Responsabilité civile en ophtalmologie

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 97–104

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

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Jurisprudence

Responsabilité civile en ophtalmologie

Céline Hauteville-Vila (Élève avocate)53, rue Blanche, 75009 Paris, France

Disponible sur Internet le 3 mars 2014

Résumé

Examen de décisions récentes de jurisprudences récentes dans la spécialité de l’ophtalmologie, matièrequi relève du droit commun de la responsabilité, mais, avec une très forte spécificité liée aux techniquesutilisées.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

La responsabilité en ophtalmologie répond bien sûr au droit commun : la preuve d’une fauteayant causé le dommage, et l’indemnisation par l’ONIAM en cas de dommage grave, supérieurau taux de 25 % d’IPP. Mais la matière, qui est assez contentieuse, connaît une forte spécificitédu fait des techniques opératoires. De plus, les affaires se situent en règle générale sur le terrainde la perte de chance, mais sans systématisme, comme le montre l’une des affaires jugées (CAANancy, 14 novembre 2013).

1. Faute chirurgical et réparation globale

1.1. CAA Nancy, 14 novembre 2013, no 12NC02052

Une patiente a été hospitalisée au CHU de Reims afin d’y être opérée le 4 février 2008, sousanesthésie locale, de la cataracte de l’œil droit. Une rupture capsulaire étant survenue au cours del’intervention chirurgicale, celle-ci n’a pu être menée à son terme.

Les examens subis ensuite par la patiente, qui souffrait de vives douleurs, ont montré notammentun décollement de la rétine de l’œil droit, auquel il n’a pas été possible de remédier malgré deuxnouvelles interventions réalisées à la polyclinique Courlancy de Reims en avril et juin 2008.

L’état oculaire s’est dégradé et a évolué vers une cécité irréversible de l’œil droit.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.008

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1.1.1. En droitAux termes du I de l’article L. 1142-1 du CSP :« Hors le cas où leur responsabilité est encourue à raison d’un défaut d’un produit de santé,

les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que toutétablissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de préven-tion, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes deprévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».

1.1.2. AnalyseLa patiente a été victime d’une rupture capsulaire lors de l’intervention chirurgicale pratiquée

le 4 février 2008 afin de traiter la cataracte de son œil droit.Si cette complication opératoire est susceptible de survenir à l’occasion de toute opération de

la cataracte, même prise en charge par un chirurgien expérimenté, il résulte de l’instruction, etnotamment du rapport d’expertise diligenté par le tribunal administratif, que le praticien chargéde l’intervention, qui était, à l’époque, des faits interne dans le service d’ophtalmologie du CHUde Reims, n’a pas su gérer ladite complication conformément aux règles de l’art.

Malgré les difficultés majeures que rencontrait ce praticien débutant, l’assistant chef de cliniqueau service d’ophtalmologie, qui l’assistait au cours de l’opération en qualité de médecin senior,n’a pas jugé utile de prendre immédiatement la relève et de poursuivre lui-même l’intervention,alors qu’il aurait été en mesure de gérer au mieux cette rupture capsulaire, compte tenu de sonexpérience professionnelle.

Si le centre hospitalier, qui n’apporte aucun élément de nature à contredire les faits tels qu’ilssont relatés dans le rapport d’expertise, fait état de ce que la patiente ne cessait de bouger sonœil pendant l’opération, l’intéressée, qui a été victime d’un accident vasculaire cérébral en 2002,soutient sans être contredite sur ce point qu’elle est restée partiellement paralysée à la suite de cetaccident et n’a plus la maîtrise de son œil, ainsi qu’il est d’ailleurs indiqué à son dossier médical.

La succession de négligences ainsi observées dans la prise en charge de la patiente lors del’intervention réalisée le 4 février 2008 est, dans les circonstances de l’espèce, constitutive d’unefaute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

1.1.3. PréjudiceLe centre hospitalier soutient que la vitrectomie avec implantation réalisée le 31 mars 2008 à

la polyclinique Courlancy de Reims peut se trouver à l’origine du décollement de rétine observéchez la patiente et ayant entraîné la perte de son œil droit.

Toutefois, il ressort du rapport d’expertise qu’à la suite de l’opération intervenue le 4 févrierprécédent, la patiente présentait alors à son œil droit une hémorragie rétinienne et un décollementchoroïdien. En outre, il résulte de la contre-expertise produite par le centre hospitalier que l’étatoculaire de la patiente résultant de l’opération du 4 février 2008 imposait une reprise chirurgicalepar vitrectomie, seule opération de nature à prévenir un décollement de rétine.

