Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la...

29
Retrouver ce titre sur Numilog.com

Transcript of Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la...

Page 2: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

CONTES DES

PYRÉNÉES

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 3: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

CONTES MERVEILLEUX DES PROVINCES DE FRANCE Collection dirigée par PAUL DELARUE

publiée sous le patronage du MUSÉE DES ARTS ET TRADITIONS POPULAIRES

DÉJA PARUS :

A. MILLIEN et P. DELARUE : Nivernais et Morvan. Geneviève MASSIGNON : Brière, Vendée, Angoumois.

PERBOSC-CÉZERAC : Gascogne. Ariane DE FÉLICE : Haute-Bretagne (contes de vanniers).

Gaston MAUGARD : Pyrénées. A L'IMPRESSION :

François CADIC : Basse-Bretagne. Charles JOISTEN : Alpes (Dauphiné).

EN PRÉPARATION :

M. A. MÉRAVILLE : Auvergne. Ariane DE FÉLICE : Berry et Poitou.

Adelin MOULIS : Pyrénées (nouvelle série). Geneviève MASSIGNON : Basse-Bretagne (contes de paysans).

Geneviève MASSIGNON : Basse-Bretagne (contes de teilleurs de lin). Marcel DIVANACH : Basse-Bretagne (contes du vieux meunier).

A. MILLIEN et P. DELARUE : Bourgogne et Morvan. Victor SMITH : Haut-Languedoc et Lyonnais.

Jean GARNERET : Franche-Comté. Claude SEIGNOLLE : Guyenne.

Marc LEPROUX : Pays Charentais.

Chaque ouvrage comprend : — une édition courante pouvant être mise entre les mains des enfants. — une édition avec commentaires folkloriques pour les chercheurs, les édu-

cateurs, les lettrés, les curieux.

C O N T E S D E S C I N Q C O N T I N E N T S

PARU : Contes Turcs ( P . - N . BORATAV).

A L'IMPRESSION : Contes Malgaches (J . DE LONGCHAMPS). EN PRÉPARATION : Contes C a t a l a n s (JOAN AMADES).

Contes Cambodgiens (S. BERNARD-THIERRY),

Tziganes (C. H . TILLHAGEN), F l a m a n d s ( M . DE MEYER), Canadiens ( L u c LACOURCIÈRE), I r l anda i s (DELARGY),

Norvégiens, J a p o n a i s , Coréens, Afr icains , etc. . .

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 4: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

GASTON MAUGARD

C O N T E S D E S

P Y R É N É E S PRÉFACÉS PAR

RAYMOND ESCHOLIER

COUVERTURE ET ILLUSTRATIONS

de MAX SAVY

É D I T I O N S É R A S M E

PARIS, 31, QUAI DE BOURBON

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 5: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

Copyright by ÉDITIONS ÉRASME, 1955.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 6: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

« OÙ REPARAÎT LA REINE PÉDAUQUE »

Il n'y a guère que deux siècles qu'on se préoccupe de l'origine des contes... On sait que la même fable se retrouve à l'infini à travers le monde et je n'en citerai qu'un exemple, tiré du beau livre que voici : « l' Aventure de Jean de l' Ours », recueillie par Gaston Maugard, à Nébias, dans l'Aude. J 'en rapproche le début — l'enlèvement d'une gracieuse jeune fille par l'ours qui en est épris — d'une étude captivante sur Bear Mother (Maman l'Ourse), publiée avec les reproductions des admirables Totems indiens, provenant des Montagnes Rocheuses (1), par ce parfait connaisseur du folklore américain, le docteur Marius Barbeau, directeur du Musée national du Canada, honneur de la science canadienne française (2).

C'est au grand siècle, on le sait, que commença la vogue mondaine des contes, lorsqu'en janvier 1697, Charles Perrault publia ses petits récits alertes, d'une bonhomie peut-être un peu godronnée, et cependant charmants, les Contes de ma mère l'Oie.

Dès lors, la belle société raffola des fées et des lutins, voire des géants et des ogresses. Les dames se piquaient de « mitonner », c'est-à-dire de réciter à tour de rôle, dans les salons littéraires, quelque joli conte du temps passé, dont quelque brave nourrice avait bercé leur petite enfance.

(1) Plusieurs au Musée national du Canada, à Toronto, un autre, vieux d'un siècle, au Musée de l'Homme, à Paris.

(2) Marius BARBEAU. Bear Mother (Journal of American Folklore, January- March 1946).

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 7: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

L'une d'elles, Mlle Lhéritier de Villandon, non contente de « mitonner », se piqua d'écrire d'agréables nouvelles, celle autres des Aventures de Finette, l'adroite princesse.

Et les rivales ne manquèrent point : la comtesse de Murat, la comtesse d'Aulnoy — la plus méchante des fées — Mlle de la Force, Mme d'Auneuil... C'étaient encore les beaux jours de l'Europe française et cet engouement de la Cour et de la Ville eut tôt fait de franchir nos frontières.

Des enquêteurs, avides de savoir, parcoururent les campa- gnes et notèrent les simples et merveilleux récits des paysans.

On s'aperçut alors que les contes recueillis aux quatre coins du monde avaient entre eux un véritable air de famille, et ce fut l'origine des recherches des frères Grimm, de Max Müller, d'Angelo de Gubernatis et de Lang. Depuis, l'étude des contes est devenue l'une des branches les plus opulentes de ce bel arbre des traditions populaires, le folklore.

