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Réglementation du marché financier dans l’Union européenne I. La situation actuelle 1. Ces dix dernières années, au cours desquelles la Commission européenne a été dirigée par les équipes Prodi et Barroso I, la politique de l’UE relative aux marchés financiers a été caractérisée par la volonté de créer un marché financier européen unique. 2. En 1999-2000, cette politique semblait être une conséquence du marché intérieur incomplet et un complément à l’Union économique et monétaire. Si l’objectif était généralement accepté, il s’est avéré par la suite que les politiques destinées à mettre en place un cadre réglementaire à l'échelle européenne se résumaient au contraire à un processus continu de déréglementation, tant au niveau communautaire qu’à celui des États membres. Les cadres réglementaires, les autorités de contrôle des marchés financiers ainsi que la portée et l’efficacité de la réglementation varient largement d'un État membre à l’autre. La tendance à la libéralisation des marchés financiers avait néanmoins imprégné les politiques mises en œuvre par l’UE et les États membres, qui visaient à bâtir une Europe aussi « compétitive » que Wall Street, ce que certains appelaient le « consensus de Bruxelles », par analogie au « consensus de Washington ». 3. La concurrence entre les États membres en vue d'attirer les investisseurs et des produits financiers novateurs offrant un fort potentiel de rendement a entretenu les exceptions nationales, au détriment de la création d’un véritable ensemble de règles fondamentales, laissant apparaître des lacunes dans la réglementation européenne qui ont entravé la mise en place d’un marché financier européen unique. 4. Bien que la crise soit de nature mondiale, il y a lieu de mener une politique européenne ambitieuse pour la combattre et éviter que la récession la plus sévère depuis 80 ans n’entraîne une véritable dépression économique. Depuis longtemps la CES et ses affiliés, ainsi que le Parlement européen, ont préconisé une meilleure

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Page 1: Réglementation du marché financier dans - etuc.org · PDF fileRéglementation du marché financier dans l’Union européenne I. La situation actuelle 1. Ces dix dernières années,

Réglementation du marché financier dans

l’Union européenne

I. La situation actuelle

1. Ces dix dernières années, au cours desquelles la Commission

européenne a été dirigée par les équipes Prodi et Barroso I, la

politique de l’UE relative aux marchés financiers a été caractérisée par la volonté de créer un marché financier européen unique.

2. En 1999-2000, cette politique semblait être une conséquence du

marché intérieur incomplet et un complément à l’Union économique

et monétaire. Si l’objectif était généralement accepté, il s’est avéré par la suite que les politiques destinées à mettre en place un cadre

réglementaire à l'échelle européenne se résumaient au contraire à un processus continu de déréglementation, tant au niveau communautaire qu’à celui des États membres. Les cadres

réglementaires, les autorités de contrôle des marchés financiers ainsi que la portée et l’efficacité de la réglementation varient largement

d'un État membre à l’autre. La tendance à la libéralisation des marchés financiers avait néanmoins imprégné les politiques mises en œuvre par l’UE et les États membres, qui visaient à bâtir une Europe

aussi « compétitive » que Wall Street, ce que certains appelaient le « consensus de Bruxelles », par analogie au « consensus de

Washington ». 3. La concurrence entre les États membres en vue d'attirer les

investisseurs et des produits financiers novateurs offrant un fort potentiel de rendement a entretenu les exceptions nationales, au

détriment de la création d’un véritable ensemble de règles fondamentales, laissant apparaître des lacunes dans la

réglementation européenne qui ont entravé la mise en place d’un marché financier européen unique.

4. Bien que la crise soit de nature mondiale, il y a lieu de mener une

politique européenne ambitieuse pour la combattre et éviter que la

récession la plus sévère depuis 80 ans n’entraîne une véritable dépression économique. Depuis longtemps la CES et ses affiliés, ainsi que le Parlement européen, ont préconisé une meilleure

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réglementation des marchés financiers et demandé à la Commission d'élaborer une législation appropriée et de proposer des mesures en ce sens.

5. Toutefois, c’est la faillite de Lehman Brothers, véritable tournant de

la crise financière, qui a donné l'impulsion nécessaire à la politique européenne. Des propositions de révision de la directive bancaire

européenne, des directives sur l’adéquation des fonds propres, et une proposition de règlement concernant les agences de notation sont actuellement examinées par le Conseil et le Parlement. Jusqu’à

une date récente, la Commission, notamment le Commissaire du Marché intérieur, Charlie McCreevy, estimait néanmoins qu’il était

préférable de reporter la réglementation des fonds spéculatifs et des sociétés d’investissement en capital à risque.