Si l’expert du CH indique encore que le type de décollement constaté, par trou maculaire, n’estpas celui classiquement relevé après une rupture capsulaire, il ne l’exclut pas formellement.

Si l’opération de la cataracte n’est pas sans risque et peut entraîner la perte de la vue, il ressortencore de la contre-expertise produite en défense que, pour ce type d’opération, les rupturescapsulaires ne surviennent que dans 5 % des cas, et les décollements de rétine dans 1 % des cas,alors que, selon l’expert désigné par le tribunal, l’œil à opérer ne présentait pas de facteur derisque particulier sur le plan chirurgical.

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Cet expert ajoute dans son rapport que la rupture capsulaire lors de l’intervention du 4 février2008 a favorisé la survenue d’un décollement de rétine récidivant aboutissant, malgré les ten-tatives de reprise chirurgicale effectuées à la polyclinique Courlancy, à la perte fonctionnellede l’œil droit chez la requérante, et conclut que « les complications oculaires droites survenuesultérieurement à l’opération du 4 février 2008 sont directement imputables à la rupture capsu-laire et à sa gestion imparfaite ». Dans ces conditions, la faute commise lors de l’interventionau centre hospitalier se trouve à l’origine directe des séquelles dont la patiente est restéeatteinte.

Par la suite, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Reims, non pas la perte de chancepour Mme C. de se soustraire à une aggravation de son état, mais la réparation de l’ensemble dudommage corporel qu’elle a subi.

2. Retard dans le diagnostic et perte de chances

2.1. CAA Bordeaux, 5 novembre 2013, no 12BX01737

2.1.1. FaitsLe 26 mai 2006, une dame a été victime d’une blessure à l’œil droit alors qu’elle jardinait.

Ressentant de fortes douleurs à l’œil, elle a consulté le lendemain son médecin traitant qui l’aadressée en urgence à un ophtalmologiste de l’hôpital d’Auch qui l’a recue en consultation l’après-midi même. Ce médecin décida alors son transfert vers le CHU de Toulouse où elle était admisele 27 mai.

Le 29 mai la présence d’un corps étranger intra-occulaire a été diagnostiquée et la patiente aété traitée pour une endophtalmie sévère de l’œil droit du 30 mai au 7 juin.

Le 1er juin, la patiente a subi une intervention chirurgicale pour extraire un corps métalliqueprésent dans son œil, ainsi qu’une vitrectomie et une kératoplastie. Il a alors été constaté unenécrose totale de la rétine.

Par la suite, devant l’évolution atrophique de la rétine, deux interventions de recouvrementconjonctival ont été réalisées en février 2007 et une prothèse de l’œil droit a été posée en mai2007.

2.1.2. FauteLe diagnostic d’endophtalmie n’a été posé au CHU de Toulouse que le 29 mai 2006 après une

échographie orbitale et un scanner orbital. Or, ce diagnostic aurait pu être fait le 27 mai 2006,dès l’admission de Mme A. dans l’établissement, si un examen radiologique avait été réalisécomme il est d’usage d’effectuer systématiquement, en présence d’un traumatisme oculaire auxcirconstances mal définies et chaque fois qu’il n’est pas possible de faire, comme en l’espèce, unexamen complet de l’œil.

Ce retard de diagnostic qui n’a pas permis le traitement rapide de l’endophalmie, pri-mordial dans ce type d’affection, constitue une faute de nature à engager la responsabilitédu CHU.

2.1.3. Détermination de la fraction du dommage2.1.3.1. En droit. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’unpatient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélio-ration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement dela faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage

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corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparationqui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminéeen fonction de l’ampleur de la chance perdue.

2.1.3.2. En fait. Le CHU de Toulouse soutient que la perte de chance subie par la patiente d’éviterune nécrose rétinienne irréversible doit être considérée comme ayant été très faible, compte tenudu délai supérieur à vingt-quatre heures qui a séparé la survenue de l’accident domestique etl’hospitalisation de la patiente dans son établissement.

Toutefois, il résulte de l’instruction, notamment des déclarations de la patiente au cours desopérations d’expertise, confirmées par son entourage, que l’accident s’est produit le 26 mai2006 entre 21 heures et 22 heures. La fiche de transport de la patiente par taxi pour motif médi-cal entre l’hôpital d’Auch et le CHU de Toulouse fait apparaître qu’elle a été admise au CHUvers 19 heures le 27 mai 2006. Le délai de vingt-quatre heures au cours duquel, selon la littéra-ture médicale, un traitement médical offrirait des chances élevées de guérison, n’était donc pasécoulé.

