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P ro A sile la revue de France Terre d’Asile 50 F semestriel - Septembre 1999 N° 2 Dossiercentral: L’ENFANCEETL’EXIL

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ProAsilel a r e v u e d e France Terre d’Asi le

50 F semestriel - Septembre 1999 N° 2

Dossier central : L’ENFANCE ET L’EXIL

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France Terre d’AsileAssociation régie par la loi du 1er juillet 1901Et reconnue de bienfaisance par arrêté préfectoral du 19 février 1993

FONDATEURS :Abbé GLASBERGDocteur Gérold de WANGENPasteur Jacques BEAUMONT

Président : Jacques RIBSVice président : François JULIEN-LAFERRIERESecrétaire générale : Francine BESTTrésorier : Jacques ROYERTrésorier adjoint : Patricia MAHOT

MEMBRES DU BUREAU :Christine MARTINEAU, Gilles PIQUOIS, Roland KESSOUS,Nicole QUESTIAUX, Philippe WAQUET.

AUTRES MEMBRES DU CONSEIL D’ADMINISTRATIONClaude AUSSEL, Jean-Pierre BAYOUMEU, Francine BEST,Julie BERTUCELLI, Jacky CHRIQUI, Jean-Jacques de FELICE,Mathilde FERRER, Hélène GACON, Alain GIRAUD, AgnèsHATT, Annie HAZAN, Arlette HEYMANN-DOAT, Luc MAIN-GUY, Jean-Louis MALTERRE, Alain MICHEAU, Jeanne-MariePARLY, Catherine TEULE-MARTIN, Philippe TEXIER, LouisTHEPOT, Frédéric TIBERGHIEN, Sylviane de WANGEN.

COMITÉ D'HONNEUR :José BIDEGAIN, Aimé CÉSAIRE, Jacques CHATAGNER, SimoneCINO DEL DUCA, Francis CRÉMIEUX, André ESSEL, Roger ETCHEGARAY, Gérard FROMANGER, Maurice GRIMAUD,Stéphane HESSEL, Georges HOURDIN, Ivor JACKSON,François JACOB, Gilbert JAEGER, Jean LACOUTURE, René LENOIR, Claude LUSSAN, Gabriel MATAGRIN, AlexandreMINKOWSKI, Théodore MONOD, Gérard MOREAU, LouisNEEL, Joe NORDMANN, Olivier PHILIP, Edgard PISANI, REZA,Paul RICŒUR, André ROUSSEL, Bernard STASI, Jacques STEWART, Évelyne SULLEROT, Germaine TILLION, Cécile VALETTE-ELUARD.

DIRECTEUR :Pierre HENRY

Directeur de publication : Jacques RibsRédacteur en chef : Pierre HenryRédacteur en chef adjoint et secrétariat de rédaction : Armelle Crozet, Elisabeth MullerMaquette : Roland Riou et Hélène BrusettiImpression : Imprimerie Expressions

Numéro de commission paritaire en cours

France Terre d’Asile25, rue Ganneron75018 Paristél. 01.53.04.39.99fax. 01.53.04.02.40e-mail. [email protected]://www.ftda.net so

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e1 Editorial par Jacques Ribs,Président de France Terre d’Asile

2 Actualités

5 La parole à...Roy Dikinson, conseiller politique, Task Force de l’Union Européenne pour la reconstruction du Kosovo.

6 Droit et jurisprudencesShahrzad Tadjbakhsh - L’appartenance à un groupe social comme motif de reconnaissance de la qualité de réfugié.Frédéric Tiberghien - La protection temporaire.

10 Santé-social-IntégrationMichèle Mézard - La Couverture Maladie Universelle, sa réussite dépend de l’engagement citoyen des acteurs concernés.Ferdinand Ezembe - Ce que manger veut dire, une approche de l’alimentation dans les cultures africaines.Shirin Mohseni - Les réfugiés Kurdes en France, intégration et modes de vie.

17 Dossier centralL’ENFANCE ET L’EXIL réalisé par Armelle CrozetEditorial de Pierre Henry, Directeur de France Terre d’Asile.

29 InternationalHans Stark - L’éclatement de la Yougoslavie et

les origines du conflit.Gilbert Jaeger - Les formes de protection complémentaires au statut de réfugié.

33 Ethique et humanismeHenri Penaruiz - Laïcité et ”différences”.Questions de principes.Jacky Mamou - Protéger les populations civiles dans la guerre, une responsabilité morale, juridique

et politique.

38 Perspectives historiquesJérôme Béliard - Les réfugiés et leur protection en Grèce antique.

41 Livres...

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Le 3 mars, la Commission euro-péenne rend public le document intitulé Versdes normes communes en matière de procéduresd’asile, destiné à lancer le débat sur l’harmoni-sation des procédures d’asile en Europe confor-mément au traité d’Amsterdam qui prévoit l’adop-tion de normes minimales de procédure dans undélai de deux ans à compter de son entrée envigueur. L’objectif est de garantir l’égalité de trai-tement des demandes d’asile entre les pays eu-ropéens et de prévenir les mouvements secon-daires entre les Etats membres.

Par deux décisions des 2 et 17 mars 1999, deuxdéserteurs d’origine serbe ayant refusé de jouerles criminels de guerre aux côtés de Milosevicont été rejetés de leur demande de statut de ré-fugié par la Commission des Recours des Réfugiésqui a considéré que rien ne prouvait que leuracte de désertion avait été dicté par un des mo-tifs de la Convention de Genève. La CRR n’ac-corde le statut de réfugié aux déserteurs ressor-tissants de l’ex-Yougoslavie que lorsque ceux-ci,issus de famille mixte, risqueraient d’être impli-qués dans des combats fratricides.

Anri Bertrand, le passager clandestin caché dansle train d’atterrissage d’un Airbus et arrivé en Francele 16 janvier dernier est renvoyé au Sénégal parrapatriement sanitaire dans la nuit du 12 ou 13mars. Majeur depuis le 6 mars 1999, il n’étaitplus protégé contre l’expulsion.

L’Office français de protection des réfugiés etapatrides (OFPRA) publie son rapport d’activitépour 1998. 22375 premières demandes d’asile ont été dé-posées en 1998, soit une augmentation de 4.5%par rapport à 1997. Les demandes roumaine etbulgare ont fortement chuté, conséquence del’entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998 quiles fait traiter par voie prioritaire, et les prive del’autorisation provisoire de séjour et de l’accèsaux centres d’hébergement. Parallèlement, la de-mande des ressortissants de l’ex-Zaïre et de laRépublique fédérale de Yougoslavie a fortementaugmenté. Le taux moyen d’accord a également légère-ment progressé passant de 17.4% en 1997 à19.4% en 1998. Les taux d’accord les plus éle-vés concernent les ressortissants de la régionCambodge/Laos/Vietnam (84.1% d’accord pour1036 décisions), de l’Afghanistan (70.2% d’ac-cord pour 94 décisions), du Rwanda (69.1%d’accord pour 107 décisions), du Sri Lanka (56.8%d’accord pour 1464 décisions), de l’Irak (56.5%d’accord pour 306 décisions), de l’Iran (54.1%d’accord pour 144 décisions). Le taux de re-connaissance des ressortissants algériens estpassé de 9% en 1997 à 5.8% en 1998. Soulignonsque le taux est mesuré par le nombre de cer-tificats de réfugié délivrés par l’Office, dontenviron 5% seraient imputables à des annula-tions de la Commission des Recours. Sur les14% restant, environ le tiers serait lié à la dé-livrance de certificats de réfugié aux enfantsde réfugiés atteignant leur majorité, les deuxtiers étant accordés à des primo-arrivants, cequi porte le taux réel d’accord des primo-arri-vants par l’OFPRA à moins de 5%.

Selon les chiffres du ministère del’Intérieur, 2484 demandeurs d’asile (3087 enincluant les enfants mineurs) ont été mainte-nus en zone d’attente en 1998 (1010 en 1997),sur un total de 10265 étrangers (5578 en 1997).72% de ces demandeurs d’asile viennent d’Afriqueet les Rwandais, Sri Lankais, Congolais (RDC),Sierra Leonais et Nigérians représentent à euxseuls 68% de la demande. La durée moyenne dumaintien des demandeurs d’asile en zone d’at-tente (7 jours) s’est accrue par rapport à 1997(2,9 jours) de même que le taux d’admission surle territoire qui s’établit à 79,3% (72,3% en1997). Parmi les 332 demandeurs d’asile mi-neurs isolés qui se sont présentés à la frontière(122 en 1997), dont 32% avaient moins de 16ans, 82% ont été admis sur le territoire.

Depuis le 24 mars, les frappes aériennes del’OTAN en Yougoslavie intensifient le rythmedès l’arrivée de réfugiés Albanais du Kosovoen Albanie, en Macédoine et au Monténégro. Endeux semaines, 400.000 réfugiés arrivent dansles pays limitrophes qui atteignent les limites deleur capacité d’accueil. Après s’être opposé àl’accueil systématique de réfugiés kosovars "pourne pas accepter le fait accompli des déporta-tions perpétrées par les Serbes ", le gouverne-ment français accepte de participer au pro-gramme d’évacuation du HCR. Entre le 18 avrilet le 13 juillet, environ 7000 réfugiés Albanaisdu Kosovo sont accueillis officiellement enFrance, sur plus de 91000 personnes accueilliesdans les différents pays de l’Union européenne,d’Europe centrale et orientale, en Australie, auCanada, aux Etats-Unis, en Israël, en Islande, enNorvège et en Turquie.

Un rapport intitulé Lutter contre les discrimi-nations, remis à Martine Aubry et rendu publicle 6 avril, préconise la séparation dans les struc-tures administratives des services qui gèrent lesflux migratoires et de ceux chargés des ques-tions d’intégration. Il demande la création d’un" Conseil supérieur de l’intégration et de la luttecontre les discriminations ", autorité indé-pendante sur le modèle de la CNIL ou du CSA,et qui pourrait être saisie par l’intermédiaired’une association, d’un syndicat ou d’un élu.Selon l’auteur du rapport, " seule une autoritéindépendante est de nature à permettre le fran-chissement d’un seuil significatif d’efficacité ".De telles commissions indépendantes ont déjàété créées au Royaume-Uni, au Danemark, enSuède, en Belgique et aux Pays-Bas.

Le 1er mai, l’entrée en vigueurdu traité d’Amsterdammarque le point de dé-part des délais prévus au plan d’action adoptéen décembre dernier et qui prévoit, en ce quiconcerne l’asile, les mesures à prendre dans undélai de 2 ans (révision de la Dublin, Eurodac,harmonisation des procédures, normes mini-males d’accueil des demandeurs d’asile, lance-ment d’une étude sur les intérêts d’une procé-dure d’asile unique en Europe), de 5 ans (normesminimales en matière de définition du termeréfugié et de formes subsidiaires de protec-tion), et dans " les plus brefs délais " (protec-tion temporaire et solidarité dans l’accueil).

Dans une décision du 12 mai, la Commission desRecours des Réfugiés confirme l’ouverture desa jurisprudence sur la notion de groupe so-cial résultant de l’arrêt Ourbi qui avait reconnula qualité de réfugié à un transsexuel algérienen 1998. La CRR a estimé que " dans les condi-tions qui prévalent actuellement en Algérie, lespersonnes qui revendiquent leur homosexua-lité et entendent la manifester dans leur com-portement extérieur sont de ce fait exposées tantà l’exercice effectif de poursuites judiciairessur le fondement des dispositions du code pé-nal qui réprime l’homosexualité, qu’à des me-sures de surveillance policière et à des brimades; que dans ces conditions les craintes que peutraisonnablement éprouver l’intéressé du fait deson comportement en cas de retour dans sonpays doivent être regardées comme résultantde son appartenance à un groupe social au sensdes stipulations de l’article 1 A de la Conventionde Genève ".

Pour la première fois dans l’histoire, un chefd’Etat en exercice, Slobodan Milosevic, est in-culpé pour crimes contre l’humanité par unejuridiction internationale. Sur le modèle destribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavieet pour le Rwanda, une cour pénale interna-tionale à " compétence universelle ", dont lacréation a été décidée en 1998 à Rome, de-vrait prochainement voir le jour.

Après Sémira Adamu en Belgique et MarcusOmafuma en Autriche, et au moment où deuxpoliciers de la Diccilec sont jugés pour homicideinvolontaire d’un expulsé tamoul en 1991,trois nouveaux " incidents " se produisent enEurope dans la seule dernière semaine de mai.En France un ressortissant Tunisien, père dedeux enfants français, résidant régulièrementen France depuis 19 ans et condamné à ladouble peine, meurt le 27 mai dans les locauxdu centre de rétention d’Arenc, près de Marseille.Atteint d’une pathologie rénale grave, il auraitété pris de convulsions et n’aurait été conduità l’hôpital que plusieurs heures après. EnAllemagne, Aamir Ageeb, demandeur d’asilesoudanais meurt le 29 mai lors de son expul-sion sur un vol Lufthansa. Ligoté, il se seraitdébattu et aurait été maintenu la tête vers lebas par les policiers. En Italie, cinq kosovars pé-rissent noyés au large des côtes italiennes aprèsavoir été harponnés " par erreur " par un na-vire garde-côte italien.

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2PROASILE la revue de France Terre d’Asile

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3PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Le 22 juin, suite à la visite offi-cielle de Jean-Pierre Chevénement en Algérie,la première d’un ministre français depuis plu-sieurs années, le gouvernement annonce la ré-ouverture de plusieurs consulats français enAlgérie et un assouplissement de la politiquedes visas à l’égard des algériens. Plus de150.000 visas devraient être délivrés en 1999,contre environ 80.000 en 1998 et 50.000 en1997. Suite à l’annonce par l’Armée islamiquedu salut, le 6 juin, de " l’arrêt définitif de lalutte armée ", le projet de loi sur la " concordecivile " prévoit l’arrêt des poursuites des isla-mistes non impliqués dans des crimes de sang.Il doit être soumis au Parlement puis au réfé-rendum. Le 5 juillet, le président AlgérienAbdelaziz Bouteflika (investi le 27 avril) gracieune trentaine de prisonniers islamistes. Laguerre civile en Algérie a fait environ 100.000morts depuis 1992.

La résolution 1244 adoptée le 10 juin par leConseil de sécurité de Nations Unies ordonnel’arrêt des bombardements de l’OTAN auKosovo et en Yougoslavie à des conditions trèsstrictes. Outre le déploiement d’une force in-ternationale civile, la MINUK (Mission intéri-maire des Nations Unies au Kosovo), à la têtede laquelle Bernard Kouchner a été nommé le15 juillet, la résolution prévoit " le retour entoute sécurité et liberté de tous les réfugiés etpersonnes déplacées sous la supervision duHaut Commissariat des Nations Unies pour lesRéfugiés ". Le 12 juin, les troupes de la KFORentrent au Kosovo, avec pour mission d’aiderau déminage et à la reconstruction des infra-structures collectives, d’assurer un environne-ment de sécurité dans la province et de faci-liter le retour et la réinstallation des réfugiés.Dès la fin du mois de juin, priorité est donnéeau retour des personnes réfugiées dans les payslimitrophes (Albanie et Macédoine) et auMonténégro.

Dans son avis concernant le rapprochementdes politiques d’asile en Europe adopté le 17juin, la Commission Nationale Consultativedes Droits de l’Homme (CNCDH) constate " lestendances souvent restrictives adoptées parl’Union européenne en matière de protectiondes réfugiés et le risque que le rapprochementdes politiques et des législations des Etatsmembres se fasse sur la base du plus petit dé-nominateur commun ". La CNCDH recommandenotamment que " des efforts soient consentispour rendre systématiques les mesures de rap-prochement des membres d’une même familledont les demandes devraient être examinéespar divers Etats membres ", que les normes mi-nimales régissant l’accueil " permettent auxdemandeurs d’asile et aux réfugiés de bénéfi-cier d’un statut social en rapport avec les condi-tions de vie des sociétés d’accueil ", que lesnormes minimales concernant les procéduresd’octroi et de retrait de la qualité de réfugié " permettent un accès sans entrave à une pro-cédure effective et équitable (…) et compren-nent en toute circonstance le droit à une as-sistance juridique, à un entretien individuel,l’accès à un interprète, la motivation de toutedécision défavorable ainsi que la garantie d’unrecours suspensif ".

La France est condamnée par laCour européenne des droits de l’homme pour" torture et traitements inhumains et dégra-dants " sur la personne de Ahmed Selmouni, ti-tulaire de la double nationalité marocaine etnéerlandaise. Lors de sa garde à vue pour traficde drogue dans un commissariat de Seine-Saint-Denis, il avait subi des violences policières " par-ticulièrement graves et cruelles ".

Dans un jugement rendu le 23 juillet, les jugesd’appel britanniques ont jugé illégale la déci-sion du Ministère de l’intérieur de renvoyerun ressortissant algérien vers la France, esti-mant que ce pays ne pouvait être considéréecomme un pays tiers sûr pour un algérien per-sécuté par les islamistes. Pour la même raison,les juges ont annulé la décision de renvoi versl’Allemagne d’une Somalienne et d’un tamoulSri-lankais qui risquaient d’être renvoyésd’Allemagne vers leur pays d’origine. La Courfonde sa décision sur la différence d’interpré-tation de la notion de persécution, opposantla " théorie de la protection " soutenue pas leHCR et à laquelle adhère la Grande-Bretagneet la " théorie de l’agent de persécution " quilimite l’octroi d’une protection au cas où lerisque de persécution peut être attribué à l’Etatet d’où résulte en l’espèce un " risque réel derenvoi " des l’intéressés vers l’Algérie, la Somalieet le Sri Lanka. Les juges considèrent par ailleursconcernant les formes subsidiaires de protec-tion que " nous ne pouvons pas exclure que ledemandeur - s’il est exclu de l’accès à l’emploiet aux aides sociales et ne possède pas d’autresressources - soit contraint de vivre dans une tellesituation de précarité qu’il soit conduit à re-tourner dans le pays où il craint d’être persé-cuté quoiqu’ayant obtenu un permis de séjourau titre des formes subsidiaires de protectiondans le pays tiers ".

La circulaire du 8 juillet du Ministère de l’Emploiet de la Solidarité réactualise les modalités et lespriorités d’admission en fonction de critères so-ciaux dans le Dispositif national d’accueil desréfugiés et des demandeurs d’asile. La circulaireréaffirme le principe de la solidarité nationalepermettant une répartition centralisée sur l’en-semble du territoire et le principe de la cohé-rence, définissant un cadre de référence concer-nant le fonctionnement des centres d’accueil.

Suite à la démission collective de la Commissioneuropéenne en mars, le nouveau président dela Commission, Romano Prodi annonce le 9juillet, le nom des nouveaux membres de laCommission, parmi lesquels le portugais AntonioVitorino à la justice et aux affaires intérieures,le britannique Christopher Patten aux relationsextérieures, le danois Poul Nielson au dévelop-pement et à l’aide humanitaire.

Le 11 août, les premiers réfugiéskosovars volontaires pour le retour quittentla France. La circulaire du 12 juillet du Ministèrede l’emploi et de la solidarité sur l’aide auretour volontaire des réfugiés albanais duKosovo prévoit une somme de 3000 F paradulte et de 1000 F par enfant versée auxcandidats à un retour définitif. Les chefs defamille ou toute autre personne majeure dugroupe familial peuvent également faire des" voyages exploratoires " de 10 à 15 jours. Ilsbénéficient d’une aide de 600F. Une enquêtemenée au sein du dispositif d’accueil a révéléque 15% des réfugiés albanais du Kosovo sou-haitent rentrer chez eux, 30% souhaitent faireun voyage exploratoire, les autres voulant rester en France. Au 1er septembre , 1089 albanais du Kosovo réfugiés en France sont ren-trés au Kosovo.

" Sir Alfred " semble disposé à quitter le bancoù il avait élu domicile à l’aéroport de Roissydepuis 11 ans. Merhan Karimi Nasseri, iranienreconnu réfugié en Belgique depuis 1981 étaittrès apprécié du personnel de l’aéroport dontil recevait des dons. Il profitait des douches,téléphones et services médicaux de l’aéroport.Après de nombreuses tentatives infructueusespour se rendre en Angleterre où il souhaitaitvivre, il semble finalement décidé à retourneren Belgique.

Depuis le début de l’été, des centaines dedemandeurs d’asile (réels ou potentiels), es-sentiellement Sri Lankais, Kurdes de Turquieet d’Irak, Iraniens, Roumains et Kosovars sontmaintenus en centre de rétention dans larégion de Calais, où ils sont arrivés dansl’espoir de rejoindre l’Angleterre. Ceux qui ysont parvenus débarquent à Douvres cachésdans des camions. Découverts par les ser-vices des douanes, ils sont considérés comme" demandeurs d’asile sur le territoire " etn’ont à ce titre droit à aucune allocation. Ilsrelèvent d’une loi de 1948 qui prévoit queles autorités locales doivent assurer le mini-mum vital aux personnes démunies. La décision des autorités locales de Douvres deles concentrer dans des hôtels d’un quartierde la ville a permis aux organisations d’ex-trême droite de cibler leurs attaques phy-siques et verbales, les écoles ont refusé de sco-lariser les enfants, ils vivent dans le plusgrand désœuvrement.

Eunice Barber, nouvelle championne du monded’heptathlon est naturalisée française depuissix mois. Originaire de la Sierra Léone, elle afui son pays quelques mois après le déclen-chement de la guerre civile. Aux jeux de Seville,elle fait partie des étrangères très recherchéespar la fédération française d’athlétisme. Faut-il en conclure que pour obtenir la nationalitéfrançaise, mieux vaut courir vite, sauter hautou être un virtuose du ballon rond ? Foin deplaisanterie, bravo à Eunice Barber et que vivela France du métissage.

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Organise

Sous le haut parrainage de Madame Nicole PerySecrétaire d’Etat à la formation professionnelle

Avec le concours de la Communauté Européenne

Elles sont femmes, réfugiées statutaires depuis peu. Mères de famille d a n sleur grande majorité. Sri Lankaises, Mauritaniennes, péruviennes, Russes, Afghanes,Irakiennes… Leur présence en France témoigne d’un monde en miette.

En s’engageant dans la formation professionnelle, elles se sont engagées dansun véritable parcours d’obstacles où il convient de surmonter au quotidien les ef-fets d’une société encore trop inégalitaire, où les femmes sont plus touchées par lechômage que les hommes, les étrangères plus que les étrangers. Inégalités encorerenforcées lorsque se pose au quotidien la garde des enfants, les exigences d’épouxpeu conciliants, l’aide accordée quotidiennement aux ascendants vivants auprès d’elles.Et pourtant, d’origine étrangère et/ou française, elles réussissent souvent mieux queles hommes.

Le programme que nous avons initié avec le soutien de la Communauté eu-ropéenne, la participation active et efficace de nombreuses institutions et partenairesleur a proposé plus de 30 000 heures de formation dans des métiers aussi différentsque l’aide à la petite enfance, la vente, le nettoyage industriel, l’hôtellerie… `Pour 70% d’entre elles, cette action a débouché sur un emploi stable.Nous avonssouhaité les réunir pour qu’elles témoignent du chemin parcouru. Et qu’elles nousindiquent celui qu’il nous reste ensemble à accomplir .

Cette conférence sera un moment de réflexion sur la question de l’intégration dansla société française et le rôle particulier que les femmes ont à y jouer. Participerontnotamment au débat : Jean GAEREMYNCK, Directeur de la population et des mi-grations, Ministère de l’emploi et de la solidarité ; Sandra PRATT, Commission eu-ropéenne ; François ROCHE, Directeur du Service Social d’Aide aux Emigrants ;Jacqueline COSTA-LASCOUX, Socioloque ; Catherine WITHOL de Wendel, Politologue.

Le 8 octobre 1999à la Mairie du XIème arrondissement

Place Léon Blum – 75011 Paris

Pour tout renseignement complémentaire, s’adresser à :

Fatiha MLATI, au 01 53 04 39 52

Une CONFERENCEsur le thème

”De l’insertion professionnelle à l’insertiondans la société française”

100 femmes témoignent

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5PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Dans la nuit du 29 mars, le village deCabra, enclave albanaise de la régionmajoritairement serbe de Mitrovica, estattaqué par l’armée yougoslave. Les ha-bitants s’enfuient. D’une forêt voisine oùil s’était réfugié, Osman Rama, le mairedu village, assiste impuissant au pillageet à l’incendie des 240 maisons du village.Presque tous les villages albanais ont subile même sort, même si tous n’ont pasconnu la barbarie systématique dont a étévictime le village de Cabra. Il en est résultéun mouvement de réfugiés sans précédentdepuis la seconde guerre mondiale.

Près de 800.000 réfugiés albanais sont re-tournés au Kosovo depuis lemois de juin, dans des vil-lages dévastés, sans eau niélectricité. Beaucoup onttrouvé le corps sans vie desmembres de leurs famillesamassés dans des fossescommunes. Mais ils sont re-venus avec la ferme volontéde reconstruire leur maisonet leur vie et ont confianceen l’avenir. L’Union euro-péenne doit relever avec euxce défi pour ne pas déce-voir l’optimisme et la vo-lonté dont ils font preuve.Si la priorité est d’aider cespersonnes à passer l’hiversrigoureux qui s’annonce,notre objectif à long terme est beaucoupplus ambitieux. Il ne s’agit pas simple-ment de réparer les dégâts ou de renfor-cer les infrastructures. Il s’agit de recons-truire une société moderne et démocratique,fondée sur l’économie de marché, et dontles citoyens pourront un jour devenir ci-toyens de l’Union européenne.

Avant de se voir confier le mandat de lareconstruction, l’Union européenne a jouéun rôle moteur au Kosovo. La Commissioneuropéenne a apporté son soutien aux mé-dias indépendants, à la société civile etsoutenu le processus de réconciliation auKosovo bien avant que le conflit ne s’in-tensifie. L’année dernière, parallèlement à

l’évaluation des dégâts résultant du conflitinterne et à l’acheminement de l’aide hu-manitaire, l’Union européenne prenait l’ini-tiative d’asseoir Serbes et Albanais à latable de négociations à Rambouillet. Aprèsl’échec de ce processus, les pays de l’UnionEuropéenne ont pris part aux raids aériensde l’OTAN, et l’intervention de l’envoyéspécial de l’Union européenne, le PrésidentAhtisaari, a été déterminante dans le re-trait des forces yougoslaves du Kosovo.Dès le retrait de l’armée yougoslave, laTask Force de l’Union européenne pour lareconstruction, dirigée par Marc Franco,a été la première agence pour la recons-truction à s’installer au Kosovo. Parallèlement,

le Bureau Humanitaire del’Union européenne a im-médiatement repris ses opé-rations, poursuivant l’efforthumanitaire entrepris dansles camps de réfugiés despays voisins.

L’effort humanitaire de l’Unioneuropéenne se chiffre cetteannée à près de 400 millionsd’Euros, auxquels s’ajoutentles 100 millions d’Euros cor-respondant à l’aide d’urgenceapportée aux pays limitrophesdu Kosovo pour les aider àfaire face à l’afflux des ré-fugiés. L’Union européenneest donc de loin le premier

financeur de l’effort humanitaire au Kosovo.La Task Force de l’Union européenne dis-pose, pour financer la reconstruction àlong terme, d’un budget de 140 millionsd’Euros pour les derniers mois de 1999, eta déposé un budget prévisionnel de 500millions d’Euros pour l’année 2000. Cebudget sera géré par l’Agence européennepour la reconstruction qui verra le jour enfin d’année et remplacera la Task Force.