6. En octobre, la Commission a chargé l’ancien directeur général du FMI et président de la BERD, Jacques de Larosière, de réunir un groupe

d’experts de haut niveau et de formuler des recommandations pour l’avenir de la réglementation et de la supervision financière en Europe. Ce rapport a été rendu public le 25 février. Par la suite, la

Commission a annoncé qu’elle proposerait au printemps un ensemble de mesures inspirées du rapport de ce groupe d’experts. La CES

participera activement aux consultations avec la Commission et le Parlement nouvellement élu, qui détermineront la future réglementation, dans l’intérêt des familles qui travaillent et

de leurs syndicats.

II. Le cadre de politique macroéconomique 7. Selon le rapport de Larosière, les faibles taux d’intérêt et la forte

croissance macroéconomique sont les principaux facteurs sous-jacents de la crise. Ce point de vue est indéfendable lorsque l’on sait

que les autorités de supervision aux États-Unis et dans certains pays européens n’ont pas mis en place de politiques relatives à la gestion du risque et au contrôle prudentiel ou les ont purement et

simplement ignorées. La crise est imputable pour l’essentiel à la déréglementation et aux énormes écarts de revenus au sein des pays

et entre eux. La création de la monnaie unique européenne en 1999 a tout au moins permis de fermer définitivement l’une des portes du casino mondial. Cependant, l’absence de système monétaire stable à

l’échelle mondiale et de taux de change ajustés aux facteurs économiques fondamentaux plutôt que liés à la spéculation sont au

cœur des déséquilibres économiques mondiaux. 8. L’adoption rapide de mesures monétaires et budgétaires coordonnées

a permis d’éviter un effondrement presque complet des marchés financiers européens et mondiaux au dernier trimestre 2008. La

fourniture de liquidités des banques centrales au marché interbancaire défaillant, la garantie publique des dépôts et des

nouveaux emprunts, ainsi qu’une recapitalisation des banques sur

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fonds publics ont été autant d’actions positives et nécessaires. Elles sont néanmoins loin d’être suffisantes car la crise est loin d’être terminée et les mesures de sauvetage prises par certains pays ne

l’ont pas été dans l’intérêt à long terme des travailleurs et des contribuables.

9. De nombreuses banques aux Etats-Unis et dans l’UE sont encore

instables, presque insolvables, et la plupart d’entre elles doivent épurer leur bilan. Il va sans dire qu’il faut stopper l’hémorragie lorsque l’on pratique une transfusion. Au moment de la rédaction du

présent document, le FMI a revu à la hausse ses estimations des actifs toxiques du secteur financier. Selon ces dernières estimations,

le montant total s’élève à 4 000 milliards de dollars US, dont environ 900 milliards provenant d’Europe. Ceci est à comparer à une dépréciation des bilans des banques et des compagnies d’assurance

en Europe évaluée jusqu’à présent à 400 milliards de dollars US. D’autres évaluations réalisées par la Stern School of Business de New

York chiffrent les dépréciations des bilans des banques européennes à 2 000 milliards de dollars. Il sera par conséquent nécessaire de prendre de nouvelles mesures de sauvetage des institutions

financières et d’améliorer la réglementation du secteur financier européen et mondial. Ceci doit aller de pair avec des programmes de

relance plus nombreux et appropriés, coordonnés au plan européen, afin de stimuler la demande. L’Europe ne peut plus se permettre d’entretenir des profiteurs qui cherchent à bénéficier des efforts

consentis par leurs partenaires. À cet égard, le Comité exécutif de la CES a adopté une résolution les 17 et 18 mars sur les politiques à

mettre en œuvre pour combattre la crise. 10. Le soutien financier des États aux bad banks privées ou la création

de bad banks publiques afin de liquider les actifs toxiques des banques privées sont, pour les travailleurs (et les contribuables en

général), une façon inappropriée de renflouer les banques en difficulté. Le soutien financier et l’ensemble des transferts doivent

être transparents, ce que ne sont pas les bad banks publiques ou privées. L'unique solution viable pour que les finances publiques rétablissent la confiance dans le système financier sans renflouer les

banquiers et leurs actionnaires est de nationaliser les banques insolvables et de séparer les actifs toxiques des actifs sains. Comme

l’a montré l’exemple suédois au début des années 1990, il n’existe pas d’autre solution que la nationalisation pour que les finances publiques bénéficient de profits éventuels lorsque la confiance et la

solvabilité des banques seront rétablies.

