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Quelqu'un a encore des questions? 3 par Bernard Groulx, M.D., FRCPC Le pronostic du delirium 4 par Kenneth Rockwood, M.D., FRCPC Le ginkgo biloba et les autres thérapies complémentaires 9 par Peter Lin, M.D. La démence et la conduite automobile 14 par Peter N. McCracken, M.D., FRCPC, Jean A. Caprio Triscott, M.D., CCFP, FAAFP(gériatrie), et Allen R. Dobbs, Ph. D. La maladie d'Alzheimer ... vue de l'intérieur 22 Societé Alzheimer du Canada d Alzheimer Volume 4, numéro 5 Décembre 2001 Revue canadienne de la maladie par Lynn Ann Bussey

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Page 1: Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer2 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001 PRÉSIDENT Peter N.McCracken,M.D.,FRCPC Médecin en gériatrie

Quelqu'un a encore des questions? 3par Bernard Groulx, M.D., FRCPC

Le pronostic du delirium 4par Kenneth Rockwood, M.D., FRCPC

Le ginkgo biloba et les autres thérapies complémentaires 9par Peter Lin, M.D.

La démence et la conduite automobile 14par Peter N. McCracken, M.D., FRCPC, Jean A. Caprio Triscott, M.D., CCFP, FAAFP (gériatrie),

et Allen R. Dobbs, Ph. D.

La maladie d'Alzheimer ... vue de l'intérieur 22Societé Alzheimer du Canada

d’AlzheimerVolume 4, numéro 5 Décembre 2001

Revue canadienne de la maladie

par

Lynn

Ann

Bus

sey

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PRÉSIDENT Peter N. McCracken, M.D., FRCPCMédecin en gériatrieGlenrose Rehabilitation HospitalCodirecteur, gériatrieProfesseur de médecineUniversité de l’AlbertaEdmonton (Alberta)

Paul J. Coolican, M.D., CCFPMédecin de famille, St. Lawrence Medical ClinicMorrisburg (Ontario)Membre du personnel médicalWinchester District Memorial HospitalWinchester (Ontario)

Shannon Daly, inf. aut., M. Sc. inf.Infirmière de la santé publiqueNorthern Alberta Regional Geriatric ProgramEdmonton (Alberta)

Howard Feldman, M.D., FRCPCProfesseur agrégé de médecine cliniqueUniversité de Colombie-BritanniqueDépartement de neurologie, Université de C.-B.Directeur, UBC Alzheimer Clinical Trials UnitVancouver (Colombie-Britannique)

Serge Gauthier, M.D., CM, FRCPCProfesseur de neurologie et de neurochirurgie,de psychiatrie et de médecine, Université McGillCentre McGill d’études sur le vieillissementMontréal (Québec)

Bernard Groulx, M.D., CM, FRCPCPsychiatre en chef, hôpital Sainte-Anne-de-BellevueProfesseur agrégéUniversité McGillCentre McGill d’études sur le vieillissementMontréal (Québec)

Nathan Herrmann, M.D., FRCPCProfesseur agrégé, Université de TorontoChef, département de gérontopsychiatrieSunnybrook Health Science CentreToronto (Ontario)

Peter Lin, M.D., CCFPDirecteur médicalUniversité de TorontoHealth & Wellness Centre (Scarborough)Scarborough (Ontario)

Kenneth J. Rockwood, M.D., FRCPCProfesseur de médecine, Université DalhousieGériatre, Queen Elizabeth II Health Sciences CentreHalifax (Nouvelle-Écosse)

Steve Rudin, MEd, MSPHDirecteur nationalSociété Alzheimer du CanadaToronto (Ontario)

Ce document est publié par STA Communications inc. à titre de service professionnel aux professionnels de la santé, grâce à une subvention à la formation médicalecontinue offerte par Pfizer Canada inc. Les opinions exprimées dans ce document sont celles des auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement celles de l’éditeur ou ducommanditaire. Les médecins doivent tenir compte de l’état de chaque patient et doivent consulter les monographies de produit officiellement approuvées, avant de poserun diagnostic, de prescrire un traitement ou d’appliquer un procédé d’après les suggestions faites dans ce document, enregistrement n° 40063348. Copyright 2001.Tous droits réservés.

Le comité de rédaction examine en toute liberté les articles publiés dans cetterevue et est responsable de leur exactitude. Pfizer Canada n’exerce aucune influence sur la sélection ou le contenu des articles publiés.

Nous aimerions avoir de vos nouvelles!La rédaction encourage les lecteurs de La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer à lui écrire.Toute correspondance doit être adressée à La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer, 955, boul. Saint-Jean, bureau 306, Pointe-Claire (Québec) H9R 5K3. Nous acceptons également les lettrespar la voie du télécopieur au (514) 695-8554 ou de l’Internet à l’adresse suivante : [email protected]. Prière d’y inscrire un numéro de téléphone permet-tant de communiquer avec vous durant le jour. Nous nous conservons le droit de modifier les lettres pour des raisons de longueur ou de clarté.

Paul F. BrandDirecteur de la publication

Russell KrackovitchDirecteur de la rédaction,projets spéciaux

Stephanie CostelloRédactrice en chef

Marie LalibertéRédactrice-réviseure,projets spéciaux

Donna GrahamCoordonnatrice de la production

Dan OldfieldDirecteur de la conceptiongraphique

Jennifer BrennanServices administratifs

Jamie TolisAdjointe à la comptabilité

Barbara RoyAdjointe aux services administratifs

Ian W. D. Henderson, M.D.Conseiller médical

John L. Liberman (Qc)Conseiller juridique

Robert E. PassarettiÉditeur

SUR NOTRE PAGE COUVERTUREThe Nucleus par Lynn Ann BusseyDans mes études en médecine, je suis stupéfaite par la quantité d’information que je dois mémoriser sur la physiopathologie, les signes et les symptômes dediverses maladies. Je travaille sans relâche pour organiser toute cette information factuelle afin de pouvoir poser des questions sensées selon un ordre parfait.Je m’efforce de comprendre des milliers de détails pour faire progresser mon raisonnement avec l’espoir, qu’un jour, tous ces efforts pourront faire une différence. L’étude des maladies est si passionnante qu’il est parfois difficile de prendre le recul nécessaire et de penser aussi aux personnes affligées de cetteterrible affection... un patient confus et souffrant... une famille angoissée et désemparée. Il est beaucoup plus complexe de soulager cette détressepsychologique, car aucun tableau ni graphique ne décrit d’algorithme facile pour le traitement. Je reconnais que mon approche logique de la médecine n’estpas un atout pour comprendre l’expérience humaine du patient; je me sens alors désemparée et je ne pense qu’à retourner à mon univers scientifique fondésur des faits concrets et tangibles.

J’ai peint l’image de ce neurone en plaçant le patient au cœur du noyau de la cellule. Je voulais que cette œuvre me rappelle de ne pas penser uniquement audiagnostic, mais de prendre le temps de penser au patient assis devant moi. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer particulièrement, c’est un grand défi parceque la science médicale est simple en comparaison de la tourmente émotionnelle que vivent le patient et ses proches. Comprendre la maladie d’Alzheimer nereprésente qu’une petite partie de la prise en charge, et je ne veux pas devenir un médecin incapable de voir la maladie à travers les yeux de son patient.

Équipe de rédaction

COMITÉ DE RÉDACTION

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Callout callout callout

Quelqu'un a encore des questions?par Bernard Groulx, M.D., FRCPC

É D I T O R I A L

Àla lecture des articles de ce numéro de La Revuecanadienne de la maladie d'Alzheimer, je me suis

soudain rappelé toutes les périodes de questions quisuivaient les conférences que j'ai données, ou qued'autres ont données, sur la maladie d'Alzheimer. Quel'auditoire ait été composé d'omnipraticiens, d'infir-mières, de professionnels paramédicaux ou du grandpublic, les trois questions suivantes revenaient constam-ment : « Quelle est la différence entre le delirium et ladémence? »; « Que pensez-vous des produits desmédecines douces, par exemple le gingko biloba? »;« Quand doit-on empêcher une personne souffrant dedémence de conduire un véhicule automobile etcomment le médecin ou la famille doit-elle procéder? ».Dans ce numéro, vous trouverez des articles portantjustement sur ces sujets. En outre, la rubrique de laSociété Alzheimer du Canada (page 22) offre commetoujours de l'information pertinente, mais cette fois dupoint de vue du patient.

Même si les lecteurs sont toujours particulièrementintéressés par l'article de la Société Alzheimer, ce sontles trois autres articles qui ont vraiment retenu monattention pour ce numéro.

Tout d'abord, l'article du Dr Kenneth Rockwood surle delirium (page 4) propose de l'information à la foisdétaillée et concise. L'auteur nous rappelle que de nom-breuses études ont montré que beaucoup de patients dansles hôpitaux ou les centres de soins infirmiers souffrentde delirium, et que ce dernier est mal compris, mal dia-gnostiqué, traité de façon inappropriée ou, pire encore,ignoré. Cette réalité déplorable se traduit, pour nospatients, par des conséquences graves du point de vue dela morbidité et même de la mortalité. Les tableaux duDr Rockwood sont d’excellents aide-mémoire. Je lesutiliserai souvent pour me rappeler des conséquencesdéfavorables du delirium, aussi bien à court terme qu'àlong terme, et je suis certain que vous en ferez autant.

