Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry,...

47
Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél. 02 648 20 98 [email protected] COMMUNIQUE DE PRESSE DU 6 OCTOBRE 2015 D’AVOCATS.BE Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot-pourri II » - Résumé de la Conférence de presse d’AVOCATS.BE Chère Madame, Cher Monsieur, L’actualité de ce jour, abondante, il faut bien l’admettre, ne vous aura probablement pas permis de nous rejoindre pour la conférence de presse que nous organisions sur le projet de loi « pot-pourri II ». Je me permets de joindre en annexe les trois documents qui ont été distribués au cours de cette conférence de presse : 1°. Tout d’abord, les observations émises par AVOCATS.BE relatives à l’avant-projet de loi pot-pourri II. Elles se décomposent en deux parties : - des observations générales sur l’ensemble du projet, qui résument notre position (les quatre premières pages). - un examen du projet article par article, avec des critiques, tant positives que négatives. 2°. Ensuite le texte de la mercuriale prononcé par le Procureur général près la cour d’appel de Liège à l’occasion de la rentrée judiciaire de cette cour. Ce discours était consacré à la dissuasion pénale. Il nous a paru intéressant de diffuser ainsi les données sur la base desquelles Monsieur le Procureur général a plaidé pour une diminution du recours systématique à l’emprisonnement comme sanction pénale. Le petit résumé que Monsieur De Valkeneer formule à la page 17, au début du paragraphe 7 de sa mercuriale, ne pourra manquer de vous intéresser. 3°. Enfin, je me permets de joindre l’éditorial que j’avais rédigé pour la livraison du 18 juin 2015 de notre newsletter La Tribune, qui insiste sur la nécessité d’éradiquer la surpopulation carcérale. * * * Quelles sont les idées fortes qui ont été développées dans cette conférence de presse ?

Transcript of Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry,...

Page 1: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

Contacts presse :

Patrick Henry, président 0475 41 46 06

65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles

Tél. 02 648 20 98

[email protected]

COMMUNIQUE DE PRESSE DU 6 OCTOBRE 2015 D’AVOCATS.BE

Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot-pourri II » - Résumé de la

Conférence de presse d’AVOCATS.BE

Chère Madame,

Cher Monsieur,

L’actualité de ce jour, abondante, il faut bien l’admettre, ne vous aura probablement pas

permis de nous rejoindre pour la conférence de presse que nous organisions sur le projet

de loi « pot-pourri II ».

Je me permets de joindre en annexe les trois documents qui ont été distribués au cours de

cette conférence de presse :

1°. Tout d’abord, les observations émises par AVOCATS.BE relatives à l’avant-projet de

loi pot-pourri II.

Elles se décomposent en deux parties :

- des observations générales sur l’ensemble du projet, qui résument notre position

(les quatre premières pages).

- un examen du projet article par article, avec des critiques, tant positives que

négatives.

2°. Ensuite le texte de la mercuriale prononcé par le Procureur général près la cour

d’appel de Liège à l’occasion de la rentrée judiciaire de cette cour.

Ce discours était consacré à la dissuasion pénale.

Il nous a paru intéressant de diffuser ainsi les données sur la base desquelles Monsieur le

Procureur général a plaidé pour une diminution du recours systématique à

l’emprisonnement comme sanction pénale.

Le petit résumé que Monsieur De Valkeneer formule à la page 17, au début du paragraphe

7 de sa mercuriale, ne pourra manquer de vous intéresser.

3°. Enfin, je me permets de joindre l’éditorial que j’avais rédigé pour la livraison du 18

juin 2015 de notre newsletter La Tribune, qui insiste sur la nécessité d’éradiquer la

surpopulation carcérale.

* * *

Quelles sont les idées fortes qui ont été développées dans cette conférence de

presse ?

Page 2: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

Contacts presse :

Patrick Henry, président 0475 41 46 06

65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles

Tél. 02 648 20 98

[email protected]

1. Comme l’indiquait Françoise Tulkens, le projet pot-pourri II nous parait marqué par

une absence de cohérence dans l’initiative législative. Alors que,

parallèlement, des commissions ou groupes de travail travaillent sur la réforme du

procès pénal et sur la réforme du droit pénal, il est malheureux de modifier

partiellement cette matière, manifestement sans vision d’ensemble, au prétexte

d’une loi qui, pour des raisons budgétaires, modifie le champ d’application de la

cour d’assises.

2. Le projet est marqué par un recul de l’individualisation de la peine, et donc

de l’humanisation de la justice. Dans de nombreuses hypothèses, le magistrat

est privé de la possibilité d’infliger des sanctions alternatives à la peine de prison,

étant obligé de se concentrer exclusivement sur celle-ci. C’est en ce sens que Paul

Martens parlait d’un recul de la civilisation.

3. Nous dénonçons une accentuation du déséquilibre entre le parquet et les

autres parties au procès pénal, particulièrement les prévenus. Cela se

marque dans une série de petites réformes qui, mises bout à bout, aboutissent à

ce que Robert De Baerdemaeker présentait comme une véritable violation du

principe de l’égalité des armes.

4. Nous ne dénonçons pas spécialement la réduction du champ d’application de la

cour d’assises, qui est une option politique qui se défend, particulièrement sous

l’angle budgétaire. Mais nous dénonçons, en revanche, toutes les mesures qui

entourent cette réduction de champ d’application : augmentation de la prescription,

augmentation du taux des peines qui peuvent être prononcées, diminution de

l’individualisation de la peine, …

5. D’une façon générale, nous constatons que ce projet ne concrétise nullement

les intentions qui avaient été exprimées par Monsieur Geens dans son plan justice

par lequel il annonçait une réduction de la détention préventive et une

réduction des peines prononcées par les juridictions de fond. Certes,

d’autres mesures pourront être adoptées ultérieurement par Monsieur le ministre

de la justice et le gouvernement pour concrétiser ces intentions, mais tel n’est

actuellement pas le cas.

Pour le résumer en quelques mots, la surpopulation carcérale suscite évidemment bien

des problèmes, d’abord pour les détenus eux-mêmes, ensuite pour le personnel

pénitentiaire. Mais elle menace également l’ensemble de la société.

Lorsqu’un détenu, au bout de sa peine, est libéré après avoir vécu pendant de nombreuses

années dans des conditions de promiscuité insupportables, sans avoir la possibilité de

participer à des activités sociales, et sans pouvoir bénéficier de l’assistance

indispensable à l’élaboration d’un projet de réinsertion, il ressort nécessairement de

prison pire qu’il n’y est entré.

On punit pour éviter la réitération d’un comportement, et non pour l’encourager. Or,

aujourd’hui, c’est malheureusement ce que fait notre système pénal.

Page 3: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

Contacts presse :

Patrick Henry, président 0475 41 46 06

65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles

Tél. 02 648 20 98

[email protected]

Je reste évidemment à votre disposition pour toute autre information.

Patrick Henry

Président d’AVOCATS.BE

Page 4: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

Observations d’AVOCATS.BE relatives à l’avant-projet de loi

Pot- pourri II

(version approuvée en conseil des ministres le 25 juin 2015)

I. OBSERVATIONS GENERALES

A la lecture du volet pénal du plan justice et plus particulièrement de la partie relative à

l’exécution des peines et à la détention préventive (A), AVOCATS.BE s’était réjoui de la

volonté affichée par le ministre de :

- lutter contre la surpopulation carcérale (1) ;

- favoriser les alternatives à la peine privative de liberté qui devient le remède ultime

réservé aux infractions les plus graves (2);

- réduire drastiquement le recours à la détention préventive et limiter la durée de

celle-ci (3).

Force est cependant de constater que l’avant-projet de loi pot-pourri II ne concrétise pas

complètement ces déclarations d’intentions.

Sur le plan des droits de la défense, le projet pot-pourri II suscite également des questions

(B).

A. EXECUTION DES PEINES ET DETENTION PREVENTIVE

AVOCATS.BE regrette que les objectifs ambitieux du plan justice ne soient pas concrétisés.

1. En ce qui concerne la lutte contre la surpopulation carcérale

Les mesures envisagées par le projet pot-pourri II ne pourraient qu’accroître la

surpopulation dans les prisons :

Tous les crimes sont correctionnalisés mais le taux des peines augmente,

pouvant atteindre 40 ans d’emprisonnement (voir articles 2 à 6 du projet, article 15,

article 27)

Actuellement, la peine la plus élevée que peut prononcer une Cour d’assises est une peine

de 30 ans (sous réserve de la réclusion à perpétuité).

Le projet pot-pourri II prévoit de correctionnaliser une série de crimes mais augmente le

taux de peine à 40 ans, ce qui signifie qu’un prévenu pourrait désormais être condamné à

40 ans de prison par un juge unique âgé de moins de 30 ans (voir réforme Pot-Pourri I) -

au lieu de 3 juges et 12 jurés en Cour d’assises, à l’issue de quelques heures d’audience

au lieu d’une session d’assises où de nombreux témoins peuvent être entendus.

Cela pose question.

Page 5: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

Augmenter le taux de peine est préoccupant car une peine de 30 ans est suffisante pour

réprimer l’ensemble des crimes.

Le risque est élevé, en prononçant de telles peines, d’enlever tout espoir aux détenus et

de créer de l’insécurité dans les prisons.

C’est aussi faire peu confiance au travail des tribunaux d’application des peines (TAP) qui

ont été créés pour apprécier l’opportunité ou non d’une modalité d’exécution de la peine.

Pour atténuer les conséquences négatives de la correctionnalisation, il faut prévoir des

garanties et notamment la facilitation de l’audition des témoins. Cela est important tant

pour le respect des droits de la défense du prévenu que pour les victimes qui ont besoin

de s’exprimer. L’oralité des débats contribue au sentiment de justice et au rétablissement

de la paix sociale.

Il convient également de prévoir des garanties par rapport à l’expérience des magistrats

pouvant statuer dans ces matières et de prévoir des chambres à trois juges.

Les délais de prescription sont allongés (voir article 59 du projet remplaçant

l’article 21bis du Titre préliminaire du C.i.cr. en ce qui concerne la prescription de l’action

publique, voir article 17 du projet modifiant l’article 92 du Code pénal en ce qui concerne

la prescription des peines).

L’instauration de délais de prescription en matière pénale n’est pas l’illustration d’un

laxisme mais part du constat qu’après l’écoulement d’un certain délai la répression ne se

justifie plus pour de nombreuses raisons qui tiennent notamment à la paix sociale, à la

déperdition des preuves et à l’impossibilité de prononcer encore une juste sanction.

L’allongement des délais de prescription aggravera le risque d’aboutir à un dossier moins

bien monté, ce qui serait préjudiciable pour une victime qui parviendrait plus difficilement

pas à faire établir la réalité, la nature ou l’importance des sévices subis, par exemple.

Plus le temps passe, plus il donne de prise au doute.

En outre, l’allongement des délais de prescription aura pour conséquence une

augmentation des cas où le dépassement du délai raisonnable sera invoqué.

En cas de dépassement du délai raisonnable, les tribunaux doivent en tenir compte, soit

pour atténuer la peine, soit pour prononcer une simple déclaration de culpabilité. Pour

rappel, les modifications législatives qui sont intervenues à cet égard dans notre pays, l’ont

été sous la pression de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de

Strasbourg.

N’est-il pas encore plus douloureux pour la victime d’aboutir à l’irrecevabilité des poursuites

ou à une « simple déclaration de culpabilité » surtout pour des faits particulièrement graves

?

Le délai de prescription des peines est également allongé, celles-ci devenant dans certains

cas imprescriptibles ou passant de 5 ans à 10 ans et de 10 ans à 20 ans, ce qui semble

inadéquat. Le parquet a-t-il besoin d’autant de temps pour mettre à exécution d’une peine.

L’homme d’il y a 20 ans est-il le même aujourd’hui ?

2. En ce qui concerne la promotion d’alternatives à la peine privative de

liberté

Plutôt que de promouvoir des alternatives à la peine privative de liberté, le projet exclut

pour certains types de faits la suspension, la peine autonome de travail, la peine autonome

de surveillance électronique et la peine autonome de probation (voir article 12 du projet

Page 6: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

remplaçant l’article 37ter du Code pénal en ce qui concerne la peine autonome de travail,

article 34 du projet modifiant la loi sur la suspension, article 42 du projet remplaçant

l’article 7 de la loi instaurant la surveillance électronique comme peine autonome, article

49 du projet remplaçant l’article 8 de la loi instaurant la probation comme peine

autonome).

Ces nouvelles dispositions témoignent en outre d’une méfiance injustifiée à l’égard des

magistrats qui sont pourtant les mieux à même d’apprécier si ce type de peines peut être

appliqué dans le respect du principe de l’individualité des peines.

3. En ce qui concerne la réduction « drastique » du recours à la détention

préventive et sa limitation dans le temps

Les modifications annoncées pour limiter la durée de toute détention préventive ne sont

pas évoquées dans l’avant-projet. En revanche :

Après trois mois (à partir de la troisième décision de la chambre du

conseil), le contrôle de la détention préventive aura lieu tous les deux mois plutôt

que tous les mois (voir articles 126, et 127 du projet modifiant l’article 22 et abrogeant

l’article 22bis de la loi sur la détention préventive).

Allonger le maintien en détention préventive à deux mois pour tous les types d’infractions

va à l’encontre du caractère exceptionnel qu’il convient de réserver à la privation de liberté

avant jugement.

Par ailleurs, la possibilité de solliciter une remise en liberté mensuellement est supprimée.

AVOCATS.BE se rallie à la position exprimée par les juges d’instruction à cet égard qui

estimait que l’allongement du délai est contraire aux droits de la défense et que le rythme

des comparutions mensuelles est un ressort permettant de dynamiser et d’accélérer

l’enquête.

Le contrôle des détentions préventives de longue durée est supprimé (voir

articles 69 et 70 modifiant l’article 136bis et abrogeant l’article 136ter du C.i.cr.)

Le pourvoi en cassation en matière de détention préventive est supprimé

(article 125 du projet – modification de l’article 20 §6 de la loi sur la détention préventive).

