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REVUE MISSIONNAIRE DES JÉSUITES DU CANADA FRANÇAIS ET D’HAÏTI MAI-AOÛT 2017 - N O 525

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REVUE MISSIONNAIRE DES JÉSUITES DU CANADA FRANÇAIS ET D’HAÏTI MAI-AOÛT 2017 - NO 525

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Édité àMISSIONS JÉSUITES25, rue Jarry OuestMontréal (Québec) CanadaH2P 1S6Tél. : 514 387-2541Téléc. : 514 [email protected]

DirecteurPierre Bélanger, S.J.

Directeur des Missions jésuitesMichel Corbeil, S.J.

CollaborateursMonique SancheJulien Naud, S.J.

AdministrateurJean Brissette

Secrétariat et communicationsDimy Ambroise514-387-2541, poste [email protected]

Abonnements – RéabonnementsLa direction514-387-2541, poste [email protected]

MEMBRE DE L’AMÉCO

Société canadienne des postesEnvois de publications canadiennes :Contrat de vente no 40009209

Conception graphiquePaul Raymond

Imprimerie H.L.N. inc.2605, rue HertelSherbrooke (QC) J1J 2J4

Tirage : 3500 exemplaires

Date de parution : juin 2017

La revue paraît trois fois par année.Elle est envoyée à tous les bienfaiteurs et bienfaitrices.

Le BRIGAND – fondé en 1930Ce titre de notre revue rappelle queson fondateur, le P. Joseph-LouisLavoie, a été en Chine la victime d’unbrigandage qui le força à revenir auCanada se remettre de ses émotions.Nommé procureur de la mission, ilprend à son tour le nom de BRIGANDpour soutenir l’effort missionnaire deses confrères.

LE BRIGAND est maintenant unerevue d’information sur les engage -ments missionnaires des jésuitesoriginaires du Canada français etd’Haïti. La revue met aussi en contactavec d’autres jésuites et avec lemonde missionnaire en général. Elleveut intéresser le lecteur à la causemissionnaire en suscitant unecollaboration active par la prière,l’aumône ou toute autre forme.

SOMMAIRELE BRIGAND, MAI-AOÛT 2017 - NO 525

Une publication de laProvince du Canadafrançais et d’Haïtide la Compagniede Jésus

ÉDITORIAL

Des assises canadiennes au . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3Service jésuite des réfugiés

Norbert Piché

GRÈCE

Introduction : Au pays des multiples défis . . . . . . . . 4Pierre Bélanger, S.J.

Les jésuites à Athènes : une présence . . . . . . . . . . . 5humanitaire, éducative et pastorale

Entrevue du P. Pierre Salembier, S.J.

Le Service jésuite des réfugiés de Grèce . . . . . . . . . 7Au cœur de la vague des réfugiés

Avec le P. Maurice Joyeux, S.J.

Prière sur la mer (Maurice Joyeux, S.J.) . . . . . . . . 12

Faire quelque chose pour les autres . . . . . . . . . . . . 13Mariana Álvarez, bénévole au JRS-Grèce

Midia Ismail et sa famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14Au refuge du JRS à Athènes

Le Centre Pedro-Arrupe, à Athènes . . . . . . . . . . . . 15Par sa directrice, Argyro Hatziantoniou

INDE

La région du monde où les jésuites sont . . . . . . . . 18les plus nombreux

Entretien avec le P. George Pattery, S.J.

PHILIPPINES

En hommage au père Nil Guillemette, S.J.

La poursuite du bonheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22Stephen Pedroza

Une passion pour la Parole de Dieu . . . . . . . . . . . . 23Par Roger Champoux, S.J.

Soifs profondes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Un conte de Nil Guillemette, S.J.

HAÏTI

Poèmes en hommage à nos mères . . . . . . . . . . . . 26Jean Hervé Delphonse, S.J.

Le père Erik Oland, S.J.,nouveau supérieur

provincial des jésuites, du Canada français

et d’Haïti.Originaire du

Nouveau-Brunswick, il était, au cours des dernières années,

Maître des novices jésuites, au noviciat bi-provincial de

Montréal.

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Page couverture : Au Centre Pedro-Arrupe, à Athènes,Minas et la mascotte Lila (voir p. 17).

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« La mission du Service jésuite desréfugiés (JRS) est d’accompagner, deservir et de défendre les droits desréfugiés et d’autres personnes déplacéesde force. En tant qu’organisation catholi -que et œuvre de la Compagnie de Jésus(les jésuites), le JRS puise son inspirationdans la compassion et l’amour de Jésuspour les pauvres et les exclus. » *

Ma première expérience auprès desréfugiés eut lieu en 1994 à Toronto.Comment donc un p’tit gars du Manitobafrancophone, qui ne connaissait rien dumonde des réfugiés, s’est-il retrouvé àToronto comme bénévole auprès desréfugiés ? C’est assez simple : j’ai suivil’appel de Dieu.

Depuis quatre ans, j’enseignais auManitoba. Même si j’aimais l’enseigne-ment, je me suis rendu compte que cen’était pas vraiment ma vocation. Avecl’aide de mon curé, j’ai eu connaissancedu programme de bénévoles jésuites duCanada. J’ai immédiatement senti quec’était un projet qui me convenait car ilétait question de partager une vie simple,en communauté, en travaillant pour lajustice sociale, le tout dans un contextede réflexion spirituelle.

Je me suis donc retrouvé à Torontodans une maison d’accueil pour deman -deurs d’asile. C’était au moment de lacrise du génocide rwandais et j’étais leseul Canadien qui parlait français danscette maison d’accueil. J’ai vite été

plongé dans le bain. Je ne connaissaisrien aux procédures d’immigration maisj’ai appris rapidement : formulaires à rem -plir, accompagnements chez le médecin,dossiers à défendre, etc.

Cependant, la partie la plus enrichis -sante pour moi n’était pas liée à ce qu’ilfallait faire pour le réfugié. C’était plutôtces moments où nous conversions en -semble de tout et de rien ; c’est ce quej’appelle nos « rencontres en Dieu », alorsque l’être prime sur le faire. Au fur et àmesure que mes relations s’approfondis-saient avec ces demandeurs d’asile d’ex-pression française, ceux-ci ont commen -cé à m’appeler le « Grand Brûlé ». Ils m’ontexpliqué que la peau d’un homme noir quise brûle devient blanche ; ils me consi -déraient donc comme l’un des leurs.N’est-ce pas là le vrai sens de l’accueil del’étranger, une expérience dans laquelleon se laisse toucher et transformer parl’autre ?

Aujourd’hui, plus que jamais, le mondea besoin de femmes et d’hommes qui cô -toient les réfugiés. Le Haut-Commissariatpour les Réfugiés (HCR) note que, pré -sentement, il y a plus de 65 millions depersonnes déracinées sur notre planète,dont plus de 21 millions sont des réfugiés.Ce dernier chiffre, prenons-en conscien -ce, représente les populations entières du Québec et de l’Ontario. Bien que leCanada se félicite d’avoir accueilli environ45 000 réfugiés l’an dernier, cela ne repré -sente qu’une fraction des personnes

déplacées à travers le monde.

Au Canada, le JRS offre un service deparrainage qui permet l’arrivée deplusieurs réfugiés chaque année. Grâce ànotre petite équipe d’employés dévouéset à nos nombreux bénévoles, nous réus-sissons à accompagner et à servir lesréfugiés pour qu’ils puissent s’intégreraussi aisément que possible. J’ose croireque, dans le cadre de ces accompagne-ments, il y a plein de « rencontres enDieu», où les relations s’approfondissentau point de pouvoir en venir à comprendreles raisons sous-jacentes qui expliquentles flux migratoires ; alors pourra-t-onmieux apprécier notre nouvel ami, puis,possiblement, aller jusqu’à prendre sadéfense et celle de ceux et celles quipartagent sa condition de réfugié. C’est ceque nous tentons de faire au JRS Canadaen organisant, par exemple, des séancesd’information sur les raisons historiquesqui ont mené la Syrie au chaos qu’elleconnaît aujourd’hui et en plaidant auprèsde nos représentants gouvernementauxpour les droits des réfugiés. Mais il ne fautjamais oublier que tout commence avecces « rencontres en Dieu ».

* Texte tiré de l’énoncé de mission duJRS International ■

DES ASSISES CANADIENNES AU SERVICE JÉSUITE DES RÉFUGIÉSLe témoignage du directeur du JRS-Canada, Norbert Piché

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Pourquoi donc parler de la Grèce dansune revue missionnaire ? Le « terrain »des missionnaires n’est-il pas d’abordsitué dans les pays en développement,bien souvent au sud de l’équateur ? On sait bien que ça n’est pas le cas :l’évangile doit être entendu partout, del’est à l’ouest, du nord au sud. Et puis, laGrèce n’est-elle pas, depuis les premiè -res années du christianisme, l’une desterres de missions les plus célèbres?C’est là que saint Paul a fondé plusieurscommunautés, à Thessalonique, à Corin -the, dans certaines îles de la mer Égée.C’est à Athènes que Paul a connu l’échecquand il a voulu s’adresser aux « sages »et aux « lettrés » qui n’ont pas vouluécouter le premier grand missionnaireleur parler de résurrection.

!Si Le Brigand nous emmène, par cenuméro et dans le prochain, au pays de lanaissance de la démocratie, de l’originede la tragédie au théâtre, des racines del’olympisme, ce n’est pas avec nostalgieou en référence aux premières décenniesde l’ère chrétienne. C’est parce qu’il s’ypasse maintenant des brassages sociauxqui interpellent les jésuites. Ceux-ci doi -vent inventer de nouveaux modes deprésence, de service ; ils se font mission-naires en réponse aux signes des temps.

Les défis ne manquent pas. Si vous avezsuivi tant soit peu l’actualité internationale

– européenne en particulier – depuis un anou deux, vous savez que la Grèce a vécu etvit encore la plus forte crise économiquedes pays industrialisés. C’est déjà un défi,pour les Grecs, de faire face à cette dureréalité économique enracinée dans unsystème où l’attention aux petits n’est cer-tainement pas prioritaire. Pourtant, malgrécette situation précaire, le peuple grec amanifesté une ouverture de cœur et unegénérosité tangible quand il a vu arriver surses côtes, dans les îles de la mer Égée toutd’abord, puis dans la région de la capitale,Athènes, une foule immense de réfugiésvenant de pays en guerre, de la Syrie biensûr, mais aussi de l’Irak et de plusieurspays d’Afrique.

Rapidement, le JRS – le Service jésuitedes réfugiés – s’est organisé et, à partir de la petite communauté jésuite déjàprésente à Athènes et dans les îles desCyclades, a offert son soutien à multiplesfacettes à ces milliers de chercheursd’asile et de voyageurs errants en quêted’un pays d’accueil en Europe. Pendant uncertain nombre de mois, il s’agissaitsurtout d’un accueil humanitaire : nour -riture, couvertures, tentes, conseils pourcontinuer la pérégrination vers le nord.Mais bientôt, les frontières de l’Europe sesont fermées et voilà que le JRS a dûdiversifier son aide pour soutenir desfamilles qui devraient passer des mois,peut-être même des années, en attentesur le territoire grec.

Nous vous invitons à connaître lesjésuites qui, avec collaborateurs et col-laboratrices, se sont impliqués à fonddans ce ministère de la miséricorde. Ilsont ouvert leur résidence déjà situéedélibérément dans un quartier d’immi-grants desquels ils avaient voulu se faireproches depuis plusieurs années. Ils ontune attention particulière aux besoins desfemmes avec enfants qui attendent depouvoir un jour être réunies avec leurmari. Comme le JRS le fait un peu partout,ils favorisent aussi l’intégration desenfants dans le système scolaire.

Et tout cela, ils le font en continuant à offrir, comme ils le font depuis desdécennies, des services à des commu-nautés catholiques d’expatriés ou de tra-vailleurs étrangers pour lesquels l’apparte-nance à une communauté chrétienne atant de valeur. Ils le font aussi – et c’est unautre défi – dans un environnement oùl’œcuménisme n’est pas facile à vivre avecune Église grecque orthodoxe qui porteencore les blessures de relations doulou -reuses avec l’Église romaine. Nous yreviendrons dans notre prochain numéro.

Pierre Bélanger, [email protected]

AU PAYS DES MULTIPLES DÉFIS

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Pierre Bélanger : Père Salembier, j’oseune question quelque peu impertinente :pourquoi est-ce un Français qui est supé -rieur de la communauté jésuite en Grèce?

Pierre Salembier : C’est parce que lacommunauté jésuite grecque fait partiede la Province jésuite de France depuis lafin de la Deuxième Guerre mondiale. Au -paravant, jusqu’en 1945, c’était une com -munauté qui dépendait de l’Italie. Mais dufait des mauvais souvenirs laissés parl’Italie, qui avait été alliée d’Adolf Hitlerdurant la guerre, les Grecs ont souhaitéun changement.