Quant aux médecines complémentaires, j'attends – ouplutôt j'espère – depuis longtemps que quelqu'un prennele temps d'étudier cette question et propose une opinion

éclairée sur la valeur de ces thérapies dans la démence.Nous devons souvent faire face à des questions sur lesmédecines parallèles, et je reconnais que je suis devenuun expert en faux-fuyants pour y répondre. Cependant, leDr Peter Lin a décidé, pour sa part, de nous expliquertrès précisément la nature et les effets bénéfiques poten-tiels du gingko biloba (page 9). Il est par ailleurs très per-suasif dans son appel à la prudence et au bon sens. Cesthérapies peuvent, bien sûr, entraîner des effets indési-rables, et il souligne que l'absence de réglementationtouchant le gingko biloba et d'autres herbes médicinalesexpose nos patients à certains risques. Nous devons enêtre pleinement conscients, comme pour tout autrerisque.

Enfin, y a-t-il décision plus délicate ou plus difficile àprendre que de retirer le permis de conduire d'un patient?Ma clientèle est surtout composée d'anciens combattants.Pour ces hommes (je suis convaincu que les femmesréagissent de la même façon), ne plus conduire est unetragédie. Beaucoup de patients considèrent le fait de con-duire une automobile pour leurs déplacements avec leurconjoint comme un synonyme de liberté, d'autonomie et,même si c'est triste à dire, comme une valeur personnelle.Lorsque le médecin décide de prendre les mesures néces-saires pour empêcher le patient de conduire, cela donnelieu à des discussions interminables et pénibles avec lesproches. Cependant, le Dr Peter McCracken (personnen'aurait pu, à mon avis, écrire un article aussi pertinent surce sujet) nous explique d'abord « l'autre côté de lamédaille » : les conséquences de négliger le problème de laconduite automobile et de ne rien faire à ce sujet (page 14).

Alors... avez-vous encore des questions? Parce que cenuméro répond certainement à trois des questions lesplus importantes.

Bernard Groulx, M.D., FRCPCPsychiatre en chef à l'hôpital Sainte-Anne-de-Bellevue, àMontréal au Québec.

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Le pronostic du deliriumLe delirium est une manifestation courante de diverses maladies chez les personnes âgées, surtout chez cellessouffrant de démence. Il témoigne souvent de la gravité d’une maladie sous-jacente. La survenue de deliriumaccroît le risque de décès à court terme, d'un long séjour à l'hôpital ou d'une nouvelle admission dans uncentre de soins infirmiers. À plus long terme, il augmente aussi le risque de décès et de placement enhébergement. Par ailleurs, chez des personnes âgées dont la fonction cognitive et la capacité fonctionnellesont normales, le delirium augmente le risque de démence. Pour l'heure, nous ne savons pas encore de façoncertaine comment diminuer ces risques, mais l'expérience clinique permet de croire que le traitement médicalapproprié des patients souffrant de delirium peut avoir des effets bénéfiques importants dans l'immédiat.

par Kenneth Rockwood, M.D., FRCPC

Le delirium est une pathologiefréquente chez les personnes âgées,

et nous constatons qu'il est étonnam-ment difficile d'administrer un traite-ment efficace de façon systématique1.En effet, les obstacles au traitementapproprié du delirium sont nombreux,mais un des plus importants est laméconnaissance de la part des profes-sionnels de la santé des conséquencesgraves à court et à long terme. Dans cetarticle, nous aborderons donc certainesde ces conséquences, les mécanismesqui interviennent et les moyens d'influerfavorablement sur ces derniers. Dans unprochain article, nous proposerons untableau clinique du delirium et unestratégie de traitement.

Qu'est-ce que le delirium?Le delirium est un syndrome globalacquis qui entraîne l'altération de laconscience. Nous le distinguons de ladémence par son apparition plussoudaine et par sa caractéristique prin-cipale, soit la diminution de laconscience qui se manifeste surtout pardes difficultés d'attention et de concen-tration. Très souvent, nous pouvonsidentifier la cause du delirium. Elle esten général liée à un trouble indépen-dant du système nerveux central (par

exemple un trouble métabolique, uneinfection ou l'exposition à un médica-ment toxique). Parfois, le delirium estsubséquent à une lésion cérébraledirecte (accident vasculaire cérébral)2.Le risque de delirium augmente chezles personnes présentant une maladieneurologique sous-jacente, surtout ladémence, mais aussi chez les person-nes de constitution frêle.

Conséquences graves à court termeLe delirium entraîne plusieurs con-séquences graves à brève échéance(Tableau 1). De fait, les résultats desétudes de cohorte les plus récentesmontrent que le delirium chez desadultes âgés a été lié à une augmenta-tion par un facteur de deux ou trois durisque relatif de troubles fonctionnels,comparativement aux patients quin'ont pas présenté de delirium. Lesrésultats de l'évaluation de la perfor-mance fonctionnelle ont été moinsfavorables aussi bien pour les activitésessentielles que pour les activitésinstrumentales de la vie quotidienne,autant dans le contexte de soins médi-caux que de soins chirurgicaux3-8.

À la lumière de ces résultats, iln'est pas étonnant que le delirium soitégalement lié à un risque accru d'ad-mission dans un centre de soins infir-miers à la fin de la période d'hospitali-sation initiale5-10. Dans les études, lerisque relatif était de 2,87 à 4,510, et

38 % en moyenne des patients ayantsouffert de delirium ont été placés enhébergement. Le delirium a eu desconséquences particulièrement drama-tiques chez les patients qui avaientsubi une fracture de la hanche,puisqu’il a été lié à un rétablissementdes plus médiocres de la mobilité et àun taux de placement en hébergementde 46 %5. Le placement en héberge-ment lui-même était associé dans cesétudes à un séjour en milieu hospita-lier plus long.

Même si les patients et les person-nes qui en prennent soin craignent laperte de l'autonomie physique et leplacement dans un centre de soinsinfirmiers, nous pouvons affirmerqu'ils craignent encore plus lestroubles cognitifs. Et malheureuse-ment, les nouvelles ne sont pas plusencourageantes sur ce plan. Chez lespatients qui connaissent un épisode dedelirium, et même lorsqu'il y a résolu-tion de certains symptômes (engénéral, l'inattention), d'autres symp-tômes persistent (le plus souvent, letrouble de mémoire et la désorienta-tion)7,11. Par exemple, Kelly et ses col-lègues12 ont montré que, parmi214 patients d’un centre de soins infir-miers atteints de delirium et admispour des soins de courte durée, 72 %ont continué de présenter des symp-tômes avant leur décès ou avant leurdépart de l'établissement. Parmi les

Le Dr Rockwood est professeur demédecine à l'Université Dalhousie,à Halifax en Nouvelle-Écosse.

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patients qui avaient survécu, 55 %présentaient encore des symptômesun mois plus tard, et 25 %, aprèstrois mois. De même, dans une cohortede personnes âgées ayant subi unefracture de la hanche, 39 % conti-nuaient de présenter des symptômes aumoment de leur départ de l'hôpital oude leur décès, 32 %, après un mois et,6 %, après six mois. Ces résultats con-cordent avec ceux d'une étude decohorte de grande envergure menéeprécédemment13. En effet, cette étudeavait révélé que 58 % des patients quisouffraient de delirium continuaient derépondre aux critères diagnostiques decette affection au moment de leurdépart. En outre, une méta-analyse desrésultats de huit études menées auprèsde patients hospitalisés14 a révélé queseulement 55 % des patients présen-taient une amélioration partielle de leurétat mental après un mois. Enfin, uneétude récente menée auprès de patientsayant subi une fracture de la hanche amontré que le delirium persistait chez32 % d’entre eux un mois après lachirurgie et, chez 6 %, après six mois5.

Le delirium a également été lié à unrisque plus élevé de mortalité à brèveéchéance, soit près de 50 % chez lespatients qui en ont souffert12. Par contre,ces résultats doivent être interprétésavec prudence, car cette affection estfréquente chez les patients très âgés15 etchez les patients atteints d'une maladieau stade terminal et sur le point demourir. Dans une cohorte de patientsmourants, par exemple, Lawlor et sescollaborateurs16 ont constaté que 88 %des patients souffraient d'un « deliriumterminal ». Ainsi, les données des étudesde cohorte sur les conséquences à brèveéchéance – c'est-à-dire des études quiincluent des patients souffrant de deli-rium pendant leur agonie – contribuentà surévaluer la létalité de cette affection.Pour cette raison, il serait plus réalisted'examiner les taux de mortalité àlongue échéance chez les patients quiont survécu à leur hospitalisation pourmieux comprendre le véritable impactdu delirium sur la mortalité.

Conséquences graves à long termeLe delirium a été relié à chacune desconséquences graves décrites précé-demment dans des études de pluslongue durée (≥ 12 mois)9,10,15,17-19

(Tableau 2). Soulignons qu’il est asso-cié à un risque plus élevé de mortalitéchez les patients qui survivent àl'épisode de delirium, autrement dit, lerisque accru persiste (le risque relatifmoyen est trois fois plus élevé, mêmeaprès avoir corrigé les résultats pourtenir compte de l'âge et de la comor-bidité).

Par surcroît, il est particulièrementintéressant d'examiner le rôle du deli-rium en regard des troubles cognitifs.Les dernières études ont démontré ceque de nombreux cliniciens savaientprobablement depuis plusieurs années :chez un patient qui n'a jamais souffertde troubles cognitifs, le delirium aug-mente le risque de démence, alors que,chez un patient ayant des antécédentsde troubles cognitifs, la détérioration dela fonction cognitive est plus graveaprès l'épisode de delirium. Cesdeux tendances semblent survenirmême chez des patients qui se réta-blissent de façon passagère.

