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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 375–393

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

À propos de. . .

Paranoïa, terrorisme et folie.À propos de. . . « 2083 » d’Anders Behring Breivik.

À propos de. . . « Lecons sur les délires chroniques etles psychoses paranoïaques » d’Henri Ey�,��

Patrice Belzeaux (Psychiatre psychanalyste, Président du Cercle deRecherche et d’Édition Henri Ey, CREHEY) ∗

CREHEY, 2, rue Léon-Dieudé, 66000 Perpignan, France

Les Lecons du mercredi sur les délires chroniques et les psychoses paranoïaques de Henri Ey [1]sont d’un secours irremplacables face à un cas aussi difficile à diagnostiquer que celui du terroristenorvégien Anders Behring Breivik (A.B.B.), auteur de l’attentat du 22 juillet 2011 et de la tueriequi s’en est suivie faisant 74 victimes donc 69 jeunes militants travaillistes assassinés froidementsur l’île d’Utuoya et 150 blessés au total. On a vu, en effet, se succéder à la barre deux groupesd’experts psychiatres qui, peut-être sous la pression de la foule qui pesait pour une sanctioncarcérale et refusait l’idée d’un internement psychiatrique – se sont complètement contredits : lepremier groupe diagnostiquait un délire paranoïde en rejetant, à partir des critères de la CIM-10 tout délire paranoïaque, le deuxième groupe constatait au contraire une absence de délire, maisdécrivait des troubles de la personnalité de type paranoïaque, narcissique et antisociale ; un 3◦expert qui n’a pas examiné directement A.B.B. a fait un diagnostic encore différent, en qualifiantA.B.B. d’autiste type Asperger et « peut-être délirant » (sic). . .

Devant un tel cas et une telle barbarie, la psychiatrie doit absolument se défendre devant deuxécueils : d’un côté, assimiler le crime, surtout lorsqu’il est particulièrement odieux, à la folieet de l’autre, occulter cette même folie sous les foisonnements idéologiques des groupusculespassionnés extrémistes. Pour résister à ces deux tendances spontanées, il faut une conceptiontrès ferme de la folie telle que nous l’a enseignée H. Ey particulièrement dans les Lecons du

� « 2083 » d’Anders Behring Breivik a fait l’objet d’une présentation partielle lors du colloque de l’Alfapsy à Montpellierles 26 juin–5 juillet 2012.

�� Ey H. Lecons sur les délires chroniques et les psychoses paranoïaques Perpignan : Crehey ed. ; 2010, [1].∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2014.02.0040014-3855/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

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mercredi. . . qu’il donnait à Ste Anne dans les années 1960 à propos des délires chroniques et despsychoses paranoïaques. Nous insisterons particulièrement sur ces dernières et nous verrons laconception qu’Henri Ey s’en faisait en la confrontant à la conception de Karl Jaspers (1910–1913)[2] et de Jacques Lacan dans sa thèse de 1932 [3].

Curieusement, les psychiatres francais ont été assez silencieux dans les média alors même que lecas est un cas d’école qui soulève beaucoup de questions cliniques1 : qu’est-ce qu’un délire versusune idéologie ? Qu’est-ce qu’un délire paranoïaque versus un délire paranoïde ? Le délire para-noïaque est-il le simple prolongement par intensification de la personnalité paranoïaque ? Quellessont les caractéristiques cliniques et phénoménologiques du délire paranoïaque ? Que devient ledélire paranoïaque dans la psychiatrie post-DSM ? Les nouveaux comportements sociaux boule-versés par les réseaux sociaux et l’Internet ont-ils bouleversé aussi la clinique des délires ? Lesnouvelles facons de penser, en particulier les théories conspirationnistes, les théories des inva-sions et soumissions occultes des européens par l’islam culturel (Théorie de l’Eurabia) et lesnouveaux comportements terroristes des « loups solitaires » (« Lone Wolf »), ont-ils modifié lesdiagnostics psychiatriques et/ou ont-ils fait bouger les frontières de la psychiatrie dans son rapportà l’Idéologie ?

Aucune de ces questions n’a été soulevée dans les comptes rendus des médias : la psychiatrieest passée au début en arrière-plan, car les médias – c’est ce qui était frappant dès les premierscommentaires mais aussi dans la suite – ont été surtout occupés à rechercher et retranscrire lesanalyses des chercheurs en études stratégiques (Cf. P. Huygue), où à interroger les spécialistes del’extrême droite (Cf. J.-Y. Camus) du moins en France, plutôt que d’interroger les psychiatres. Or,la psychiatrie est revenue en force avec l’expertise et malheureusement au travers d’un regrettableratage expertal, si bien que les journaux ont pu titrer « Le procès Breivik devient le procès de lapsychiatrie ». . .

Nous allons donc examiner tout ceci en nous tenant au plus près des enseignements de H. Eysur les délires chroniques et les psychoses paranoïaques. Ce n’est pas un des moindre paradoxede constater que ce que l’on considérait comme le maillon le plus faible de la clinique et lapsychopathologie de Ey – brillant dans les psychoses aiguës qui constituent le 3e tome de sesÉtudes psychiatriques [4] – est devenu un recours tout à fait essentiel pour ce cas si préoccupant.Nous allons le montrer au fur et à mesure.

1. Le contexte Politique

Plusieurs auteurs, chercheurs référencés parmi la masse des informations d’inégales valeursque l’on peut lire ou recevoir par les journaux en ligne, nous renseignent sur les fracturesfondamentalistes religieuses, géopolitiques et stratégiques qui sont en train de se dessiner enEurope en particulier face à l’Islam radical si ce n’est face à l’Islam culturel. Je citerais volontiersPierre Huygue, chercheur associé à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques,l’IRIS ; également Jean-Yves Camus, politologue francais, spécialiste de l’extrême droite2. Eux

1 W. Kapsambelis a fait une communication au Congrès de l’Encéphale à Paris peu après l’attentat (non publiée à cejour).

2 24/04/12 émission « podcast » sur France Culture Jean-Yves Camus dialogue avec Vibeke Knoop Rachline, corres-pondante en France du quotidien norvégien Aftenposten. J.Y Camus déclare un intéressant point de vue peu souvent émis :il dit en substance : « si A.B.B. revendique d’être jugé et condamné comme une personne saine d’esprit, je ne vois paspourquoi on irait démontrer qu’il est fou et lui épargner la sentence. . . ». (La fin du procès condamnant A.B.B. à la prisonferme plutôt qu’à l’hôpital psychiatrique, montre qu’il voyait juste. . . comme le jury norvégien. . .).

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et bien d’autres ne peuvent que constater la montée de ce qu’ils appellent une « idéologie folle »issue des partis d’extrême droite dans tous les pays d’Europe en particulier d’Europe du Nordet comme l’écrit Humberto Ecco d’un Ur-fascisme défensif face à une croyance : il y aurait uneintention tenue secrète de l’Islam ou un pacte, le « complot des élites » (pétrole contre émigrationdatant de 1973) dont le but est d’envahir en quelques décennies l’Europe entière. La « paranoïaordinaire » (J.-A. Miller) qui affecte ces groupuscules actifs a une caractéristique essentielle :elle n’est pas enracinée et développée dans une tradition nationale, mais elle se développe àpartir de réseaux virtuels par Internet.

Deux auteurs parmi d’autres servent (involontairement) de germes à la théorie du complot.Une universitaire, archéologue de formation, juive d’origine Égyptienne née en 1933, expulséeen 1956 par Nasser lors du conflit du Canal de Suez, anglaise par mariage et vivant à Genève, apublié sous le pseudo de Bat Ye’Or en 2005 au Dickinson University-press Madison New-Jersey :l’« Eurabia, the euro-arab axis [5]3. C’est ce type de discours associé à ceux de Robert Spencer4,polémiste, écrivain prolifique, conférencier, mais aussi conseiller auprès des hautes instances del’armée et du FBI, qui servent d’« ingrédients » pour alimenter la « théorie du Complot » dansles groupuscules identitaires d’extrême droite. Il est certain que l’attentat de 2001 au Word TradeCenter a décuplé le soupcon et la haine anti-islam et a d’ailleurs logiquement orienté les servicessecrets vers l’Islam radical, délaissant hélas, à tort, ce qui pouvait venir de l’extrême droite.