Page 7: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

B. EXERCICE DES DROITS DE LA DEFENSE

AVOCATS.BE s’inquiète pour l’exercice des droits de la défense :

1. AVOCATS.BE estime que l’extension de la mini-instruction est prématurée à

ce stade et doit faire l’objet d’une réforme globale. AVOCATS.BE partage le souci des juges

d’instruction à cet égard (voir article 62 du projet)

2. En ce qui concerne la fixation des délais d’échange des conclusions par le tribunal

de police, le tribunal correctionnel et la cour d’appel (voir article 75, 84 et 92 du projet),

AVOCATS.BE estime que cette disposition est certes susceptible de rationnaliser la mise en

état des causes en palliant la désorganisation des audiences pour autant toutefois que

cette disposition s’applique et s’impose également au ministère public, et notamment

en ce qui concerne la sanction d’écartement d’office des conclusions

déposées/communiquées hors des délais fixés par la juridiction.

3. La limitation du droit d’opposition aux cas de force majeure (voir article 82

du projet) est une mesure aussi injuste qu’incompatible avec les textes internationaux. Les

choix stratégiques de faire défaut sont pour le moins exceptionnels et dangereux, compte

tenu de la tendance des juridictions de sanctionner plus sévèrement par défaut. On aperçoit

d’ailleurs mal l’intérêt de faire défaut, sauf lorsque l’action publique est prescrite à quelques

mois près ou lorsque les droits de la défense l’imposent.

4. Pour ce qui est de la question du périmètre de la saisine de la juridiction

d’appel, AVOCATS.BE insiste pour que le législateur précise que, nonobstant la mention

des griefs dans la requête d’appel, la juridiction qui doit connaître de ce recours en appel

soit saisie de l’ensemble de la cause dont avait été saisi le premier juge (voir article 88 et

90 du projet)

Une solution différente serait totalement incompatible avec le respect des droits

fondamentaux. Pensons notamment aux particuliers sans avocat qui devraient déterminer

précisément, sous peine d’irrecevabilité, les griefs faits au jugement a quo…

Page 8: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

II. OBSERVATIONS PARTICULIERES :

TITRE 2 : MODIFICATION DU DROIT PENAL

Chapitre 1 : dispositions modifiant et interprétant le Code pénal

Articles 2 à 6 du projet - modification des articles 9 à 25 du code pénal:

augmentation des peines

Afin de « compenser » la correctionnalisation possible pour tous les crimes, les peines

maximales pour les crimes les plus graves passent de 30 ans à 40 ans et le maximum de

la peine, en cas de correctionnalisation d’un crime puni de 20 à 30 ans de réclusion, passe

de 20 ans à 28 ans.

On n’est pas loin des peines incompressibles.

Les conséquences de cette correctionnalisation sont multiples:

- Augmentation du taux de la peine;

- Perte de l’oralité des débats ;

- Moins de juges (et des juges moins expérimentés – voir pot-pourri I) pour des

sanctions plus sévères ;

- Des peines accessoires pour plus d’infractions (voir article 4 du projet);

- Etc.

Pour atténuer les conséquences négatives de la correctionnalisation, il faut prévoir des

garanties et notamment la facilitation de l’audition des témoins. Cela est important tant

pour le prévenu que pour les victimes qui ont besoin de s’exprimer. L’oralité des débats

contribue au sentiment de justice et au rétablissement de la paix sociale.

Il convient également de prévoir des garanties par rapport à l’expérience des magistrats

pouvant statuer sur ces matières et limiter l’effet « pervers » de la réforme (taux de peines,

peines accessoires, etc).

Article 7 du projet - modification des articles 31 et s. du code pénal: extension

des peines pouvant être prononcées par le tribunal correctionnel en cas de

correctionnalisation

On donne les mêmes pouvoirs aux tribunaux qu’aux cours d’assises.

Ainsi, les interdictions visées à l’article 31, §1er qui sont obligatoires vont devoir être

prononcées pour des crimes correctionnalisés punis d’un emprisonnement de 20 ans et

plus et des délits (par le jeu des concours et des récidives), ce qui n’était pas le cas avant.

De même pour la mise à disposition du TAP (art. 34ter), on élargit les cas dans lesquels

cette mesure de sûreté va être ordonnée (3°).

On va ainsi permettre un durcissement des peines, sans justification si ce n’est qu’il s’agit

d’un effet collatéral de la réforme.

Page 9: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

Article 12 du projet – nouvel l’article 37ter du Code pénal : la peine autonome de

travail (PAT) est exclue pour certains faits

Toutes les peines autonomes (mais aussi la suspension du prononcé) et donc la peine

autonome de travail sont exclues pour les faits punissables d’une réclusion de 20 à 30 ans

ou plus.

Il s’agit d’une forme de méfiance à l’égard de la magistrature : pourquoi exclure une peine

autonome de travail pour ces types de faits. Si, pour ces infractions -là, le tribunal devait

l’envisager, c’est probablement parce que la situation personnelle de l’individu le

permettrait ; ce qui est cohérent dans un système d’individualisation des peines.

Par ailleurs, certaines infractions (comme la prise d’otage et d’autres) ne pourront plus

bénéficier de la peine autonome de travail sans raison fondamentale.

Article 15 du projet - modification de l’article 80 du code pénal : augmentation

des seuils en cas de correctionnalisation

Comme indiqué précédemment, après correctionnalisation, un crime puni de 30 à 40 ans

de réclusion peut être punissable d’une peine allant jusqu’à 38 ans de réclusion et un crime

puni de 20 à 30 ans de réclusion peut être punissable d’un peine allant jusqu’à 28 ans de

réclusion au lieu de 20 ans.

Cela est contraire à l’objectif poursuivi par le ministre de la justice de limiter

l’emprisonnement.

Article 17 du projet - modification de l’article 92 du Code pénal : prescription des

peines

Certaines peines deviennent imprescriptibles, les peines de plus de 20 ans se prescrivent

par 20 ans au lieu de 10 ans (ce qui était réservé aux peines criminelles avant).

Est-il bien raisonnable et nécessaire ?

Articles 18, 22,23 du projet - art. 400 CP et suivants: incapacité permanente de

travail

La notion d’incapacité de travail permanente est supprimée au bénéfice de celle

d’incapacité de travail personnelle de plus de quatre mois. L’objectif est de ne plus attendre

les expertises pour qualifier une incapacité de permanente ou non et de ne plus bloquer

une demande civile en raison de l’existence d’une procédure pénale.

L’idée est intéressante mais pose question.

Le problème est qu’on augmente significativement les peines pour les infractions de coups

et blessures ayant entraîné une incapacité de plus de quatre mois mais non permanente.

Ne faut-il pas répartir l’échelle des peines de manière plus égalitaire entre les incapacités

de moins de 4 mois ou de plus de 4 mois : 2 mois à 2 ans d’emprisonnement pour une

incapacité temporaire jusqu’à 4 mois et 2 ans à 5 ans d’emprisonnement pour une

incapacité temporaire de plus de 4 mois ?

Article 24 du projet – nouvel article 414 du Code pénal: en cas d’excuse de

provocation

Dans une telle hypothèse, il est prévu que la peine ne puisse plus être diminuée en raison

de la correctionnalisation.

Il n’y a pas de raison de modifier ce système à l’occasion de la présente réforme. Cela ne

se justifie pas. Le juge du fond est tout à fait capable d’apprécier s’il admet ou non des

Page 10: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

circonstances atténuantes après admission de la cause d’excuse lors de la

correctionnalisation.

Article 27 du projet - modification de l’article 476 du Code pénal : tentative de

meurtre commis pour faciliter le vol

Selon le projet, la tentative serait punie comme le meurtre pour faciliter le vol. L’idée est

d’harmoniser à nouveau vers le haut en termes de répression. C’est contraire à l’objectif

de lutter contre la surpopulation dans les prisons.

Chapitre 2 : dispositions modifiant les articles 1 et 8 de la loi du 29/06/1964

concernant la suspension, le sursis et la probation

Article 34 du projet – modification de l’article 3 de la loi: exclusion des crimes

les plus graves du bénéfice de la suspension du prononcé

Même les crimes les plus graves étant correctionnalisables, le projet exclut la possibilité

d’ordonner la suspension du prononcé pour ceux qui sont punissables de peines

supérieures à 20 ans de réclusion.

Pourquoi fermer une porte que le juge du fond n’ouvrira qu’en cas de situation

exceptionnelle ? C’est encore une preuve de défiance à son égard.

Article 35 du projet- nouvel article 8 § 1 de la loi:

1. Suppression de la possibilité d’ordonner un sursis pour la peine autonome

de travail, la peine de probation autonome, la condamnation par

surveillance électronique et la confiscation

Il ne faut pas perdre de vue le risque de violation de la Constitution et la CEDH lorsqu’on

ne permet plus au juge d’assortir des peines d’un sursis.

Dans un jugement récent du 29/04/15, le tribunal correctionnel de Liège a interrogé la

Cour constitutionnelle sur la conformité de l’article 43 du Code pénal avec les articles 10

et 11 de la Constitution, l’article 6 de la CEDH et l’article 1 du 1er Protocole additionnel de

la CEDH, en ce qu’il impose de prononcer des confiscations. La question est d’autant plus

pointue si le sursis est exclu.

A nouveau, AVOCATS.BE regrette la défiance affichée à l’égard du juge du fond.

Si l’on peut comprendre l’absence de possibilité de sursis pour une peine de probation

autonome, on ne la comprend pas pour une surveillance électronique ni pour une peine

autonome de travail.

Les difficultés d’application évoquées dans l’exposé des motifs pour justifier la réforme

devraient pouvoir se résoudre en allongeant le délai d’exécution de la peine de travail

notamment.

2. Suppression de l’exclusion du sursis en fonction des antécédents

C’est une mesure positive. Il s’agit d’une solution préconisée par le Conseil supérieur de la

Justice.

On peut regretter qu’il ne soit pas donné la même latitude au juge du fond en matière de

suspension du prononcé (surtout lorsque les antécédents sont très anciens).

Page 11: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

Chapitre 3 : dispositions modifiant la loi du 7/02/14 instaurant la surveillance

électronique comme peine autonome

Article 42 du projet – nouvel article 7 de la loi: cas d’exclusion de la surveillance

électronique comme peine autonome

AVOCATS.BE regrette les exclusions notamment pour les infractions de mœurs.

N’est-il pas utile de permettre au juge du fond de prendre sa décision en fonction d’une

palette la plus élargie possible de sanctions ?

Article 43 du projet – nouvel article 8 de la loi insérant un article 37quater dans

le code pénal: révocation de la suspension de la surveillance électronique

Le parquet doit motiver sa décision de révocation de la surveillance électronique. Par

contre, si on suspend la surveillance électronique en cas de « bonne conduite » puis si le

parquet veut remettre le justiciable sous surveillance électronique, il ne doit pas motiver

sa décision. Il faut prévoir une motivation même dans cette hypothèse.

Chapitre 4 : dispositions modifiant la loi du 10/04/14 insérant la probation

comme peine autonome

Article 49 du projet – nouvel article 8 de la loi: cas d’exclusion de la probation

comme peine autonome

Même remarque qu’à l’article 42. En outre, la peine de probation autonome ne peut être

prononcée pour les faits punissables, s’ils n’étaient transmués en délits, de la réclusion de

20 à 30 ans ou plus.

Article 50 du projet – modification de l’article 12 de la loi : limitation de la peine

de probation autonome à deux ans.

AVOCATS.BE ne comprend pas cette restriction qui risque de restreindre le champ

d’application de la probation comme peine autonome.

Page 12: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

TITRE 3 MODIFICATION DE LA PROCEDURE PENALE

Chapitre 1er : modifications du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle

Article 59 du projet – nouvel article 21bis du Titre préliminaire du C.i.cr.:

allongement des délais de prescription

AVOCATS.BE s’est déjà exprimé à plusieurs reprises contre l’allongement des délais de

prescription (risque d’erreurs judiciaires, risque de déception de la victime, etc.).

En outre, pourrait être réglée à l’occasion de la présente proposition concernant la

prescription, la question de la prescription des infractions de faux et usage de faux.

Chapitre 2 : dispositions modifiant le Code d’instruction criminelle

Article 62 du projet - modification de l’article 28septies C.i.cr. : la mini-instruction

pour les écoutes (90ter), l’observation (56bis), le contrôle visuel discret (89ter)

et les perquisitions

AVOCATS.BE partage les inquiétudes exprimées par les juges d’instruction dans leur note.

Lors des travaux parlementaires du « Petit Franchimont », les opposants à la mini-

instruction en matière de perquisitions considéraient que de tels devoirs portaient

largement atteinte aux principes constitutionnels du respect de la vie privée et de

l’inviolabilité du domicile ; il fallait donc laisser ces devoirs en mains d’un juge qui instruit

à charge et à décharge et qui connaît le dossier. Il faut aussi rappeler la jurisprudence de

la Cour constitutionnelle en matière de méthodes particulières de recherche (voir arrêt du

21/12/04).

La question est donc celle du juge d’instruction ou du juge de l’instruction.

Une telle réforme devrait être appréhendée dans le cadre d’une réforme globale

de la procédure pénale en veillant à garantir les droits des justiciables face au

parquet.

Cette montée en puissance du parquet au stade de l’enquête destinée à étayer ses

poursuites commande assurément que le parquet ne jouisse pas, de surcroît, d’une position

privilégiée et dominante à l’audience pénale et dans la salle du délibéré du juge, au risque,

sinon, de déséquilibrer irrémédiablement les poursuites pénales en raison d’une partie

poursuivante toute puissante tant au niveau de la recherche des éléments à charge pour

alimenter ses poursuites que lors de l’examen desdites poursuites par la juridiction pénale

à la faveur d’une proximité du juge que la confiance dans l’impartialité de l’appareil

judiciaire en serait anéantie.

AVOCATS.BE insiste notamment pour qu’un éventuel futur accroissement des pouvoirs

d’investigation et de poursuites du Parquet aille de pair avec une obligation pour celui-ci

de i) ne plus pénétrer dans la salle du délibéré de la juridiction pénale en dehors de la

présence des autres parties à la cause ou de leur avocat, et ii) de ne plus se tenir sur

l’estrade ni au bureau du juge, mais à la barre, c’est-à-dire à l’endroit dans la salle

d’audience où se tiennent les autres parties et leurs avocats pour plaider, à peine sinon

d’irrecevabilité de l’action publique.