Qui sait cependant si les maîtres-mots sur ce thème véné- rable et toujours jeune n'ont pas été prononcés, dans son Dialogue sur les Contes de fées, par Anatole France. De fait, la Mère l'Oie ne cessa jamais de le hanter et l'on ne doit pas être surpris si M. Bergeret plaça l'un de ses meilleurs récits sous le signe de la Reine Pédauque.

Nos bons villageois, quand on les pressait de dire qui leur avait enseigné tous ces contes, n'avaient jamais qu'une réponse, dont Perrault, d'ailleurs, fit son profit : « C'est ma mère l'Oie. »

Une telle réponse ne pouvait contenter nos savants. Ceux-ci ne tardèrent pas à identifier la mère Loye — « qui toujours filoit et toujours devisoit» à la Reine Pédauque (Regina Pedis aucæ) : « Qu'est-ce que ma mère l'Oie, dit Anatole France, sinon notre aïeule à tous, et les aïeules de nos aïeules, femmes au cœur simple... et qui, desséchées par l'âge, n'ayant comme les cigales chair ni sang, devisaient encore au coin de l'âtre, sous la poutre enfumée, et tenaient à tous les marmots de la maisonnée ces longs discours qui leur faisaient voir mille choses?... Sur le canevas des ancêtres, sur le vieux fonds hindou, la mère l'Oie brodait des images fami-

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 8: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

lières, le château et les grosses tours, la chaumière, le champ nourricier, la forêt mystérieuse, et les belles dames, les fées, tant connues des villageois et que Jeanne d'Arc aurait pu voir, le soir, sous le grand châtaignier, au bord de la fontaine. »

Cette Reine Pédauque, si elle est sculptée au portail des églises de Sainte-Marie de Nesles, de Saint-Bénigne de Dijon et de Saint-Pierre de Nevers, peu nous en chaut, Gascons et Languedociens, Pyrénéens. La Reine Pédauque ne saurait être que de chez nous.

Dans nos campagnes, dans nos montagnes, toutes chargées de sublimes légendes, de fabliaux narquois et d'épopées, les petites filles d'Occitanie ne mènent-elles pas encore leurs rondes au chant devenu pour nous inintelligible de :

Cati-cati-mauco, Lengo de Pedauco !

C'est elle, n'en doutez pas, qui a inspiré à Gaston Maugard sa généreuse entreprise; bien plus encore que les ménines et les pépis, interrogés par ce jeune conteur ardent et passionné, c'est la reine Pédauque qui s'est penchée, aux veillées d'hiver, sur ce fils du pays de Sault, avide d'apprendre et de connaître, avant d'enseigner et d'instruire; c'est elle qui, sa couronne d'or dissi- mulée sous le capulet pyrénéen, est venue s'asseoir près de l'en- fant rêveur et lui a conté les plus belles histoires d'un passé qui ne saurait mourir, c'est elle, la Reine aux pieds palmés, qui lui a fait ce don merveilleux, grâce auquel on peut prédire à ce livre, chez les grands comme chez les petits, la plus grande audience : le don de vie.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 10: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

« Avant les Mythologies, avant les Dieux, avant les Livres, il y avait... les Contes. »

INTRODUCTION

Les Pyrénées sont diverses du Canigou à Roncevaux, catalanes et cerdanes, languedociennes et fuxéennes, bigourdanes, béarnaises et basques. A vrai dire, le titre de cet ouvrage, Contes des Pyrénées, pourra, pour le moins, paraître ambitieux. Car ces récits n'ont pas été recueillis tout au long du massif, mais seulement dans un secteur étroit des avant-monts, celui des majestueuses sapi- nières de l'est, à la lisière nord du plateau de Sault.

Nous n'avons pas la prétention de recueillir des éléments de littérature orale en des régions éloignées les unes des autres, tel l'ethnographe parisien chargé de mission en province. Si le folklore peut encore livrer des richesses, cela ne peut être qu'au prix d'une recherche en profondeur, où le déraciné n'a plus sa place. Pour nous, l'enracinement est un fait et un besoin. Notre enfance a été marquée, privilège si l'on veut, par des récits traditionnels. Les contes étaient avec la tisane, ou « bouillon », de prunes sèches, un régal des longues veillées d'hiver, devant les grands feux de bois. De ce fait, en interrogeant les seuls membres de notre famille, nous avons obtenu la moitié de cet ouvrage. Cette recherche, nous l'avons entamée à l'ombre de la première équipe de Folklore-Aude, — c'était pendant l'hiver 1937-1938 (1) — puis élargie à la fin de 1949. Divers conteurs nous ont été signalés et d'autres se sont offerts spontanément, certains, à cette heure, n'ont pu être contactés. Notre enquête, d'ailleurs, demeure ouverte.

Elle porte sur cinq communes seulement, toutes en Languedoc : Bélesta « des Peignes » en Ariège, Rivel « des Comportes », Puivert « des Flûtes », Nébias et Coudons, dans le département de l'Aude, l'essentiel provenant de Puivert- Nébias, deux villages du même plateau, à 470-530 mètres d'altitude. C'est ici une région passante, entre Aude et Hers Vif — Petites Pyrénées, couloir sub- pyrénéen des géographes, grand-route 117 de Perpignan à Bayonne — et nul- lement archaïsante au premier abord. Cependant, au pied de ces splendides forêts, Callong... Picaussel... Bélesta, surtout dans les hameaux, bien des traditions ont cherché refuge.