La première priorité de la Task Force estle logement. Nos experts, qui ont visité1400 villages en juin et juillet, estiment à120.000 le nombre d’habitations endom-magées, parmi lesquelles 78.000 ne peu-vent pas être réparées. Parallèlement à la

distribution de tentes et de bâches en plas-tique, la Task Force distribuera des maté-riaux de construction (bois, tuiles, vitres)de telle sorte qu’au moins certaines mai-sons puissent être réparées avant l’hiver.Dans le cadre d’un programme pour l’em-ploi et la réhabilitation, des villageois re-cevront un salaire modeste pour évacuerles décombres, ce qui permettra à chaquefamille de disposer d’une source de re-venu et de ne pas dépendre entièrementde l’aide internationale. Nos autres prio-rités consistent à participer à l’immense mis-sion de déminage, à maintenir les postesfrontières ouverts, à rendre les infra-structures praticables pour permettrel’acheminement rapide de l’aide humani-taire dans toutes les régions, et à assurerle fonctionnement de la centrale élec-trique. Mais une société ne repose passeulement sur ses bâtiments et son ré-seau routier. L’éducation, la santé et la so-ciété civile jouent un rôle fondamental.Dans des projets de plus faible envergure,l’Union européenne finance la réhabilita-tion de l’hôpital de Mitrovica où le personnelserbe et albanais travaille en bonne entente,participe à la reconstruction de l’Universitéde Pristina, et finance des projets de reconstruction de la société civile géréspar les albanais eux-mêmes.

Si l’on reproche parfois à la Commissioneuropéenne sa lenteur, soulignons la capacité de réaction dont elle a fait preuveici. Le 8 août, moins d’un mois après notrepremière visite, la Task Force de l’Unioneuropéenne est retournée au village deCabra, cette fois pour constater le débutde la reconstruction. 130 jeunes femmeset jeunes gens bénéficient du financementde l’Union européenne pour travailler à lareconstruction de leur village, de leur com-munauté et de leur avenir. Ils sont le pre-mier pas sur la voie de l’avenir européendu Kosovo, un avenir dans lequel l’Unioneuropéenne joue un rôle clé.

* Conseiller politique, Task Force de l’Unioneuropéenne pour la reconstruction du Kosovo

(Traduction FTDA)

LA PAROLE À. . .

La reconstruction du Kosovo, un premier pas vers l’intégration européennePar Roy Dikinson*

« Reconstruireune sociétémoderne etdémocratiquefondée surl’économie demarché et dontles citoyenspourront un jourdevenir citoyensde l’Unioneuropéenne »

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"L’expérience montre que certains réfugiés ont été pe-sécutés en raison de leur appartenance à des groupes so-ciaux particuliers". Se fondant sur ce constat, la déléga-tion Suédoise a demandé à la Conférence desplénipotentiaires que la définition du terme réfugié soitélargie à la notion de groupe social. Si le HCR précise quece terme s’entend de personnes " appartenant à un groupeayant la même origine et le même mode de vie ou le mêmestatut social "2 , la notion de groupe social n’en est pasmoins controversée et fait l’objet d’interprétations juris-prudentielles diverses et en constante évolution. Les déci-sions de la Commission des Recours des Réfugiés (CRR),organe d’appel des décisions prises en matière de recon-naissance de la qualité de réfugié, ne font souvent qu’im-plicitement référence à l’un des cinq motifs de persécutionénoncés par la Convention de Genève. Leur fondement ju-ridique peut donc faire l’objet d’interprétations très diverseset il n’y a pas de jurisprudence claire sur la notion degroupe social. L’évolution de la jurisprudence montre ques’il n’est plus totalement ignoré, le groupe social, définiselon des critères objectifs puis subjectifs, n’est pas reconnuen tant que tel. Le groupe social, dans la jurisprudencefrançaise, tend à se définir par les persécutions dont il estvictime.

De l’objectivité à la subjectivité des critères dedéfinition du groupe social

Ce n’est qu’à compter des années 1980 que la qualité deréfugié a été reconnue sur le fondement de l’appartenanceà un certain groupe social à des personnes originaires dusud-est asiatique. Parmi les réfugiés arrivés en France dansle contexte politique particulier des arrivées officielles, ontobtenu la qualité de réfugié sur ce fondement les

Cambodgiens appartenant au groupe social des personnes persécutées par le régime des Khmers rouges (Tchach So,26.971, 12 juillet 1985), au groupe social de la " bourgoi-sie commerçante " (Huynh Lao, 30.819, 5 décembre 1985),et des personnes dont les craintes de persécutions étaientfondées sur leurs " origines sociales " (Rathphackdy, 28.154,20 décembre 1985 ; Inthakhot, 21.207, 6 février 1986).L’appartenance à un certain groupe social est donc recon-nue comme motif de reconnaissance de la qualité de réfu-gié, mais les décisions n’en donnent qu’une interprétationrestrictive et au cas par cas, fondée sur des facteurs objectifsliés aux circonstances sociales ou familiales.Le groupe social est pour la première fois défini selon deséléments subjectifs dans le cas Aminata Diop (CRR, 164078,18 septembre 1991). En l’espèce, une femme malienne avaitquitté son pays d’origine pour échapper aux pressions fa-miliales exigeant d’elle qu’elle se soumette à l’excision, etaux discriminations dont faisaient l’objet les femmes nonexcisées. En l’espèce, la Commission des Recours a estimé" que si l’exigence de cette opération était le fait de l’au-torité publique, ou si cette exigence était encouragée oumême seulement tolérée de manière volontaire par celle-ci,elle représenterait une persécution des femmes qui enten-dent s’y soustraire, au sens des stipulations précitées de laconvention de Genève ". Cependant, la CRR va plus loin etexige dans cette décision que les personnes requérant la qua-lité de réfugié sur ce fondement " y aient été personnelle-ment exposées contre leur volonté ". Le risque de persécu-tion n’est pris en compte que si le demandeur d’asile a étépersonnellement confronté à la menace de l’excision. Dansce contexte, notons que dans ses observations à la CRR,l’OFPRA souligne que " des femmes peuvent être considé-rées comme appartenant à un certain groupe social lors-qu’elles luttent contre des discriminations graves entravant

DROIT ET JURISPRUDENCES

L’appartenance à un groupe socialcomme motif de reconnaissance de la qualité de réfugiépar Shahrzad Tadjbakhsh *

Parmi les motifs de persécution qui aux termes de la Convention de Genève, peuvent conduireà la reconnaissance de la qualité de réfugié1 , l’appartenance à un certain groupe social estparticulièrement difficile à définir. Les femmes soumises à l’excision au Mali ou à des stéri-lisations forcées en Chine, les Algériennes " occidentalisées " forment-elles des groupes so-ciaux persécutés et qui à ce titre doivent se voir reconnaître la qualité de réfugié ?

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la jouissance de leurs droits fondamentaux ou menaçantleur vie, leur liberté ou leur intégrité physique et que cettelutte peut les placer dans une situation de crainte à l’égardde l’autorité étatique de leur pays d’origine " 3 .

Les persécutions généralisées et non discriminatoires

Mais si des éléments subjectifs tels que la transgressiond’une norme sociale sont pris en compte, le seul fait des’opposer à une pratique généralisée n’est pas de natureà créer un groupe social. La CRR a par exemple considéréque dès lors qu’elle est appliquée d’une manière généra-lisée et non discriminatoire, la politique de contrôle desnaissance en Chine ne saurait motiver la reconnaissancede la qualité de réfugié et que les femmes chinoises, mèresde plusieurs enfants et qui font l’objet d’avortements etde stérilisations forcées ne constituent pas un groupe so-cial (CRR, SR, 8 juillet 1993, Zhang, CRR, SR, 19 avril1994). Cette décision a été confirmée par leConseil d’Etat selon lequel le fait d’être pa-rent de cinq enfants " ne saurait, nonobstantles risques de répression auxquels ils sont ex-posés de ce fait les faire regarder comme ap-partenant à un groupe social particulier "(Conseil d’Etat, Cheng, 29 mars 1993). Dans cecontexte les risques de persécutions auxquelsétaient confrontées ces personnes n’ont pasété considérés comme relevant de la notionde groupe social aux termes de la Conventionde Genève.Dans le cas d’une femme algérienne (CRR, 22juillet 1994, El Kebir), la Commission desRecours confirme ce principe." Les disposi-tions de la législation algérienne qui régissentle sort des femmes en Algérie s’appliquent sansdiscrimination à l’ensemble des femmes de ce pays ; quele fait que certaines d’entre elles entendent les contesterne permet pas de considérer que ces dernières appartien-nent, pour cette seule raison à un groupe social particu-lier au sens des stipulations de la Convention de Genève". Cependant, la qualité de réfugié est reconnue à la de-manderesse qui, rentrée en Algérie après avoir vécu pen-dant une longue période à l’étranger, était confrontée àdes actes de discrimination, de menaces et de violenced’éléments islamiques visant à ce qu’elle se soumette à uncertain mode de vie. La Commission précise que " les au-torités locales , qui avaient eu connaissance des agisse-ments dont la requérante avait été victime, doivent, enraison de l’abstention délibérée de toute intervention deleur part, être regardés comme ayant toléré volontaire-ment ces agissements ". Par conséquent, si l’on recon-naît que les femmes qui remettent en cause une législa-tion appliquée sans distinction à toutes les femmes neforment pas un groupe social au sens de la Conventionde Genève, les circonstances de l’espèce et le fait que lespersécutions aient été tolérées par les autorités publiquesest dans ce cas particulier un élément déterminant de lareconnaissance de la qualité de réfugié.

L’arrêt Ourbi, un tournant dans l’interprétationde la notion de groupe social

L’arrêt Ourbi concernant un transsexuel algérien marqueune nouvelle étape dans l’évolution de la jurisprudencefrançaise en ce qu’il définit pour la première fois de ma-nière positive la notion de groupe social. Dans sa décision

du 15 mai 1998, la CRR avait dans un premier temps re-jeté sa demande d’asile en 1995 estimant que " le fait quele demandeur soit transsexuel et de ce fait marginalisé ausein de la société algérienne, ne saurait le faire regarder,au sens des stipulations précitées de la convention deGenève, comme appartenant à un groupe social ". Saisi d’unrecours contre cette décision, le Conseil d’Etat précise l’in-terprétation de la notion de groupe social (Commissaire dugouvernement, JD Combrexelle, 23 juin 1997) insistantsur l’existence sociale du groupe, c’est-à-dire le fait qu’ilsoit perçu et reconnu par la société comme constituantun groupe spécifique, notion contingente et variant d’unpays à l’autre selon la nature du régime politique et lescirconstances historiques. Il conclut que " le groupe so-cial au sens de la Convention de Genève ne se détache pasdes persécutions dont il fait l’objet, on pourrait même direque ce sont les persécutions qui sont l’élément constitutifdéterminant du groupe social ". Selon cette analyse, lestranssexuels ne constitueraient un groupe social spéci-

fique dans un pays donné que dans la mesureoù leur spécificité sexuelle conduit à des actesde persécution. Réexaminant la situation destranssexuels en Algérie, à la lumière de l’ana-lyse ci-dessus, la CRR considère que " les trans-sexuels se trouvant actuellement en Algérie, enraison même des caractéristiques qui leur sontpropres, sont exposés de la part de larges frac-tions de la population, à des persécutions dé-libérément tolérées par les autorités, qu’ilsconstituent dans ces conditions un groupe so-cial au sens de l’article 1er A de la Conventionde Genève ".Aux termes de cette jurisprudence, l’apparte-nance à un certain groupe social n’est recon-nue comme fondement de la reconnaissancede la qualité de réfugié que lorsque cette ap-

partenance implique des persécutions par les autoritéspubliques ou par des agents privés encouragés ou tolé-rés par les autorités, si ces actes de persécution sont fon-dées sur les caractéristiques communes de ce groupe. Ence sens, l’interprétation française se distingue de celle dela plupart des autres pays aux termes de laquelle l’exis-tence du groupe social doit précéder les actes de persé-cution, insuffisants à eux seuls, à créer le groupe social.Dans la logique de cette analyse qui correspond à celledu HCR, le groupe social existe en tant que tel. La juris-prudence française devraient se concentrer sur l’identifi-cation des facteurs déterminant l’existence du groupe so-cial pour n’examiner que dans un second temps le bienfondé des craintes de persécutions.

* Division de la Protection Internationale, HCR

1 - Aux fins de la présente Convention, “ le terme « réfugié » s’ap-pliquera à toute personne (...) qui (...) craignant avec raison d’êtrepersécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, deson appartenance à un certain groupe social ou de ses opinionspolitiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui nepeut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protec-tion de ce pays “. Convention de Genève de 1951, Art. 1A2 - Guide des procédures et des critères à appliquer pour déterminerla qualité de réfugié3 - Mémoire publié, Documentation Réfugiés, N° 187, 20-29 juin1992Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur.(Traduction FTDA)

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La jurisprudencefrançaise se dis-tingue de cellede la plupart desautres pays endéfinissant le groupe socialpar les persécu-tions dont il estvictime.

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L a Convention de Genève du 28 juillet 1951 ne s’ap-plique pas aux demandeurs d’asile incapables de

justifier d’une crainte de persécution personnelle. A titred’exemple, elle ne s’applique ni aux personnes déplacéesau cours d’une guerre ni aux groupes exposés à des cam-pagnes de " purification ethnique ". Pour combler les la-cunes de la protection en cas d’arrivées en grand nombre,les Etats ont progressivement mis en place des régimes na-tionaux de protection temporaire. A l’occasion de la miseen œuvre du traité d’Amsterdam et dans la perspective dela communautarisation du droit d’asile, l’Union européenneenvisage un régime de protection temporaire applicable àl’intérieur du territoire de l’Union, régime qui doit être fa-vorablement accueilli sous certaines conditions.

Les solutions nationales de protection temporaireL’accueil récent des Albanais du Kosovo en Europe et enAmérique du Nord permet de dresser l’inventaire des solu-tions très diverses adoptées par les Etats.

Des régimes de protection temporaire découlant desources diversesDans certains pays, ce régime fait partie du dispositif législatifde droit commun : l’Allemagne a appliqué aux kosovars lesdispositions de sa nouvelle loi sur l’asile (1999) prévoyantun régime spécifique pour les réfugiés de guerre, exclusifde la Convention de Genève ; les Pays-Bas ont appliqué lerégime de protection temporaire prévu par leur loi de 1994.Le Danemark a adopté une loi d’urgence sur le Kosovo, en-trée en vigueur le 30 avril 1999. Dans les autres pays, le ré-gime de protection temporaire résulte d’un texte exécutif :décret du 27 mai 1999 sur la protection temporaire en Italie,circulaires ministérielles en Belgique et en France.

Des régimes de protection temporaire offrant une du-rée de protection et des droits variables La durée varie de six mois renouvelables en Italie à quatreans en Norvège avec toute une gamme de situations inter-médiaires : moins d’un an en Autriche, un an en Suède etaux Etats-Unis, un an renouvelable deux fois aux Pays-Bas, deux ans par périodes de six mois au Danemark, troisans en Finlande, etc. Concernant les droits attachés au ré-gime de protection temporaire, plusieurs caractéristiquesdoivent être relevées. La plupart des pays reconnaissent ledroit au travail aligné sur le droit au séjour aux bénéfi-ciaires de la protection temporaire, mais on trouve aussides exceptions : le droit au travail n’est reconnu qu’après

un séjour de six mois en Grande-Bretagne et d’un an auxPays-Bas. Le regroupement familial est généralement autorisé(Belgique, Danemark, notamment), mais on trouve aussi desexceptions : il n’est pas reconnu aux réfugiés de guerre enAllemagne et n’est possible qu’après trois ans de séjour auxPays-Bas. Le bénéfice de la protection temporaire n’exclutpas en principe la présentation d’une demande d’asile (enSuisse et en Suède notamment) mais en pratique la plupartdes pays (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark no-tamment) ont suspendu l’examen des demandes d’asile pré-sentées par les kosovars bénéficiaires d’une protection tem-poraire. C’est à la lueur de ce contexte qu’il faut examinerles initiatives prises récemment au niveau européen.

Vers un régime de protection temporaire applicable au sein de l’Union européenne ?Le traité d’Amsterdam ayant transféré les politiques en matière de visas, d’asile et d’immigration et de manière plusgénérale les questions liées à la libre circulation des per-sonnes, du troisième au premier pilier de l’Union euro-péenne, le Conseil européen de Cardiff a demandé au Conseilet à la Commission de présenter lors du Conseil européende Vienne un plan d’action sur " la meilleure façon de mettreen œuvre les dispositions du traité d’Amsterdam relatives àl’établissement d’un espace de liberté, de sécurité et de jus-tice ". Un Conseil européen spécifique sera consacré à cesquestions à Tampere en octobre 1999.Ce plan d’action proposé par le Conseil Justice et Affairesintérieures du 3 décembre 1998 compte plusieurs allusionsà la protection temporaire. Parmi les mesures retenues, ilévoque au titre de l’espace de liberté et de la politique d’asile" la protection de ceux qui en ont besoin, même s’ils neremplissent pas pleinement les critères de la Convention deGenève ".Parmi les mesures à prendre au plus vite conformément autraité d’Amsterdam, le plan d’action prévoit de " définir desnormes minimales relatives à l’octroi d’une protection tem-poraire aux personnes déplacées en provenance de pays tiersqui ne peuvent pas rentrer dans le pays d’origine " (article63, point 2 a) du traité C.E.) et de " s’employer à assurerun équilibre entre les efforts consentis par les Etats membrespour accueillir les personnes déplacées et supporter lesconséquences de cet accueil " (article 63, point 2 b) du traité C.E.).

Le Conseil et la Commission ayant retenu parmi les six prin-cipes fondant le plan d’action " le principe de solidaritéentre les Etats membres… lorsqu’il s’agit de faire face auxdéfis transnationaux que représentent… les mouvements mi-

DROIT ET JURISPRUDENCES

La protection temporaireparFrédéric Tiberghien *

8PROASILE la revue de France Terre d’Asile

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9PROASILE la revue de France Terre d’Asile

gratoires ", les présidences autrichienne et allemande ont liéles normes minimales relatives à la protection temporaire àla mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité en la ma-tière. Pour ce faire, elles ont insisté sur le couplage à éta-blir entre la décision d’admission au régime de la protec-tion temporaire qui serait prise au niveau européen et laprise en charge nationale des bénéficiaires de la protectiontemporaire dans la mesure où la fixation de la durée d’ap-plication de ce régime échapperait désormais aux Etats in-dividuellement. Ce principe de solidarité devait, selon laprésidence allemande, se traduire soit par le transfert géo-graphique, dans le cadre de quotas acceptés par les paysmembres, des bénéficiaires de la protection temporaire, soitpar un soutien financier aux pays d’accueil, soutien élevépour encourager les Etats membres à pratiquer largement àl’accueil. Ce lien a été contesté par certains Etats membres,en particulier par la France et la Grande-Bretagne, dont laposition géographique en Europe les met d’avantage quel’Allemagne et l’Autriche à l’abri des afflux massifs de per-sonnes déplacées.Ce débat n’ayant pas encore été tranché, le projet d’actioncommune relatif à la protection temporaire des personnesdéplacées n’a toujours par été adopté. Son contenu, déjàamendé pour en corriger les aspects les plus critiqués est tou-tefois riche de potentialités.

Dans sa version amendée le projet d’action commune poseles quatre règles fondamentales suivantes.En premier lieu, le régime de protection temporaire s’ap-pliquera aux personnes déplacées en cas d’afflux massifs,les personnes déplacées s’entendant comme celles ayantquitté leur pays d’origine et ne pouvant y retourner dans desconditions de dignité et de sécurité en raison soit de conflitsarmés ou de violences persistantes, soit de risques de vio-lations systématiques de droits de l’Homme, dirigées en par-ticulier contre des groupes ethniques ou religieux.En deuxième lieu, ce régime de protection temporaire nefait obstacle ni à ce que les Etats membres conservent ouadoptent, postérieurement à l’action commune, leur proprerégime de protection temporaire tant que le Conseil n’aurapas institué un tel régime, ni à ce que ceux-ci instituent unrégime plus favorable que celui décidé par le Conseil.En troisième lieu, le régime de protection temporaire estconçu comme un complément à la Convention de Genèveet ne fait pas obstacle à ce que les bénéficiaires formentune demande d’asile. Toutefois les législations nationalespourront prévoir que l’examen d’une demande d’asile pourraêtre suspendue pendant une période maximale de trois ans,voire de cinq ans si le Conseil étend la durée de ce régimejusqu’à sa limite maximum dans le temps. Le cumul desdroits attachés à la protection temporaire et à la demanded’asile sera interdit ; en conséquence, les Etats membrespourront prévoir que les droits attachés à la protection tem-poraire seront perdus en cas de demande d’asile.En quatrième lieu, le régime de protection temporaire compteles droits suivants : le droit au séjour pendant toute sa du-rée d’application, ce droit étant formalisé par l’octroi d’untitre de séjour selon le droit national en vigueur ; le droitau regroupement familial selon la loi nationale en vigueur; le droit au travail et à la sécurité sociale selon le droit na-tional en vigueur, étant précisé que les bénéficiaires de laprotection temporaire auront un traitement identique auxréfugiés en matière de rémunération et de conditions de tra-vail ; le droit à l’aide sociale et l’accès à l’éducation pourles enfants mineurs. Les Etats feront aussi leurs meilleurs ef-forts pour faciliter l’accès au logement et aux aides finan-cières.

Sur le plan procédural, un régime de protection temporairerésulte d’une décision du Conseil prise à la majorité de sesmembres, sur le rapport de la Commission. Cette décisionprend en compte la possibilité d’organiser ou non une pro-tection sur place. Elle précise les groupes de personnesconcernées, la durée d’application de ce régime qui ne peutexcéder trois ans, ainsi que les mesures pour lesquelles lesEtats membres garantissent l’accès à leur territoire. Six moisavant l’expiration du régime et sur le rapport de laCommission, le Conseil pourra soit réviser sa position quantà la durée du régime ou aux groupes concernés, soit mettrefin au régime et organiser le retour dans le pays d’originesi la situation le permet. Si le Conseil n’a pas adopté de dé-cision avant la date d’expiration initialement prévue pourle régime, ce dernier est prolongé de six mois et expire au-tomatiquement à l’issue de ces six mois. En tout état decause, un régime de protection temporaire ne peut pas du-rer plus de cinq ans. A l’issue de ces cinq ans, les Etatsmembres examinent si des mesures de long terme doiventêtre prises.

Apports et dangers éventuels de ce nouveau régime.Le régime européen de protection temporaire doit être fa-vorablement accueilli si sa mise en œuvre aboutit à proté-ger effectivement des groupes de personnes qui ne relèventpas aujourd’hui de la Convention de Genève. Il permettranotamment de mettre un terme à la diversité des régimesappliqués en Europe et d’offrir une égalité de traitement àl’intérieur du territoire de l’Union. Il devrait également per-mettre de mettre fin à la pratique actuelle de nombre d’Etatsmembres qui suspendent en fait l’examen des demandesd’asile formées par des bénéficiaires d’un régime nationalde protection temporaire. Le nouveau régime européen deprotection temporaire ne devra pas être vidé de son contenupar des législations nationales qui en préciseront les mo-dalités. La vigilance des ONG sur ce point sera détermi-nante.

Mais tel qu’il est conçu, le régime européen de protectiontemporaire pourrait dissuader les demandeurs d’asile po-tentiels de se réclamer de la Convention de Genève et lesinciter à se placer sous le régime de la protection tempo-raire si celui-ci devait offrir des avantages plus larges. Onpense particulièrement à l’autorisation de travail : si celle-ci était accordée en vertu du régime de protection tempo-raire et continuait à être refusée aux demandeurs d’asile, ily aurait un risque sérieux de dissuasion à l’égard du régimeConvention de Genève. Cet état de fait, s’il devait se pro-duire, soulignerait le caractère anormal du refus du droitprovisoire au travail pour les demandeurs d’asile.Une question reste ouverte : que se passera-t-il exactementà l’issue des cinq années d’application d’un régime de pro-tection temporaire pour les éventuels bénéficiaires ?L’hypothèse de mesures à long terme me paraît contradic-toire avec la notion de protection temporaire. Si les risquespersistent au delà de cinq ans, il est nécessaire que la find u régime de protection temporaire déclenche l’accès à la pro-cédure d’asile de sorte qu’il n’y ait pas de solution de conti-nuité pour les personnes nécessitant le maintien d’une pro-tection. A défaut, le régime de protection temporaire setransformerait en régime permanent et risquerait d’affaiblirle portée du régime prévu par la Convention de Genève.

* membre du Conseil d’administration de France terre d’Asile

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10PROASILE la revue de France Terre d’Asile

La Couverture Maladie Universelle,sa réussite dépend de l’engagement citoyendes acteurs concernéspar Docteur Michèle Mezard*

SANTE ET SOCIAL

La Loi portant création de la Couverture Maladie Universelle s’inscrit dans le prolongementde le Loi d’orientation contre les exclusions dont l’article premier mentionne le droit à la pro-tection de la santé. L’inégalité devant la prévention et les soins étant une des injustices lesplus criantes, il faut saluer la création de la Couverture Maladie Universelle (CMU) commeune grande avancée.

" Il faut se battre contre soi-même pour aller de-mander quelque chose, que ce soit une aide alimen-taire, médicale, une carte de bus gratuite : pour nousc’est une humiliation, une honte d’être contraint deréclamer des secours de ce genre 1" Exclus de fait del’accès aux droits fondamentaux que constituent ledroit au travail, le droit au logement, à la culture, àla santé, etc., les personnes en état de précarité for-ment un monde illégitime qui vit en quelque sorte enexil. L’attribution d’une aide maintient la dépendanceet ne change pas l’avenir. La loi sur la couverture so-ciale universelle apporte d’abord la reconnaissanced’un droit. Un premier pas vers la fin de l’exil inté-rieur des personnes les plus démunies. La CMU don-nera à toute personne résidant de façon régulière etstable sur le territoire français le droit à l’assurancemaladie de base et en cas de ressources inférieures àun certain seuil, le droit à une couverture complé-mentaire avec prise en charge à 100%.

Pour les résidents irréguliers cependant, la situationn’est pas améliorée et l’exil se poursuit. L’assurancemaladie de base étant réservée aux personnes rési-dant régulièrement en France, les étrangers en situa-tion irrégulière n’entrent pas dans le cadre de la loiCMU proprement dite. Leurs enfants, même s’ils sontnés en France, n’en bénéficient pas non plus. Cependant,ces personnes, sous réserve que leurs ressources nedépassent pas un certain plafond, auront accès à laprévention et aux soins dans le cadre d’une réformede l’Aide Médicale Etat (AME). Reste le problème de

la nature du titre qui leur sera remis et qui n’est pasencore défini. Il est absolument nécessaire qu’il s’agissed’un titre banalisé, car l’AME étant de facto réservéeaux irréguliers, le risque est grand que ces personnessoient identifiées comme sans papiers dès qu’elles au-ront besoin d’une consultation.

Six millions de personnes résidant régulièrement enFrance bénéficieront de la Couverture sociale uni-verselle. En pratique, la Couverture sociale univer-selle, apportera de nombreuses améliorations dans lavie quotidienne des personnes en situation de préca-rité :

La simplification des démarches et la fin desattentes.Les personnes démunies passent leur vie à attendre,pour un logement, des allocations, une carte santé...En instaurant l’immédiateté d’ouverture des droitsdans un guichet unique, celui de la Caisse Primaired’Assurance Maladie, et la simplification des docu-ments à présenter, la loi CMU devrait mettre fin à cesattentes interminables.