On rappellera incidemment et en soutien de la note des juges d’instruction, que :

Page 13: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

A. Dans son arrêt Borgers c/ Belgique du 30 octobre 1991, la Cour européenne des

droits de l’homme (CEDH) condamna la Belgique pour violation de l’article 6 de la

Convention européenne des droits de l’homme pour absence d’une Cour de cassation

impartiale, en raison de la présence du procureur général aux réunions de délibération de

la Cour de cassation.

La CEDH fit valoir à cet égard que, si le parquet de la Cour de cassation est certes censé

requérir objectivement, il n’en devient pas pour autant impartial.

La CEDH disant en effet pour droit sous le considérant 26 de cet arrêt de principe :

« 26. Nul ne doute de l’objectivité avec laquelle le parquet de cassation s’acquitte de ses

fonctions. En attestent le consensus dont il fait l’objet en Belgique depuis ses origines et

l’assentiment que le Parlement lui a marqué à diverses reprises. Néanmoins, son opinion

ne saurait passer pour neutre du point de vue des parties à l’instance en cassation: en

recommandant l’admission ou le rejet du pourvoi d’un accusé, le magistrat du ministère

public en devient l’allié ou l’adversaire objectif. »

B. L’article 832 du Code judiciaire exclut purement et simplement le ministère public

de toutes les causes de récusation qui garantissent l’impartialité des juges, parmi lesquelles

la suspicion légitime et même l’inimitié capitale.

Ainsi que l’écrivent H. D. Bosly, D. Vandermeersch et M.-A. Beernaert dans leur ouvrage

de référence en matière de procédure pénale “on ne récuse pas un adversaire” :

« Le magistrat du ministère public — qui est partie principale au procès pénal — ne peut

pas faire l’objet d’une récusation, car on ne récuse pas un adversaire (art. 832 C.

jud.). »1

Or, c’est pourtant cette partie au procès pénal, dont l’impartialité est donc à ce point

incertaine que le législateur lui-même a expressément exclu le droit pour les justiciables

d’en demander la récusation. Le magistrat du ministère public occupe cette place

ostensiblement privilégiée à l’audience consistant à pouvoir accompagner le juge dans sa

salle de délibéré avant le commencement de l’audience, pendant une éventuelle

interruption d’audience et à la fin de chaque audience pénale, à pouvoir s’asseoir sur son

estrade et le plus souvent à même sa table, et même à pouvoir échanger parfois certains

propos à voix basse avec lui durant l’audience.

Aux termes de récents arrêts, la Cour de cassation a vanté les qualités et mérites

autoproclamés d’un ministère public intervenant au procès pénal prétendument pour

« proposer au juge une solution de justice » et répondant à un haut degré d’objectivité et

de neutralité, sa loyauté devant être présumée (notamment Cass. 19/12/2012,

P.12.1310.F/2, www.juridat.be).

Ces prises de positions qui confinent à des incantations sont cependant vides de sens dès

lors qu’il n’existe précisément aucune procédure légale qui garantisse au justiciable de

bénéficier effectivement, dans le cadre du traitement de son dossier, d’un représentant du

parquet qui soit réellement neutre, loyal et objectif. Bien au contraire puisque, comme déjà

indiqué, l’article 832 du Code judiciaire exclut expressément à l‘égard du Parquet toutes

les causes de récusation des juges.

Article 65 du projet - modification de l’article 90quater du C.i.cr.: suppression de

la cause de nullité en cas de non-respect des formalités prévues à cet article

concernant les MPR

1 M-A Beernaert, H-D Bosly, D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, La Charte, 2017, 7ème éd., t. 1, p.

148.

Page 14: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

Les raisons pour lesquelles le législateur avait décidé de sanctionner le non-respect des

exigences de l’article 90quater par la nullité sont toujours pertinentes : l’ingérence

importante dans la vie privée et la volonté d’empêcher les écoutes de devenir une

technique ordinaire d’investigation.

L’argument développé dans l’exposé des motifs selon lequel la technique des écoutes est

surtout appliquée dans des dossiers de criminalité grave et organisée n’est pas démontré.

Il n’y a pas lieu à modification.

Articles 69 et 70 du projet – modification de l’article 136bis et abrogation de

l’article 136ter du C.i.cr.: suppression du contrôle des détentions préventives de

longue durée

L’abrogation pour des raisons de difficultés de mise en œuvre surprend : pourquoi ne pas

mieux organiser le système ?

Le contrôle automatique prévu au §1er pour des détentions préventives supérieures à 6

mois n’a peut-être pas d’utilité.

Par contre, la possibilité doit être garantie pour le justiciable détenu depuis plus de 6 mois

de saisir la Chambre des mises en accusation pour un contrôle avec un rapport qui doit

être réalisé par le juge d’instruction sur l’état de son enquête.

Il conviendrait d’améliorer les modalités d’exercice de ce droit.

Article 71 et 81 du projet - modification des articles 145 et 182 du C.i.cr. : la

citation reste valable en cas de remise

En combinaison avec la réforme sur l’opposition, le risque de violation des droits de la

défense est réel.

En outre, si la personne n’avait pas de domicile connu au moment de la convocation pour

la première audience, il faudrait prévoir de la convoquer à nouveau pour l’audience de

remise, quitte à ce que ce soit par un envoi recommandé pour limiter les frais dans

l’hypothèse où le justiciable a pu se mettre en ordre administrativement dans l’intervalle.

Article 75, 84 et 92 du projet : nouvel article 152 C.i.cr. et modification de l’article

189 et 209bis du C.i.cr: fixation des délais d’échange des conclusions par le

tribunal de police, le tribunal correctionnel et la cour d’appel

Le projet de loi introduit une procédure de fixation d’office d’un calendrier d’échange des

conclusions devant le tribunal de police2, le tribunal correctionnel3 et la cour d’appel4.

Cette disposition est certes susceptible de rationnaliser la mise en état des causes en

palliant la désorganisation des audiences consécutive au dépôt à contretemps de

conclusions par les parties poursuivantes ou les personnes poursuivies.

Toutefois, il faudrait mentionner expressément que cette disposition s’applique et

s’impose également au ministère public, et notamment en ce qui concerne la sanction

d’écartement d’office des conclusions déposées/communiquées hors des délais fixés par la

juridiction (voyez la formulation de l’alinéa 3 du nouvel article 152 C.i.cr. (art. 52 du projet

2 Voyez l’article 52 du projet de loi, modifiant l’article 152 du Code d’instruction criminelle

3 Voyez l’article 63 du projet de loi, modifiant l’article 189 du Code d’instruction criminelle

4 Voyez l’article 71 du projet de loi, modifiant l’article 209bis du Code d’instruction criminelle

Page 15: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

de loi), afin de ne pas donner l’occasion à la jurisprudence de rapidement développer une

interprétation consistant à en exonérer le ministère public.

Le préambule de l’article 152, §1er, C.i.cr. devrait être ainsi reformulé comme suit (voyez

les mots en caractère gras) : « §1er Les parties, en ce compris le ministère public, qui

souhaitent conclure……

Tandis que la phrase suivante devrait être ajoutée à l’alinéa 3 dudit §1er : « La sanction

d’écartement d’office des conclusions déposées/communiquées hors des délais

fixés par la juridiction, s’applique également au Ministère public. »

Article 60 – abrogation de l’article 185 § 2 du C.i.Cr. qui prévoyait la possibilité

pour le tribunal d’ordonner la comparution en personne

Le jugement de comparution personnelle permet de faire avancer un procès en évitant le

défaut puisqu’il s’agit d’un jugement qui est réputé contradictoire.

AVOCATS.BE ne comprend pas l’intérêt d’abroger l’article 185 §2 C.i.Cr.

Article 82 du projet – nouvel art. 187, § 5 et 6 C.i.cr : modifications des règles

d’opposition

a) la sanction d’irrecevabilité du recours en opposition non signifié selon les

formes légalement prescrites

L’article 82 du projet de loi modifiant l’article 187, § 5, 1°, C.i.cr. dispose que « L’opposition

sera déclarée irrecevable notamment : 1° sauf cas de force majeure, si elle n’a pas été

signifiée dans les formes et délais légaux. »

Tel que formulée, cette disposition légale permettrait donc de frapper d’irrecevabilité tout

exploit de signification d’un recours en opposition qui contiendrait la moindre irrégularité

formelle quelconque, même la plus minime.

Eu égard à l’importance pour les droits de défense du recours en opposition, il

conviendrait donc assurément de prévoir une couverture possible de cette

sanction d’irrecevabilité au cas où il est avéré que l’acte d’opposition dont l’exploit de

signification présenterait une quelconque irrégularité formelle, a néanmoins rempli la

finalité que la loi lui assigne et n’a pas nui aux intérêts de la partie, fut-ce le ministère

public, qui invoque cette irrégularité formelle.

b) la limitation du droit d’opposition aux cas de force majeure

L’article 82 du projet de loi modifiant l’article 187, § 6, 1°, C.i.cr. dispose que « L’opposition

sera déclarée non avenue si l’opposant, lorsqu’il comparait en personne ou par avocat, ne

fait pas état d’un cas de force majeure ou d’un motif valable justifiant son défaut lors de

la procédure attaquée, la reconnaissance de la force majeure ou du motifs invoqués restant

soumise à l’appréciation souveraine du juge.

Il s’agit là d’une mesure aussi injuste qu’incompatible avec les textes internationaux. Les

choix stratégiques de faire défaut sont pour le moins exceptionnels et dangereux, compte

tenu de la tendance des juridictions de sanctionner plus sévèrement par défaut. On aperçoit

d’ailleurs mal l’intérêt de faire défaut, sauf lorsque l’action publique est prescrite à quelques

mois près ou lorsque les droits de la défense l’imposent.

Il faut s’en référer à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Medenica, 7 mai

2001 mais aussi Da Luz Daminguez Ferrera c. Belgique, du 24 mai 2007 : « La Cour a

estimé que l'obligation de garantir à l'accusé le droit d'être présent dans la salle d'audience

– soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d'un nouveau procès –

Page 16: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

est l'un des éléments essentiels de l'article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, n° 9808/02, § 56, 24

mars 2005). Dès lors, le refus de rouvrir une procédure qui s'est déroulée par défaut en

l'absence de toute indication que l'accusé avait renoncé à son droit de comparaître a été

considéré comme un « flagrant déni de justice », ce qui correspond à la notion de procédure

« manifestement contraire aux dispositions de l'article 6 ou aux principes qui y sont

consacrés » (Stoichkov précité, §§ 54-58).

Dans ces circonstances, la Cour considère que le refus par la cour d'appel de Liège de

rouvrir une procédure qui s'est déroulée par défaut en présence d'éléments montrant sans

équivoque que l'accusé souhaitait faire valoir son droit de comparaître a privé le requérant

du droit d'accès à un tribunal. Partant, il y a violation de l'article 6 § 1. »

L’avant-projet va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour européenne : le justiciable

condamné par défaut doit pouvoir former opposition et ne doit pas être tenu de prouver

un cas de force majeure ou un « motif valable » justifiant son défaut.

Article 88 du projet – nouvel art. 204 C.i.cr : la sanction de la déchéance du

recours en appel à défaut de dépôt d’une requête motivée endéans le délai

d’appel - la question du périmètre de la saisine de la juridiction d’appel

L’une des modifications saillantes du projet de loi est assurément celle de l’obligation de

motiver le recours en appel d’une décision de police ou correctionnelle5 par le dépôt d’une

requête précisant les griefs.

La formulation de la version française doit être revue6, il ne serait assurément pas superflu

de prévoir expressément que cette obligation de motivation de l’appel et la

sanction y afférente sont également d’application dans le chef du ministère

public, afin de ne pas donner l’occasion à la jurisprudence de rapidement développer une

interprétation consistant à en exonérer le ministère public.

Cela pourrait se faire par l’ajout de la phrase suivante à l’alinéa 1er du nouvel article 204

C.i.cr. : « La présente disposition légale s’applique également au ministère

public. »

Dès lors que l’appelant devra donc, en vertu du nouvel article 204 C.i.cr., préciser, en

fondement de son recours en appel, ses griefs contre la décision du premier juge, se pose

nécessairement la question, non évoquée par cette disposition légale, du périmètre de ce

recours ou, autrement dit, de la saisine de la juridiction d’appel.

Il ne serait certainement pas inutile de préciser que nonobstant la mention des griefs dans

la requête d’appel, la juridiction qui doit connaître de ce recours en appel est saisie de

l’ensemble de la cause dont avait été saisi le premier juge.

Le premier danger réside dans l’obligation faite aux particuliers sans avocat de déterminer

précisément, sous peine d’irrecevabilité, les griefs faits au jugement a quo…

Le second réside dans l’impraticabilité de ce système en cas de changement de conseil en

cours de procédure. Il convient que le second avocat ne soit pas lié par la requête d’appel,

peut-être trop restrictive, du premier.

Le délai porté à un mois (article 89) (+ 10 jours pour le parquet général) doit

s’accompagner d’une obligation pour le parquet, en l’absence de volonté de recours, de ne

5 Il s’observe en effet que l’article 174, al. 2, C.i.cr. relatif aux formes et délais de l’appel des jugements des

tribunaux de police, réfère expressément aux « mêmes délais, conditions et formes que l’appel des jugements

rendus par le tribunal correctionnel. »

6 « la requête définit (indique ?) précisément (ou précise) les griefs (…) » ou encore : « Elle sera signée de

(par ?) l’appelant, ou de (par ?) son avocat, ou de (par ?) tout autre fondé de pouvoir

Page 17: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

pas attendre l’issue de ce délai avant de prévenir les établissements pénitentiaires : en

effet, bien souvent, malgré la décision du ministère public de ne pas interjeter appel de la

décision, il attend l’expiration du délai de 25 jours (de lege ferenda 40 jours) avant d’en

faire état aux établissements pénitentiaires, ce qui allonge d’autant l’enfermement des

personnes pouvant bénéficier d’une libération provisoire au tiers de peine.

Par ailleurs, quel est l’intérêt de ce système risqué et indéfendable au regard de la CEDH ?