Lambert avait, en son temps, recueilli quelques récits à Bélesta. Mme Tricoire, M. Adelin Moulis explorent également ces hauts pays de l'Hers. Hier encore,

(1) René Nelli était notre mentor.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 11: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

M . Ch. Joïs ten effectuait un sondage heureux dans le p a y s de Foix. I l faut avouer que tous nos conteurs ne sont po in t originaires de ces villages, deux d 'entre eux viennent de la vraie montagne, du pays de Saul t . S i l a contrée explorée p a r a î t à d 'aucuns restreinte, i l est bon de rappeler que les f ameux Contes de Lorraine de E . Cosquin f u r e n t à peu près tous collectés dans le seul village de M o n tiers- su r -Sau lx , en Barrois , à l a lisière de la Champagne. E t qui oserait contester leur titre ?

M ê m e si l a langue d ' O c est première dans ces monts, depuis les Corbières décharnées jusqu ' au ver t p a y s des fougères et des gaves, le folkloriste serait bien audacieux qui oserait recueillir hâtivement des contes en des secteurs différents de cet axe. A v r a i dire, cela n 'est p a s impossible, mais on risque de tomber « ex abrupto » chez l ' hab i tan t et d'éveiller en lui une méfiance f o r t naturelle, ou de passer t rop vite, laissant, p a r le champ, des gerbes entières — et non pas des g la- nes — après soi. E n tout cas, c'est le fils, resté l ' ami du paysan , plus que l 'ethno- graphe , qui a sollicité directement les vieilles mémoires.

Trop souvent, nous n 'avons rencontré que des « ombres » : Feu un tel « en » savai t . . . Le conteur a seulement laissé après lui quelques titres, quelques gestes expressifs, quelques bouts-rimés. Avec ces défunts, nous retrouvons, dans le bon vieux temps, le tai l leur de casquettes et le vieux tisserand, et l a bisaïeule qui p rena i t ses repas sur l a chaise basse, toujours a u coin du feu , comme le « Cendras- sas » de ce recueil, et l ' intarissable vétéran des campagnes du Second Empire. O n a beaucoup p a r l é de l i t térature de colportage, mais le colporteur, peu ou p r o u illettré, é ta i t conteur à son tour. Périodiquement, et toujours chez les mêmes bonnes gens, revenai t le mendiant, le septpsa lmaïre ; i l ava la i t sa port ion de milhas , p a y a i t à sa façon et dormai t sur l a paille à l'étable.

D 'au t res conteurs sont trop vieux : malades ou amnésiques. Ou bien la verve est tarie. Nous sommes loin de Schéhérazade, car i l ne f a u t pas dissimuler l a chose, les grandes traditions ne sont plus. Mais , on trouverait des récits analogues dans presque tous les villages de ce massif. E n tout cas, les tombes sont tellement f raîches qu'ici et l à survit, encore vigoureuse, l a technique du conte populaire. Folkloriste e t lecteur en jugeront .

D e vingt à quatre-vingt-dix ans, nous connaissons une vingtaine et p lus d 'hérit iers des vieux bardes, tous paysans, du reste ; à peine un ou deux illettrés. P lus d'hommes que de femmes, le conte n ' é tan t p a s l ' apanage des seules grand-mè- res. M a i s souvent les hommes sont a u x champs. Ils ont un quasi-monopole, celui du genre burlesque ou gaulois. S i le cycle de la niaiserie appar t ient aussi a u x dames, les satires contre les curés et les moines — « revanche de la dîme » — relèvent de l ' audace masculine.

P a r m i les dames, toutes d ' un âge respectable, nous devons quelques récits

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 12: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

à Mmes Bennes, l 'aïeule nonagénaire (1) et sa belle-fille, et Sicre ; sur tout à

technique de Mmes Cassagneau, Siffre et de ma grand-mère Lauren t , née en 1872. Chez les conteurs, nous citerons M M . A. Espy, L. Boulbes, E . Peille, J . Gougaud, P . Renoux, J . Rivals, I . M a u g a r d , M . Ferr ier , et les meilleures mémoires : A. Delpech, B. Sadourni , J . M a u g a r d et les f rères A . et J . Serret . A u total quelque quatre-vingt-dix versions de contes magiques (2) ; sept p e r - sonnes connaissent tout ou pa r t i e de six à treize récits, certains conteurs très sobres, d 'autres volontiers créateurs, capables d' improviser au tour des thèmes revenus en mémoire, ce qui n'exclut n i réelle précision n i honnêteté quan t a u détail et aux enchaînements des épisodes. Tout cela est relatif , ca r il y a des sujets qui exigent la concision et d 'aut res qui seraient insipides n 'é ta i t l ' appor t d ' un ingénieux dépositaire. L a prose peut var ier si le thème ou la t rame, la formule, la répétition sont choses supérieures et transmises.

Une révélation pour nous, ce f u t d'écouter le benjamin M a r c e l Fer r ie r ; il possède cette lenteur dans la mise en action et dans le débit, cette autor i té qui préparent l 'auditoire à l a part icipat ion. E t cette sobriété : alavetz, p a r d i — alors, évidemment — qui propose le merveilleux comme un chapitre du réel de la façon la plus naturelle qu' i l soit donné d'imaginer. Agréable surprise, il chante les part ies rimées. Dans le mouvant du conte, ses variat ions doivent être infimes, tan t il possède sa matière et son a r t ; en un mot : un g r a n d conteur.