Dans ces conditions, le retard de diagnostic et de traitement médical imputable au CHU a faitperdre à la patiente des chances importantes d’éviter l’aggravation de son état de santé.

Le retard fautif a en l’espèce entraîné une perte de chance d’échapper à la perte totale de sonœil droit, qui peut être fixée à 80 %.

3. Faute technique, mais préjudice marginal

3.1. CAA Paris, 20 juin 2013, no 09PA07213

3.1.1. FaitsJonathan, né le 13 novembre 1994 à trente et une semaines d’aménorrhées avec un poids de

14,30 kg, a consulté, au mois de février 1996, le Docteur P. à l’hôpital Armand-Trousseau enraison d’un strabisme divergent de l’œil gauche, qui présentait une légère hypertonie oculaire etune acuité visuelle inférieure au no 1.

Il a subi deux interventions chirurgicales les 9 mai et 14 novembre 1996, pratiquées par ledocteur P. à l’hôpital Saint-Antoine, pour une ablation de la membrane pré-pupillaire puis un« broutage »de la cataracte.

Malgré ces interventions, l’acuité visuelle de l’œil gauche est restée identique, l’enfant, dontl’œil était en outre souvent douloureux, étant régulièrement examiné aux services des urgences ducentre national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts et de pédiatrie de l’hôpital Armand-Trousseau.

Du fait des douleurs et de saignements dans la partie antérieure de l’œil gauche, qui étaitégalement hypertone, le docteur P. a, le 9 mars 2000, procédé à un examen de l’œil, sous anesthésiegénérale, au centre national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts.

Jonathan a ensuite été hospitalisé, dans ce même service, pour subir, le 22 juin 2000, uneopération d’un glaucome, consistant en une trabéculectomie et une cryoapplication, opérationpratiquée, sous anesthésie générale, par le docteur P.

L’intervention s’est compliquée, en postopératoire immédiat, d’une hémorragie expulsive,l’enfant ayant, en outre, dès le mois de juillet 2000, présenté un épisode d’œdème palpébral et desdouleurs aiguës orbitaires, nécessitant une prise en charge par le centre anti-douleur de l’hôpitalArmand-Trousseau pour l’administration de morphine.

L’enfant est aujourd’hui monophtalme et porte une prothèse de recouvrement.

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3.1.2. AnalyseL’examen de l’œil gauche de l’enfant, pratiqué le 9 mars 2000 a duré quarante minutes, soit une

durée plus longue que celle habituellement nécessaire pour ce type d’examen, et des compressesont été posées dans la gorge du patient en début d’intervention, afin d’absorber le sang et lesdébris qui pourraient s’y écouler.

Or, selon l’expert, l’examen de l’œil ne devait pas impliquer la pose de telles compresses.À supposer, comme le suggère l’expert au vu du compte rendu de la consultation médicale

du 12 mars 2000, qu’un sondage des voies lacrymales a été pratiqué au cours de cet examen,il ne résulte nullement de l’instruction qu’un tel sondage n’était pas nécessaire pour procéder àl’examen de l’œil et établir un diagnostic, ni que l’intervention sur les voies lacrymales puisseêtre à l’origine de complications intraoculaires.

En l’absence de faute pouvant être reprochée au praticien lors de l’intervention pratiquée le9 mars 2000, les requérants ne sont pas fondés à engager la responsabilité de l’AP–HP à ce titre.

En procédant au cours de la même intervention du 22 juin 2000, à une trabéculectomie etune cryoapplication, alors que l’œil de Jonathan, âgé de seulement cinq ans, était déjà fragilisépar au moins deux interventions précédentes, réalisées en 1996, le chirurgien a pris des risquesqu’aucune urgence ne justifiait.

Les chances d’obtenir une amélioration de la vision étant en outre quasiment nulles.Le praticien soutient que le cumul des deux interventions le même jour se justifiait par la

volonté d’éviter le renouvellement d’une anesthésie générale, mais cette circonstance ne sauraittoutefois justifier la prise des risques encourus et qui se sont réalisés, l’enfant ayant perdu son œildans des conditions très douloureuses.

Le praticien a ainsi commis une faute dans le choix thérapeutique de nature à engager laresponsabilité de l’AP–HP.