McCusker et ses collègues9 ontévalué le déclin de la fonction cogni-tive à l'aide du mini-examen de l'état

mental (MMSE)20 chez plus de1 500 patients âgés admis à un hôpi-tal montréalais. Parmi les patientsqui ont souffert de delirium, malgréun rétablissement passager, lesrésultats au MMSE ont été moinsélevés de trois à cinq points (selonque le patient souffrait ou non dedémence) à l'examen de suivi(jusqu'à 12 mois plus tard), compa-rativement aux patients dont la ma-ladie n'avait pas été compliquée parle delirium. Ces données semblentavoir une importance cliniquepuisqu'elles ont été observées paral-lèlement au déclin de la capacitéfonctionnelle des patients.

Pour notre part, notre groupe21 asuivi 203 patients qui recevaient untraitement dans une étude « avant-après »11 conçue pour améliorer lediagnostic du delirium et les résultatsthérapeutiques. Les données issues decette étude sont probablement mo-dérées parce que ces patients ont reçule meilleur traitement possible. Néan-moins, parmi les patients âgés sansantécédent de trouble cognitif ou detrouble fonctionnel, ceux qui ontsouffert de delirium pendant l'hospi-

Tableau 1

Conséquences graves à courtterme (jusqu'à 6 mois) dudelirium

1. Altération de la capacité fonction-nelle dans les activités essentielles dela vie quotidienne

2. Altération de la capacité fonction-nelle dans les activités instrumentalesde la vie quotidienne

3. Piètre rétablissement de la mobilitéaprès une fracture de la hanche

4. Taux plus élevé d'admissions dansun centre de soins infirmiers

5. Troubles persistants de mémoire etd'autres aspects de la fonction cognitive

6. Taux de mortalité élevé

Tableau 2

Conséquences graves à longterme (au moins 12 mois) dudelirium

1. Altération de la capacité fonction-nelle dans les activités essentielles dela vie quotidienne

2. Altération de la capacité fonction-nelle dans les activités instrumentalesde la vie quotidienne

3. Piètre rétablissement de la mobilitéaprès une fracture de la hanche

4. Taux plus élevé d'admissions dansun centre de soins infirmiers

5. Taux de mortalité plus élevé

6. Risque plus élevé de démence chezles patients qui n’en souffraient pasau départ

7. Démence aggravée chez les patientsqui en souffraient déjà au départ

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talisation initiale présentaient unrisque relatif trois fois plus élevéd'être atteints de démence (risquerelatif = 3,23, intervalle de confiancede 95 % : 1,86-5,63). Chez lespatients souffrant de delirium, lerisque absolu de démence était de prèsde 18 % par année.

Mécanismes intervenant dans lesconséquences graves du deliriumLe delirium entraîne-t-il des con-séquences graves ou est-il simple-ment un indice d'une maladiephysique plus importante qui est lacause réelle du problème? La réponseest incertaine. En principe, plusieursmécanismes peuvent entrer en jeu et,à l'heure actuelle, nous ne pouvons enexclure aucun. Nous sommes donc enmesure de croire que certains méca-nismes jouent bel et bien un rôle pri-mordial, du moins chez certainspatients, alors que, chez d'autres, sansdoute plus d'un mécanisme intervient.Le delirium peut entraîner une lésioncérébrale créant un « terrain » propice

à la démence. En effet, si nous posonsl'hypothèse que plusieurs formes dedémence sont la conséquence demécanismes de réparation anor-maux22, nous pouvons croire que ledelirium pourrait amorcer le proces-sus de la démence. À l'opposé, sinous reconnaissons que les événe-ments initiaux qui ont déclenché ladémence ont été précédés de longuesannées de maladies reliées à la vieil-lesse23, le delirium ne ferait alors quetémoigner de la démence. Enfin, ilest possible que le delirium soit unindice d'une démence subclinique.

Pouvons-nous atténuer le risquede conséquences graves dudelirium?Plusieurs études ont montré que desinterventions pourraient diminuer lerisque de conséquences graves du deli-rium19. Les résultats les plus convain-cants proviennent, à notre avis, del'essai clinique à plusieurs compo-santes mené par Inouye et ses colla-borateurs24. Du point de vue de l'éva-

luation d'un traitement précis, si nousacceptons que le delirium joue unrôle dans la physiopathologie de ladémence, nous pouvons supposer queles patients atteints seraient des sujetsidéaux pour une étude d'intervention.Une telle étude pourrait avoir pourbut d'évaluer un traitement anti-inflammatoire, les effets des inhibi-teurs de l'hydroxy-3-méthylglutarylcoenzyme A (HMG-CoA) réductase(ou statines), l'inhibition de la bêta-sécrétase (lorsque ces thérapies serontdisponibles) ou une autre stratégievisant à influer directement sur lecours de la maladie. Pour le moment,les résultats de Inouye24 permettent decroire que des stratégies plus terre àterre seraient davantage utiles. Unesurveillance plus attentive de l'appari-tion de signes de delirium, la recherchesystématique de la cause de ce dernier,des soins médicaux donnés avec com-passion et l'absence de recours inutileaux médicaments psychotropes sonttoutes des stratégies qui produisent deseffets bénéfiques dans l'immédiat.

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Les ventes d'herbes médicinales etde remèdes à base de plantes con-

naissent une véritable explosion enOccident depuis quelques années.Pour la population générale, le terme« herbe » est synonyme de « natu-rel », laissant supposer que les herbesmédicinales sont sans effet indési-rable. Les gens sont également con-vaincus que les remèdes à base deplantes (ou produits de phytothéra-pie) provoqueront exactement leseffets décrits sur les étiquettes, sanssavoir si ces produits ont été mis àl'épreuve ou homologués conformé-ment à la Loi sur les aliments et lesdrogues. Pourtant, en cette époque de« conscientisation » du consomma-teur, les professionnels de la santé etles non-spécialistes devraient seposer quelques questions. Quellessont les preuves à l'appui de ces allé-gations? Quels sont les inconvénientsde ces produits? Si une herbe médici-nale est efficace et n'entraîne pasd'effets indésirables, pourquoi sonusage n'est-il pas généralisé? Nousessaierons ensemble de répondre àces questions.

Qu'est-ce que le gingko biloba?Le gingko biloba est un arbre origi-naire de la Chine, où il existe depuisdes milliers d'années, et un des arbresles plus anciens de la planète. Cetarbre produit un fruit qui porte unegraine en son centre. À l'origine,l'extrait de gingko était préparé à lafois à l'aide de cette graine et desfeuilles de l'arbre. Aujourd'hui,l'extrait de gingko biloba que l'onretrouve partout est préparé unique-ment à partir des feuilles. La prépara-tion uniformisée, appelée « EGb761 », contient des glucosides degingko-flavonol et des lactones ter-péniques (6 %), comme les gingko-lides A, B, C, J et le bilobalide1.

L'engouement de la populationgénérale pour le ginko biloba estattribuable aux allégations selonlesquelles le gingko biloba améliorela concentration et la mémoire.

Parce que le gingko bilobacontient plusieurs composés, seseffets sont divers, à savoir :

Effets antioxydants. Les effetsantioxydants du gingko biloba expli-queraient les mécanismes par lesquels

Le ginkgo biloba et les autresthérapies complémentairesParce qu'il augmente le débit sanguin dans les artères et les capillaires ainsi que dans lecerveau, on allègue que le gingko biloba est efficace dans le traitement des affections liées àune diminution du débit sanguin cérébral, surtout chez les personnes âgées. Comme pourtous les médicaments, il faut toutefois évaluer les bienfaits potentiels de cette herbemédicinale en regard des risques potentiels liés à son utilisation.

par Peter Lin, M.D.

Le Dr Lin est directeur médical duHealth and Wellness Centre del'Université de Toronto, àScarborough en Ontario.

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cette plante protège les neurones dustress oxydatif.

Effets vasodilatateurs. Le gingkobiloba contribue à augmenter le débitsanguin, et ses effets ont été étudiéschez des patients atteints de maladievasculaire périphérique.

Effets antiplaquettaires. Legingko biloba exercerait égalementune activité antiplaquettaire.

Compte tenu de cette gamme d'effets bénéfiques, on a utilisé legingko biloba pour soulager diversesaffections, notamment l'insuffisancecérébrale, les acouphènes, le vertige,la claudication et la démence.

Quelles données cliniquesjustifient le recours augingko biloba dans la démence?En 1997, Le Bars et ses collabora-teurs ont mené une étude de grandeenvergure sur les effets du gingkobiloba, et les résultats ont été favo-

rables2. Cette étude a produit cer-taines données démontrant les effetsbénéfiques de cette plante sur lamémoire. Les auteurs de l'étude d'unedurée de 52 semaines ont évalué etcomparé la préparation EGb 761(120 mg par jour) au placebo chezdes patients atteints de la maladied'Alzheimer ou de démence vascu-laire. Au total, 309 patients ont étérecrutés, mais seulement 202 ontprésenté des résultats évaluablesaprès 52 semaines de traitement. Lesprincipaux paramètres étaient lescore sur l'échelle d'évaluation de lamaladie d'Alzheimer et la sous-échelle d'évaluation de la fonctioncognitive (ADAS-Cog), le score avec

le Geriatric Evaluation by Relative'sRating Instrument (GERRI) et lescore au sujet de l'impression cli-nique globale de changement(CGIC).

L'analyse menée selon le principede l'intention de traiter a montré que lespatients du groupe EGb ont présentéun score ADAS-Cog plus élevé de1,4 point par rapport aux sujets dugroupe placebo (p = 0,04) et unscore GERRI plus élevé de 0,14 pointcomparativement au groupe placebo(p = 0,004). L'analyse des donnéesévaluables a révélé que 27 % despatients traités par l'EGb ont présentéune amélioration d'au moinsquatre points du score ADAS-Cog, parrapport à 14 % des sujets dans legroupe placebo (p = 0,005). De soncôté, le score GERRI a été amélioréchez 37 % des patients du groupe EGb,par rapport à 23 % des sujets dans legroupe placebo (p = 0,003). Enfin, les

scores CGIC ont été semblables dansles groupes EGb et placebo. Cesrésultats ont donc montré que la prised'EGb avait influé favorablement surla performance cognitive et sur lefonctionnement social, bien que ceschangements aient été, au mieux,modestes.

