Retour Sur l'Imposition Du Travail Et Du Cap

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    Droit fiscal n 9, 28 Fvrier 2013, 163

    Retour sur l'imposition du travail et du capital en France depuis laRvolution

    Etude par Christophe de la Mardireprofesseur l'universit de Bourgogne

    Sommaire

    1. - La grande majorit des manuels de droit fiscal modernes tudient les principales impositions selon lanature de la richesse que celles-ci atteignent : revenu, dpense, capital. Non pas que l'analyse conomiquel'ait emport sur les distinctions juridiques, mais parce que cette opposition d'aprs les catgories derichesses - comme aurait pu le dire W. Churchill - est la pire, l'exception de toutes les autres.

    La distinction, autrefois majeure, entre impts directs et indirects est ruine depuis longtemps. Elle aussivoulut opposer des formes diffrentes de richesses. Celles, comme le revenu ou le capital, atteintes parl'impt direct, seraient statiques, acquises, stables. Celle frappe par l'impt indirect - la dpense pourl'essentiel - serait dynamique, volontaire et occasionnelle. Pourtant, si les droits de succession sont qualifisd'impt indirect pour tre causs par un fait, la mort d'une personne, rien n'est plus acquis et stable que lepatrimoine transmis par celle-ciNote 1. Par ailleurs, tudier d'un ct les impts rels, de l'autre les imptspersonnels, n'aurait aujourd'hui pas plus de sens. Il faudrait ainsi isoler la CSG, qui n'a d'yeux que pour lamatire imposable, de l'IR, impt trs personnalis en France, alors que tous les deux portent sur le revenu.

    L'examen de l'imposition du travail et du capital doit donc, sagement, s'insrer dans la distinction entrerevenu, dpense et capital. On peut, a priori, opposer ces notions sans trop de difficult : en frappant lecapital l'impt atteint la dtention de la richesse, en visant le revenu son acquisition, par la dpense sonutilisation. Pourtant, on ne peut ignorer que pour la grande majorit des contribuables une dpense n'estpossible qu' raison d'un revenu. Si le flux entrant est reprsent par ce dernier, et le flux sortant constitupar la dpense, il s'agit du mme argent, qui subit donc plusieurs impositions. Certes, il est concevable,quand on le peut, d'pargner une partie de ses gains, mais la richesse alors constitue est frappe autravers des revenus qu'elle produit (IR et CSG), lorsqu'elle change de patrimoine (droits d'enregistrementNote2, ou encore en elle-mme si elle devient importante (ISF). L'galit devant l'impt exige que celui-ci atteignetoutes les formes de richesses, la pression fiscale moderne explique qu'une mme richesse soit atteinte parplusieurs sortes d'impts.

    L'imposition du travail et du capital navigue entre celle du revenu et du patrimoine. Elle est tout aussi relativeet multiple. On dfinit le revenu comme tant issu d'une activit, le plus souvent professionnelle, ou d'unlment du capital, telle une maison donne bail. En principe le revenu provient donc d'une source de

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  • richesse : tant que l'employ travaille il peroit des salaires, tant que l'immeuble est donn en location ilproduit des loyers. Mais les plus-values sont aujourd'hui assimiles des revenus, alors qu'elles formentbien davantage des gains en capital. Un commerant est cens vivre de son travail, pourtant ladtermination de son bnfice prend en compte tous les modes d'enrichissement de l'entreprise ; parexemple une dette teinte par la prescription doit tre sortie du passif, ce qui augmente l'actif net et ds lorsle rsultat. Les BIC portent donc tant sur le travail que le capital.

    Si ces deux sources produisent des revenus, la premire est active, la seconde passive. Le travail secaractrise par un effort, atroce si l'on en croit l'tymologie (tripalium : instrument de torture), le capitalproduit des gains en dormant. Ce qui explique que les taux des impts cdulaires sur le revenu, aux dbutsde l'IR, taient plus levs pour les fruits du capital que ceux du travail. Le mme phnomne s'observeaujourd'hui avec la CSG. Si les droits de succession ont une si mauvaise image auprs de l'opinion, c'estparce qu'ils atteignent un patrimoine qui peut tre le rsultat du travail de toute une vie. En revanche, lesFranais sont attachs au principe de l'ISF, en tant qu'il frappe la richesse accumule, surtout degnrations en gnrations.