La possibilité de changer de lieu de résidenceLes personnes en situation de précarité sont en quelquesorte assignées à résidence. Tout changement de dé-partement implique le renouvellement de toutes les dé-marches. Le plafond de ressources autorisant l’ou-verture des droits n’étant pas le même selon lesdépartements, une personne qui avait droit à l’aide

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médicale peut en perdre le bénéfice en changeantde résidence. Ainsi l’histoire de Monsieur M, ancieningénieur électricien, actuellement sans domicile fixeet bénéficiaire de la carte Paris Santé. Après avoirtrouvé un hébergement à Colombes dans les Hauts-de-Seine, il lui faudra attendre quatre mois avantd’obtenir à nouveau le bénéfice de l’aide médicaleet ce, bien qu’il ait effectué toutes les démarches quilui étaient demandées. La loi CMU institue un ba-rème national pour l’ouverture des droits. Il suffiradonc à Monsieur M. de présenter son titre de béné-ficiaire à la CPAM de son nouveau domicile. Il n’yaura pas de nouvelle instruction du dossier, doncpas de rupture de droits.

La disparition d’un système spécifique pour les exclusDe ce point de vue également, l’inégalité entre lesdépartements est grande. Un certain nombre de dé-partements n’ont pas encore la carte santé et conti-nuent à distribuer de façon parcimonieuse des bonsou des étiquettes que les personnes doivent allerquémander chaque fois qu’elles ont besoin de soins.La carte santé elle-même est en quelque sorte unecarte de pauvreté qui peut susciter des réflexionshumiliantes dans certaines circonstances, à la phar-macie ou au secrétariat des consultations. Avec la CMUles personnes entrent dans le droit commun et peu-vent choisir, pour bénéficier de cette couverture com-plémentaire, de s’adresser à une mutuelle. Les per-sonnes seront des mutualistes à part entière etbénéficieront des actions de promotion de la santé,d’information et d’éducation menées par les mu-tuelles.

Une autonomisation pour les femmes et lesjeunes dès l’âge de seize ansActuellement, il arrive que des femmes se trouventdans des situations très difficiles au risque d’être in-capables de se faire soigner. C’est le cas de MadameB. qui se sépare de son mariavec lequel le dialogue est to-talement rompu. Elle démé-nage de Tourcoing à Roubaix.Son mari a gardé la carte d’as-surance maladie du ménage. Sanouvelle CPAM lui demandede nombreux documents qu’ellene sait où trouver, elle est dé-primée et n’effectue pas lesdémarches. Elle reste six moissans couverture maladie, jus-qu'à ce qu’une assistante sociale l’aide enfin à l’oc-casion d’une hospitalisation. Avec la loi CMU, MadameB. aurait disposé d’une carte d’assurance maladiepersonnelle. Sur simple présentation de celle-ci à sanouvelle CPAM, ses droits auraient été ouverts im-médiatement, la caisse se chargeant elle-même du trans-fert de son dossier. Peut-être, Madame B. ayant puse faire soigner à temps n’aurait-elle pas été hospi-talisée. La loi CMU prévoit aussi que les jeunes pour-ront, dès l’âge de 16 ans, obtenir une carte d’assu-rance maladie personnelle tout en restant ”ayantdroit”. Ainsi, ils pourront aller consulter sans être obli-gés d’en référer à leurs parents. C’est très important.Pensons en particulier aux jeunes filles qui pour-ront demander la prescription de la pilule ou se faire

examiner par un gynécologue sans être obligées d’eninformer au préalable leurs parents.

Un meilleur accès aux soins dentaires et d’oph-talmologieLes personnes pauvres ou très pauvres sont aujour-d’hui la plupart du temps dans l’incapacité absoluede se faire soigner les dents, d’acheter des lunettesde vue ou d’obtenir une prothèse auditive. C’est unhandicap important et un obstacle à l’emploi. L’absencede tout ou partie des dents crée des problèmes de santéplus généraux. Les troubles de la vision chez l’en-fant sont source de difficultés scolaires. Avec la CMU,qu’elles aient choisi d’être prises en charge par l’Etatvia les CPAM ou par une mutuelle ou un autre or-ganisme complémentaire, ces personnes pourrontsans doute bénéficier de meilleurs soins et obtenirles lunettes ou prothèses nécessaires. Il faut encoreattendre les décrets d’application pour mieux connaîtreles modalités exactes de cette prise en charge, maissi ceux-ci sont conformes à l’esprit du législateur, lesbénéficiaires pourront se faire soigner et obtenir desprothèses de qualité.

L’augmentation du nombre de bénéficiaires de2,6 à 6 millions de personnes.La loi CMU accorde une prise en charge à 100% àtoutes les personnes dont les ressources sont infé-rieures à un plafond qui sera de 3500 francs parmois pour une personne seule, avec des majorationsen fonction du nombre de personnes au foyer. Il estpar exemple de 6300 francs pour une jeune femmecélibataire avec deux enfants. Ce plafond est nette-ment supérieur à celui adopté actuellement par laplupart des départements ( beaucoup d’entre eux enétant restés au niveau du RMI). Il s’ensuit que lenombre de bénéficiaires d’une prise en charge à100% augmente de façon très importante, jusqu'àsix millions de personnes.Cependant, un effet de seuil persiste, même si quelques

mesures devraient tendre àl’atténuer. Les personnes ayantchoisi d’être prises en chargepar une mutuelle ou un autreorganisme complémentairepourront bénéficier pendantun an d’une prolongation deleur contrat moyennant unecotisation minorée. Un fondsde solidarité, alimenté facul-tativement par les organismesde la complémentaire, doit per-

mettre à ceux-ci de prendre des mesures tendant àdiminuer cet effet de seuil. Le tiers payant, dont onpeut regretter qu’il ne soit réservé qu’aux seuls bé-néficiaires de la CMU, est sans aucun doute une me-sure qui aidera de nombreuses personnes incapablesde faire l’avance de frais pour une consultation oupour l’achat de médicaments.L’hospitalisation est trop souvent à l’origine de pro-blèmes financiers insurmontables pour les personnesà faibles revenus. L’histoire de cette jeune femme estédifiante. Mère de deux enfants, elle bénéficiait duRMI et à ce titre de l’aide médicale. Elle trouve unemploi à temps partiel lui assurant un revenu de5000 francs par mois, et perd par conséquent le bénéfice de l’aide médicale. Ses revenus sont

Pour les 6 millions de personnes quibénéficieront de la CMU, les mesurestechniques ne suffiront pasà améliorer l’accès à la prévention, à la santé et aux soins. Il faut créer un choc dans les esprits.

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cependant insuffisants pour payer une cotisation demutuelle. Suite à une crise d’asthme grave, l’un deses enfants est hospitalisé en réanimation pendantquatre jours. Elle reçoit une facture de l’hôpital d’unmontant de 4000 francs sur laquelle elle n’obtient au-cune remise. Si la loi CMU était appliquée, elle seraiten dessous du plafond de ressources et n’aurait doncrien à payer, tous les frais, y compris le forfait hos-pitalier étant pris en charge. Si par la suite elle trou-vait un travail à temps complet, elle pourrait prolon-ger son contrat mutualiste pendant un an, le tempsnécessaire pour éponger ses dettes et pouvoir ulté-rieurement payer sa cotisation mutualiste.

A elles seules, ces mesures techniques ne suffirontcertainement pas à améliorer l’accès à la prévention,à la santé et aux soins des personnes les plus dému-nies. Rien ne se fera sans l’engagement et l’implica-tion conjointe de tous les acteurs impliqués, personnesen contact direct ou indirect avec les plus démunismais aussi décideurs. La loi implique de nouveauxpartenaires : les mutuelles, les assurances, les orga-nismes de prévoyance, les caisses primaires qui aurontun rôle majeur dans l’ouverture des droits tant à l’as-surance maladie de base qu’à la couverture complé-mentaire. Les centres communaux d’action sociale au-ront un nouveau rôle à jouer : déchargés d’une partiede l’établissement des dossiers, ils devront concentrerleurs efforts sur l’accompagnement personnalisé despersonnes. Il faut espérer que le fait même que deux

lois aient été successivement promulguées créera unchoc dans les esprits des acteurs concernés, donnantune dimension citoyenne à leur engagement.Il est donc indispensable que ces nouveaux acteursreçoivent une formation complémentaire. Avec l’ex-tension des bénéficiaires de l’aide médicale à six mil-lions de personnes, c’est tout un public nouveau quis’adressera pour une ouverture des droits aux gui-chets de la CPAM et devra être éventuellement pris encharge par les mutuelles et les assurances. Il est né-cessaire que les responsables et les employés de cesorganismes apprennent à connaître ce public et à tra-vailler en partenariat avec lui. Chaque acteur doitcomprendre ce qu’est le vécu des personnes en pré-carité ou en grande pauvreté pour établir avec ellesun véritable dialogue.La loi d’orientation contre les exclusions et la loi surla Couverture sociale universelle étaient absolumentnécessaires pour que cesse l’injustice qui ne permet pasà toute une partie de la population d’accéder norma-lement à la prévention et aux soins de santé. Mais leslois ne sont pas suffisantes et il est nécessaire que semanifeste un véritable engagement civique autour dece défi : assurer à tous le droit à la santé.

* Mouvement ATD Quart Monde, secrétariat santé

1 - in Le croisement des savoirs. Les Editions de l’Atelier/Editions ouvrières, Les Editions Quart Monde, Paris, 1999

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L’Afrique noire n’est pas un pays. C’estune mosaïque de peuples et de cul-tures aussi variée que sur n’importequel autre continent du monde. PourAmadou Hampaté Ba, le grand sage afri-cain, " il n’y a pas une Afrique, il n’ya pas un homme africain, il n’y a pasune tradition africaine valable pourtoutes les régions et toutes les ethnies".L'immigration africaine est relativementrécente et mal connue en France.L’immigration de l’Afrique de l’ouestest la plus ancienne et la plus nom-breuse. Elle provient de la région dufleuve Sénégal (Mali, Mauritanie,Sénégal ). C’est une immigration es-sentiellement d’origine rurale, islami-sée et très peu scolarisée. C’est au seinde cette communauté que l’on retrouveles ménages polygames (ethnie mandésurtout) et la pratique de l’excision(ethnie soninké). Les ressortissants del’Afrique de l’ouest occupent généra-lement des emplois très peu qualifiés,ils ont conservé le sens et la dignitédes traditions africaines qui s’expri-ment par exemple à travers leurs tenuesvestimentaires. Cette authenticité peutêtre attribuée à l’islam qui a joué unrôle conservateur pour les cultures afri-caines. L’immigration d’Afrique cen-trale concerne surtout les ressortissantsdu Cameroun, du Congo, et du Zaïre.C’est une immigration d’origine ur-

baine, scolarisée et majoritairementchrétienne. L’organisation sociale deces immigrés se rapproche du modèlenucléaire des familles occidentales,forme d’acculturation probablementdue au processus de christianisationqui a eu lieu dans leur pays d’origine.Au delà de cette diversité, il existe destraits généraux de la culture africaineque le poète sénégalais Léopold SédarSenghor qualifia autrefois sous le termede négritude et que l’on peut définircomme l’ensemble des valeurs de ci-vilisation communes aux négro-afri-cains. Il s’agit entre autres de l’espritcommunautaire qui entraîne une soli-darité entre les membres d’une mêmefamille, de la parenté ou famille élar-gie qui s’étend à tous ceux qui fré-quentent la même maison, du rapportau corps qui est libre de toute contraintemorale. Contrairement à la notion oc-cidentale du temps fini, les Africainsont une conception élastique du temps,qui est infini et que l’on a toujours de-vant soi . La culture africaine est parailleurs caractérisée par l’oralité, lesgens se parlent et ne cessent pas de separler, c’est la palabre africaine, et laredondance ne gêne personne. Enfinles familles africaines sont organiséesautour des hommes qui tiennent leurpouvoir du droit d’aînesse, les femmeset les enfants étant considérés commedes cadets sociaux dont les rôles ne

sont pourtant pas négligeables dans lasociété. Toutes ces valeurs sont essen-tielles pour comprendre dans quel sys-tème s’intègrent l’alimentation et lesrites afférents.

Que mange-t-on ?

L’alimentation varie en fonction desrégions et des saisons selon deux grandesaires géographiques : la zone sahé-lienne d’Afrique de l’ouest et la zoneforestière d’Afrique centrale. A l’inté-rieur de ces zones il faut différencierl’alimentation des populations de lacôte (pécheurs) et de la forêt et savane(chasseurs), et celle des populations deszones urbaines et des zones rurales.Les populations de la côte se nourris-sent surtout de poisson, celles de lazone sahélienne et de la savane deviande. Les populations forestières senourrissent surtout de tubercules, ma-nioc, ignames, etc. .... et celles de lasavane en Afrique de l’ouest de cé-réales, mil, fonio, sorgho et de riz. Lesfruits ne font pas partie de l’alimenta-tion quotidienne, ils sont considéréscomme des friandises pour les enfants.En règle générale et quelle que soit lazone, la structure des plats est iden-tique avec une base qui constitue ”le lourd pour caler le ventre” (riz ,mil, huile ou tubercule), une sauce (oi-gnons tomates feuilles pâte d’arachides),

SANTE ET SOCIAL

Ce que manger veut dire, une approche de l’alimentation dans les cultures africainesparFerdinand EZEMBE*

Alors qu’il y a des plateaux pour chacun, pourquoi les femmes africaines préfèrent mangerensemble dans le même plat ? Quand des repas sont servis à heures fixes, pourquoi préfèrent-elles faire la cuisine dans leur chambre ? Il y a des couverts, pourquoi ces femmes préfèrentmanger avec les doigts ? Ces questions récurrentes des équipes des structures d’accueil desfamilles africaines nous conduisent à réfléchir sur le système de valeurs de civilisation des sociétés africaines dans lequel s’intègrent l’alimentation et les rites afférents.

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des légumes (manioc , carottes , choux,etc.), le poisson ou la viande .

En France le régime alimentaire estmodifié, les africains se nourrissentde substituts, ainsi les épinards vontremplacer les feuilles de légumes dansles sauces aux arachides, la semoulede blé remplace la farine de manioctraditionnel (foufou). Bien qu’il existeen région parisienne des marchés pro-posant des produits africains, ceux-cidemeurent encore chers et leur pré-paration longue. Les africains se conten-tent d’un plat du pays une fois par semaine, à l’occasion des fêtes, ou del’arrivée du pays d’origine d’un membrede la famille. A l’origine de la mal-nutrition dans certainesfamilles africaines, onconstate une surconsom-mation de sucre chez lesenfants, probablement dûeau fait que son coût n’estpas élevé, ce qui n’est pasle cas dans le pays d’ori-gine. L’alimentation, à basede riz et d’huile, est sou-vent monotone dans cer-taines familles où le marifait des courses avec unsouci d’économie, contrai-rement aux traditions dupays d’origine où cette ac-tivité est réservée aux femmes.

Les interdits alimentaires sont de plu-sieurs ordres, religieux, sociaux oupersonnels. Les interdits personnelssont ceux pris par l’individu lui même,pour sa santé (comprise ici dans unsens cosmologique, biologique et so-ciologique). Ainsi telle personne évi-tera de manger tel produit sur la re-commandation d’un guérisseur pourse protéger de l’action maléfique dessorciers. Les interdits sociaux relèventde la mythologie du clan, les membresde telle famille ne devraient pas man-ger tel animal considéré comme untotem fondateur du clan. Ainsi lesBetis du Cameroun évitent de man-ger la viande du python qui auraitaidé leurs ancêtres à traverser le fleuvelors de leur exode, pour échapper àleurs agresseurs. Les interdits de lafemme enceinte sont plus connus; onlui recommande de ne pas consom-mer les produits pouvant nuire paranalogie ou isomorphisme à l’esthétiquedu futur enfant. Ainsi évitera-t-elleles oeufs pour que l’enfant n’ait pasle crâne chauve, les fruits à la peau gra-nulée comme l’avocat afin que l’en-fant n’ait pas une peau granulée rap-pelant l’eczéma, etc ... Il leur est parcontre recommandé de manger les pro-

duits gluants qui sont sensés bien faireglisser l’enfant, lors de l’accouche-ment.

Quand, avec qui et commentmange-t-on ?

Les africains ne mangent pas à heuresfixes (rapport au temps infini). En zonerurale on consomme les plats de laveille avant d’aller au champ, et legrand repas a lieu vers 16 heures, aumoment où les femmes reviennent deschamps. En zone urbaine, il y a troisrepas, un petit déjeuner à base de painet de margarine, un repas à midi et lesoir un repas plus léger. Cette classi-fication est variable, en général dans

les familles pauvres on secontente d’un repas quo-tidien.Parmi d’autres critères, onconsidère ceux qui man-gent ensemble commemembres de la famille. Engénéral, un plat communest disposé au centre dela pièce, tout le mondeplonge la main dans lemême plat, en signe decommunion. La personnela plus âgée se charge dedistribuer les morceauxde viande ou de poisson,

et on mange devant soi. Manger de-hors ou la porte ouverte est un signed’ouverture et une invitation au par-tage. Dans les campagnes du SudCameroun on accrochait un régime debananes devant les maisons pour queles passants qui venaient de loin puis-sent s’alimenter, en l’absence des ha-bitants partis travailler dans les champs.Pour avoir un rapport non médiatiséavec les aliments, on mange avec lamain, ce qui nous renvoie au rapportau corps, il faut sentir dans les deuxsens (sensation et odeur), ce qu’onmange. L’hôte qui reçoit organise toutle repas, il est mal venu d’apporter sacontribution. Par contre il est recom-mandé de terminer son plat, ce quiest la preuve que l’on apprécie ce quinous est offert. Traditionnellement, lamaîtresse de maison attend que lesinvités aient fini de manger avant dese servir. Refuser de manger est uneoffense à la famille, il convient de seservir un peu et d’exprimer sa grati-tude à la personne qui invite.

Chaque pays a son plat national, quiest en même temps sa fierté. LesSénégalais offrent le Thieboudienne(riz au poisson avec des légumes ) ouencore le poulet Yassa (mariné avecdu citron , des oignons et de la mou-

tarde). Au Burkina fasso c’est le Tôsauce à base de gombo , au Camerounle Ndolé (feuilles amères avec des ara-chides ), au Zaïre le Chikwangue (painde manioc) avec le saka saka (feuillesde manioc salées) agrémenté de pois-sons séchés. En Côte d’Ivoire on vousparlera des Alloko (bananes plantainsfrites). La plupart des plats sont épi-cés, les femmes utilisent beaucoup d’in-grédients, mais leur préparation estlongue et difficile en milieu urbain,d’où le succès de l’arôme maggi (cubede bouillon) encore appelé corrige ma-dame, agrémenté à toutes les sauces.Le poulet est l’une des viandes qui sus-citent le plus d’imagination chez lesconsommateurs, d’où les nombreuxnoms qui lui sont donnés, ainsi celuide la ferme sera appelé poulet bicy-clette au Burkina Faso. Au Camerounon parlera du Poulet télévision, parcequ’il est rôti dans un four avec écran,au Congo " le cadavre d’Adula " dé-signe les poulets congelés d’Europeimportés par le défunt homme d’af-faire et politicien Adula .

Que veut dire manger ? Nous dironsqu’il ne s’agit pas seulement de s’ali-menter mais aussi créer la parenté.C’est pourquoi il n’y a pas de fast foodpuisqu’on a le temps devant soi, on ades gargotes ou des maquis, où onvient manger, apprécier les bières lo-cales, discuter et offrir aux autres encommentant les dernières nouvelles(tradition orale), car chez les africainsaussi, la main qui donne est plus heu-reuse que celle qui reçoit.

* Psychosociologue, Afrique Conseil, Paris

Indications bibliographiques- L’Afrique côté cuisine : regards africains

sur l’alimentation. Fondation pour le progrèsde l’homme, Syfia , Syros , 1994 . - La callipédie ou l’art d’avoir de beaux en-fants en Afrique Noire. Ewombé -Moundo E.in S Lallemand , O Journet , et col ParisGrossesse et petite enfance en Afrique noireet à Madagascar .x, L’Harmattan , 1991 .- Toujours africains et déjà français ; la so-cialisation des migrants à travers leur ali-mentation . E. Calvo . Politique Africaine , n°67 , la France et les migrants africains ,Khartala , octobre 1997 . - Adaptation et ethnicité Togolaise ; exempledes pratiques et consommations alimentairesà Paris . Cahiers d’anthropologie et biomé-trie humaine , 1995 , XIII , n°3-4 ,

Un plat communest disposé aucentre de lapièce. Tout lemonde plonge la main dans le même plat, en signe decommunion.

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Les premières vagues de migra-tions kurdes vers la France remontent aux années 1965-1970. Ils’agit alors de travailleurs originairesde Turquie arrivés dans le cadre desaccords bilatéraux conclus entre laFrance et la Turquie en 1965. A cettevague d'immigrés se sont ajoutés desgroupes successifs de réfugiés poli-tiques venus de Turquie, d'Irak, d'Iranet de Syrie. Le déclenchement de laguérilla du Parti des travailleurs duKurdistan (PKK) à partir de 1984, suivide la destruction des villages par l’ar-mée turque, la guerre irano-irakienne(1980-1988), les bombardements chi-miques au Kurdistan irakien (1988-1989), l'écrasement des révoltes de lapopulation irakienne en 1991 après laguerre du Koweït, déplacent aussi denombreuses familles kurdes vers l'étran-ger. La part des Kurdes en exil enFrance ne cesse d'augmenter. Selonl’institut kurde de Paris, sur les 110 000kurdes vivant actuellement en France,80% sont originaires de Turquie dontenviron 15 000 sont réfugiés politiques.Les 20 % restant sont originaires d'Irak,d'Iran et de Syrie1 . Si près d'un tiersde ces Kurdes résident en région pari-sienne, des communautés sont égale-ment présentes en Alsace, en Normandie,dans le Nord et dans le Massif central.Les kurdes sont surtout représentésdans les secteurs du bâtiment (45%),de la construction automobile et despièces détachées (20%), de la confec

tion (15%), des activités agricoles (10%),du commerce et de la restauration (5%).Les activités commerciales, de confec-tion et de restauration employant desKurdes sont concentrées dans la ré-gion parisienne, tandis que les Kurdessont présents dans le secteur de laconstruction surtout en Normandie etde l'industrie forestière dans les ré-gions du Centre2.

Comment ces Kurdes se sont-ils adap-tés à la société française ? Une étudegénérale de l’intégration de toutes lespopulations kurdes est une tâche dif-ficile. Elle nécessiterait des recherchesapprofondies sur les différentes géné-rations de migrants qui se sont succé-dées depuis plus de 20 ans. En effetles motifs de départ, les conditions del’accueil en France, la situation fami-liale, le niveau socio-culturel, l’âge,ont une forte influence sur les modesd’adaptation à la société française. Lesréfugiés kurdes irakiens, rescapés desbombardements chimiques en Irakconstituent un des exemples d’inté-gration des Kurdes en France. Deuxtraits caractérisent ces réfugiés. D’unepart ils sont arrivés ensemble dans un cadre organisé par le gouvernementfrançais, d’autre part ils sont compo-sés de familles nombreuses, issues dansleur majorité du milieu rural. Le choixde familles nombreuses par les auto-rités françaises s’explique par la vo-lonté de venir en aide aux enfants, les

plus menacés par les maladies, et defaciliter l’intégration des familles parle biais de leurs enfants, considéréscomme ayant une capacité d’adaptationplus forte.

Un exemple d’intégration : Lecas des réfugiés kurdes irakiens.

Ces familles vivaient depuis un an enTurquie sous des tentes entourées debarbelés, dans des conditions précaires.A la suite de la visite de Mme Mitterranddans ces camps en avril 1989, la Francedécide de les accueillir sur son sol.Entre août et avril 1991, 76 familles(environ 600 personnes) arrivent enFrance dans le cadre d’un programmed’accueil. Un dispositif d’accueil et d’in-sertion est mis en place pour faciliterleur intégration. Après avoir vécuquelques mois dans les centres provi-soires d’hébergement, les familles sontorientées vers différentes villes. Malgréla dispersion initiale, jugée utile pourleur intégration, la plupart ont préférépar la suite se déplacer vers des ré-gions où se trouvaient leurs proches.Ainsi, la majorité des familles viventaujourd’hui au Sud d‘une ligne allantde Clermont-Ferrand à St-Giron enpassant par Albi, Montauban, Bordeaux,Angoulême. C’est au travers de leurs pra-tiques quotidiennes de logement, decuisine et d’habillement (durant les an-nées 1990-1998) que nous avons étu-dié leur intégration en France.

SANTE ET SOCIAL

Les réfugiés kurdes en France :Intégration et modes de vie

Par Shirin Mohseni *

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Ces pratiques mettent en évidence lesmanières dont les réfugiés s’adaptent àdeux espaces de vie différents et mon-trent comment ils arrivent à aménageret à concilier les deux modèles cultu-rels, d’un côté leur culture et leursnormes traditionnelles et de l’autre laculture et les normes modernes de lasociété d’accueil.

Le rôle de la communauté dans le main-tien et la perpétuation des traditionsn’est pas négligeable : les mariages entrekurdes, soigneusement organisés, ensont une des manifestations les plusmanifestes. Parallèlement c’est grâce àla communauté et à l’entraide entre cesmembres que beaucoup de familles réfugiées ont pu vaincre les difficultésde l’exil, trouver un travail, un loge-ment et surmonter desproblèmes financiers.Contrairement, donc, àl’idée reçue selon la-quelle vivre en collec-tivité pourrait nuire àl’intégration des familles,cet aspect collectif deleur vie a évité l’isole-ment et la marginali-sation des familles lesplus démunies. Cela aégalement entraîné unecertaine concurrence ouune émulation : acqui-sition d'appareils élec-troménagers, achat d'une voiture, etc. ,deviennent les signes valorisés de laréussite sociale. La communauté jouedonc un rôle ambivalent dans l’inté-gration : elle exerce sur ses membresdes contraintes en vue de perpétuer lestraditions kurdes, et les encourage àparticiper au système de consommationde la société française entraînant ainsides changements dans les modes de vie.L’accueil que les réfugiés ont reçu à leurarrivée a joué un rôle important dans lesrelations avec leur entourage.Reconnaissants de leur accueil, ils évo-quent en contrepartie le respect qu’ils doi-vent aux coutumes françaises.Parallèlement, ils essaient de valoriserleur propre image en affichant leur in-tégration à la société française. Le soucide ne pas "paraître étrange " a pousséles réfugiés à modifier rapidement leséléments de leur culture qui s’expo-saient à l’extérieur et les distinguaient.C’est le cas des habitudes vestimen-taires qui changent assez rapidementchez la majorité d’entre eux. Par contreles comportements alimentaires, commetout ce qui est protégé par l’espace in-térieur, et qui sont donc moins visibleschangent plus lentement.

Adaptation et identité

Ces changements n'aboutissent cepen-dant pas à une adoption totale desnormes de la société d’accueil. Parexemple en s’habillant à l’européenne,les Kurdes se distinguent toujours desFrançais par leur manière de porter lesvêtements et par le choix des formeset des couleurs. En d’autres termes, enempruntant un élément culturel nou-veau, les réfugiés l’ont remanié ou re-touché selon le modèle de leur culture."Ample, large, long, flottant" devien-nent pour les réfugiés des traits carac-téristiques des "vêtements kurdes" qu'ilsopposent aux "serré, étroit, court, mou-lant" qualifiant les "vêtements fran-çais". Ces changements évoquent lastratégie menée par l’étranger pour se

montrer intégré auxyeux de l’autre, touten préservant dis-crètement son iden-tité en s’attachantà des normes quisont a priori invi-sibles pour l’autre.