Effets indésirablesIl est évident que la plupart, sinontous les produits ayant des propriétésmédicinales, entraînent des effetsindésirables. Les médecins doiventdonc évaluer les effets bénéfiquespotentiels en regard des effetsindésirables des agents qu'ils pres-crivent. Si un agent produit des

bienfaits modestes sans entraînerd'effets indésirables marquants, ilvaut la peine de l'utiliser.

Même si l'étude clinique deLe Bars a montré que les effetsindésirables étaient semblables dansles deux groupes de patients, ontrouve dans la documentationquelques études de cas de complica-tions hémorragiques liées à la prisede gingko biloba et attribuables auxeffets antiplaquettaires de cetteplante. En effet, un agent doté de pro-priétés antiplaquettaires peut entraî-ner une hémorragie spontanéelorsqu'il est pris en monothérapie ouil peut causer des complicationshémorragiques en accroissant leseffets d'autres antiplaquettaires ouanticoagulants, notamment la war-farine, l'acide acétylsalicylique(AAS) ou les anti-inflammatoiresnon stéroïdiens (AINS). Il importedonc d'éviter ces associationsmédicamenteuses.

Quelles sont les craintes au sujetdes effets du gingko biloba?Comme il l’a été dit auparavant, on asignalé plusieurs cas de complica-tions liées à la prise du gingko biloba.En voici quelques-unes.

Hémorragie. On a rapporté le casd'un homme de 56 ans qui a subi unehémorragie cérébrale spontanée aprèsavoir pris régulièrement et de sonpropre chef des préparations à basede gingko biloba3.

Un autre cas est survenu chez unpatient qui avait subi une cholécystec-tomie par laparoscopie. Ce patient aprésenté des complications hémorra-giques après l'opération, possiblementliées à la prise de gingko biloba4. À lasuite de ce rapport de cas, on a recom-mandé fortement aux médecins dedemander à leurs patients s'ilsprenaient du gingko biloba et, le caséchéant, de leur dire de cesser deprendre cette plante médicinale aumoins une semaine avant l'interven-tion chirurgicale.

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Les médecins doivent donc évaluer les effetsbénéfiques potentiels en regard des effets indésirablesdes agents qu'ils prescrivent. Si un agent produit desbienfaits modestes sans entraîner d'effets indésirablesmarquants, il vaut la peine de l'utiliser.

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Convulsions. On craint égalementles effets de l'ingestion de grandesquantités de noix de gingko (grainesdu gingko biloba). On a en effet vu lecas d'une femme de 36 ans qui auraitconsommé de 70 à 80 noix de gingkoet qui a souffert de convulsionsgénéralisées quatre heures après avoirmangé ces noix5. Il semble que cettefemme prenait le gingko biloba pouraméliorer sa mémoire. Elle n'avaitaucun antécédent de convulsions.

Interactions médicamenteuses.Les patients atteints de maladied'Alzheimer sont âgés et, trèssouvent, ils prennent de nombreuxmédicaments, y compris de l'AAS.Tous les médicaments peuvent pro-duire des interactions avec d'autresagents et ainsi entraîner des effetsindésirables. L'ajout de gingko bilobaà un schéma thérapeutique (qui inclutl'AAS par exemple) augmente unrisque déjà élevé d'interactions médi-camenteuses, surtout le risque decomplications hémorragiques.

Absence de réglementation. Mal-heureusement, les remèdes à base deplantes, tels que le gingko biloba, nefont pas l'objet d'une réglementation,c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessairede démontrer leur efficacité ou leurinnocuité pour les commercialiser.Les ingrédients et le processus de fa-

brication ne sont pas soumis à desexigences particulières. La quantitédes ingrédients actifs peut ainsi varierd'une préparation à l'autre et, danscertains cas, les substances contami-nantes ne sont pas détectées dans leproduit.

ConclusionMême si le gingko biloba est dotéde certaines propriétés bénéfiques(par exemple les effets antioxy-dants), la prise de cet agent entraîneencore un risque trop élevé. Les

effets bénéfiques sont marginaux,mais les risques sont bien réels.D'autres recherches devront êtremenées pour déterminer quel estl'ingrédient actif du gingko biloba.Cet ingrédient pourrait ensuite êtrepurifié pour éliminer certains effetsindésirables. Il faudrait également

déterminer la plage des doses opti-males.

L'organisme humain ne fait pas dedistinction entre un médicament et unproduit de phytothérapie. L'un etl'autre sont reconnus et métabolisésde la même façon par l'organisme.Avant que les médecins puissentrecommander le gingko biloba à leurspatients pour le traitement de ladémence, cette plante médicinaledevra être étudiée et mise à l'épreuvede façon rigoureuse, tout comme lesmédicaments de la médecine tradi-

tionnelle. Les mêmes lois et règle-ments s’appliquent à tous lesproduits. En d'autres mots, les pro-priétés curatives d'un des plus anciensarbres du monde demeurent un mys-tère qu'il faudra élucider pour que leginko biloba puisse être pris sansdanger par les patients.

Références1. CLOSTRE, F. « Ginkgo biloba extract

(EGb 761). State of knowledge in thedawn of the year 2000 », Ann Pharm Fr,vol. 57 (suppl. 1), 1999, p. 158-188.

2. LE BARS, P. L., KATZ, M. M., BERMAN,N. et al. « A placebo-controlled, double-blind, randomized trial of an extract of

Ginkgo biloba for dementia », JAMA,vol. 278, no 16, 1997, p. 1327-1332.

3. BENJAMIN, J., MUIR, T., BRIGGS, K. et al.« A case of cerebral haemorrhage - canGinkgo biloba be implciated? », PostgradMed J, vol. 77, no 904, 2001, p. 112-113.

4. FESSENDEN, J. M., WITTENBORN, W.et L. CLARKE. « Ginkgo biloba: a case

report of herbal medicine and bleedingpostoperatively from a laparoscopic cholecystectomy », Am Surg, vol. 67,no 1, 2001, p. 33-35.

5. MIWA, H., IIJIMA, M., TANAKA, S. et al.« Generalized convulsions after consu-ming a large amount of ginkgo nuts »,Epilepsia, vol. 42, no 2, 2001, p. 280-281.

Les patients atteints de maladie d'Alzheimer sont âgéset, très souvent, ils prennent de nombreux

médicaments, y compris de l'AAS. [...] L'ajout degingko biloba à un schéma thérapeutique (qui inclut

l'AAS par exemple) augmente un risque déjà élevéd'interactions médicamenteuses, surtout le risque de

complications hémorragiques.

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Même si ce cas est hypothétique,il ne peut que donner froid

dans le dos aux médecins quiautorisent le renouvellement dupermis de conduire d'un patient âgé.Aujourd'hui, la plupart des médecinssont un peu plus sensibilisés à lafréquence accrue des accidents d'au-tomobile impliquant des conducteursâgés. Pourtant, selon les statistiquesindividuelles, cette catégorie de con-ducteurs a relativement peu d'acci-dents, ce qui peut étonner. Toutefois,lorsqu'on tient compte du nombre de

kilomètres parcourus, le taux d'acci-dent des conducteurs de plus de70 ans est égal ou supérieur à celuides jeunes conducteurs de 16 à24 ans – un groupe à risque élevé1,2.Ces accidents ont des conséquencesgraves, et la fréquence des trauma-tismes est en hausse chez les conduc-teurs âgés.

Facteur de vieillissementLe vieillissement entraîne deschangements nombreux et bien défi-nis des aptitudes physiques et psy-chiques nécessaires à la conduite d'unvéhicule automobile. Cependant, laplupart des experts reconnaissentqu'il est peu probable que les change-ments liés au vieillissement normalexpliquent les accidents d'automobile

impliquant des conducteurs âgés. Ilest beaucoup plus vraisemblable quece soit des conditions médicales liéesau vieillissement ou les traitementsmédicaux qui diminuent la compé-tence d'une personne à conduire.

En 1996, le ministère desTransports de l'Ontario avait montréque l'un des deux facteurs de risqueles plus utiles pour prévoir l'implica-tion d'un conducteur âgé dans unaccident d'automobile au cours descinq dernières années était la pré-sence d'au moins une maladie3. Engénéral, cependant, le fait d’êtreatteint d’une maladie n'empêche pasune personne âgée d'obtenir unpermis de conduire. Diverses affec-tions qui augmentent le risque d'unaccident causé par la faute du

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La démence et la conduite automobilepar Peter N. McCracken, M.D., FRCPC, Jean A. Caprio Triscott, M.D., CCFP, FAAFP(gériatrie), et Allen R. Dobbs, Ph. D.

Le Dr McCracken est codirecteurdu département de gériatrie etprofesseur de médecine àl'Université de l'Alberta, àEdmonton en Alberta.

CAS HYPOTHÉTIQUE

Vous êtes le médecin de famille de monsieur J. P. depuis20 ans. Il a 86 ans et sa santé est plutôt bonne, puisque sesantécédents médicaux incluent seulement l'hypertensionlégère, l'arthrose des genoux et un ulcère gastroduodénal.Il y a 12 ans, vous l'avez adressé à un chirurgien généralpour une cholécystectomie élective; le patient a très bientoléré cette intervention chirurgicale. Vous avez toujourspensé que cet homme était en bonne santé étant donné queses visites à votre bureau avaient principalement pour butd'obtenir l'attestation nécessaire au renouvellement deson permis de conduire. En général, ses visites étaientbrèves et ne révélaient rien de préoccupant au sujet de sonétat de santé.