    Le propre du capital serait donc de constituer une richesse stable, acquise. C'tait particulirement vrai auXIXe sicle, poque laquelle la fortune tait surtout foncire. Cela ne se vrifie plus aujourd'hui o larichesse est bien davantage mobilire et donc volatile. Chaque jour, la mondialisation aidant, un nombreconsidrable de titres est chang. La cible est donc bien plus difficile atteindre.

    L'imposition du capital a constitu un idal rvolutionnaire, qui n'a cess de dcliner aux dpens de ladpense et du travail, deux matires imposables - on l'a vu - troitement lies. Il suffit d'observer les rentresbudgtaires de ces dernires annes, et la place symbolique qu'y occupe l'imposition du capital, pour seconvaincre de cette dcadence. Aujourd'hui la pression fiscale porte massivement sur la dpense, et soncorollaire le revenu ; donc, pour la grande majorit des contribuables, sur le travail. C'est d'autant plus vrailorsque l'on ajoute les cotisations sociales, particulirement leves dans notre pays, qui ne portent que surles revenus du travail.

    L'histoire rcente de la France s'crit coup de rvolutions, l'impt n'chappe pas la rgle. On prendraappui sur deux rvolutions fiscales : 1789 et 1914.

    1. Premire rvolution fiscale : 17892. - La Rvolution a non seulement voulu faire table rase du systme fiscal de l'Ancien Rgime, mais deplus elle a entendu bouleverser l'idologie incarne par l'impt. Auparavant celui-ci constituait un signed'asservissement politique puis social. l'origine, l'impt reprsentait une soumission l'autorit politique,d'o le combat des parlements contre le roi pour consentir l'obligation fiscale et ainsi rduire la puissancede l'tat. En France, l'impt tait la marque d'un avilissement ds lors que sa plus grande part taitsupporte par les classes sociales les plus pauvres. La Rvolution juridique et bourgeoise que fut 1789 - laclasse dominante voulant se donner les instruments de droit propres asseoir sa force conomique - eutl'habilet de renverser ce schma. Le paiement du nouvel impt, tout l'inverse, traduisait l'appartenance ducitoyen la nation. En effet, le systme censitaire rservait le droit de vote celui qui acquittait un montantminimal d'impt direct. De la sorte, l'individu qui participait suffisamment aux dpenses publiques pouvaitprendre sa part des dcisions politiques.

    Cette idologie avait bien sr pour but d'asseoir la domination de la bourgeoisie, en favorisant la puissanceconomique, alors incarne par la proprit immobilire. On sait que les rvolutionnaires furent trsinfluencs par les physiocrates. Ceux-ci voulurent tablir un impt unique sur la terre, tellement ils semontraient convaincus que toute richesse tait issue de celle-ci. Sans cder l'utopie de l'impt unique, lesdputs ont fortement concentr le nouveau systme fiscal sur le foncier. Les quatre contributions directesqu'ils ont cres, et dont la longvit leur valut plus tard le surnom de quatre vieilles, avaient toutes pourbase unique ou essentielle l'immobilier.

    La contribution foncire formait le plus lourd de ces impts, car elle devait fournir les quatre cinquimes desrecettes fiscales. Elle tait cense ne pas porter sur la terre elle-mme mais atteindre les revenus produits

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  • par celle-ci. Car, comme le disait le marquis de Mirabeau : Droits sur les fruits sont impts, droits sur lesfonds sont pillage . Cette taxation des revenus fonciers tait cependant des plus thoriques. D'abord parceque le prlvement se faisait par rpartition : la somme attendue de l'tat tait fixe l'avance, puis rpartiegographiquement. Or cette technique conduisit des grandes injusticesNote 3, du fait d'une mauvaiseprquation. Ensuite la mthode indiciaire retenue par la Rvolution ne pouvait, ni ne voulait, atteindre larichesse relle, ds lors qu'elle s'attachait des indices, des signes de richesse. Enfin, le prtendu revenucorrespondait la valeur locative cadastrale, soit les gains pouvant tre tirs de la location de l'immeuble,valeur aujourd'hui encore bien abstraite.Certes, la faible pression fiscale du XIXe sicle conduisait le citoyen-contribuable utiliser ses revenus pouracquitter les contributions. Celles-ci rduisaient donc les fruits et non le fonds. Pour autant, on ne peutdouter que la matire imposable vise ft constitue par la proprit immobilire elle-mme. Les dputs enfirent l'aveu, en rdigeant ainsi l'instruction gnrale de 1790 sur l'impt foncier : C'est la proprit quiseule est charge de la contribution foncire ; le propritaire n'est qu'un agent qui l'acquitte pour elle Note 4.Comment en douter alors que cette forme de richesse caractrisait la classe dominante ? D'ailleurs,aujourd'hui, on n'hsite pas placer les impts locaux parmi ceux portant sur le capital, or ce sont leshritiers en ligne directe des quatre vieilles.