PB : En tant que supérieur des jésuites enGrèce, quel portrait nous feriez-vous de laprésence jésuite en Grèce ?

PS : Pour le moment, la communautéjésuite en Grèce comprend onze mem -bres. C’est une seule communauté dansdeux lieux d’implantation, soit à Athènesoù demeurent dix jésuites et sur l’Île deTinos où demeure un jésuite, là où a étélongtemps basé le travail jésuite dans lesîles des Cyclades. Notre pastorale enGrèce comporte trois aspects : d’abordl’aspect pastoral, symbolisé par notreéglise qui peut accueillir entre 250 et 300personnes; ensuite l’apostolat social qui apris beaucoup d’importance depuis l’arri -vée du JRS, le Service jésuite des réfu -giés. Dans ce domaine, depuis environcinq ans, nous offrons l’aide aux enfantsau centre Arrupe et, depuis un an, nousavons un foyer d’accueil pour les réfugiés,particulièrement pour les plus vulnéra -bles. Enfin, s’ajoute l’aspect culturel : unebonne bibliothèque, des archives impor-

tantes, la publication d’une revue etl’Institut des sciences humaines. Celui-cisert de support juridique à la revue et, enmême temps, propose des conférences,des sessions et des colloques. Justement,je suis à organiser, pour le début de 2018,un colloque qui a pour thème : les sour -ces chrétiennes, latines et grecques, despères de l’Église. Le but est de favoriserun débat entre Grecs et non-Grecs.

PB : Quels sont les principaux défis aux -quels les jésuites font face dans le con -texte général de la société ou, plus particu-lièrement peut-être, dans le contexte oùl’Église orthodoxe grecque ne manifesteapparemment pas beaucoup de volontéœcuménique ?

PS : Effectivement, notre situation dansl’océan orthodoxe que représente lasociété grecque est un élément majeur etspécifique de notre présence ici car, c’esttrès clair, l’Église catholique est une toutepetite minorité qui, en plus d’être limitéeen nombre de fidèles, est composée danssa majorité de communautés non grec -ques, c’est-à-dire d’Italiens, d’Espagnols,et surtout, de fait, de Philippins et dePolonais. Cela m’a frappé lors d’un

pèlerinage qui s’est déroulé à la fin del’année de la Miséricorde : j’ai offert lesacrement de la réconciliation en anglais,en grec, en français et en espagnol.

PB : Comment sont les relations entre lesjésuites et les gens de l’Église orthodoxe?

PS : En toute franchise, il faut répondrequ’elles sont globalement mauvaises.Cela étant dit, nous avons des amis ortho -doxes qui nous apprécient et qui sontintéressés par ce que fait l’Église catholi -que. Ils perçoivent que des réflexions sonten cours et qu’on peut identifier deséléments sur lesquels nous pouvonsavancer ensemble. Malheureusement, lahiérarchie de l’Église orthodoxe grecquene manifeste pas d’intérêt pour ce typed’échanges ; nous n’avons donc pas derelations avec la hiérarchie orthodoxe.Notez que l’Église catholique dans sonensemble, l’Église diocésaine, n’arrivepas mieux que les jésuites à établir demeilleures relations avec l’Église ortho -doxe. Les données historiques permettentde mieux comprendre la situation, puis -que dans la partie continentale de la Grè -ce, l’Église catholique n’a pas été présen -te jusqu’à l’indépendance de la Grèce au

UNE PRÉSENCE HUMANITAIRE, ÉDUCATIVE ET PASTORALEEntrevue du P. Pierre Salembier, S.J., supérieur de la communauté

La communauté jésuite d’Athènes, 2016-2017

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début du 19e siècle. C’est le développe-ment urbain d’Athènes, le développementde la capitale de la Grèce moderne, qui aattiré des gens des îles où étaient pré -sents un bon nombre de catholiques,notamment des îles de Tinos et de Syros,qui étaient initialement des comptoirsvénitiens où vivait une communautécatholique importante. D’ailleurs, lesvocations jésuites grecques sont venueset viennent principalement de ces îles etnon du continent.

PB : Vous avez mentionné le JRS, leService jésuite des réfugiés. Il s’agit làd’un engagement important de votreapostolat social. Comment les Athéniensperçoivent-ils les jésuites depuis que vousvous êtes impliqués fortement dans ceministère ?

PS : Le travail avec et pour les réfugiés esteffectivement une donnée majeure dansnotre communauté et je dirais que c’estprovidentiel. Nous avons ici une grandemaison dont deux étages sur cinq ontservi durant des années de foyer pourétudiants. Il y a environ cinq ans, nousavions cessé d’offrir ce service et cetespace était sous-employé. Aussi a-t-onpu les mettre à la disposition du JRS quil’occupe complètement. L’organisme amême pris un troisième étage pour logerles volontaires et offrir des services sup-plémentaires.

J’ajouterais, en tant que supérieur, quecette présence du JRS a renforcé lapertinence de notre communauté jésuite.

Il y a maintenant des gens remarquablespar leur générosité et leur dévouement àla cause des réfugiés qui passent cheznous et avec lesquels nous échangeons.Toute cette activité liée au travail avec lesréfugiés est un défi intéressant pour moi :ma tâche consiste en grande partie àadapter la maison et la communauté à laprésence du JRS puisque, évidemment,on ne remplit pas une maison de 40 réfu -giés sans que cela pose des problèmes devoisinage, de bruit, de partage des servi -ces, dans un environnement qui depuisquelques années avait été très calme.

PB : Au plan personnel, vous qui aviezpassé la plus grande partie de votre vie enservice pastoral et spirituel en France,comment vivez-vous cette nouvelle étapedans votre vie ? Vous considérez-vous enpays de mission ?

PS : En étant envoyé en Grèce, je ne pen -sais pas être envoyé en pays de mission.Pourtant, notre économe général arécemment identifié notre communautécomme une mission et c’est exact que,même si la Grèce est un pays de traditionchrétienne, nos implications dans les di -vers champs que sont la pastorale, l’apos-tolat intellectuel et le travail social ont des dimensions missionnaires. J’ai eu lachance d’avoir, au moment où on m’ademandé de venir ici, à Athènes, unsupérieur provincial qui est un homme dediscernement, qui sait respecter le tempsnécessaire à un homme comme moi pours’adapter à un nouveau milieu. Je viensd’avoir 73 ans et, à cet âge, on ne changepas radicalement de milieu et d’environ-nement sans difficulté. Mais j’ai eu un anet demi pour me préparer, pour y consen -tir, et je suis arrivé ici de bon cœur enoctobre 2015. Pour manifester mon niveaud’engagement, je dois dire que la premiè -re réaction que j’ai exprimée au Provinciallorsque la demande m’est parvenue d’al -ler à Athènes pour être le supérieurjésuite de la Grèce, ce fut de dire que jedevrais y être pour un certain nombred’an nées et que je devais donc apprendrela langue grecque. Ainsi, je me suis attelétout de suite à l’apprentissage du grec. Jetrouve cela beaucoup plus difficile que je

ne l’avais imaginé, mais je suis déterminé.J’ai deux cours par semaine avec unprofesseur privé et j’y mets du tempschaque jour. Je crois que pour connaitreun peuple, connaitre sa langue est trèsimportant. Cela dit, nous vivons dans uncontexte bilingue puisque, si j’utilise legrec chaque jour pour diverses activités,mon travail implique aussi une présencedans des milieux francophones ; de plus,la langue commune de la communauté estle français.

PB : En terminant, comment entrevoyez-vous l’avenir de la présence jésuite enGrèce ?

PS : J’ai le sentiment d’être un homme dela transition parce que, sur les onzejésuites de notre communauté, il y en acinq qui ont 80 ans et plus… et ce sontdes Grecs. Qu’est-ce que va devenir cettecommunauté dans un avenir proche ? Jedirais que pour le moment, l’activité duJRS représente un avantage pour notrecommunauté, parce que cette ONGjésuite attire l’attention du reste de laCompagnie de Jésus et parce qu’onestime que ce travail pour les réfugiés,dans un pays où les défis sont particu -lièrement grands en ce qui les regarde,doit être soutenu. Cette importance duService jésuite des réfugiés dynamisedonc notre présence et, si je ne peuxdéfinir notre avenir à long terme, le sensde nos engagements actuels ne fait pasde doute. Je demeure donc tout à faitmobililisé et je me vois ici pour une dizained’années encore… c’est déjà pas mal ! ■

L’église du Sacré-Cœur, église des jésuites à Athènes.

La résidence jésuite a été modifiée pouraccommoder les réfugiés; par exemple :

une salle de lavage et un séchoir.

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Le supérieur des jésuites de Grèce l’afait comprendre : si l’essentiel de la pré -sence jésuite dans ce pays méditer-ranéen a longtemps été de type pastoral,en particulier pour accompagner lescommunautés catholiques formées d’a -bord d’étrangers, le foyer d’attention desjésuites s’est déplacé vers les réfugiés,depuis que des centaines de milliersd’hommes, de femmes et d’enfants sesont déplacés de l’Orient et du Proche-Orient vers l’Europe pour fuir la guerre ettoutes sortes de tensions.

La Grèce est, pour beaucoup de cesréfugiés, la plus proche porte d’entrée enEurope. Ce pays a donc été un des prin -cipaux territoires de passage. Depuis les accords passés entre la Turquie etl’Union européenne à la mi-2015, lesfrontières européennes sont fermées etde très nombreux réfugiés se sont re -trouvés bloqués en Grèce. Le Servicejésuite des réfugiés (JRS), s’est donc misà l’œuvre sur un autre chantier d’accom-pagnement, de service et de défense deces marginalisés de notre monde. Nousen parlons avec le jésuite françaisresponsable du JRS-Grèce, le P. MauriceJoyeux.

!Pierre Bélanger : Père Joyeux, avantd’aborder votre engagement au JRS deGrèce, pourriez-vous nous parler du jésuiteque vous êtes ?

Maurice Joyeux : Je suis entré dans laCompagnie de Jésus en 1979 après desétudes en gestion et administration et deux

ans au Gabon comme coopérant dans l’en-seignement et l’animation sociale et cultu -relle avec des jeunes ; cette expérience aété passionnante. Après, j’ai choisi de fairedeux ans de philosophie et de théologie,puis je suis entré dans la Compagnie.J’avais donc un peu le premier « virus » quime portait vers l’étranger et je me souviensde l’appel d’un ami jésuite qui m’accompa-gnait à ce moment-là. Il m’avait donné com -me seul conseil : « africanise-toi ».

Ensuite, j’ai fait un parcours de forma -tion jésuite à Lyon et à Paris, j’ai aussi étéaumônier d’étudiants. À l’occasion del’année de spiritualité qu’on appelle le« Troisième An », j’ai fait une expérience enInde. En fait, j’ai beaucoup vécu en Inde.Au total, j’y ai passé plus de 4 ans grâce àdivers séjours, au contact des intoucha -bles, proche du jésuite Pierre Ceyrac quiétait lié au JRS. Le père Ceyrac étaitd’ailleurs co-fondateur du JRS avec le pèreArrupe, notre ancien Général. Je l’aiégalement accompagné en Thaïlande,dans des camps de réfugiés. C’est ainsique j’ai été fortement sensibilisé à laquestion des réfugiés. Même si j’avaislongtemps vécu dans des milieux aisés deParis, il y avait toujours en moi un pôled’ouverture à la conscience sociale et à ladifférence culturelle, un intérêt pour réflé -chir sur ces enjeux dans l’esprit « foi etjustice » de la Compagnie de Jésus.

PB : Quand vous étiez dans les milieuxparisiens aisés que vous évoquez, aviez-vous pu faire un lien entre ces gens et ceuxque vous vouliez aider ?

MJ : Dans les écrits d’Ignace et dans lesExercices spirituels, il y a des textes quim’interpellent beaucoup sur les relationsque nous avons avec les « grands » de lasociété. Ils nous disent que, si nous som -mes en contact avec ces gens, c’est pourpouvoir aider les plus faibles. C’est ultime -ment pour ces derniers que nous travail-lons, pour accomplir jusqu’au bout lesBéatitudes. Nous ne pourrons pas chanter« Alléluia ! » tant que ces personnes pau -vres ne trouveront pas leur place au ban -quet qui est offert. Je n’ai pas de complexeà être à la fois dans des milieux qui avan -cent ou qui courent (quitte à les freiner

Au cœur de la vague des réfugiés en Europe :

LE SERVICE JÉSUITE DESRÉFUGIÉS DE GRÈCEUne entrevue avec son directeur, le père Maurice Joyeux, S.J.