Le traitement actuel de monsieur J. P. inclut l'hy-drochlorothiazide (HCTZ), un comprimé tous lesmatins, le rofécoxib, 25 mg par jour, pour soulagerl'arthrose, et le lorazépam, 1 mg par jour, au coucher.Le patient prend ces trois médicaments depuis au moinssept ans, et vous n'avez jamais hésité à renouveler lesordonnances.

Un dimanche soir, vous recevez un appel du service d'ur-gence de votre hôpital vous annonçant que monsieur J. P. aété impliqué dans un grave accident d'automobile. Il asurvécu, mais il est semi-comateux. Il a heurté une autrevoiture en faisant un virage à gauche. Les deux véhiculessont gravement endommagés, presque une perte totale, etl'autre conducteur a subi un traumatisme crânien.

Vous vous rendez rapidement à l'hôpital pour examinerle patient. À votre arrivée, vous rencontrez le fils demonsieur J. P. dans le corridor. Dans un excès de colèrequi vous étonne, il affirme qu'il vous a téléphoné il y aneuf mois parce qu'il craignait que son père ne soit plusapte à conduire une automobile. Il ajoute que sa sœur alaissé un message à votre secrétaire il y a six mois poursignaler la détérioration de la mémoire et du jugementchez son père ainsi qu'une diminution de son autonomie.La famille de monsieur J. P. est bouleversée par cet acci-dent, et son fils vous demande comment vous avez puautoriser le renouvellement du permis de conduire de sonpère.

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conducteur sont énumérées auTableau 1. Le risque le plus élevé estla présence d'un trouble cognitif. Lesomnipraticiens doivent se rappelerque plusieurs maladies peuvent al-térer les aptitudes psychiques essen-tielles à la conduite. Néanmoins,aucune affection particulière ne s'estrévélée être un bon facteur de prédic-tion de conduite automobile sécuri-taire. De fait, Johansson4 a comparéle taux d'accidents chez les conduc-teurs âgés en Finlande, un pays où laloi exige un examen médical pourobtenir le renouvellement du permis,avec le taux d'accidents chez les con-ducteurs âgés en Suède, où le renou-vellement du permis n'est soumis àaucune restriction. L'étude a révéléque les taux étaient comparables dansles deux pays, ce qui laisse supposerque l'examen médical n'est pas telle-ment efficace pour diminuer lenombre d'accidents. En dépit de cesdonnées, la présence d'une affectionquelconque comme principal critèrepour déterminer l'aptitude d'une per-sonne âgée à conduire une voiture estencore utilisée. Il serait plus logiquede considérer ces maladies ainsi quecertains médicaments non pascomme des critères absolus, maisplutôt comme des signaux d'alarmedevant retenir l'attention du médecin.

Considérations démographiquesAu Canada, le taux de blessuresgraves chez les conducteurs âgés de65 ans ou plus a augmenté de 21 %entre 1989 et 19995. Les statistiquesrécentes sur les conducteurs âgés sontencore plus inquiétantes, car lesblessures graves chez les jeunes con-ducteurs ont diminué pendant cettemême période. En outre, les person-nes âgées courent un risque plus graveque les personnes jeunes d'êtreblessées ou même tuées lors d'un acci-dent d'automobile6,8; et lorsqu'ellessont blessées, elles courent un risquequatre fois plus grand d'être hospita-lisées9. De même, leur convalescence

est plus longue, et leur guérison,moins complète.

Dans quelles mesures les méde-cins de famille doivent-ils s'inquiéterdu risque lié aux conducteurs âgés?Quel est le rôle du médecin de famillepour ce qui touche la protection del'autonomie et de l'indépendance dupatient en regard des risques pour lasanté et la sécurité publique? Quelssont les outils offerts aux médecinsde famille pour évaluer l'aptitude àconduire? Au Canada, existe-t-il deslois pour obliger les médecins à si-gnaler les conducteurs dont la capa-cité à conduire est diminuée?

Le nombre de conducteurs âgésdevrait plus que doubler d'ici 2020.On constate en effet que le nombre deconducteurs âgés de plus de 70 anss'accroît plus rapidement par rapportà tous les autres groupes d'âge. Nonseulement on compte un plus grand

nombre de conducteurs âgés sur lesroutes, mais ces personnes con-duisent plus souvent et jusqu'à un âgeplus avancé, où le risque d'accidentest très élevé10. En supposant que lestaux actuels de mortalité liés auxaccidents demeurent les mêmes, onpeut dire que le nombre de décès chezles conducteurs âgés en 2030 seratrois ou quatre fois plus grand qu'en1995. Ce taux serait plus élevé quecelui des décès causés par des con-ducteurs dont les facultés étaientaffaiblies par l'alcool en 199511.

Démence et conduite automobileEn 1995, la Société Alzheimer duCanada a créé un groupe de travail

sur l'éthique pour examiner la déli-cate question de la démence et de laconduite automobile. Ce groupe étaitcomposé d'experts des domaines de lamédecine, du droit, de la recherche,de l'éthique et de la prestation dessoins. Un projet de lignes directrices

sur les questions délicates a étéélaboré et soumis sous forme dequestionnaire à un vaste échantillon-nage de personnes concernées. Cetteenquête a permis de récolter plus de500 réponses. La compétence àconduire une automobile a été ladeuxième question pour laquelle legroupe d'experts a reçu le plus grandnombre de réponses, ne cédant le pasqu'à l'épineux problème de l'annoncedu diagnostic de la maladie d'Alzhei-mer. Le problème de la conduiteautomobile était considéré commeune question délicate parce qu'iln'existait aucune méthode efficacepour évaluer la compétence d'unpatient à conduire.

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En outre, les personnes âgées courent un risque plusgrave que les personnes jeunes d'être blessées oumême tuées lors d'un accident d'automobile6,8; etlorsqu'elles sont blessées, elles courent un risque

quatre fois plus grand d'être hospitalisées9. De même,leur convalescence est plus longue, et leur guérison,

moins complète.

Tableau 1

Facteurs de risque d'accidentscausés par les conducteursâgésFacteur de risque Risque relatifDiabète 2,2Maladie vasculaire 1,8Maladie pulmonaire 2,1Maladie psychiatrique 2,5Maladie neurologique 5,1Trouble cognitif 7,6

Adaptation de DILLER E. et coll. NHTSATechnical Report HS 809023, Washington,199819.

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Après avoir analysé les réponses,le groupe a élaboré la version finaledes Lignes directrices sur l'éthique –Sujets délicats, document publié en1997 par la Société Alzheimer duCanada.

Ces lignes directrices soulignentl'importance de surveiller la compé-tence d'un patient à conduire etrecommande que « s'il est clair queconduire est dangereux, il faut retirertout accès au véhicule immédiate-ment. » On peut y lire aussi que lediagnostic de la maladie d'Alzheimer

(ou de toute autre démence) ne signi-fie pas automatiquement que la per-sonne est incapable de conduire.

Même si les lignes directricesréitèrent l'importance de surveiller etd'évaluer l'aptitude des patients àconduire, l'absence d'instrumentsappropriés pour le faire est largementreconnue. Cette lacune place lesmédecins et les autres intervenantsdans une position très difficile.

Statu quoDans certaines provinces, la loioblige le médecin à surveiller et à si-gnaler l'inaptitude de leurs patients àconduire une automobile12. Dansd'autres, les médecins doivent effec-tuer un examen médical pour vérifierl'aptitude à conduire en tenantcompte de l'âge du patient ou d'autrescritères. Il n'existe cependant aucunconsensus sur l'instrument à utiliseravec les personnes atteintes de

démence ou d'autres troubles cogni-tifs. L'instrument le plus souventrecommandé est le mini-examen del'état mental (MMSE)13. Cette recommandation est déconcertante,compte tenu des résultats d'étudesrétrospectives ayant montré que leMMSE est très peu utile pour cegenre d’évaluation parce qu'il serévèle un piètre prédicteur du risqued'accident14-17. En effet, lorsqu'on acomparé les scores MMSE à la per-formance à l'examen de conduite, lescorrélations ont la plupart du temps

été dans la plage de 0,5 à 0,6. À cedegré de corrélation, le MMSEexplique moins de 40 % de la va-riance, et c'est donc un instrumentinadéquat pour aider à prendre unedécision au sujet d'un patient donné.

Beaucoup de médecins présumentqu'il suffit d'orienter les patientsatteints de troubles cognitifs et dedémence vers les agences gouverne-mentales chargées de délivrer lespermis de conduire pour savoir si lepatient est apte ou non à conduire unvéhicule automobile. Malheureuse-ment, ces examens pratiques ne sontpas efficaces pour mettre en évidencel'inaptitude à conduire chez ces per-sonnes. Cette lacune s'explique sansaucun doute par le fait que les exa-mens pratiques sont conçus pourévaluer les aptitudes de base qui, chezun conducteur expérimenté, sontpresque des réflexes. Ces aptitudesréflexes sont souvent préservées,

même lorsque les facultés mentalesdiminuent. Il faut mentionner que,dans certains centres urbains, desméthodes spécialisées d'évaluation del'aptitude à conduire ont été éla-borées, mais il faut déplorer qu’ellessont surtout axées sur les handicapsphysiques et sur les modifications àapporter aux véhicules pour faciliterla conduite, plutôt que sur l'évalua-tion de la compétence d'une personnesouffrant d'un trouble cognitif.