    La patente et la contribution des portes et fentres portaient galement sur des immeubles. La contributionmobilireNote 5, en revanche, voulut atteindre le revenu, mobilier, mais toujours partir de signes extrieurset selon la technique de la rpartition. l'origine, elle tait forme de cinq taxes diffrentes : la taxe civique,fixe la valeur de trois jours de travail, celle sur les chevaux, une autre sur les domestiques, la coted'habitation et la taxe sur les revenus d'industrie et les richesses mobilires. La contribution s'attachaitparticulirement la dpense constitue par le loyer, de manire reconstituer le revenu lui correspondant.Par ailleurs, elle prenait en compte les charges de famille, avec l'ide que celles-ci rduisaient le revenudisponible. La taxe civique et celle sur les revenus d'industrie ne font pas douter que le travail tait soumis l'impt. Cependant, le revenu servant de base la contribution foncire tait dduit de celui soumis lamobilireNote 6, le capital venait donc s'imputer sur le travail.

    Ce systme tait trop complexe pour durer. Ds 1799, la contribution mobilire porta uniquement sur lavaleur locative de l'habitation, rejoignant ainsi les autres impts directs crs par la Rvolution. Pour autantles rpartiteurs ont continu la liquider en mesurant les facults contributives de chacun. Certains revenusdu travail chappaient aux quatre vieilles, comme les traitements et salaires, ou les gains des artistes, tandisque les bnfices agricoles n'taient pas soumis la patente.

    Le capital tait plus directement atteint par les droits d'enregistrement, qui comptaient parmi les rares imptsque la Rvolution n'avait pas supprims. La loi des 5 et 19 dcembre 1790 s'est mme fonde sur lesrglements de la Ferme gnraleNote 7, en dpit de la grande impopularit de cette dernire. Nave, la loitablait sur le civisme des citoyens, quelques annes suffirent lui montrer qu'elle avait tort. Elle futremplace par celle, bien plus rpressive, du 22 frimaire an VII qui, aujourd'hui encore, constitue un vritablecode de l'enregistrement. Avant la premire guerre mondiale, les droits d'enregistrement reprsentaient unpeu plus de 26 % des recettes fiscales de l'tatNote 8. En 1901, le tarif des droits de succession tait devenuprogressif et non plus proportionnel, marquant ainsi une nouvelle idologie fiscale.

    Le systme fiscal de la Rvolution n'tait pas en mesure de suivre le bouleversement conomique et socialque la France a connu dans la seconde moiti du XIXe sicle. Avec le dveloppement du capitalisme, larichesse, d'immobilire, devint mobilire, tenant de plus en plus dans les emprunts d'tat et les titres desocits. De 1850 1900, le capital mobilier a t multipli par 15 contre 2,2 pour l'immobilierNote 9. C'estdonc une grande partie de la richesse issue de la rvolution industrielle que le vieux systme fiscal n'taitpas en mesure d'atteindre. Le dveloppement du commerce et de l'industrie s'est accompagn de celui dusalariat, or l'impt direct n'atteignait pas les salaires. Fondes sur la mthode indiciaire, les quatre vieillesprovoquaient des injustices croissantes avec la monte de la pression fiscale. Car les interventions toujoursplus nombreuses de l'tat devaient tre finances. Le budget national passa de 1 3 milliards entre 1828 et1876Note 10. La bourgeoisie, dont le capital mobilier n'tait pas atteint, chappait de plus en plus l'impt.

    En raction, aprs la pousse populaire de 1848, l'tat a multipli les impts sur les valeurs mobilires.