La « Théorie du Complot » a été définie pour la première fois en 1945 (pour la démonter) dans« La société ouverte et ses ennemis » par Sir Karl Popper [10], philosophe des sciences bien connuet défenseur du concept de « réfutabilité » en sciences sur lequel H. Ey s’appuiera en 1971 lorsde la réédition augmentée de son ouvrage Des idées de Jackson à un principe Organo-dynamisteen psychiatrie. C’est en 1965 que Richard Hofstadter5 a publié l’ouvrage qui explore la « Théorieconspirationniste » de style paranoïaque. Plus récemment, d’autres chercheurs explorent la théoriedu complot. Ainsi, Jack Batrich (2008) écrit :

« Le style paranoïaque dans sa forme intérieure populiste n’est pas simplement exiléeà l’extérieur du discours politique normal, c’est un danger qui menace constamment del’intérieur. Bien qu’il soit relégué à la marge de la pensée officielle, il est également parmi

3 Eurabia traduit en francais et en Néerlandais reprend les travaux scientifiques de Bat ye’Or faits sur les minoritéschrétiennes et musulmanes asservies dans « Islam et Dhimmitude » 2001 [6]. Travaux qui s’inscrivent dans ceux d’unprédécesseur, l’historien, sociologue, théologien protestant et anarchiste Jacques Ellul, penseur influent de la « sociététechnicienne », qui dénonce en termes hostiles une incompatibilité entre le judéo-christianisme et l’islam et le danger queconstituerait ce dernier pour l’Occident (Source Wikipédia).

4 Robert Spencer, né en 1962, est diplômé d’art, chroniqueur au New York Post, écrivain polémiste, conférencier,directeur du site Jihad-Watch, conseillé auprès de l’Armée américaine, du FBI, des services allemands. Robert Spencerest le directeur du Jihad Watch, un programme du « David Horowitz Freedom Center » et il est l’auteur d’une douzained’ouvrages comprenant deux bestsellers du New York Times, The Truth About Muhammad [7] and The Politically IncorrectGuide to Islam (and the Crusades) [8] (both Regnery). Son dernier ouvrage « Did Muhammad Exist? An Inquiry IntoIslam’s Obscure Origins » (ISI) [9]. Spencer a animé des séminaires sur l’Islam et le Jihad pour l’United States CentralCommand, l’United States Army Command and General Staff College, pour l’U.S. Army’s Asymmetric Warfare Group,le FBI, la Joint Terrorism Task Force, et l’U.S. intelligence community (source : Wikipédia).

5 The Paranoïd style in « American Politics and Other Essays », en 1965 [11] : « quand j’utilise l’expression “style para-noïaque”, je ne parle pas dans un sens clinique, mais j’emprunte un terme clinique à d’autres fins. Je n’ai ni la compétenceni la volonté de catégoriser des personnages du passé ou du présent comme cliniquement fous. C’est l’utilisation de modesd’expression paranoïaques par des gens plus ou moins normaux qui fait que le phénomène est significatif. ». Traductionfrancaise [12].

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nous, tapi au sein de la nation, dans son cœur, au sein la population. Ce n’est pas « nous »,mais cela pourrait être n’importe qui. » ([13], p. 32–3).

On peut aussi citer Pierre-André Taguieff qui décrit les caractéristiques suivantes : « Rienn’arrive par accident ; Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées ; Rienn’est tel qu’il paraît être ; Tout est lié, mais de facon occulte. » [14]. Taguieff expose d’autresaspects de la théorie du complot : postulat du complot comme force motrice de l’histoire, illusionde découvrir ses secrets, hyper-rationalisation, importance du soupcon, explication totale et doncrassurante, véhicule de la haine populiste des élites (source Wikipédia).

Définissons enfin les « loups Solitaires », « lone wolf ». Ce sont d’abord des livres jeu, puis desjeux de rôle en ligne avec une hiérarchie impressionnante de personnages à appellation composée6

et de listes de pouvoirs (magiques) dont un correspondra à ce que A.B.B. dit de lui-même :l’intuition (Telegnosis) : sixième sens, télépathie et détection de pouvoirs mentaux sur une autrecréature7.

Mais les « lone Wolf » sont aussi décrits initialement par les suprémacistes blancs américainstels Alex Curtis et Tom Metzger dans les années 1990 qui promeuvent une tactique de terrorismede décision solitaire en marge des mouvements officiels. Bien qu’il cherche à faire avancer la causede ce groupe, le « loup solitaire » concoit et organise sa tactique seul, sans recevoir d’ordres oude conseils (source Wikipédia).

Le cas Anders Behring Breivik relève au moins partiellement de l’imaginaire « lone wolf », telqu’il est promu par l’Américain Joe Tomasi fondateur, en 1974, du National Socialist LiberationFront.

A.B.B. s’inspirera aussi d’un « lone wolf » américain dénommé « Unabomber », dont il reprendles écrits. Il s’agissait de Theodore (dit Ted) Kaczynski, terroriste américain, mathématicien auQI de 165 qui défia le FBI pendant 15 ans en envoyant des colis piégés pour défendre une causeécologique.

2. Le Recueil d’Anders Brehring Breivik : « 2083, a declaration of independance »

2.1. Présentation

C’est, ayant complètement assimilé ce contexte comme l’ordinaire de sa vie et de sa pensée queAnders Behring Breivik, le tueur de l’attentat du 22 juillet 2011, né en 1979 d’une mère infirmièreet d’un père chargé des affaires économiques à l’ambassade de Norvège à Londres, va construirece qu’à ce stade-là de notre réflexion, nous pouvons appeler comme le font les commentateurs,son délire idéologique anti-multiculturaliste, s’appuyant sur les écrits de Robert Spencer, de BatYe’Or, ainsi que de beaucoup d’autres en particulier du blog de Fjordman (sur le site Internet :Les portes de Vienne) qu’il admire beaucoup même s’il le trouve vraiment (trop) « paranoïaque »(sic)8.

6 Grand Maître Kaï (Kai Grand Master Senior) ; Grand Maître Kaï d’ordre intermédiaire (Kai Grand Master Superior) ;Grand Maître Kaï d’ordre supérieur (Kai Grand Sentinel) ; Grand Maître Primat (Kai Grand Defender), etc. à mettre enrapport avec ce que les premiers experts nommeront « néologismes » dans le discours de A.B.B.

7 On trouvera dans l’expertise de A.B.B., ce même pouvoir devenu sous la plume des experts un signe de psychoseparanoïde. . .

8 Même jugement amusé de A.B.B. pour Hans Rustad, le chef du site « Document.no » avec qui il travaillera en2009. Il lui apparaît « comme un garcon étrange. Je suis habituellement excellent dans l’analyse psychologique des

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L’écrit de 1518 pages qu’il entreprend d’écrire en anglais à partir de 2002, « 2083, a declarationof independance »9, après une obscure réunion qui se serait tenue à Londres avec des élitesdu combat idéologique contre l’Islam culturel, reprend inlassablement, en copié-collé, avec unsemblant d’ordre et beaucoup de redites, les thèses qui soutiennent sa conviction : l’Islam vaenvahir et détruire sans que personne ne le voit, ni n’y oppose aucune résistance, les chrétiens(protestants) de Norvège, leurs familles, violer leurs filles (c’est nous qui soulignons), battre àmort leur frères ou les faire disparaître. C’est en fait, comme le disent P. Huygue et J.-Y. Camus,un conservateur de la petite bourgeoisie norvégienne qui en veut au parti travailliste au pouvoir depratiquer une politique d’émigration et de prôner le multiculturalisme. Il milite depuis ses 16 ans auParti du progrès Jeunesse puis au Parti du progrès officiel qu’il quittera en 2006 quand il trouverainsuffisante la seule défense des positions doctrinales et voudra s’engager en solitaire dans la« résistance » armée. Il est libéral sur le plan de l’économie, conservateur, pro-sioniste et anti-nazi, anti-féministe et soit disant fondamentaliste chrétien (en fait très peu investi dans la religion).Il aimerait rencontrer le Pape et Poutine, voue une admiration sans borne à Radovan Karadzic,pour lui « un des plus grand héros de guerre » et approuve pleinement les massacres de Srebrenicaperpétrés contre les Musulmans bosniaques (juillet 1995) : « un petit massacre vaut mieux qu’ungrand génocide ». Ses ennemis sont Blair, Sarkozy (L’Union pour la méditerranée), Merkel, etc.pour leur politique faible et bienveillante à l’égard de l’immigration et le « rabaissement moral »du citoyen européen.

2.2. Le recueil « 2083 »

Il contient donc environ 1350 p. de récolement de textes, avec pas mal de chevauchements etde redites (« un fatras idéologique » écrit avec raison P. Huygue10) ; une partie sur les Chevaliersde l’Ordre du Temple dont il dit être un membre éminent, avec toute leur hiérarchie et leurmission, avec leurs icônes semblables aux figurines de jeu d’« Heroic Fantasy » (ou de son jeuen ligne favori « Word of Wardcraft »), une partie dérisoire consacrée à l’illustration des insignes,des chevaliers et des maîtres templiers qui défilent sur plusieurs pages ; une partie inquiétanteconsacrée à l’armement et à la protection réelle des combattants avec force détails chiffrés ; unepartie consacrée à la démographie historique et prospective chiffrée. Une partie – heureusementcaviardée – sur la fabrication précise des différents modèles de bombes. . .

Une dernière partie, pour nous la plus intéressante parce qu’écrite à la première personne, sousla forme d’un interview fictif dans lequel il précise son enfance, ses intérêts, ses goûts, son mode

gens, mais je ne l’ai pas compris du tout [. . .] » Il semble extrêmement paranoïaque et suspect à la plupart desgens (!)