Par contre, il est intéressant de permettre au ministère public de se désister de son appel

(article 90).

Article 113 du projet - nouvel article 420 C.i.cr. : suppression du pourvoi en

cassation contre les décisions prises en application de 135 (irrégularités, etc. lors

du règlement de procédure), 235bis (purge des nullités) et 235ter (MPR) C.i.cr.

Le raisonnement est à nouveau particulier puisqu’il s’agit d’alléger le travail de la Cour de

cassation par la suppression de droits garantis aux citoyens.

En outre, une décision à ce stade de la procédure peut éviter des années de procès qui

pourraient se clôturer par l’irrecevabilité des poursuites.

AVOCATS.BE n’est pas favorable à cette réforme et préconise plutôt de prévoir des règles

plus simples pour la procédure en cassation.

Chapitre 3 : modifications de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances

atténuantes

Article 119 à 121 du projet : suppression de la possibilité de tenir compte de

circonstances atténuantes pour les crimes correctionnalisés

Cette mesure s’ajoute aux autres conséquences de la correctionnalisation de certains

crimes :

- Problématique du taux de la peine

- Perte de l’oralité des débats

- Moins de juges pour des sanctions plus sévères

- Des peines accessoires pour plus d’infractions

- Etc.

La correctionnalisation de ces crimes doit être accompagnée de garanties permettant de

prévoir la facilitation de l’audition des témoins, de garanties quant à l’expérience des

magistrats pouvant statuer sur ces matières de manière à limiter l’effet « pervers » de la

réforme (taux de peines, peines accessoires, etc). cfr. supra.

Chapitre 6 : Modification de la loi du 20 juillet 1990 relative à détention

préventive

AVOCATS.BE partage l’inquiétude des juges d’instruction telle qu’ils l’ont exprimée dans

leur note.

Article 125 du projet – nouvel article 20, §6 de la loi : suppression du pourvoi en

cassation -.

Page 18: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

La suppression se justifierait par la circonstance que peu de pourvois en cassation sont

introduits en matière de détention préventive et qu’il est faut dès lors supprimer le recours.

Ainsi donc, une détention irrégulière pourrait se poursuivre par le simple fait qu’elle est

exceptionnelle.

AVOCATS.BE s’oppose fermement à ce genre de réforme attentatoire à nos règles

fondamentales, soit le respect de formalités lors de la privation de liberté d’un individu.

Article 126 et 127 du projet - modification de l’article 22 et abrogation de l’article

22 bis : contrôle de la détention préventive tous les deux mois (à partir de la

troisième décision de la chambre du conseil)

AVOCATS.BE juge cette mesure inappropriée : allonger le maintien en détention préventive

à deux mois pour tous les types d’infractions va à l’encontre du caractère exceptionnel à

réserver à la privation de liberté avant jugement.

La possibilité de solliciter une remise en liberté après un mois de détention est également

supprimée.

Cela est contraire à la volonté affichée du ministre de la justice de lutter contre

l’enfermement.

AVOCATS.BE se rallie à la position exprimée par les juges d’instruction à cet égard qui

estime que l’allongement du délai est contraire au droits de la défense et que le rythme

des comparutions mensuelles est un ressort permettant de dynamiser et d’accélérer

l’enquête !

Article 130 du projet – modification de l’article 26, §3 et §5 de la loi: prolongation

de la surveillance électronique après renvoi

L’article vise à permettre le renvoi sous surveillance électronique, ce qui doit être soutenu.

Toutefois, l’article devrait permettre le renvoi sous surveillance électronique des

justiciables toujours sous les liens du mandat d’arrêt et pas exclusivement des détenus

bénéficiant déjà de la surveillance électronique.

La même remarque s’impose pour la prise de corps. Celle-ci doit pouvoir être exécutée

sous surveillance électronique même si l’inculpé n’était pas sous surveillance électronique

mais bien sous les liens d’un mandat d’arrêt.

Article 131 du projet – modification de l’article 27, §4 de la loi: pas plus d’une

requête de mise en liberté par mois

Il paraît logique de ne pas permettre des dépôts intempestifs de requête de mise en liberté

provisoire. Toutefois, il faut prévoir l’hypothèse d’un cas de force majeure ou de la

survenance d’un élément neuf.

Article 132 du projet – modification de l’article 28, §2 de la loi: mandat d’arrêt

délivré par le juge du fond en cas d’éléments nouveaux pour un inculpé laissé ou

remis en liberté

L’exposé des motifs n’explique pas les raisons pour lesquelles une telle modification

s’imposerait, soit la possibilité pour le juge du fond de placer sous mandat d’arrêt un

prévenu laissé ou remis en liberté lorsque des circonstances nouvelles et graves rendent

la mesure nécessaire.

En outre, cet article heurte les principes d’impartialité qui s’imposent aux juridictions de

fond : comment un juge du fond ayant délivré un mandat d’arrêt pourrait-il présenter

Page 19: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

l’impartialité attendue pour juger ce même individu ? Cette pratique n’est d’ailleurs pas

permise lorsque le juge du fond a connu du dossier dans le cadre de la détention préventive

comme juge d’instruction, membre de la chambre du conseil ou de la Chambre des mises

en accusation.

Article 133 du projet – modification de l’article 29 de la loi: adresse élue valant

pour la détention préventive et la procédure au fond

Cet article qui n’est guère appliqué devrait être revu pour imposer au ministère public la

vérification de l’adresse actualisée du justiciable au moment de la convocation afin de

s’assurer que la personne concernée a été atteinte, assurément pour le règlement de

procédure, et éviter ainsi les défauts.

Article 135 du projet – modification de l’article 31, § 2: suppression des pourvois

en cassation

Voir supra - article 125

TITRE 4 DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI DU 17 MAI 2006 RELATIVE AU

STATUT JURIDIQUE EXTERNE DES DETENUS

Articles 141 et 161 du projet – modification des articles 12 et 64 de la loi :

révocation possible de permissions de sorties (PS) et de congés pénitentiaires

(CP) dans deux nouvelles hypothèses

AVOCATS.BE regrette l’élargissement des possibilités de révoquer des mesures visant à la

réinsertion des détenus.

Articles 144, 149 et 158 du projet – nouveaux articles 20, 25/2 et 59 de la loi:

l’interdiction des permissions de sorties et de congés pénitentiaires, …. pour les

personnes sans droit de séjour

AVOCATS.BE s’oppose à une telle modification. Des détenus d’origine étrangère peuvent

par le biais de ces mesures régulariser leur situation de séjour en Belgique par des

démarches administratives qui ne peuvent être réalisées de la prison. Ces démarches

permettent alors d’envisager un plan de reclassement socio-professionnel cohérent et

efficace.

Une telle interdiction devrait entrainer une obligation pour les communes de se déplacer

en prison, ce qui risque de coûter fort cher.

En outre, l’Office des étrangers ne répond généralement pas aux établissements

pénitentiaires. Or, les articles en examen font dépendre l’obtention de telles mesures d’un

avis de l’Office.

Article 146 du projet modifiant l’article 21 §1 de la loi: augmenter le temps à

l’extérieur dans le cadre d’une détention limitée (DL)

Il s’agit d’un alignement sur ce qui existe pour les permissions de sortie.

Cette modification est positive puisqu’elle permet plus de temps à l’extérieur pour une

détention limitée dans une situation semblable à une permission de sortie.

Article 153 du projet – nouvel article 43 de la loi : suppression du caractère

automatique des congés lors d’une surveillance électronique ou d’une détention

limitée

Page 20: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

L’article devrait être présenté différemment. Il faut maintenir le caractère automatique des

congés à moins que le détenu ne bénéficie pas d’un endroit où il puisse se rendre pour

ledit congé.

Par contre, il faut réserver la possibilité de solliciter un congé si le détenu bénéficie,

postérieurement à la décision du TAP, d’une adresse pour l’exercer.

Article 156 du projet – modification de l’article 55 de la loi : interdiction de revenir

en Belgique pendant un délai d’épreuve

Tant que le TAP peut autoriser un retour, ce délai d’épreuve n’emporte aucune observation.

Article 161 du projet – modification de l’article 64 de la loi : révocation de la

libération provisoire en vue d’éloignement en cas de retour sur le territoire Belge

sans autorisation du TAP

Logique vu l’article 55.

Article 164 du projet – modification de l’article 68 de la loi

L’article 68 permet utilement de comptabiliser le temps du délai d’épreuve en libération

provisoire qui s’est déroulé de manière positive en déduction de la peine restant à effectuer

(parallélisme avec la LC) et oblige le TAP à déterminer le délai dans lequel le directeur doit

rendre son avis pour une nouvelle demande.

Article 162 du projet – modification de l’article 66 de la loi: possibilité de

permission de sortie et de congé pénitentiaire lors d’une suspension d’une

modalité d’exécution de la peine

Article positif puisqu’il permet de sauver la modalité d’exécution de la peine en l’adaptant

avant l’audience de révocation, modification, etc. Pratique et cohérent.

Article 163 du projet – modification de l’article 67 de la loi: permettre par le biais

d’une révision d’octroyer une autre modalité d’exécution de la peine

Cette disposition est positive car elle permet de poursuivre le plan de réinsertion en cas de

difficulté avec telle mesure plutôt qu’une autre.

Article 166 du projet – modification de l’article 74, § 4 de la loi: suppression du

délai de 7 jours dans lequel la décision de libération pour raisons médicales doit

être prise (à défaut, il s’agit d’une décision de rejet).

Ne serait-il pas utile de maintenir un délai en inversant le système : en l’absence de

décision dans un délai qui pourrait être allongé (ou accord du demandeur pour y renoncer),

la décision serait réputée positive.

Supprimer tout délai risque de ne plus rencontrer l’exigence d’une réponse rapide dans ce

type de situation.

Article 168 du projet – nouvel article 75/2 : possibilité de revoir, sans aggravation

possible, les conditions mises à la libération pour raisons médicales

Il s’agit d’une bonne initiative. Il faut cependant permettre aussi au demandeur de solliciter

une audience auprès du juge d’application des peines.

Page 21: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

P/Plan justice Koen Geens/pot-pourri II/08.07.2015.observations AVOCATS.BE

Article 169 du projet – modification de l’article 76 de la loi: possibilité de réviser

les conditions mises à la libération provisoire pour raisons de santé

Envisager les modifications des conditions pour éviter une révocation semble une solution

constructive.

Article 152 du projet – modification de l’article 79 de la loi: arrestation provisoire

ordonnée par le ministère public

Dans le cas d’une libération provisoire pour raisons médicales, il ne faut pas permettre au

ministère public d’arrêter provisoirement une personne avant son passage devant le juge

d’application des peines en vue de la révision ou de la révocation de la libération

provisoires.

Article 172 du projet – modification de l’article 80 de la loi: durée maximale de

libération provisoire pour raisons médicales limitée à 10 ans

La modification vise à éviter qu’un détenu condamné à plus de 10 ans soit plus longtemps

en délai d’épreuve qu’un condamné à perpétuité. C’est positif.

Article 184 du projet – modification de l’article 95/27 de la loi: possibilité de

revoir la surveillance électronique en cas de mise à disposition du TAP et

procédure de révocation/suspension

Cette modification est cohérente et permet d’envisager une révision plutôt qu’une

révocation.

Article 186 du projet – modification de l’article 96 de la loi: permettre par le biais

d’une révision d’octroyer une autre modalité d’exécution de la peine

Cette disposition est positive car elle permet de poursuivre le plan de réinsertion en cas de

difficulté avec telle mesure plutôt qu’une autre.

En outre, la possibilité de pourvoi en cassation est ouverte.

Article 187 du projet – modification de l’article 97 §1er de la loi: réduction du

délai pour introduire un pourvoi en cassation à 5 jours au lieu de 15 jours

L’exposé des motifs justifie cette réduction en invoquant l’effet suspensif du délai qui serait

défavorable au détenu.

Cet argument n’est pas convaincant.

Un délai de 5 jours est trop bref.

En outre, le condamné peut toujours renoncer à ce pourvoi. Il faut donc officialiser la

pratique qui permet au détenu dans un écrit qui lui est transmis de renoncer à se pourvoir

lorsque la décision lui est favorable.

Article 188 du projet – modification de l’article 109 de la loi : entrée en vigueur :

chat échaudé craint l’eau froide

La loi de principes n’étant pas encore en vigueur, comment ne pas redouter une application

différée de ses modifications ?

Page 22: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

1

Vers un « sanction shift » ?

Quelques réflexions à propos de la dissuasion pénale à l’épreuve de la recherche

criminologique

Mercuriale prononcée par le Procureur Général à l’occasion de l’ouverture de l’année

judiciaire de la Cour d’appel de Liège.

Dans le cadre de cette mercuriale de rentrée judiciaire, je voudrais vous inviter à une réflexion

sur la dissuasion pénale. En d’autres termes la loi pénale et son application par les cours et les

tribunaux produit dissuadent-elles ceux qui envisagent de commettre des infractions et ceux

qui ont déjà été sanctionnés pour des faits pénaux ? Les criminologues qualifient ces deux

processus de prévention générale et de prévention spéciale.

Notre propos ne sera pas ici de nous livrer à un exposé théorique sur cette question mais à la

lumières des recherches criminologiques les plus récentes de porter un regard sur les

politiques pénales conduites dans notre pays.