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  • Outre les droits de timbre, le principal de ces prlvements fut l'impt sur le revenu des valeurs mobilires(IRVM), adopt en 1872. Cette imposition a clairement t tablie pour atteindre le capital mobilier, danstoutes les consquences financires qu'il produisait. Le dveloppement du capitalisme, tant au planconomique que financier, est spectaculaire dans la France du XIXe sicle. En 1816, la bourse de Paris necote gure plus de sept valeurs. En 1841 on en compte trois cents, dont les compagnies de chemin de fer etd'innombrables socits industriellesNote 11. La spculation est intense et certaines faillites retentissantes.

    L'IRVM est pour le moins symbolique d'une volont de taxer le capitaliste, dpeint comme un personnageoisif ; c'est celui qui s'enrichit en dormant, qui n'apporte que son capital et non son travail, et dont laresponsabilit est limite aux apports qu'il a raliss. ce propos la question s'est rapidement pose desavoir si les revenus distribus par les socits de personnes taient imposables. La rponse fut ngative,car l'IRVM avait pour but d'imposer le capital et non le travail, notamment pas celui fourni par les associs ennom et que rmunrent les distributions opres par l'entreprise. De plus il fallait rcompenser l'engagementindfini de leur responsabilit. De mme, les socits qui ne prsentent pas de nature capitaliste, comme lescoopratives ou les mutuelles, sont pargnes par l'imptNote 12. Le taux de l'IRVM, l'origine de 3 %, vaaugmenter au fil du temps de manire importante, avec de fortes disparits selon la nature des valeurs. Ainsiles jetons de prsence seront taxs jusqu' 35 %Note 13. Or ce ne sont pas des valeurs mobiliresproprement dites, mais ils correspondent bien l'ide du capitaliste, administrateur de socit qui peroitdes gains ne rsultant pas d'un travail. Pourtant cette vision est contestable, car les jetons sont censs venirrmunrer l'activit du mandataire social au sein du conseil d'administration.

    On aperoit donc la forte idologie de cet IRVM. Il convient cependant de le replacer dans son contexte, cardurant toute la seconde moiti du XIXe sicle, et jusqu'en 1914, une fameuse querelle dchana lespassions quant l'galit de traitement entre la richesse foncire et la fortune mobilire. Si des tudessavantes ont t menes pour savoir laquelle supportait la plus grande pression fiscale, la complexit dusystme d'imposition n'a pas permis d'apporter une rponse claireNote 14.

    Le rendement budgtaire de l'IRVM fut important. Ceci alors mme que les rentes sur l'tat, quireprsentaient la moiti de l'pargneNote 15, n'taient pas imposes. La rgle remontait la banqueroute desdeux tiers que la France connut sous la Rvolution. La situation financire de l'tat tait telle que la loi du 9vendmiaire an VI a prvu que les deux tiers des inscriptions sur le grand-livre de la dette publique seraientpays en assignats, soit en monnaie de singe, tandis le tiers restant se verrait consolid . Autrement dit,les inscriptions du dernier tiers seraient conserves et, titre de consolation, les revenus correspondantsexempts de toute retenue prsente et future . Ainsi on estimait que l'tat s'tait engag ne pas taxer lesrentes. En ralit, la puissance publique se mnageait les moyens de son propre crdit, par l'exonrationelle s'assurait de rester la premire attirer les capitaux. D'ailleurs elle eut grand besoin de cette exemptionpour lancer les emprunts de la premire guerre mondiale.

    la fin du XIXe sicle, la France se situe trs loin du paradigme fiscal de la Rvolution. Celle-ci avaitsupprim les impts indirects, notamment parce qu'ils taient lourds supporter pour le peuple. Mais lafaible rentabilit des quatre vieilles conduisit les rtablir ds le Directoire. Le poids des impts sur laconsommation n'a cess de crotre au fil du sicle. tel point qu'en 1900 les impositions directes nereprsentaient plus que 20 % des rentres fiscales. La rvolution fiscale tait refaire.

    2. Seconde rvolution fiscale : 19143. - l'issue de la premire guerre mondiale, notre pays a chang de systme fiscal. Aux impts spciauxdu XIXe sicle, ne portant que sur un lment de la richesse, ont succd des impts gnraux, frappanttoute une catgorie de richesse. Ainsi, aux multiples droits sur la consommation, s'est substitu un imptgnral sur la dpense, qui allait devenir la TVA. De mme l'IR imposera tous les revenus.