3.1.3. PréjudiceL’œil gauche, qui était malformé avec une cataracte congénitale dans le cadre d’une prématurité,

était particulièrement fragilisé du fait des interventions réalisées en 1996 et il n’existait, d’aprèsl’expert, « pratiquement pas de chance » qu’il récupère une acuité visuelle supérieure à celle qu’ilavait en préopératoire et qui était difficilement mesurable.

Eu égard à l’importante probabilité que le patient avait de perdre son œil, il y a lieu d’évaluerl’ampleur de la perte de chance d’échapper à l’aggravation de son état de santé par la pertedouloureuse de son œil à 10 %.

4. Infection nosocomiale peropératoire

4.1. CAA Douai, 12 mars 2013, no 12DA00008

Le 19 mai 2003, une patiente née le 27 avril 1932, a subi, au sein du service d’ophtalmologie duCHU d’Amiens, une chirurgie de la cataracte sur l’œil gauche.

Des suites immédiates de cette opération, la patiente a souffert d’une endophtalmie qui, malgrél’antibiothérapie mise en œuvre, a évolué vers une cécité définitive de l’œil gauche.

Par un jugement en date du 17 novembre 2011, le tribunal administratif d’Amiens a, d’unepart, considéré que la responsabilité du centre hospitalier universitaire d’Amiens était engagée etallouait à la patiente une somme de 29 500 euros, sous déduction des sommes déjà versées à titre

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de provision, et, d’autre part, mis l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, desaffections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) hors de cause.

4.1.1. La responsabilité de l’ONIAMLa patiente qui n’a pas subi d’incapacité temporaire totale, est atteinte, du fait de la perte

définitive de son œil gauche, d’un taux d’incapacité permanente partielle de 22 %. Ce dommagene présente donc pas un caractère de gravité ouvrant droit à une indemnisation au titre de lasolidarité nationale, telle que prévue par les dispositions précitées de l’article L. 1142-1 du CSP.C’est donc à bon droit que le tribunal administratif d’Amiens a mis l’ONIAM hors de cause.

4.1.2. La responsabilité du CHU d’AmiensSi le CHU d’Amiens soutient que la patiente était porteuse saine du pneumocoque qui a

engendré son endophtalmie lors de son admission à l’hôpital, cette circonstance, à la supposerétablie, n’est pas de nature à faire regarder l’infection comme ne présentant pas un caractèrenosocomial, dès lors qu’il ressort des deux expertises que c’est à l’occasion de l’interventionchirurgicale que ce germe est devenu pathogène.

L’endophtalmie postopératoire subie par la patiente constitue un risque connu des interventionsde la nature de celle pratiquée en l’espèce. Même s’il n’est pas contesté qu’une telle infec-tion est très difficile à juguler, il ne résulte pas de l’instruction qu’elle présente le caractèred’imprévisibilité et d’irrésistibilité qui permettrait de regarder comme apportée la preuve d’unecause étrangère.

Aussi, la responsabilité est engagée sur le terrain de la faute.

5. Invocation erronée d’un syndrome ophtalmologique

5.1. CAA Paris, 12 novembre 2013, no 12PA02188

5.1.1. FaitsUn homme alors âgé de 59 ans, souffrant de troubles de la vision unilatéraux et de céphalées, a

été admis aux urgences de l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt dans la nuit du 16 au17 juin 2005, vers 1 heure du matin, puis orienté vers les urgences ophtalmologiques de l’hôpitalde l’Hôtel-Dieu à Paris, où lui a été délivré un courrier en vue d’un rendez-vous à prendre lelendemain dans le service d’ophtalmologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Après avoir regagné son domicile, il a présenté à 8h30 une hémiplégie droite et une aphasie eta été transporté en urgence à l’hôpital Bichat où un examen IRM a permis de diagnostiquer unaccident vasculaire cérébral, sans cause connue. Compte tenu de l’arrivée tardive du patient, leservice n’a pas été en mesure de procéder à une thrombolyse.

Le patient est décédé le lendemain en fin de journée d’un infarctus cérébral sylvien gauchetotal.

5.1.2. AnalyseLe patient n’a pas été pris en charge dans les règles de l’art lors de son admission dans les

services des urgences des hôpitaux Ambroise-Paré et de l’Hôtel-Dieu au cours de la nuit du 16 au17 juin 2005.

En effet, les symptômes graves présentés par l’intéressé, notamment les épisodes de voileoculaire unilatéral associés à une baisse de l’acuité visuelle, auraient dû conduire les équipes

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médicales à envisager la survenue probable d’un accident vasculaire cérébral et à orienter rapide-ment l’intéressé vers un centre d’urgences neuro-vasculaires, afin de tenter une thrombolyse ouun traitement anti-plaquettaire par aspirine.

