux-là. Alors bien sûr, la Révolution suit son cours et ce bel élan des Lumières se retrouve embourbé dans la spirale de la violence.Toutefois, il n’existe pas de paradoxe entre les propos abolitionnistes de Robespierre et sa politique de Terreur ; il faut y voir simplement l’impossibilité d’être fidèle à ce qu’il était en 1784. On ne peut pas comprendre son évolution si on ne tient pas compte de deux éléments. D’abord, sa dimension caractérielle : son incapacité à vivre en voyant la réalité humaine telle qu’elle est ; son enfermement dans une forme de solitude psychologique. Guindé et poudré, il vit mal la violence révolutionnaire, le « débraillé » des sans-culottes. Cette problématique le conduit à devenir le boucher que vous évoquez, bien que je trouve le terme excessif. En réalité, « l’Incorruptible » est tellement persuadé de détenir la vérité que tous ceux qui s’opposent à sa politique sont considérés comme des

traîtres. La seule manière d’être en paix en lui-même est de les supprimer physiquement. Il s’agit d’une machine psychologique perverse. Autre élément à prendre en ligne de compte : la guerre, depuis le 20 avril 1792. Le Manifeste de Brunswick promet de supprimer Paris et tous ceux qui attenteraient à la famille royale. La logique de la mort devient un des traits caractéristiques du comportement révolutionnaire. En 1792, Robespierre est pourtant un des rares à avoir été hostile à la guerre, proclamant que « les peuples n’aiment pas les missionnaires armés ». Sa position est donc complexe, mais ça ne l’excuse en rien car un véritable abolitionniste condamne la peine de mort de manière absolue. Robespierre laisse se dérouler la machine à exécuter, allant jusqu’à la favoriser dans une logique folle de l’efficacité politique. Son discours du 8 thermidor devant les Jacobins est acclamé à la veille de sa chute ; mais en même temps, il est victime dans ce discours du fait qu’il menace tout le monde. On a l’impression que la machine terroriste va encore connaître une nouvelle accélération alors que depuis les dernières victoires militaires, la Révolution n’est plus en danger. Robespierre n’a pas senti, comme le disait Saint-Just dès le printemps 1794, que « la Révolution est glacée ». La distinction doit être faite entre ceux qui considèrent, pour des raisons humanistes et parfois religieuses, que détruire une vie c’est commettre le péché capital, et ceux qui acceptent l’exécution de l’Homme. De ce point de vue, on peut ranger Robespierre dans la catégorie des fanatiques, persuadés d’incarner la vertu et le Bien. �L (Propos recueillis par Éric Pincas)

Max Gallo, membre de l’Académie française, est l’auteur de

L’Homme Robespierre, histoire d’une solitude (Perrin, 1998).

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l’art de l’histoire par élisabeth Couturier

Jean Fouquetmetteur en scène de la royauté

Jean Fouquet fait partie de ces artistes qui, à l’instar de Poussin, Le Brun et David, ont forgé par leur talent et leurs images l’histoire de France. Au XVe siè-cle, c’est à lui, peintre et enlumineur de génie, qu’incombe la tâche d’écrire la glorieuse histoire du royaume. Scellant ainsi une nouvelle alliance entre le pouvoir et les arts, il se met au service de la « propagande » monarchique, représen-tant vertus et hauts faits des Valois.

Ceux-ci savent bien que c’est autant dans les actes que sur le papier que se transmet leur gloire, surtout si l’on sait en organiser soi-même la représentation et la diffusion. À ce titre, l’enluminure joue un rôle essentiel, à la fois compréhensible des lettrés comme du peuple, no-tamment grâce aux Grandes Chroniques de France, initiées par Saint Louis et auxquelles Fouquet participe entre 1455 et 1460. Ce « roman des roys », riche de 700 manuscrits, est actualisé à chaque règne par les historiographes de la mo-narchie. Il immortalise une mémoire vouée à devenir une véritable « légende dorée », que chaque souverain met à son service et à celui de ses ancêtres. Pour cela, ils font appel aux meilleurs enlumineurs du temps. Au XVe siècle, c’est indiscutablement Jean Fouquet.