9 Version intégrale disponible sur Internet par Wikipédia à partir de la page consacrée à Anders Behring Breivik. Letexte peut se télécharger aisément en pdf ou bien sur le site de http://www.schizodoxe.com/2011/07/24/2083-a-european-declaration-of-independence/.10 NB : Il n’y a que Richard Millet, écrivain, éditeur et membre du comité de lecture chez Gallimard pour faire l’apologie

de cet écrit dans « Éloge littéraire d’Anders Breivik » in: Langue fantôme chez PD de Roux éd. Août 2012 [15]. Breivikn’est pas fou, martèle Millet, il est le « signe désespéré, et désespérant, de la sous-estimation par l’Europe des ravages dumulticulturalisme ». Rapidement R. Millet a dû démissionner de son poste au comité de lecture chez Gallimard ; son textea provoqué beaucoup d’émois dont Le monde s’est fait l’écho à plusieurs reprises en septembre 2012. Faire du Crime deBreivik une écriture (la plume ou le fusil, ici le fusil) comme le pense R. Millet, c’est justement, méconnaître l’échecradical de l’écriture (de plume) de Breivik à porter sa parole. C’est, comme le soulignait Ey, mettant en garde ses élèvescontre les effets de captation du délire : « délirer avec le délirant ». Car c’est bien l’échec de la diffusion de son recueilécrit qui pousse A.B.B. au passage à l’acte meurtrier.

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de vie, son parcours universitaire, sa psychologie avec ses qualités et ses défauts, ses engagementsmilitants avec leur source et raison, son travail, ses créations d’entreprise, son rapport aux femmes,ses amis, et son journal de bord au jour le jour à partir de 2009–2010 jusqu’à 2011 dans sa bioferme(où il s’installe en mai 2011) avec la préparation minutieuse de son attentat d’Oslo et son attaquesur l’Ile d’Utoya. Les « Traitres » listés étaient définis en trois sections A, B, C, et devaient êtreexterminés (politiciens, journalistes, universitaires, membres du parti travailliste, membres de lasociété civile et culturelle, artistes, etc. plusieurs milliers de personnes. . .). Les centrales nucléaireseuropéennes étaient consignées méthodiquement pour chaque pays comme arme de destructionmassive, avec les coordonnées géographiques, les puissances des réacteurs, etc., pour provoquerun choc et une prise de conscience dans la population au premier motif qu’on ne peut pas laisser« violer les filles ethniquement norvégiennes par les musulmans. . . ».

Il postera ce recueil 1H.30 avant l’attentat et l’attaque sur une liste de diffusion de 8000 adressespatiemment prélevées sur le réseau Facebook. Le recueil 2083 avait nécessité 3 ans de travail,griffonné à partir, semble-t-il, de 2002 (2002 est la date de la mystérieuse réunion de Londres),il l’a véritablement entrepris en 2006 et l’a considéré comme terminé en automne 2009 (datementionnée dans le recueil).

Ce recueil constituait au départ la mission essentielle de son engagement militant dans l’ordredes Templiers. Il aurait recu pour mission de diffuser une édition du recueil des thèses anti-multiculturalistes et devait pour cela recueillir des fonds :

« Nous n’avons pas été chargés d’attaquer des cibles spécifiques, bien au contraire. Nousavons été encouragés à utiliser plutôt la diffusion de l’information, à contribuer, à construireet à étendre ce qu’on appelle le « counter-Jihad » (mouvement anti-Jihad) par le biais dela propagande, et fournir des fonds pour la création de nouveaux groupes par le biais dedivers forums ou en recrutant d’autres personnes directement » [Recueil, p. 1376 et svt].

Il semble qu’à cette réunion, il ait été galvanisé, lui, le plus jeune, par des aînés dont il estéperdument admiratif. Il lui faut trouver de l’argent. C’est pour cela qu’il va chercher un travail,(qu’il trouvera dans une société ayant pignon sur rue, comme chef de produit) et qu’à côté de ca,chez lui, à partir d’Internet, il va monter plusieurs sociétés d’e-commerce exportant des servicesinformatiques. En sortant de cette hypothétique réunion de Londres, il dit avoir écrit en toutehâte – dans une excitation psychique – 50 pages en petits caractères sur tout ce qui lui venait àl’esprit à propos de l’ordre des Templiers et de ses liens connexes11.

En 2006, ses affaires d’e-commerce périclitent, il doit mettre ses activités propres en liquidationjudiciaire, seule facon d’en tirer encore de l’argent qu’il mettra sur plusieurs comptes offshorequi pourront encore servir à répondre à la demande de ses aînés, c’est-à-dire à l’édition et à ladiffusion du précieux recueil. Mais déjà se présente à son esprit le financement et le passage auplan B, celui de l’action armée qui décuplera la diffusion du recueil : « J’avais maintenant terminémon objectif et j’avais suffisamment de fonds pour procéder à la planification d’une opérationd’assaut » (L’échec de la première stratégie pacifiste l’amène irrésistiblement au plan B ; notonsla facon caractéristique de A.B.B. de toujours se conduire en maître de son destin, se cachant àlui-même son échec par une solution plus grandiose à ses yeux).

C’est aussi en 2006 qu’il quitte le Parti du Progrès et toujours en 2006 que son père refusedéfinitivement de le recevoir. Il est donc isolé. Après une période où il partageait un appartement

11 « Je crois que j’ai griffonné en petit caractères plus de 50 pages pleines de notes concernant tous les sujets possiblesliés. Une grande partie de ces notes sont reprises dans le livre 2083. C’était essentiellement un plan détaillé à long termesur la facon de s’emparer du pouvoir en Europe occidentale ». A.B.B. Recueil p. 1376-svt.

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avec des camarades, il a habité seul et maintenant en 2006, il est chez sa mère où il ne participeen rien aux frais de vie courante, ni à l’entretien (témoignage de sa mère consigné dans la1re expertise). Il joue, enfermé dans sa chambre, à ses jeux en réseau (idem, 1re Expertise).Recueillant le témoignage de sa mère, l’expert note que c’est surtout en 2010, un an avantl’attentat et avant l’acquisition de la Bioferme, qu’il devient irascible, difficile, distant, nesupportant pas que sa mère s’approche ou s’assoit à côté de lui et encore moins qu’elle letouche. Elle dit aussi aux experts qu’il est, dans cette période, « incompréhensible dans sespropos ».

C’est à-peu-près comme cela que A. Breivik se décrit pour la même période (2006–2009), dansla partie de notes personnelles dans son recueil. Mais, point clinique important, il en donne lesmotifs (se conduisant a posteriori toujours en maître de son destin), là où les experts trouverontcet isolement plutôt immotivé et engendré par la poussée paranoïde :

« J’ai passé trois ans où je me suis concentré sur l’écriture du recueil, 2083. Au cours d’unepériode de 12 mois dans le début, j’ai aussi joué à « World of Warcraft » à temps partiel(qui avait été un rêve pour un certain temps [. . .]). J’ai vécu de facon très ascétique etrelativement isolé dans cette période.Ces trois ans ont contribué également à me détacher de mon « ancienne vie ». C’est unprocessus que j’ai utilisé pour m’isoler de la plupart des gens de mon réseau, en préparationde l’opération à venir. Je pense que cette période a été nécessaire afin de me détachercomplètement de mon ancien style de vie de « consumériste superficiel » afin de m’assurerune concentration totale sur les questions à venir. » [A.B.B. Recueil p. 1376 svt].

Ce grand gaillard blond au regard clair et percant se décrit, avant ces évènements, comme« ambitieux depuis toujours » :

« J’avais pris l’habitude d’être relativement égocentrique, un personnage arrogant qui nese souciait pas beaucoup des autres, sauf de mes amis les plus proches et de la famille avecune seule envie, gagner un accès illimité au sexe et gagner les parties [de jeu] qui était laforce motrice de mon existence. [. . .] C’est la spirale sans fin de l’alimentation de votrepropre égo. . . Quand j’étais au sommet de ce cercle, j’ai tout eu. . . C’est un cycle sans finque vous ne pouvez pas arrêter. » [A.B.B. p. 1376 et svt.].

2.3. L’homme du Sacrifice, de l’Idéal et de la Logique

C’est à ce moment, après 2006 et pendant les trois ans d’écriture et d’ascèse qu’il se prépareà l’action armée en auto-limitant ses passions. C’est aussi le moment d’un renversement de sapersonnalité autour de la question de sa mort qu’il pense, au cours de l’assaut, certaine : alors, s’ille fait tout de même, c’est par amour pour l’autre, pour le sauver : le sacrifice remplace désormaisl’égocentrisme : il en devient la forme ultime (Le recueil comporte un chapitre sur la tombedu « chevalier justicier » avec toutes les épitaphes, les inscriptions tombales et les bas-reliefschevaleresques dessinés).