Ces changements nese réalisent pas demanière homogènemais sous une formedifférenciée suivantl’âge, le sexe, la si-tuation sociale et

leur statut dans la communauté des ré-fugiés concernés. Les différenciationssont plus marquées encore entre lesgénérations. Les jeunes souhaitent se rap-procher des Français de leur âge et sedifférencient de plus en plus de leursparents. Cependant cette attirance en-vers le "nouveau monde" ne les conduitpas à renier forcément leur identitéd’origine. On remarque souvent quedes adolescents qui préféraient parlerle français à la maison changent d’at-titude, lorsqu’ils ont fondés eux-mêmesune famille, et emploient le kurde avecleurs propres enfants. Ainsi, ces jeunesmalgré les changements qu’ils souhai-tent apporter à leurs traditions, se sen-tent encore liés à leur culture d’ori-gine. Leur attachement à la sociétéfrançaise n’en est pas moins grand. LaFrance est le pays où ils vont vivre lerestant de leur vie. La plupart pensententamer une procédure de naturalisa-tion, certains l’ont déjà fait et sont de-venus Français. Comme disaient cesjeunes kurdes : ils sont devenusdes ”Kurdes de France”. Ce sentimentest aussi perceptible chez les jeunesKurdes originaires de Turquie, d’Iranou de Syrie. Le regroupement familial

accéléré par la détérioration de la si-tuation politique au Kurdistan et l’ar-rivée des réfugiés politiques ont changéle schéma de l’immigration kurde. D’unepart les travailleurs kurdes qui étaientarrivés seuls dans le but de rentrer aupays dès qu’ils auraient constitué unpécule, ont abandonné, une fois re-joins par leur famille, le projet initialde retour. D’autre part la diaspora kurdedevient plus politisée et affiche de plusen plus son identité kurde. Cette si-tuation a influencé les modalités d’in-tégration des familles kurdes.

L'étude de la vie quotidienne des famillessouligne la complexité du processusd'intégration à la société d'accueil. Ladualité est partout présente : la com-munauté aide et freine à la fois l'inté-gration, les habitudes vestimentairess'occidentalisent tout en conservantune touche kurde... Les réfugiés mon-trent ainsi que malgré les emprunts, ilsse distinguent de la société d'accueilen affichant les particularités dans leursmodes de vie. De même, lorsqu'ils ontl’occasion de rentrer au Kurdistan, ilsaffichent leur "distinction". L’intégrationdes réfugiés donne-t-elle naissance à unenouvelle identité ou porte-t-elle en ellele germe d’une double appartenance ?Il est sans doute encore trop tôt pourrépondre à cette question, les modesde vie des réfugiés ne cessent d’évoluer.

* Chercheur en ethnographie

1 - Source Institut kurde de Paris. Ces estimationsdatent de 1998. Evaluer le nombre des Kurdesreste une tâche assez difficile, car cette iden-tité ne figure sur aucun des documents offi-ciels dont dispose les Kurdes. Malgré la men-tion de l’origine kurde sur la carte de résidentdepuis quelques années par l’OFPRA, estimerleur nombre reste une tâche difficile. Leschiffres varient considérablement selon lessources (60 000 à 110 000).2 - BOZARSLAN, 1998, "Le groupe kurde",Hommes et Migrations, n°1212, p. 26

La communauté joue un rôle ambivalent de perpétuation des traditions, etd’encouragement à l’intégration à la société française, moyen de valorisation de sa propre image.

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l’enfance et l’exil" On est de son pays comme on est de son enfance ", dit le poète. Faut-il encore avoir conservéle premier pour pouvoir préserver la seconde. Enfances pillées, saccagées dans des guerres tribales,ethniques et des conflits que la communauté internationale se révèle incapable de juguler. La pho-tographie est hélas assez connue. Ce qui l’est moins, c’est le nombre de ces jeunes qui arrivent chaqueannée sur notre territoire et le sort qui leur est réservé. Un chiffre, un seul, devrait suffire à fairenaître de profondes inquiétudes : plus de trois cent trente mineurs isolés demandeurs d’asile, parmilesquels une majorité de filles, ont été enregistrés par la Police de l’air et des frontières en 1998. Ace chiffre, il faut ajouter ceux qui sont parvenus à entrer sur le territoire sans aucun contrôle. Et pour-tant, moins de deux cent vingt (majoritairement des garçons) se sont présentés à l’Office français deprotection des réfugiés et des apatrides pour y déposer une demande d’asile. Seules les filières cri-minelles doivent savoir où se trouvent les personnes manquantes.

La France ne pouvait ignorer plus longtemps la situation dramatique de ces jeunes adolescents.Il faut dire que cela fait " seulement " dix-sept ans que France Terre d’Asile pose de manière récur-rente cette problématique. Déjà, le 13 octobre 1982, Sylviane de WANGEN, alors directrice de FranceTerre d’Asile, interpellait le secrétaire d’Etat AUTIN pour lui dire que le problème de la responsabi-lité juridique dans l’accueil des mineurs isolés en provenance du Sud Est asiatique et résidant dansdes centres de transit, en particulier celui de Créteil, n’était pas résolu, ce centre n’étant pas équipépour assumer une telle responsabilité. En novembre 1997, trente mineurs isolés demandeurs d’asilerésidaient pourtant à Créteil avec l’accord de l’Etat.

Certains nous disent que depuis la loi du 1er janvier 1984 et la décentralisation, il appartient auprésident du Conseil général de mettre en œuvre les mesures adaptées au besoin de protection desmineurs et d’assurer leur surveillance. Certes. Sur cette base, les mêmes considèrent que les textessont alors suffisants pour protéger les mineurs quelle que soit leur origine. L’idéologie a parfois desinconvénients. Lorsque la loi est défaillante, il faut soit la modifier, soit la compléter. L’urgence ab-solue ne saurait trouver une réponse dans le recours au tribunal administratif. La réalité que ren-contre l’ensemble des acteurs de terrain concernant les jeunes demandeurs d’asile isolés est que nousnous trouvons face à une protection juridique complexe, une protection sociale inadaptée, des conflitsde compétences, l’indifférence, la défaillance de la puissance publique… Mais quelle que soit la qua-lification de ce délit pour non assistance à adolescent en danger, il devenait urgent pour notre paysde se mettre enfin en conformité avec les textes internationaux que nous avons signés et avec lesdiscours que nous savons si bien produire sur la protection de l’enfance.

Ce n’est pas le moindre des mérites du ministre de la Solidarité et de l’Emploi, Martine AUBRY, deses services, en particulier la direction de la Population et des Migrations, que d’avoir compris cela etd’avoir pris l’engagement de créer à titre expérimental une structure d’accueil et d’orientation pourles jeunes adolescents isolés demandeurs d’asile, suivant ainsi l’avis de la Commission nationale desDroits de l’Homme du 3 juillet 1998. Cette structure, après bien des tracas, voit enfin le jour. Elle estcomplémentaire, dans notre esprit, de l’action menée par l’Aide sociale à l’enfance. Il reste cependantà en convaincre quelques irréductibles. Mais notre opiniâtreté, notre détermination sur ce point estsans borne. Pour autant, tout ne sera pas résolu. Il reste à moderniser la méthode d’évaluation del’âge, en respectant la dignité des personnes et en rendant fiable l’expertise. Il reste à effacer les conflitsde compétences et les querelles budgétaires, il reste à travailler ensemble pour le bien de ces adoles-cents. Ces jeunes se trouvent à proximité de nous. Cela nous oblige. Sinon, quelle validité peut avoirnotre discours sur les conditions inhumaines dans lesquelles vivent nombre d’enfants dans les paysen développement ?

Espérer construire un futur pour ces jeunes qui arrivent dans des conditions d’extrême détresseet de précarité sur notre territoire, pour qu’ils n’aient pas un jour la tentation de décliner leur viepar la négative : voilà une cause qui devrait mobiliser bien des énergies.

Pierre HENRY,Directeur de France Terre d’Asile

septembre 1999

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18PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Parmi les personnes persécutées ou craignant de l’être du fait de leurrace, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques et qui viennent demander asile en France, il y a des mineurs isolés. Ils arrivent en France seuls, accompagnés par un membre de leur famille ou confiés à un tiers, vague cousin, ami ou simple compatriote. Les difficultés qu’ils rencontrent sont considérables pour accéderau territoire et à la procédure de reconnaissance de la qualité de réfugié, faire reconnaître leur identité et leur minorité, trouver une priseen charge et accéder à une représentation juridique. La reconnaissance de la qualité de réfugié est pour eux un parcours semé d’embûches.

Majeurs pour les uns, mineurspour les autres, les deman-deurs d’asile mineurs isolésdans l’impasse,François Julien-Laferrière, Vice-Président de France Terre d'Asile

Les termes demandeursd'asile mineurs isolés sontcaractéristiques de la diffi-culté d'appréhension d'ungrand nombre de phéno-mènes contemporains : lacatégorisation des situationsjuridiques et la combinaison,chez un même individu, del'appartenance à plusieurscatégories dont chacune estsoumise à un régime juri-dique distinct. Le demandeurd'asile mineur isolé est, avanttout, un étranger et sera tou-jours traité comme tel ; il estmineur, donc incapable ci-vilement ; il est isolé, nonaccompagné, d’où l’abandon,la solitude, l’absence de re-présentant " naturel " et lebesoin d’une protection éta-tique de substitution ; enfin,il est demandeur d'asile,marqué par le traumatisme,la rupture, la fuite, l’exil.Chacun de ces aspects est ap-préhendé en tant que tel parle droit : droit des étrangers,

qui conditionne l'entrée enFrance, droit des mineurs,qui prend en compte l’inca-pacité due à leur jeune âge,droit d'asile et droit des ré-fugiés, qui permet aux étran-gers privés de la protectionde leur pays d'obtenir dupays d'accueil une protec-tion de substitution. Aux difficultés liées à lacombinaison des catégoriesjuridiques s’ajoute celle dela détermination de l’âge quiconditionne l’accès effectifà la protection dont les de-mandeurs d’asile mineursisolés ont besoin. Utiliséescomme mode de preuve, lesconclusions tirées de l’ex-pertise osseuse sont parfoisun moyen d’éluder les pro-blèmes liés au statut de mi-neur et de faire de l'intéresséun étranger majeur en si-tuation irrégulière. Le mi-neur déclaré majeur perd lebénéfice de tous ses droitsen tant que mineur. Il estsoumis au droit commun etaccueilli dans des structuresqui ne sont pas adaptées àla spcificité de son cas. S'il déclare cependant à I'OF-PRA avoir entre 16 et 18 ans,l'Office, prenant en compteses déclarations, et non les

résultats de l'expertise os-seuse pratiquée postérieure-ment, le considère commemineur. L'OFPRA enregistredonc sa demande, l'audi-tionne et peut prendre unedécision à son égard – surce plan, il le traite commeun majeur -, mais il ne peutla lui notifier puisque l'inté-ressé, selon son âge déclaréet retenu par l'OFPRA, estmineur. Il faut donc que soitorganisée une tutelle, maiscelle-ci n'est en pratique ja-mais obtenue puisque l'au-torité judiciaire, à l'initiativede laquelle l'expertise os-seuse a été pratiquée, leconsidère comme majeur. Majeur pour les uns, mineurpour les autres, le deman-deur d’asile mineur isolé nepeut bénéficier d'une pro-tection efficace (ni la tutelle,que le juge refusera, ni lestatut de réfugié, quel'OFPRA ne peut notifier). Ilpeut même être reconduit àla frontière puisqu'il estconsidéré comme majeur parles autorités de police.Les nombreux problèmes po-sés par les demandeursd'asile mineurs isolés nepourront trouver de solution– ou, au moins, de début desolution - que si, au lieu deparcelliser leur statut en lesrattachant, selon les ques-tions posées, à diverses ca-tégories juridiques préexis-

tantes, la spécificité de leursituation est reconnue glo-balement et conduit à la dé-finition d’un régime unique,distinct des catégories exis-tantes quant à l’admissionsur le territoire et la repré-sentation juridique, quant àl’accueil et l’accompagne-ment social et psycholo-gique, quant à l’examen dela demande de reconnais-sance du statut de réfugié.

Selon les statistique du Ministère de l’intérieur,332 demandeurs d’asile se sont déclarés mineurs àla frontière en 1998 (ils étaient 122 en 1997). 32%avaient moins de 16 ans. 82% ont été admis sur leterritoire. 18 nationalités étaient représentées dontles Rwandais, Sierra Léonais, Sri lankais et Nigérians.

" Les Etats partiesprennent les mesures ap-propriées pour qu’un en-fant qui cherche à obte-nir le statut de réfugié ouqui est considéré commeréfugié […] bénéficie dela protection et de l’as-sistance humanitaire vou-lue […].[…] Lorsque ni le père,ni la mère, ni aucun autremembre de la famille nepeut être retrouvé, l’en-fant se voit accorder lamême protection que toutautre enfant définitive-ment ou temporairementprivé de son milieu fa-milial pour quelque rai-son que ce soit. "C o n v e n t i o nInternationale sur lesdroits de l’enfant – 1989,article 22

En 1998, environ 220 mineurs isolés ont déposé une demanded’asile à l’OFPRA*. Répartition par nationalités :Sri-Lankaise 59 Angolaise 6Roumaine 23 Bouthanais 6Ex-Zaïre 21 Chinoise 5Rwandaise 16 Congolaise 5Turque 14 Libérienne 4Sierra Leone 11 Soudanaise 4Cambodgienne 9 Nigériane 3Pakistanaise 9 Equateur 3Indienne 7 Autres 8Yougoslave 7*Demandeurs d’asile mineurs isolés suivis par FTDA et signaléspar l’OFPRA au SSAE.

HCR/A. Hollmann

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19PROASILE la revue de France Terre d’Asile

"Les demandeurs d’asile peu-vent, qu’ils soient mineursou majeurs, être placés enzone d’attente",Jean-Marie DELARUE, Directeurdes Libertés Publiques et desAffaires Juridiques au Ministère de l'Intérieur

« L’entrée des étrangers enFrance est soumise à une réglementation qui impliquenotamment la présentation dedocuments de voyage. Les de-mandeurs d’asile qui se pré-sentent à la frontière sansdocument de voyage peu-vent, qu’ils soient majeursou mineurs, être placés en

zone d’attente jusqu’à ce quesoit prise la décision ou biende les admettre, ou bien derefuser leur admission si lademande d’asile paraît manifestement infondée auministre de l’Intérieur. Audelà de quatre puis de douzejours, la prolongation du main-tien en zone d’attente supposeune décision du juge judi-ciaire. C’est là qu’intervientle problème de la capacitéd’ester en justice qui n’est pas reconnue aux mineurs, notamment aux mineurs iso-lés. Faute de parents, il fau-drait que le juge des tutellesdésigne une personne capablede le représenter. Dans la pra-tique, malgré quelques erre-ments de la jurisprudence ju-diciaire sur ce point, le Tribunalde Grande Instance de Bobignyet la Cour d’appel tendent àconsidérer dans la grande majorité des cas que la demande présentée de pro-longation de rétention est irrecevable puisque elle metcomme partie au procès unepersonne incapable civilement.Cela conduit à un refus deprolongation du maintien enzone d’attente et à l’octroid’un sauf-conduit qui permetau mineur d’entrer sur le ter-ritoire. Mais il est vrai quece n’est pas une jurisprudencetrès stable et qu’il y a des décisions en sens contraire

qui autorisent le maintien desmineurs en zone d’attente. Sile ministère de l'Intérieurconsidère que la demandedu mineur maintenu en zoned’attente est manifestementinfondée, le mineur est reconduit en avion vers lepays d’où il provient sauf s’ilest dépourvu de documents etque personne ne peut établirson origine, auquel cas il estadmis sur le territoire fran-çais. Inversement, si la demande n’est pas jugée manifestement infondée, unsauf-conduit est délivré, lemineur est admis sur le ter-ritoire, il devra se présenterà l’OFPRA dans les huit jourspour déposer une demanded’asile."

"L'expertise osseuse ne per-met pas de conclure à un âgecertain",Docteur Nicole Lery, Consultation"Droit Ethique de la Santé" desHospices Civils de Lyon.

« Pour déterminer l'âge d'unpatient, on procède à des exa-mens cliniques, dentaires etcomplémentaires, notammentl'expertise osseuse. La radio-graphie des os du poignet per

met de rechercher les pointsd'ossification analysés selonles tables de Greulich et dePyle, l'Atlas de Roo, les courbesde Sauvegrain. Il faut direque ces tables ont été élabo-rées en 1930 à partir d'exa-mens faits sur des enfantsblancs nord-américains issusd'une même classe sociale.Elles ne tiennent pas comptedes facteurs liés à l'origineethnique, géographique, so-ciale. L'environnement ou l'ali-mentation peuvent-ils modi-fier ou non les estimations del'âge osseux ? L'âge osseuxne correspond pas forcémentà l'âge chronologique. Lesspécialistes radiologistes sontunanimes sur ce point. Il estdans tous les cas impossibled'affirmer un âge certain.

Lorsque l'expertise osseuseconclut à la "maturation"physiologique, les autoritésjudiciaires en déduisent quele patient est "majeur" civi-lement, sans tenir comptede la marge d'erreur éva-luée à environ +/- 18 moiset des limites techniques liéesà cette méthode.Il est vrai que le problème sepose surtout pour les jeunesadolescents qui auront au plustard dans 18 mois l'âge de lamajorité, c'est-à-dire 18 ans.On ne saura jamais que diresi ce jeune a 18 ans, plus oumoins quelque chose. On aune démarche probabiliste...Par contre, on peut dire quel'âge déclaré correspond àl'âge réel. Ce n'est pas parcequ'un enfant est pubère quel'on peut conclure qu'il estmajeur... »

Se fondant sur le fait que l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui prévoit que le demandeur d’asile sans document de voyage " peut être maintenu pendant le temps strictementnécessaire à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée ", ne distingue pas entre majeurs et mineurs,l’administration et certains juges soutiennent que le mineur doit être traité comme un majeur. Mais de quelle voie de recours dispose-t-il pourcontester les décisions qui sont prises à son égardpuisque, lorsqu’il s’agit d’attaquer le refusd'entrer en France ou l'ordonnance de prolongationde son maintien en zone d'attente, il redevientsubitement mineur et incapable civilement ?

Pour déterminer l’âge, les documents d’identitéprésentés peuvent ne pas être authentiques ou contenir des renseignements incomplets,inexacts, ou approximatifs. Les déclarations du jeune demandeur d'asile peuvent être mises en doute si le jeune majeur pense qu'il a intérêt à se faire passer pour mineur. Lorsque l'âge déclaréne paraît pas correspondre à l'âge réel dudemandeur d'asile, en raison de son développementphysique ou intellectuel, les autorités procèdent à uneexpertise osseuse, souvent déterminante, mais dont la fiabilité, contestée jusque dans les milieux médicaux, ne devrait avoir

L’entrée sur le territoire : des mineurs retenus en zone d’attente sans aucun recours

La détermination de l’âge : l’expertisen’est pas fiable

” Le maintien d’un mineur enzone d’attente est une contra-diction puisque qu’il ne peutfaire aucun recours contre lesdécisions prises à son encontre.C’est une atteinte au droit desmineurs. Les considérationsd’ordre public l’emportent vi-siblement sur des considéra-tions de droit ”Alain Vogelweith, Juge desenfants

HCR/

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20PROASILE la revue de France Terre d’Asile

" Les demandeurs d’asile mi-neurs isolés sont les victimesdes dysfonctionnements entreles institutions "Eveline SIRE-MARIN, juge destutelles

La protection des mineurs,incapables civilement estgénéralement assurée parleurs parents, détenteurs del’autorité parentale. Les de-mandeurs d’asile mineursisolés sont par définitionprivés de cette protection.Comment expliquez-vousque la tutelle -forme de re-présentation juridique quipermet au mineur de voirses intérêts défendus- nesoit pas systématiquementprononcée en faveur de cesmineurs isolés ?Certains juges des tutelles re-fusent de prononcer la tu-telle tant que l’OFPRA n’apas accordé le statut de ré-fugié politique. Implicitement,ils considèrent que l’enfantdevrait être en situation ré-gulière. Inversement, l’OFPRAne traite pas la demanded’asile tant que la tutelle n’estpas prononcée. C’est un cerclevicieux. Or juridiquement,peu importe la question dustatut, le juge des tutelles n’apas en charge de contrôler lecaractère régulier ou non duséjour. Il n’est pas préfet depolice. Le seul critère d’ou-verture d’une tutelle est l’éloi-gnement ou l’incapacité desparents à exercer leur auto-rité.

Le juge des tutelles peut re-fuser de se saisir au motifque l’identité de l’enfant n’estpas suffisamment établie. Lesdemandeurs d’asile ne sontpas toujours en mesure deprésenter l’acte intégral denaissance nécessaire pour ou-vrir la tutelle. Ils ont des actesreconstitués. Dans ce cas, lejuge des tutelles peut s’adres-ser au parquet ou à l’OFPRAqui possède normalement lesmoyens d’investigation pourétablir l’identité de l’enfant.Le risque est que l’OFPRA neréponde pas ou que le parquetordonne une expertise os-seuse. Cela peut durer desmois. Enfin, la tutelle facilite l’ac-cès à la nationalité française.C’est un élément. Il ne fautpas se le cacher.

Face à ces obstacles et à cesréticences, y a-t-il une al-ternative ? Quelles formespeut prendre la représenta-tion juridique du demandeurd’asile mineur isolé ?La tutelle dépend normale-ment de la loi nationale dumineur. Le principe est que lestatut personnel s’appliquepour tout ce qui concernel’état des personnes. Dansl’urgence cependant, laConvention de La Haye nouspermet d’appliquer le droitfrançais en visant les len-teurs qui résulteraient de larecherche de la teneur de laloi nationale du mineur etl’urgence à ouvrir une tu-telle. Normalement, il faut

aviser l’autorité consulairedont dépend l’enfant. Dansle cas où le mineur est de-mandeur d’asile, il vaut mieuxne pas le faire. La délégationde l’autorité parentale peutêtre une alternative à la tu-telle pour les enfants de moinsde 16 ans. Les parents gar-dent l’autorité parentale touten permettant à quelqu’und’en exercer tous les attri-buts en France. Les parentscontinuent d’exister.Psychologiquement, c’est préférable pour l’enfant.

Les impasses de la protection juridique

" Les réponses juridiques existent, mais il y a desconflits de compétences entre les institutions et l’ASEtraîne les pieds "Alain Vogelweith, Juge des enfants

Le juge pour enfants intervient " si la santé, la sé-curité ou la moralité d’un mineur sont en dangerou si les conditions de son éducation sont grave-ment compromises " (Art. 375 et suivants du Codecivil). Peut-on considérer que les demandeursd’asile mineurs isolés sont en danger du fait mêmequ’ils sont seuls en France ?

Il existe un débat entre les juges des enfants et lesjuges des tutelles sur ce point, opposant deux lec-tures de la notion de danger et de la compétence dujuge des enfants. On peut considérer que les condi-tions d’éducation d’un enfant qui arrive seul enFrance, sans de titulaire de l’autorité parentale ni sou-tien familial réel sont gravement compromises etqu’il est en danger du fait même de sa situation ad-ministrative et familiale. Dans l’urgence et tant qu’iln’y a pas de représentant légal, le juge des enfantsest donc compétent. Il peut prendre des mesuresd’urgence telles que le placement à l’ASE mais nepeut prendre aucune décision concernant l’autoritéparentale. L’ouverture d’une tutelle est donc indis-pensable. Certains juges des enfants se déclarent incompé-tents considérant que le juge des tutelles, saisi enurgence, peut désigner un représentant légal quifera toutes les démarches administratives utiles etpourra saisir l’ASE, en dehors du cadre judiciaire.Certains juges s’appuient également sur la juris-prudence selon laquelle la compétence du juge desenfants suppose, en plus de la notion de danger,l’existence d’un conflit. Ils refusent de se saisir aumotif que le critère de conflit ne fonctionne pasquand les titulaires de l’autorité parentale sont ab-sents et qu’il n’y a pas des carence imputable auxparents. Certains juges se fondent enfin sur l’ex-pertise osseuse ordonnée par eux mêmes ou plusgénéralement par le parquet et concluant à la ma-jorité du jeune. Mais il faut faire attention. L’expertiseosseuse est un moyen d’évaluation de l’âge très imprécis. La marge d’erreur doit bénéficier à l’inté-

ressé. Il faut utiliser en cas de doute les dispositionsles plus favorables au justiciable, c’est un principegénéral du droit. Si je ne peux pas déterminer aveccertitude si la personne qui m’est présentée est mi-neure ou majeure, je considère qu’elle est mineure.

Que se passe-t-il si le juge des tutelles refuse de se sai-sir ? L’institution judiciaire dispose-t-elle dans ce casdes instruments suffisants pour protéger les deman-deurs d’asile mineurs isolés ?

L’enfant mineur n’est pas expulsable mais il pourraêtre renvoyé dès sa majorité, si sa situation n’estpas régularisée. Dans le cas que vous évoquez, onse trouve dans un blocage juridique insurmontablesauf à se trouver face à des administrations quiaccepteraient que la personne à qui l’enfant estconfié fasse les démarches. On peut bricoler quelquechose avec l’accord de l’OFPRA, de la préfectureet des différentes administrations, confiant l’en-fant à une association habilitée pour accueillir desmineurs, sur la base d’un jugement de " tiers dignede confiance ". C’est l’expérience de Marseille oùl’association Jeunes errants fait avec l’appui du tri-bunal pour enfant les démarches de régularisationde la situation de ces mineurs. Mais je ne vois pasde fondement juridique à cette pratique. Le juge-ment " tiers digne de confiance " confie l’enfant àune sorte de " parrain " chargé de s’occuper de l’en-fant, mais ne délègue pas l’autorité parentale. Lejuge des enfants n’a aucune compétence dans cedomaine. C’est donc une alternative bancale juridi-quement. Pourtant le droit français donne des réponses claires.Le juge des tutelles doit être saisi et l’enfant doitêtre pris en charge par l’ASE directement, hors ducadre judiciaire, ou par le biais d’une ordonnancede placement du juge des enfants. Jusqu’à preuvedu contraire, il n’y a pas de discrimination entrenationaux et étrangers ! Les réponses juridiquesexistent, mais il y a des conflits de compétencesentre les institutions judiciaires et l’ASE traîne lespieds… Bien sûr, quand arrivent des enfants duKosovo et qu’il y a une grande émotion populaire,c’est beaucoup plus facile…

Le demandeur d’asile mineur isolé, privé de la protection de ses parents et incapable civilement doit être signalé au parquet qui décide parfoisde classer le dossier sans suite, considérant que cette catégorie de mineursn’entre pas dans la notion d’enfance en danger. Le juge des enfants peut prendredes mesures d’urgence notamment de placement à l’Aide sociale à l’enfance et le juge des tutelles peut désigner un représentant légalpour que les intérêts du mineur puissent être défendus. Mais les conflits de compétences au sein de l’institution judiciaire conduisent parfois à l’impasse.

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21PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Mais ce système suppose l’accord des parents restésdans le pays d’origine. A dé-faut, il est possible de pro-noncer une tutelle par conseilde famille si l’on parvient àréunir 4 à 6 membres, pa-rents ou famille au sens large,amis, associations, éduca-teurs, etc. Mais le plus sou-vent, le mineur est totale-ment isolé. Il faut dans cecas ouvrir la tutelle d’Etat,quitte à la lever si les pa-rents se manifestent.

Quelles solutions pour sor-tir de l’impasse ?L’OFPRA pourrait décider denotifier les décisions posi-tives de reconnaissance dustatut de réfugié. Le fait quele mineur non représenté nepuisse pas faire appel de ladécision ne présente dans cecas aucun inconvénient. Ceserait un premier pas. Il fautpar ailleurs obtenir une or-donnance du juge des tu-telles motivant le refus dese saisir pour pouvoir faireappel de cette décision.