    Au regard de cette dernire imposition, la France tait en retard vis--vis de ses voisins. EnGrande-Bretagne, l'impt sur le revenu est apparu ds 1799 et ne devint certes durable qu' partir de 1842.Mais, comme en PrusseNote 16, il avait pour objet d'accrotre les ressources de l'tat tout en poursuivant desfins sociales et politiques. Il a en effet permis de rduire les droits indirects sur les produits courants et donc

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  • de calmer les protestations populaires contre la chert de la vie. C'est ainsi que la Grande-Bretagne traversapaisiblement la crise de 1848.

    Ce fut compter de cette date, et surtout sous la IIIe Rpublique, que la controverse autour de l'impt sur lerevenu dchana les passions franaisesNote 17. Les conservateurs taient trs hostiles l'IR, car celui-cireprsentait un changement de socit. L'impt direct, rel et proportionnel du XIXe sicle tait le rsultatd'une volont de stricte justice fiscale, au nom de laquelle chacun contribuait proportion de sa richesse.Une imposition sur le revenu, personnelle et progressive, marquait le passage d'une galit non plus devantl'impt mais par l'impt. L'ide de solidarit que supposait l'IR, en faisant que seuls les riches participent auxdpenses publiques, notamment pour venir au secours des pauvres, marquait cette mutation de lasocitNote 18. Adopter cet impt, c'tait changer de sicle.

    Surtout, le caractre dclaratif de l'IR faisait redouter ce que tout le monde appelait l'inquisition fiscale ,autrement dit le contrle de l'impt. Que le contribuable dt rvler le montant de ses revenus, ouvrir lesecret de ses affaires, se plier aux investigations du fisc, c'tait la fin d'une poque o l'tat devait secantonner la protection du citoyen, tout en constituant pour celui-ci le principal danger. S'en tait terminde la tranquillit du bon pre de famille, retranch dans ses terres, jaloux de ses droits, tenant l'tat pour unennemiNote 19.

    De son ct, la gauche ne cachait pas la coloration politique de la rforme fiscale qu'elle appelait de sesvoeux. Ainsi, Jaurs dfendait la progressivit de l'impt avec l'ide que la puissance tire par les riches deleur fortune tait elle-mme non pas proportionnelle mais progressiveNote 20. En effet, plus on est riche, plusil est facile de le devenir davantage. Par exemple en misant toujours plus d'argent dans des placementsfinanciers, pour rcolter ainsi toujours plus d'intrts, qui seront placs leur tour. L'impt progressif auraitdonc pour consquence non seulement d'atteindre le revenu rel mais galement d'en rduire les effets.Car, en amputant les plus grandes fortunesNote 21, il entranerait une redistribution des richesses et donc lenivellement des ingalits.

    Ce fut l'approche de la guerre de 1914 qui contraignit les conservateurs cder, en adoptant cependant untexte de compromis, lequel aboutit un impt qui connut les plus grandes peines pour tre accept. Lagauche eut le jeu facile en accusant les riches, qui rejetaient le projet d'IR, de ne pas vouloir payer une justecontribution l'effort martialNote 22. L'application de l'impt sur le revenu fut retarde par le conflit. Iln'intervint qu' compter de l'anne 1916. La technique retenue n'tait pas, loin de l, entirementprogressive. En effet, elle retenait des impositions qui taxaient de faon proportionnelle les diffrentescdules, ou catgories de revenus. Ainsi, on trouvait juste de taxer plus lourdement les revenus du capitalque ceux du travail car, prcisment, il n'est pas besoin de travailler pour engranger les premiers. Auximpositions cdulaires se superposait un impt progressif portant sur l'ensemble des revenus. On a dit quele tout ressemblait un temple grec, avec des colonnes proportionnelles supportant un toit progressifNote 23.Le rgime de l'impt gnral tait d'une grande timidit. Le seuil d'imposition fut plac 5 000 F, ce quicorrespondait l'entre dans le groupe social de la bourgeoisieNote 24, alors que les taux ne dpassaient pas2 %. On tenait tellement mnager le contribuable que les personnes de plus de 30 ans taient dispensesde faire connatre leur geNote 25.