Méthodes efficaces pour évaluerl'aptitude à conduireIl y a plus de 10 ans, le Dr Allen Dobbset ses collègues étaient déjà convaincusde l'importance primordiale d'évaluerl'aptitude d'un patient à conduire uneautomobile. De concert avec des mé-decins, des neuropsychologues et desthérapeutes en réadaptation du pro-gramme Northern Alberta RegionalGeriatric (NARG), le Dr Dobbs a tra-vaillé à élaborer une méthode d'évalua-tion efficace. Les étapes de cetterecherche menée sur plusieurs annéeset fondée sur les examens pour évaluerdes conducteurs âgés incluent :1. L'élaboration d'une consultation

clinique pour évaluer l'aptitudedes patients à conduire une auto-mobile.

2. Le recrutement de partenaires(NARG, Association canadiennedes automobilistes [CAA-Alberta],adjoint du ministre de la Justice del'Alberta, ministère de la Santé etdu Bien-être social de l’Alberta,l'Alberta Transportation and Utili-ties et la Ville d'Edmonton) pourmettre sur pied un programme derecherche en collaboration.

3. L'élaboration d'une méthode d'éva-luation autonome à double volet :i) test de dépistage de l'aptitude àconduire; ii) examen pratique pourrechercher les erreurs de conduitetémoignant de la diminution del'aptitude à conduire.

4. La validation du test de dépistagede l'aptitude à conduire et de l'exa-

Beaucoup de médecins présument qu'il suffitd'orienter les patients atteints de troubles cognitifs etde démence vers les agences gouvernementaleschargées de délivrer les permis de conduire poursavoir si le patient est apte ou non à conduire unvéhicule automobile. Malheureusement, ces examenspratiques ne sont pas efficaces pour mettre enévidence l'inaptitude à conduire chez ces personnes.

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men pratique auprès d'un nouveléchantillon de conducteurs âgés.Peu après le début de cette étude,

le groupe du Dr Dobbs a découvertque le principal obstacle à l'évalua-tion d'un conducteur était l'absenced'information sur les différents typesd'erreurs de conduite. Il a donc mo-difié l'hypothèse de départ commesuit : toutes les erreurs de conduite netémoignent pas nécessairement d'unediminution de l'aptitude à conduire.Toujours selon cette hypothèse, cer-taines erreurs reflètent parfois sim-plement de mauvaises habitudes chezdes conducteurs par ailleurs compé-tents. Par conséquent, avant de passerà l'examen pratique, il importe dedémontrer de façon empirique leserreurs qui témoignent d'une diminu-tion de l'aptitude à conduire et cellesqui témoignent simplement de mau-vaises habitudes. Ces chercheurs ontdonc élaboré des méthodes de com-paraison pour étudier l'aptitude à con-duire de centaines de conducteursprésentant des troubles de santé (parrapport à des conducteurs témoins enbonne santé). Il fallait comparer laperformance de conducteurs poten-tiellement dangereux avec celle deconducteurs témoins, puisque lespatients atteints de démence cons-tituent un groupe de conducteurs dan-gereux. En effet, la documentationmédicale cite de nombreuses étudesdémontrant le nombre accru d’acci-dents d'automobile impliquant desconducteurs atteints de démence14,18.Il était donc évident que comparer leserreurs qui permettraient de dis-tinguer un groupe de l'autre seraitutile pour élaborer un examen pra-tique visant à évaluer l'aptitude à con-duire d'une personne.

Toutefois, les examens pratiquessont, en plus d'être coûteux, dan-gereux lorsque le conducteur estinapte à conduire, et ils sont inutilessi le conducteur est compétent. Pources raisons, le deuxième objectif del'étude était de diminuer le coût et

d'accroître la sécurité des examens deconduite. Le groupe de recherche aalors élaboré un test de dépistage desaptitudes permettant de prévoir avecexactitude la performance à l'examenpratique, du moins pour les conduc-teurs les plus compétents et les con-ducteurs les plus dangereux. Cettedémarche avait pour but de concevoirun test de dépistage établissantdeux points limites. Le point limitesupérieur définissait le niveau de per-formance nécessaire pour prévoiravec exactitude la réussite de l'exa-men pratique. Le point limiteinférieur définissait le niveau de per-formance sous lequel on pouvaitprédire avec exactitude l'échec àl'examen pratique. Les erreurs deconduite ont été classées par la suite.On a ainsi établi 12 catégoriesd'erreurs précises (par exemple laposition pour amorcer un virage, lasignalisation, la vitesse) ainsi qu'unecatégorie d'erreurs dangereuses ou

potentiellement désastreuses. Cesdernières correspondaient à des situa-tions où les autres conducteursdevaient s'ajuster à la manœuvreeffectuée ou l'examinateur devaitprendre le contrôle du véhicule pouréviter une collision ou une situationdangereuse. On a ensuite déterminéla fréquence et la gravité des erreursdans chaque catégorie et on a analyséles résultats pour chacun destrois groupes :1) Les résultats au-dessus du point

limite supérieur.2) Les résultats sous le point limite

inférieur.3) Les résultats intermédiaires.

Ces comparaisons ont permis dedéfinir trois groupes d'erreurs deconduite.

Dans le premier, on a classé leserreurs non discriminantes parcequ'elles étaient faites à la fois par lesconducteurs compétents et les con-ducteurs incompétents. Ces erreurs

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Tableau 2

Évaluation de l'aptitude à conduire : antécédents médicaux à surveiller

• Prise de médicaments (narcotiques, anticholinergiques, benzodiazépines,psychotropes, antispasmodiques, antiparkinsoniens)

• Prise de drogues sans prescription (alcool ou substances illicites)• Troubles de la vue (cataracte, glaucome, dégénérescence maculaire, rétinopathie

diabétique)• Troubles de l'ouïe• Troubles cardiovasculaires (anévrisme de l'aorte, arythmies, syndrome de dys-

fonctionnement sinusal, stimulateur cardiaque, changements orthostatiques de latension artérielle causant des étourdissements, infarctus du myocarde, angorinstable)

• Maladies vasculaires cérébrales (accident ischémique transitoire, accident vascu-laire cérébral)

• Maladies du système nerveux (convulsions, apnée centrale du sommeil,labyrinthite ou maladie de Ménière, maladie de Parkinson, démence, trauma-tisme crânien ou hémorragie sous-durale, sclérose en plaques)

• Maladies respiratoires (maladie pulmonaire obstructive chronique, apnéeobstructive du sommeil)

• Troubles endocriniens et métaboliques (diabète, hyperparathyroïdie, hypothy-roïdie, hyperthyroïdie, déséquilibre des électrolytes [p. ex. du sodium])

• Maladies psychiatriques (dépression, schizophrénie, trouble bipolaire, psychose)• Maladies musculosquelettiques (arthrose, ostéoporose, arthrite rhumatoïde, neu-

ropathie périphérique)• Maladies infectieuses (des voies respiratoires, des voies urinaires, SIDA)• Antécédents de conduite (contraventions ou accidents de voiture)

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témoignent des mauvaises habitudesde conducteurs expérimentés, et nonpas d'aptitude moindre à la conduite.Par conséquent, toute évaluationfondée sur ce type d'erreurs commeindicateurs de l'inaptitude à conduireserait inappropriée.

Dans le second groupe d'erreurs(position dans les virages, erreursd'observation), le score de gravitépermettait de distinguer de façonfiable les conducteurs âgés souffrantde troubles cognitifs et les conduc-teurs témoins en bonne santé en plusde différencier les conducteurs âgésen bonne santé des conducteursjeunes en bonne santé. Ces erreursdiscriminantes sont définies comme« potentiellement dangereuses » ettémoignent d'une diminution desaptitudes à la conduite automobile.

Le troisième groupe d'erreurs (parexemple s'engager à contre-sens surune autoroute, arrêter à un feu vert,

brûler un feu rouge) était composéd'erreurs de critère. Ces erreursétaient observées seulement chez lesconducteurs présentant des troublescognitifs.

La définition de ces catégoriesd'erreurs et la découverte qu'ellesétaient regroupées ont aidé à mieuxcomprendre la signification des dif-férents types d'erreurs de conduite.Grâce à ces données, les chercheursont pu élaborer une échelle d'évalua-tion empirique valide et établir descritères pour concevoir des parcoursqui mettraient en évidence les erreursdiscriminantes importantes. Ces ré-sultats de recherche constituaientégalement une base pour déterminerles critères de conduite dangereuse.

Ces travaux ont permis de con-cevoir une épreuve de dépistage com-posée de tests à l'ordinateur. Pourréussir ces tests, il faut de lamémoire, du jugement, la capacité de

décision, l'attention, des aptitudesmotrices et de la rapidité, et il fautpouvoir intégrer ces aptitudes ou êtreen mesure de passer de l'une à l'autre.Pour sa part, l'examen pratique se faitsur un parcours spécial d'une duréede 40 minutes. On utilise un véhiculede classe intermédiaire, équipé d'uneboîte de vitesses automatique et d'undouble système de freinage. Les ma-nœuvres à effectuer ont été conçuespour mettre en évidence les erreurs deconduite chez des conducteurs dontla santé est compromise.

Pour valider l'utilité de ce test dedépistage, les résultats doivent satis-faire à deux critères :1. Les scores au-dessus du point li-

mite supérieur et sous le point li-mite inférieur doivent permettre deprévoir avec exactitude le passageet l'échec de l'examen pratique.

2. Les conducteurs qui obtiennent unscore intermédiaire sont ceux quidoivent subir un examen pratique.Ce groupe qui nécessite un telexamen doit être significativementréduit par rapport au total depersonnes initial.Cette démarche en deux étapes est

maintenant appliquée dans quelquescentres au pays, dont quatre sontsitués en Alberta; ce sont lesDriveAble Assessment Centres. L'éva-luateur n'a pas besoin de recevoir uneformation spéciale. D’autre part, letest est difficile : de nombreuses per-sonnes atteintes d'un léger troublecognitif présumé échouent l'examen.Par conséquent, cette évaluationenlève au médecin de famille lefardeau d'avoir à prendre seul unedécision au sujet de l'aptitude à con-duire de ses patients âgés.