« Je me suis préparé mentalement pendant très longtemps et je serai heureux de sacrifier mavie pour le bénéfice de mes frères et sœurs européens. Mon amour pour eux dépasse mespropres intérêts auto-personnels. Ce n’est pas le genre de personne que j’ai eu l’habituded’être, mais c’est le genre de personne que je suis maintenant devenu » (A.B.B. p. 1376 etsvt.) « J’admire les personnes qui agissent de facon désintéressée et qui contribuent à travers

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un sacrifice personnel » (plus loin : « C’est le chemin du Chevalier justicier – qui n’est pasvraiment compatible avec celui de la personne qui cherche à fonder une famille. . . »).

Critique envers ses bons sentiments altruistes, il ajoute :

« Ma haine et mon mépris pour les marxistes culturels ou les doctrines multiculturalistesy est certainement pour quelque chose. Cependant, c’est comme ca pour la plupart desindividus, l’amour et la haine sont nos carburants. La Passion est convertie en action ».

Cependant, pour la préparation mentale et dans un but prosélyte :

« Certaines personnes sont submergées par la haine ou l’amour. Il est essentiel que nousne permettions pas à la passion de nous contrôler. Il est essentiel que nous soyons cool etque nous puissions agir de facon rationnelle dans une perspective à long terme. Notre jourviendra, n’en doutez pas. Juste agir rationnellement dans le temps moyen ; ne vendons pasnotre vie à un prix avantageux. . . ».

Enfin pour ses rapports avec Dieu :

« En ce qui concerne ma relation personnelle avec Dieu, je suppose que je ne suis pas unhomme excessivement religieux. Je suis d’abord et avant tout un homme de la logique ».

En automne 2008, au cours d’un anniversaire à Oslo, une amie, Christine, lui dit : « qu’ellecroyait que j’étais poussé par l’idéalisme, ce qui est vrai, bien sûr, mais c’est que j’ai vraimentvécu mon rêve. . . ».

2.4. Des doutes, mais « le vaisseau est en feu. . . »

Il ne sait plus d’ailleurs ce qu’il doit faire : « un conservateur réactionnaire révolutionnairedoit-il se contenter de vivre son rêve ou devons-nous aller jusqu’au sacrifice ? ».

Il doute alors profondément :

« Je ne veux pas faire ce que je fais, je préférerais me concentrer sur le démarrage d’unefamille et me concentrer sur ma carrière. Mais je ne peux pas le faire (la famille, la carrière)aussi longtemps que je me sentirais comme une personne prise dans un vaisseau spatialen feu avec nulle part où aller ».

Alors la Logique reprend ses droits :

« [S’il y a le feu], qu’allez-vous faire ? Vous allez éteindre le feu, même si ca met en dan-ger votre vie. D’éteindre le feu vous n’en bénéficierez pas, mais c’est votre devoir dele faire pour vous et pour vos équipiers. Imaginons alors que vos membres d’équipageont été infectés par un virus rare qui arrête leurs sens rationnels et qu’ils essaient devous empêcher d’éteindre le feu. Vous ne pouvez pas vraiment vous permettre d’êtrearrêté par l’un d’eux, car cela conduira à la mort collective. Vous ferez tout pouréteindre ce feu en dépit du fait qu’ils essaient de vous arrêter. Tout le reste seraitillogique.Mais vous sacrifier pour les autres qui, probablement, vous détestent, ca ne doit pasnécessairement être une expérience malheureuse. Après tout, nous avons la Vérité et laLogique de notre côté et nous apprendrons à trouver des récompenses et le confort dans nosactions ».

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3. La 1re expertise psychiatrique

3.1. Résumé

Par chance pour notre propos et sans doute de facon illégale par une « fuite », cette expertiseremise le 29 novembre 2011 est consultable en norvégien sur Internet12.

Les auteurs, les Dr Torgeir Husby et Synne Sorheim, concluent à un diagnostic internationalbasé sur la CIM-10 : F20.0 soit Délire paranoïde, (pendant les 11 entretiens et au moment del’acte) côté donc dissociation schizophrénique et rejettent le diagnostic F22.0 : Délire paranoïaque,côté systématisation lucide13.

Ils font ce diagnostic :Sur les antécédents immédiats au travers des éléments communiqués par la Mère de A.B.B.,

soit à partir de 2006 : le renfermement sur lui-même, la désadaptation avec non-participationà la réalité de la vie. En 2010, l’incommunicabilité et l’incompréhensibilité du discours, proposabsurdes avec irritabilité, colère. Les experts tiennent compte d’une attitude décrite par le MédecinGénéraliste : Il le voit parler au téléphone avec un masque à l’intérieur : (symptôme, disent lesexperts, de la série psychose paranoïde).

Sur l’observation au cours des entretiens :Ils notent des troubles du cours de la pensée, la présence de néologismes, la diffluence de la

pensée et ce qu’ils estiment être des barrages.Sur la présence, pour eux évidente, d’un « émoussement affectif » et d’une inexpressivité

affective avec les proches, avec rigidité de la mimique et de l’attitude.Ils soupconnent « sans pouvoir en apporter la preuve », précisent-ils, que vraisemblablement,

il y a eu ou qu’il y a un syndrome d’influence.Ils trouvent que le délire de grandeur est « bizarre » et s’étend à toute la personnalité.Ils notent des éléments de délire de filiation et de grandeur : « Je suis Segur II, Régent de

Norvège ».Le reste de l’expertise note des troubles dépressifs de l’enfance mais « sans qu’ils aient donné

lieu à signalement », une période d’adolescence avec troubles du comportement, petite délin-quance, graffiti, bagarre en bande, et hyperactivité, « sans que cela ait donné lieu à un suivi » (Ducoup, ces éléments ne comptent pas, en tout cas ils ne sont pas pris dans l’histoire et la constructiond’une personne).

Il y a absence de prise de toxique majeur au moment de l’acte sauf antérieurement une prised’anabolisant et un cocktail Caféine-Ephédrine-Aspirine au moment de l’acte (l’équivalent de6 grandes tasses de thé dira un expert toxicologue).

Le fond de personnalité est décrit comme paranoïaque.

12 Sont caviardés les éléments personnels d’état civil du « prévenu » désigné par le mot norvégien « Observanden »,mais elle est signée du nom des deux experts Torgeir Husby et Synne Sorheim, tamponnée, etc. ; le document, dans saprésentation, son déroulement expertal et les comptes rendus faits par la presse, semble bien être le document officiel.Consultable en norvégien sur Internet à partir du site Wikipédia consacré à Anders Behring Breivik. La traduction imparfaitepar Google-traduction permet tout de même de se faire une idée assez précise.13 Au moins les diagnostics internationaux chiffrés permettent de ne pas faire de confusion dans les traduc-

tions du terme anglo-saxon « paranoïd » traduit légitimement par « paranoïaque » en francais ce qui a donnédans les journaux francais cette forme étrange de diagnostic pour la psychiatrie francaise de « Schizophrénieparanoïaque » !

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3.2. Discussion

Lorsqu’on reprend tous les éléments que nous venons de donner et que nous les complé-tons d’une part, par les quelques images télévisées que nous avons de A.B.B. qui montrent soncomportement cohérent à son idéologie (même si elle est plus que révoltante : le poing levé avantl’audience), d’autre part, par la lecture de son compendium 2083 et plus particulièrement avecses notes personnelles que nous venons de citer, et que nous confrontons tous ces éléments auxdonnées elles-mêmes de l’expertise psychiatrique, on ne peut que discuter ce diagnostic sur aumoins deux plans : d’une part, le plan de la signification des symptômes et du comportement,d’autre part, le plan des aspects cliniques structuraux et évolutifs. Cette discussion qui n’a pas étésuffisamment faite, à notre sens, dans l’expertise nous la présentons en cinq points suivis de deuxremarques.

1◦– Son état de « désadaptation professionnelle, sociale et familiale » dans la période de2006–2010 est le maillon le plus faible du diagnostic. Il s’appuie sur le témoignage de sa mère.Ce signe couvrant un champ très large et mal défini du comportement est « tiré » vers le ren-fermement (autistique, aurait dit H. Ey) effectivement caractéristique du délirant paranoïde,mais méconnaît « les motifs », les « rationalisations » qu’il en donne dans son recueil 2083.À savoir, qu’il est en train, entre deux cessions de jeu, de se livrer à l’exercice extrêmementprenant d’une défense vitale de sa subjectivité par l’écriture de son compendium et parallèle-ment de ruminer son passage à l’acte avec de nombreux doutes combattus par la grande logiquede sa pensée comme il le dit expressément, (les dates correspondent), dans son recueil 2083.C’est un état d’isolement, d’ascèse, dont il s’explique, de fébrilité secrète, de décision majeuremais aussi de doutes devant le « grand soir » avec la recherche d’un renversement majeur de sapersonnalité qui va passer d’un égocentrisme de combat à un égocentrisme de sacrifice. Il nes’agit pas seulement et simplement d’un état de désadaptation familiale comme le soulignentles experts mais d’un état mental qui a un contenu psychodynamique, décrit très clairement parA.B.B. dans son recueil. Peut-on, en outre, négliger ce qu’il rapporte dans ses notes person-nelles concernant la même période, comme les rendez-vous mondains, les sorties avec ses amisà Oslo ou les fêtes à Budapest qui témoignent au contraire d’une très bonne adaptation auxautres ?