I l y a des cas-limites. Le conteur est un être à la mémoire très développée, capable de retenir exactement un récit après une ou deux auditions seulement : J ean de Calais f u t f ixé dans ces conditions et p a r un adolescent de quatorze ans. En général, lorsque le na r ra t eu r connaît bien ses épisodes, il change assez peu de mots et débite d 'un trai t . Fréquemment, aussi, l a machine est rouillée, il f a u t repenser — espicular — tout cela, et donner le récit en famil le a v a n t de le laisser sténographier, retrouver les articulations délicates, la formule-clé chère au magique aidant. Un famil ier peut « dépanner » l 'exécutant ; t an t il est de sen-

tiers convergents dans la l i t térature orale, si voisins sont les thèmes que l 'on glisse inconsciemment de l 'un à l ' au t re , et ces errements, sans être nombreux, sont légitimes, de Jean de l 'Ou r s au Coucou , de Sain te G e r m a i n e à Sa in te Brigi t te , du Roi des Poissons à G a r a que tombi ! . . .

I l est fast idieux de noter toutes les versions d ' un conte, surtout lorsque le conteur possède mal son récit. S i un détai l a quelque intérêt p o u r le folklore, titre, par t icular i té du héros, épisode significatif, on peut l 'obtenir immédiate-

(1) Nonagénaire et sourde « comme la chouette », coma una cabecca. (2) Nous devons à la gentillesse de notre ami M. Urbain Gibert, instituteur à

Lauraguel (Aude) et collaborateur de Folklore, deux contes par lui recueillis dans ses Corbières natales : Jean-Petit. Roi de France et le Filleul de la Mort.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 13: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

ment, car qui ne sait plus l 'histoire la résume en quelques instants avec cette médio- crité qui est le propre de l'épuisement. L a quanti té cependant est chère à toute nomenclature et celle-ci a son utilité.

Certains récits ne nous ont été dits qu'une seule fois. Sont-ils venus d'ailleurs ? Comme telle, la question n ' a pas de sens. Les contes sont de pa r tou t et de nulle p a r t , mais ils présentent sur certaines aires des aspects particuliers. Des thèmes ont été modifiés p a r des apports extérieurs. Des pressions ou des modes ont con- taminé la plus ancienne matière. J ean de Calais n'est-il de nulle p a r t si Calais est le nom de quelques dizaines de localités en France ? L ' imprimé a - t - i l pa r tou t vulgarisé le nom, mais sans altérer un thème très ancien? Cette possibilité ne doit p a s être exclue. Pourquoi ne demeurerait- i l plus quelque chance d'exhumer çà et là des restes de « Folklore N a t u r e l » pour reprendre une expression du g r a n d M a î t r e du Comparatisme, M . Georges Dumézi l? P a r delà le f a t r a s des récits abâtardis , déracinés ou croisés, la molécule à retrouver, l'oiseau bleu, le conte dans sa naïveté première ! Symbolisme. Utilité sociale. Création du rêve...( 1)

Dans notre coin, certains récits sont donnés plus fréquemment que d 'autres : L e Roi des Poissons, avec la Bête à sept têtes, la M o n t a g n e Noire , Verte ou Rouge , et encore J e a n de l 'Ours . Des récits comprenant des éléments semi- burlesques ont plus de chance de survivre que ceux qui sont riches d 'un sym- bolisme perdu. Le C h a r b o n n i e r est aussi populaire que Jean de l 'Ours . Pigeon- ne t t e b lanche et Ga ra q u e tombi ! glissent dans l'oubli, l 'un à cause de Per rau l t et de Barbe-Bleue , l ' au t re parce que la P e u r a disparu des campagnes. I l n'est plus dans l 'usage d 'effrayer les enfants et les adolescents.

A u comparatisme de rechercher p a r delà les influences et les interférences la ou les formes simples qui ont des chances d'être les plus anciennes d 'un conte donné. Ce t rava i l critique est délicat et immense. L a classification Aarne- Thompson aidera le chercheur à travers ces labyrinthes du merveilleux où réson- nent encore les pas de Si r James G. F r a z e r et de bien d'autres. Avec les contes populaires, nous entrerions p a r la grande porte dans le Folklore occidental et universel, si seulement la clé n 'é ta i t perdue. I l n 'y a pas de « Sésame, ouvre-toi! » qui la puisse remplacer, notait , hier, le meilleur connaisseur de ces très vieilles choses de France.

Que si, pour certain auditoire, le contenu importe moins que la façon de conter, on peut prévoir que le conte mourra, non pas du manque de mémoire de nos ru raux — il n'en f a u t pas tellement pour retenir dix lignes, ce à quoi se ramène une histoire merveilleuse — mais du dédain de la jeunesse pour des récits dont

(1) N ' a - t -on plus le d ro i t de p a r l e r de « m y t h e » ? On préfère le m o t « Légende ». Q u a n t à nous, nous avons cherché du côté d ' u n m y t h e de fécondi té le sens du Conte de Sainte Germaine : Sa in te Germaine . Conte, légende, mythe . (Folklore, 1952, n° 67, p. 25 .)