Il faut faire avancer les choses.Ce qui est regrettable, c’estqu’il y a un petit jeu entre lejuge des tutelles et l’OFPRAqui fait que la machine sebloque. La mineur reste par-fois jusqu’à sa majorité entreun juge des tutelles qui re-fuse d’ouvrir la tutelle aumotif que l’enfant n’a pasde statut, et l’OFPRA qui re-fuse de se prononcer tantqu’il n’y a pas de tutelle. Ilse heurte à toutes sortes dedifficultés. Pour ne citer qu’unexemple, les bureaux des af-faires scolaires de certainesmairies se mêlent de vérifierles conditions de séjour ré-gulier et refusent de scola-riser l’enfant étranger dontles parents ou à défaut lesmembres de la famille sonten situation irrégulière. Cen’est absolument pas leurmission. Arrivé à 18 ans, lejeune se retrouve en séjourirrégulier en France, sans au-cun statut. Les demandeursd’asile mineurs isolés sontles victimes de ce dysfonc-tionnement entre les insti-tutions.

" Les réponses juridiques existent, mais il y a desconflits de compétences entre les institutions et l’ASEtraîne les pieds "Alain Vogelweith, Juge des enfants

Le juge pour enfants intervient " si la santé, la sé-curité ou la moralité d’un mineur sont en dangerou si les conditions de son éducation sont grave-ment compromises " (Art. 375 et suivants du Codecivil). Peut-on considérer que les demandeursd’asile mineurs isolés sont en danger du fait mêmequ’ils sont seuls en France ?

Il existe un débat entre les juges des enfants et lesjuges des tutelles sur ce point, opposant deux lec-tures de la notion de danger et de la compétence dujuge des enfants. On peut considérer que les condi-tions d’éducation d’un enfant qui arrive seul enFrance, sans de titulaire de l’autorité parentale ni sou-tien familial réel sont gravement compromises etqu’il est en danger du fait même de sa situation ad-ministrative et familiale. Dans l’urgence et tant qu’iln’y a pas de représentant légal, le juge des enfantsest donc compétent. Il peut prendre des mesuresd’urgence telles que le placement à l’ASE mais nepeut prendre aucune décision concernant l’autoritéparentale. L’ouverture d’une tutelle est donc indis-pensable. Certains juges des enfants se déclarent incompé-tents considérant que le juge des tutelles, saisi enurgence, peut désigner un représentant légal quifera toutes les démarches administratives utiles etpourra saisir l’ASE, en dehors du cadre judiciaire.Certains juges s’appuient également sur la juris-prudence selon laquelle la compétence du juge desenfants suppose, en plus de la notion de danger,l’existence d’un conflit. Ils refusent de se saisir aumotif que le critère de conflit ne fonctionne pasquand les titulaires de l’autorité parentale sont ab-sents et qu’il n’y a pas des carence imputable auxparents. Certains juges se fondent enfin sur l’ex-pertise osseuse ordonnée par eux mêmes ou plusgénéralement par le parquet et concluant à la ma-jorité du jeune. Mais il faut faire attention. L’expertiseosseuse est un moyen d’évaluation de l’âge très imprécis. La marge d’erreur doit bénéficier à l’inté-

ressé. Il faut utiliser en cas de doute les dispositionsles plus favorables au justiciable, c’est un principegénéral du droit. Si je ne peux pas déterminer aveccertitude si la personne qui m’est présentée est mi-neure ou majeure, je considère qu’elle est mineure.

Que se passe-t-il si le juge des tutelles refuse de se sai-sir ? L’institution judiciaire dispose-t-elle dans ce casdes instruments suffisants pour protéger les deman-deurs d’asile mineurs isolés ?

L’enfant mineur n’est pas expulsable mais il pourraêtre renvoyé dès sa majorité, si sa situation n’estpas régularisée. Dans le cas que vous évoquez, onse trouve dans un blocage juridique insurmontablesauf à se trouver face à des administrations quiaccepteraient que la personne à qui l’enfant estconfié fasse les démarches. On peut bricoler quelquechose avec l’accord de l’OFPRA, de la préfectureet des différentes administrations, confiant l’en-fant à une association habilitée pour accueillir desmineurs, sur la base d’un jugement de " tiers dignede confiance ". C’est l’expérience de Marseille oùl’association Jeunes errants fait avec l’appui du tri-bunal pour enfant les démarches de régularisationde la situation de ces mineurs. Mais je ne vois pasde fondement juridique à cette pratique. Le juge-ment " tiers digne de confiance " confie l’enfant àune sorte de " parrain " chargé de s’occuper de l’en-fant, mais ne délègue pas l’autorité parentale. Lejuge des enfants n’a aucune compétence dans cedomaine. C’est donc une alternative bancale juridi-quement. Pourtant le droit français donne des réponses claires.Le juge des tutelles doit être saisi et l’enfant doitêtre pris en charge par l’ASE directement, hors ducadre judiciaire, ou par le biais d’une ordonnancede placement du juge des enfants. Jusqu’à preuvedu contraire, il n’y a pas de discrimination entrenationaux et étrangers ! Les réponses juridiquesexistent, mais il y a des conflits de compétencesentre les institutions judiciaires et l’ASE traîne lespieds… Bien sûr, quand arrivent des enfants duKosovo et qu’il y a une grande émotion populaire,c’est beaucoup plus facile…

Le jeune O. né en 1981, originaire d’une régiondu Kurdistan de Turquie soumise à une intenserépression à l’encontre de la population kurde etoù se trouvent toujours ses parents, séjourne de-puis mars 1996 chez son frère en situation régu-lière en France. En juin 1998, il fait enregistrer sademande d’asile à l’OFPRA. En avril 1999, le tri-bunal d’Instance refuse le placement sous tutelleau motif que : " Aucun élément ne permet de déterminer lesmodalités d’entrée du mineur sur le territoire fran-çais et aucun document écrit des parents, déten-teurs de l’autorité, n’émet la volonté de confier l’en-fant à un tiers, même membre de la famille.La tutelle privant les parents de leur autoritéparentale, ne peut dés lors être ouverte à défautde leur accord alors même qu’il semble peu pro-bable que le mineur ait pu quitter son pays d’ori-gine dans l’assentiment du détenteur de l’auto-rité parentale.Enfin il est de jurisprudence constante que leséjour d’un étranger en France durant la mino-rité n’est pas créateur de droit s’il y est entré defaçon illégale. "

TURQUIE

" La tutelle s’ouvre lorsquele père et la mère sont tousdeux décédés ou se trouventdans l’un des cas prévus àl’article 373 ", Art 390 duCode civil" Perd l’exercice de l’au-torité parentale ou en estprovisoirement privé celuides père et mère qui se trouvedans l’un des cas suivants :1° S’il est hors d’état de ma-nifester sa volonté en raison,de son incapacité, de son ab-sence, de son éloignementou de toute autre cause ",Art 373 du Code Civil.Si le mineur est accom-pagné d’un ou plusieursmembres de sa famille, lejuge nomme un conseil defamille et choisit un tuteur.Sinon la tutelle d’Etat estconfiée au directeur de l’Aidesociale à l’enfance. Elle facilitel’accès à la nationalité fran-çaise.

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22PROASILE la revue de France Terre d’Asile

" Créer des centres spéciali-sés pour recevoir temporai-rement les mineurs isolés"Anne BISSON, Direction de lapopulation et des migrations,ministère de l’Emploi et de laSolidarité

" Certes les conseils générauxsont compétents pour la priseen charge des demandeursd’asile mineurs isolés admissur le territoire. Mais il estsouvent difficile de trouverdes foyers de placement. Quelleréponse peut-on apporter ? S’en tenir au droit communde la compétence l’Aide Socialeà l’Enfance (ASE) est diffi-cile en pratique puisque celarevient à faire supporter àdeux départements où seconcentrent les arrivées, lacharge financière de l’accueilet de l’hébergement de ces en-fants. L’article 87 du code dela famille et de l’aide socialeprévoit que lors d’arrivées ex-ceptionnelles sur décision del’Etat, celui-ci rembourse lesfrais de prise en charge desmineurs accueillis au conseilgénéral. Ainsi, l’admissiond’un mineur sur le territoirepar les pouvoirs publics fran-çais pour demander l’asile àla France pourrait justifier unsystème d’accueil par les foyersde l’ASE avec remboursementde la charge financière sur lesbudgets de l’Etat. Ce systèmeest acceptable si la situationdu mineur le permet, si lefoyer ASE existe et paraît

bien équipé ou bien armépour assumer la prise encharge de ce type de public.Ce n’est pas toujours le cas.Il y a en plus la barrière dela langue. Tous les foyers ASEn’ont pas des travailleurs so-ciaux parfaitement armés faceà des enfants jeunes et nonfrancophones. Finalement, sil’Etat propose de remboursersystématiquement les conseilsgénéraux pour l’accueil de cetype de public, ne vaut-il pasmieux proposer une structureen financement direct parl’Etat, complémentaire desfoyers ASE existants ?Cette réflexion a conduit auprojet de création de deux

centres spécialisés mais pasexclusifs des autres dispositifsd’accueil des mineurs. Il s’agitde recevoir temporairementles mineurs isolés qui vontdemander l’asile avant de lesorienter vers l’ASE, un pla-cement familial, ou toute autrestructure. C’est une solutiontemporaire, dans la perspec-tive d’un passage de relaisaux autres institutions com-pétentes. L’idée est aussi demettre en place une structurepartenariale en interne, ausein de l’Etat, fondée sur unecoopération étroite avec lesconseils généraux des lieuxd’implantation des centres,

sous la forme d’un soutienpurement financier ou de lamise à disposition de psy-chologues ou de travailleurssociaux. Cette structure par-ticulière, donnant un réfé-rant au juge, pourra favori-ser la mise en œuvre destutelles et mesures de pro-tection qui font souvent dé-faut. Nous l’avons pensé etdéfendu ainsi. Puis ce sontles activités classiques d’uncentre d’accueil : évaluationpsychologique et médicale,scolarisation ou formationpour ceux qui auront plus de16 ans et ne pourront plusêtre scolarisés, recherche defiliation, etc. Il faudra aussipréparer la sortie, réfléchir àdes placements en famille ouà l’ASE. L’équipe du centredevra développer des parte-nariats forts avec son envi-ronnement. C’est un projetambitieux. "

P. est originaire de la province du Cabinda, enAngola. Son père, membre actif du Front deLibération pour l’enclave du Cabinda, FLEC, est tuépar l’armée Angolaise en juin 1998. Le jeune P. estarrêté avec sa mère, enfermé dans un camps mili-taire et soumis à des violences dont il garde lestraces. Deux semaine plus tard l’infirmier le faitsortir clandestinement du lieu de rétention et leconfie à sa sœur chargée de l’accompagner enItalie. A son arrivée en France le 9 juillet 1998, P. estpris en charge par l’ASE. Une expertise osseuseconcluant à sa majorité entraîne une fin de prise encharge par l’ASE en septembre 1998. P. se retrouveseul à la rue, sans argent ni encadrement. Le 1 février 1999, une tutelle d’Etat est pronon-cée. L’ASE fait appel mais n’est pas tenue, à défautd’"exécution provisoire" de le reprendre en charge.Ce n’est qu’en juillet 1999, lorsque P. obtient lestatut de réfugié qu’il pourra à nouveau bénéficierde la protection de l’Aide sociale à l’enfance dont iln’aurait jamais du être privé.

Un accompagnement socialinadapté

La prise en charge du mineur par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)résulte d’une décision du juge des enfants saisi par le parquet, les travailleurs sociaux ou le mineur lui-même. En cas d’urgence, le placement peut-être décidé par le parquet ou les servicesde l’ASE, qui peuvent également être directement saisis par le représentant légalde l’enfant.En pratique cependant, la prise en charge des demandeurs d’asile mineurs isolésse heurte à de nombreux obstacles liés notamment aux difficultés de détermination de l’âge et aux conflits de responsabilités entre l’Etatet le département, dont les mineurs isolés font les frais.

ANGOLAHCR/P. Jambor

HCR/T. Bolstad

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23PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Claudie Reixach,Adjointe au Chef de service de l’Aide sociale à l’enfancede Seine-Saint-Denis

Dans quelles conditions des demandeurs d’asile mineursisolés vous sont adressés, comment se passe leur prise encharge ?Nous sommes saisis à toute heure par le Parquet des mi-neurs ou le Juge des enfants qui nous confie les mineursdans le cadre de l’assistance éducative. Cette décision s’im-pose au président du Conseil général. Ces prises en chargesont importantes en Seine-Saint-Denis du fait de la proxi-mité de l’aéroport Roissy Charles De Gaulle. Mais souvent,nous avons l’impression de n’être qu’un lieu de passage. Surles 85 mineurs isolés demandeurs d’asile reçus dans notredépartement depuis octobre 1998, 30 sont restés parmi nous.Les autres ont soit retrouvé des parents ou des membres deleur famille, c’est une minorité, soit ont disparu, auquel casils sont signalés aux autorités judiciaires. Cette situation estlourde à gérer et la question se pose d’une intervention del’Etat au nom de la solidarité nationale face à ces mineursisolés qui ont souvent vécu des situations dramatiques. Laquestion d’un dispositif spécifique d’accueil est posée, ainsique celle du financement des prises en charge par l’Etat autitre de l’Aide Sociale.

Les éducateurs de l’Aide sociale à l’enfance disposent-ilsd’outils adaptés pour répondre aux besoins des demandeursd’asile mineurs isolés ?Les équipes psycho-éducatives de l’Aide sociale à l’enfancerencontrent des difficultés pour traiter ces situations. Il y al’obstacle de la langue et la nécessité de recourir à des in-terprètes. De plus, la prise en charge psychologique commele suivi juridique posent des problèmes spécifiques (ouver-ture de la tutelle, accès à la procédure de détermination dela qualité de réfugié, dossier OFPRA…). Nous essayons detravailler avec des thérapeutes spécialisés, de nous formersur les questions liées au séjour et à la demandes d’asile,mais ce n’est pas simple. Les éducateurs finissent par s’in-terroger sur la pertinence de l’accueil par l’Aide Sociale àl’Enfance.

Comment expliquez-vous que des demandeurs d’asile mi-neurs placés à l’ASE puissent se retrouver à la rue suiteà une décision de fin de prise en charge fondée sur un exa-men osseux pratiquée à l’initiative de l’ASE ?L’examen osseux est souvent réalisé en amont de l’arrivéeau service ; mais il arrive que l’on s’interroge sur l’âge réelde certains. Dans ce cas, un examen d’âge osseux est demandé,bien que sa valeur scientifique ne soit pas absolue. L’appeléventuel de la décision du Tribunal par l’ASE pour ce mo-

tif n’est pas suspensif et ne nous dispense donc pas de gar-der l’enfant. Le Tribunal pourra prendre une décision de finde mesure si la minorité n’est pas établie, ce qui permettraau jeune de s’adresser aux dispositifs d’accueil pour adultes. Ces questions soulignent toute l’ambiguïté de la prise encharge des demandeurs d’asile mineurs isolés. Vu leur nombre,la prise en charge de ces jeunes nous pose des problèmes pourl’accueil d’urgence d’autres mineurs. L’Etat devrait prendresa part de responsabilités dans le cadre d’un accueil spéci-fique, plus rapide et plus opérationnel. La création d’uncentre d’accueil spécifique pour mineurs isolés demandeursd’asile est une bonne réponse.

Traumatisme et suivi psychologique

Diane Kolnikoff, thérapeute au centre Primo Levi

Quelle est la nature du traumatisme dont souffrent les de-mandeurs isolés ?Les jeunes demandeurs d’asile isolés ont souvent été les té-moins directs ou indirects de la mort de leur famille, et n’ontsouvent pas pu faire le deuil de leurs parents. Ils se sententparfois coupables d’avoir survécu. L’exil est une rupture dansleur vie d’adolescent, ils sont seuls, confrontés au déracine-ment, à l'inquiétude face à l’avenir, ils se questionnent surleur identité.Ils sont en plus l’objet de toutes les suspicions. On met endoute leur âge, les soupçonnant de venir pour des raisonséconomiques ; pour certains, c’est le vide administratif etjuridique total. Ils sont livrés à eux mêmes, au pire à la rue,au mieux pris en charge par l’ASE plutôt habituée à rece-voir des mineurs délinquants et dont l’approche n’est pastoujours adaptée aux mineurs réfugiés. Or il est difficile desurmonter un passé quand on ne peut pas faire de projetd’avenir. Les demandeurs d’asile mineurs isolés vivent doncun double traumatisme.Comment se passe la prise en charge par le centre PrimoLevi ? Quel suivi psychologique proposez-vous à ces mi-neurs ?Nous leur proposons un espace de parole où ils se sententcompris et soutenus. Il ne s’agit pas de les " faire parler ",mais de les aider, par la parole, à analyser ensemble ce qu’ilsont vécu et ce qu’ils ont à vivre. Ce n’est pas toujours facile. Il faut créer un climat de confiance, de confidentia-lité par une approche personnalisée, au cas par cas. Mais lesmineurs ont une très grande capacité d’évolution, l’adoles-cence est une période d’évolution permanente. Rapidementon constate des résultats, un mieux être, moins de cauche-mars, d’anxiété, d’angoisse, moins de pensées sombres…

Lorsque l’examen d’âge osseux pratiqué àl’initiative de l’ASE conclut à la majorité du jeune,et sauf mesure de placement avec exécutionprovisoire du juge des enfants, l’ASE ordonne parfois une finde prise en charge. Cette décision administrativesans caractère contradictoire n’est pas notifiée,elle n’est donc susceptible d’aucun recours. Le jeune reste mineur à l’état civil et les structurestraditionnelles d’accueil des demandeurs d’asile ne sont pas habilitées à le recevoir. L’enfant est à la rue.

HCR/A. Hollmann

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24PROASILE la revue de France Terre d’Asile

La convention de Genève ne prévoit aucune distinctionselon l’âge des personnes contraintes à l’exil ni disposition particulière concernant les mineurs. Les demandes d’asile des mineurs s’appuientsur des persécutions ou des craintes de persécutions directes ou par ricochet, du fait de la situation sociale, de l’appartenance ethnique ou religieuse ou de l’engagement politiquede leurs parents. Toute la difficulté réside dans l’expression des craintes de persécution, en fonction du degré de maturité de l’enfant.

Les spécificités de la demande d’asile des mineurs

L’enfant qui est capable de discernement a le droitd’exprimer librement son opinion sur toute questionl’intéressant et notamment pendant la procédure dedétermination du statut de réfugié et les points de vuede l’enfant doivent être pris en considération, eu égardà son âge et à son degré de développement mental etde maturité "Convention Internationale sur les droits de l’en-fant – 1989, article 12

Pour examiner la demande d’asile d’un mineurisolé, il faut " en premier lieu déterminer son degréde développement mental et de maturité. S’il s’agitd’un enfant, il faudra généralement recourir aux ser-vices d’un expert connaissant bien la mentalité enfantine(…). S’il s’agit d’un adolescent et non plus d’un en-fant, il sera plus facile de procéder (…) pour établir laqualité de réfugié, encore que cela dépende aussi dudegré réel de maturité (…). Sauf indications contraires,on peut admettre qu’une personne de 16 ans ou pluspossède une maturité suffisante (…). Il convient tou-tefois de souligner que la maturité mentale d’un mi-neur doit normalement être appréciée compte tenudes facteurs personnels, familiaux et culturels "-Guide des procédures et des critères de détermi-nation du statut de réfugié, para.214 et 215.

" J’ai 14 ans. Mes parents sont au Pakistan. Mon pèremilite au MQM (Parti national Muhajir). Je ne sais pasquelles sont ses fonctions exactes… des hommes venaient à la maison, mon père signait des papiers. Unmidi, fin novembre 1998, mon père a reçu un appel téléphonique et nous a dit qu’il devait partir. Après ledéjeuner, une voiture est venue le chercher. (...) La po-lice a dit à ma mère qu’ils allaient m’enlever pour obli-ger mon père à sortir de sa cachette. Lorsque ma mèrea expliqué la situation à mon père qui téléphonait régulièrement, il a dit qu’un ami allait venir me cher-cher et qu’il fallait le laisser m’emmener. Peu de tempsaprès, son ami est venu. Je l’ai suivi. Nous avons em-barqué dans un bateau. Nous sommes passés par la Turquiepuis par l’Italie. Arrivés à Paris, l’ami de mon père adisparu." Arrivé en France le 11 décembre 1998, le jeune A. aété placé par l’ASE dans une famille d’accueil. Il est encontact réguliers avec sa mère.

" Mon père s’était présenté aux élections de 1994en tant que représentant du Rassemblement du PeupleGuinéen " (RPG). En 1996, mon oncle, impliqué dansune tentative de coup d’Etat a été arrêté puis empri-sonné. Mon père a commencé à subir des pressionsquotidiennes du gouvernement. Je n’aime pas la poli-tique, c’est trop dangereux. Un jour, des hommes sontvenus à la maison, ils m’ont attrapé et frappé, m’ontattaché avec mon père et ont saccagé la maison. Quand ma mère est rentrée, elle a crié et insulté leshommes. Ils l’ont giflée très violemment et l’ont em-menée. Mon père et moi avons été emmenés dans uneprison. Mon père était accusé d’avoir assassiné un pré-fet dont le meurtre était attribué au RPG.. Le lende-main, les gardiens sont venus nous annoncer la mortde ma mère. Elle avait été maltraitée et avait fait uneattaque cardiaque. Mon père et moi avons été sépa-rés. Toutes les nuits, des hommes venaient m’interro-ger sur ce que faisait mon père. Pour me forcer à par-ler, ils menaçaient de le tuer. Un jour un gardien m’ademandé si je connaissais le capitaine qui portait lemême nom que moi. C’était mon oncle. Le gardien m’afait sortir de la prison dans un camion. J’ai suis passépar le Sénégal, le Maroc et l’Espagne. Je suis arrivé àParis en train le 15 mars 1999. Je n’ai aucune nouvellede mon père, je pense qu’il est toujours en prison. "

Le 16 juin 1999 l’OFPRA rejette la demande du jeuneO. au motif que " les déclarations écrites de l’intéresséstéréotypées ne sont étayées par aucun élément dé-terminant susceptible d’établir la réalité des faits allé-gués et de témoigner du bien fondé de sa demande. " PAKISTAN

GUINÉELe terme " réfugié " s’applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du faitde cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ".La lecture des travaux préparatoires donne une explication à cette abstention : l’Acte final de la Convention recommandait aux gouvernements de" prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille et réfugié et en particulier pour (…) assurer la protection des réfugiés mineurs, notamment des enfants isolés et des jeunes filles spécialement en ce qui concerne la tutelle et l’adoption ".

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25PROASILE la revue de France Terre d’Asile

" Le bénéfice du doute ap-pliqué de la manière la pluslarge "Brigitte HORBETTE, SecrétaireGénérale de l'OFPRA

" Dispensés de titre de sé-jour, les mineurs se voientdirectement délivrer parl’office les formulaires dedemande d’asile, sans avoirbesoin de se présenter enpréfecture. Ensuite, la convo-cation est de principe.L'entretien est adapté enfonction du degré de dis-cernement du mineur et

conduit selon ce qui paraîtoptimal dans l'intérêt del’enfant. Une difficulté vienttoutefois s'ajouter lorsqu'ilest nécessaire de recourirà un interprète qui devrafaire le double travail detraduire des mots et desconcepts parfois peu ac-cessibles à un jeune enfantet d’adapter le niveau delangage au degré de déve-loppement de l'enfant. Laconvention de Genève nefait pas de distinction se-lon l'âge du demandeur etles mêmes critères s’appli-quent pour déterminer laqualité de réfugié. Commepour un majeur, il faut doncévaluer des craintes fon-dées de persécution dues à

l'un des cinq motifs poséspar la convention de Genève,même si, le plus souvent,il s'agira de persécutionsindirectes sur les enfantsdu fait de celles exercéessur les parents restés aupays. L'appréciation descraintes ne peut se faire dela même manière que pourun adulte, car elles sont àla fois beaucoup plus sub-jectives et supposent de lapart de l'Office un effort etun travail important d’in-terprétation du sentimentde l’enfant. Le bénéfice du

doute est appliqué de lamanière la plus large.

La demande d’asile est doncexaminée, mais aucune dé-cision ne pourra être prisesans représentation légale.Notamment aucune déci-sion de rejet ne peut êtrenotifiée puisque le mineurne pourrait faire de recours.Seule une tutelle permet lareprésentation pleine et en-tière du mineur. Elle a enplus l’avantage de ne pasle priver définitivement lesparents de leurs droits surl'enfant s'ils sont à nou-veau en état de les exercer.La délégation d'autorité pa-rentale, qui suppose un ac-cord exprès des parents,

n'est évidemment pas plusadaptée que le placementpar le juge des enfants, quine permet pas d'assurerpleinement sa représenta-tion, notamment en justice.Par ailleurs, l'OFPRA n'a nicompétence ni légitimitépour vérifier la minorité.Il se conforme aux déci-sions prises par les jugesen ces matières, l’expertisemédicale produite sans qu'unmagistrat en ai tiré de consé-quence n’étant pas prise encompte.

Même si juridiquement ellessont identiques, les situa-tions des demandeurs d’asilemineurs isolés sont très dis-parates et n’appellent pastoujours en pratique, lmêmessolutions. Pour les mineursqui ont des relations enFrance, les mesures de re-présentation prises dansleur pays d'origine sont re-connues de plein droit mêmesi l'office procède à des vé-rifications pour s'assurerde l'authenticité de l'acteet renvoie si besoin aux ju-ridictions judiciaires pours'assurer de leur opposa-bilité. La prudence est en ef-fet de rigueur pour ne passe rendre indirectement com-

plice d'un possible traficd'enfants, qui peut recou-vrir de sordides réalités auxbuts variables : travail forcéde jeunes enfants, filières deprostitution et de pédophi-lie, "mariage" imposé detrès jeunes filles avec des"oncles" ou "tuteurs" vi-vant déjà en France avecplusieurs autres jeunes"nièces" ou "protégées"... La fragilité des enfants to-talement isolés justifie qu'uneattention particulière leursoit portée. Ils sont signa-lés au SSAE afin que leurprise en charge sociale soitassurée, que les démarchessoient faites auprès desjuges des tutelles, qu'uneassistance dans l'élabora-tion de leur demande leursoit fournie. Pour ceux làtout particulièrement il fautune assistance renforcéedes services sociaux. Il nousrevient à tous, pouvoirs pu-blics, HCR, travailleurs so-ciaux, associations, sur cessujets ô combien délicats, decoordonner nos actions etde collaborer de manièrepermanente et efficace pourmettre en commun nos in-formations, nos compétenceset nos spécialités, pour avoirune vision globale du sujetet œuvrer ensemble dans lesens de l’intérêt supérieurde l'enfant qui seul doitnous guider et nous ani-mer. "

Les spécificités de la demande d’asile des mineurs

L’OFPRA examine les demandes d’asile des mineurs isolés, mais la décision ne sera notifiée qu’une fois la tutelle ouverte aureprésentant légal du mineur. L’instruction doit tenir compte du degré de maturité et être conduite dans l’intérêt de l’enfant

Le jeune V. 14 ans, et sa sœur A. 15 ans, de nationalité rwandaise sont arrivés en France le 8 avril 1999. " Nousavons quitté le Rwanda en juillet 1994 avec nos parents pour nous réfugier au Zaïre… Le 16 novembre 1996, alorsque nous nous dirigions vers Masisi, nous avons entendu des bruits de bombes et de fusils. Tout à coup, unebombe tomba au milieu de nous, nous avons tous perdu connaissance et sommes tombés sur le sol comme descadavres. En nous relevant deux minutes après, nous avons vu le corps de notre maman et de nos deux petits frèresen morceaux. Nous n’avons pas reconnu le corps de notre papa et ne savons pas s’il est mort ou vivant. Après avoircouvert le corps des nôtres sans pouvoir les enterrer, nous avons poursuivi notre chemin vers le Congo avec d’autresréfugiés ". Le jeune V. et sa sœur A. ont obtenus le statut de réfugié en août 1999.