Le P. Maurice Joyeux, S.J., directeur du JRS-Grèce.

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dans certains de leurs élans) et dans desmilieux qui sont en suspension, complète-ment perdus, sans avenir apparent, monrôle étant de créer avec eux cet avenir.

PB : Qu’est-ce qui fait que, plus récemment,vous vous êtes retrouvé ici, en Grèce ?

MJ : Pour répondre à cette question, il fautrevenir un peu sur mon itinéraire. À unmoment donné, j’ai quitté Paris pour labanlieue de Saint-Étienne, au sud de Lyon,où je suis devenu pratiquement éducateurde rue autour d’un collège technique quenous avons dans cette ville. J’assurais unintérim pour permettre à ce qu’un directeurlaïc puisse se mettre en place. Après cela,j’ai voulu faire une rupture : j’ai passé uneannée de vie monastique proche desBénédictins. J’avais besoin de silence etd’écriture. Au terme de cette année, leProvincial m’a nommé à Radio Vatican oùj’étais responsable de la section franco -phone. C’était en 2005, l’année du tsunamien Asie, et je me souviens d’avoir dit aupère Kolvenbach, alors Général des jésui -tes, que je connaissais les régions tou -chées et que, s’il était d’accord, je mesentirais plus utile sur le terrain plutôt quede faire des émissions de radio sur le sujet.Il m’a répondu : « Pourquoi pas? Merci pourta disponibilité ; prépare-toi et commence àdiscerner avec le JRS de ton implication ».

Le décès de Jean-Paul II a bousculémes plans et j’ai dû rester à Rome. Là-bas,invité à une rencontre impliquant le JRS, onme proposa de partir pour le Rwanda. Onm’avait avisé que ce ne serait pas facile : il

y avait deux camps, 22 000 personnes danschacun des camps, dont près de 15 000jeunes dont il fallait assurer la scolarisa-tion ; le personnel salarié comptait 220 per -sonnes. Les problèmes sociaux et politico-religieux étaient énormes. Je me rendaiscompte que ces camps constituaient desréserves militaires pour faire la guerre auCongo. Et puisque j’étais aussi curé ducamp, j’ai reçu beaucoup de confidencessur ce qui se passait et sur le génocide quiavait eu lieu dix ans auparavant.

J’ai sonné l’alarme à Rome et au JRS;j’ai fait savoir ce qui se passait. J’ai étémenacé de mort plusieurs fois et j’ai dû fuiraprès deux ans et demi de travail dans cetenvironnement. Comme j’avais manifestéle désir de continuer avec le JRS aprèsl’épisode du Rwanda, on m’a envoyé enAfrique du Sud. Ensuite ce fut le Darfour, àla frontière du Tchad et du Soudan où il yavait 600 000 réfugiés soudanais, 187 000déplacés tchadiens et 14 camps à la fron -tière dans une zone désertique très pauvre.Ma responsabilité première demeurait l’é-ducation pour les réfugiés de ces camps.Nous avons ouvert une base qui a permisde scolariser plusieurs milliers de jeunes,un travail qui se poursuit toujours aujour-d’hui. Là encore, ma vie a parfois été miseen danger.

Mon Provincial m’a alors proposé unemission plus calme : la Grèce, qui est sousla responsabilité de la Province de France.J’ai accepté : cela me rapprochait de ma

Province jésuite. J’ai donc été pendantsept ans aumônier des francophones enGrèce où j’ai eu l’occasion de visiter descamps de rétention, des prisons, et où j’aipu observer de très près la crise migratoiregrandissante. En Grèce, le JRS n’était pasprésent. Je suis allé à JRS-Europe, àBruxelles, et je leur ai proposé d’ouvrir unebranche en Grèce pour aider à faire face àcette crise. Le Provincial m’a alors deman -dé de devenir le directeur de JRS enGrèce, une organisation qui a commencéson travail en mai 2015, alors qu’un fluxincroyable de migrants passait par ici pouraller en Allemagne et en Europe du Nord.Depuis lors, nous sommes en pleine actionet les besoins sont immenses. Face à uneréalité très complexe, nous tâchons d’aideret d’être présents aux côtés de tant degens; nous essayons de faire ce qui estpossible avec le peu de moyens dont nousdisposons.

PB : Comment comparez-vous les situa -tions difficiles auxquelles fait face le JRSen Afrique et la situation actuelle que leJRS-Grèce rencontre avec l’arrivée ici deréfugiés venant particulièrement de Syrieet d’Afghanistan ?

MJ : D’abord, la grande différence pour unEuropéen est que cela se passe mainte -nant chez nous, sur notre continent. Deplus, cela arrive au même moment où laGrèce vit une crise économique. D’un autrecôté et d’un point de vue personnel, je trou -ve que, bien que la Grèce soit européenne

Premier accueil des réfugiés au Portautonome du Pirée.

Distribution de nourriture au petit matin.

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et occidentale, elle est aussi profondémentorientale dans ses manières. Ainsi, mêmeaprès ces neuf années passées en Grèce,je me trouve face à certaines barrières tantlinguistiques que culturelles. Ayant vécuailleurs, je saisis qu’en Grèce, il y a un peude l’Inde dans les manières de croire, unpeu d’Afrique dans le rapport au temps,des situations liées à l’Europe par lesproblèmes économiques concrets.

Pour ce qui est de la crise des migrants,elle est différente ici parce que les réfugiésqui arrivent en Grèce ne font que passer;ils sont déterminés à atteindre d’autrespays tels que l’Allemagne, la Suède, lesPays-Bas. Et en même temps, les migrantsqui arrivent ici représentent aussi le fruitdes conflits dans lesquels l’Europe etl’Occident ont leur responsabilité. Unedifficulté, c’est de gagner la confiance deces personnes en transit. Ils ont fait delongs trajets dans des conditions trèsrisquées et, au long de leur périple, biendes gens essayaient de leur extorquer del’argent ; ils ont alors développé un senti -ment de méfiance. Notre travail est juste -ment de les protéger, de réfléchir avec eux,de laisser leurs enfants se reposer avantde repartir pour continuer leur chemin.

Cependant, depuis mars 2016, alors qu’ily a eu une entente entre les pays euro -péens pour fermer les frontières, nousavons dû organiser quelque chose de plusstable pour des personnes qui sont blo -quées ici. Nous avons choisi de le fairedans le quartier où nous, jésuites, sommesinstallés. Nous avons donc mis des res -sources de la communauté, y compris unepartie de notre maison, au service du JRS.Nous nous occupons en fait d’une partiedes réfugiés urbains et non pas, commedans la plus grande partie du travail du JRSailleurs dans le monde, des réfugiés quisont dans des camps. Il y aurait beaucoupà faire de ce côté-là, mais les embûchesadministratives sont énormes. Nous es -sayons d’avoir accès aux camps mais celan’a pas encore été possible.

PB : Le JRS ayant bonne réputation et étantreconnu pour la qualité de sa présencedans les camps de réfugiés, pourquoi donccette hésitation à vous donner une autori-sation ?

MJ : Il faut comprendre que la Grèce n’estpas habituée à ce que l’ONU et des organi -sations d’aide internationale soient pré -sentes sur son territoire. La Grèce a déjàune crise économique à gérer ; elle a étéhumiliée par d’autres pays européens. Voirmaintenant l’ONU venir l’aider, c’est lecomble ! On est passé de sept salariés duHaut-Commissariat des Nations unies pourles réfugiés, en juin 2015, à 700 salariésmaintenant ; c’est énorme ! On sent uneréticence des Grecs à laisser les Français,

les Espagnols et les Hollandais s’occuperdu pays. Il y a une fierté nationale et peut-être aussi une méconnaissance du niveaude souffrance des réfugiés qui peut menerà une certaine indifférence. À tout celas’ajoute le populisme du régime actuel quipourrait en quelque sorte prendre en otageles réfugiés. Le fait que l’aide transite parl’ONU et les ONG, et non par le gouverne-ment grec, crée aussi des frictions, alorsque la Grèce elle-même est dans unesituation économique difficile. C’est pourça que nous, en tant qu’ONG, devons aussitravailler pour les Grecs et avec les Grecs.

Ainsi, par exemple, sur l’île de Lesbos,nous supportons une soupe populaire pourles Grecs. Nous soutenons aussi Caritas-Grèce qui a ouvert un hôtel d’accueil, dansle quartier où nous sommes établis ; noussoutenons une initiative des Grecs dans lequartier et dans les camps par une ONGgrecque qui s’appelle HELIX.

PB : Peut-on dire que le fait d’être catho -lique et jésuite crée des résistances dansles milieux où vous intervenez ici, desmilieux orthodoxes qui manifestent peud’intérêt pour la collaboration avec l’Églisecatholique ?

MJ : Ici, les catholiques ne sont que 40 000parmi 11 millions d’orthodoxes. Nous ne re -présentons pas grand-chose du point devue démographique. Mais, en même temps,nous sommes très respectés, sauf parquelques métropolites ultra-nationalistes.En général, on peut dire que les églises

Arrivée sur la mer Égée, sur l’île de Lesbos : premiers pas sur le

sol européen.

Maurice Joyeux avec une bénévole, au refuge mis sur pied par la communauté jésuite.

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orthodoxes font vraiment de leur mieuxpour venir en aide à la population ; il y aaussi une réelle générosité grecque et uneouverture des églises orthodoxes à lacause des personnes réfugiées. Bien sûr,on peut sentir de l’inquiétude, parfois duracisme envers les Noirs, des réticencesenvers les musulmans à cause en partied’un lourd passé de relations difficiles avecla Turquie – une grande partie des réfugiésarrivent de ce pays. Malgré ces difficultés,globalement, on constate de la compas -sion chez les Grecs.

PB : Parlez-nous un peu de votre équipe du JRS-Grèce. Comment s’organise votretravail ?

MJ : Nous avons, ici à Athènes, trois lieuxd’intervention. D’abord le Centre Arrupe,pour l’intégration des enfants, une œuvrequi a été lancée par le jésuite grec d’origi -ne coréenne Pierre Hunk, il y a cinq ans,pour accompagner des enfants issus del’immigration. Nous l’avons ouvert auxenfants de réfugiés depuis que les famillesde réfugiés ne peuvent plus facilementquitter la Grèce. Ce centre est géré partrois employés et dessert des enfants dequatorze nationalités. Le second lieu est unrefuge, dans le bâtiment des jésuitesd’Athènes. C’est aussi là que nous avonsinstallé nos bureaux et des locaux pour lesbénévoles, en plus d’y loger des famillesvulnérables avec des enfants ou desfemmes seules en attente de relocalisationvers un autre pays. Comme les frontières

sont maintenant très étanches, certains denos pensionnaires sont en attente ici de -puis six ou sept mois. Comme notre politi -que est de ne mettre personne à la porte, ilnous est difficile d’accueillir de nouvellesfamilles. C’est très pénible pour nous dedevoir dire non à des personnes qui sontvéritablement dans le besoin, mais nos res -sources sont limitées. Nous nous prépa -rons d’ailleurs à ouvrir un autre refuge.Enfin, notre troisième lieu d’engagementconsiste à offrir des ateliers pour les adul -tes, afin qu’ils utilisent au mieux le tempsde leur séjour forcé en Grèce. J’ajoute quenous travaillons à développer le conceptde l’aide de réfugiés pour d’autres réfugiés,grâce à leur implication dans nos activités.

PB : Qui sont les gens qui travaillent pour leJRS ?

MJ : Pour l’instant, nous sommes une équi -pe de six personnes, dont cinq employés :trois Grecs, un Syrien et un Indien. Maispour répondre aux besoins, l’objectif est dedoubler nos effectifs. Nous nous préparonsà entrer dans les camps ; il nous faudraalors un directeur pour cette section, uncoordonnateur pour chaque camp, desassistants sociaux, un comptable. Nousavons aussi des bénévoles qui nousviennent de partout, en particulier duPortugal où beaucoup de gens sont trèssensibles à ce qui se passe en Grèce. UneONG de là-bas nous envoie une quaran-taine de bénévoles. Nous avons aussi despartenariats avec l’Espagne qui nousenvoient beaucoup de matériel pour notretravail. Enfin, il faut le souligner, il y a bonnombre de Grecs, particulièrement desmères de famille et des personnes auchômage qui profitent de leur disponibilitépour donner de leur temps.

PB : Vous, de l’équipe du JRS-Grèce, êtesune poignée de gens faisant face à desdéfis énormes. Comment faites-vous pourgarder le moral devant cette crise desréfugiés qui s’amplifie plutôt qu’elle ne setasse ?