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 14: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

le sens es t l o i n t a i n , m a i s de l a f i n des ve i l lées e n n o m b r e a u t o u r d ' u n v i e i l l a r d

i n s p i r é e t , p a r t a n t , d e l ' a f f a i b l i s s e m e n t d ' u n e f o n c t i o n essen t ie l le c h e z ce lu i - c i ,

l ' i m a g i n a t i o n c r é a t r i c e d u d i a l o g u e . C e r t e s , on n ' a p a s d é d a i g n é d a n s le p a s s é

les d é t a i l s p r é c i s e t p r é c i e u x . D é s o r m a i s , s i l ' o n s a i t m a l v i v i f i e r u n e h i s t o i r e ,

i l n ' e s t p l u s i n t é r e s s a n t de l a d i r e . L a t e c h n i q u e s ' e n f e r m e r a e t s ' é t i o l e r a i n é v i -

t a b l e m e n t d a n s le p e t i t m o n d e de l a f a m i l l e e t le v o i s i n a g e l ' i g n o r e r a . T a n t le

con te ne v a u t que p a r u n a r t p r o p r e , e t a v a n t t o u t c e l u i d u d r a m e d i a l o g u é e t c e l u i de l a b o u t a d e .

C a r i l f a u t c h a r m e r , é d u q u e r , é g a y e r , é t o n n e r l ' a u d i t e u r . O t e z le ce rc le des

p a r t i c i p a n t s e t l ' a r t n e t i e n t p l u s . S t y l i s a t i o n , r é p é t i t i o n e t s o b r i é t é s o n t d e r èg l e .

L a s u r p r i s e es t d a n s les obje ts d ' o r , e t d e v e r r e a u s s i en ce p a y s , d a n s le so le i l

q u i se lève a u c o u c h a n t , e t d a n s l ' â m e h u m a i n e q u i d e v i e n t c o r b e a u . M a i s l a

s u r p r i s e en c o n c l u s i o n ? d i r e z - v o u s . C a r on s a i t d ' a v a n c e c o m m e n t le c o n t e

f i n i r a . P a s e x a c t e m e n t , s i l ' o n es t f a c e a u n a r r a t e u r . S a m a n i è r e e t s a f i n a l e

s o n t bien à lu i . Q u ' i m p o r t e le f e s t i n s i « l ' o n n e m ' a p a s d o n n é le m o i n d r e f r o m a g e de l a i t d e brebis » ? E t ce t t e a u t r e : « P r ê t e z l ' o r e i l l e , les cu i l l e r s t i n t e n t encore . »

U n e i n c o n g r u i t é à l a f i n d u C h a r b o n n i e r F o u a c e — l a v e r v e m é r i d i o n a l e e s t

a u d a c i e u s e e t i n t r a d u i s i b l e . — A i l l e u r s , ce r a p p r o c h e m e n t i m p r é v u :

E t d e p u i s c e t e m p s - l à , le R o i r è g n e e n s a C o u r , e t l e P o r c r è g n e ( g r o g n e ) e n s a C o u r t i l l e .

D a n s le d o m a i n e d u m e r v e i l l e u x , l a m u t a t i o n es t o u d e v r a i t ê t r e d e règ le .

P e t i t T h é o d o r e (1) s o r t i t d u b û c h e r a v e c u n h a b i t c o u l e u r d e s o l e i l ; s a i n t J e a n

a l l u m a u n g r a n d f e u , l ' é t é , f i n d ' a p r è s - m i d i , m a i s n o u s n ' a n t i c i p e r o n s p a s s u r

ce q u ' i l a d v i n t . I l y a l à m é t a m o r p h o s e i m m é d i a t e , d ' o r d r e s u r n a t u r e l c o m m e i l

ex i s t e u n m a g i q u e r a i s o n n é , r i t u a l i s t e , i n t é re s sé , c e l u i des m a g i c i e n s o u des m é d i a -

t e u r s , c e l u i q u i se p r é s e n t e a i n s i : « T u f e r a s — ou t u d i r a s — cec i o u ce la . »

E t ce m e r v e i l l e u x - c i p e u t m a n q u e r son ef fe t , s i l ' o n d e v i n e p a r t r o p l à où l ' o n

v e u t en v e n i r . L a s i m p l i c i t é ou l a p u r e t é d u f a i t m a g i q u e , v o i l à q u i p o u r r a i t dé f in i r l ' o r i g i n a l i t é d ' u n con te .

D e s exp re s s ions a r c h a ï q u e s ou à d e m i désuè t e s , i l s ' e n t r o u v e d a n s b ien des

r éc i t s , i n h a b i t u e l l e s p o u r le co l l ec t eu r , s u r t o u t s ' i l e s t d é r a c i n é , m a i s s a n s excès .

A q u e l m o m e n t f a u t - i l r a n g e r u n m o t d a n s l a r u b r i q u e des a r c h a ï s m e s ? L a g é n é -

r a t i o n née a v a n t 1 9 0 0 t r è s s o u v e n t en c o n n a î t le sens e t enco re l ' u s a g e . L ' e m -

b a r d a est le b â t , le v i e l h - a r d a es t l a m é g è r e m a g i c i e n n e , r e b o n d r e e s t e n t e r r e r .

O ù es t l a f o r ê t d ' A l z è n a ? P a r t o u t , c o m m e l a f o r ê t d ' A r d e n n e s . Q u ' i m p o r t e le

sens e x a c t d e L h a r a s s a s , l ' é p i t h è t e de n o t r e C e n d r i l l o n , « sou i l l on d u f o y e r »,

s i l ' i d é e p é j o r a t i v e es t enco re sen t i e . L a l a n g u e es t e n g r o s cel le d e c h a q u e j o u r ,

n o u s n ' a v o n s p a s v o u l u l a r e n d r e en u n f r a n ç a i s d i a l e c t a l ou v i e i l l o t . D ' a i l l e u r s ,

(1) Le Petit Théodore est le héros d'une version très altérée, que nous ne donnons pas dans ce recueil. Il accomplit quelques-uns des exploits que l'Antiquité attribue à Hercule.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 15: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

Jésus, la Sa in te Vierge, le Ro i aussi, peuvent pa r le r en oïl, le langage noble p a r opposition à celui des cul-terreux du Midi.