Cette erreur d’orientation est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité del’AP–HP.

5.1.3. PréjudiceCompte tenu de l’état antérieur du patient, qui présentait une maladie athéromateuse, et de

l’importance de son accident vasculaire cérébral laissant présager un pronostic extrêmementdéfavorable, il y a lieu d’évaluer la perte de chance d’échapper aux conséquences dommageablesrésultant de l’erreur de diagnostic susmentionnée à 15 % et de mettre à la charge de l’AP–HP laréparation de cette fraction du dommage.

6. Appréciation du préjudice et perte de chances

6.1. CAA Nancy, 26 septembre 2013, no 12NC01687

6.1.1. FaitsUn homme alors âgé de 31 ans, qui souffrait d’une uvéite de l’œil droit pour laquelle, après

avoir consulté le centre hospitalier de Metz-Thionville le 29 juin 2002, a été pris en charge parl’hôpital d’instruction des armées Legouest à compter du 8 juillet 2002.

À la suite de ces soins, le requérant, qui a subi une perte totale de la vision de l’œil droit,a recherché la responsabilité de ces deux établissements devant le Tribunal administratif deStrasbourg.

6.1.2. ProcédurePar jugement du 20 décembre 2011, le tribunal a mis hors de cause le CHR de Metz-Thionville

puis a reconnu la responsabilité de l’hôpital d’instruction des armées Legouest en estimant quele retard dans l’administration d’un traitement adapté à la pathologie dont souffrait le patient luiavait fait perdre une chance d’éviter ce dommage et a mis à la charge de l’État un tiers du préjudicesubi par le requérant.

Le patient relève appel de ce jugement en tant qu’il a limité à 25 000 euros le montant del’indemnité qui lui a été accordée.

Le ministre de la défense qui ne conteste pas la mise en jeu de la responsabilité de l’État etconclut à la confirmation du jugement de première instance, fait valoir que les sommes demandéesen appel sont hors de proportion au regard de celles habituellement allouées.

6.1.3. Préjudices à caractère patrimonialLe patient doit porter une prothèse oculaire, laquelle doit être remplacée tous les 6 ans. Il

justifie du montant des frais restant à sa charge lors de ce remplacement à hauteur de 116 euros.Eu égard à son âge, à la date de la consolidation de son état, il sera fait une juste appréciation deses frais futurs en lui accordant une somme capitalisée de 600 euros.

Il a subi une perte de revenu pendant la période d’incapacité temporaire totale imputableà la faute commise par l’hôpital d’instruction des armées, soit du 1er novembre 2002 au 5 mai2003 et n’a pas été indemnisé pour cette période par la caisse de sécurité sociale allemande dontil dépendait alors. Cette perte de revenu doit être évaluée compte tenu du montant de son salaireet des allocations percues en France durant cette période à la somme de 2200 euros.

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Agé de 32 ans à la date de la consolidation de son état, le patient se trouve en raison de la pertetotale de la vision de l’œil droit dans l’incapacité définitive d’exercer son emploi de soudeur etest ainsi dans l’obligation d’effectuer une reconversion professionnelle. Il est depuis sans emploiet titulaire de l’allocation aux adultes handicapés. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments etdu montant du salaire qu’il percevait à la date de la faute commise par l’établissement, il sera faitune juste appréciation de son préjudice professionnel en l’évaluant à la somme de 60 000 euros.

6.1.4. Préjudices à caractère personnelLe patient demeure atteint d’une invalidité permanente partielle dont le taux a été évalué par

l’expert à 25 %. Les souffrances physiques qu’il a endurées ont été fixées par le même expert à 3 etle préjudice esthétique en résultant à 3,5 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciationde l’ensemble de ces préjudices ainsi que des troubles subis par le requérant durant la périoded’incapacité temporaire et de son préjudice d’agrément, en évaluant ceux-ci à la somme globalede 58 850 euros.

Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice global de M. C. doit être évalué à la sommetotale de 121 650 euros.

6.1.5. Perte de chancesDans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans

un établissement public d’hospitalisation a compromis ses chances d’obtenir une amélioration deson état ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commisepar l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage constaté, mais laperte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l’hôpital doitalors être évaluée à une fraction de ce dommage déterminée en fonction de l’ampleur de la chanceperdue.

Compte tenu de la perte de chance fixée à un tiers, il y a lieu de porter à 40 550 euros le montantde l’indemnité due par l’État à la victime.