§1er Les origines de la théorie de la dissuasion pénale

La problématique de la dissuasion pénale n’est pas nouvelle. Cesare Beccaria et Jeremy

Bentham y ont consacré des développements importants. Pour le premier, une loi pénale sera

dissuasive si la sanction est, certaine, sévère sans être injuste et cruelle et prompte1. Il

estimait, en outre, que parmi ces trois dimensions, la certitude étai la plus importante (« Ce

n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, c'est par la

1 C. BECCARIA, Traité des délits et des peine, p.64 : « Plus le châtiment sera prompt, plus il suivra de près le crime qu'il punit, plus il sera juste et utile. Je dis juste, parce qu'alors le criminel n'aura point à souffrir les cruels tourments de l'incertitude, tourments superflus, et dont l'horreur augmente pour lui en raison de la force de son imagination et du sentiment de sa propre faiblesse, parce que la perte de la liberté étant une peine, elle ne doit précéder la sentence que lorsque la nécessité l'exige. » (www.unifr.ch/ddp1/derechopenal/obrasportales/op_20100831_01.pdf)

Page 23: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

2

certitude de la punition »).2 Beccaria introduit les prémisses des théories utilitaristes en

précisant que : « Pour que le châtiment soit suffisant, il faut seulement que le mal qui en

résulte surpasse le crime ; encore doit-on faire entrer dans le calcul de cette équation la

certitude de la punition et la perte des avantages acquis par le délit. Toute sévérité qui excède

cette proportion devient superflue et par cela même tyrannique. »

Quelques décennies plus tard, Jeremy Bentham va reprendre les principes énoncés par

Beccaria en leur appliquant sa théorie utilitariste fondée sur les notions de peine et de plaisir

ou de cout et de bénéfice. Celle-ci repose sur l’idée que les actions humaines sont le résultat

d’une balance entre ces deux dimensions et que l’individu choisira toujours celle qui lui

procure le plus de plaisir.3 Plaisir et peine peuvent être de différentes natures : morale,

physique, politique ou religieuse. Selon la pensée de Bentham, la sanction pénale constitue la

peine ou le coût découlant de la commission d’une infraction. Afin que l’infraction génère un

coût supérieur au bénéfice qu’elle peut produire et donc que le comportement délictueux

devienne « inutile », la sanction devra être certaine, suffisamment sévère et rapide4. A son

tour, Bentham insiste sur la certitude. Il note, à cet égard : « aucune augmentation dans la

quantité ne peut compenser la diminution produite par l'incertitude ». 5

Tout au long du XIXème siècle et une bonne partie du XXème, la pensée positiviste en

criminologie va reposer sur l’idée que la délinquance trouve son origine dans les troubles

médicaux-psychologiques des auteurs. Plus tard, avec les théories sociologiques

fonctionnalistes, la criminologie va se concentrer sur les causes sociales du passage à l’acte.6

Ces travaux reposent sur l’idée que celui-ci n’est pas le résultat d’un choix rationnel mais

découle des déterminismes psycho-médicosociaux des auteurs7. Dans cette perspective,

2 Ibidem, p. 81. 3 « La valeur des peines et des plaisirs peut être estimée par leur intensité, leur durée, leur certitude, leur proximité et leur étendue », J. BENTHAM, Déontologie ou science de la morale, vol. I, 1834, p. 41 publié en ligne par l’université du Québec (http://classiques.uqac.ca/classiques/bentham_jeremy/deontologie_tome_1/bentham_deontologie_t1.pdf). 4 « toute diminution de célérité est donc nécessairement suivie d'une apparente diminution de certitude » Ibidem, p. 65 5 Ibidem, p. 65 6 F. TULKENS et M. van de KERCHOVE, Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques, 1997, pp. 23 et ss. 7 R. PATERNOSTER, “How much do we really know about criminal deterrence.”, Journal of Criminal Law and Criminology, 2010, pp. 772 et 773.

Page 24: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

3

l’étude de l’effet dissuasif du droit pénal ne présente guère d’intérêt puisque la rationalité est

neutralisée par des facteurs sur lesquels l’individu n’a pas de prise.

§2. La résurgence de la dissuasion en criminologie

Vers la fin des années soixante, les travaux des américains Becker et Gibs vont être à l’origine

de nombreuses études, principalement aux Etats-Unis, sur la dissuasion. Becker qui est

économiste de formation va transposer la théorie économique du choix rationnel au

comportement délictueux et reprendre les concepts de coût et de bénéfice introduit par

Bentham.8

Ces recherches criminologiques vont tenter d’évaluer les effets dissuasifs respectifs de la

certitude et de la sévérité de la sanction. Il sort du cadre de cette mercuriale de faire un

examen approfondi et systématique de ces travaux. Nous nous contenterons d’en exposer les

principaux résultats et de livrer les lignes de force qui s’en dégagent.

Au préalable, il convient, toutefois, de faire état d’un certain nombre de problèmes auxquels

se heurte ce type de recherche. Ils ne remettent pas fondamentalement en cause les résultats

auxquels ces études ont abouti mais imposent une certaine prudence dans leur interprétation.

Par ailleurs, en criminologie, comme dans toutes les disciplines des sciences humaines, les

recherches ne produisent jamais de vérité absolue mais davantage des tendances découlant

de la récurrence des résultats auxquels des travaux réalisés dans des conditions

expérimentales comparables ont abouti. Par ailleurs, la vérité scientifique procède davantage

de l’infirmation que de l’affirmation. En d’autres termes on peut démontrer avec plus de

certitude qu’une politique criminelle ne produit pas les résultats escomptés qu’affirmer le

contraire.

Le principal problème méthodologique rencontré par les recherches consacrées à la

dissuasion réside dans la difficulté d’isoler l’effet réel d’une sanction ou d’une politique

criminelle sur le comportement des auteurs potentiels. En d’autres termes, si statistiquement,

on observe une corrélation négative entre des taux de délinquance et la sévérité des sanctions

8 Ibidem, p. 778.

Page 25: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

4

en un endroit donné, est-on sûr que cette baisse de la criminalité soit produite par les peines

prononcées ou d’autres facteurs ont-ils pu avec une influence à cet égard. La problématique

des vols de métaux illustre bien cette difficulté. Afin de lutter contre ce phénomène, un arrêté

royal avait soumis les transactions à la production d’une pièce d’identité par les vendeurs et

interdit le paiement en liquide afin de pouvoir retracer les opérations. Dans les années qui

suivirent l’entrée en vigueur de cet arrêté, on constata une baisse du nombre de vol suivie

ensuite d’une augmentation. A première vue, cette diminution postulait un effet positif de la

nouvelle réglementation. Toutefois, à la même période le prix des métaux avait fortement

diminué pour remonter ensuite. Une autre explication de ces variations résidait probablement

dans les fluctuations du cours des métaux.

Une autre limite des travaux consacrés à la dissuasion pénale réside dans le présupposé de

rationalité du comportement délictueux. Si celle-ci peut se vérifier pour un certain nombre

d’infractions telles que celles, à caractère organisé, de nature réglementaire ou, dans une

certaine mesures celles portent atteinte aux biens, le passage à l’acte pour de multiples faits

a davantage un caractère impulsif. Les atteintes aux personnes rentrent davantage dans cette

catégorie. De même, le comportement délictueux peut découler d’atteintes psychiatriques ou

d’assuétudes. Enfin, il est clair que les conditions sociales constituent, également, un facteur

explicatif de la délinquance. La dissuasion aura peu d’effet sur ces types de comportements

puisque la rationalité intervient dans une moindre mesure dans le passage à l’acte.

Enfin, la dissuasion pénale se réfère à l’infliction de sanctions formelles sous la forme de

peines d’emprisonnement, d’amende ou d’autres types de mesures. Toutefois, la commission

d’infractions peut produire des sanctions informelles dont les effets sont parfois beaucoup

plus lourds que celles ayant un caractère formel. Pensons à la perte d’un emploi, à l’exclusion

ou au rejet de son groupe d’appartenance, à la stigmatisation. La crainte d’une sanction

informelle peut être beaucoup plus forte que celle de la sanction pénale. Elle varie, aussi, en

fonction du type de faits et du milieu d’appartenance des auteurs. Ainsi, par exemple, une

condamnation pénale pour fraude fiscale peut ne pas produire de sanctions informelles au

contraire de faits de pédophilie. L’intensité des sanctions informelles est indépendantes de

celle des sanctions formelles.9

9 S. NAGIN, “Deterrence: A review of the evidence by a criminologist for economists”, Annual review of economics, 2012, p. 6.

Page 26: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

5

Les sanctions informelles pourront venir renforcer l’effet dissuasif des sanctions formelles ou

au contraire l’affaiblir. De même, la sanction informelle peut découler de l’acte en lui-même -

mon épouse réprouve que je sois en état d’ébriété et que de surcroit je conduise - ou de la

sanction que je risque de subir si je suis pris - mon épouse aura une image dévalorisée de moi

si je suis contrôlé en état d’ébriété -.10

Schématiquement, les études criminologiques sur la dissuasion examinent la corrélation entre

les taux de délinquance et d’une part, la sévérité des sanctions et d’autre part, la certitude de

la sanction. Les deux principaux indicateurs de sévérité et de certitude sont respectivement la

longueur des peines et les risques d’être arrêté. La question de la célérité de la sanction,

troisième composante du triptyque de la dissuasion n’a été envisagée que par un nombre

limité de travaux.

Sur le plan de la méthodologie, les recherches adoptent ;

- tantôt des approches macro-criminologiques consistant à examiner la corrélation ou

l’absence de corrélation entre les statistiques globales de criminalité, d’incarcération et

d’arrestation,

- tantôt des approches micro-criminologiques, en étudiant des échantillons de populations et

en conduisant, le cas échéant, des interviewes auprès des sujets qui les composent.

§3. La sévérité de la sanction

Plusieurs recherches relatives à l’effet dissuasif de la sévérité des sanctions, menées aux Etats-

Unis à partir des statistiques générales relatives aux taux d’emprisonnement et de criminalité,

ont mis en évidence une corrélation négative significative entre ces deux variables. En d’autres

termes, l’augmentation de la longueur des peines semblerait produire une réduction de la

criminalité.11 Ces travaux comportent, toutefois, des lacunes méthodologiques qui

10 R. PATERNOSTER, op.cit., p. 780. 11 S.N. DURLAUF et D.S. NAGIN, “Imprisonment and crime. Can both be reduced?”, in. Criminology & Public Policy, Special Policy Issue, Vol. 10, 1er février 2011, p. 25 et A. von HIRSCH, A.E. BOTTOMS, E. BURNEY and P.P. WILSTRÖM, Criminal deterrence and sentence severity, University of Cambridge, Institute of criminology, Hart publishing, 1999, pp. 13 et 14.

Page 27: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

6

affaiblissent fortement les résultats auxquels ils ont abouti. Parmi celles-ci, figure,

notamment, la difficulté de déterminer si c’est effectivement l’augmentation du nombre

d’incarcération et de leur durée qui est à l’origine d’une diminution de la délinquance ou si

d’autres variables n’interfèrent pas dans ce processus comme par exemple l’effet de sanctions

non privatives de liberté. Une comparaison entre les situations américaine et canadienne

illustre cet écueil.

Aux Etats-Unis, la criminalité enregistrée a été en forte augmentation entre 1970 et 1995, en

particulier en ce qui concerne les homicides, les vols avec violences et les atteintes aux biens

pour ensuite fortement décroître. Par ailleurs, la population pénitentiaire a connu une

croissance très importante -près de 500% - au cours de la période 1985-2008. L’examen de

ces séries statistiques tendrait à plaider en faveur d’un effet dissuasif de l’augmentation de la

sévérité des sanctions sur la délinquance. Toutefois, à la même période, le Canada a connu

une diminution semblable des taux de délinquance enregistrées pour les faits les plus graves

nonobstant une diminution de sa population pénitentiaire d’environ 10% entre 1993 et

2008.12

Plusieurs travaux portèrent, également, sur l’effet dissuasif de la peine de mort notamment

en comparant les taux d’homicide dans les états des Etats-Unis appliquant ou non la peine

capitale. Ils ne mirent pas en évidence des différences significatives entre ceux-ci.13

Une autre difficulté des travaux portant sur l’effet dissuasif de la sévérité des sanctions, réside

dans le fait qu’ils sont difficilement en mesure d’établir si la prison est dissuasive ou

incapacitive. En d’autres termes, s’il y a diminution de la délinquance corrélativement à une

augmentation des taux d’incarcération, cela signifie-t-il que c’est la crainte de

l’emprisonnement qui dissuade de passer à l’acte ou le fait d’être en prison qui empêche de

commettre des infractions ? Ainsi, Steven Levitt a mis en évidence une relation significative

entre les décisions de libération afin de prévenir une surpopulation pénitentiaire et

l’augmentation de la délinquance, pour la période allant de 1971 à 1993 aux Etats-Unis. Cette

12 R. PATERNOSTER, op.cit., pp. 787 et ss. 13 M. CUSSON, “Dissuasion, justice et communication pénale”, Institut pour la justice, Etudes et analyses, n° 9, 2010, pp. 16 et ss. Voy., toutefois, l’étude de P.H. RUBIN, « Does capital punishement have a deterrent effect ? New evidence from postmoratorium panel data. », American law and economics review, 2003, pp. 344 à 376.

Page 28: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

7

étude reste, toutefois, en défaut de déterminer si cette augmentation résulte d’une baisse de

la sévérité ou du degré d’incapacitation.14

L’incapacitation a fait l’objet de plusieurs recherches qui aboutissent à la conclusion que celle-

ci a un effet sur la délinquance mais dans une mesure nettement moindre que son amplitude.

Certains auteurs ont estimé qu’une augmentation de 10% de la population pénitentiaire

pouvait produire une diminution de 2% de la délinquance.15 En d’autres termes, que

l’élasticité entre ces deux variables était faible. La diminution de la délinquance enregistrée

aux Etats-Unis pourrait découler de l’effet incapacitatif produit par l’augmentation de la

population pénitentiaire.

Néanmoins, compte tenu de la faible élasticité postulée, cela signifie qu’une telle politique

exigera l’engagement de moyens considérables pour produire un effet sur la délinquance. A

cet égard, le budget dédicacé aux Etats-Unis pour le système pénitentiaire a connu une

augmentation de 660% entre 1972 et 2008.16

Si l’emprisonnement peut avoir un effet limité sur la délinquance en raison de son caractère

incapacitatif, qu’en est-il de son effet sur la récidive ?

Les études conduites sur cette question ont de manière, quasi unanime, mis en évidence des

taux élevés de récidive après un emprisonnement ce qui tendrait à démontrer que la prison

ne produit pas d’effet de dissuasion spéciale sur ceux qui la subissent. Voire pire qu’elle est

criminogène.