I l arr ive que le conteur ignore le sens d 'un mot : la draguessa, la femme de l 'ogre — la dragonne (1) — Cela est p lu tô t rare. Le nom de l'épée, espasa, pour tan t , n'évoque plus rien, depuis l 'ère du t rabuc . Pourquoi par le r d 'arc , d'épée, de flèches à notre époque ? L'anachronisme est nécessaire, comme lié à la transposition des récits dans le temps. Pareillement la localisation dans l'es- pace. Homère savai t cela.

Le titre même du conte est parfois f lot tant . Qu' importe si l 'on obtient d 'autres renseignements plus utiles à la recherche comparée.

E t quand l'ensemble est réussi, on dit, f au t e de mieux, que le conte est joli.

Le conte s'éloigne. Le sauver de l 'oubli est une joie sans doute, mais nous avouons un remords, celui que nous éprouvons à livrer à des profanes, à des cita- dins, à des lettrés, ou qui se disent tels, alors qu'ils ignorent ce monument du vieux temps — le passé ora l — en un mot les mal-pensants du conte, ces récits venus à nous p a r une chaîne de générations. E t pour tan t l 'humanité a eu son enfance, les religions une préhistoire et les citadins sont fils de terriens. E t tous, nous avons été enfants :

Tout l ' idéal vient d'enfance et s'use à vieillir.

ALAIN, Les Dieux, I , x.

F ixer ces histoires p a r l 'écrit, c'est un peu les détacher de leur vie, les a r r a - cher à la terre occitane pour les je ter dans cette mer, où ils ne feront pas figure d 'étrangers toutefois, les Contes de France. Signer un arrê t de mor t? Loin de nous ce pessimisme! Nous avons vu des garçonnets écouter religieusement le grand-père. Ils savent ces histoires, leur tour viendra de les dire. I l survivra des contes populaires encore en l ' an 2000. Mai s combien, et lesquels?...

Doit-on rester enfant, redevenir paysan, se donner une pesante érudition, se proclamer surréaliste, pour goûter le merveilleux? Nous ne le pensons pas . I l n'est que de savoir regarder l'insolite avec des yeux soumis et pas seulement des yeux d'enfants. D'ailleurs, l ' a r t pr imi t i f s'est singulièrement rapproché de nous. Regardez Lurçat . E t Walt Disney. Le rêve et le symbole ont leur place à côté des grandes préoccupations matérielles de ce temps.

(1) La draga est encore une fée en Ariège.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 16: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

Il y a quelque part trois chemins dans ce livre. Le héros atteint un carrefour d'où partent des routes vers trois mondes, le Ciel, le Purgatoire et l'Enfer. En cet endroit critique, le conteur peut faire apparaître la Vierge ou la vieille femme décrépite portant fagot de bois. On devine aussi, bien que le conte ne les nomme pas, ces entités qui n'ont pas eu de jambes et doivent rester là pour ser- vir ceux qui en ont, les Compitales Lares. Ces trois directions existent pour le lecteur.

La rocaille, ou la damnation, est au bout de toute recherche négative et punit le mal-pensant ou encore le critique incapable de s'élever au delà des extérieurs du conte. Un moindre châtiment, un sentier bordé de mille fleurs, toutes à por- tée de la main, mais qui se dérobent lorsqu'on veut les cueillir, attendent celui qui commet le péché mignon de rechercher à partir de là l'explication de certains symboles. Cette tentation de tourner les clés de la symbolique ancienne est légi- time, mais il y a par ce chemin trop de pièges et de mirages. Ne sortira jamais du palais du Minotaure celui qui suivra, au lieu d'un, deux et trois fils. L'enfant, lui, est sauvé, qui, d'emblée, emprunte la troisième, la bonne direction, celle qui lui tend les bras, « le Vrai des Contes ».

GASTON MAUGARD. Nîmes, octobre 1953.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 18: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

PREMIÈRE PARTIE

LE

M E R V E I L L E U X A N T I Q U E ou

LES MÉTAMORPHOSES

" Tout ce que les dieux veulent s'accomplit à l'instant. "

OVIDE, Les Métamorphoses, VIII, 6.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 20: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

I

LE CONTE DU ROITELET

L était une fois un veuf qui vivait avec ses deux fils. C'était un maître chasseur, un heureux chasseur, cependant il n'avait ja- mais eu la joie en sa vie de tuer un roitelet. C'était là son ambition.

Or il advint qu'un jour, grâce à Dieu (1), il tua le roitelet de ses rêves.

Il s'arrêta de chasser et rentra au logis, tant il lui tardait de se régaler. Il pluma l'oiselet, le vida et disposa braise, gril et roitelet. Ensuite, pour bien faire les choses, il descendit à la cave choisir une bouteille de son meilleur vin.

C'était tout le menu : qualité remplace quantité. Pendant qu'il s'attardait en bas, ses deux garçonnets, au retour de l'école, entrèrent dans la cuisine et éventèrent le rôti. Ils s'en

saisirent aussitôt : l'un tira l'oiseau par les cuisses, l'autre par la tête, une maigre bouchée pour chacun.

(1) Per un voulé de Dius, en Oc.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 21: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

Le père était revenu de la cave et cherchait en vain cette pièce royale.