MJ : Bien honnêtement, il n’y a pas silongtemps, j’étais à la veille d’un burnout,d’un épuisement. J’ai dû être remplacé,comme directeur, durant quinze jours. J’enai profité pour aller faire ma retraite enFrance, ce qui m’a beaucoup aidé. Car j’aila responsabilité de veiller sur ceux qui tra-

Le refuge permet de diminuer le stress de l’attente avant la relocalisation dans un pays tiers.

Cours d’allemand pour ceux et celles qui espèrent être acceptés dans ce pays.

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Evaillent avec nous, en plus de prendre àcœur le bien-être des réfugiés. Le dialo -gue, la prière, l’écoute mutuelle, tout çaaide à traverser les moments difficiles.Mon secret personnel est surtout du côtéde la prière et du silence. Et puis il y al’écriture : j’écris réflexions et poèmes àpartir de ce que je vis.1 D’un autre côté, jecontinue mon approfondissement de laculture et de la philosophie grecques : c’estimportant pour moi de faire cette immer -sion dans la culture pour pouvoir être plusutile aux plus pauvres. Sinon il y a dangerde devenir cynique devant tant de pro -blèmes. Dans le même esprit, on chercheaussi des occasions pour permettre à toutle monde de se détendre. Il faut créer desmoments de respiration et de détente pourtous, les membres de notre équipe et lesréfugiés. Récemment, j’ai loué un bus et ona emmené à la mer les réfugiés qui logentchez nous : c’était très agréable et enmême temps très important pour la dignitéde ces personnes qui vivent des tempsdifficiles.

PB : Quel lien faites-vous entre votre voca -tion jésuite et votre engagement au JRS, enGrèce ?

MJ : C’est que nous travaillons pour «l’hom -me inconnu ». Nous aidons des anonymes,des oubliés ou des naufragés de la merÉgée; en faisant cela, nous croyons quec’est le Christ qui est présent dans cesgens-là. Pour le reste, c’est dans le dia -logue avec des réfugiés, avec des mem -bres de l’équipe et avec la communautéque je vis ma vocation. Nous ne sommespas une ONG prosélyte. Nous manifestonsde l’attention aux personnes et celles-cipeuvent décrypter la source de notre inspi-ration. Jésus ne nourrissait pas seulementl’esprit, mais il a identifié les besoins dansson entourage et il a porté son regard etses gestes vers la veuve, la samaritaine etd’autres personnes dans le besoin.

PB : En faisant référence au vocabulaire de saint Ignace, il y a dans votre travail desmoments de « désolation ». Vivez-vous suf -fisamment de « consolations » pour conti -

nuer de sentir la vie au cœur des épreuvesvécues par les réfugiés ?

MJ : Je suis constamment étonné de latendresse de Dieu dans ma vie. Ma thèse,à la fin de mes études de théologie, je l’aiintitulée « Le Christ souriant ». C’est lié auChrist souriant assez célèbre qu’on trouveau château de Javier, en Espagne, où, surfond de danse macabre, Jésus sourit sur lacroix. Il y a aussi une phrase affichée dansnotre chapelle qui dit : « Seul celui qui sesait de passage peut mouvoir le monde » ;je trouve cette formule extraordinaire.

La mort est présente tant dans mon ex -périence personnelle, alors que ma vieétait menacée, que dans tant d’autresrencontres de la mort que j’ai vécues, parexemple celle des noyés de la Mer Égée oucelle des milliers de cadavres enterrés auRwanda. C’est vertigineux parfois. Mais jecherche la lumière et la consolation àtravers la prière et le silence. Rien n’estacquis ; c’est une quête constante qui nousincombe pour retrouver le Christ souriant àtravers tout cela. ■

Le Christ souriant (Château de Javier, Espagne).

1 Voir en page 12 le texte intitulé : « Prière à la mer » .

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En avril 2016, le pape François est allé dans un camp de réfugiés, à Mytilène, sur l’île de Lesbos, en Grèce. Il a participéà une cérémonie de prière avec deux dignitaires de l’Église orthodoxe, le patriarche œcuménique de Constantinople,Bartholomé 1er, et l’archevêque d’Athènes, Ieronymos. Les trois chefs spirituels ont alors tourné leurs regards et leursprières en direction de la mer Égée, où tant de réfugiés ont trouvé la mort en tentant de gagner l’Europe.

Cet évènement a inspiré une prière au P. Maurice Joyeux.

Ils sont vingt et cent, ils sont des milliers, embarquésInnocents engloutis par les eaux de l’angoisse,

Anonymes, Frères humains de l’attente et du courageLes vaincus des abîmes de folle indifférence.

Réveille-nous Seigneur, Seigneur, tiens-nous en éveil.Leur rêve, leur audace, leur désir, leur peur ne sont pas des « mirages », Ils sont des nôtres, ces humains assoiffés de terre d’espérance.

Voici nos mains, nos intelligences, nos mémoires et vouloirsVoici nos cœurs, nos rages.Qu’ils ne s’endurcissentparalysés de leurs mille raisons.

Que l’Esprit créateur que tu as mis en nousles guide pour agir de ta sagesse et compassion Qu’avec d’autres, ils s’engagent !

Ta résurrection est protestation d’existenceTa vie est délivrance des gouffres du mourir, des naufrages.Relève-les Seigneur, Relève-nous,Renfloue leur corps, nos corps du souffle de ta Vie.

Sortez, Lazare, de vos eaux sans tombeaux, Criez, noyés, crucifiés de nos mers sans mèresDonnez de la voix, vous, les sans-voix !

Que nous servions avec toi, Seigneur, la paix sur leurs visages,

La paix déjà là, non loin, pour eux, sur un rivage !

Ils sont vingt et cent, ils sont des milliers, embarquésInnocents engloutis par les eaux de l’angoisse,

Anonymes, Frères humains de l’attente et du courageLes vaincus des abîmes de folle indifférence.

Réveille-nous Seigneur, Seigneur, tiens-nous en éveil.Leur rêve, leur audace, leur désir, leur peur ne sont pas des « mirages », Ils sont des nôtres, ces humains assoiffés de terre d’espérance.

Voici nos mains, nos intelligences, nos mémoires et vouloirsVoici nos cœurs, nos rages.Qu’ils ne s’endurcissentparalysés de leurs mille raisons.

Que l’Esprit créateur que tu as mis en nousles guide pour agir de ta sagesse et compassion Qu’avec d’autres, ils s’engagent !

Ta résurrection est protestation d’existenceTa vie est délivrance des gouffres du mourir, des naufrages.Relève-les Seigneur, Relève-nous,Renfloue leur corps, nos corps du souffle de ta Vie.

Sortez, Lazare, de vos eaux sans tombeaux, Criez, noyés, crucifiés de nos mers sans mèresDonnez de la voix, vous, les sans-voix !

Que nous servions avec toi, Seigneur, la paix sur leurs visages,

La paix déjà là, non loin, pour eux, sur un rivage !

Ils sont vingt et cent, ils sont des milliers, embarquésInnocents engloutis par les eaux de l’angoisse,

Anonymes, Frères humains de l’attente et du courageLes vaincus des abîmes de folle indifférence.

Réveille-nous Seigneur, Seigneur, tiens-nous en éveil.Leur rêve, leur audace, leur désir, leur peur ne sont pas des « mirages », Ils sont des nôtres, ces humainsassoiffés de terre d’espérance.

Voici nos mains, nos intelligences, nos mémoires et vouloirsVoici nos cœurs, nos rages.Qu’ils ne s’endurcissentparalysés de leurs mille raisons.

Que l’Esprit créateur que tu as mis en nousles guide pour agir de ta sagesse et compassion Qu’avec d’autres, ils s’engagent !

Ta résurrection est protestation d’existenceTa vie est délivrance des gouffres du mourir, des naufrages.Relève-les Seigneur, Relève-nous,Renfloue leur corps, nos corps du souffle de ta Vie.

Sortez, Lazare, de vos eaux sans tombeaux, Criez, noyés, crucifiés de nos mers sans mèresDonnez de la voix, vous, les sans-voix !

Que nous servions avec toi, Seigneur, la paix sur leurs visages,

La paix déjà là, non loin, pour eux, sur un rivage !

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Le Service jésuite des réfugiés(JRS) ne pourrait rendre les servicesd’accompagnement et de défense desdroits des réfugiés, dans de nombreuxpays du monde, sans la participation denombreux bénévoles. En Grèce, le JRSa pu faire alliance avec un organismeportugais qui invite ses membres, desjeunes surtout, à s’engager auprès desgens qui sont dans le besoin. Parmi lesbénévoles qui travaillent au refuge desjésuites à Athènes, nous avons ren -contré Mariana.

!Pierre Bélanger : Mariana, qui êtes-vouset comment vous êtes-vous retrouvée enservice, ici, avec l’équipe du Servicejésuite des réfugiés à Athènes ?

Mariana Álvarez : Je suis une bénévole duPortugal, de l’organisation PAR (Platefor -me d’aide aux réfugiés) qui supporte leJRS, avec lequel je travaille ici à Athènes,surtout au niveau de la coordination et del’organisation du foyer où nous recevonsdes réfugiés en attente d’un pays d’adop -tion. Je me trouve aussi à appuyer la com -munauté jésuite qui met ses espaces auservice du JRS.

De fait, je ne connaissais pas commetel le JRS mais j’en ai entendu parler à l’u-

niversité, justement à travers PAR. Je mesuis offerte et on m’a assigné un travail ici,en Grèce. Cette organisation offre à desjeunes de participer à des projets en fa -veur des réfugiés. Auparavant c’était auLiban, maintenant c’est en Grèce. PARintervient de diverses manières mais, aucœur de l’action pratique pour les réfu -giés, c’est en Grèce qu’elle est impliquée.Au Portugal, elle est engagée dansl’accueil des réfugiés.

PB : Est-ce que vous êtes étudiante ?Avez-vous choisi de faire une pause dansvos études pour venir faire ce travail debénévolat ?

MA : Non, j’ai terminé mes études; je suisingénieure en environnement, mais je n’aitravaillé qu’une année après mes études.J’ai choisi de quitter mon travail pour fai -re du travail bénévole. Pourquoi? Parcej’avais l’impression que c’était le temps dele faire. En moi, j’ai toujours senti quej’aimais le travail social et, quand j’aitravaillé comme ingénieure profession-nelle durant un an, mon cœur me disait : « Ce n’est pas ce que tu cherches; tu doisaller faire quelque chose de concret pourles autres. » J’aime le contact avec lesgens; je me sens bien là-dedans, mieuxque dans un bureau.

PB : Qu’est-ce que vous faites ici, concrè -tement ?

MA : Je gère le travail des bénévoles. Il ya divers groupes de bénévoles, dont cer -tains sont impliqués à temps plein, parexemple des gens du JRS et de PAR. Maisd’autres sont des gens qui viennent aiderun jour ou deux par semaine, entre autredes étudiants. Parmi eux on trouve des

Grecs, des Américains, des jeunes Euro -péens du Service volontaire européen oudu programme d’échanges universitairesErasmus. Il y a aussi certains réfugiés quioffrent de leur temps pour du bénévolat.

J’organise l’horaire, les activités, cequi doit être fait pour que la résidence, ici,fonctionne bien. Il y aussi les démarches àfaire pour que les enfants puissent aller àl’école : au début, il faut les accompagneraussi bien à l’aller qu’au retour. À cela s’a -joutent les visites médicales, l’aide dansles tractations avec les ambassades envue d’une relocalisation, l’assistance dansl’usage de l’internet. Et puis, il y a la ges -tion de la routine quotidienne : les repas, lalessive, le ménage ! Je suis là pour coor -donner tout cela.

PB : Eh bien ! Cela vous occupe 24 heurespar jour, sept jours par semaine !

MA : Théoriquement, je devrais être pluslibre les week-ends, mais en fait, même sije ne suis pas obligée de venir, je viensquand même !

PB : Qu’est-ce qui est difficile et qu’est-cequi est agréable dans ce que vous vivezici?

MA : Ce qui est difficile, c’est de ne paspleurer devant le poids de la situation queces familles vivent. Je dois me montrerforte devant eux pour les soutenir. Ce quiest formidable, c’est ce que nous, lesbénévoles, recevons du point de vuehumain par ces contacts. C’est quelquechose qui restera en moi ma vie entière.Je serai une personne différente, meil -leure, quand je retournerai au Portugal. ■

FAIRE QUELQUE CHOSE

POUR LES AUTRES

Une rencontre avec Mariana Álvarez, bénévole au JRS-Grèce

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Pierre Bélanger : Bonjour, Midia. Pourquoiêtes-vous ici, réfugiée à Athènes?

Midia Ismail : Parce que je veux retrouvermon mari qui, lui, avait réussi à se rendreen Allemagne. Il avait quitté la Syrie avantnous, les autres membres de la famille.Nous tentons de le rejoindre.