RWANDA

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Jean-Claude NICOLLE, Service Social d’Aide aux Emigrants,SSAE

Quel est le rôle spécifique du SSAEdans la protection des demandeursd’asile mineurs isolés ? Qurels sontles obstacles auxquels vous vousheurtez et les moyens de les sur-monter ?Notre mission consiste d’abord à ai-der le mineur isolé à accéder à laprocédure de demande d’asile. Celaconduit à saisir la justice afin qu’elleorganise la représentation juridiquedu mineur, nécessaire à la procédureOFPRA mais également à orienter lemineur vers les services compétentsafin qu’il bénéficie d’une protectionsociale. Nous évaluons la situationsociale et juridique du mineur et en-trons en contact avec les différentsacteurs concernés : Parquet, Aide so-ciale à l’enfance, juge pour enfants,juge des tutelles.A chaque étape, il peut y avoir desdifficultés. Parfois le parquet ne se sai-sit pas, ou c’est le juge des tutellesqui ne veut pas ouvrir une tutelle.Le juge des enfants estime parfoisque les demandeurs d’asile mineursisolés ne relèvent pas de sa compé-tence. S’il prend une mesure de pro-tection, il appartient presque tou-jours à l’Aide sociale à l’enfance dudépartement de la mettre en œuvre.La prise en charge est lourde et ellese prolongera inévitablement jus-qu’aux 18 ans du mineur. Le projetpédagogique est complexe, il doit te-nir compte du statut administratifparticulier : pas d’autorisation de tra-vail, donc pas de possibilité de for-mation ou d’apprentissage en dehorsdu système scolaire. Le projet d’in-

sertion est incertain, voire inadapté,puisque la réponse de l’OFPRA condi-tionne le droit au séjour.

Cette catégorie de mineurs n’est pré-sente que dans des départements oùse situent les grands ports ou aéro-ports et la région parisienne où lesservices de l’enfance qui doivent faireface, y compris financièrement. Le

débat né de la déconcentration sur lepartage de compétences à l’égard dela prise en charge sociale des étran-gers retrouve ici une vigueur que lalecture des textes en la matière – ils’agit ici de la protection de l’en-fance qui ne connaît pas de critère de nationalité ne semblaientpas induire.Les travailleurs sociaux chargésd’orienter ces mineurs font face à deréelles difficultés. Quoi qu’il en soit,ils ne laissent pas un enfant à la rue.Le SSAE, branche française duService international (SSI) contri-bue à la recherche des parents etdu regroupement des familles.Comment ce réseau est-il consti-

tué, permet-il d’entrer en contactavec la famille ?Le Service Social International est unréseau de services sociaux représen-tés dans plus de 100 pays. Il s’agit de14 branches (Allemagne, Argentine,Australie, Canada, Etats-Unis, France,Grèce, Hong-Kong, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume Uni, Suisse, Vénézuéla),c’est-à-dire d’ONG autonomes, de 6 bu-

reaux affiliés (Afrique-du-Sud, Espagne,Finlande, Israël, Nouvelle-Zélande, Portugal) qui sont la plupartdu temps des antennes dans lesMinistères de la Justice ou des AffairesSociales, et de correspondants quisont des partenaires contactés en fonc-tion des besoins. Dans ce cas, il est biensûr extrêmement délicat de s’adres-ser à un bureau affilié ou à un cor-respondant si la famille du deman-deur d’asile se trouve dans le paysd’origine. Il n’y a pas de règle géné-rale sinon la plus grande prudence,l’action à engager s’étudie cas par cas,avec bien entendu l’accord du de-mandeur d’asile ou du réfugié.

26PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Le regroupement familial : un parcours semé d’obstacles

La Convention de Dublin entrée en vigueur le 1er septembre 1997 pré-cise les critères de détermination de l’Etat responsable de l’examen dela demande d’asile dans l’Union européenne. Cette convention ne per-met à une personne de rejoindre un membre de sa famille proche dansun des pays européens qu’à partir du moment où ce pays a reconnu laqualité de réfugié Si à titre dérogatoire "pour des raisons humanitaires, fondées notammentsur des motifs familiaux ou culturels ", l’article 9 de la convention deDublin permet de rassembler les membres d’une même famille, deman-deurs d’asile dans différents pays européens, c’est aux termes de procé-dures longues et à l’issue incertaine. " La convention de Dublin prévoit que l’on peut déroger aux règles dedétermination de l’Etat responsable de la demande d’asile à titre huma-nitaire. Mais ce n’est pas la même chose de dire que l’unité de famillepeut être respectée à titre exceptionnel ou humanitaire, ou de dire quel’unité de famille doit être respectée. Une bonne chose serait que le bonvouloir des Etats se transforme en obligation de respecter l’unité de fa-mille. Il faut réfléchir à une modification de la convention de Dublindans ce sens".

Jean-Marie DELARUE, Directeur des Libertés Publiques et des Affaires Juridiquesau Ministère de l'intérieur

HCR/K. Singhaseni

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27PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Que se passe-t-il lorsque vous par-venez à retrouver une famille ?Le SSI peut aider aux reprises decontact, voire à la réunification. L’intérêtde l’enfant est le moteur de l’action.Il ne s’agit ni de renvoyer un enfantcoûte que coûte, ni de le mainteniren France pour le principe. Tant quela procédure de demande d’asile esten cours, la question ne se pose pas.Si l’intérêt de l’enfant est de rester enFrance, le réseau du SSI peut lui per-mettre alors de rester en contact avecsa famille. La qualité de réfugié estrarement reconnue à un mineur avant18 ans tant la procédure est longueet complexe. Ceci écarte donc la ques-tion de savoir comment un mineurqui a obtenu l’asile peut faire venir safamille. La notion " d’enfant cram-pon ", hypothèse du mineur réfugiéqui une fois l’asile obtenu devient latête de pont pour le regroupement fa-milial du reste de la famille, n’est pasconnue en France.Le cas des parents réfugiés en France

et qui souhaitent faire venir leurs en-fants soulève d’autres problèmes. Siles enfants sont au pays d’origine, laprocédure de regroupement familialspécifique aux réfugiés entraîne desvérifications, notamment celui de lapreuve de la filiation. Dans certainspays, comme au Zaïre, l’état civil estinexistant ou très approximatif. Il fautreconstituer les actes. Pour accélérerles choses, nous avons parfois pu avoirrecours à notre correspondant. Le HCRpeut également intervenir, nous avonsd’ailleurs une convention dans ce do-maine du regroupement familial ré-fugié au titre de laquelle nous avonsapporté un soutien financier au voyagede membres de famille de réfugiés. Siune partie de la famille se trouve enEurope, c’est également très compli-qué. La législation ne permet le re-groupement familial que si l’OFPRAa donné le statut. Les familles écla-tées de demandeurs d’asile sont prisesdans le système conventionnel deDublin. La mise en oeuvre des clauses

concernant les familles est loin d’êtrefluide et efficace. Le SSAE avec d'autresassociations travaillent à son amé-lioration. Récemment, la fille d’unefamille africaine qui demandait l’asileen France se trouvait dans un paysvoisin, prise en charge par les ser-vices sociaux. La question du re-groupement était posée depuis plusd’un an. Les éducateurs ont fait letravail d’accompagnement et lescontacts ont été maintenus. Fauted'une possibilité de regroupement fa-milial, la famille est allée chercherl'enfant dans le pays limitrophe oùelle se trouvait et l'a ramenée enFrance. Cette situation montre unefois de plus qu'il faut travailler à lalibre circulation des personnes.

" Mon père travaillait pour le parti de Mobutu. Enmai 1997, les gens du village et les militaires de Kabilaont tué toute ma famille. Je me suis enfui en piroguevers Brazzaville. Quelques mois plus tard, au Congo, lesjeunes errants, accusés de causer des troubles publics,étaient pourchassés et tués par l’armée. Je me suis ré-fugié à Pointe Noire et je me suis caché dans la souted’un bateau ".Modeste est pris en charge par l’ASE quelques joursaprès son arrivée en France en décembre 1997. Le 21avril 1998, il est à la rue suite à une expertise osseusepratiquée à l’initiative de l’ASE et concluant à sa ma-jorité. Mais il est mineur selon son acte de naissance,pris en compte par l’OFPRA et la préfecture, et les foyerspour adultes ne sont pas habilités à l’accueillir. " Ma vieest devenue un cauchemar. Dans les foyers d’urgence,j’ai été agressé plusieurs fois par des alcooliques et

j’ai attrapé des maladies.". Le 4 janvier 1999 Modesteest pris en charge sur décision du juge des enfants dansun foyer de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ac-cueillant des mineurs " socialement déstructurés " oudélinquants. Le 14 juin, le juge des tutelles prononcela tutelle d’Etat désignant le président du Conseil gé-néral de Paris, i.e. l’ASE comme tuteur, et précise dansun courrier postérieur. :" Je considère que votre courrier manifestant votredésaccord est un recours contre ma décision et je n’aipas l’intention de lever proprio motu la tutelle, ni devous décharger de votre rôle de tuteur (…). Vous êtesdonc dans l’obligation de l’appliquer immédiatementet d’assumer vos obligations de tuteur, en attendantla décision du tribunal de Grande Instance, sauf à en-traîner la responsabilité de l’Etat "

F., 17 ans et ses deux petitessœurs de 5 et 9 ans ont quittél’Equateur pour rejoindre leur mèredemanderesse d’asile à Londres enavril 1998. A leur arrivée à Paris,après un long périple, l’accès àl’Eurostar qui devait les mener àLondres leur est refusé faute devisa. Les enfants, séparés dans dif-férents foyers de l’ASE correspon-dant à leurs âges respectifs et neparlant pas le français devront at-tendre le 12 octobre pour rejoindreleur mère après une bataille ad-ministrativo-juridique homériquemenée par France Terre d’Asile avecles services de l’intérieur français etanglais.

CONGO

Le regroupement familial : un parcours semé d’obstacles

ÉQUATEUR

" Toute personne a droit au respect de sa vie privéeet familiale, de son domicile et de sa correspondance.Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité pu-blique dans l’exercice de ce droit que pour autantque cette ingérence est prévue par la loi et qu’elleconstitue une mesure qui, dans une société démo-cratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à lasûreté publique, au bien-être économique du pays, àla défense de l’ordre et à la prévention des infractionspénales, à la protection de la santé ou de la morale,ou à la protection des droits et libertés d’autrui ".,Art. 8, Convention européenne de sauvegarde desdroits de l’homme et des libertés fondamentales, 4novembre 1950

HCR/A. Hollmann

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28PROASILE la revue de France Terre d’Asile

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Premier Ministre

Commission Nationale Consultativedes Droits de l’Homme

AVIS PORTANT SURLES DISPOSITIONS NÉCESSAIRES POUR L’ACCUEIL DES MINEURS

DEMANDEURS D’ASILE NON ACCOMPAGNÉS(Adopté par l’assemblée plénière du 3 juillet 1998)

Considérant que la France est amenée à accueillir des mineurs victimes de conflits armés, de persécutions directes ou indirectes, de circons-tances particulièrement graves ;- Considérant que l’accueil en France de ces mineurs, séparés de leurs parents par la force des choses ou envoyés par ceux-ci, peut être leseul moyen de les protéger ; - Rappelant l’avis qu’elle a adopté le 13 juillet 1995 portant sur les dispositions nécessaires pour l’accueil d’enfants isolés, mineurs nonaccompagnés, arrivant sur le territoire français suite à une décision gouvernementale ;- Rappelant que la France doit se conformer aux obligations souscrites au terme des textes internationaux en vigueur, dans le respect del’article 55 de la Constitution, notamment

- La convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés,- La convention de la Haye du 5 octobre 1961 concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs,

- La convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 (voir note en annexe).

- Considérant qu’un mineur arrivant sur le territoire est le plus souvent placé en zone d’attente par la DICCILEC et que l’article 35 quater del’Ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée par la loi du 6 juillet 1992 sur les zones d’attente des ports et aéroports ne distingue pas lasituation du mineur de celle du majeur ;- Considérant qu’un mineur n’a pas la capacité juridique et que durant son maintien en zone d’attente, il se voit notifier des décisionsadministratives (décision de maintien en zone d’attente, refus d’entrée sur le territoire), ainsi que des décisions judiciaires (décision de pro-longation de maintien en zone d’attente) contre lesquelles il ne peut interjeter appel sans représentant légal ;- Considérant que la convention de Genève ne prévoit aucune disposition spéciale concernant les mineurs, qu’elle ne les exclut cependantpas dans la mesure où elle donne du réfugié une définition indépendante de l’âge et qu’un mineur est fondé à avoir des raisons personnelleset valables de demander l’asile et qu’à ce titre il a droit à un examen individuel de sa demande ;- Considérant que l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant stipule que " l’enfant qui est capable de discernement ale droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant et notamment pendant la procédure de détermination du statut deréfugié et que les points de vue de l’enfant doivent être pris en considération, eu égard à son âge et à son degré de développement mental etde maturité " ;- Considérant qu’en l’absence de règlement spécifique concernant les mineurs, l’OFPRA a convenu d’enregistrer toutes les demandes, qu’ain-si tout demandeur d’asile mineur a la possibilité de déposer une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ;- Considérant par ailleurs qu’en droit français la demande du statut de réfugié est un acte déclaratif qui ne peut être fait que par un répon-dant légal et que l’OFPRA ne prend de décision que si le mineur est sous tutelle ;- Considérant que lorsqu’un mineur est dépourvu de tout document d’identité prouvant son âge, la prise en charge d’un enfant mineur parl’Aide sociale à l’enfance passe préalablement par la détermination de l’âge par la voie d’une expertise osseuse effectuée par l’institut médi-co-judiciaire territorialement compétent, contestée sur le plan scientifique ;- Considérant que les demandeurs d’asile mineurs isolés sont en quête de protection et que la pratique a révélé que les placements par l’ASEsont inadaptés car ces structures n’ont pas été pensées pour des mineurs en exil mais plutôt pour des jeunes en difficulté sociale.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme demande que :

1 La procédure de détermination soit guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce principe doit primer sur toute autre considérationnotamment financière.

2 L’admission sur le territoire d’un mineur sollicitant l’asile soit immédiate.

3 Les demandes d’asile de mineurs isolés fassent l’objet d’une attention particulière tant au niveau de la procédure qu’à celui de l’instruction qui doit être adaptée à l’âge de l’enfant.

4 Le procureur de la République soit immédiatement avisé de la situation de ces mineurs en vue de la saisine du juge des enfants ou du juge des tutelles.

5 La représentation juridique soit systématiquement assurée ainsi que la représentation légale afin de permettre à un enfant mineur :

- d’être représenté dans toutes les procédures le concernant y compris dans la recherche de filiation,- d’être entendu dans les plus brefs délais, par des officiers de protection attentifs aux situations particulières dont sont victimes les enfants, et que des experts, pédopsychiatres ou psychologues pour enfants, capables d’évaluer la capacité de l’enfant à exprimer le bien fondé de ses craintes de persécution, soient invités à intervenir ;

- d’obtenir le statut de réfugié,- de contester un refus qui aurait pu lui être opposé par l’OFPRA.

6 La France offre à tous les demandeurs d’asile mineurs isolés arrivant sur son territoire un hébergement en centre d’accueil et d’orientation, adapté à leurs besoins, entrant dans le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés et reposant sur la solidarité nationale.

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La mort d’une fédération

Plusieurs raisons expliquent cet engrenage : la sortie ra-tée du communisme, les antagonismes serbo-croates enKrajina et serbo-albanais au Kosovo, le conflit entre lesdirigeants communistes et la nouvelle élite politique non-serbe à Lubljana et Zagreb, sans oublier le rôle néfastejoué par l’armée fédérale. Depuis sa création, et tout par-ticulièrement depuis la mort de Tito (le 4 mai 1980), laYougoslavie a été tiraillée entre deux aspirations contra-dictoires : alors que la Slovénie, la Croatie et les Albanaisdu Kosovo prônaient l’instauration d’une confédérationlargement décentralisée, la Serbie visait à mettre en placeun État unitaire et centralisé sous les auspices de Belgradeafin de garantir la sécurité des minorités serbes vivant enCroatie, en Bosnie et au Kosovo. L’exacerbation du na-tionalisme serbe, à la fin des années 80, a fini par rendreimpossible la mise au point d’un compromis : en 1986,l’Académie des Sciences de Belgrade, haut lieu de l’in-telligentsia serbe, a publié un mémorandum mettant l’ac-cent sur la discrimination du peuple serbe au Kosovo eten Krajina et sur le rôle de " second plan " joué par lesSerbes à l’intérieur de la fédération yougoslave.

Cette situation avait alors permis à Slobodan Milosevicd’utiliser la question serbe afin d’affermir son emprisesur la vie politique yougoslave. L’opinion publique serbes’est en effet montrée favorable, en 1989, à l’abolitiondu statut d’autonomie des provinces du Kosovo et de laVoïvodine. La majorité de la population serbe avait éga-lement approuvé la répression sanglante exercée, à par-tir de la même année, sur la population albanaise. Celle-ci devait non seulement subir les actions arbitraires dela police serbe, mais encore les conséquences de lois dis-criminatoires, imposées par Belgrade, notamment dansle domaine de l’éducation et sur le plan du service pu-blic, privant les Albanais de tous leurs droits civiques.

Cette politique avait, en plus, transformé l’équilibre ins-titutionnel au sein du présidium collectif au profit de laSerbie, qui s’était arrogé un quasi droit de veto grâce aucontrôle qu’elle exerçait désormais sur les deux provinces,ainsi que sur la République de Monténégro, dont les di-rigeants ont été étroitement contrôlés par Belgrade. A cedéséquilibre institutionnel s’ajouteront, en 1990, l’écla-tement de la Ligue des Communistes yougoslaves, desaffrontements de plus en plus violents et fréquents entremilices serbes et policiers croates en Krajina, ainsi que lesdésaccords toujours plus profonds entre les dirigeantsyougoslaves sur les réformes économiques à adopter. Toutceci a fini par précipiter la catastrophe yougoslave.

C’est en juin 1990 en effet que Slobodan Milosevic an-nonce sa détermination de réunir tous les Serbes en unseul État, si les autres républiques persistaient à vouloirtransformer la Yougoslavie en une confédération décen-tralisée. Or, le 21 février 1991, la Slovénie et la Croatieont publié des résolutions visant la séparation négociéeet pacifique des Républiques fédérées de la Yougoslavieau plus tard le 30 juin 1991. Le 6 juin 1991, les prési-dents de la Macédoine et de la Bosnie-Herzégovine, euxaussi favorables à une nouvelle constitution, se sont dé-clarés solidaires de la Slovénie et de la Croatie. Mais, defacto, c’est des deux côtés que les dirigeants manquaientde volonté pour aboutir à un compromis : la Serbie, fortedu soutien de l’armée, semblait presque souhaiter la sé-cession des républiques indépendantistes afin de déclen-cher le conflit et réaliser le rêve de la " Grande Serbie ",alors que Slovènes, Croates, Macédoniens et Bosniaquesse servaient du nationalisme serbe pour rendre leur quêted’indépendance plus légitime - en particulier vis-à-visd’une communauté internationale, très attachée au main-tien de l’intégrité territoriale de la Yougoslavie.

29PROASILE la revue de France Terre d’Asile

INTERNATIONAL

L’Éclatement de la Yougoslavieles origines du conflitpar Hans Stark *

Si l’Europe a su surmonter les séquelles de la division Est-Ouest en se dotant d’unestructure à vocation fédérale axée autour d’une Union européenne de plus en plusouverte aux pays de l’Europe de l’Est, la Yougoslavie, composée de diverses natio-nalités et religions, s’est, quant à elle, enfoncée dans la guerre à partir de 1991

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30PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Les quatre guerres yougoslaves

C’est l’indépendance slovène et croate, proclamée le 25 juin1991, qui va déclencher les hostilités qui ravageront l’ex-Yougoslavie tout au long des années 90. Mais les guerresqui se succèdent en Slovénie (juin 1991), en Croatie (juillet-décembre 1991, puis mai-août 1995), en Bosnie-Herzégovine(avril 1992-août 1995) et au Kosovo (mai 1998-juin 1999)ont pris des formes différentes.

En Slovénie, les affrontements de juin et juillet 1991 n’ontduré que 19 jours et n’impliquaient que deux acteurs : l’ar-mée fédérale yougoslave et la défense territoriale slovène.L’enjeu de cette guerre n’avait, pour Milosevic, qu’une importance secondaire, car la population de cette répu-blique septentrionale ne comptait que 2 % de Serbes. C’estce facteur qui explique l’acceptation rapide par Belgradedes conditions d’un cessez-le-feu général, qui a mis finaux hostilités serbo-slovènes.

L’arrêt des combats en Slovénie s’est accompagné d’uneintensification des affrontements entre les milices parami-litaires serbes et croates en Krajina et en Slavonie - deuxrégions croates en partie peuplées d’une majorité de Serbes,opposés à l’idée de vivre dans un État croate indépendantet décidés, à leur tour, à faire sécession.L’objectif de Belgrade durant la première pé-riode de la guerre était d’amputer la Croatied’environ un tiers de son territoire et de sou-tenir la minorité serbe qu’elle comptait engloberdans une future " Grande Serbie ". Dès la mi-septembre 1991, la Croatie avait ainsi perduplus d’un quart de son territoire au profit dela Serbie. Après cette date, les lignes de frontont commencé à se stabiliser de part et d’autre.Le 31 décembre 1991, les présidents serbe etcroate ont donné leur accord à un plan depaix onusien qui a permis, pendant plus detrois ans, d’assurer une relative stabilité.Toutefois, entre 1992 et 1995, les forces croatesn’ont cessé de se renforcer et de se doter d’un équipementmilitaire équivalent à celui des forces serbes - en dépit del’embargo sur les armes voté par l’ONU dès 1991. À l’été1995, Zagreb se voyant confronté à la menace d’une avan-cée militaire serbe dans le nord de la Bosnie-Herzégovine,qui risquait de se solder par une unification des conquêtesserbes en Bosnie et en Croatie, l’armée croate a lancé deuxoffensives-éclairs, en mai et en août 1995. Celles-ci ont eupour conséquence la défaite des troupes serbes de Krajinaet de Slavonie, l’exode de la totalité de la minorité serbe -ainsi que l’arrêt des hostilités entre la Serbie et la Croatie,dont les rapports se sont même progressivement normali-sés depuis cette date.

Ce qui caractérise la guerre de Bosnie-Herzégovine, qui dé-bute le 6 avril 1992, c’est l’usage systématique de la ter-reur à l’égard des populations civiles, la destruction desvilles, le viol des femmes et, en particulier, le déplacementde deux tiers de la population (près de 3 millions de per-sonnes) - une terreur utilisée, à des degrés fort divers, partous les belligérants, mais surtout, et de loin, par les forcesserbes. L’objectif principal de la guerre en Bosnie-Herzégovine(la république la plus hétérogène, du point de vue religieuxet ethnique, de l’ex-Yougoslavie) était la création de troisentités séparées par le biais de la purification ethnique.

C’est l’offensive croate en Slavonie et en Krajina, à l’été 1995,

qui a brusquement changé la donne. Profitant de cette si-tuation nouvelle, les forces musulmanes bosniaques, ellesaussi de mieux en mieux équipées, ont lancé uneoffensive de grande ampleur contre les forces serbes etréussi, en moins de six semaines, à reprendre le contrôlede vastes zones serbes en Bosnie occidentale. Devant ladouble menace d’une intensification des combats risquantde provoquer une défaite totale de l’armée serbe et d’uneintervention de l’OTAN aux côtés des forces croates et mu-sulmanes, les dirigeants serbes et serbo-bosniaques ontfinalement accepté les conditions, élaborées par le Groupede contact1 , d’un cessez-le feu, signé en septembre 1995.Celui-ci fut à l’origine des accords de Dayton qui, le 21novembre 1995, ont mis un terme au conflit en Bosnie-Herzégovine.

Les accords de Dayton, s’ils ont mis fin à la guerre enBosnie, n’ont pas pacifié l’espace post-yougoslave. En ef-fet, au printemps 1998, les hostilités ont repris au Kosovoentre les forces armées serbes et l’armée de libération al-banaise, l’UCK. Les positions des Albanais et des Serbessont diamétralement opposées. Les premiers aspirent à l’in-dépendance du Kosovo, tandis que les seconds poursui-vaient une politique de purification ethnique vidant leKosovo d’une partie de sa population albanaise. Au début

de l’année 1999, les actions sporadiques desforces serbes se sont ainsi transformées enune guerre ouverte contre la population al-banaise, qui a subi le même sort que lesBosniaques cinq ans auparavant. D’où les né-gociations de Rambouillet (février-mars 1999),dont l’objectif avait consisté à élaborer un ac-cord entre Serbes et Albanais sur un statutd’autonomie substantielle du Kosovo. Le re-fus persistant et définitif des Serbes, malgréla menace de raids aériens, d’accepter l’ac-cord de Rambouillet avait alors entraîné ledéclenchement des opérations aériennes del’OTAN contre la RFY. L’opération " force al-liée " commence le 24 mars et va durer jus-

qu’au 9 juin 1999, date à laquelle " l’accord militaire tech-nique " conclu à Kumanovo (Macédoine) entre représentantsde l’OTAN et de Belgrade mettra fin aux frappes aériennes.

Enfin, et surtout, alors que l’objectif principal de Milosevic,avant la guerre, consistait à neutraliser l’UCK et à assurerla mainmise serbe sur la province, aujourd’hui, Kosovo estcontrôlé par l’OTAN, son administration est entre les mainsde l’UCK, les réfugiés albanais (dont plus de 800 000 ontété chassés par les Serbes) reviennent en force et les quelque200 000 Serbes de la province commencent à leur tour àfuir cette région. Berceau historique de la nation serbe, leKosovo fait certes encore partie intégrante de la RFY, maisil échappe totalement au contrôle de Belgrade - tout commela Slovénie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. Ayantpromis la " Grande Serbie " à ses compatriotes aveuglés,Slobodan Milosevic a finalement obtenu le contraire : uneSerbie amputée, ruinée et exsangue.

* Chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri)

1 - Chargé de la gestion internationale du conflit en Bosnie-Herzégovine,le Groupe de contact était composé de l’Allemagne, des États-Unis, dela France, de la Grande-Bretagne et de la Russie.

Slobodan Milosevicavait promisla ”Grande Serbie”à ses compatriotesaveuglés.Il a obtenu uneSerbie amputée,ruinée etexsangue.

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31PROASILE la revue de France Terre d’Asile

La loi ou la pratique administrative des Etats euro-péens – les Etats membres de l’Union européenne et quelquesautres – accordent aux réfugiés reconnus en vertu de laConvention de 1951 et du Protocole de 1967, le statutprévu par ces traités. Cependant, le demandeur d’asile dontla qualité de réfugié n’est pas formellement reconnue n’estpas toujours éloigné du territoire de l’Etat dont il sollicitel’asile. Souvent, il peut se voir attribuer ou peut obtenirune certaine protection, un certain statut qui lui permetde résider de façon durable dans l’Etat sollicité et d’y jouirde la plupart, voire de tous les droits prévus par la conven-tion de 1951. Notre propos n’est pas de dresser l’inventairedétaillé de ces formes de protection complémentaire oude ces statuts parallèles ni de les comparer 1 . Il s’agit d’enexpliquer l’origine et d’en commenter la raison d’être, etde voir si ces formes de protection complémentaire enta-ment la position des Convention et Protocole en leur qua-lité de principaux instruments juridiques de protection in-ternationale des réfugiés.