III. Mesures réglementaires proposées par le groupe de Larosière

11. S’il semble difficile d’imaginer un organisme de contrôle au plan mondial, il est absolument urgent de créer en Europe une autorité

de supervision unique. Cette recommandation ne figure pas dans

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le rapport de Larosière, qui préconise une coordination européenne des autorités de surveillance. Il appartiendrait à la BCE et au SEBC d’assumer ce rôle de supervision macroprudentielle pour l’UE des

27, pour autant que le mandat de la BCE ne soit plus limité à l’objectif de stabilité des prix, mais qu’il comprenne également

l’objectif de croissance et d’emploi. La CES attend par ailleurs des États membres de l’UE et de la Commission qu’ils jouent un rôle

de premier plan dans la mise en place du Conseil de stabilité financière et la préparation du futur G20, qui auront pour mission de bâtir une nouvelle architecture financière mondiale, afin de garantir

leur transparence et d’éviter à tout jamais la répétition d’une crise de cette ampleur.

12. Bien que certaines propositions du rapport semblent aller dans le bon

sens, il convient de rappeler que les germes de discorde résident

dans les détails. Pour prendre l’exemple des paradis fiscaux, il ne suffit pas que les États membres de l’UE et les territoires qui en

dépendent ne figurent pas sur les listes noire et grise de l'OCDE. Il existe toujours un nombre considérable de paradis fiscaux sur le territoire de l’UE, et les décisions du Conseil européen relatives aux

procédures de coopération entre les administrations fiscales nationales sont insuffisantes. Quant à l'évasion fiscale, il est

impératif d'empêcher les sociétés d'investissement en capital à risque et les fonds spéculatifs de recourir à des boîtes postales pour des considérations de « neutralité fiscale » et de mettre en place des

procédures d’échange systématique d’informations entre les autorités nationales. Ces mesures doivent s’appliquer tant à la fiscalité

intracommunautaire qu’aux transferts de capitaux entre l’UE et l’étranger. Les États ou territoires non coopératifs doivent être soumis à un système de sanctions proportionnées qui peut aller

jusqu’à limiter la libre circulation des capitaux. Ce point est abordé de façon peu explicite dans la recommandation 28.

13. Les règles de Bâle II

S’il est souhaitable de relever les exigences minimales de fonds propres et de réduire la procyclicalité en réformant les normes

comptables internationales (notamment le principe de la comptabilité à la juste valeur et à la valeur de marché),

recommander que soient appliquées des « règles plus strictes aux postes hors bilan » ne constitue pas véritablement un respect des exigences de transparence et de responsabilité. La « comptabilité »

hors bilan est en elle-même une contradiction et doit être interdite. La réforme des normes comptables internationales doit par ailleurs

encourager l’investissement à long terme et non le court-termisme qui caractérise certains modèles d'entreprise.

14. Les agences de notation

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L’enregistrement et la supervision des agences de notation par un Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CERVM) renforcé est une initiative positive. Ceci ne devrait en aucun

cas être de la compétence des autorités nationales. L’UE doit aller plus loin que le rapport de Larosière et créer une agence de notation

européenne sans but lucratif, financée par le budget européen, sous la supervision d’une autorité européenne des services financiers.

Cette agence devrait être assistée d’un conseil consultatif ou de supervision qui devrait notamment comprendre des membres du Parlement européen, de la CES, de Business Europe et

d’organisations de la société civile.

15. Le « système bancaire parallèle »

Le rapport de Larosière est trop prudent sur cette question. Il est

impératif d’interdire les services bancaires parallèles qui ne sont ni enregistrés ni supervisés. Les fonds spéculatifs, les sociétés

d’investissement en capital à risque et l’ensemble des instruments hors bourse (OTC) jusqu’à présent non enregistrés doivent, sans exception, être soumis au même cadre réglementaire.