PB : Vous êtes de Syrie. Parlez-nous devotre vie en Syrie. Où viviez-vous et qu’est-il arrivé à votre famille?

MI : Je suis née en Syrie, et je suis Kurde.J’ai étudié là-bas, je suis allée à l’univer-sité, et, après mon mariage, mon mari asenti qu’il ne pouvait demeurer en Syrie carla tension montait. Alors, nous avons vécudeux ans en Iraq, dans une zone qui étaitsécuritaire pour les Kurdes, mais ensuite,quand mon mari a perdu son travail, nousne pouvions plus rester et ne voulions pasretourner en Syrie. Mon mari a décidéd’aller en Europe et il y est arrivé. Il a vouluvenir nous chercher, mais c’étaitimpossible avec la guerre, les bombes.Nous avions tout perdu.

PB : Comment êtes-vous arrivée ici, enGrèce?

MI : Après que j’eus décidé de venir versl’Europe, comme tous les réfugiés, j’aivoyagé avec ma petite fille le long de lafrontière de l’Iraq et de la Turquie jusqu’enMacédoine et j’étais enceinte de mondeuxième enfant. Puis j’ai attendu, attendu.

D’après ce que j’avais entendu dire, j’aipensé que je devrais aller en Grèce, que ceserait le meilleur chemin pour parvenir enAllemagne. Je suis dans ce pays depuisneuf mois, dont six mois dans ce refuge duJRS. C’est ici que j’ai accouché de madeuxième fille; elle a quatre moismaintenant. Mais les frontières sontfermées…

PB : Enceinte et avec une très jeune enfant,comment avez-vous voyagé?

MI : Je suis passée de l’Iraq en Turquieavec l’aide des « smugglers », lespasseurs. Ça a duré 34 jours : traverser unjour, se faire repousser le lendemain. Ce futtrès pénible. Finalement, j’ai réussi àtraverser; j’ai passé douze jours au postede police, puis huit jours dans un repairedes passeurs. Ces derniers m’ont faittraverser en Grèce, sur une île. Après unesemaine, j’ai pu venir à Athènes et j’aitrouvé ici l’aide du JRS.

PB : Qu’est-ce que vous pensez de cetendroit, de cette résidence où vous vivezmaintenant?

MI : C’est très sécuritaire pour nous. Jevois la différence avec ma premièrearrivée dans ce pays. Nous avons de l’eauchaude, une chambre à nous, de lanourriture. Si je n’avais pas trouvé cerefuge du JRS, je serais probablementdans la rue, car nous n’avons pas d’argent.L’équipe, ici, nous aide : un médecin m’a

suivie durant ma grossesse et m’a assistéelors de mon accouchement. C’est très bien.

PB : Et maintenant, vous vous préparez envue d’aller en Allemagne…

MI : C’est difficile, l’attente me tue. Le 9septembre, j’ai fait ma demande à l’ambas-sade d’Allemagne. J’ai dû répondre à biendes questions et passer des examens; demême pour ma toute petite fille qui, parcequ’elle est née ici, a un autre statut. Je nesais pas si elle est considérée commeayant la nationalité grecque; je ne croispas. J’ai simplement un document del’hôpital attestant sa naissance. J’attendsde voir et j’espère jour après jour que l’am-bassade va m’appeler. Mais ça ne vientpas!

PB : Je vois que vous avez encore del’espoir et que vous pouvez encore sourire!

MI : Je ne sais pas comment je puis le faire.Je l’ai pu jusqu’à maintenant, mais si çadure encore un mois, je ne sais pas si jepourrai encore sourire.

PB : Je vous souhaite du courage et que laréponse de l’ambassade vienne bientôt,pour que vous puissiez continuer à sourire.Vous pouvez compter sur le JRS pour vousaccompagner et vous soutenir dans cetteépopée.

MI : Le JRS fait déjà beaucoup pour nous.■

MIDIA ISMAIL

ET SA FAMILLEAu refuge du JRS à Athènes

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EN VUE D’UNE INTÉGRATIONFAVORABLE

Notre centre, ouvert depuis plus de cinqans maintenant, apporte aux enfants unsoutien scolaire après l’école, en après-midi. Mais il offre aussi un accompagne-ment aux familles de ces enfants, parexemple dans leurs démarches adminis-tratives. Nous animons aussi diverses acti -vités pour aider les jeunes à développerleurs capacités, leurs dons.

Au point de départ – et c’est toujoursnotre mission principale – viennent cheznous des enfants de l’immigration. Certainssont même nés ici de parents immigrants;il s’agit de familles qui ont choisi de vivre enGrèce. Il y a même des familles de Syriensqui, contrairement à la plupart des réfugiésqui ont fui la Syrie et qui attendent d’être

admis dans un nouveau pays d’accueil,choisissent la Grèce pour y vivre; ils ne seconsidèrent plus « de passage ». Le centreest donc orienté vers l’intégration des en -fants en Grèce tout en leur permettant degarder leurs racines. C’est très important,cet aspect, car beaucoup des jeunes quifréquentent le centre ont honte de leursracines. Pourquoi donc en est-il ainsi?Parce qu’ils viennent de ce qu’on appelledes « pays pauvres », parce qu’ils ont souf -fert de tensions religieuses dans leur paysd’origine, parce qu’ils sont désorientés.

L’intégration dans la société grecquepasse bien sûr d’abord par l’éducation sco -laire, mais aussi par la connaissance deslois et des coutumes. En leur permettant derenforcer cette intégration, nous leur ou -vrons des portes pour avancer dans leursétudes sans perdre leur appartenance à

leur culture d’origine. Par exemple, selonleurs traditions, à l’occasion des fêtes deNoël, de Pâques ou d’autres fêtes religieu -ses, nous proposons aux enfants de pré -senter leur pays, y compris dans des ex -pressions artistiques, chants et danses.

UNE PANOPLIE D’ACTIVITÉSSCOLAIRES ET PARASCOLAIRES

Actuellement, il y a 130 enfants inscritschez nous et, chaque jour, entre 100 et 110viennent au centre. Qu’est-ce qu’on fait en -semble? D’abord les devoirs qui sont exi -gés par leurs enseignants, en portant uneattention aux enfants qui ont des diffcul -tés, en particulier avec la langue. Ensuite, il y a les activités parascolaires. Le pèrePierre Ong, d’origine coréenne mais denationalité grecque, est peintre : il donnedes cours de peinture. Il y a des travaux

LE CENTRE PEDRO-ARRUPE,À ATHÈNESPar sa directrice : Argyro Hatziantoniou

Les jésuites d’Athènes sont installésdans un quartier qui regroupe essentielle-ment des immigrants de plusieurs paysd’Afrique du Nord, d’Afrique noire, d’Asieet du Proche-Orient. Ils ont choisi deservir les familles qui vivent autour deleur résidence en offrant divers services.L’une des réalisations les plus importantesa été la mise sur pied du Centre pour lesjeunes Pedro-Arrupe. C’est un service desoutien scolaire pour des enfants issus del’immigration récente dont les parentsn’ont pas les capacités linguistiques ou ladisponibilité nécessaires. Pour la deuxiè -me année, les services ont été étendus

aux enfants de réfugiés qui, puisque lesfrontières de l’Europe sont maintenantfermées, doivent vivre une longue périoded’attente avant d’être relocalisés. En lienavec le JRS-Grèce, le Centre Pedro-Arrupe assure le soutien scolaire de jeu -nes qui, autrement, perdraient un tempsprécieux et ne pourraient avancer dansleur cursus éducatif.

Peut-on être surpris de trouver àAthènes un centre qui porte le nom del’ancien Général des jésuites? Le pèrePedro Arrupe a donné un élan nouveau àla Compagnie de Jésus, durant ses années

à la tête de l’ordre religieux. Il a dirigé lesregards des jésuites vers les pauvres, versceux et celles qui avaient des besoinsessentiels – y compris des besoins enéducation – et dont peu de gens s’occu-paient. Puis, il a lancé l’œuvre-phare de laCompagnie de Jésus dans plusieurs paysdu monde : le Service jésuite des réfugiés(JRS).

Au Centre Pedro-Arrupe d’Athènes,cette double préoccupation est au cœurdu programme et des activités. Voici ceque la directrice du centre, madameArgyro Hatziantoniou nous a confié.

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manuels, des cours de guitare, des coursd’anglais et de français, des projections defilms aussi. Pour les parents, nous offronsdes cours de grec; ils sont une quinzainequi viennent les jeudis et vendredis matins.Nous leur offrons la base nécessaire pourpouvoir lire ce qu’ils doivent lire dans la viequotidienne et pour remplir des formulairesgouvernementaux par exemple.

Pour revenir aux enfants, le systèmescolaire est organisé de telle sorte qu’auprimaire, ils terminent à 13 h15 : c’est trèstôt. On a donc beaucoup de temps pourtravailler avec eux et pas seulement surleurs matières scolaires. Ce que nousvoulons, c’est aider les enfants à croître àtous égards. Plusieurs m’ont dit que leurmaîtresse leur a dit qu’ils n’étaient «pasbons». Notre but, c’est d’aider l’enfant àcroire en lui-même, en sa capacité. Nousnous donnons cette mission.

Bien concrètement, les enfants quiprennent le repas ici – ils sont environ 25 –arrivent à 14 h. Les autres arrivent à 15 h ettous restent jusqu’à 19 h. Le programme est

équilibré. Le lundi, toutes les activités sontcentrées sur le scolaire, les devoirs, les langues, etc. Le mardi, on ajoute aux devoirsles travaux manuels de 17h30 à 19h ; lesplus grands apprennent la guitare et ouencore l’anglais. Le mercredi, il y a le coursde peinture.

On nous demande souvent si les jeunesviennent ici de leur propre chef ou s’ils sont« obligés » par leurs parents. C’est un mé -lange. Certains vont dire qu’ils sont obligés,mais on se rend vite compte que c’estvraiment eux qui veulent venir. Quand onprépare des fêtes, je n’ai aucune difficultéà trouver des volontaires; s’ils voient que jesuis enrhumée, ils me demandent com -ment ils peuvent faire quelque chose pourmoi. Ils se sentent en famille, ici.

PLUSIEURS DÉFIS À RELEVER

Pour notre équipe, les défis sont nom -breux; chaque jour est un défi! Le premier,comme je l’évoquais, c’est de regardervraiment les enfants non pas avec unregard de pitié – alors qu’ils vivent à bien

des égards des situations difficiles commeimmigrants ou réfugiés – mais avec unregard d’espérance. Toute notre manièred’interagir avec eux doit signifier : « Je croisen toi. Tu n’es pas Grec, ça ne fait rien; tuas des dons et moi je crois en tes dons et jesuis là pour t’aider à les développer. Quandtu seras prêt à agir dans la société, tupourras offrir le meilleur de toi-même.»C’est là l’essentiel. Nous devons les aider àpouvoir se sentir heureux de ce qu’ils sont.

Autre défi, celui des liens avec les fa -milles. Cela dépend beaucoup des culturescar nous avons des enfants de 14 pays.Parmi tous ceux qui viennent, seulementdeux enfants ont la nationalité grecque.Nous devons comprendre les mentalitéstout en aidant les parents à sortir deschèmes qui limitent la croissance de leursenfants. Par exemple, pour ceux qui vien -nent de certains pays d’Afrique, les parentsont tendance à demander aux plus grandsde garder les petits à la maison. Alors, à 12ou 13 ans, ils ne vont pas à l’école durantune semaine parce que leurs parentsdoivent aller vendre leurs marchandises au

En après-midi, Argyro offre une aide personalisée aux enfants pour leurs devoirs.

Chaque classe porte le nom d'un jésuite célèbre.

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marché. J’ai donc organisé une réunion deparents sur l’importance de la régularité àl’école. Nous expliquons que les enfantsont de belles possibilités de développe-ment, mais qu’ils ne peuvent les mettre envaleur s’ils doivent faire du gardiennage. Jeme rappelle que des parents sont partis unmois en Afrique en laissant les enfants sousla responsabilité d’une jeune fille de 12 ans!

Un autre défi, le plus difficile peut-être,est celui qu’on rencontre dans certainsgroupes musulmans – y compris chez desSyriens qui ont quitté leur pays. L’enfant ale sentiment que, parce qu’il est d’unefamille pauvre, il ne pourra rien faire; il nepourra que travailler à cirer les chaussu -res. Il y a des enfants qui sont arrivés àAthènes depuis deux ans et qui ne parlentpas encore grec; ils cirent des chaussuresou travaillent à les réparer, sur la rue. Noustâchons de les identifier et de les convain -cre qu’ils ne doivent pas passer leur viedans cette situation… même si c’est ceque leurs parents ont tendance à impliquer.