— Mes enfants, venez par ici. J'avais mis le roitelet sur le gril. Il a disparu. Serait-ce le chat?

— Votre roitelet, nous l'avons mangé, père. Le chasseur entra dans une violente colère et poursuivit

les enfants.

— Gloutons, je vous tordrai le cou. Les garçonnets, étonnés et effrayés, prirent la fuite et

disparurent dans les bois. Ils étaient las de marcher, la nuit tombait. Ils demandèrent

asile en une demeure isolée. De bonnes gens habitaient là et, comme par hasard, ils avaient deux garçonnets, sensible- ment plus âgés.

— Allons, nous nous devons de leur accorder l'hospita- lité pour la nuit, dit le père.

Les maisons d'autrefois étaient petites et le mobilier très réduit : il n'y avait donc que deux lits. Aussi, les quatre garçons partagèrent-ils la même couche, les fils à la tête, les fugitifs au pied. Au matin quelle ne fut pas la surprise de l'hôtesse en découvrant une bourse de cent écus sous un oreiller!

(C'était précisément à la place du garçonnet qui avait mangé le cœur du roitelet.)

— Mon Dieu ! père, viens vite! cria-t-elle. Le mari accourut. — C'est une chose grave, dit-il. Ces enfants ont certai-

nement volé cette somme à leur père et celui-ci les a chassés. De toute façon, s'il vient, nous lui rendrons l'argent.

Les quatre enfants jouèrent tout le jour qui leur parut bien court ; les garçonnets passèrent une deuxième nuit dans

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 22: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

la maison hospitalière et le lende- main la maîtresse de maison trouva de nouveau cent écus.

— Cette fois, dit-elle, pas de doute : l'un d'eux a un don. Mon homme, gardons ces enfants avec nous.

Ainsi firent-ils. Les enfants

adoptifs furent choyés comme les autres, on ne faisait aucune diffé- rence entre eux et les hôtes bientôt devinrent très riches.

Quelques années passèrent, les enfants grandirent et maintenant parfois des querelles survenaient entre eux, mesquines mais passionnées.

— Nous sommes les maîtres ici, disait le fils aîné. — Nos parents vous ont hébergés par pitié, et ils vous

aiment maintenant autant que nous-mêmes, disait l'autre. Pourtant il nous appartient de commander à la maison.

Les parents grondaient leurs fils car ils aimaient également les quatre enfants, mais les aînés faisaient, sans cesse, valoir leurs droits (1). Tant et si bien que les intrus décidèrent de partir, à cause de ces jalousies d'enfants. La mère adoptive se fit un devoir de les prévenir.

— L'un de vous a un don, leur confia-t-elle : chaque matin, je trouve cent écus sous votre oreiller. Voici l'argent qui vous revient, chers enfants.

Mais ils ne voulurent accepter qu'une seule bourse.

(1) L'idée « droit d'aînesse » existe en Oc comme en français, mais non l'expression équivalente.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 23: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

— Le reste sera pour vous, bonnes gens. Au revoir, dirent- ils. Et les voilà partis.

Ils cheminèrent vers la ville. Or, ce jour-là, il y avait une affluence extraordinaire. Pourtant, ce n'était pas jour de mar- ché. Sur la grand-place, un spectacle inattendu s'offrit à leurs yeux. Un long cortège défilait lentement sous un arc de triom- phe qui supportait la couronne royale. Bien entendu, personne ne devait, au cours du défilé, toucher cet objet sacré. Qui plus est, cette couronne était merveilleuse et devait d'elle-même se poser sur la tête d'un des sujets. L'heureux élu devenait roi.

Les deux enfants, qui n'avaient jamais entendu parler de cette coutume, prenaient plaisir à ce spectacle. La foule devant eux s'écoulait lentement, religieusement. Tous les habitants défilèrent sous la couronne, mais celle-ci ne vint coiffer aucune tête.

Une communauté ne peut se passer d'un roi (1). Pour recommencer le défilé, hommes, femmes et enfants

ne se firent pas prier. Une femme aperçut les deux curieux, elle leur cria de faire

comme tout le monde et de prendre place dans la file. Les deux inconnus suivirent donc le flot humain. Enfin

ce fut leur tour d'arriver sous l'arc de triomphe. L'un des deux passa, la couronne ne bougea point, mais lorsque le deuxième se présenta, à l'étonnement général la couronne oscilla lentement et vint le coiffer. Il y eut des protestations. N'était- ce pas l'effet du hasard? Il fallut recommencer. Evidemment chacun s'attardait mais en vain. Puis vinrent les deux étran- gers, la couronne échut de nouveau au deuxième. Il fut aussitôt salué et proclamé roi.

(1) Rey, ne cal un : un roi est chose nécessaire.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 24: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

L a n o u v e l l e e n v i n t à t o u t e s l e s o r e i l l e s . L e c h a s s e u r l ' a p -

p r i t e t r e t r o u v a s e s e n f a n t s . C o m m e n t a v a i e n t - i l s v é c u d e p u i s

l e u r d é p a r t ? L e s e n f a n t s s e s o u v e n a i e n t d ' a v o i r é t é c h a s s é s

d e l e u r m a i s o n à c a u s e d u p r é c i e u x r o i t e l e t .