    Cet eldorado fiscal prit fin ds 1917, anne compter de laquelle furent levs les impts cdulaires. Des loisadoptes en 1920, 1924 et 1926 ont considrablement augment les taux, parfois de manire outre. Ainsi,en 1924, afin de combattre la crise dmographique, le taux marginal de l'impt gnral sur le revenu atteignit90 % pour les clibataires et les couples sans enfantNote 26. La France avait fait le choix de financer laguerre par l'emprunt, or l'emprunt du jour n'est autre que l'impt du lendemain. En 1918, la dette publiquereprsentait 160 % du PIBNote 27. Il fallait bien rembourser. L'imposition du revenu devint nanmoinsbeaucoup plus juste. Elle atteignait tous les gains, pour les frapper de faon raliste et non plus indiciaire.Elle prenait en compte la nature du revenu comme la personne du contribuable. Impt de quotit, l'IR faisaitoublier les injustices de la rpartition. La progressivit lui permettait de rclamer aux plus riches une plusgrande contribution. Son rendement s'avra bien plus productif que celui des quatre vieilles qui, en 1913,produisaient 560 MF, alors qu'en 1938 les impts sur le revenu gnraient 10 milliards, 256 milliards en1948Note 28. Malgr cela, cette mme et dernire date, les impts indirects reprsentaient encore 374milliards. L'IR n'a donc pas permis de les diminuer, mais il a sensiblement accru la charge fiscale des plus

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  • richesNote 29.

    Pour autant, il produisait des ingalits flagrantes. Car l'Administration n'tait nullement prpare uncontrle d'autant plus ncessaire que la fraude tait considrable. La hantise de l'inquisition fiscale fitque pendant longtemps le fisc ne disposa pas des moyens de lutter contre cette fraude, or celle-ci avaitnotamment pour cause la protestation contre l'inquisitionNote 30. L'Administration n'avait pas non plus letemps de contrler les contribuables, car il lui fallait traiter chaque anne des centaines de milliers dedclarations. Une couverture de L'Assiette au beurre montre les quatre vieilles ricanant devant unnouveau-n aux yeux bands, l'impt sur le revenu, qui cherche dsesprment attraper les contribuables.

    tel point que l'IR fut appel l'impt des poires : seuls les professionnels dpendants, salaris etfonctionnaires, le payaient, car leurs revenus taient connus ; alors que les indpendants - agriculteursNote31, commerants et artisans, professions librales - y chappaient largement. La fraude a donc ruin l'galitattendue de l'IR. Celle sur les revenus des valeurs mobilires fut sans doute la plus considrableNote 32.Pourtant l'IRVM, devenu impt cdulaire aprs 1914, obligeait les banques oprer une retenue la source.Mais les revenus de valeurs trangres pouvaient tre perus hors de France et galement sur le territoirenational, sans que le fisc n'en ait connaissance. Enfin, une partie des titres tait anonyme. Toute mesure delutte contre la fraude conduisit la fuite des capitaux, particulirement au profit de la Suisse.

    Une importante rforme fut adopte en 1948, dans le but de simplifier un impt devenu dj trs complexe,de lutter contre la fraude et d'atteindre une plus grande justice fiscale. Ce n'est qu'aprs cette refonte quel'IR atteint sa maturit et montra, enfin, de l'efficacit. La notion de revenu avait t largie ds 1933 avec lathorie du bilan ; permettant, au nom d'une prtendue autonomie du droit fiscal, de taxer les plus-values desentreprises industrielles et commerciales. En 1963, certaines plus-values immobilires de particuliersdeviennent imposables, en 1976 c'est le tour des gains sur la cession de valeurs mobilires. Ces rformesont fait dire un auteur : L'impt sur le revenu tend ainsi devenir, dans notre droit fiscal, une espce depavillon de complaisance qui permet d'atteindre un peu n'importe quelle matire imposable, et notamment defrapper le capital sans le dire, sous couvert de taxer le revenu Note 33.