Enfin, il ne faut pas le nier, il y a le défi dela pauvreté, un défi important pour bien desfamilles d’immigrés et plus encore, sansdoute, pour les réfugiés. Nous essayons deleur ouvrir des portes et des chemins, pastellement en leur donnant de l’argent maisplutôt de la nourriture, et surtout en faisantdes démarches administratives, en écri -vant des lettres pour eux, afin qu’ils aientaccès à de l’aide.

Comme vous le voyez, notre projet nemanque pas de défis !

LES LIENS AVEC LE JRS

Alors que la crise des réfugiés a pris del’ampleur pour la Grèce puisque tant defamilles qui voulaient se diriger vers lespays du nord de l’Europe sont bloquées ici,le P. Jean-Marie Carrière, responsable duService jésuite des réfugiés pour l’Europe(JRS-Europe) est venu nous visiter. Il nousa dit : « Pourquoi ne pas faire entrer leCentre Arrupe dans le giron du JRS ? » Eneffet, la mission de notre centre et celle du

JRS international sont proches. Aussi,depuis le mois de mai 2016, nous avonscommencé un programme spécifique pourles enfants du JRS. Dans des pièces quenous avons aménagées spécialement,nous leur offrons d’abord des cours degrec. Comme les familles – il s’agit surtoutde Syriens, d’Afghans et de gens d’autrespays en guerre – ne savent pas pendantcombien de temps elles devront rester ici, ilvaut donc mieux pour elles ne pas perdreson temps et s’habiliter à vivre dans lemilieu grec. Et puis, à partir de septembre2016, nous avons aidé à l’inscription desenfants du JRS dans des écoles régulières.Pour appuyer ce projet, nous avons unjeune homme qui est spécialement dédié àl’aide aux devoirs pour ces enfants. C’estnotre façon d’intégrer, à notre échelle, legrand projet du JRS.

LE RÔLE DE JEAN BAPTISTE

Quand je m’arrête, le soir, au moment dema prière – et ce serait ce que j’aimeraisdire en guise de conclusion – alors que jeregarde ce que j’ai fait de ma journée, avecnotre équipe du Centre Pedro-Arrupe, jepense à Jean Baptiste, un personnage quej’aime bien. Je prépare le chemin… etensuite je m’en vais. Pour moi, l’éducation,c’est cela : préparer le chemin pour lesenfants, donner tout ce que je peux,humainement. Ça n’est pas facile ; c’est uncombat quotidien et nos efforts ne sont pastoujours récompensés. Il y a des hauts etdes bas, mais cette mission de préparer unavenir pour des jeunes qui pourront appor -ter leur contribution à la société est magni -fique. Oui, je me vois un peu comme un«Jean Baptiste» !

Quand le Père Général Adolfo Nicolás a visité le Centre Pedro-Arrupe, il a dit aux enfants que son animal préféré était la girafe.Pourquoi ? Parce que c’était l’animal avec le plus grand cœur –pour faire monter le sang jusqu’à sa tête – et parce que son longcou lui permettait de voir loin. Une girafe en peluche, qu’on abaptisée Lila, est devenue la mascotte du Centre. On la voit iciavec Raisa et Xatzira. Sur la page couverture, c’est Minas qui estphotogra phié avec Lila. ■

Le frère jésuite Georges Marangos participe quotidiennement aux activités du Centre Arrupe.

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LA RÉGION DU MONDE OÙ LES JÉSUITES SONT LES PLUS NOMBREUXEntretien avec le P. George Pattery, S.J.

Bien des gens sont surpris quand onleur apprend que le pays où il y a leplus grand nombre de jésuites, c’estl’Inde. Il y a 18 Provinces de la Compa -gnie de Jésus en Inde, auxquelless’ajoutent la « région » de Ranchi, la« région » du Népal et la Province duSri Lanka à laquelle est liée la missiondu Pakistan. C’est l’ensemble de cesunités administratives de la Compa -gnie de Jésus qui forment la Confé -rence jésuite d’Asie méridionale. Surun total de quelque 17 000 jésuites, plusde 4000 sont de cette région du monde,soit environ 23% des effectifs.

Au Canada français et en Haïti, nousavons eu peu d’occasions d’être enrelation directe et régulière avec lesjésuites indiens. Par ailleurs, leCanada anglais a été très présent parson travail missionnaire dans laProvince de Darjeeling, au nord-est del’Inde, entre le Népal et le Bhoutan. Àl’occasion de la Congrégation généralequi a eu lieu à Rome fin 2016, notrereporter s’est entretenu avec le P.George Pattery, le président de laConférence des jésuites de l’Asie duSud qui, par son témoignage, nous aideà saisir l’ampleur des engagementsjésuites dans cette région du monde.

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LE BRIGAND : Père Pattery, qu’est-ce nousdevrions d’abord noter quand on s’intéres -se à la présence jésuite en Inde ou, pluslargement, en Asie méridionale?

George Pattery : Une première constata-tion, c’est que les vocations jésuites enAsie du Sud sont issues de toutes les stra -tes de la société : des pauvres, des classesmoyennes et des «castes» supérieures. Àmon avis, c’est une force de notre pro -cessus de recrutement que de viser tout lemonde et que les vocations viennent departout dans la région. Pour la mission,cela nous donne accès à toutes les cou -ches de la société. De plus, on peut direqu’en Asie méridionale, le sous-continentindien, les jésuites sont présents dans lavie des chrétiens quelle que soit leur pro -venance sociale. Enfin, le travail des jésui -tes en éducation à l’intérieur du systèmed’éducation de l’État est bien réparti géo-graphiquement aussi bien dans les villesque dans les campagnes, même s’il fau -drait sans doute faire encore plus auniveau des villages. Mais les écoles descampagnes ont de bons liens avec lesécoles des villes. J’ajoute une chose, c’estque, si vous considérez l’histoire contem-poraine de notre région, les intuitions duConcile Vatican II, en philosophie, enthéologie, en ecclésiologie, ont été surtoutportées par les jésuites, qui ont proposé uneformation théologique et biblique qui reflé -tait les nouvelles perspectives ecclésiales.

Ce qui a permis cela, c’est notammentla présence du P. Neuner, un jésuite autri -chien qui a enseigné chez nous durant denombreuses années. Le père Neuner étaitun théologien du Concile; il a eu une forteinfluence sur les jeunes théologiens in -diens. Et puisque les principales facultésde théologie sont sous la responsabilitédes jésuites, ce fut assez facile de propa -ger ainsi les idées de Vatican II par les cer -cles ecclésiaux partout en Inde, aussi bienen termes de formation théologique qued’approches pastorales qui impliquaient lerenouveau.

À PROPOS DE QUELQUES JÉSUITES

LE BRIGAND : Parlez-nous un peu de vous-même et de votre vocation jésuite.

Joseph Neuner, S.J.

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GP : Je suis originaire du Kerala, dans lesud-ouest de l’Inde où la proportion decatholiques est d’au moins 25 % et je suisde la tradition ou du rite catholique syro-malabare. J’étais un prêtre diocésain decette tradition mais j’avais eu ma formationphilosophique et théologique au séminairede Pune, dirigé par les jésuites. Peu aprèsmon ordination, je suis entré dans la Com -pagnie de Jésus, justement sous l’influenceet l’inspiration du père Joseph Neuner dontje vous ai parlé et qui a été mon mentor. J’aienseigné au séminaire interdiocésain deCalcutta et je suis ensuite entré dans laProvince de Calcutta. Après mon noviciat,je suis allé à Rome, à l’Université Grégo -rienne, pour faire mon doctorat en théolo -gie de la phénoménologie. À cette époque,un de mes confrères de classe était lefameux père Jacques Dupuis. Quand jesuis revenu en Inde, j’ai enseigné dans uneuniversité d’État fondée par le prix NobelRabindranath Tagore et j’y suis restédurant dix ans, enseignant aussi bien enphilosophie qu’en théologie. Ensuite, en2005, j’ai été désigné supérieur provincialde la Province de Calcutta, une responsa-bilité que j’ai eue durant six ans. Aprèsquelques mois de sabbatique, j’ai enseignéà l’Université jésuite Holy Cross, enNouvelle-Angleterre, puis je suis retournéà Pune où j’ai été recteur du scolasticat.Par la suite, on m’a choisi comme présidentde la Conférence jésuite d’Asie méridio -nale, un poste que j’occupe depuis deuxans environ.

LE BRIGAND : Nos lecteurs n’ont peut-êtrepas en mémoire qui est le père Dupuis;pouvez-vous nous en parler ?

GP : Jacques Dupuis est un théologien jé -suite belge qui a enseigné durant une tren -taine d’années en Inde. Ses enseignementsétaient marqués par les questions interre-ligieuses, mais je crois fermement qu’ilétait un véritable théologien de l’Église. Ilétait un promoteur très engagé du dialogueinterreligieux, mais parfois les gens nepouvaient comprendre sa perspective, cequi lui a valu bien des critiques.

LE BRIGAND : Parlons d’un autre jésuiteque vous connaissez puisque vous avezété Provincial de Calcutta. C’est là que vitdepuis très longtemps le seul jésuite ori -ginaire du Canada français, le P. GastonRoberge. Que pouvez-vous nous dire deson œuvre?

GP : Gaston est un de mes bons amis. Il afait un travail très valable dans le domainedu cinéma. Non pas seulement parce qu’ila établi un centre de formation sur le ciné -ma, la production cinématographique et lacritique ou l’interprétation des films, maisaussi parce qu’il a joué ce rôle avec unesprit ouvert et en faisant des liens avecl’évangile et les valeurs promues par leConcile Vatican II. Il faut dire aussi qu’il y a30 ou 40 ans, il n’y avait pas beaucoup depossibilités pour les universitaires de fairedes études cinématographiques ; le P.Roberge a ouvert les portes à beaucoup dejeunes. C’est pourquoi il est si apprécié etqu’il demeure en relation d’amitié avecses étudiants longtemps après la fin deleur cours.

LA RICHESSE DE L’INDE

LE BRIGAND : Revenons à l’Inde d’aujour-d’hui, un univers complexe. Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution du pays auxniveaux social, économique et religieux, aucours des 20 ou 30 dernières années ?

GP : L’Inde est porteuse d’une civilisationtrès résiliente, faite d’une combinaison deplusieurs cultures. On peut noter en particu -lier la lutte pour la liberté et le mouvementpour la liberté, des phénomènes tout à faituniques en Inde du fait qu’elle a utilisé uneapproche de non-violence pour lutter con -tre l’empire le plus imposant de l’époque,l’Empire britannique. De plus, chez nous, ona pu démontrer que la foi et les perspec-tives religieuses sont importantes dans lalutte pour la justice. Je pense que Gandhinous a fait un cadeau remarquable : ce qu’ila fait, c’était une application de l’évangiledans sa lutte non violente pour la justice.Jacques Dupuis, S.J.

St. Xavier College, Kolkata, où le P. Gaston Roberge a enseigné le cinéma.

Mahatma Gandhi, dirigeant politique etguide spirituel de l’Inde.

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EJe pense aussi que cette contribution à lajustice vaut pour le monde entier : elle adémontré que nous pouvons atteindre desobjectifs de justice et de liberté par desmoyens non violents.

Enfin, je puis affirmer qu’en Inde, lesreligions ont eu leur place, les unes à côtédes autres, depuis des siècles et que lamajorité des Indiens vivent très bien dansce contexte. Par contre, malheureusement,à cause de l’évolution économique et dessystèmes politiques, à cause des rivalitéset des stratégies électorales, les religionsont été utilisées pour gagner des votes. Ence sens, le système politique indien setrouve à corrompre la manière tradition-nelle selon laquelle les gens ont vécu etrespecté la diversité religieuse. Malgrécela, la majorité des gens demeure tolé -rante, mais il y a certains groupuscules, àl’intérieur des groupes religieux, qui mani -pulent l’opinion publique à l’avantage deleur parti politique. C’est vraiment dom -mage. Mais si je jette un regard global surles situations socio-économiques, je penseque les fondements positifs sont bons.Nous avons un très bon système judiciaireet des procédures démocratiques pour lesélections, même s’il s’inscrit dans unsystème bureaucratique lourd. Nous avonsde bons réseaux de communication. Il fautpourtant avouer qu’en dépit du fait que lesprincipes de ces instances soient clairs etpassablement justes, la corruption s’insèreparfois un peu partout.

LE BRIGAND : L’Inde est entrée dans l’âgede la modernité; ne pensez-vous pas que

des influences occidentales pourraientmenacer les valeurs traditionnelles dontvous avez parlé ?