2◦– Les troubles du cours de la pensée comme la « Persévération occasionnelle » sont égale-ment déconnectés de l’ensemble clinique et de ses significations pour la personnalité, tout commela présence, peu marquée, de troubles de type dissociatif schizophrénique (barrages, coq à l’âne,diffluence, etc.) qui inciterait plutôt à penser à des digressions défensives, voire à une réticence(méfiance) paranoïaque ?

Toujours dans l’ordre du langage, les néologismes (mots composés ou syllabes redoublées)cités en exemple dans l’expertise, au lieu d’être pris comme des symptômes isolés sans contenu,gagneraient à être mis en rapport avec les hiérarchies imaginaires des figures des jeux de l’« Heroicfantasy » ou du « Lone Wolf » (le jeu) qui sont des éléments symboliques de la construction deson délire et non des éléments neutres, anidéiques, dépourvus de sens, comme on aurait pu levoir dans un délire paranoïde avec automatisme mental. A.B.B. parle par exemple du « premier-chevalier-justicier-chef », etc.

3◦– L’« émoussement affectif » observé au cours des entretiens avec les experts, est un symp-tôme propre aux syndromes dissociatifs schizophréniques paranoïdes. Mais ne sommes-nous paslà plutôt en présence de la « rigueur ascétique » que s’est imposé – volontairement dit-il, maisfaut-il le croire ou est-ce une rationalisation secondaire ? – A.B.B ?. (comme il le décrit dans sonrecueil), rigueur intentionnelle pour ne pas être esclave de ses émotions en vue de l’attaque à

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mettre en rapport avec la rigidité paranoïaque et la méfiance d’être découvert qui masque sescontenus de pensée ?

4◦– Les experts ont un soupcon, sans en apporter l’affirmation, qu’il y a ou qu’il a dû existerdes phénomènes d’influence mais n’en apportent pas le moindre élément dans l’histoire du Sujet.

5◦– À plusieurs reprises les experts affirment la bizarrerie du propos et soulignent l’extensiond’un délire prenant toute la personnalité (« les idées délirantes bizarres couvrent toute sa vie etsa pensée ») (1re expertise), c’est bien possible au moment des expertises mais les experts neconfrontent pas cette extension en réseau avec le processus manifestement en secteur, commeont pu le constater tous ceux qui ont approché et vécu avec A.B.B., parfaitement adapté à sasituation en prison et en audience qui leur a fait dire qu’il était « normal ». Peut-on ne pas voirà la lecture de son compendium et de ses notes personnelles qu’il n’y a qu’une chose qui leguide jusqu’au meurtre : la Vérité qu’il croit détenir et qui forme le noyau délirant auquels’ajoute, autre trait essentiel, la systématisation de ses idées – à partir d’un postulat – et de sescomportements, l’ensemble étant pris, 3e trait essentiel, dans un ordre logique inaltérable (c’estbien la « folie raisonnante » des auteurs anciens, de Sérieux et Capgras). Car cet ensemble mani-festement délirant ne l’empêche pas de pouvoir faire la fête à Budapest avec ses amis en 2008,même si un an avant le passage à l’acte meurtrier, il ne pensera plus qu’à la préparation rationnellede son acte, ayant peur surtout qu’il échoue bêtement (il relate avec humour la peur de la visite dela fille du propriétaire qui risque de tout découvrir, la visite de pakistanais cherchant du travail qu’ilprend pour les inspecteurs, etc. : montrant qu’il est sujet à des petites peurs paranoïaques et qu’ilpeut en rire. . .). Tout ceci plaide donc en faveur d’une sectorisation délirante « avec conservationde la clarté et de l’ordre dans la pensée et les actes » (Kraepelin définit ainsi le délire paranoïaque)et nous éloigne d’un envahissement délirant paranoïde de toute la personnalité.

Si nous voulons prouver qu’un processus délirant est apparu chez A.B.B., il faut le rechercheravec une large vue diachronique dans l’histoire de sa personnalité et non comme l’ont fait lesexperts dans un moment synchronique, comme un instantané ou sur des listes de symptômes sansaucun sens structural ni sans aucune mise en perspective psychodynamique. Car le paranoïaque,au moment de l’expertise est « sous le coup de l’attentat qu’il a commis » et de son arrestation.Il peut très bien être dans un moment psychotique d’expérience délirante, ou d’effondrementdépressif total de tout son système, ou mêlé à une certaine l’exaltation et à des troubles divers dela pensée du vouloir et de l’action, ou assez rapidement, éprouver inversement par son arrestationet la contrainte carcérale, la réparation de ses défaillances moïques, sans que tout ceci n’indiqueun état délirant constant de type dissociatif.

Enfin, les experts ne notent pas ce qui est central et le plus important pour A.B.B., qui est,comme pour tout paranoïaque, son écrit. (On ne peut ignorer cela à la suite la publication parFreud du cas du Président Schreber, ni du cas Aimée par J. Lacan, etc.). C’est son écrit qui estson bien le plus précieux et qui fait le lien de son moi mégalomane avec les autres, et c’est nepouvant plus en assumer financièrement la fabrication-distribution, qu’il décide la tuerie commecomplément et propagande pour son recueil et les idées qu’il contient14.

14 Anders Behring Breivik ne s’est pas « reconnu » dans cette expertise, ce qui nous semble être toujours la règle pourtous les expertisés. Mais son ironie-même signe son caractère « non paranoïde » et nettement « projectif paranoïaque »au moment où il s’exprime : « 80 % du contenu des entretiens [sur lesquels les psychiatres se sont appuyés pour tirerleurs conclusions] est inventé », a estimé l’extrémiste de droite de 33 ans devant le tribunal d’Oslo. Les deux expertsse sont fait un avis « très tôt » et ont conduit leurs travaux en vue d’étayer leur opinion, selon l’accusé. « Ils étaientémotionnellement sous le coup [des attaques du 22 juillet 2011] et il leur manquait des compétences pour évaluer unauteur de violences politiques », a-t-il affirmé. « Si j’avais lu la description de la personne décrite [dans leur rapport],

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4. Les Lecons sur les psychoses paranoïaques de H. Ey. Proposition d’un nouveaudiagnostic pour A.B.B.

4.1. La conception d’Henri Ey

Il est temps maintenant d’exposer brièvement la conception par Henri Ey des psychoses para-noïaques. Cela nous aidera dans un second temps à proposer un nouveau diagnostic. Dans sesLecons sur les psychoses paranoïaques de 1961 [1], Ey définit les psychoses paranoïaques nonpar l’absence d’hallucinations mais par la systématisation des idées sous forme pseudo-logiquequi est pour lui le critère essentiel de ces délires. Moyennant quoi dans les statistiques et lestableaux de Ey, les psychoses paranoïaques représentaient, au lieu des 1–2 % actuels, 20 à 33 %des psychoses chroniques.

« Ce qui, du point de vue séméiologique, constitue la réalité propre du Délire d’interprétation(ou si l’on veut, de la Paranoïa dont il constitue le centre), c’est la forme systématique et pseudo-logique (ou comme disaient Sérieux et Capgras, « raisonnante ») du Délire, c’est-à-dire le travaildélirant qui s’exerce dans le sens d’une « logique » implacable et irrémissiblement falsifiée. Quecette logique soit plutôt une autre logique (celle que l’on dit affective) n’enlève rien à cetteévidence puisque, aussi bien la certitude de la Vérité découverte par le Délirant passe dans l’espritde l’observateur sous forme d’une pensée qui entend sans trêve ni merci avoir toujours raison,d’une Raison qui récuse la Déraison alors qu’elle n’est elle-même qu’un semblant de raison ». H.Ey ([1], p. 206).