Les lois relatives à l’asile et aux réfugiés ont été conçues,adoptées et promulguées à des époques assez différentes se-lon les pays. Les lois de la première période, celle de l’im-médiat après-guerre, de la ré-institution du Haut Commissariatpour les réfugiés et de la conclusion de la Convention, sontrelativement libérales, empreintes du même esprit que laConvention, très ouverte à l’octroi de l’asile bien qu’ellene le prescrive pas expressément 2 . Des lois sont adoptéesau cours des années 60 dans des pays qui adhèrent avecun certain retard à la Convention ou qui n’ont pas pris dedispositions relatives à la détermination de la qualité de ré-fugié. Dans d’autres pays d’Europe, les lois de la premièrepériode sont amendées, mises à jour, vers la fin des années70 et le début des années 80. L’esprit libéral continue deprévaloir. Ce n’est que vers la fin des années 80 et au coursdes années 90 que la législation intègre des concepts res-trictifs tels que les notions de demandes d’asile manifes-tement infondées ou abusives ou de " pays sûr " (paysd’origine sûrs, pays tiers sûrs) préconisées, voire prescritespar des résolutions des Communautés européennes de 1992.

Mais revenons aux statuts parallèles. L’octroi d’un telstatut n’est pas nécessairement affaire de législation. Ladéfinition légale d’un statut parallèle est en fait l’exception.

Au demeurant, il s’agit le plus souvent non pas d’un sta-tut mais simplement d’un permis de résidence accordé pourdes raisons humanitaires. L’intéressé sera un étranger sansstatut particulier mais dont le dossier limite les risques derenvoi du territoire. Les formes de protection complémen-taires apparaissent dès la années 60, peut-être auparavant.A une époque, donc, où l’interprétation de la définition duterme " réfugié " de la Convention était assez libérale etoù l’on peut estimer qu’une protection complémentaire étaitinutile, les intéressés craignant d’être persécutés dans lepays de renvoi ayant pu être déclarés bel et bien réfugiésau sens de la Convention 3 .

J’ai souvent cru pouvoir déceler chez des représentantsde l’autorité, surtout chez les fonctionnaires chargés ducontrôle des étrangers, une attitude ambiguë à l’égard dustatut de réfugié. La crainte de persécution n’est pas encause, ni la nécessité d’offrir à l’intéressé la protection né-cessaire sur le territoire de l’Etat sollicité. Mais faut-il ac-corder au réfugié un titre et un statut particuliers qui le dis-tinguent des autres étrangers et le soustraient en quelquesorte a la pleine autorité de l’Etat d’asile ? A mon sens,c’est cette prévention contre un statut singulier qui ex-plique une certaine propension à accorder au réfugié uneforme de protection complémentaire plutôt que le statutprévu par les Convention et Protocole. Dans la mesure,bien entendu, où la situation du demandeur d’asile ne sa-tisfait pas, de prime abord, les conditions de la définitionconventionnelle. Cette prévention contre le statut de réfu-gié était et est encore explicable – et sans doute justifiéedu point de vue psychologique – par la fausse convictionque le statut de réfugié est irréversible. On sait qu’il n’enest rien, ni en droit – voir les clauses de cessation de l’ar-ticle premier, section C, de la Convention de 1951 – ni enfait, comme le démontrent les nombreux rapatriements li-brement consentis. Je ne songe pas aux rapatriements mas-sifs organisés depuis les années 70 et 80 en Afrique et enAsie mais plutôt aux rapatriements individuels spontanésde Chiliens, de Hongrois, etc. qui avaient pourtant commencéà s’intégrer dans le circuit économique et social d’Europeou d’ailleurs. Il reste que lors de la discussion des disposi-tions de la Conventions de 1951, certains juristes conce-vaient la qualité de réfugié comme irréversible dans cer-taines circonstances. Cette attitude s’est traduite dans les

Les formes de protection complémentaires au statut de réfugiépar Gilbert Jaeger *

INTERNATIONAL

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32PROASILE la revue de France Terre d’Asile

deuxièmes alinéas de l’article premier, section C, 5) et 6) dela Convention.

Le développement des formes de protection complémen-taire et des statuts parallèles se situe évidemment dans lecadre de la globalisation du phénomène des réfugiés, del’augmentation du nombre des réfugiés et surtout des de-mandeurs d’asile et dont on peut situer les effets en Europeau début des années 80, bien que les deux aspects de la ques-tion soient en fait assez anciens. Pour nous limiter au XXesiècle, les situations de réfugiés et de personnes déplacées étaientdès le début du siècle nombreuses et massives en dehors del’Europe, surtout en Asie centrale et orientale – sans être ca-taloguées comme telles du point de vue juridique. Au demeurant,la crainte du nombre – nous dirions même, la hantise dunombre – était toujours présente lors des discussions de juillet1951 et explique les aspects limitatifs de l’article premier dela Convention : la limite du 1er janvier 1951 et la limitationgéographique facultative aux événements survenus en Europe.

Après que le Protocole du 31 janvier 1967 eut suppriméles aspects limitatifs de la définition et que les progrès tech-niques eurent facilité les déplacements intercontinentaux,la globalisation et l’augmentation du nombre des deman-deurs d’asile se sont manifestées dans toute l’intensité re-doutée et ont forcé les Etats, en quelque sorte, à recourir àdes mesures dissuasives pour " endiguer le flux " : ré-ins-titution de l’obligation du visa, sanctions à l’endroit destransporteurs aériens et autres, assignation dans des centresd’accueil, détention abusive, etc 4 . A la même époque, lesEtats recourent davantage à des formes de protection com-plémentaires le plus souvent en appliquant de façon pluslibérale des dispositions existantes des lois relatives à l’asileet aux réfugiés et sans accorder pour autant aux intéres-sés un statut bien défini.

La simultanéité de mesures dissuasives et de formes deprotection complémentaires exige une explication. Depuistoujours, l’attitude de l’Etat, du parlement, de l’opinion àl’égard de l’asile et des réfugiés dépend de forces antago-nistes : un sentiment de solidarité humaine, de respect desdroits de l’homme d’une part et un sentiment xénophobe,un sentiment de défense de la communauté dont on fait par-tie, d’autre part. La politique d’accueil et de refus des de-mandeurs d’asile est un équilibre entre ces forces antago-nistes. Cet équilibre est local et donc différent dans chaqueEtat, il est spécifique selon l’origine ethnique – je n’ose pasdire, la couleur – des arrivants et il est instable car il va-rie dans le temps. En pratiquant à la fois des mesures dis-suasives et des formes de protection complémentaires, l’Etat– ou plutôt la communauté nationale concernée – peut ap-pliquer une politique d’accueil différenciée selon les causesdu départ du demandeur d’asile et –malheureusement – se-lon son origine géographique ou ethnique.

On peut et on doit se demander si l’accueil réservé oule refus opposé au demandeur d’asile sont conformes audroit d’asile et à ce qu’il est convenu d’appeler le droit in-ternational des réfugiés. En admettant – pour faciliter ladiscussion – que ces repères (le droit d’asile et le droit desréfugiés) soient bien établis, il conviendrait d’examiner leproblème de la conformité dans chaque cas d’espèce.

Les formes de protection complémentaires ont-elles en-tamé la position des Convention et Protocole en leur qua-lité de principaux instruments juridiques de protection in-ternationale des réfugiés ? Je suis tenté de répondre oui.

Une analyse assez grossière des pratiques dans les quinzeEtats membres de l’Union européenne me porte à croireque dans cinq pays sur quinze, les autorités chargées de dé-terminer la qualité de réfugié favorisent le statut parallèleau détriment du statut prévu par la Convention et le Protocole.Les raisons de cette préférence ont été scrutées plus haut.Cette pratique n’est évidemment pas conforme à l’engage-ment des Etats contractants d’appliquer la Convention etle protocole. Il appartient aux réfugiés intéressés, à leursavocats et aux associations de réagir en formant un re-cours dans tous les cas où une telle démarche leur paraîtjustifiée.

Autre chose est de savoir si les formes de protectioncomplémentaires entament la position du droit d’asile. Ici,la réponse sera plus nuancée. D’une part, même si laConvention de 1951 n’institue pas le droit à l’asile, elle estune pièce importante du droit international relatif à l’asile; au demeurant, elle définit de façon détaillée le contenude l’asile à l’intention des réfugiés qui l’ont reçu. En enta-mant les positions des Convention et Protocole, les statutsparallèles ébranlent quelque peu les fondements du droitd’asile. D’autre part, les formes de protection complémen-taires procèdent de la constatation que des personnes quine satisfont pas les conditions de la définition du réfugiéne peuvent pas pour autant être éloignés du territoire et queleur séjour doit être assuré. Ces formes de protection confir-ment donc la nécessité de l’asile.

Le présent texte ne concerne pas une forme particulièrede protection des réfugiés : la protection temporaire. Cettepratique est assez ancienne ; elle a été remise à l’avant-planen 1992 quand le HCR a suggéré aux Etats d’accorder uneprotection temporaire aux réfugiés des conflits yougoslaves.En principe, la protection temporaire n’est pas une mesureindividuelle mais une mesure collective, utile pendant la du-rée de la situation qui l’a provoquée. Notre texte n’exa-mine pas davantage les formes de protection complémen-taires sous l’angle du droit relatif aux réfugiés qui est envoie de se constituer depuis plusieurs années au sein del’Union européenne. Toutefois, j’attire l’attention du lec-teur sur les récents travaux de la Commission des libertéspubliques et des affaires intérieures du Parlement européenet spécialement sur la Résolution sur l’harmonisation desformes de protection complémentaires au statut de réfugiédans l’Union européenne adoptée par le Parlement le 10février 1999 5 .

* Ancien Directeur de la protection au HCR

1 - Cf. Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) : Complementary/Subsidiary forms of protection in the EU States, an overview (London, May1999)2 - Cf. Gilbert Jaeger : Les Nations Unies et les réfugiés, in Revue belgede droit international 1989/1, pp. 18-120 ; voir la Convention et l’Asile,alinéas 190-1983 - C’est le sens d’une décision du Conseil d’Etat néerlandais en 1988. Cf.Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) : L’asile en Europe,Paris, 1990, page 3994 - Groupe de travail sur les déplacements irréguliers des demandeursd’asile et des réfugiés : Etude des déplacements irréguliers des demandeursd’asile et des réfugiés, Genève, HCR, juillet 1985, para.187-197.5 - Document PE 228.552/dèf. Du 26 novembre 1988 et PE 276.722 du10 février 1999

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33PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Terre d’asile et République, à bieny réfléchir, ont un sens très voi-sin. Accueillir des hommes, cen’est pas les juxtaposer dans desghettos, mais les faire participerà un monde commun. Le gested’accueil a égard en effet à l’hu-manité des hommes autant qu’àla façon dont elle s’est particu-larisée dans des coutumes. Or lacréation d’un monde communcomporte des exigences. Tout n’estpas compatible en effet dans lesnormes et les usages qui procèdentdes civilisations particulières, ousi l’on veut des " cultures ", dansle sens ethnographique du terme.Dès lors, une tension peut appa-raître entre cette visée d’un mondecommun – présente dans l’inté-gration républicaine – et le res-pect de ce que l’on appelle sou-vent, non sans ambiguïté, les " différences culturelles ". Cette ten-sion peut mettre en jeu deux at-titudes extrêmes, qui souvent senourrissent l’une l’autre.

Assimilation négatrice et communautarisme crispé

La première attitude relevant d’uneconfusion entre intégration républicaine et assimilation négatrice de toute différence, com-porte le risque de disqualifier l’idéemême de république, de bien com-mun aux hommes, aux yeux despersonnes victimes de cette confu-

sion. La seconde attitude, en sy-métrie inverse, exalte la " diffé-rence " en un communautarismecrispé, replié sur des normes par-ticulières, et ce au risque de com-promettre la coexistence avec lesmembres des autres " commu-nautés ". Cette exaltation a par-fois le sens d’une affirmation po-lémique contre une intégrationqui se confondrait avec une as-similation négatrice. Les deux at-titudes, en ce cas, s’alimententréciproquement.

D’où la nécessaire définition d’unéquilibre, ou plutôt d’une concep-tion juste des principes de l’inté-gration comme de l’affirmationidentitaire. Du côté de la logiqued’intégration, le principe doit êtrede distinguer rigoureusement lesexigences qui ont valeur univer-selle dans la fondation sociale, etles traits particuliers d’une façond’être collective, d’un héritageculturel, de coutumes spécifiques.Un tel partage n’est pas toujoursaisé à effectuer, mais il est né-cessaire lorsqu’il s’agit de définirce qui est légitimement exigibleau titre de l’intégration. Un exemplesimpliste, mais qui permettra d’in-diquer sommairement le sens dece partage peut être proposé :dans une constitution républi-caine où les droits de l’hommeont un rôle fondateur, la libertéindividuelle et l’égalité des sexes,

par exemple, sont des principesqu’aucune pratique culturelle, fût-elle coutumière ou ancestrale, nesaurait battre en brêche. Sur cepoint, rien n’est véritablement né-gociable – ce qui ne veut pas direque rien ne doit être fait pourmettre en évidence le sens et lavaleur de tels principes, ainsi queles exigences qui en procèdent.Les pratiques quotidiennes, lesusages familiaux, et l’ensembledu patrimoine esthétique et af-fectif, en revanche, doivent êtrerespectés en leur libre affirma-tion, et reconnus, si l’on veut, enleur " différence ".

Toute la difficulté apparaît biensûr dès lors que des normes d’as-sujettissement interpersonnel setrouvent impliquées dans le pa-trimoine culturel ainsi respecté.Faut-il s’abstenir de les juger sousprétexte que le " droit à la diffé-rence " ne saurait être relativisé ?Faut-il au contraire rejeter globa-lement une culture sous prétexteque des rapports d’assujettissementy sont impliquées ? La premièreposture désarme souvent devantl’inacceptable et conduit à unesorte de servitude. La seconde re-noue avec l’ethnocentrisme et s’ap-parente au refus de toute diffé-rence culturelle sous prétexte dedéfendre la justice. Il est d’ailleurspeu probable qu’une telle " défense " soit comprise et

Laïcité et " différences ". Questions de principesPar Henri Pena-Ruiz*

ETHIQUE ET HUMANISME

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34PROASILE la revue de France Terre d’Asile

admise dès lors qu’elle se solida-rise d’une attitude de rejet globaldans laquelle on peut fort bienidentifier une posture d’intoléranceet de refus de l’autre. La premièreattitude confond bien vite la tolérance et le relativisme qui dis-qualifie tout repère et tout principede référence. La seconde rend peucrédible la perspective d’intégra-tion, en confondant les traits par-ticuliers d’une civilisation et lesprincipes universels capables defonder la concorde entre leshommes.

L’impasse à laquelle conduit cha-cune de ces voies est manifeste.La ghettoïsation et la mosaïquedes communautés juxtaposées,dont les frontières sont souventconflictuelles, dessinent la figured’une démocratie qui se prive detoute référence à un bien com-mun. Figure correspondant à lapremière attitude, et repérable au-jourd’hui dans certaines dérivescommunautaristes du monde an-glo-saxon. Quant à la deuxièmeattitude, si elle semble en partierévolue depuis la critique décisivedes idéologies colonialistes et éth-nocentristes, elle peut resurgir sousdes formes renouvelées dans lesracismes modernes que ne man-quent pas de nourrir la crise éco-nomique et sociale liée à la loi duDieu-Marché et au libéralisme dé-bridé qui lui correspond.

Il faut donc adopter une troisièmevoie, celle de la désimplicationdu patrimoine culturel et des rap-ports de pouvoir ou des normesqui leur sont liés. Les rapportsféodaux de servage ont eu quelquechose à voir avec l’art des trou-badours, mais l’admiration de cesderniers n’implique nul consen-tement aux rapports d’ assujetti-sement qui lui ont été associés.Les " negro-spiritual " ne sontpas sans rapport avec l’esclavagedes noirs en Amérique, mais àl’évidence, le patrimoine culturelqu’ils représentent en est rigou-reusement dissociable. Osons uneanalogie. La culture liée au chris-tianisme véhicula longtemps lasoumission de la femme à l’homme,comme le fait aujourd’hui aussiune certaine interprétation duCoran. Mais le respect des cul-tures et des différences ne peutaller jusqu’à s’incliner devant toutenorme ou toute coutume : ici intervient la désimplication évo-

quée. On sortira donc d’une ques-tion mal posée, qui est celle durespect de toutes les cultures enrappelant que tout n’est pas res-pectable dans les coutumes, etque nulle civilisation ne doit échap-per à l’esprit critique, qui doit dis-tinguer ce qui se donne comme " culturel " pour mieux s’impo-ser – à savoir des rapports de domination et des normes contes-tables – et ce qui, réellement peutvaloir comme patrimoine culturel.L’excision du clitoris, les mutilations corporelles erigées enchâtiment, les répu-diations unilatéralesd’une femme par unhomme, sont autantd’exemples de pra-tiques irrecevables.Cette remarque estaussi vraie pourl’Occident chrétien quepour les autres contréesdu monde. L’égalitédes sexes, la liberté deconscience, la recon-naissance des droitsn’y advinrent en effetque par des luttes qui,à bien des égards, pre-naient le contre-pieddes usages et des tra-ditions. La réalisationdes idéaux n’y estd’ailleurs que partielle – et l’onne peut donc que rejeter commemystificateur l’ethnocentrisme, oucette réécriture de l’histoire quiconsisterait à laisser croire quel’Occident chrétien a produit na-turellement les droits de l’homme,alors que ceux-ci y furent conquis,pour l’essentiel, contre la tradi-tion cléricale chrétienne. Rappelonsque l’église catholique a attendule vingtième siècle pour recon-naître la liberté de conscience,l’autonomie de la démarche scien-tifique et l’égalité principielle detous les hommes, croyants ou non: toutes choses que le pape ana-thémisait encore en 1864. EnFrance, Monseigneur Frepel, fa-rouche adversaire de la laïcité,affirmait que les " droits del’homme " constituent la " néga-tion du péché originel "…

Libre arbitre

L’ " affirmation identitaire ", sisouvent invoquée comme un droità part entière, ne va pas non plussans ambiguïté. Vaut-elle pour lesindividus ou pour les groupes

humains ? Si l’identité person-nelle est une construction rele-vant du libre arbitre, elle ne peutse résorber dans la simple allé-geance à une communauté parti-culière. En l’occurrence, le droitde l’individu prime sur celui quel’on serait tenté de reconnaître àla " communauté " à laquelle il estdit " appartenir ". Ce dernierterme, à la réflexion, se révèletrès contestable. Nul être humain" appartient ", au sens strict, àun groupe – sauf à fonder le prin-cipe d’une allégeance non consen-

tie qui peut aller loindans l’aliénation. Lajeune musulmane quirefuse de porter levoile doit-elle y êtrecontrainte au nom duprétendu droit de sacommunauté ? Lafemme malienne quis’insurge contre lamutilation tradition-nelle du clitoris sera-t-elle considéréecomme trahissant saculture ? La femmechrétienne qui refusede réduire la sexua-lité à la procréationsera-t-elle stigmati-sée par l’autorité clé-ricale ? Ces exemples

soulignent le risque que comportel’assignation de l’affirmation iden-titaire au niveau de ces groupes.Le " droit à la différence ", c’estaussi le droit, pour un être hu-main, d’être différent de sa dif-férence, si l’on entend par cette der-nière la réification de traditions,de normes et de coutumes dans cequi est appelé une " identité cul-turelle ". Octroyer des droits à des" communautés " comme telles,ce peut donc être courir le risquede leur aliéner les individus quine se reconnaissent en elles quede façon mesurée et distanciée,c’est-à-dire libre.

Tel est le point aveugle du com-munautarisme auquel, étourdi-ment, on croit devoir consentirpar tolérance alors qu’on risqueainsi de consacrer la mise en tu-telle des individus. Ici se posemalgré tout la difficile question dustatut des références culturellescommunautaires, considérés commeéléments de construction de l’iden-tité personnelle, mais non commefacteurs obligés d’allégeance. Uneculture qui prétend s’imposer n’est

Une culture quiprétend s’imposern’est plus uneculture maisune politique. Elle relève doncd’un traitementpolitique avecdroit de regardsur le sort qu’elleréserve auxlibertés.

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plus une culture, mais une poli-tique. Elle relève donc d’un trai-tement politique, avec sroit de re-gard sur le sort qu’elle réserve auxlibertés. Dès lors, tout individu doitpouvoir disposer librement de sesréférences culturelles, et non êtrecontraint par elles. Il en est ainsi,bien sûr, pour la religion qui nepeut sans bafouer les droits de lapersonne prendre la forme d’uncredo obligé. C’est dire que la li-berté, là encore, doit rester un prin-cipe intangible. L’individu qui as-sume sa culture ne consent pasnécessairement à toutes les tradi-tions en lesquelles, naguère, ellea pu s’exprimer. Il apprend à lavivre comme telle, c’est-à-direcomme une culture particulière,que d’autres hommes ne partagentpeut-être pas. Il apprend égale-ment à distinguer ce qui peut êtreaccepté de ce qui est contestable: il vit ainsi son " appartenance "de façon suffisamment distanciéepour ne pas se fermer aux autreshommes, pour éviter tout fana-tisme. Or c’est très exactement cetteexigence, qui conjugue affirma-tion et distanciation, que relayel’intégration républicaine pour faireadvenir un monde commun à tousles hommes, quelles que soient parailleurs les références culturellesdans lesquelles ils se reconnais-sent. L’ouverture à l’universel ex-clut l’enfermement dans la diffé-rence. Mais l’universel, lui-même,n’est l’authentique partage de cequi est ou peut être commun à tousles hommes que s’il se conçoit defaçon critique, par dépassement

des particularismes et désimplica-tion des références culturelles parrapport aux relations d’assujettis-sement.

Dans une telle perspective, la laï-cité définit le cadre le plus adé-quat qui soit pour accueillir lesdifférences culturelles sans concé-der quoi que ce soit aux pouvoirsde domination et aux allégeancesqui prétendraient s’en autoriser.Liberté de conscience, égalité strictedes croyants et des non-croyants,autonomie de jugement cultivéeen chacun grâce à une école laïquedépositaire de la culture univer-selle, constituent en effet les va-leurs majeures de la laïcité. La sé-paration de l’Etat et des Eglises n’apas pour fin de lutter contre lesreligions, mais de mettre en avantce qui unit ou peut unir tous leshommes, croyants de religions diverses ou croyants et non-croyants. L’effort que chacun accomplit pour distinguer en luice qu’il sait et ce qu’il croit, pourprendre conscience de ce qui peutl’unir à d’autres hommes sans exi-ger d’eux qu’ils aient la mêmeconfession ou la même vision dumonde est le corollaire d’un telidéal.

Un humanisme critique

Dans des sociétés souvent déchi-rées, l’idéal laïque montre la voied’un humanisme critique, d’unmonde véritablement commun. Nulbesoin pour cela que les hommesrenoncent à leurs références cul-

turelles : il leur suffit d’identifierles principes qui fondent le " vivreensemble " sans léser aucun d’entreeux. La croyant peut fort bien com-prendre qu’un marquage confes-sionnel de la puissance publiqueblesse le non-croyant. Et celui-ci,réciproquement, peut fort bien ad-mettre qu’un Etat qui professeraitun athéisme militant serait mal ac-cepté par le croyant. La laïcité dela puissance publique, c’est l’af-firmation de ce qui est communaux hommes ; la neutralité confes-sionnelle n’est donc que la consé-quence du principe positif de pleineégalité. Ceux qui, au nom d’unereligion ou d’une idéologie, en-tendent disposer d’emprises pu-bliques, usurpent en fait le biencommun, comme le fait le cléri-calisme, captation du pouvoir tem-porel à des fins religieuses ou po-litiques. La laïcité requiert un effortd’ouverture et de retenue tout à lafois puisqu’elle entend préserverla sphère publique de toute cap-tation cléricale. Cet effort est ce-lui-là même qu’ont à faire leshommes pour apprendre à vivreensemble dans le respect de leurslibertés de penser et d’agir. Ainsise dénouent les difficultés évo-quées plus haut, concernant laconciliation entre intégration ré-publicaine et affirmation de soi.N’en déplaise à ses détracteursl’idéal laïque a un bel avenir.

* Agrégé de PhilosophieDernier ouvrage paru : Dieu et Marianne,Philosophie de la Laïcité - PUF Paris, 1999

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Un siècle de nuit et brouillards'achève. La barbarie,l'inhumanité sont présentes sur tous les continents. Lorsqueface aux horreurs de la seconde guerre mondiale, la com-munauté internationale avait déclaré "plus jamais ça", ilétait encore naïvement possible de dire : nous ne savionspas. Aujourd'hui avec le développement des techniques decommunication, nul n'est censé ignorer que l'indicible està nos portes. Cette connaissance en temps réel renforcela responsabilité qui nous incombe à tous, citoyens etresponsables politiques, de protéger les populations dansla guerre. Cette responsabilité, MichelFoucault l'avait déjà exprimé il y a prèsde 20 ans : "Il existe une citoyenneté in-ternationale qui a ses droits, qui a sesdevoirs et qui engage à s'élever contretout abus de pouvoir quelqu'en soit lesauteurs, quelles qu'en soient les victimes.Après tout, nous sommes tous des gou-vernés et à ce titre solidaires. (…) Le mal-heur des hommes ne doit jamais être unreste muet de la politique."

Pourtant, le bilan de ces 20 dernières an-nées est là, intolérable. Pendant la pre-mière guerre mondiale, 5% des victimesétaient des civils. Aujourd'hui, les civilsreprésentent plus de 90% des victimes.Les conflits sont de plus en plus meur-triers. Les civils sont au mieux des moyensde faire la guerre, au pire ils en sont l'enjeu même. Génocide,massacres génocidaires, épuration eth-nique, famine, dé-portation se multiplient. Quand elles ne sont pas élimnées,les populations sont utilisées comme moyen de faire laguerre. Les déplacer, les affamer, les piller permet d'affai-blir le camp adverse en le privant de ses bases logistiqueset de son soutien populaire.

Comment un tel bilan est-il possible ? Le droit internatio-nal humanitaire n'a pourtant cessé de se développer depuis près d'un demi siècle. Il s'est constitué un solide

corpus juridique assurant théoriquement la protection des civils en temps de guerre. La première raison tient à nature des conflits. Les populations civiles sont devenuesl'objet même des conflits. Les guerres d'extermination semultiplient. Trop souvent l'objectif premier des combat-tants est d'éliminer ou de chasser d'un territoire, une po-pulation déterminée. Les civils sont également devenus desmoyens de faire la guerre. Comme au Burundi, en Somalieou plus récemment au Kosovo, ils sont déplacés, déportés,affamés.

Ce bilan s’explique également par l'ap-parition de nouveaux conflits à la confi-guration de plus en plus floue. De plus enplus souvent internes, ils opposent commeau Kosovo ou au Chiapas, une armée na-tionale à une "force de libération". Parfois,la disparition de l'Etat laisse s'affronterdes factions entre elles et l'absence detoute régulation conduit au chaos. Ce futle cas en Somalie, au Liberia ou plus ré-cemment en Sierra Leone. Rares sont lessituations où deux groupes bien identi-fiés s'opposent. La présence sur le champdes opérations d'une armée nationale, denombreuses factions, de milices, de mer-cenaires à la solde de divers groupes po-litiques, ethniques, de troupes régulièresde pays frontaliers renforce l'opacité des

guerres actuelles. La privatisation de certaines guerres estune dimension inédite des conflits d'aujourd'hui qui met-tent en scène des mafias, des représentants de compagniesminières ou pétrolières. Ces acteurs, aux lourdes ressourcesfinancières qui soutiennent des groupes armés, ont forte-ment contribué à la déstabilisation de la Tchétchénie et del'Angola.