16. Les aspects relatifs à la gouvernance des entreprises Les propositions d’alignement des rémunérations, des primes et des

stock options des cadres dirigeants sur le développement à long terme et la pérennité des entreprises sont des initiatives positives, mais elles ne vont pas assez loin. La transparence totale des

rémunérations des cadres dirigeants, la participation des partenaires dans la détermination des objectifs de pérennité des entreprises, y

compris la cogestion et la participation des travailleurs, sont autant de questions qui doivent être traitées.

17. Les propositions relatives à la création d’un système européen de supervision financière pour garantir une coordination intégrée au

plan européen de la surveillance micro-prudentielle exercée par les autorités de supervision nationales sont des initiatives

opportunes. La proposition prévoit une évolution en deux étapes (2009-2010 et 2010-2012), mais sa mise en œuvre est subordonnée aux décisions politiques concernant le degré d’harmonisation et

d’intégration au sein de l’UE. La CES analysera les initiatives législatives qui seront prises par la Commission.

18. La « réparation globale »

Le rapport de Larosière évoque un renforcement du Conseil de stabilité financière (CSF, l’ancien Forum de stabilité financière)

pour réformer le système financier. Cette approche a été critiquée dans la déclaration syndicale de Londres au sommet du G20 (paragraphe 20). La réforme de l’ensemble du système financier a

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été confiée au CSF alors que cette institution opaque et le FMI lui-même doivent également être réformés. Comme l’énonce la déclaration de Londres, le Forum de stabilité financière (FSF)

rassemble « les mêmes experts qui ont mis au point le système actuel qui vient de s’effondrer de manière désastreuse. Le FSF s’est

par ailleurs montré incapable par le passé de consulter les syndicats, la société civile ou d’autres partenaires, y compris les Nations unies

et l’OIT, et ne dispose pas d’une structure, de l’expertise ou des ressources nécessaires pour y remédier à l’avenir. »

19. Quant aux nouvelles compétences du Comité monétaire et financier international du Fonds monétaire international

(CMFI) proposées par le groupe de Larosière, la CES et les syndicats mondiaux mettent en avant l’absence de responsabilité démocratique du FMI. Les syndicats exigent un siège aux principaux forums

mondiaux. Le rapport de Larosière demeure cependant silencieux sur la nécessité de rétablir la confiance des familles qui travaillent, les

plus touchées par la crise, celles qui risquent d’en payer le prix deux fois : la première à cause des risques que font peser le chômage et la diminution du niveau de vie ; la seconde en tant que contribuables

contraints de financer à l’avenir l’endettement colossal des institutions financières. La CES exige le respect des principes

démocratiques fondamentaux et des exigences de transparence dans l’ensemble des mesures proposées par la Commission et le Conseil.

20.La surveillance macroéconomique et la prévention des crises

Le rapport de Larosière recommande la création d’un système d’alerte rapide dans le domaine de la stabilité financière, y compris une carte internationale des risques et un registre des crédits. D’une

part, on ne sait pas très bien comment éviter une manipulation politique de la cartographie des « zones à risque » (si des

modifications de la composition et des droits de vote au sein du FMI ont été annoncées, elles n’ont pas encore été réalisées) ; d’autre part, les syndicats demandent depuis longtemps la création d’un

registre des crédits international et transparent.

21. La représentation de l’UE au FMI et dans d'autres forums internationaux

Cette mesure aurait déjà dû être prise, pour autant que soit

représenté le modèle social européen et non sa variante anglo-

saxonne du marché libre.

22. Jusqu’à présent, le débat européen n’est pas à la hauteur de l’ampleur des défis macroéconomiques et structurels, qu’une gestion ponctuelle de la crise et les mesures de stabilisation proposées ne

peuvent relever. Le modèle financier néolibéral et déréglementé a échoué. Pour en finir une fois pour toutes avec ce modèle, il faut

avant tout agir sur les déséquilibres mondiaux. Cela implique par

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ailleurs une contraction considérable du secteur financier et une adéquation des profits et du poids économique, afin de servir l’économie réelle à des taux de croissance durables. Les attentes du

marché correspondant à des rendements à deux chiffres ne sont plus acceptables dans le contexte actuel. Certaines mesures proposées

semblent néanmoins reposer sur l’illusion qu’une période de réparation du système financier, financée par des pertes d’emploi, un

chômage général et davantage d’impôts supportés par les travailleurs, sera suivie d’un retour aux pratiques habituelles. La CES refuse cette éventualité.