Le bureau américain de statistiques judiciaires a mené une étude sur les détenus libérés en

1994. Trois ans plus tard, 68% d’entre eux avaient été arrêtés, 46,9% condamnés et 25,4% ré

emprisonnés.17

14 S.D. LEVITT, “The effect of prison population size on crime rates : evidence from prison overcrowding litigation”, in. Economics of criminal law, edited by Steven D. Levitt and Thomas J. Miles, An Elgar reference collection, 2008, pp. 340 à 372. Cette contribution avait été publié initialement dans The Quarterly Journal of Economics, May 1996. 15 R. PATERNOSTER, op.cit., p. 801. Sur la problématique de l’incapacitation, on consultera, également, A. Bottoms, A. « Empirical research relevant to sentencing frameworks.” In. A. Bottoms, S. Rex & G. Robinson (eds), Alternatives to Prison: Options for an lnsecure Society. Cullompton: Willan Publishing et A. PIQUERO et A. BLUMSTEIN, « Does Incapacitation Reduce Crime? », J. Quant. Criminol., 2007, pp. 267 à 285. 16 S.N. DURLAUF et D.S. NAGIN, op.cit., p. 14. 17 http://www.bjs.gov

Page 29: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

8

Les travaux menés, en Belgique par l’INCC, sur la récidive après emprisonnement confirment

les résultats des travaux étrangers. Maes et Robert ont examiné, les taux de réincarcération

des condamnés définitifs, libérées entre 2003 et 2005, au 1er août 2011.18 Ils ont abouti à la

constatation que 44,1% des personnes étaient retournées en prison au cours de cette période

dont plus de la moitié endéans les deux ans. Précisons que ce pourcentage n’est qu’un

indicateur partiel de la récidive puisqu’il ne prend en considération qu’une nouvelle

réincarcération. Parmi les personnes libérées, certaines ont pu rentrer à nouveau en contact

avec la justice pénale, voire être condamnée sans pour autant être réincarcérées. De surcroit,

tout comme en matière de statistiques de criminalité, il existe un chiffre noir de la récidive

constitué par la somme des passages à l’acte n’ayant pas fait l’objet d’une identification de la

personne libérée. On peut donc supposer que la récidive est bien supérieure à 44%.

Le caractère non-dissuasif de la prison semble être indépendant de la nature des faits pour

lesquels la peine est subie. Une étude a examiné les taux de récidive liés à des condamnations

pour des infractions économiques et financières prononcées aux Etats-Unis entre 1976 et

1978 par six juridictions différentes. A partir d’un échantillon de 742 condamné tantôt à des

peines d’emprisonnement, tantôt à des peines non privatives de liberté, les chercheurs

relèvent qu’après une période de 126 mois, les taux de récidive sont les mêmes dans les deux

groupes.19

Parmi les facteurs permettant d’expliquer cette récidive importante, on peut, notamment,

citer le déclassement social que génère la prison.

Par ailleurs, la plupart des travaux criminologiques récents montrent que les sanctions non-

privatives de liberté produisent moins de récidive que la prison.20

Plusieurs études ont examiné l’effet de la sévérité des sanctions sur les taux de délinquance à

partir d’études micro-criminologiques portant sur des échantillons de population ou des

politiques criminelles particulières. Elles n’ont pas mise en évidence de corrélation négative

entre ces politiques et les taux de délinquance.

18 E. MAES et E. ROBERT, Wederopsluiting na vrijlating uit de gevangenis, INCC, janvier 2012, p. 64. 19 D. WEISBURD, E. WARING et E. CHAYET, „Specific deterrence in a sample of offenders convicted of white collar crimes.”, Criminology, 1995, pp. 587 et ss. 20 Ch.L. JONSON, “ The effects of imprisonment”, in. The Oxford handbook of criminological theory, edited by F.T. Cullen and P. Wilcox, Oxford University Press, 2012, p. 680 et S.N. DURLAUF et D.S. NAGIN, op.cit., p. 23.

Page 30: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

9

Ainsi, plusieurs recherches ont porté sur l’effet d’une augmentation des peines pour les faits

commis à l’aide d’armes sur les taux de vols avec violences. Elles n’ont pas dégagé de

corrélation statistiques significatives.21

D’autres travaux ont porté sur l’évaluation de la politique criminelle menée en Californie

dénommée « The three strikes and you go out ». Celle-ci oblige les tribunaux à prononcer une

peine de vingt-cinq années d’emprisonnement lorsque des prévenus sont reconnus coupables

à trois reprises de certains types d’infractions. Une faible réduction pour les faits les plus

graves (felony 2%) a été constatée chez les personnes ayant déjà été fait l’objet de deux

condamnations éligibles pour faire application du dispositif « The three strikes and you go

out ».22

Toutefois, une étude portant sur la carrière criminelle de deux groupes d’auteur ayant des

caractéristiques personnelles comparables (âge, appartenance ethnique, sexe, etc.) et

composé d’une part, de personnes ayant fait l’objet de deux condamnations pour des

infractions pouvant déboucher sur l’application d’une peine de vingt-cinq années

d’emprisonnement en cas de troisième condamnation et d’autre part, de personnes ayant fait

l’objet d’une condamnation pour des faits éligibles pour emporter une condamnation à vingt-

cinq années de prison en cas de troisième récidive et d’une condamnation pour des faits non-

éligibles, a montré que les personnes appartenant au premier groupe avaient des taux

d’arrestation inférieur de 20% aux personnes du second groupe. Cette recherche qui tendrait

à démontrer un effet dissuasif d’une augmentation de peine en cas de récidive a, toutefois,

été critiqué en ce qu’elle ne permettrait pas d’isoler la sévérité d’autres variables susceptibles

d’expliquer cette différence.

L’effet de la modification du système de récidive, selon la loi californienne, a été examiné en

tentant de distinguer l’effet dissuasif, de l’effet incapacitatif sur les taux de délinquance. Les

chercheurs mirent en évidence une réduction de 4% de la criminalité sur une année et de 20%

sur une période de cinq à sept ans. Toutefois, il n’est pas certain que cette modification des

règles en matière de récidive soit à l’origine de la diminution enregistrée dès lors que cette

décrue de la criminalité avait débuté avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.23

21 Ibidem, p. 28. 22 Ibidem, p. 29. 23 Ibidem, p. 29.

Page 31: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

10

D’autres travaux se sont attachés à examiner les différences en termes de faits commis entre

des mineurs et de jeunes majeurs ; le passage à la majorité entraînant l’application d’autres

sanctions jugées plus sévères. Les chercheurs ont étudié l’évolution de la carrière criminelle

de mineurs jusqu’à plusieurs années après leur majorité. Dans l’ensemble, ces travaux n’ont

pas mis en évidence de diminution significative des taux de délinquance enregistré après le

passage de la majorité.24

De ce bref aperçu des recherches relatives à l’effet dissuasif de la sévérité des peines sur les

taux de délinquance, on peut conclure qu’il n’existe pas aujourd’hui d’indication sérieuse

quant à une corrélation négative importante entre ces deux variables. Il existe, à ce sujet, une

grande unanimité parmi les chercheurs.

Une explication de ce déficit d’effet dissuasif de la sévérité de la sanction réside peut-être

dans le fait que celle-ci n’intervient qu’avec retard. On l’a vu la théorie du choix rationnel

repose sur une analyse coût/bénéfice d’un acte. A l’issue de la comparaison de ces deux

valeurs, l’agent choisira d’agir ou de s’abstenir. Une réelle mise en balance suppose la

concomitance dans le temps du coût et du bénéfice de l’acte. Si l’un est différé loin dans le

temps, voire est incertain, l’appréciation faite par le sujet sera faussée et l’avantage immédiat

risque de masquer le coût engendré par l’action.

Les économistes ont été étudiés cette question à propos du paiement par carte de crédit.

Celui-ci permet de différer le coût, au sens du rapport coût/bénéfice, d’un achat puisque la

dépense ne sera effective qu’ultérieurement. Entre d’autres termes, la peine produite par le

paiement est atténuée par son sursis.

Selon plusieurs auteurs, l’incertitude de la sanction et le fait qu’elle intervienne avec un effet

retard pourrait expliquer son faible effet dissuasif.25

§4. La certitude de la sanction

24 Ibidem, p. 30. 25 Voy. à ce sujet, H. VON HENTIG, « The Limits of Deterrence » J.Am.Inst.Crim.L.& Crimino., 1938, p. 559 cité par R. PATERNOSTER, op.cit., pp. 773 et 774.

Page 32: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

11

Concomitamment aux travaux relatifs à l’effet dissuasif de la sévérité, plusieurs recherches

ont été conduites sur l’effet dissuasif que la certitude de la sanction pouvait avoir sur le

passage à l’acte.

La certitude peut se décliner à trois niveaux :

- le risque d’être arrêté,

- le risque d’être poursuivi,

- le risque d’être condamné.26

La probabilité d’être sanctionné si l’on commet une infraction sera, donc, le produit des trois

risques ci-avant.

De nombreuses recherches ont étudié le risque d’être appréhendé par la police.

Les capacités dissuasives de la police ont fait l’objet d’innombrables recherches dans les pays

anglo-saxons depuis la fin des années soixante. Pour l’essentiel, elles ont montré que la

présence policière comme telle n’était pas dissuasive. En d’autres termes, que mettre

aléatoirement plus de bleu en rue ne faisait pas reculer la délinquance. Une célèbre étude

menée à Kansas City au début des années septante a abouti à la conclusion que

l’augmentation ou la diminution substantielle de la présence policière sur la voie publique

n’aboutissait pas à des différences significatives des taux de délinquance.27 De même, il n’est

pas démontré que des augmentations importantes du nombre de policiers aient un effet sur

les taux de délinquance. Ainsi, aux Etats-Unis entre 1990 et 2000, beaucoup de corps de police

importants ont enregistré de fortes baisses de la criminalité violente nonobstant une

réduction ou un statu quo de leurs effectifs, tandis que pour d’autres cette réduction était

concomitante avec un fort accroissement du nombre de policiers. 28

Par contre, il semble que certaines stratégies policières soient susceptibles de produire un

effet sur la criminalité. Il s’agit, notamment, de celles qui se focalisent sur les hots spots c'est-

à-dire les points de concentration de la criminalité de rue (vols, agressions, vente de

stupéfiants, etc.) en se basant sur le constat qu’un nombre important de faits sont concentrés

26 Voy. à ce sujet Daniel S. NAGIN, Robert M. SOLOW et Cynthia LUM, Deterrence, criminal opportunities and police, Criminology, 2015, p. 75. 27 Voy. À ce sujet Ch. DE VALKENEER et V. FRANCIS, Manuel de sociologies policières, Larcier, 2007, pp. 61 et ss. 28 R. PATERNOSTER, “How much do we really know about criminal deterrence.”, Journal of Criminal Law and Criminology, 2010, p. 796.

Page 33: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

12

en un nombre limités de lieux. Plusieurs études évaluatives ont mis en évidence une baisse

significative de la criminalité sur les hots spots associée avec un faible effet de déplacement

voire une contagion positive dans les zones avoisinantes. 29 Cette stratégie dite du hot spot se

conjugue avec celle du problem oriented policing ou autrement dit la police orientée vers la

résolution de problème. Celle-ci consiste à identifier un problème et face à celui-ci, à mettre

en œuvre, simultanément, différentes approches afin d’en réduire fortement les effets. Il

pourra s’agir de mesures environnementales telles que réaménager un espace où des crimes

et des délits se concentrent, de recourir à des moyens technologiques, d’informer les auteurs

potentiels des conséquences de leurs actes, etc. Cette démarche semble, également, produire

des résultats intéressants.30

Dans le domaine des infractions réglementaires, il semble que l’augmentation des contrôles

peut entraîner une réduction du nombre d’infractions. A ce sujet, une étude menée dans les

transports en commun à Zurich a montré qu’une augmentation progressive, entre 2003 et

2006, du nombre de contrôle après 21heures avait entraîné une diminution du nombre de

voyageur dépourvu de titre de transport.31 Par ailleurs, cette augmentation des contrôles

nocturnes avait produit un effet de diffusion positive en journée.

Une étude basée sur un échantillon d’étudiants visant à tester leur propension à conduire en

état d’ébriété indique qu’en augmentant de 10% la probabilité d’être contrôlé, on pouvait

réduire de 3,5% le nombre de personnes qui conduiront en état d’ébriété.32

Dans une synthèse de différents travaux portant sur l’alcoolémie au volant, Ross conclut qu’en

cette matière, la certitude du risque d’être pris semble produire davantage d’effets que la

sévérité des peines, notamment en condamnant les conducteurs à des peines

29 Pour une synthèse des recherches récentes en matière de hot spot, voy. A.A. BRAGA, A. V. PAPACHRISTOS et D.M. HUREAU, “The Effects of Hot Spots Policing on Crime : An Updated Systematic Review and Meta-Analysis”, Justice Quarterly, 2014, Vol. 31, No. 4, pp. 633 à 663. 30 D. WEISBURD, C.W. TELEP, J.C. HINKLE, J.E. ECK, “Is problem-oriented policing effective in reducing crime and disorder? ”, Criminology & Public Policy, Volume 9, 2010, pp. 139 et ss. 31 M. KILLIAS, D. SCHEIDEGGER et P. NORDENSON, “The Effects of Increasing the Certainty of Punishment”, European Journal of Criminology, 2009, pp. 387 et ss. 32 D. NAGIN et G. POGARSKY, “Integrating celerity, impulsivity, and extralegal sanction threats into a model of general deterrence: theory and evidence,” Criminology, 2001.

Page 34: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

13

d’emprisonnement, pour autant que ce type de politique criminelle fasse l’objet d’une

publicité suffisante.33

Quelques travaux se sont penchés sur le lien entre le risque d’être poursuivi et les taux de

délinquance. 34 Un écueil méthodologique de ces travaux réside dans le fait que les variables

taux de criminalité et de poursuite ne sont pas totalement exogènes. En d’autres termes,

qu’une augmentation de la criminalité peut déboucher sur une augmentation des taux de

poursuites. Toutefois, dans une étude basée sur les statistiques américaines, suédoises et

britanniques entre 1981 et 1991, David Farrington met en évidence une corrélation négative

significative entre les taux de condamnation, et donc de poursuite, et les taux de criminalité

découlant tant des faits enregistrés que d’enquêtes de victimisation, en particulier pour les

infractions contre les biens.35 Par contre, l’étude n’a pas mis en évidence une telle corrélation

entre la sévérité des sanctions et les taux de criminalité.