E t i l s c o m p r i r e n t a l o r s q u ' i l s a v a i e n t m a n g é l ' o i s e a u m e r -

v e i l l e u x d o n t o n s a i t s e u l e m e n t q u e c e l u i q u i e n m a n g e l a

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 25: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

tête devient roi, que celui qui en mange le cœur trouve cent écus chaque matin sous son oreiller.

On fit venir les bonnes gens qui les avaient hébergés. Tous festoyèrent longuement et joyeusement et vécurent riches et heureux tandis que je suis obligé de travailler chaque jour.

Je passe par mon pré, Mon conte est terminé.

Conté par mon père. Noté en 1950, à Campbonnaure-Puivert (Aude).

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 26: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

I I

LE RUSÉ VOLEUR

N père avait quatre fils. Dès que ceux-ci furent en âge d'apprendre un métier, il s'en sépara, les expédiant tous quatre en même temps vers les bourgades voisines. Il leur dit :

— Il faut vous débrouiller, mes enfants. J'ai pris soin de vous pendant bien des années, maintenant je décline. La mort

me sera plus douce lorsque je vous verrai gagner honnêtement votre pain. Allez et demeurez quelques années en apprentis- sage, après quoi vous reviendrez vous installer au village.

L'aîné partit le premier, comme il se doit. Il rencontra un vieil homme et lui demanda s'il ne connaissait pas d'ar- tisan qui voudrait d'un débutant. En ce temps-là, les contrats d'apprentissage se passaient oralement, en quelques mots.

— J'ai la possibilité de t'embaucher, mon garçon. — Que faites-vous? — Je suis astronome.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 27: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

— Que m'apprendrez-vous ? — A savoir regarder. Au bout d'un an et un jour, je

te donnerai en paiement des lunettes telles que tu apercevras avec elles le visible et l'invisible.

— A la bonne heure! Le cadet marchait de son côté. Assez loin, il engagea

conversation avec un homme. — Je cherche un patron. — J'ai besoin d'un serviteur. — Pour quel métier? — Je suis chasseur. — Cela ne me déplairait point. — Tu auras la nourriture, mon enfant, puis à la fin de

l'année je te donnerai une arme telle qu'elle abattra tout ce que tu viseras.

Il suivit donc cet inconnu. Le troisième cherchait quelque honorable métier. Par

l'ironie du sort, il tomba sur un truand. — Je voudrais entrer en apprentissage. — Il me faut un garçon plein de qualités. — Pour quel travail? — Je suis un rusé voleur. — Ce n'est pas de tout repos! — Au bout d'un an, si tu en es digne, je t'enseignerai

tout l'art de voler sans se faire pincer. Et il resta. Le quatrième rêvait d'un travail sédentaire. Un homme

accepta ses services. — Que me faudra-t-il faire? — Je suis tailleur et, si tu fais mon affaire, je te donnerai,

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 28: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

dans un an, une aiguille extraordinaire. Avec elle, tu pourras coudre et recoudre le bois, le fer, n'importe quoi.

— Marché conclu, je reste avec vous.

Les quatre goujats (1) étaient de retour au village natal après une année seulement, plus tôt qu'ils ne l'avaient envisagé au moment du départ.

Le père fêta leur arrivée, puis après quelques jours, il leur dit :

— Un an d'apprentissage, c'est peu. De mon temps, c'était plus long et plus sérieux. Enfin je veux croire qu'on vous a appris quelque chose. Quel est votre métier, garçons, si encore vous en avez un?

— Mais oui, père. — Toi? — Je suis astronome. — Un métier de misère! — Et toi? — Chasseur, et même grand chasseur. — Un métier de fainéant. — Toi? — Rusé voleur. — Ciel! A-t-on idée d'apprendre un tel métier! — Et toi? — Tailleur. — Passe encore! Il fallut un jour entier au père pour réaliser la situation.

(1) Garçons, sans nuance péjorative.

Retrouver ce titre sur Numilog.com

Page 29: Retrouver ce titre sur Numilogvieux temps, le tailleur de casquettes et le vieux tisserand, et la bisaïeule qui prenait ses repas sur la chaise basse, toujours au coin du feu, comme

Toutefois il réunit ses fils dès le lendemain et leur dit : — Je veux vous éprouver. Et se tournant vers l'aîné :

— Tu es astronome, dis-tu, tu es astronome, mais je n'ai que faire des étoiles. Dis-moi plutôt ce que tu aperçois sur le faîte de cet arbre là-bas.

L'autre avait sa lorgnette. — Il y a un oiseau qui couve. — Tiens! tiens! fit le père. Rusé voleur, es-tu capable

d'aller jusqu'au nid et de rapporter les œufs sans donner l'éveil à la mère?

Le troisième fils grimpa à l'arbre avec aisance ; il approcha du nid sans bruit, le perça par-dessous et redescendit avec les œufs. La couveuse n'avait pas bronché.

— Voici, père. Cependant les deux autres ne voulaient pas être en reste. Le tailleur avait relayé son frère dans la ramure et, pour

que l'oiseau ne s'avisât de rien, il avait recousu et rafistolé les branches et le nid. Mais le chasseur était à l'affût, il siffla et l'oiseau s'envola ; une flèche l'abattit, droit au cœur.

— Je suis content de vous, dut convenir le père.

Or, à quelque temps de là, les jeunes maîtres trouvèrent entreprise digne de leur génie. Le Roi avait perdu sa fille. La princesse n'était pas morte, elle avait été enlevée et per- sonne ne savait en quel lieu on la retenait prisonnière. Le souverain fit annoncer partout qu'il donnerait son enfant en mariage à celui qui la ramènerait au palais.