Dans ces situations complexes et particulièrement dange-reuses, l'espace d'intervention de l'assistance humanitairese réduit. Confrontées à des entraves militaires, policières,

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ETHIQUE ET HUMANISME

Protéger les populations dans la guerre,une responsabilité morale, juridique et politiquePar Dr Jacky Mamou*

Confrontées à des entravesmilitaires, policières,administratives ou à desconditions de sécurité trèsdégradées, les ONG ont de plus en plusde difficultés à soigner,nourrir, et protéger lespopulations civiles prises enotages des combattants.

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administratives ou à des conditions de sécurité très dégra-dées, les ONG ont de plus en plus de difficultés à soigner,nourrir, et protéger les populations civiles prises en otagesdes combattants. Trop souvent, l'aide humanitaire est elle-même utilisée comme un moyen parmi d'autres de faire laguerre par les parties au conflit. Comme en Somalie ou ausud-Soudan, ouvrir ou fermer des zones à l'assistance estun moyen de manipuler les civils, de les déplacer, de lesrepérer, de les "appâter". Face à ceconstat, la communauté internatio-nale est paradoxalement de plus enplus rétive à toute intervention vi-sant à protéger les populations.L'expérience de l'opération RestoreHope en 1992 en Somalie, mal pré-parée et aux objectifs confus a in-cité l'ONU à une extrême prudence,confinant parfois à la paralysie, commece fut le cas en Bosnie et au Rwandaou a une passivité complice commedans l'ex-Zaïre.

Ainsi, s'il semble théoriquement évident que chacun a ledroit de vivre, de ne pas être pris pour cible, de ne pas êtreenrôlé de force, de ne pas être affamé, violé ou pillé… laréalité est toute autre. Alors, qui doit assumer la respon-sabilité de l'application de ces principes indérogeables ?La réponse est là évidente, la protection des populations re-lève en premier lieu de la responsabilité des Etats. Cetteresponsabilité est tout d'abord morale, elle est le fonde-ment du contrat social. L'individu accepte l'autorité del'Etat parce que celui-ci le protège. Lorsque l'Etat n'assurepas cette protection ou pire lorsqu'il est lui-même pro-ducteur de la violence, le contrat se rompt et perd tout sonsens. La responsabilité des Etats est également juridique. Tousles Etats qui ont ratifié les Conventions de Genève se sontengagés à les respecter et à les faire respecter. Si un Etatn'est pas en mesure de protéger sa population ou s'il estlui-même à l'origine de la violence, l'ensemble des autresEtats signataires doit se substituer à lui afin d'assurer l'ap-plication des règles du droit international et de porter as-sistance et protection aux populations civiles. Enfin, la res-ponsabilité des Etats est éminemment politique, puisqueles Etats se sont engagés à maintenir la paix et la sécuritéinternationales. Pourtant, on l'a dit, les populations sont ou-bliées, instrumentalisées et ne sont jamais le ressort pre-mier de la décision politique. Sur quels critères, à partir de

quels éléments de contrainte la décision politique est-elleprise ? Nous le savons tous, ces critères sont stratégiques,politiques, économiques.

Il est désormais temps de dépasser ce constat, de cesser derenvoyer le politique au seul cynisme de la décision et deconsidérer que la morale est l'apanage du seul espace privé.Nous devons au contraire créer le contexte qui imposera

aux décideurs politiques d'assumerleurs responsabilités morales, juri-diques et politiques vis à vis des po-pulations. Il n'existe pas aujourd'huid'instance impartiale, indépendanteet incontournable pour qualifier lavulnérabilité des populations. Nousmultiplions les rapports et les crisd'alarme sans concertation ni coor-dination et nous ne parvenons quetrop rarement à imposer notre dia-gnostic, à en faire un véritable ins-trument de décision politique. Nos

actions, nos témoignages n'ont pas brisé le silence qui pe-sait sur Grozny et sur Kaboul. Ils n'imposent toujours pasaux responsables politiques, l'impérieuse nécessité d'ap-porter une protection aux centaines de milliers d'hommes,de femmes et d'enfants qui tentent de survivre dans des guerresoubliées.

C'est la raison pour laquelle Médecins du Monde a prisl'initiative d'instaurer un dialogue entre humanitaires, ex-perts, citoyens, responsables politiques. Le point de départde ce long travail d'échange et de concertation a été donnéle 2 juillet 1999, lors de la Conférence internationale inti-tulée "Protéger les populations dans la guerre". A l'issu decette journée, marquée par des débats de haut niveau entreles intervenants, Médecins du Monde a émis sa propositionde constituer un réseau international composé d'humani-taires, d'universitaires et de responsables politiques et dontle premier objectif serait d'élaborer une plate-forme de pro-positions pour l'Assemblée Générale des Nations Unies pourle Millénaire. Médecins du Monde proposera notamment auxmembres du réseau qui se réunira à l'automne de réfléchirà la création d'une instance d'évaluation et de qualifica-tion de la vulnérabilité des populations civiles dans laguerre.

* Président de Médecins du Monde

L’expérience de l’opération enSomalie, mal préparée et auxobjectifs confus, a incité l’ONU à une extrême prudenceconfinant parfois à la paralysiecomme en Bosnie ou à unepassivité complice comme dansl’ex-Zaïre.

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T outes les cités grecques ont pratiquél’exil ou l’accueil de citoyens sans tou-jours distinguer entre les exilés crimi-nels de droit commun et les bannispour raisons politiques1. L’organisationpolitique de la Grèce antique expliquepour une part la fréquence de l’exil.Au delà des raisons de ces nombreuxexils forcés, on peut s’interroger sur lamanière dont la société grecque, la pre-mière à s’être interrogée sur la naturedu politique, considéra l’accueil des ré-fugiés et leur protection, souvent dé-pendante des rapports de force poli-tiques.

L’ostracisme, le bannissement etl’exil comme armes politiques

La Grèce antique est en effet diviséeen une multitude de Cités-Etats dontla taille dépasse rarement les 3000 km2.A ce morcellement ter-ritorial s’ajoutedès le milieu du VIIIème siècle av. J.C.une relative instabilité politique et la mul-tiplication de luttes de factions oppo-sant les grandes familles aristocratiquesaux tyrans ou les partisans de l’Oligarchieaux Démocrates. Les vainqueurs n’hé-sitaient pas à expulser et parfois à pour-suivre les vaincus. Pisistrate tyrand’Athènes au VIème siècle a ainsi étéexilé deux fois, et a banni ses adver-saires politiques pour faciliter le réta-blissement de son pouvoir. Les nom-

breuses périodes de guerre sont égale-ment un facteur déclenchant des vaguesde réfugiés. Ainsi Athènes dut-elle ac-cueillir près de 2000 réfugiés platéensmenacés d’esclavage après la défaitede leur cité face à la puissante Sparteen 427. On sait d’autre part que certainsAthéniens soupçonnés d’avoir des sym-pathies pour les Perses ou les Spartiatespendant les dures guerres du Vèmesiècle furent contraints à l’exil pour in-telligence avec l’ennemi. Mais mêmelorsque le régime politique semble se sta-biliser et que la cité est en paix, l’exilpolitique reste une arme courammentemployée. Solon, l’un des premiers lé-gislateurs athéniens (vers 594), aurait ainsi prévu d’exiler quiconquetenterait d’établir une tyrannie à Athènes,et les grandes œuvres philosophiquesdu IVème siècle (Les Lois de Platon oula Politique d‘Aristote) considèrent en-core le bannissement comme une me-sure politique envisageable. Rappelons par ailleurs la pratique del’ostracisme, essentiellement connuepour la cité d’Athènes entre 488 et 417.Une fois par an, l’assemblée du Démos(peuple) se réunissait pour se pronon-cer sur l’opportunité de procéder à unostracisme, c'est-à-dire d’exiler un ci-toyen menaçant la cité ou ses institu-tions. En cas de vote positif de l’as-semblée et sous condition d’un quorumde 6000 citoyens, on procédait à

un second vote secret au cours duquelchaque citoyen inscrivait sur un os-trakon (tesson de céramique) le nomde l’homme à exiler. Si une majoritése dégageait sur un nom, le citoyenétait alors exilé pour 10 ans sans pri-vation de son droit de citoyenneté àson retour, ni confiscation de ses biens.Aristote montre bien dans la Constitutiond’Athènes en quoi l’ostracisme est à lafois une mesure de pacification et unremède à l’expulsion systématique desadversaires politiques. Après la chutede la tyrannie à Athènes, l’ostracismefut précisément crée pour en éviter lerétablissement car "les Athéniens, usanten cela de l’humanité habituelle à ladémocratie, laissaient habiter dans lepays les amis des tyrans qui ne s‘étaientpas compromis dans les troubles". Enostracisant les chefs du parti de la ty-rannie, la démocratie éloignait doncun danger tout en faisant l’économied’une vague d’expulsion radicale.

L’éxilé à la recherche d’une terred’accueil

Le citoyen exclu de la cité perd touteprotection juridique. A la merci de toutesles injustices, il risque jusqu’à l’escla-vage. D’Eschylle à Euripide, les grandestragédies relatent la misère de l’exiléerrant de place en place et recherchantune cité d’accueil. Plusieurs possibili-

Les réfugiés et leur protection enGrèce antique ParJérôme Béliard*

PERSPECTIVES HISTORIQUES

D’Homère à Alexandre le Grand, l’histoire de la Grèce antique fournit de nombreux exemplesde réfugiés, le plus souvent pour des raisons politiques, si bien que le demandeur d’asile estune des figures récurrentes de la tragédie grecque. Parfois isolés ou presque, comme ce futsans doute le cas de Thémistocle, les réfugiés se comptaient par milliers après les désastresdes guerres.

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tés s’offrent alors à lui. A l’époque dela fondation de colonies en Méditerranéedu VIII au VIème siècle, la solution laplus simple pour un chef de factionétait de partir avec ses partisans fon-der une cité nouvelle, il acquérait ainsiune nouvelle citoyenneté et une terre.C’est le cas par exemple d’Archias deCorinthe qui partit fonder Syracuseen Sicile vers 733. L’exilé peut égale-ment s’engager comme mercenaire oucomme espion au service d’une cité(cas des Mégariens réfugiés à Athènes),passer à l’ennemi comme le fitThémistocle qui se réfugia auprès dugrand Roi de Perse2 , éventuellementprofiter des liens existant entre les co-lonies et la métropole, ou encore, casplus fréquent, faire jouer les liensd’hospitalité sacrés unissant dans l’an-tiquité les grandes familles des diffé-rentes cités. Certaines personnalitésimportantes pouvaient enfin faire va-loir des services rendus à une cité pourlui demander l’asile. Ainsi, c’est parcequ’il avait disculpé la cité de Corcyrede n’être pas intervenu contre les Perses,que Thémistocle bénéficia d’un ac-cueil temporaire dans cette cité ; demême le grand Alcibiade fuyant Athènesfut-il accueilli à Sparte en sa qualitéde proxène3 de Sparte à Athènes. L’exilé pouvait enfin, notamment lors-qu’il était poursuivi par sa cité d’ori-gine, se présenter dans un sanctuaireen posture de suppliant, le plus sou-vent muni d’un rameau d’olivier oude laurier, et se placer en toute hu-milité sous la protection du Dieu, cou-tume que l’on retrouve dans la tradi-tion chrétienne jusqu’à l’époquemoderne. Toute violence exercée contrel’exilé ainsi placé sous la protection duDieu relevait alors du sacrilège et étaitpassible des peines les plus terribles(l’exil le plus souvent). " Un autel vautmieux qu’un rempart, c’est un bou-clier infrangible " dit ainsi Danaos àses filles dans Les suppliantes d’Eschylle.Pour autant le sanctuaire n’offre qu’uneprotection provisoire. Si l’on connaîtun cas de Spartiate qui construisit samaison pour partie sur le territoire dutemple de Zeus afin de profiter de saprotection pendant plus de 19 ans,d’autres se virent assiégés et contraintsà sortir pour ne pas mourir de faim.Cet asile dans les temples ne consti-tuait en fait qu’une solution provi-soire, le temps pour la cité respon-sable du sanctuaire de statuer sur lesort du demandeur.

Le statut de métèque, une protection contre l’esclavage

La cité d’accueil n’offre généralementqu’un accueil temporaire. Les Grecsétaient avares de leur citoyenneté ettrès rares sont les cas de naturalisa-tion. Nous savons que Solon ne la pré-voyait que pour les exilés à vie et engénéral à titre individuel et si 2000Platéens se virent offrir la citoyennetéathénienne en 427 (chiffre considé-rable au regard de la population athé-nienne estimée à moins de 300 000habitants à cette époque, dont 45 000citoyens seulement), les circonstancesétaient particulières puisque leur citévenait d’être détruite. D’autres cas d’at-tribution de la citoyenneté sont connus,notamment dans les cités coloniales,mais le plus souvent le réfugié obtientle statut de métèque.Le métèque était un étranger-résidentqui ne disposait pas de droit politiquemais bénéficiait d’une véritable pro-tection juridique et avait le droit d’exer-cer une activité et de participer à cer-taines cérémonies religieuses. Lesréfugiés obtenant ce statut étaient sou-mis comme tous les métèques à unimpôt spécial : le metoikion. C’estpeut-être ce statut que l’assemblée dupeuple d’Argos accorde à Danaos etses filles dans les Suppliantes : "lepeuple a ratifié d’une voix unanimela proposition de nous traiter commedes habitants du pays, comme deshommes libres, qu’on ne pourra re-vendiquer pour l’esclavage et qui se-ront inviolables… à qui en cas de vio-lence les habitants de ce pays devrontprêter main forte sous peine d’atimie4

ou d’exil par une sentence du peuple".Certains réfugiés échappaient aux res-trictions et obligations qui frappaientles métèques, à l’instar des réfugiésOlyntiens à Athènes qui en 348 fu-rent exemptés du paiement du metoi-kion. Plus généralement, il est pro-bable que les personnalités les plusimportantes bénéficiaient d’une pro-tection renforcée et d’un régime plusfavorable. La cité pouvait également, dans descas exceptionnels, attribuer des de-meures voire des terres ou des sub-sides aux réfugiés. Ainsi en 403, alorsque plusieurs milliers d’Athéniens s’exi-lent craignant pour leur sécurité aprèsl’établissement de la tyrannie à Athènes,Thèbes publie un décret établissantque "toute maison et toute cité deBéotie [serait] ouverte à ceux desAthéniens qui le [demanderaient]“.Plutarque cite par ailleurs l’exemplede la cité de Trézène qui accueille les

familles athéniennes menacées parl’invasion perse en 480, et leur attri-bue une pension alimentaire et un trai-tement pour leur maître d’école.Mais rappelons enfin que le "statut "de réfugié, s’il est possible de parler icide statut tant les situations peuventvarier d’un cité à une autre, n’est queprovisoire. Aucune cité ne pouvait sepermettre d’accueillir trop longtempsun grand nombre de réfugiés qui euxmêmes supportaient difficilement d’êtreprivés de leurs droits politiques et éloi-gnés de leurs cités. La cité d’asile renddonc aux réfugiés qu’elle accueille undouble service en leur offrant accueil et pro-tection, mais aussi en permettant auxexilés de préparer leur retour, parfoisen prenant part directement aux coupsde force des exilés contre ceux qui di-rigent leur cité d’origine5 .

L’accueil des réfugiés, expres-sion du rapport de force entreles cités

L’accueil des réfugiés n’est donc pasun acte neutre politiquement. La citéaccueillante pouvait, en fonction dela qualité de réfugiés accueillis et del’aide plus ou moins active qu’elle leurapportait, s’attirer les foudres de lacité d’origine et être amenée à rejeterles demandeurs d’asile. L’historienRaoul Lonis dénombre quatre procé-dures de rejet pratiquées par les citésgrecques6 . La procédure du refoule-ment était essentiellement appliquée pardes cités qui s’étaient engagées parconvention ou dans le cadre d’une al-liance hégémonique à ne pas recevoirleurs opposants respectifs. La recon-duite à la frontière est généralementinspirée par la crainte du pays re-cherchant le réfugié, mais témoigneégalement du souci de ne pas offen-ser Zeus ou les lois de l’hospitalitépuisqu’on confie le réfugié à une autrecité, sans le remettre à son pays d’ori-gine. L’expulsion est opérée par unhéraut, également par peur de la citéd’origine ou parfois par crainte de l’ac-tivisme politique du réfugié. AinsiHérodote rapporte-t-il le cas deMaiandrios, ancien tyran de Samosqui recherchait à Sparte des soutienspour se venger et qui fut finalementexpulsé à la demande du roi de Sparte.Enfin une demande d’extradition pou-vait être présentée par voie diploma-tique auprès de l’autorité souverainequi, dans le cas d’une cité démocra-tique, débattait parfois longuement duparti à prendre avec la possibilité par-fois reconnue au réfugié de se dé-fendre publiquement par l’intermé-

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diaire d’orateurs rémunérés. Le carac-tère sacré de l’asile dans la Grèce an-tique explique le faible recours à l’ex-tradition, véritable sacrilège. Beaucoupde cités préféraient opérer une mesurede reconduite à la frontière ou, commePythagore, aller jusqu’à la guerre pourprotéger des réfugiés.

La faible proportion d’extradition s’ex-plique également par la pratique cou-rante de la saisie de la personne en ter-ritoire étranger. Très fréquente dans lestragédie, où l’on voit les réfugiés craindrela venue d’un héraut de leur cité lessaisissant et les ramenant dans leur citéd’origine, elle apparaît également chezThucydide lorsqu’il explique qu’Athèneset Sparte envoyèrent de concert "deshommes pour se saisir de Thémistocleen quelque lieu qu’ils le trouvassent".A la différence de l’enlèvement sur unterritoire étranger, cette pratique revêttous les caractères de la légalité : ellerésulte d’une décision officielle, large-ment diffusée et mise en œuvre par des

hérauts envoyés par la cité d’origine,à charge pour eux de convaincre lesresponsables de la cité d’accueil de leurbon droit. Ce recours à la saisie de lapersonne plutôt qu’à l’extradition esten fait l’expression de l’affirmation del’hégémonie de certaines cités en Grèceantique. R. Lonis a bien montré quel’extradition fonctionnait plutôt lorsquel’Etat demandeur et l’Etat d’accueiln’était pas liés par des traités d’alliance,tandis que la prise de corps fonction-nait essentiellement dans le cadre d’unealliance, le plus souvent hégémonique,caractérisée par la supériorité d’une citéqui pouvait contraindre la cité d’ac-cueil à laisser les hérauts opérer surleur territoire, sous peine d’être excluede toutes les alliances déjà contractées.Les procédures d’extradition ou de sai-sie de la personne soulignent donc l’in-égalité des réfugiés en fonction de leurcité d’origine. Les exilés des cités puis-santes ne disposaient pas des mêmesperspectives d’accueil, en raison d’unepart des multiples alliances et traités

conclus par leur cité, d’autre part, etc’est peut-être l’aspect le plus importantdu point de vue de l’émergence d’undroit international, du fait de la puis-sance militaire de leur cité qui faisaitpeser une terrible menace sur la citéd’accueil. Rares sont finalement les ci-tés qui, comme Thèbes en 404 pourprotéger les Athéniens, osèrent défier unepuissance hégémonique (Sparte) en in-terdisant une prise de corps sur leurterritoire. Dans les Héraclides, Euripide présenteun suppliant assis sur les marches d’unautel athénien se plaignant de l’atti-tude du roi d’Argos, sa cité d’origine :" Dès qu’il apprend où nous avonstrouvé retraite, il envoie ses hérautsnous réclamer et il obtient notre ban-nissement faisant sonner qu’Argos estune ville telle qu’on se ressent de l’avoirpour alliée ou bien pour ennemie ".

* Agrégé d’ Histoire

1 - Sauf peut-être dans le cas de crime de sang, et encore puisque dans l’Odyssée d’Homère, Télémaque accueille à son bord un crimineld’Argos.2 - Il est à noter que ce cas est particulièrement atypique car Thémistocle, le grand homme d’état athénien se réfugie en territoire non-grec.Il est au départ installé à Argos car il a été ostracisé, au moment où Sparte et Athènes se mettent à sa poursuite, l’accusant de médisme. Ainsipoursuivit par les deux plus grandes cités de Grèce, il est presque contraint d’aller se réfugier en Perse.3 - Le proxène était désigné par une cité étrangère pour défendre ses intérêts et ses ressortissants dans sa cité d’origine ; ainsi Alcibiadel’Athénien était il proxène de Sparte à Athènes4 - atimie : dégradation des droits civiques.5 - ajoutons également que les réfugiés allaient généralement chercher asile dans des cités aux régimes politiques proches de leurs convic-tions ; il était évidemment plus facile pour un tyran espérant rétablir son pouvoir de trouver du soutien auprès d’un autre tyran.6 - Les lignes suivantes sont largement inspirées d’un des rares articles parut sur ce sujet : Raoul Lonis, Extradition et prise de corps des ré-fugiés politiques en Grèce, in L’étranger dans le monde grec, R. Lonis (dir), Presses Universitaires de Nancy, mai 1987, pp 69-88.

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" DIEU ET MARIANNE. PHILOSOPHIE DE LA LAÏCITÉ Henry Pena-Ruiz, PUF, Paris, 1999.

Une communauté de droit se fonde sur ce qui unit les hommes, non ce qui les divise. La république doit doncse définir en dehors de la différence des religions. La complicité tendue entre César et Dieu cède la place àl’affranchissement réciproque de Dieu et de Marianne. La laïcité articule ainsi l’idéal d’un espace civiquecommun et le principe de la neutralité confessionnelle de l’Etat. Celui qui croit au ciel et celui qui n’y croitpas voient désormais garanties leur liberté de conscience, mais aussi leur pleine égalité. La laïcité n’est paspour autant le degré zéro des convictions, mais la force vive d’une pensée qui dit tout haut les principes d’uneconcorde véritable : celle qui advient entre des hommes libres, maîtres de leur jugement, auxquels l’école laïqueapprend à ne pas transiger avec l’exigence de vérité.Que veut dire " ouvrir la laïcité ", si ce n’est restaurer des emprises publiques pour les religions ? Le risquealors est de confondre collectif et public, et de détruire à terme le bien public lui-même, en le livrant à laguerre des dieux. Les nostalgies concordataires, évoquant la crise du lien social, suggèrent déjà que la laïci-sation aurait tari le sens, et que l’émancipation aurait tourné au sacre de l’égoïsme. Diagnostique étrange,car aveugle aux causes réelles de la misère du monde. Peut-on méconnaître à ce point la vertu propre à lalaïcité, confiance dans la souveraineté de la pensée humaine, force d’âme fraternelle où se transcendent les" différences " ?Ce livre propose une philosophie de la laïcité. Il conjugue les approches de l’histoire, de la théologie et dudroit. Au-delà des démarches simplement polémiques, il s’efforce d’éclairer des questions actuelles par desréflexions sur les fondements et la genèse de l’idéal laïque. Il en montre l’enjeu dans un monde où les mo-tifs d’affrontement se cristallisent dans des identités exclusives, et où le moralisme tient trop souvent lieu deconscience.

BALKANS-TRANSITFrançois Maspéro, Photographies de Klavdij Sluban, Seuil, 1997, 391p.

Entre 1992 et 1994 François Maspéro entreprend cinq voyages qui le conduisent de Durrës à Skopje, de Saloniqueau Danube, de Kumanovo à Varna de Bucarest à Sulina. A cela s’ajoute un assez long détour par ce qu’ilqualifie " d’enfer " : la Bosnie." Balkans-Transit " relate le dernier de ces voyages entre l’Adriatique et la Mer Noire en compagnie de KlavdijSluban, photographe né en France, de parents Slovènes et qui a été élevé jusqu’à l’âge de sept ans et demien pays Slovène, tandis que ses parents travaillaient dans la région parisienne. " De retour chez ses parents,écrit François Maspéro, il est devenu un écolier français. Comme les autres ? Pas tout à fait : il était le petitYougoslave de la classe. Comme je suppose qu’en Slovénie il était le petit Français ".François Maspéro dit de ce carnet de voyages " qu’il est conscient des contradictions de ce récit. La premièreest la mienne propre. Je parle, au départ, d’une grande famille des hommes et, à chaque page, je fais appel,en désignant en bloc " les Albanais ", " les Grecs ", etc… à une psychologie des peuples, une généralisationque ma raison me porte pourtant à détester. Ensuite, je suis conscient qu’à vouloir toujours parler d’histoire(moi, qui, de plus, ne suis pas historien) je tombe à chaque pas dans des simplifications que je dénonce… "" …Pour certains lecteurs, je le sais, chacun de mes pas sera ressenti comme un faux pas. Car à chacun demes pas j’ai rencontré l’histoire telle qu’elle a été forgée dans la représentation collective qu’en a chaque na-tion. Prétendre se " promener " innocemment dans le labyrinthe des histoires ainsi forgées et forcément an-tagonistes est tout sauf innocent ". Il dit encore " Le nationalisme se nourrit d’histoire et cette histoire estpar nature subjective. Toute tentative de dépasser les certitudes ancrées au plus profond des cœurs et des es-prits peut être ressentie comme une offense et une blessure et l’on me renverra alors à ma propre subjecti-vité. D’autant plus que je ne suis là que de passage…/… J’aborde avec légèreté des morceaux d’histoire dontles lecteurs se sentent les détenteurs, les propriétaires…/… Cette histoire est enracinée dans leur terre, gorgéede vies humaines, de sang, de sacrifices, d’événements tragiques, et toute recherche d’un autre sens que ce-lui qu’ils leur donnent est sacrilège.

TROIS CHANTS FUNÈBRES POUR LE KOSOVOIsmail Kadaré, Fayard, 1998, 118 p.

Le 28 juin 1389, l’armée ottomane écrasait une coalition chrétienne de principautés balkaniques. Dans descirconstances mal définies, le sultan Mourad Ier mourut lors de cette bataille qui eut lieu dans la plaine duKosovo, qui signifie " Champ de Merles ".C’est dans un champ de ruines que nous rencontrons deux rhapsodes, sorte de bardes, Gjorg l’Albanais fi-dèle à sa " lahouta " et Vladan, le Serbe qui, de désespoir, a jeté sa " gousla ". Et l’annonce de la mort dusultan ne peut plus rien changer à l’issue de la bataille. Il ne reste plus à nos deux amis qu’à abandonner celieu de désolation pour venir grossir le flot des fugitifs qui cheminent vers le nord à travers la péninsule bal-kanique, ainsi nommée par leur ennemi vainqueur, le Turc. Sur leur route, gagnant les terres chrétiennesdont ils attendent protection, ils croisent le visage de l’Inquisition auquel un de leurs compagnons d’infor-tune succombera.Un jour, à l’occasion d’une fête que donne leur seigneur, des messagers les invitent à se joindre aux chan-teurs français et allemands afin de faire profiter le châtelain et ses hôtes de leur talent de musiciens. Flattéset très émus de l’intérêt qu’ils suscitent, les deux bardes se préparent à l’événement, accompagnés d’un conteurvalaque et d’un imitateur croate. Mais lorsque vient leur tour de chanter, à la stupeur générale ils entonnentleurs vieilles rengaines. Vladan : " Serbes, levez-vous, les Albanais nous enlèvent le Kosovo ! " et Gjorg : "Dressez-vous, Albanais, le Kosovo tombe aux mains du Slave ! " Nous sommes des rhapsodes de guerre, s’ex-cusent-ils, " …c’est sous cette forme-là que nous avons trouvé les moules de nos chants… nos modèles à nousont besoin d’au moins un siècle pour se modifier… "Six cents ans plus tard, le 28 juin 1989, Slobodan Milosevic lançait un appel au massacre contre les Albanaisdu Kosovo.

LIVRES. . .

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