Plusieurs travaux ont évalué les effets de politiques d’arrestation par la police et de poursuites

par les procureurs, aux Etats-Unis, en matière de violence intrafamiliale.

Une expérience menée à Minneapolis dans les années quatre-vingts avait mis en évidence que

les personnes suspectées de violence intrafamiliale qui étaient arrêtées par la police avaient

des taux de réarrestation moindre que celles qui ne l’avaient pas été.36 Sur base de ces

résultats, plusieurs corps de police aux Etats-Unis adoptèrent des politiques d’arrestation

systématique en cas de violence intrafamiliale. Elles firent l’objet d’évaluation qui ne

produisirent pas les mêmes résultats qu’à Minneapolis.37

Une recherche a examiné les effets de politiques de poursuite différentes dans les districts de

Brooklyn et du Bronx en matière de violence intrafamiliale.38 A Brooklyn, le procureur avait

33 H.L. ROSS, Confronting Drunk Driving, New Haven, Yale university press, 1992 cité par A. von HIRSCH, A.E. BOTTOMS, E. BURNEY and P.P. WILSTRÖM, Criminal deterrence and sentence severity, University of Cambridge, Institute of criminology, Hart publishing, 1999, p. 14. 34 Voy. À ce sujet, D.L. SJOQUIST, “Property crime and economic behavior: Some empirical results.”, American Economic Review, 1973, pp. 439 à 446. 35 A. von HIRSCH, A.E. BOTTOMS, E. BURNEY and P.P. WILSTRÖM, Criminal deterrence and sentence severity, University of Cambridge, Institute of criminology, Hart publishing, 1999, p. 26. 36 Pour une brève synthèse de ces travaux, voy. J. DIXON, « Mandatory domestic violence arrest and prosecution policies : recidivism and social governance.”, Criminology & Public Policy, 2008, p. 664. 37 Le degré de conformité des personnes arrêtées (possession d’un emploi par exemple) semble joué un rôle sur les taux de réarrestation. 38 R.C. DAVIS, Ch. O‘SULLIVAN, D.J. FAROLE et M. REMPEL, « A comparison of two prosecution policies in cases of intimate partner violence : mandatory case filing versus following the victim’s lead.”, Criminology & public policy, 2008, pp. 633 et ss.

Page 35: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

14

décidé que des poursuites seraient systématiquement engagées dans les affaires de violence

intrafamiliale tandis que dans le Bronx, les dossiers de ce type étaient classés en cas de

passivité de la victime dans le procédure. Deux échantillons similaires furent constitués. Un

premier comprenant 272 dossiers ayant fait l’objet d’un classement dans le Bronx et un

second formé de 211 dossiers ayant fait l’objet de poursuites à Brooklyn. Après six mois, les

taux de réarrestation dans les deux échantillons étaient similaires.

Ces travaux mettent en évidence une des limites que nous avions soulignée précédemment

concernant la théorie de la dissuasion à savoir le fait que celle-ci se fonde sur la rationalité du

sujet qui procède à un calcul coût/bénéfice avant de poser un acte. Ce schéma correspond

peu à la dynamique du passage à l’acte pour des faits de violence intrafamiliale où l’impulsivité

joue un rôle, vraisemblablement, beaucoup plus grand.

La certitude d’être puni a été examinée par plusieurs chercheurs. Ainsi, une étude intitulée

« The miracle of the cells » a montré que la probabilité qu’une amende soit acquittée

augmentait fortement si la certitude d’être emprisonné, en cas de défaut de paiement, était

élevée.39

Un projet dénommé Hope mené à Hawaï en matière de criminalité liée aux stupéfiants a fait

l’objet d’une évaluation. Les personnes condamnées pour ce type de faits acceptaient de se

soumettre régulièrement à des tests afin de déceler une consommation de stupéfiants. En cas

de positivité, une sanction était appliquée sous la forme de courtes peines d’emprisonnement.

Il a été constaté que les personnes ayant intégré ce projet avaient un taux de récidive inférieur

comparé à ceux présentés par des personnes ayant un même profil mais n’ayant pas intégré

le projet.40

Il convient, également, de mentionner le projet dénommé opération ceasefire conduit par

plusieurs corps de police aux Etats-Unis. L’objectif était de faire diminuer la criminalité

violente commise à l’aide d’arme à feu. Le projet s’articulait autour de trois axes : une

aggravation des peines pour ce type d’infraction, une certitude d’être poursuivi et une

39 D. WEISBURD, E. TOMER, and M. KOWALSKI, “The miracle of the cells: An experimental study of interventions to increase payment of court-ordered financial obligations.”, Criminology & Public Policy, 2008, pp. 9 à 36. 40 M. KLEIMAN, When Brute Force Fails: How to Have Less Crime and Less Punishment. Princeton, NJ: Princeton University Press, 2009.

Page 36: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

15

diffusion de cette politique auprès des auteurs potentiels. Les évaluations de ces dispositifs

semblent indiquer des effets positifs.41

§5. La célérité de la sanction

Enfin, troisième élément du triptyque de la dissuasion après la sévérité et la certitude, la

célérité de la sanction. Sur un plan théorique, l’effet de la célérité sur le coût de l’infraction

peut être perçue de deux manière : d’une part, comme une forme d’adoucissant partant de

l’idée que l’attente renforce la pénibilité de la peine mais d’autre part, la lenteur peut être

vécue comme une forme de discount sur le coût de l’acte puisque je n’en paierait le prix que

beaucoup plus tard.

Peu de travaux ont tenté de confronter empiriquement ces deux hypothèses. Une étude de

Nagin réalisée à partir d’un échantillon d’étudiants interrogés à propos de la conduite en état

d’ébriété semble indiquer que la célérité de la sanction n’a pas d’effet dissuasif.42

Dickson Megan dans une étude portant sur la récidive des conducteurs ayant roulé sous

l’influence de l’alcool, relève que la célérité de la sanction ne parait pas jouer un rôle à cet

égard.43

§6. La perception du risque d’être sanctionné

Les travaux criminologiques sur la dissuasion ont, également, examiné cette question sous

l’angle de la perception subjective, du risque d’être sanctionné et de la sévérité de la sanction.

En d’autres termes, cette perception correspond-elle à la probabilité objective d’être

41 BRAGA A.A., KENNEDY D.M., WARING E.J. & PIEHL A.M. , « Problem-oriented policing, deterrence, and youth violence : An evaluation of Boston’s operation ceasefire », Journal of research in crime and delinquency, 2001, pp. 195 à 225. 42 D. Nagin et G. Pogarsky, op.cit. 43 D.MEGAN "CONVICTION CELERITY, PUNISHMENT SEVERITY, AND TREATMENT COMPLIANCE AS PREDICTORS OF DUI RECIDIVISM: MEDIATION AND MODERATION MODELS OF DETERRENCE" (2013). Theses and Dissertations--Sociology. Paper 13.

Page 37: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

16

appréhendé et d’encourir une punition sévère. Cette question est fondamentale car l’on sait

qu’il peut y avoir des distorsions importantes entre la manière dont on perçoit une chose et

sa réalité. Ainsi, en matière de sécurité, on peut ressentir une forte insécurité dans des

endroits où très peu d’infractions se commettent et inversement. Sur le plan de la santé, on

peut adopter des comportements nocifs sans être suffisamment conscient des risques

encourus.

Des travaux portant sur la connaissance de la loi pénales et des sanctions encourues en cas de

commission d’infraction, menés en Californie, indiquent que celle-ci est faible chez les

personnes interrogées et guère plus élevée chez les détenus.

Par ailleurs, à l’issue de l’interview de 1500 personnes concernant leur perception de la

certitude, de la sévérité et de la célérité des sanctions dans leurs juridictions, il est apparu qu’il

y avait une faible corrélation entre la réalité objective de ces trois dimensions et les

perceptions individuelles.44

Plusieurs études ont mis en évidence une relation négative entre la perception du risque et

les taux de délinquance. En d’autres termes, au plus la perception du risque est faible au plus

la délinquance est élevée quel que soit l’âge ou le type de comportement délictueux.45 Ces

travaux furent réalisés à partir d’échantillons de population qui furent soumis à des questions

portant à la fois sur leur perception du risque et sur les infractions qu’ils avaient commises

(enquête de délinquance auto-rapportée).

Certains chercheurs se sont, toutefois, demandés si c’était bien la faible perception du risque

qui était à l’origine de la délinquance plus élevée ou si c’était l’inverse. En d’autres termes, au

plus une personne est engagée dans un comportement délictueux et qu’elle n’est pas arrêtée

et sanctionnée, au plus revoit-elle à la baisse les risques qu’elle encoure ? Plusieurs études

longitudinales montrent que l’effet dissuasif de la certitude d’être sanctionné diminue au fur

et à mesure que la carrière criminelle progresse sans qu’elle soit interrompue par un contact

44 Gary Kleck et al., The Missing Link in General Deterrence Research, 43 CRIMINOLOGY 623 (2005) cite par R. PATERNOSTER, “How much do we really know about criminal deterrence.”, Journal of Criminal Law and Criminology, 2010, pp. 806 et 807. 45 RAYMOND PATERNOSTER, THE DETERRENT EFFECT OF THE PERCEIVED CERTAINTY AND SEVERITY OF PUNISHMENT: A REVIEW OF THE EVIDENCE AND ISSUES, JUSTICE QUARTERLY, Vol. 4 No. 2, June 1987, pp. 175 et 176.

Page 38: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

17

avec la justice pénale.46 Une recherche menée, aux Etats-Unis, à partir d’échantillons

importants de jeunes a montré que la perception du risque pour des faits de vol et de violence

augmentait en cas d’arrestation mais par contre diminuait lorsque les jeunes avaient échappé

à la police.47 Néanmoins, cette perception du risque semble être plus importante chez des

primo-délinquants que chez des auteurs qui se sont installés dans une activité criminelle

nonobstant le fait qu’ils soient entrés en contact avec le système pénal pour les faits qu’ils

avaient commis.48

§7. Mise en perspective des travaux sur la dissuasion

A l’issue de ce bref tour d’horizon des recherches menées sur la dissuasion pénale ces

quarante dernières années, quatre grandes tendances semblent s’en dégager :

- premièrement, la sévérité posséderait un effet dissuasif limité sur la délinquance,

- deuxièmement, la certitude d’être interpellé et sanctionné pourrait, par contre, avoir

un effet dissuasif sur le passage à l’acte,

- troisièmement, la perception du risque d’être sanctionné se réduirait chez les auteurs

qui ne sont pas sanctionnés après avoir commis des faits délictueux,

- quatrièmement, la prison ne produirait pas de dissuasion spéciale.

Quels enseignements peut-on tirer de ces tendances pour le système pénal belge ?

La transposition de travaux étrangers réalisés pour l’essentiel à partir du système anglo-saxon

à un système pénal continental est toujours délicat. Les différences de contextes sont

susceptibles de produire des résultats différents. Il existe là un champ d’investigation

important pour les chercheurs européens afin de confirmer ou d’infirmer les hypothèses

exposées en synthèse ci-avant. Néanmoins, dans l’intervalle, ces recherches constituent, dès

46 Ibidem, p. 181. 47 R.L. MANTSUEDA, D.A. KRAEGER et D. HUIZINGA, « Deterring delinquents : A rational choice model of theft and violence.”, American sociological review, 2006, pp. 95 à 122 cité par M. CUSSON, “Dissuasion, justice et communication pénale”, Institut pour la justice, Etudes et analyses, n° 9, 2010, p. 22. 48 R. PATERNOSTER, “How much do we really know about criminal deterrence.”, Journal of Criminal Law and Criminology, 2010, p. 810.

Page 39: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

18

à présent, une source de réflexion et d’analyse des politiques actuellement conduites en

matière pénale en Belgique.

Quelques constats tout d’abord concernant l’évolution de certains chiffres ces quinze dernière

année.

Les statistiques de la police fédérale en matière de crime et délit témoignent d’une grande

stabilité avec une légère tendance à la baisse. Cette stabilité s’observe pour la quasi-totalité

des phénomènes criminels. Certes, il s’agit de criminalité enregistrée qui on le sait n’est qu’un

sous-ensemble de la totalité des faits commis dès lors que l’intégralité de ceux-ci ne sont pas

rapportés à la police. Toutefois, il s’agit d’un indicateur qui livre une tendance même si les

volumes peuvent être différents. En effet, on peut postuler que la criminalité enregistrée et

le chiffre noire évolue de manière similaire.

Par contre, entre 2002 et 2013, le nombre de personnes qui étaient détenues dans les prisons

belges au 1er mars de chaque année, n’a cessé de croître (38%), pour se stabiliser depuis 2014.

C’est presque exclusivement au niveau des condamnés et des internés que cette

augmentation s’est traduite. Leur nombre a augmenté respectivement de 50% et de 81 % Les

mesures de surveillance électronique ont, également, connu une croissance exponentielle. Au

1er mars 2015, 1933 personnes faisaient l’objet d’une pareille mesure.49

49

Sources : La justice en chiffres. Année 2013 et administration pénitentiaire.

2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Prévenus 3238 3680 3614 3550 3530 3473 3527 3557 3712 3890 3536 3745 3878 3581

Condamnés 4497 4807 4713 4830 5082 5407 5193 5433 5606 5890 6341 6742 6725 6565

Internés 644 718 783 856 862 965 994 1038 1089 1103 1142 1169 1090 1001

Divers 226 103 135 139 161 163 144 131 154 182 193 179 114 189

Surv. électr. 167 286 278 277 337 612 557 609 928 1102 989 1071 1740 1933

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

8000

no

mb

re d

e d

éten

u a

u 1

er m

ars

Evolution de la population pénitentiaire 2002-2015

Page 40: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

19

Si l’on sait, par ailleurs, que le taux de poursuite entre 2003-2014 est resté très stable, on peut

sérieusement estimer que l’augmentation du nombre de condamnés découle d’un

allongement des durées de détention résultant soit d’un allongement des peines prononcées,

soit d’une diminution des différentes formes de libération anticipée. En d’autres termes, on

peut avancer l’hypothèse que la sévérité de notre système s’est accrue au cours de cette

période.