GP : C’est une possibilité. Mais en mêmetemps, ces influences font partie du mondeactuel. La technologie est très importante:c’est l’imitation de la culture occidentale etla compétition que celle-ci suscite qui peu -vent être néfastes pour nos valeurs. Car nosvaleurs morales sont structurées différem-ment de celles de l’Occident: essayer deforcer celles-ci pour qu’elles s’insèrentdans notre propre système de valeurs créedes tensions.

LES JÉSUITES, DANS CE TABLEAU

LE BRIGAND: Après avoir parlé du con -texte de civilisation de l’Inde actuelle, par -lons du rôle que peut jouer la Conférencejésuite de l’Asie du Sud. Et posons laquestion franchement : est-ce que votreregroupement jésuite est au service despauvres et des marginaux qui sont tout demême nombreux dans votre partie dumonde, malgré les progrès économiquesrécents ?

GP : Bien sûr, quand on parle de l’Asie duSud, cette question fait toujours surface.De fait, notre territoire inclut l’Afghanistan,le Népal, le Bhoutan, le Pakistan, leBangladesh, l’Inde et le Sri Lanka. L’Indeayant un grand nombre de Provincesjésuites par rapport aux autres pays, on atendance à centrer notre attention sur cepays. C’est quelque chose que nousvoulons changer, voulant donner plus de

place aux autres territoires : la Conférencene s’intéresse pas seulement à l’Inde.

Nous, jésuites d’Asie méridionale, noussommes impliqués de très près avec lespauvres et les marginalisés. Notre systèmed’éducation et nos centres sociaux sonttrès engagés dans cette ligne. Nous avonslutté pour les droits de la personne et pourplus de justice. Toutefois, à la lumière dudécret que nous discutons actuellement àla Congrégation générale à propos de lamission de la Compagnie de Jésus partoutdans le monde, nous aurons à travaillerpour apporter des pistes de réconciliation.Considérant que nous sommes, en Inde,une nation de gens qui ont de nombreuseslangues, strates sociales, tribus et d’autresdifférences de toutes sortes, nous devonstrouver une pédagogie de réconciliationqui fasse que, tous ensemble, les genspuissent avancer dans la même direction.Dans le domaine de la justice, nous avonsfait des pas, mais ça n’est pas assez. Nousdevons découvrir comment la justice peutaider à construire la paix pour le « vivre-ensemble » : c’est là que nous devonsinnover sur le chemin de la réconciliation.

LE BRIGAND : Et si je vous demandais si, àl’intérieur même de la Compagnie deJésus, il y a eu ou il y a des tensions entredivers groupes de jésuites?

GP : Eh bien, je vous dirai qu’il y a uneProvince où la question des castes poseencore des défis. Outre cela, je dirais que,si des difficultés peuvent survenir detemps à autre, ça n’est rien d’important.

L’éducation, en particulier pour les filles, construit l’avenir en Asie du Sud.

Une école jésuite de Darjeeling utilise la musique pour ouvrir les jeunes à leur avenir.

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Les jésuites ont au moins 25 languesmaternelles différentes, nous venons d’u -nivers culturels divers, mais nous savonsnous centrer sur ce qui est important etdépasser nos différences. Bien sûr, il y atoujours place pour l’amélioration afin quenous puissions encore mieux rejoindre lesgens que nous devons servir.

LE BRIGAND : Il y a du fanatisme religieuxen Inde. Est-ce que les diverses religionspeuvent s’unir pour faire obstacle au radi-calisme ?

GP : Il y a environ 30 ans, Alvin Toffler, unfuturologue renommé, a annoncé que lareli gion allait disparaître dans sa con-frontation avec la technologie. C’est lecontraire qui se passe : les religions sontde retour en force. Je constate que lareligion peut être un important agent dedéveloppement des peuples. Comme nousle lisons dans l’encyclique Laudato Si’, dupape François, nous devons chercher àvivre d’une manière holistique en tenantcompte de l’écologie. Je considère la reli -gion comme un outil important pouratteindre cela. Voir l’harmonie dans lecosmos et l’interdépendance entre nous et tout ce qui existe dans l’univers estquelque chose qu’on peut approcher favo -rablement avec une perspective reli -gieuse. Il faut avouer, bien sûr, que lareligion a souvent été utilisée à des butspolitiques ou sectaires. Mais la religion, auvrai sens du mot, devrait aider les gens às’asseoir ensemble et à travailler pour faireque le monde soit un milieu favorable danslequel les gens prennent soin les uns desautres et prennent soin de l’écosystèmedont nous faisons tous partie.

ET POUR L’AVENIR ?

LE BRIGAND : Après avoir participé à cette36e Congrégation générale des jésuites,quels sont vos plans, où mettrez-vous vosefforts en Asie du Sud au cours des pro -chaines années ?

GP : Je sens vraiment que l’accent de laCongrégation, spécialement dans ce quele Saint Père nous a dit, est de travailler àexercer le discernement dans nos commu-nautés, pour la mission et dans nos apos -tolats. C’est essentiel. Une autre chose im -portante pour nous, en Asie du Sud, c’estde développer davantage nos réseauxavec la société qui nous entoure et avecles autres « conférences jésuites » dumonde. Nous avons commencé, mais il y aencore tant à faire sur des sujets commeles crises migratoires, l’extraction minièreet les problèmes environnementaux, etmême plus largement en éducation et dansl’apostolat social. Nos provinces font faceà de tels défis ; avec un réseautage stra -tégique nous pourrons mieux apprendre del’expérience des autres. Une partie denotre mission sera de travailler à un pro -cessus de réconciliation dans la sociétéentre les cultures très diverses qui carac-térisent notre région du monde. Nous som -mes une civilisation non violente depuis lestemps anciens, mais nous n’utilisons pascet atout dans une perspective mission-naire ; ce sera l’un de nos objectifs. En ré -sumé, à mon humble avis, nous devronspoursuivre les avancées de la 36e Congré -

gation générale par le discernement, le ré -seautage et la réconciliation.

LE BRIGAND : Est-ce que vous portezcertains espoirs spécifiques pour l’Asie duSud… ou peut-être pour vous-même, entant que jésuite ?

GP : Après avoir été témoin, à cette Con -grégation, de l’unité des esprits et descœurs dans le discernement qui a conduità l’élection du nouveau supérieur général,le père Sosa, je pense que cet espritjésuite, vibrant et endurant, est notre plusbel espoir, uni à l’héritage des Exercicesspirituels, racines auxquelles nous devonsrester très attachés. Mon second espoirest lié justement au réseautage dont jeparlais, en particulier entre les régions duSud, en Asie, en Amérique du Sud, enAfrique, ce qui pourra nous conduire à undialogue plus fructueux avec le mondeoccidental. Il y a déjà des pas qui se font.Un troisième espoir est fondé sur lamanière de voir de Laudato Si’ : savoirregarder le monde à partir du point de vued’une seule grande famille humaine, selaisser toucher par les idées du papeFrançois qui font que l’évangile est plusvivant et plus réel dans la vie des gens. Cesfaçons de voir du pape sont cruciales pourle monde, pour l’Église et pour les sociétés.Elles nous indiquent vraiment dans quelledirection avancer, parce que nous sommestous interreliés, nous sommes tous inter-dépendants, nous sommes du même mon -de, les humains et la nature. ■

Vivre sa foi dans un univers interreligieux(Photo AED – Aide à l’Église en Détresse).

Le P. Pattery en session avec desconfrères de la Conférence jésuite

de l’Asie du Sud.

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Dans le numéro précédent duBRIGAND, nous annoncions à regret ledécès du père Nil Guillemette, mis-sionnaire, professeur et écrivain. Aprèsavoir été expulsé du Vietnam et avoirenseigné un moment en Côte d’Ivoire, ila passé la plus grande partie de sa vieaux Philippines, quelque 36 années,comme professeur de scien ces reli -gieuses et de la Bible. Il était aussi trèsconnu pour ses nombreuses publica-tions qui visaient à rendre accessiblela Parole de Dieu.

Pour rendre hommage au pèreGuillemette, nous publions ici troistextes. Le premier est tiré d’un portraitqu’a fait de lui, l’été dernier, un journa -liste de l’université jésuite où Nil en -seignait, Xavier University, à Cagayande Oro. Le deuxième est tiré del’homélie que son confrère mission-naire du Canada français, le P. RogerChampoux, a prononcée lors desfunérailles. Enfin, nous publions un des«contes de Dieu» de Nil Guillemette,ces courtes nouvelles qui ont fait enbonne partie sa réputation d’écrivaindans le monde religieux.

!LA POURSUITE DU BONHEUR

par Stephen PedrozaBureau des communications, Xavier University

Le père Nil est un homme brillant, arti -culé et poétique dans son expression. Sespenchants et ses goûts le conduisent versle travail intellectuel. Il a écrit des poèmeset des pièces de théâtre et a même publié

un premier roman à l’âge de 15 ans. Durantles huit années qu’il a passées au Collègedu Sacré-Cœur, à Sudbury, en Ontario, ilest tombé en amour avec la littératurefrançaise. « J’ai beaucoup aimé la littéra-ture française et je me voyais l’enseignertoute ma vie. Un de mes professeurs de lit-térature m’a particulièrement inspiré », serappelle-t-il. « Plus tard, j’ai découvert laBible en tant que source littéraire et je mesuis dit : “Eh bien ! Il y a donc deux amoursdans ma vie : la littérature et la Bible.” J’aipu, par ces chemins, découvrir Dieu plusprofondément. Ainsi, pour moi, la Bible estla manière littéraire pour Dieu de se faireconnaître, elle est le terrain de ma passionpour la vie intellectuelle. »

Pour le P. Guillemette, être un jésuite esttout simple. Il s’agit de servir les autres.«Notre instrument de service est notrespécialisation, c’est-à-dire nos dons parti-culiers et nos forces », ajoute-t-il. « Si vousêtes médecin, avocat ou dans les affaires,votre devoir est de vous donner de plus enplus, de servir. C’est aussi simple que cela. Ilne s’agit pas de prendre, mais de donner !»

Dans ses réflexions sur le péché origi -nel, le père Nil aime souligner qu’une guer -re se joue en chacun de nous, une guerreentre deux parties ou facettes de nous-mêmes, l’égo et le soi ; nous devons lesconquérir toutes deux. « La vie consiste às’ouvrir de plus en plus, à partager de plusen plus et à être de moins en moins centrésur son égo. Il faut toute une vie pourparvenir pleinement à cette attitude, si toutva bien. Oui, il y a une bataille à livrer pourchacun de nous, celle qui consiste à per -dre notre égo et donc à se donner toujoursplus. Nous devons nous ouvrir de plus enplus, comme Dieu, qui n’est que don etamour. »

Il ajoute : «Cette bataille intérieure, cha -cun la fait, quelle que soit sa religion ; ellese joue entre l’égoïsme et le détachement.Elle se manifeste dans notre vocation, dansnos relations, dans notre vie quotidienne. Ilfaut apprendre à vivre simplement : par làon apprend à mourir à soi-même et on vitplus heureux. »

Le matérialisme ambiant de notre épo -que est abominable aux yeux du pèreGuillemette. Il souligne à tous l’appel dupape François dans son encycliqueLaudato Si’ dans laquelle le Saint Pèrepromeut la simplicité dans notre style devie comme une manière de prendre soin dela création. Les médias promeuvent l’accu-mulation des biens comme un chemin debonheur ; le père Nil insiste pour dire quec’est faux. «De fait, plus vous vivez simple -ment, plus vous êtes heureux », dit-il.

Ce chemin de simplicité, il l’explicitaitdans ces quelques réflexions :

• Premièrement, nous devons nous tour nervers Jésus-Christ ; être proche de lui pourse laisser habiter par ses valeurs et sesprincipes.

• Deuxièmement, nous devons appliquer ànotre vie, chacun à son niveau, ce quenous comprenons des valeurs proposéespar Jésus. En cela, nous serons guidéspar l’Esprit Saint.

• Enfin, nous devons avoir confiance enDieu. C’est lui qui a l’initiative : il a vaincula mort, alors de quoi devrions-nous avoirpeur ? Même la mort est simplement unemanière de nous rapprocher de Lui, detous nos frères et sœurs qui nous ontprécédés. Car Dieu est amour, Dieu estjoie. ■

EN HOMMAGE AU PÈRE NIL GUILLEMETTE, S.J.

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Le père Nil a enseigné la Parole de Dieutoute sa vie, mais il a sans doute considéréque ça n’était pas assez de l’enseigner ; il adonc beaucoup écrit à propos de la Parolede Dieu. Je me rappelle très bien ses pre -miers ouvrages, des commentaires exégé-tiques des évangiles de tous les dimanchesde l’année liturgique. Je sais combien ceslivres ont été utiles, à moi d’abord puis àtant d’autres pour la préparation des ho -mélies ou simplement pour la prière. Unpeu plus tard, il a aussi publié des com-mentaires sur les textes de la messe desjours de la semaine, puis il s’est lancé dansla création des « Contes de Dieu » (GodTales), de courtes histoires à propos deDieu, de sa présence et de son action dansnos vies. L’écriture devint sa passion et cefut pour lui sa manière d’exprimer son désirque la Parole de Dieu soit pertinente dansla vie de toute personne.