Cependant, le coût de cette éva-luation, payé par le patient ou sesproches, est un sujet de controverse.On continue à espérer que le gou-vernement provincial couvrira unjour les frais de cet examen.

La plupart des données statis-tiques du programme de recherche

18 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001

Tableau 3

Examen physique ciblé pour l'évaluation de l'aptitude à conduire

Paramètre TestsVue Champ visuel, test de SnellenOuïe Test du chuchotementAppareil cardiovasculaire Examen courant, électrocardiogramme au besoin,

tension artérielle posturaleAppareil respiratoire Examen courant, oxymétrie au besoin (test et exercice)Appareil digestif Examen courantAppareil musculosquelettique Amplitude des mouvements de la colonne cervicale,

résistance, tonus, mouvement en extension et en flexion (épaules, poignets, chevilles, hanches et genoux)

Équilibre et démarche Test Get-up-and-go (le patient se lève de sa chaise,reste debout, puis marche sur une distance detrois mètres, revient et s'assoit)

Système nerveux central Examen courant, réflexes cérébelleux (épreuve doigt-nez, talon-tibia), réflexe moteur des membressupérieurs et inférieurs, proprioception, réflexe sen-soriel

Fonction cognitive Mini-examen de l'état mental, en particulier le test despentagones et de l’horloge, praxie (capacité d'exécuterune série de mouvements en réponse à un ordre),gnosie (capacité d'identifier des objets), fonctions d'exé-cution (parcours A et B), jugement, compréhension

Troubles psychiatriques Examen courant, échelle d'évaluation de la dépressionchez la personne âgée au besoin

Capacité fonctionnelle Évaluation de la diminution de la capacité à exécuterles activités de la vie quotidienne et les activités ins-trumentales (faire les courses, cuisiner, gérer l'argent)

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NARG/Université de l'Alberta sur laconduite automobile chez des per-sonnes atteintes de troubles cognitifsou de démence ont été présentées à laConférence canadienne de consensusde la démence en 1998. Après unepériode de discussion très animée,les experts ont proposé cinq recom-mandations sur cette question, àsavoir :1. Les médecins qui s'occupent du

suivi de patients atteints d'untrouble cognitif doivent accorderune importance spéciale à cetrouble au moment de l'anamnèseet de l'examen (voir Tableaux 2 et3). Il ne suffit pas de mesurer latension artérielle et d'effectuer unbref examen physique. Il estrecommandé d'adopter une appro-che mieux ciblée si on veut àl'avenir détecter des patients âgésqui ne sont plus aptes à conduire.Ainsi, le relevé des antécédentsmédicaux doit inclure des questions précises sur la conduiteautomobile dans le cas de patientsâgés atteints de démence pré-sumée. Il faut poser des questionssur les habitudes de conduite dupatient (par exemple combien dekilomètres conduit-il par semaineet à quel moment de la journéeconduit-il en général). Il faut aussidemander au patient s'il a déjà eudes accidents (ou s’il a déjà été àdeux doigts d’en avoir un) ou descontraventions et s'il lui est arrivéde se perdre alors qu'il conduisait.De même, la recherche des facteursqui aggravent le trouble cognitifdoit faire partie de l'évaluationmédicale (voir Tableau 4). Lemédecin doit noter au dossier l'étatdes aptitudes du patient à conduireainsi que les risques de diminutionde celles-ci liés à des maladies ou àdes traitements.

2. Les médecins doivent garder àl'esprit que les problèmes de con-duite automobile peuvent être unsigne d'autres troubles cognitifs et

fonctionnels qui doivent êtretraités. Même si ce sont souventles troubles de mémoire et lessignes d'un jugement altéré quiincitent les médecins à évaluerl'aptitude d'un patient à conduire,le contraire est également vrai.Ainsi chez un patient qui faitl'objet de problèmes au volant oud'accidents de voiture, le médecin

doit conclure à la nécessité d'uneévaluation cognitive approfondie.

3. Par ailleurs, les médecinsdevraient inciter les patientsatteints de démence et leursaidants à planifier le plus tôt pos-sible l'arrêt éventuel de la con-duite automobile. Cette questiondélicate doit être abordée très tôtau cours de la maladie, puisqu'ellereviendra certainement sur le tapisun jour ou l'autre. Le médecin defamille doit témoigner de l'em-pathie aux personnes qui ne

peuvent plus conduire. Il importede discuter avec elles des autresoptions possibles pour le transportet les déplacements. Il faut recon-naître que c'est un facteur de stresset d'isolement qui peut être perçupar l'aidant, et il faut donc orienterle patient et les aidants vers lesservices offerts aux personnesâgées dans la collectivité.

4. Les médecins devraient informerles agences gouvernementalescompétentes lorsqu'un patientn'est plus apte à conduire unvéhicule, même dans les pro-vinces où cette déclaration n'estpas obligatoire.

5. Les professionnels de la santédoivent militer activement enfaveur de l'accessibilité des patientsà des services d'évaluation de l'apti-tude à conduire par des méthodesvalides, fondées sur la performanceet à coût abordable.

La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001 • 19

Les médecins devraient inciter les patients atteints dedémence et leurs aidants à planifier le plus tôt possible

l'arrêt éventuel de la conduite automobile. Cettequestion délicate doit être abordée très tôt au cours de

la maladie, puisqu'elle reviendra certainement sur letapis un jour ou l'autre.

Tableau 4

Facteurs qui peuvent nuirent à la conduite automobile sécuritaire

• Maladies cardiovasculaires (arythmie cardiaque, insuffisance cardiaque congestive,valvulopathie)

• Maladie vasculaire cérébral (p. ex. accident vasculaire cérébral)• Neuropathies (traumatisme crânien, maladie de Parkinson, sclérose en plaques,

tumeur, narcolepsie, apnée du sommeil)• Maladies respiratoires (p. ex. broncopneumopathie obtructive, insuffisance respiratoire)• Troubles métaboliques (hypothyroïdie, diabète)• Néphropathie (insuffisance rénale chronique)• Démence (maladie d'Alzheimer, démence vasculaire, démence fronto-temporale,

maladie de Pick, maladie de Huntington, alcoolisme, intoxication)• Maladies psychiatriques (p. ex. schizophrénie)• Médicaments (surtout ceux qui influent sur le système nerveux central)

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À la lumière de ces recommanda-tions, il est évident que le médecindoit évaluer de façon approfondie lafonction cognitive d'un patient quiprésente une diminution de l'aptitudeà la conduite automobile. Souvent,cet examen révélera la présence dedémence, d'une maladie neurodé-générative ou d'un autre trouble co-gnitif. En outre, les personnes âgéessont plus sujettes au delirium à causede la diminution de la réserve du sys-tème nerveux central et de l'altérationde l'homéostasie reliée au vieillisse-ment. Cette plus grande vulnérabilitéchez les patients souffrant de dé-mence est bien démontrée dans ladocumentation. Il va sans dire que ledelirium compromet la sécurité auvolant. Tous les patients qui ensouffrent ne devraient pas conduireun véhicule automobile jusqu'à ceque leur état revienne complètementà la normale.

En outre, tous les cliniciens saventqu'un patient âgé qui participe auprocessus décisionnel risque derefuser de cesser de conduire sonautomobile, principalement parcequ'il n'est pas conscient de ses propresdéficits. Il est donc primordial que lesmédecins tiennent compte des réper-cussions psychologiques et des con-séquences générales de la perte de lacompétence à conduire tant pour lepatient que pour sa famille. Toutefois,les médecins de premier recoursdoivent absolument aviser lesautorités en matière de permis de con-duire s'ils sont inquiets au sujet del’aptitude d'un patient à conduire,même dans les provinces où aucuneloi ni aucun règlement n'exige de si-gnaler ces cas. Malgré que ce soit uneresponsabilité déplaisante, ils doiventcomprendre qu'ils sont bien placéspour surveiller la compétence de leurspatients. En présence de démence, il

importe de surveiller l'évolution del'état du patient, puisque le diagnosticde démence ne suffit pas à lui seulpour tirer des conclusions sur les apti-tudes du patient à conduire sonvéhicule. L'arrivée d'une méthodeempirique pour évaluer les conduc-teurs (DriveAble Testing) apporte unnouvel espoir pour régler cettequestion fort délicate.

ConclusionLa question de la conduite automo-bile dans le cas d'un patient souffrantde troubles cognitifs ou de démencepose encore aujourd'hui un défi detaille aux médecins, mais les progrèsrécents de la recherche sont encou-rageants. Avec l'adoption graduellede méthodes empiriques d'évaluationcomme le programme DriveAbleTesting ou d’autres programmes sem-blables, cette question sera un jourmoins difficile à résoudre.

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Dr. Cohen is geriatric psychiatrist, SunnybrookHealth Science Centre, Toronto, Ontario.

Les stratégies qui m'ont aidée à apprendre à vivreavec la maladie et à mener une vie enrichissantePlusieurs facteurs ont contribué à faciliter mon adapta-tion. À mesure que je les décrirai, demandez-vous si cesfacteurs s'appliquent à d'autres personnes atteintes dedémence au stade précoce.

Le premier facteur : le soutien de ma familleJ'ai le grand bonheur d'avoir un mari et des enfantspatients et extraordinaires. En effet, c'est une très grandechance. Dans certains cas, les proches ne savent pas fairepreuve d'encouragement envers le patient; dans d'autres, lafamille est éloignée. Et il y a aussi des patients qui sonttout à fait seuls.