La position structurale d’Henri Ey l’amène à souligner que la part positive, le drame exprimé duparanoïaque, la démonstration logique de son délire de certitude est énorme et rempli absolumenttout le tableau clinique au point que cette pseudo-logique se fait passer pour la raison la pluspartageable. Mais en fait, cette « raison qui veut toujours avoir raison » trouve sa source dansune autre logique, affective celle-là, que le Sujet méconnaît. La part négative de ses délires estconstituée par des « moments féconds » (Ey, Lacan) qui infiltrent la personnalité par boufféesoniroïdes, crises de dépersonnalisation, moments émotionnels intenses, expériences délirantesprimaires (K. Jaspers). Car le délire paranoïaque naît de ces moments primaires et se propagedans la personnalité sous la forme d’un processus psychique (K. Jaspers), d’une néoformations’étendant en réseau ou se limitant à un secteur de la personnalité. Pour Ey, si la psychoseparanoïaque concerne le développement de la personnalité, il ne peut s’agir d’un développementnormal, mais d’un processus en troisième personne à partir d’un élément hétérogène. Ce dernierqui infiltre de « on » ou de « il, ils » la part qui revient normalement au Sujet ne peut être qu’un« moment fécond ». Il s’agit pour Ey d’états accompagnés d’une forte polarisation affective quivont « axer, déterminer l’existence du malade et à partir desquels de durables cristallisationsidéo-affectives vont s’opérer. . . Ces expériences peuvent passer inapercues soit en raison de leur

j’aurais été d’accord : cette personne relève d’un hôpital psychiatrique », a-t-il dit. Mais « la personne décrite dans cerapport, ce n’est pas moi », a-t-il ajouté. Cette évaluation contient d’après lui « plus de 200 mensonges ». . . « Je ne suispas un cas psychiatrique et je suis pénalement responsable » a-t-il déclaré. (Source : Le monde du 24 avril 2012). Le DrJean Garrabé, dans une intervention à propos des Délires chroniques au XV◦Congrès mondial de psychiatrie de BuenosAires (sept 2011) a exposé que le meilleur moyen de savoir si un délirant était paranoïaque ou non était de lui demanderde plus amples explications par écrit de ses dires en feignant qu’ils soient « difficiles à comprendre » : s’il revient lelendemain en vous tendant 50 feuillets écrits en tout petit (comme A.B.B. en 2002), votre diagnostic est fait. . . délireparanoïaque ! Évidemment, faut-il le souligner, ceci n’est valable que dans un ensemble structural et non comme signeisolé pathognomonique, sinon nous aurions beaucoup de candidats.

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brièveté, de leur éclosion dans les phases hypniques, soit encore parce qu’elles sont présentéesdans le récit des Sujets comme des évènements réels dépouillés des halos des troubles de laconscience qui les a déterminés dans leur sens pathologique dont le sujet n’a pas conscience etqu’il repousse même » ([2], p. 265).

Que ces personnalités puissent revêtir des caractéristiques propres (Orgueil, méfiance, hyper-trophie du moi, etc.) n’indique pas pour autant qu’elles soient délirantes, mais indique le terreausur lequel le délire va s’édifier « sans qu’il soit nécessaire d’admettre que la psychose soit unesimple exagération des traits constitutionnels psychiques » (Ey). Enfin, la part négative de cespersonnalités peut souvent être marquée dans leur biographie par un déséquilibre psychique.

Il sera très intéressant de suivre Ey dans sa description dynamique des rapports du délire et de lapersonnalité. Reprenant de J. Lacan (Thèse, 1932 [3]) la définition dynamique de la personnalitécomme développement historique, conception de soi-même et un certain style de tension dans lesrelations sociales, Ey va souligner que :

« le Paranoïaque va construire son délire, comme il construit sa personnalité, comme unecertaine conception de soi, [. . .] à la fois idéale et dramatique, que le sujet projette devant luicomme un modèle sans cesse proposé à son délire comme à ses plus profondes aspirations ».« Sa représentation du monde est polarisée. . . tout s’exalte dans le sens d’une profondeintuition délirante fondamentale » ([1], p. 268).

Plus importante encore est la description par Ey du programme vital de l’individu, cettesubordination de son action à son système de valeur pratique et morale. Dans la paranoïa :

« le délire va devenir la puissante et généreuse source de ses impératifs de vie. . .Tout ce quijusque-là était seulement en germe et puissance passe dans le plan de l’action, devient leurvie dans le sens le plus complet du mot. Le paranoïaque s’engage dans son délire, c’est sonprogramme vital, c’est sa vocation profonde et inconsciente enfin réalisée » ([1], p. 268).

Enfin, Ey note un trait pour nous majeur parce qu’opposé à toute dissociation ou spaltung : c’estle sentiment d’unité enfin trouvée que le délirant paranoïaque ressent en lui lorsqu’il s’engagedans son délire :

« Enfin l’unité de la personne se trouve exaltée, le malade vivant avec une intensité spécialela cohésion de sa personnalité comme continuité historique compacte » ([1], p. 269).

Ey reprends dans la suite de son texte La structure perméable et communicable du délire quiévoque tellement A.B.B. et son compendium :

« Son délire, c’est sa vie, sa foi, son action. Même si on a exagéré le caractère de constructionrationnelle, inductive, syllogistique de ces délires, un fait clinique demeure : la valeur deplaidoyer, d’argumentation qu’il prend dans son expression orale (même quand le maladecesse de parler, réticent, ce qui reste un cas fréquent) ou dans ces nombreux écrits, mémoiresou pamphlets. Les arguments, les preuves, tout l’arsenal des hypothèses possibles, des jus-tifications, des vérifications, des souvenirs précis, des ruses et des flagrants délits sont prêts,rangés, classés. La démonstration, même quand elle est sobre, est écrasante ; c’est l’évidencemême qui est plaidée, alléguée, opposée (« Il faudrait que je sois fou pour ne pas y croire »).Un délire aussi systématisé, extensif, accumulant par stratifications successives tous lescaractères de l’évidence, péremptoire dans ses prémisses, rigoureusement déduit dans sesconclusions, fortement articulé par la vigilance d’une dialectique ne peut qu’entraîner laconviction entière, massive, dogmatique du sujet, et parfois de son entourage » ([1], p. 276).

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4.2. Lecture du cas à partir des conceptions de Ey

Nous en avons assez dit pour revenir maintenant à l’expertise de A.B.B.Pour cette 1re expertise, il semble bien que le cas est à mettre en perspective (car il est possible

que les experts soient « tombés » sur un moment de vacillement de sa personnalité et de la pertede son « personnage », laissant remonter les angoisses paranoïdes). Il serait préférable à notresens et grâce à l’enseignement de Ey, de faire le diagnostic F22.0 : Délire Paranoïaque qui,pour une restriction propre à la CIM-10 a été rejeté15. Car, outre les caractéristiques classiquede la personnalité paranoïaque : – Orgueil, Hypertrophie du moi, Méfiance, Insupportable hypo-crisie du monde, Psychorigidité, Honneur, Insensibilité, Condamnation de l’affaiblissement ducaractère et du délitement des mœurs, etc. – s’accordent avec ce diagnostic les thèmes grandiosesqui l’animent : sauver l’humanité d’un désastre, d’une apocalypse, fusse au prix du sacrifice denombreux autres ou de lui-même, être reconnu comme le « chevalier le plus parfait », et Idéa-liste, accepter le sacrifice grandiose pour prix de sa renommée, etc. L’autre trait sémiologiquemajeur : les aspects de fausseté du raisonnement n’échapperont à personne : « Tuer les hommespour sauver les hommes ». Les aspects de calcul arithmétique froid sur le nombre de morts poursauver les autres (qui n’en demandent pas tant !), ne peuvent pas non plus tromper grand monde :il s’agit d’une contamination de la Logique du discours par la Vérité du délire.

Ne trouve-t-on pas à la lecture que nous venons de faire du compendium 2083 de A.B.B.,cette sémiologie si bien mise en évidence par Ey ? Partout vous trouverez dans son écrit ce queDromard (cité sans cesse par Ey) disait du délire d’interprétation paranoïaque : « L’inférence d’unconcept erroné à un percept juste ou plausible par une association affective ». Ce qui d’ailleurs,rend parfois le diagnostic de psychose paranoïaque particulièrement mal aisé16 pour ce typede « persécuté logicien », apparemment sans perceptions délirantes (les Wahnwahrnehmung deJaspers). L’interprétation logique domine tellement le tableau, sans aucune perception fausse,qu’elle en impose pour une interprétation commune. Comme l’écrit Dide dans son ouvrage surles Idéalistes passionnés : « on sait qu’il y a quelque chose qui cloche dans le raisonnement maison n’arrive pas à savoir où ca cloche. . . » [16].

Mais il n’empêche que, dans ce contexte, A.B.B. peut avoir eu des épisodes paranoïdes quin’invalident en rien – pour H. Ey en tout cas (Cf : [1]) – le diagnostic global de Psychose para-noïaque. D’une part, parce qu’il est habituel (et même psychopathologiquement nécessaire) dansces psychoses qu’il y ait des moments féconds, des flambées délirantes, d’autre part, parce qu’ily a des formes de passage du délire paranoïaque vers le délire paranoïde, la schizophrénie et ladémence vésanique : Ey a bien montré cette évolution possible (mais avec un très faible retourinverse, sauf vers la paraphrénie). . . mais le DSM et la CIM-10 trop catégoriels et faisant fi del’évolution ne le savent plus.

Enfin, le texte du compendium 2083 disponible sur Internet en pdf permet de se faire une idéede l’association des mots et de leur fréquence, le terme persécution (avec persécuteur) y est écrit150 fois, il est parfois associé à ignoré et ridiculisé, tous traits de blessure narcissique profonde17.