A supposer que cette hypothèse soit correcte, il semble que cette sévérité accrue n’ait pas eu

d’effets sur la délinquance enregistrée qui comme nous l’avons vu est restée très stable au

cours de cette même période.

Certes, d’aucuns argueront que cette stabilité est, peut-être, le résultat de cette sévérité

accrue, voire de l’effet incapacitatif de l’accroissement du nombre de condamnés. En d’autres

termes, que la délinquance aurait substantiellement augmentée si le nombre de détenus

n’avait pas cru. Cette hypothèse devrait être approfondie.

Par ailleurs, nous avons vu que la prison ne semblait pas avoir un effet dissuasif sur la récidive.

500.000

1.000.000

1.500.000

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

80002

00

0

20

01

20

02

20

03

20

04

20

05

20

06

20

07

20

08

20

09

20

10

20

11

20

12

20

13

20

14

20

15

No

mb

re d

e c

on

dam

s au

1e

r m

ars

Evolution comparée du nombre de condamnés et de la criminalité enregistrée

nombre de condamnés

infractions enregistrées

Page 41: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

20

A côté de la question de la sévérité, réside celle de la certitude. On l’a vu, la recherche

criminologique semble indiquer une relation négative entre délinquance et certitude et donc

postuler que cette dernière peut avoir un effet dissuasif. Comme il a été relevé

précédemment, la certitude peut se décliner à différents niveaux, le risque d’être arrêté, celui

d’être poursuivi et enfin celui d’être sanctionné.

Nous nous bornerons à examiner, ici, le risque d’être poursuivi, ou plutôt celui de faire l’objet

d’une réaction. Entre 2003 et 2014, le nombre de dossiers classés sans pour des raisons

d’opportunité est resté très stable avec cependant une légère diminution à partir de 2006, eu

égard à l’augmentation substantielle du nombre de renvoi aux amendes administratives. Le

taux global de classement sans suite d’opportunité en matière correctionnel est élevé puisqu’il

avoisine les 70% des affaires poursuivables.50 Certes, ce taux n’est pas identique pour toutes

les catégories d’affaires, certaines faisant l’objet de davantage de réaction pénale que

d’autres. Néanmoins, il signifie sur un plan statistique que dans une affaire où il y a des

éléments susceptibles de fonder des poursuites, le suspect à, en moyenne, deux chances sur

trois de ne faire l’objet d’aucune réaction pénale. Sachant, par ailleurs que cette probabilité

est conditionnée par l’élucidation de l’affaire, ou du moins qu’il y ait des soupçons sérieux à

l’égard d’une ou plusieurs personnes, et qu’un nombre élevé de faits ne l’est jamais, on

mesure que le risque pénal – exprimé comme l’occurrence de faire l’objet d’une réaction

formelle – est en définitive assez faible.

50 On considère qu’il y a réaction en cas de poursuites, de transaction payée, de médiation pénale réussie, de renvoi aux amendes administratives ou de probation prétorienne.

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

Transaction 7663 6441 5998 5380 5683 5075 6682 6210 4985 6677 7549 7363

Médiation pénale 1939 1949 1998 2157 2226 2361 2324 2420 2304 2800 2800 2763

Poursuites 37.039 39.421 40.045 40.163 40.004 38.286 39.248 38.683 37.638 35.210 34.448 34.307

Renvoi aux amendes admin.

4397 3575 3174 3158 3792 4810 6733 14349 19199 21265 23719 22495

Probation prétorienne

1140 1322 1419 2062 3592 4017 4636 5014 4902 4233 4022 3836

Sans suite d’opportunité

178928

178543

179684

173897

175364

174819

173602

176205

167533

158035

151480

158035

Affaires poursuivables

231106

231251

232318

226817

230661

229368

233225

242881

236561

228220

224018

228799

Taux de réaction pénale

23% 23% 23% 23% 24% 24% 26% 27% 29% 31% 32% 31%

Taux de poursuite 16% 17% 17% 18% 17% 17% 17% 16% 16% 15% 15% 15%

taux de classement SS opport.

77% 77% 77% 77% 76% 76% 74% 73% 71% 69% 68% 69%

Page 42: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

21

Au regard des travaux que nous avons exposés, on peut, dès lors, émettre l’hypothèse que

notre système pénal est probablement peu dissuasif. De surcroît, cette faible réactivité est

susceptible d’atténuer la perception du risque d’être puni chez les auteurs de crimes et de

délits classés sans suite. Une étude réalisée par les analystes statistiques du collège des

procureurs généraux a montré que pour des infractions telles les vols, les armes, la rébellion,

les coups et blessures, les menaces et les destructions, 47% des faits étaient imputables à 14%

des suspects. Dans le ressort de la Cour d’appel de Liège, en 2014, 25% du total des mineurs

à charge de qui des dossiers pour faits qualifiés infraction ont été ouverts étaient concernés

par 55% du total de ces faits. Ces chiffres tendraient à conforter l’hypothèse qu’au plus on

commet d’infractions au plus la perception du risque d’être sanctionné s’érode.51

On peut donc formuler l’hypothèse qu’en l’état, le système pénal belge est sévère mais que

la certitude d’être sanctionné y est faible. D’une manière générale, il serait donc peu dissuasif.

Il ne s’agit certes que d’une hypothèse qui devrait faire l’objet d’analyse scientifique

approfondie. Néanmoins, si elle se confirmait, elle devrait nous amener à repenser le recours

à l’emprisonnement, qui de surcroit possède un cout humain et financier élevé et à centrer la

politique criminelle sur un accroissement de la réponse pénale en mobilisant les sanctions et

les mesures alternatives, non privatives de liberté.

Ce recentrage pourrait être de nature à augmenter le caractère dissuasif de notre système

pénal et donc à réduire la délinquance. Sur le plan des moyens, il devrait s’accompagner d’un

transfert d’une partie du budget de l’administration pénitentiaire vers l’ordre judiciaire, le

ministère des finances (afin d’augmenter l’efficacité du recouvrement des sanctions

pécuniaires) et les communautés et régions afin de soutenir les mesures d’encadrement et les

mesures alternatives aux poursuites.

L’inflation pénitentiaire à laquelle nous assistons depuis plus d’une décennie risque nous

conduire à une impasse sur les plans tant, de l’efficacité, de la dissuasion, du coût financier

que de la désintégration sociale des détenus.

Nous proposons, dès lors le lancement d’une réflexion sur un « sanction shift » afin d’envisager

un repositionnement des politiques de poursuites et de sanction.

51 Concernant, la question de la concentration de faits sur un nombre restreint d’auteurs, on consultera, D. HEALY, The Dynamics of Desistance: Charting Pathways through Change, Cullompton: Willan, 2010.

Page 43: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

22

Aux Etats-Unis, de plus en plus de voix s’élèvent pour réduire le recours à la prison et recentrer

les politiques criminelles sur la certitude d’une sanction/réaction plutôt que sur la sévérité.52

Le 16 juillet 2015, un président des Etats-Unis en exercice visitait pour la première fois dans

l’histoire une prison. Cette démarche s’inscrivait dans le cadre du lancement d’une politique

de refonte du système pénal visant, notamment, à réduire le recours à l’emprisonnement.53

Enfin, une dernière réflexion portant sur l’information. La dissuasion dépend, également, dans

une certaine mesure de la connaissance des risques encourus. A cet égard, la justice belge

communique trop peu sur les politiques criminelles qu’elle entend mener. Un travail de

diffusion devrait être entrepris, à cet égard, afin que le citoyen mesure davantage les risques

qu’il encoure en cas d’infraction. Le collège du ministère public s’est fixé comme objectif

d’entreprendre un travail en ce domaine.

*

* *

*

Il me reste à remercier l’ensemble des membres de la communauté judiciaire du ressort de la

Cour d’appel de Liège pour leur engagement et le travail qu’ils ont accompli au cours de

l’année judiciaire écoulée et leur souhaiter une année judiciaire 2015-2016 riche et

passionnante.

Permettez-moi, également, de remercier vivement monsieur le Bâtonnier André Renette à

l’issue de ses deux années de bâtonnat. Ce fut un grand plaisir de le côtoyer et de collaborer

avec lui dans plusieurs dossiers.

52 Voy. à ce sujet le numéro de février 2011 de la revue américaine Criminology and public policy consacré à cette question. 53 Le Monde, 18 juillet 2015 (http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/07/18/obama-lance-la-refonte-de-la-justice-penale_4688298_3222.html?xtmc=prison_obama&xtcr=10).

Page 44: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

23

Au nom de Roi, je requiers qu’il Plaise à la Cour qu’elle continue ses travaux pour l’année

judiciaire 2015-2016.

Im Namen des Königs beantrage ich, dass es dem Hof gefalle, seine Arbeit für das Gerichtsjahr

zweitausend und fünf, zweitausend und sechs fortzuführen.

Page 45: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

Publié dans la Tribune d’AVOCATS.BE n°75 du 18 juin 2015

Éradiquer la surpopulation carcérale

Ces 9 et 10 juin 2015, AVOCATS.BE a donc lancé trois actions contre l’Etat belge, devant

les tribunaux de première instance de Bruxelles, Liège et Mons, pour dénoncer la

surpopulation qui sévit dans les prisons de Forest, Lantin et Mons et pour solliciter sa

condamnation à établir et à mettre en œuvre un plan qui éradiquerait cette surpopulation

dans les six mois du prononcé des jugements à intervenir.

AVOCATS.BE, on le sait, s’est vu confier par le Code judiciaire la mission de défendre,

non seulement les intérêts des avocats, mais également ceux des justiciables. C’est

évidemment en s’appuyant sur cette seconde compétence que nous avons décidé

d’introduire ces actions.

La Belgique a été condamnée à de nombreuses reprises, tant par la Cour européenne des

droits de l’homme que par les juridictions de l’Ordre judiciaire, à indemniser des détenus

pour les traitements inhumains et dégradants (au sens de l’article 3 de la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales)

auxquels ils ont été soumis dans nos prisons.

L’arrêt du 25 novembre 2014, Vasilescu, est, à cet égard, particulièrement cinglant. Il

pointe les multiples violations des droits des détenus dont notre État se rend coupable,

quotidiennement.

Mais il ne s’agit pas seulement d’une question de droit. C’est le bon sens même qui est

défié par cette situation.

Le plan justice de Monsieur Geens reconnait que, au début de l’année 2015, nos prisons

connaissaient, en moyenne, une surpopulation de l’ordre de 12 % (11.377 détenus pour

une capacité théorique de 10.185 unités).

Ces chiffres nous paraissent en-dessous de la réalité. D’une part, ils ne tiennent compte

que d’une capacité carcérale théorique, sans compter les cellules qui ont dû être fermées

pour cause d’insalubrité. D’autre part, le phénomène est plus accentué dans certaines

prisons.

À Lantin, par exemple, on comptait, en 2013, 657détenus pour une capacité de 342

places.

La surpopulation dans les prisons entraine un cortège de conséquences abominables :

Les détenus sont entassés à trois ou quatre dans des cellules qui sont conçues

pour en accueillir deux ;

Certains doivent dormir sur des matelas placés à-même le sol ;

Page 46: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

Publié dans la Tribune d’AVOCATS.BE n°75 du 18 juin 2015

Les conditions d’hygiène sont d’autant plus déplorables (dans certaines prisons,

un seau hygiénique doit être partagé par trois détenus) ;

Les rations alimentaires sont calculées sur la capacité théorique de la prison et

non sur le nombre de prisonniers qui sont détenus ;

Les effectifs du personnel des prisons n’étant pas adaptés, cela signifie donc qu’il

n’y a pas assez de gardiens, pas assez de personnel médical, pas assez

d’assistants sociaux ;

Les activités de loisir ou, simplement, « occupationnelles » ne peuvent donc être

organisées ;

Les visites sont souvent suspendues ;

Il n’y a pas assez de soins et l’assistance à la réinsertion reste purement

théorique ;

L’insuffisance de la surveillance induit des comportements bien plus graves : la

drogue circule quasi librement dans nos prisons ; les jeunes détenus (ou les plus

faibles) sont victimes de violences, voire de viols ; le taux de suicide dans nos

prisons est gigantesque.

Conséquences : le taux de récidive à 5 ans des condamnés qui sortent d’une peine de

prison est supérieur à 75 %, trois fois plus élevé que le taux de récidives de ceux qui ont

été condamnés à une peine alternative.

Pourquoi punit-on ? Pour éviter la réitération des comportements délictueux, bien sûr. Le

constat est donc cruel : dans l’état dans lesquelles elles se trouvent aujourd’hui, nos

prisons encouragent la récidive au lieu de la décourager. Celui qui sort d’une de nos

prisons risque bien plus de commettre un délit qu’avant qu’il y ait séjourné. Quel

paradoxe !

Le plan justice de Monsieur Geens prévoit pourtant diverses mesures salutaires :

Limitation de la détention préventive ;

Interdiction de celle-ci pour les délits mineurs ;

Recours à la surveillance par bracelet électronique ;

Et en ce qui concerne l’exécution des peines, interdiction des courtes peines de

prison ;

Remplacement de celles-ci par des sanctions alternatives (surveillance par

bracelet électronique, travaux d’intérêt général, médiation, sanctions financières,

…).

Page 47: Réforme de la justice pénale - Projet de loi « Pot … 10 2015...Contacts presse : Patrick Henry, président 0475 41 46 06 65 avenue de la Toison d’Or – 1060 Bruxelles Tél.

Publié dans la Tribune d’AVOCATS.BE n°75 du 18 juin 2015

Mais ces belles promesses tardent à se concrétiser et, au contraire, des voix s’élèvent, au

sein de la majorité gouvernementale, pour en contester – contre toute raison – la

pertinence.

Il faut donc agir. Les trois actions que nous avons introduites ne seront plaidées que

dans un an, en mai et en juin 2016.

Nous n’avons qu’un espoir : que le gouvernement ait, d’ici-là, pris les mesures que nous

réclamons et que nous puissions donc très heureusement, nous désister de nos actions

avant qu’elles aient à être plaidées.

Luttons,

Patrick Henry, Président