Pour ma part, mon mari et mes enfants me rassuraientconstamment et me rappelaient de concentrer mes effortssur ce que je pouvais faire et non pas sur ce qui m'étaitimpossible. Ils m'encourageaient à essayer de fairediverses choses sans m'inquiéter des erreurs possibles.Aujourd'hui, je continue de relever de petits défis et je necrains pas continuellement de me tromper.

Le deuxième facteur : des médecins compétents et compatissantsMon médecin de famille, la Dre Lois MacGibbon, àDundas en Ontario, a tout de suite pris au sérieux lestroubles de mémoire dont je me plaignais. Aujourd'hui,elle interroge tous ses patients sur les symptômes detroubles de la mémoire. D'ailleurs, ces questions sontdésormais incluses dans un questionnaire utilisé par denombreux médecins de famille de la région.

Dre MacGibbon m'a adressée à un neurologue compatis-sant et extraordinaire, la Dre Sandra Black, chef du servicede neurologie à l'hôpital Sunnybrook de Toronto. Dre Blackest une chercheure et une clinicienne renommée, au fait desplus récents progrès de la recherche médicale et du déve-loppement des médicaments. Mon mari, mes enfants et moisavions que nous étions en très bonnes mains, et que la neu-rologue nous proposerait les options de traitement les plusappropriées après y avoir mûrement réfléchi.

Pour aider mes médecins à comprendre la gravité desproblèmes et des changements auxquels je faisais faceainsi que les caractéristiques de ces changements liés à lamaladie, je rédigeais la liste de mes petites difficultés quo-tidiennes, en décrivant par exemple les effets de la défi-cience dans ma vie familiale et ma vie professionnelle. J'aiutilisé cette stratégie d'un « journal » avec tous mesmédecins. Croyez-moi, elle est très efficace. En outre, monmari (ou ma fille) m'accompagne aux visites chez lemédecin afin de défendre mes intérêts et de jouer le rôle de« cerveau d'appoint ».

Je le répète, c'est un grand luxe d'avoir un aussi bonréseau de soutien médical. J'habite dans une grande ville oùles ressources médicales ne manquent pas et où on trouveune faculté de médecine. De plus, dans les villes avoisi-nantes, il y a d'autres écoles de médecine et des ressourcesde soins de santé. Cependant, dans notre pays, beaucoup degens vivent dans de petites municipalités où il n'est pasaussi facile d'obtenir des soins médicaux spécialisés.

Le troisième facteur : les médicaments contre la maladie d'AlzheimerJe ne dirai jamais assez l'importance des médicaments dansmon cas. Dès l'annonce du diagnostic, Dre Black m'ainscrite à un essai clinique de phase II sur la propento-fylline. Mon état a cessé de se détériorer, et certains dessymptômes ont été atténués. À la maison, je pouvais fonc-tionner plus efficacement. J'avais alors l'habitude de dire :« Maintenant ça me prend moins de temps pour donner lamauvaise réponse! ». Plus tard, Dre Black a ajouté ledonépézil au traitement. Ce médicament a fait une dif-férence remarquable du point de vue de la qualité de vie.J'étais en effet beaucoup moins confuse et j'arrivais à meconcentrer davantage. Mon activité mentale était plusgrande et j'avais plus d'énergie mentale pour poursuivremes activités et pour entretenir des conversations. J'avaismoins de difficultés à trouver mes mots et je fonctionnaismieux dans le quotidien.

Malheureusement, les médicaments actuels ne fontqu'atténuer ou maîtriser les symptômes chez certains

La maladie d'Alzheimer ... vue de l'intérieur

Marilyn est une des trois femmes atteintes de la maladie d'Alzheimer au stade précoce qui ont présenté la commu-nication principale à la Conférence nationale de la Société Alzheimer du Canada en avril 2001. La première partiede la présentation de Marilyn a été publiée dans le numéro de juillet 2001 de La Revue canadienne de la maladie

d'Alzheimer. Nous vous présentons maintenant la deuxième partie.

Des nouvelles de la Société Alzheimer du Canada

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patients. Ils ne guérissent pas la maladie ni n'en arrêtentla progression inéluctable. En revanche, des nouvellestrès intéressantes et très encourageantes ont été publiéessur les résultats d'essais cliniques évaluant un vaccin etdes inhibiteurs de la plaque. Nous prions pour que cestraitements se révèlent efficaces. Pour le moment, la curede la maladie d'Alzheimer n'est pas une réalité. J'inciteles chercheurs de l'industrie pharmaceutique à travaillerencore plus fort et plus vite pour trouver cette cure.

Le quatrième facteur : les traitements d'appointEn plus des deux médicaments dont je viens de parler, maneurologue m'a conseillé de prendre la vitamine E. Jereçois également une hormonothérapie substitutive et jeconsulte des médecins naturopathes qui me prescriventun plan de traitement global faisant appel à la nutrition,aux remèdes à base de plantes, à d'autres thérapies com-plémentaires et à l'exercice qui favorise la fonction ducerveau, et ceci m’aide à maîtriser les effets indésirablesdes médicaments. Ce « traitement d'association » vise lasanté dans tous ses aspects, celle du cerveau, du corps etde l'esprit. Je m'adonne aussi à certains petits exercicescérébraux, par exemple des jeux de lettres simples oud'autres jeux simples.

Le cinquième facteur : la Société Alzheimer et mongroupe d'amis au stade précoce de la maladieÀ l'époque où j'ai reçu ce diagnostic, j'étais en visite chezma mère, à Kelowna en Colombie-Britannique. J'ai visitéle bureau local de la Société Alzheimer, et c'est là que j'airencontré Norma. Ce fut extraordinaire de faire la con-naissance de quelqu'un qui vivait la même chose que moiet qui pouvait comprendre parfaitement mon anxiété etma frustration. Nous avons parlé de nos difficultés, deschoses idiotes que nous faisions, des examens et desmédecins, des stratégies d'adaptation, mais, le plusimportant, nous avons beaucoup ri ensemble. Après cetterencontre, j'ai eu l'impression pour la première fois que jen'étais pas seule aux prises avec cette maladie, et mêmeque j'étais tout à fait normale.

En revenant à Hamilton, j'ai communiqué avec laSociété Alzheimer pour savoir si je pouvais aider à mettresur pied un groupe d'entraide de patients au stade précocede la maladie. Ce projet a pu être concrétisé. Ce groupecompte maintenant neuf membres, et nous projetons d'in-clure dans nos réunions des groupes des villes voisines.

Je souhaite que la Société Alzheimer fasse la promo-tion de tels groupes de patients au stade précoce de lamaladie dans chaque ville ou municipalité de notre pays.J'espère aussi que les médecins recommanderont les ser-

vices de la Société Alzheimer à leurs patients et lesinciteront à devenir membre de ces groupes d'entraide.

ConclusionL'incidence de la maladie d'Alzheimer et d'autres formesde démence continuent d'augmenter à mesure que s'ac-célère le vieillissement de notre population. Je demandeà tous et chacun de faire pression auprès des instancespour obtenir du financement et des mesures d'incitationfiscale pour encourager la recherche et le développementde médicaments. Il faut également que les organismes desanté et le milieu médical fassent preuve d'ouvertured'esprit face aux thérapies complémentaires, y comprisles médicaments et les traitements venant d'autres pays.Bref, il importe de combiner les compétences de tous lesprofessionnels de la santé pour élaborer des programmesde traitement efficaces.

Nous devons également exercer des pressions auprès desgouvernements pour faciliter l'accès gratuit aux médica-ments actuels à tous les Canadiens qui en ont besoin.

Quand à moi, je m'efforce de rester optimiste et degarder le moral. Norma et moi, nous répétons sans cesseque les chercheurs trouveront la cure à temps pour noussecourir. Toutefois, je suis une personne foncièrement réa-liste, une scientifique, et la dure réalité actuelle est qu'iln'existe pas de traitement pour guérir cette maladie. Rienne peut ralentir la progression de la maladie d'Alzheimer.

La croisière ne s'amuse pasJ'aime bien penser à l'aide d'images. Ainsi, parfois, j'ail'impression de faire un voyage sur un immense bateau.Ce bateau est rempli de personnes atteintes de la maladied'Alzheimer ou d'autres formes de démence. Ce n'est pasun bateau de croisière luxueux! Il n'y a pas de service depremière classe ni de spectacle. Je le vois plutôt commeun vieux rafiot ballotté sur des mers orageuses quipourrait à tout moment sombrer avec tous ses passagers.

Tout ce que je sais – de façon très certaine – c'est que,chaque jour, l'implacable loterie tire au sort les noms desmalheureux qui viennent s'ajouter aux voyageurs désem-parés. Parmi ces personnes, il y aura des gens que vous con-naissez, des gens que vous aimez, et ce pourrait même êtrevous. De fait, on estime que plus de 100 000 Canadienscette année seront atteints de démence. Tous ceux et cellesqui continuent de nier l'impact de la maladie d'Alzheimersur notre société doivent donc penser à cette image. Ce n'estpas un voyage agréable, et il commence à y avoir beaucoupde monde sur ce navire de malheur. Joignons nos forces ettravaillons ensemble pour mettre fin à cette funeste loterieet pour permettre à ce bateau d'arriver à bon port.

Pour plus de renseignements sur la maladie d'Alzheimer, les démences connexes, les programmes et les services dela Société Alzheimer et sur la façon dont vous pouvez aider, communiquez avec votre bureau local de laSociété Alzheimer, visitez son site Web (www.alzheimer.ca) ou composez le 1 800 616-8816.