    Aprs l'arrive de la gauche au pouvoir, en 1981, le taux marginal de l'IR monta jusqu' 65 %. Surtout,l'instauration de l'impt sur les grandes fortunes marqua l'intention de faire payer les riches . C'est decette poque que partit le mouvement d'exil fiscal des plus aiss. Alors que l'impt sur la fortune taitplafonn en fonction des revenus, un gouvernement de droite entendit rduire les effets de cette limite pourles plus gros patrimoines. Ce plafonnement du plafond conduisit certains contribuables payer plusieursfois le montant leurs revenus au seul titre de l'ISF, sans que le Conseil constitutionnel ni la Cour decassation ne s'en meuvent. L'imposition du capital a alors franchi une tape dcisive : elle ne conduisaitplus seulement rduire les revenus gnrs par le patrimoine, mais entamer la matire imposableelle-mme. L'instauration du bouclier fiscal , en 2007, qui avait pour but de faire revenir les riches, fut unchec, tous points de vue. Il fut supprim en 2011, tandis que l'ISF devenait un impt proportionnel et nonplus progressif. En 2012, la gauche vota une contribution exceptionnelle sur la fortune , dont le but taiten ralit de rtablir, rtroactivement, l'ancien barme progressif. Cette contribution ne fut pas plafonne, cequi a certainement aggrav l'exil fiscal. partir de 2013, l'ISF redevient un impt progressif et plafonn.Les droits de succession se distinguent par une fracture entre les transmissions en ligne directes, dont trspeu sont imposables, et les autres, surtaxes. Dans cette dernire hypothse l'impt joue un rle de niveleurde fortunes. Personne ne s'meut qu' la mort d'un concubin, celui qui lui survit soit impos 60 %, alorsqu'en cas de mariage ou de PACS la succession est exonre. N'oublions pas les impts locaux, parlesquels l'immobilier subit des impositions qui peuvent tre lourdes, au titre des taxes foncires et de lacontribution conomique territoriales.

    L'impt sur le revenu a vu sa progressivit baisser, jusqu' la cration rcente d'un taux marginal 45 %.Son rendement fut amoindri par la profusion de rductions et crdits d'impt, poursuivant des finalitsdiverses dont bien peu sont atteintes. Surtout, l'IR a t supplant par ces impts sociaux sur le revenu quesont la CSG et la CRDS, dont le rendement est bien suprieur. Et pour cause, presque personne n'chappe ces prlvements, strictement proportionnels et impersonnels. Il est troublant de constater que noussommes revenus au point de dpart : celui du projet Caillaux, avec une juxtaposition d'impts proportionnels

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  • et progressifs. S'ajoute, depuis 2011, une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont lerendement, au regard du nombre des intresss, ne manque pas d'tre drisoire.

    Le gouvernement actuel a dit vouloir aligner le rgime fiscal des revenus du capital sur celui du travail. Or lespremiers faisaient dj l'objet d'une imposition plus lourde, raison d'impts sociaux 15,5 % contre 8 %pour les revenus du travail. Il faut rappeler que l'abattement de 40 % dont profitent les dividendes est censreprsenter l'impt sur les socits dj acquitt. Les prlvements libratoires ont t supprims, toujourspar souci d'galit. Il est possible que cette mesure cote de l'argent au Trsor, plutt que de lui en apporter.En effet, nombreux taient les contribuables trouver commode la technique du prlvement obligatoire,alors que les taux de celui-ci ont si bien augment que les intresss auraient t moins taxs parl'application du barme progressif.

    Enfin le Conseil constitutionnel a rendu une dcision historiqueNote 34, censurant plusieurs dispositions de laloi n 2012-1509 du 29 dcembre 2012 de finances pour 2013 aboutissant une imposition globale etmarginale juge abusive. Or, taient en cause tant les revenus du capital que ceux du travail.

    3. Conclusion

    4. - De l'idal rvolutionnaire demeurent les impts locaux, vieux prlvements, peu productifs etparticulirement injustes. Les autres impositions sur le capital sont ngligeables en termes budgtaires, leurfonction est bien plus politique que financire. L'essentiel des ressources est toujours reprsent par lataxation de la dpense, la TVA reprsentant la moiti des rentres fiscales de l'tat. Le reste repose surl'imposition du revenu, gains du travail comme du capital, avec les impts sociaux, l'IR et l'IS. Que dervolutions, que de passions, que d'agitations autour de la question de l'impt, pour bien peu dechangement, depuis deux sicles, quant la rpartition matrielle de la pression fiscale. L'impt demeure enFrance une affaire terriblement politique.

    Note 1 E. Allix, Trait lmentaire de science des finances et de lgislation financire franaise : Rousseau, 5e d., 1927, p. 41.

    Note 2 On notera que le redevable des droits d'enregistrement est par principe celui qui enrichit son patrimoine d'un nouvellment, comme par l'achat d'un immeuble ; mais il a alors ralis une dpense, qui certes ne relve pas de la consommationmais de l'investissement. D'ailleurs la TVA porte en partie sur l'immobilier.