Né à Tours vers 1415/1420 et mort vers 1480, Jean Fouquet devient en 1475 « le bon peintre du roi Louis le XIe ». Cette charge honorifique consacre alors vingt-cinq ans d’une vie étroitement liée à la royauté française. Portrai-tiste réputé et chef de file d’une nouvelle peinture française, il n’a pas attendu cet honneur pour mettre son art au service de la représentation du pouvoir. Dès 1450, il peint le célèbre Portrait de Charles VII, exceptionnel par son format carré et ses grandes proportions. Par la suite, il travaille pour de grands dignitaires du royaume, portraiturant le chance-lier Guillaume Jouvenel des Ursins ou le trésorier Étienne

Chevalier. Ce dernier lui commande également les Heures d’Étienne Chevalier, avec lesquels il révolutionne le genre de la miniature, devenu un art à part entière, s’autonomisant du rapport au texte. Dans ses enluminures, peintes pour des livres de cour, des ouvrages de piété et des chroniques historiques, Jean Fouquet fait preuve d’une modernité au service du nouvel « art de la géométrie », de la précision topographique et de la geste monarchique. Parmi les sujets qu’il illustre, se croisent aussi bien le passage du Rubicon par César et le couronnement d’Alexandre que l’hommage d’Édouard Ier à Philippe le Bel et Louis XI présidant le cha-pitre de Saint-Michel. Autant de miniatures, parmi autres sacres, victoires et parades royales, qui donnent corps à la monarchie française, assurant son pouvoir par des représentations qui hissent ses souverains successifs à un niveau mythologique.

L’artiste ne se cantonne pas à une glorification en deux dimensions. Comme le seront les maîtres italiens Ar-cimboldo et Vasari un siècle plus tard, il se fait aussi orga-nisateur de spectacles de cour. En 1461, il réalise des « écha-fauds et mystères » pour l’entrée solennelle de Louis XI dans la ville de Tours. En 1476, il peint un dais pour celle d’Alphonse V, roi de Portugal, dans cette même ville. Il ne s’agit plus seulement de représenter le pouvoir royal mais bien de le mettre en scène, de donner vie à ses miniatures dans des manifestations grandioses.

Destinées à des riches manuscrits conservés au cœur des plus belles abbayes de ce début de la Renaissance, les enluminures de Jean Fouquet se retrouvent dès le dé-but du XXe siècle – époque à laquelle il est célébré comme l’une des sources de la modernité française – dans tous les manuels d’histoire. La légende dorée des rois de France devient l’enseignement de la République.L

Jusqu’au 3 octobre, au musée du Louvre, l’exposition « Enluminures du Moyen Âge et de la Renaissance » permet de redécouvrir, entre autres, cet artiste qui sut donner de la majesté à l’histoire de France.

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1 Et la miniature devint tableau. À la fois peintre et illustrateur, Jean Fouquet renouvelle l’art de la miniature. Il

inaugure une disposition en pleine page, récupérant le maximum de la surface utile des feuillets, éliminant les bordures florales, se servant de l’espace réservé aux initiales et aux premières lignes de texte. L’image s’autonomise ainsi du texte et gagne en proportions. C’est un tournant dans l’histoire de l’enluminure française, transformant ces miniatures illustratives en véritables tableaux.

2 Un portrait urbain « antidaté ». Jean Fouquet souhaite rendre compte avec exactitude des paysages urbains qu’il

représente. Plus question de peindre des villes génériques ou composées d’emprunts aux grands monuments de son temps. Se succèdent ici, formant l’enceinte de Charles V, les portes Saint-Denis et Saint-Martin, le Temple et la Bastille. Grand bâtisseur, roi de 1364 à 1380, Charles V acheva le donjon de Vincennes et érigea la Bastille entre 1370 et 1383. Fouquet, dans cette miniature peinte en 1455-1460, près d’un siècle après les faits, place ingénieusement cette dernière au fond de la perspective urbaine, « antidatant » sa construction de près de dix ans.

Jean Fouquet, « entrée de Charles V à Paris ». Grandes Chroniques de France, vers 1455-1460. •Bibliothèque na-tionale de France, département des Manuscrits, Français 6465, fol 417 (Livre de Charles V).

4 Vive le Roi ! Charles V dit le Sage est couronné

à Reims le 19 mai 1364. Conformément à la tradition, il entre dans sa « bonne ville » de Paris par la porte Saint-Denis, vêtu de son manteau d’azur fleurdelisé d’or et doublé d’hermines, son cheval caparaçonné aux armes de France. Pendant les seize années de son règne, il va récupérer la quasi-totalité des terres perdues par ses prédécesseurs pendant la guerre de Cent Ans, restaurer l’autorité de l’État et relever le royaume de ses ruines. Autant de faits lui assurant une place de choix dans les Grandes Chroniques de France enluminées par Jean Fouquet sous le règne de Louis XI, son arrière-petit-fils.