15 Établir ce diagnostic de psychose paranoïaque est possible pour la CIM-10 lorsqu’il n’y a qu’un seul thème délirantavec à la rigueur quelques délires apparentés, qu’il atteint la personnalité en secteur, qu’il n’y a aucun trouble du coursde la pensée, ni émoussement affectif. Les experts ont rejeté ce diagnostic pensant qu’il y avait chez A.B.B. plusieursthèmes délirants et que la CIM-10 n’autorisait pas « les délires apparentés ».16 En dehors des cas de délire de persécution où tout peut prendre une signification personnelle à travers des « perceptions-

délirantes » (les Wahnwahrnehmung de Jaspers) dont le diagnostic est, dès lors, facile.17 How many patriotic oriented individuals will be ridiculed and persecuted by our multiculturalist oppressors? Et plus

loin : There is no basis for democracy when all patriots and nationalists are ignored, ridiculed or persecuted (p. 1105). Ou

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Souvenons-nous de G. De Clérambault que je cite de mémoire : « l’idée de persécution se construitsur l’humiliation. . . ».

5. De quelques « expériences délirantes primaires » repérables dans le recueil 2083

Le Délire s’était donc construit de longue date, semble-t-il depuis cette réunion de Londresen 2002 (peut-être même bien avant dans l’enfance dans le rapport à son camarade pakistanaismusulman Asalan dont il découvrit l’hypocrisie des comportement culturels en particulier dans la« traite des filles » « ethniquement norvégienne »), avec ses hésitations, ses « moments féconds »(Lacan, Ey), ses « expériences délirantes primaires » (Jaspers) qui sont autant de « processus » deformation du délire. Le terme de processus a été avancé pour la première fois par Karl Jaspers danssa Psychopathologie générale de 1913 [2]. Les différents processus de la psychose sont reprissous forme de tableau dans la thèse de J. Lacan de 1932 [3]. H. Ey reprend les distinctions dans sesLecons. . . (1961) [1] et son Traité des Hallucinations (1973) [17]. Le processus désigne un viragepathologique soudain dans le développement de la personnalité et ne peut donc se confondre avecson développement normal. Quelque chose d’hétérogène au développement normal s’installecréant un travail (d’interprétation) délirant secondaire.

1◦) On peut en avoir un aspect dans le récit même de la réunion de Londres dont le Sujet nousdit qu’il en a été « très impressionné », lui le tout jeune de 23 ans, rattrapé in extremis lors de lasélection rigoureuse du droit d’entrée par le « grand leader » du groupe. Il y trouve là un autrepersonnage, un anglais, son « mentor » a-t-il écrit.

Nous avons été frappé par cette phrase du récit-écrit :

« I had or have a relatively close relationship with at least one of them, an Englishman,who became my mentor. He was the one who first described the “perfect knight” and hadwritten the initial fundament for this compendium. I was asked, not only once but twice,by my mentor ; let’s call him Richard, to write a second edition of his compendium aboutthe new European Knighthood. . . ».

« J’ai eu ou j’ai », ce « ou » aurait mérité une interrogation approfondie des experts. Car cetteincertitude marque pour nous l’aphanisis de la réalité et la trace du délire. Si ce n’était pas lecas A.B.B. aurait écrit « j’ai eu et j’ai » (encore), une relation assez étroite avec ce premier quia décrit le « parfait chevalier » – ce parfait chevalier qui n’est autre que la représentation idéalede soi-même. Pourquoi cette hésitation entre le passé et le présent. En quoi cette relation assezétroite est-elle seulement encore présente « peut-être » ?

Nous avons là un exemple d’un moment émotionnel particulièrement exceptionnel : un momentfécond qui va déterminer le Sujet jusque dans son crime. S’y condense l’Autorité tant recherchéequi l’investit d’une mission (de propagande), avec la dette implacable d’avoir eu la permissiond’entrer et d’y avoir été adoubé. Par la suite, une autre figure, qu’il nomme comme pour affirmerson emprise, son mentor, qui lui parle et qui le guidera désormais vers le Moi-Idéal jusqu’à êtreet incarner le « parfait chevalier », ce mentor lui demande d’être son double : faire une deuxièmeédition de cette nouvelle chevalerie. Voilà une identification bien problématique car elle se trans-forme en identité unitaire. . . « J’ai vécu mon rêve » commentera-t-il, reconnaissant ainsi cette

encore : Any public figure that openly opposes race-mixing or interracial relations and instead propagate the preservationof his tribe is aggressively persecuted, ridiculed and/or ignored by the European multiculturalist regimes, manifested byNGOs and the cultural Marxist mainstream media (p. 1157).

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part de rêve qui s’infiltre dans la réalité et finit par se prendre pour la réalité. C’est bien ce queEy décrit à la suite de nombreux autres auteurs :

« C’est à eux (aux « moments féconds ») que se réfère, à titre de preuves cruciales, de« pseudo-constats » d’événements indiscutables, la conscience paranoïaque toujours avidede drames et de dialectiques à son sommet, mais toute empreinte de mystères et d’ineffableà sa base. Dans la suite, ces « données immédiates » s’organisant en délire, s’enrichissentde faux souvenirs, se surchargent d’explications, se déploient en thèmes pittoresques ouscéniques ou s’organisent en systèmes de croyances et d’habitudes. Mais la vraie sourceprimitive, intuitive et ineffable du délire est dans ces moments où la dissolution des fonctionspsychiques livre l’individu au rêve, à l’inconscient et à la fiction ([1], p. 266).« La personne du délirant est une forme d’existence arrêtée, d’une image de soi tout à lafois artificielle, définitive et absolue. C’est par rapport à cette image de soi, à cet idéal duMoi que se construit la fiction des rapports du Moi et du monde : la thématique du dramedélirant. . . » ([1], p. 270).

2◦) Dans le même paragraphe, une seconde occurrence du délire semble se manifester :

« I was asked, not only once but twice, by my mentor ; let’s call him Richard, to write asecond edition of his compendium about the new European Knighthood. »

« J’ai été appelé (interpelé ?), pas une seule fois mais deux fois, par mon mentor ».

N’est-ce pas là la voix qui se manifeste, appelant le sujet de l’extérieur à lui-même, du Lieu del’Autre (Lacan), en tout cas dans un vécu de pure passivité (Ey) qui contrastera avec le délire futur,le délire secondaire et grandiose où le sujet développera activité, sthénicité, lucidité, logique,pragmatisme ? Sujet qui a vécu tellement fortement cette expérience qu’il en souligne le côtéexceptionnel « pas une seule fois, mais deux ». . .

Que la voix qui l’appelle soit celle de « Richard (Cœur de Lion) » celui qui le premier a décritle « parfait chevalier », provoquant une effusion narcissique, ne fait que conforter cette thèse del’expérience délirante primaire, du « moment fécond »18.

Que faut-il en conclure : que le sujet a eu des « expériences délirantes primaires » (Jaspers), des« moments féconds » (Ey, Lacan) passés inapercus aux yeux des témoins et des experts. Que cesexpériences hallucinatoires, émotionnelles, de dépersonnalisation ou de coïncidence merveilleuseavec l’idéal du moi, loin d’invalider le diagnostic de délire paranoïaque, le fondent et font le partageentre l’idéologie normale voire exagérée par la passion politique, et le psychopathologique, leDélire vrai, le Wahn des auteurs allemands19.

Le délire paranoïaque, autre discussion à avoir, n’est pas dans la simple continuité d’unepersonnalité paranoïaque20, n’est pas une simple exagération des traits de personnalité commenotre moderne DSM et les manuels de psychiatrie qui en découlent le laisse trop penser (on voit le

18 La Police n’a pas retrouvé la trace de la moindre réunion à Londres, ni dans les pays Baltes malgré un déploiement deplus de mille fonctionnaires. Mais, même si elle a existé et elle a peut-être existé, la tonalité de l’expérience subjective,cette place de sujet appelé, est la seule qui détermine le délire. Quant à cet Ordre des Templiers, il pourrait bien être ledélire imaginatif mégalomaniaque engendré à partir des paroles de cet anglais sur le Parfait Chevalier, anglais nommé« Richard (cœur de Lion) » dont les parenthèses (cœur de Lion), mises par A.B.B. lui-même, sont certainement le débutde la suite métonymique qui initie le délire. Fait que l’expertise n’a pas suffisamment exploré et reste non mentionné.19 Comme le souligne H. Ey dans ses « Lecons sur les Délires chroniques et les psychoses paranoïaques » [1].20 La seconde expertise conclut au diagnostic d’une personnalité paranoïaque, narcissique et antisociale sans trouble

délirant : on atteint le comble de la consternation. Quand, à la 3e, elle fait une synthèse des deux avec un hypothétique

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désastre où cela conduit après les contradictions des trois expertises !), c’est un processus délirantqui a une structure dans laquelle le sujet va s’engager en trouvant son unité. Cet engagementdu paranoïaque dans son délire est essentiel comme nous l’avons noté plus haut.