    Note 3 En 1887, selon les communes, le taux de la contribution foncire variait de 0,15 42 %, cf. J. Laferrire et M. Waline,Trait lmentaire de science et de lgislation financires : LGDJ, 1952, p. 380. Ladite contribution ne fut transforme en imptde quotit qu'en 1890.

    Note 4 Cit par G. Gest et G. Tixier, Manuel de droit fiscal : LGDJ, 4e d., 1986, p. 366.

    Note 5 Ibidem, p. 367.

    Note 6 E. Allix, Trait lmentaire de science des finances et de lgislation financire franaise, prc., p. 514.

    Note 7 A. Kurgansky, Les fondements du rgime actuel des droits d'enregistrement, in H. Isaia et J. Spindler, (dir.), Histoire dudroit des finances publiques, vol. II : conomica, coll. Finances publiques, 1987, p. 390.

    Note 8 G. Gest, G. Tixier, Manuel de droit fiscal, prc., p. 371.

    Note 9 H. Isaa et J. Spindler, La cration d'un systme d'imposition des revenus, in Histoire du droit des finances publiques,prc., p. 21.

    Note 10 P. Benoit, L'imposition du revenu des valeurs mobilires dans le systme fiscal franais : Revue de science financire1969, p. 375.

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  • Note 11 R. Stourm, Systmes gnraux d'impts : Guillaumin, 2e d., 1905, p. 338.

    Note 12 E. Allix, Trait lmentaire de science des finances et de lgislation financire franaise, prc., p. 593.

    Note 13 J. Laferrire et M. Waline, Trait lmentaire de science et de lgislation financires, prc., p. 458.

    Note 14 V. R. Stourm, Systmes gnraux d'impts, prc., p. 342 et s.

    Note 15 Ibidem, p. 350.

    Note 16 O il fut tabli en 1891, 1864 en Italie, 1893 aux Pays-Bas, 1913 aux tats-Unis, cf. N. Delalande, Les Batailles del'impt : Seuil, coll. L'univers historique, 2011, p. 216.

    Note 17 Jamais un dbat fiscal n'avait suscit autant de passions politiques, de protestations et, in fine, de haine , V. N.Delalande, Les Batailles de l'impt, prc., p. 241.

    Note 18 H. Isaa et J. Spindler, La cration d'un systme d'imposition des revenus, prc., p. 23.

    Note 19 H. Truchy, cit par H. Isaa et J. Spindler, La cration d'un systme d'imposition des revenus, prc., p. 18.

    Note 20 G. Ardant, Histoire de l'impt, t. 2 : Fayard, 1972, p. 408.

    Note 21 Rsultat qui sera effectivement atteint, V. Th. Piketty, Les hauts revenus en France au XXe sicle, ingalits etredistributions, 1901-1988 : Grasset, 2001.

    Note 22 H. Isaa et J. Spindler, La cration d'un systme d'imposition des revenus, prc., p. 42.

    Note 23 P.-M. Gaudemet et J. Molinier, Finances publiques, t. 2 : Montchrestien, 5e d., 1992, p. 285.

    Note 24 Ch. Charles, Histoire sociale de la France au XIXe sicle : Seuil, 1991, p. 334.

    Note 25 A. Mihlau, De la dclaration du contribuable en matire d'impt gnral sur le revenu et d'impts cdulaires : thseParis, Rousseau, 1923, p. 135.

    Note 26 N. Delalande, Les Batailles de l'impt, prc., p. 295.

    Note 27 Ibidem, p. 274.

    Note 28 J. Laferrire et M. Waline, Trait lmentaire de science et de lgislation financires, prc., p. 383.

    Note 29 Ibidem.

    Note 30 L. Trotabas, Prcis de science et technique fiscales : Dalloz, 2e d., 1960, n 75.

    Note 31 En 1921, seuls 122 000 contribuables sont assujettis la cdule des bnfices agricoles, pour une populationagricole active estime 8,9 millions de personnes , V. N. Delalande, Les Batailles de l'impt, prc., p. 306.

    Note 32 N. Delalande, Les Batailles de l'impt, prc., p. 326 et s.

    Note 33 P. Amselek, La taxation d'office l'impt sur le revenu ou sur un Janus fiscal : D. 1980, p. 38, note 32.

    Note 34 Cons. const., dc., n 2012-662 29 dc. 2012 DC.

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