3 Une cérémonie codifiée. En dehors des

remparts, la foule se presse. Le cortège royal décrit un mouvement tournant pour entrer bientôt dans Paris. En tête, quatre hérauts d’armes sonnent de la trompe. Le connétable suit, tenant l’épée du roi. À gauche du monarque, un groupe de Parisiens à genoux lui jure allégeance tandis que, sur la droite, des magistrats en robe, à l’attitude soumise, baissent les yeux. Moment décisif de la geste monarchique, l’entrée royale magnifie le nouveau souverain et témoigne de la ferveur des habitants de Paris.

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98 historia septembre 2011

Historia rétablit chaque mois une vérité historique, en allant à l’encontre d’une notion aussi communément admise qu’erronée.l’idée reçue

victimes. Dans l'Amérique maccarthyste des années 1950, c'est parce qu'ils sont communistes et juifs, qu'ils sont accusés.

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Accusé d'avoir fourni des renseignements aux Soviétiques, condamné, exécuté en 1953, le couple avait nié. Il était bien innocent : faux

Les époux Rosenberg ne sont pas des espions

Coupables d’espion-n a g e a u p r o f i t de l’Union Sovié-tique, les époux Rosenberg fourni-rent à Moscou des renseig nements

techniques et scientifiques. Julius et Ethel Rosenberg étaient un cou-ple de juifs new-yorkais communis-tes. En juin 1950 ancien mécanicien des usines atomiques de Los Alamos, David Greenglass, est arrêté. Il re-connaît avoir touché de l’argent d’un espion, Harry Gold, en échange de la livraison d’informations à l’URSS sur les projets de l’usine pour laquelle il travaillait. Il accuse son beau-frère Julius Rosenberg, d’être le cerveau de l’affaire. Le FBI l’arrête le 17 juillet 1950 et, pour faire pression sur lui, em-prisonne sa femme un mois plus tard. Ils sont inculpés en mars 1951 pour « conspiration en vue d'espionnage » en pleine période anticommuniste de « chasse aux sorcières » organisée par le sénateur Mac Carthy.

Le chef d’inculpation, le choix du procureur général Irving Saypol, surnommé la « terreur des rouges », tout concorde pour obtenir une peine lourde à l’encontre des époux Rosen-berg. Dans la prison de Sing-Sing, près de New York, ils nient jusqu'au bout leur culpabilité alors que des aveux peuvent les sauver de la chaise électrique. Ils sont condamnés à mort le 29 mars 1951 laissant l'opinion publi-que indifférente. Mais l'affaire Rosen-

berg rebondit et prend de l’ampleur en 1952. Les communistes proclament l'innocence du couple et lancent une campagne mondiale pour les sauver, en dénonçant un procès injuste. Mos-cou entretient et exploite l’affaire, accusant les États-Unis de fascisme et d’antisémitisme ; ce qui permet de dé-tourner l’attention du complot antisé-mite des « blouses blanches » que Sta-line est en train de monter en URSS. L’opinion mondiale s’émeut, des comi-tés de soutien transcendant les cliva-ges politiques se montent, notamment en France où s’y côtoient aussi bien Maurice Druon et François Mauriac, qu’Aragon et Picasso. Le pape Pie XII demande même la clémence.

Rien n’y fait, Julius et Ethel Rosenberg sont exécutés le 19 juin 1953. Ils deviennent dès lors le sym-bole d’une tragique erreur judiciaire. Mais en 1995, la CIA annonce la dé-classification de messages archivés depuis 1939 et connus sous le nom de projet Venona. Ils prouvent la culpabi-lité des Rosenberg, qui sont désignés dans ceux-ci sous les noms de code « Antenne » et « Libéral ». Déchiffrés à l’époque, ils n’avaient pas été produits lors du procès pour ne pas compromet-tre les sources. Inefficaces sur le plan atomique les Rosenberg transmirent cependant aux Soviétiques des do-cuments importants concernant les radars et les sonars. Les derniers dou-tes sur leur culpabilité furent levés en 1999 avec la parution des mémoires d’un ancien agent secret soviétique

Alexandre Feklissov. Il confirme avoir reçu des renseignements des époux Rosenberg à la tête d'un « ré-seau de première importance dans le domaine de l'électronique et de l'avia-tion » lorsqu’ils travaillaient dans des usines d’armements pendant la guer-re. Espions et coupables, les époux Rosenberg n'en restent pas moins les victimes les plus spectaculaires du maccarthysme et le symbole d'une erreur judiciaire à laquelle on a cru pendant plus de quarante ans. LOlivier Tosseri