Je viens d’employer le mot « passion »;je pense que Nil était un homme passionné– certains iraient peut-être jusqu’à dire«entêté» ! Il était très discipliné et une foisqu’il avait décidé quelque chose qui lui te -nait à cœur, vous ne pouviez pas facile -ment l’arrêter dans sa détermination. C’estsans doute pourquoi personne ne saitexactement combien d’ouvrages il a écrit –plus d’une soixantaine, je crois. Ce que jesais par ailleurs, c’est qu’il y a encore onzelivres qu’il a déjà écrits et qui attendent d’ê -tre publiés, dans deux maisons d’édition.(…)

Il y avait toujours une foi profonde dansla passion de Nil Guillemette pour la Parole

de Dieu; il voulait que les gens connaissentle vrai visage de Dieu, celui d’un Dieu douxet aimant, un Dieu de compassion qui necherche pas à être craint mais à être aiméet servi en toute liberté. Cette perspectiveest à la source des titres de plusieurs deses livres, par exemple : Plus grand quenos cœurs, Une douce brise, Ma joie en toiou encore Un Dieu bienveillant.

Quand je lui ai parlé d’un ami communqui était décédé après une longue maladie,il m’a dit clairement qu’il voulait mourir«avec ses bottes», c’est-à-dire en pleineactivité. À ce moment-là, il a insisté pourdire qu’il vivrait probablement jusqu’à 120ans, étant donné son héritage génétique etsa détermination à faire de l’exercicephysique. Plus tard, il a ramené cet objectifà 100 ans ! Dieu a eu d’autres plans et adécidé que Nil avait déjà rempli sa missioncomme jésuite, qu’il avait publié suffisam-

ment d’ouvrages et qu’il avait besoin derepos… de repos éternel.

Quand je l’ai rencontré il y a quelquesmois, j’ai constaté qu’il avait soudainementvieilli. Il n’avait pas l’air bien, même si, avecvigueur, il le niait. Sa santé a continué dedécliner, ce qu’il a cherché à cacher du -rant plusieurs semaines alors qu’il ne pou -vait plus rien manger de solide. Avecréticence et « par obéissance » à ses supé -rieurs, il est allé à Manille passer desexamens et a reçu des résultats qui luifaisaient dire qu’il n’était « pas trop mal ». Iciencore, Dieu a vu les choses autrement eta contredit les médecins : Nil a dû prendreconscience qu’il n’atteindrait pas son 83e

anniversaire. Il s’est alors remis entre lesmains du Seigneur qu’il avait servi duranttoute sa vie et il a affirmé à ses visiteursqu’il était « en paix et prêt à rencontrer sonDieu bienveillant ». ■

UNE PASSION

POUR LA PAROLE DE DIEUExtraits de l’homélie des funérailles du P. Nil Guillemettepar Roger Champoux, S.J.

Célébration ultime, au cimetière de la communauté.

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« Il y a un danger que l’opium du peuple ne soit plus la “religion” mais la croyance, justement, que leshumains puissent être satisfaits avec les choses de ce monde. »- James V. Schall, The Praise of « Sons of Bitches »,

Middlegreen Slough ; St. Paul Publications. 1978

Il était une fois, ... dans des terres lointaines, une villeparfaite du nom de Gulaga. Elle étaitparfaite parce que tout le monde le disait– tout au moins tous les gens dontl’opinion comptait : le maire, le conseilmunicipal, les médias, les hommes descience, les conseillers financiers et, biensûr, les gens riches et ceux qui étaient enpasse de devenir riches. Évidemment, il yavait quelques dissidents sur la questionde la perfection de Gulaga, en particulierquelques hommes d’Église, sages et âgés;mais personne ne les écoutait. Le point devue unanime de ceux qui forgeaientl’opinion publique était que Gulaga étaitune ville parfaite. Point final. Commenttant de gens bien formés et bien habillésauraient-ils pu se tromper ?

Et pourquoi donc Gulaga était-ellejugée «parfaite» ? Parce qu’elle avait toutce qu’on peut désirer en termes de con -fort matériel, d’avancement technologi -que et de luxes exotiques. Cette heureuse

situation était le résultat d’une révolutionsociale terrible qui avait eu lieu au siècleprécédent, une révolution qui avait finale -ment produit une forme de société sansclasses. De plus, Gulaga était située dansune belle vallée entourée de hautes mon -tagnes; le dogme officiel des penseurs dela cité était qu’il n’y avait rien du tout, quele pur vide, au-delà de ces montagnes.Ainsi Gulaga était-elle littéralement lecentre de l’univers.

On ne pouvait clairement identifiercomment cette doctrine en était venue àêtre si fermement inscrite dans l’esprit degens si instruits, mais le fait est qu’ellen’était mise en question par personne. Lescitoyens de Gulaga avaient de petitsdifférends sur bien des choses, mais ilss’entendaient sur les deux principes deleur crédo : Gulaga était parfaite et il n’yavait rien au-delà des montagnes de laville.

Bien sûr, même une foi simple et sansartifices comme celle des gulagainscomporte ses difficultés. Ainsi, certainscitoyens, tout en adhérant de tout leur

cœur à la doctrine qui leur avait ététransmise, regrettaient tout de même quele monde soit comme il était. De fait, laplupart des gulagains, pour dire leschoses sans détour, étaient profondémentmalheureux – quoiqu’il eût été considérécomme totalement antipatriotique de leurpart d’admettre cela publiquement. Peut-être aussi que certains d’entre eux n’é -taient même pas conscients de n’être pasheureux face à leur crédo… mais c’étaitbien le cas.

Ce manque de bonheur vrai s’exprimaitparfois par de l’insomnie. Durant cesheures de noirceur intense où le sommeilne venait pas, les gulagains se levaientdiscrètement de leur lit et allaient à leurbalcon, regardant d’un air nostalgiquevers les montagnes. « Quel malheur qu’iln’y ait rien derrière ces montagnes ! »,pensaient-ils avec un sentiment profondde perte. Mais ensuite, ils se repre naientet retournaient au lit avec la consolationque, de toute façon, Gulaga était par -faite…

Soifs profondesUn conte de Nil Guillemette, S.J.

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PH

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Cette situation avait perduré durantdes siècles. Mais quelque chose s’estproduit et est venu briser pour toujours lacomplaisance tranquille de la ville. Unjour, un vagabond est arrivé à Gulaga ; ils’appelait Ionas.

On s’entend : dans n’importe quelle au -tre ville, l’arrivée d’un vagabond aurait étéun «non-événement». Mais pour lesgulagains, c’était une impossibilité. Eneffet, un vagabond devait venir de quel -que part en dehors de la ville, et c’étaitbien établi, selon le deuxième article ducrédo, qu’il n’y avait rien en dehors deGulaga puisque les montagnes mar -quaient les véritables limites de l’univers.Conséquemment, un vagabond était nonseulement une impossibilité, mais il étaitun sacrilège vivant.

De plus – hérésie de toutes leshérésies – ce vagabond nommé Ionasproclamait joyeusement sur toutes lesplaces qu’il y avait un vaste monde demerveilles au-delà des montagnes deGulaga. Comment pouvait-il savoir cela?C’est qu’il affirmait venir de ce vaste etmerveilleux monde, un monde dans lequelGulaga n’apparaissait que comme ungrain de sable.

Ce conte fantastique que Ionas annon -çait comme bonne nouvelle se répanditcomme une trainée de poudre par toute laville. De telle sorte qu’en moins de troisjours les médias en furent alertés. Ils

interviewèrent Ionas et minimisèrenthabilement son apparition comme unprobable coup de publicité inventé parquelque groupe encore non identifié. Laplupart des journaux traitèrent Ionascomme un dérangé inoffensif et ilsreléguèrent cette nouvelle et les proposdu visiteur à la dernière page et en petitscaractères.

Malheureusement, les choses n’enrestèrent pas là. Comme il arrive souvent,les médias ont tout à fait mal jugé l’impactproduit par l’arrivée de Ionas sur l’en -semble de la population. Les gens répé -taient ses dires dans presque tous lesfoyers de Gulaga, saisis qu’ils étaient parune excitation étrange à la pensée que,possiblement, Ionas avait pu voir deschoses incroyables au-delà de leursmontagnes. Après tout, ses affirmations

sonnaient vraies et, plus encore, cethomme paraissait tout à fait sain d’esprit.

Bientôt, un bon nombre de citoyens semirent à rechercher Ionas et à apprécierson discours, puis des groupes nombreuxvinrent l’écouter. Finalement, des foulesse rassemblèrent autour de lui. C’en étaittrop ! Dans l’opinion de la plupart des cer -cles de bien-pensants, comme Le Comitédes citoyens sur la sécurité nationale ouencore L’Association patriotique de lascience et de la technologie, la situationétait devenue alarmante. On devait fairequelque chose.

Et de fait, on intervint ! Une nuit, Ionasfut arrêté dans l’un des parcs et il fut jetéen prison. Après un court interrogatoirequi visait à établir qu’il avait proféré despositions hérétiques, il fut condamné àêtre exécuté par un peloton de tir le len -demain matin. Furent aussi condamnésen même temps que lui un poète sansgrand renom et une vieille femme deménage qui, tous deux, avaient adhéréaux hérésies de Ionas.

Tous trois furent exécutés à l’aube.

Pourtant, alors que le sang des victi -mes était encore chaud, des douzaines derésidents de Gulaga étaient en train defaire leurs bagages et prenaient la routede la montagne. Ils voulaient voir, par eux-mêmes, s’il y avait ou pas quelque chosede l’autre côté.

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HA

ÏTI

Elles sont des créatures divinesVivant en simples anonymes.Elles sont des héroïnes sublimesOù bravoure et courage culminent.

Qui sont ces grandes inconnuesCes êtres méritant la palme d’orPour leurs quotidiens records ?

Qui sont-elles ?Sinon nos mèresParfois abandonnées ou veuves.

Qui sont-elles ?Sinon les femmes d’HaïtiVivant le martyr de cette dure vie.

Elles sont des héroïnes admirables,Des êtres formidables.

Nos mères sont des perlesElles sont des véritables merveillesCes bijoux d’HaïtiAssurent notre survieFace à la dureté de la vie.

Leur importance est méconnueEt leur travail n’est guère reconnu.Cependant, Dieu voit leur labeurLui qui a façonné leurs cœurs.

Poèmes de Jean Hervé Delphonse, S.J.*

Hommage à nos mères

Nos héroïnes anonymes

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HA

ÏTI

*Jean Hervé Delphonse est un scolastique jésuite, étudiant en philosophie à l’Université jésuite Xaveriana, à Bogotá,en Colombie. Il aime s’exprimer par la poésie; sa prière est aussi marquée par les airs poétiques. Son âme haïtienne sefait jour dans ses textes, mais les hommages qu’il rend à nos mères rejoignent le cœur de chacun et chacune d’entrenous, quel que soit son pays d’origine.

Maman

Tu mérites un très grand merciToi qui m’as donné la vieCe trésor inestimable.Toi qui as fait ce travail considérableQu’est mon éducationReçois ma grande considération.

Ton lait me nourrissaitEt tes bras me berçaientMe protégeaient du froidAffectueusement tu me rassurais dans le noirEt amoureusement tu me chantais le soirLes berceuses d’autrefoisAssis sur tes jambes j’écoutais le Notre PèreSur tes lèvres j’ai appris cette belle prièreCelle de Jésus mon grand frère.

Tu te dépensais pour me nourrirSacrifiais tout pour me vêtirMaman je te remerciePour ce que tu es dans ma vie.

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POSTE PUBLICATION NO. 40009209

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Main dans la main

Si toutes les filles du monde voulaient se donner la mainTout autour de la mer, elles pourraient faire une rondeSi tous les gars du monde voulaient bien être marinsIls feraient avec leurs barques un joli pont sur l'ondeAlors on pourrait faire une ronde autour du mondeSi tous les gars du monde voulaient se donner la main

Si tous les gars du monde décidaient d'être copainsEt partageaient un beau matin leurs espoirs et leurs chagrinsSi tous les gars du monde devenaient de bons copainsEt marchaient la main dans la main, le bonheur serait pour demain

Ne parlez pas de différenceNe dites pas qu'il est trop blondOu qu'il est noir comme du charbon (…)Aimez-les n'importe commentMême si leur gueule doit vous surprendre

[À partir d’un poème de Paul Fort]

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