Cette structure se construit dans le temps, en émaillant son évolution par ces moments devacillement de la personnalité et de la réalité où puise le Délire. Il a fallu au moins dix ans àA.B.B. pour en venir à la totalité de sa logique délirante avec les atroces conséquences que l’onsait.

Chacun peut se rendre compte que l’autre moment fort se situe à l’acmé du Délire, lorsqu’iln’y a plus d’issue par la propagande, lorsque l’argent manque, lorsque l’Autre a gagné le combatintérieur, et que la signification délirante l’environne de toute part sans lui laisser d’issue. . . etoù le sujet écrit : « . . .je me sens comme une personne prise dans un vaisseau spatial en feu avecnulle part où aller. . . ». C’est la détresse absolue qui domine alors, l’expérience totale du délire.L’expérience d’angoisse délirante totale (autre « moment fécond ») perfore son moi tout prêt à serendre : « je ne veux pas le faire (ce carnage) ». Mais alors, l’insupportable Vérité du délire brûle lesujet de sa signification délirante (qu’il ne nous dit pas – le délire est clair en surface mais opaquedans ses fondement enseigne Ey – mais nous pouvons nous faire une opinion : il insiste tellementsur la lâcheté des positions bien-pensantes – celles de son père, du parti au pouvoir, etc., mais aussiles siennes – il insiste aussi tellement sur les vertus de la défense contre le rabaissement moral, etsurtout sur le viol des femmes par les muslins21, qu’on peut penser que le noyau du Délire a sansdoute quelque chose à voir, soit avec un traumatisme (comme, pourquoi pas ? le viol de sa grandedemi-sœur Elisabeth par un ancien « ami » musulman), soit avec l’apocalypse délirante et secrèted’être la femme qui manque à Allah. . .). C’est alors, dans un ultime effort que le sujet va trouverdans les ressources de son raisonnement Logique, matière à garder son personnage et à convenirqu’il est finalement beaucoup plus noble de mourir en héros : « Après tout, nous avons la Véritéet la Logique de notre côté et nous apprendrons à trouver des récompenses et la satisfaction dansnos actions ».

6. Conclusion

Anders Behring Breivik est fou, avant, pendant et après l’acte, il relève, dans la traditionpsychiatrique francaise, du diagnostic de Psychose paranoïaque. En sous-variété on peut évoquerun grandiose délire d’interprétation systématisée à thème géopolitique mondial et religieux. Il seprésente comme un syndrome de persécution, parfois envahissant la totalité de la personnalitémais généralement se limitant en secteur. Sa construction s’est faite sur le long terme, en dixans : 2002–2011. L’Idéalisme (Dide) est le moteur de la défense contre la persécution et le moteurde l’action passionnelle. Les aspects Idéalistes magnicides22 et les forts risques meurtriers etsuicidaires sont présents lors des « diastoles » mégalomaniaques, le risque meurtrier et suicidaire

syndrome d’autisme d’Asperger, un syndrome de Gille de la Tourette, une personnalité paranoïaque et un « possiblesyndrome délirant » : c’est le procès de la psychiatrie qui est en train de s’ouvrir.21 En audience, à la question qu’on lui a posée : mais pourquoi ? Il a répondu qu’il avait agi en pensant au viol des

femmes par les muslins. Sa réponse a paru scandaleuse aux parents et amis des jeunes gens exterminés, on les comprend ;pourtant elle contient à notre sens une vérité personnelle qu’il aurait été bon d’interroger un peu plus.22 Maurice Dide a décrit en 1913 dans son ouvrage « Les idéalistes passionnés » [16] ce type de délirants revendicateurs

idéalistes, meurtriers des grands personnages de ce monde. Ey cite ces cas dans ses Lecons : « Les idéalistes passionnésauxquels Dide a consacré une belle étude, fournissent la classe des réformateurs sociaux, extrémistes épris de doctrineset d’utopies. Apôtres aveugles de l’anarchie, de la liberté, de l’impérialisme ou de quelque religion nouvelle, ils parlent,agissent et écrivent. Ce sont ces malheureux qui, tourmentés d’idéal, aveuglés par l’idéologie fanatique, assoiffés de justice,

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est aussi présent mais à un moindre degré lors des « systoles » de persécution qui déterminentd’avantage les décisions « logiques ».

Ce délire d’interprétation a plusieurs ramifications :A) en délire de revendication avec défense hypersthénique de ses idées politiques concernant le

multiculturalisme dans lequel il voit le danger du rabaissement moral de l’Europe et du monde. Laparticularité de ce délire est que l’interprétation repose de facon exogène sur des discours politiques« prêts à l’emploi », et de facon endogène sur une logique inébranlable interne systématisée plusque sur des Perceptions délirantes, des hallucinations ou des intuitions délirantes (Wahneifall) quin’apparaissent pas aux experts, ce qui rend le diagnostic moins évident.

B) en délire de filiation mégalomane (noté par les experts) : « je serai Segur II, le nouveaurégent de Norvège ». Bref, avec l’Ordre des templiers se manifeste tout un appareillage hié-rarchique à la symbolique pseudo-paternelle, soutenu avec passion contre l’effondrement avec« conservation de la clarté et de l’ordre dans la pensée, le vouloir et l’action » (Kraepelin). Sonévolution s’est effectuée sur le long terme avec de nombreuses périodes de crises, d’expériencesdélirantes primaires, de moments féconds, de déstructuration de la conscience se présentant sousforme paranoïde.

Mais ce délire est particulièrement difficile à isoler : Sa folie puise dans l’actualité, aux sourcesdes peurs des groupuscules identitaires en occident, le discours anti-multiculturaliste devient sonthème de développement. De là, toutes les confusions sont possibles entre d’un côté les discourspolitiques, la paranoïa ordinaire de la théorie du complot et de l’autre côté le discours délirantque l’on ne sait plus identifier car on confond le thème du délire, son « contenu », avec le Délirelui-même. Car le thème du délire23, c’est-à-dire son contenu idéologique, n’est pas le Délire, nousdit H. Ey, il en est la facade, la défense, la grandiose création parfois (là, ce n’est pas le cas :A.B.B. n’a pas de génie propre : il recopie et compile). Le Délire, lui, apparaît lorsqu’au décoursde ces expériences délirantes assez brèves mais marquantes, le Sujet « se prend » au contenude son discours et en fait une construction d’idées savamment échafaudées avec la plus grandelogique, « idéo-logique », la plus exhaustive possible (le compendium), y trouve ses Idéaux et,moment essentiel, y unifie son « personnage »24 auquel il tient plus que tout. En fait, il repousseles affects qui y sont impliqués et dont il ne veut rien savoir. H. Ey explique cela très bien dansses Lecons. Ce pourquoi, à son délire, Anders Behring Breivik y tient particulièrement : il n’aurade cesse que de le faire partager, de le faire reconnaître et de le revendiquer. . . comme normal. . .

c’est-à-dire politique25.

deviennent des doctrinaires implacables, des délateurs systématiques, des « justiciers », leurs projets, leurs plans sontgrandioses, cosmiques, essentiellement sociaux et religieux. Ils rêvent d’instaurer le règne de l’abstinence, du végétarisme,de l’objection de conscience, du mormonisme, de la théosophie. . . Ils prêchent, font du prosélytisme. Ce sont des turbulents,des « agitateurs », des « pamphlétaires », et parfois des assassins, surtout des magnicides » ([1], p. 304).23 Voir le beau travail exposé au XV◦Congrès mondial de psychiatrie (sept. 2011) de Buenos Aires par Martin Reca

reproduit dans le No 29-30 des Cahiers H. Ey sur le « Thème du Délire » [18].24 [J’explique ce que j’ai gagné comme argent en travaillant parce qu’ils vont] tenter d’« assassiner mon personnage »

en m’étiquetant comme un « fou, looser, pédophile consanguin, nazi » (Recueil p. 1376 et svt).25 N.B : Au moment où nous avons écrit ce texte, le jury norvégien n’avait pas encore rendu son verdict. « La présidente

de la cour a levé le suspense qui pesait depuis des mois dès l’ouverture de l’audience, vendredi 24 août au matin, dans lasalle 250 du tribunal d’Oslo. Anders Behring Breivik a été jugé responsable de ses actes et condamné à la peine maximale[selon la loi norvégienne] de 21 ans de prison. Il ne pourra espérer la moindre libération conditionnelle durant les dixpremières années, et la peine pourra être prolongée de cinq ans en cinq ans indéfiniment s’il est considéré comme encoredangereux ». . . « Les relations entre justice et psychiatrie vont être largement débattues à l’avenir : sur la place à accorderaux experts, sur la procédure aussi, quand on sait que les médias et l’opinion ont eu un rôle primordial pour amener les

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Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

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autorités à nommer une seconde équipe de psychiatres » (Journal Le monde du 25/08/12). Finalement, le jury norvégien arendu un verdict conforme à la thèse de Ey : dans le verdict écrit-il « le doute doit profiter à la répression » [Lecons p. 363].