Réserve

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RESERVE Note sur deux installations. I. La caisse de voyage. La surprise et même je dois dire l’admiration qu’ont suscités auprès de moi les peintures en camaïeux de la chaise à porteurs du musée Georges Borias ne furent malheureusement que d’un court temps. En effet, on les découvre tour à tour sur les différentes faces de ce meuble, mais dès que la mémoire les a enregistrés et les a analysés on constate que la composition est toujours la même, agile certes mais d’une bêtise extrême à être répétée ainsi dans chaque petit tableau : un arbre à droite qui sert de pivot à la composition et qui nous fait passer du premier plan à l’arrière plan d’une manière agile mais pas très neuve et assez souvent maladroite. Un paysage qui au début me faisait penser à une école hollandaise puis qui a fini par ne plus me faire penser qu’à un fade pastiche teinté de rococo bleu comme les houâtes nuageuses qui rampent niaisement dans tous les tableaux des imitateurs de Boucher. Cependant, alors que je les regardais de plus près, une association d’idée salvatrice pour l’honneur de la chaise à porteur à ravivé mon intérêt pour ces peintures, et c’est ce qui m’a poussé d’en faire ce que j’en ai fait : les rochers fou qui surgissent du paysage comme des colonnes de fumée m’ont soudainement fait penser à ses paysages fantastiques et réalistes que Carpaccio dispose au fond de ses tableaux comme la Sainte Conversation du Musée du Petit Palais d’Avignon. Le paysage devient une fantaisie, un tableau du merveilleux, une rêverie. Rêverie autour des noms de pays comme celles de Marcel Proust, qui me font imaginer les lieux et les campagnes que la chaise à porteur à dû parcourir. Ces rêveries prennent corps, matières et couleurs dans la peinture, à travers trois éléments de petites dimensions, inspirées des peintures de la chaise à porteur mais aussi retransformés à l’image des paysages de l’Uzège. Les paysages à travers lesquels est passés l’itinéraire de la chaise à porteur. Itinéraire secret, paysages perdus ou cachés, tout comme les bras de la chaise qui demeurent invisibles dans les réserves. La question de la présentation de ces trois petites peintures à l’huile est devenue essentielle, et m’éloignant de Carpaccio je me suis rapproché de la chaise à porteur. Par sa forme, sa taille et sa disposition dans la salle du musée, c’est l’armoire qui a surgie. Et puis il y a les lourds coffres du musée lardés de fer que l’on emporte aussi

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Notes sur deux installations

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RESERVE

Note sur deux installations.

I. La caisse de voyage.

La surprise et même je dois dire l’admiration qu’ont suscités auprès de moi les

peintures en camaïeux de la chaise à porteurs du musée Georges Borias ne furent

malheureusement que d’un court temps. En effet, on les découvre tour à tour sur

les différentes faces de ce meuble, mais dès que la mémoire les a enregistrés et les a

analysés on constate que la composition est toujours la même, agile certes mais

d’une bêtise extrême à être répétée ainsi dans chaque petit tableau : un arbre à

droite qui sert de pivot à la composition et qui nous fait passer du premier plan à

l’arrière plan d’une manière agile mais pas très neuve et assez souvent maladroite.

Un paysage qui au début me faisait penser à une école hollandaise puis qui a fini par

ne plus me faire penser qu’à un fade pastiche teinté de rococo bleu comme les

houâtes nuageuses qui rampent niaisement dans tous les tableaux des imitateurs de

Boucher.

Cependant, alors que je les regardais de plus près, une association d’idée salvatrice

pour l’honneur de la chaise à porteur à ravivé mon intérêt pour ces peintures, et

c’est ce qui m’a poussé d’en faire ce que j’en ai fait : les rochers fou qui surgissent

du paysage comme des colonnes de fumée m’ont soudainement fait penser à ses

paysages fantastiques et réalistes que Carpaccio dispose au fond de ses tableaux

comme la Sainte Conversation du Musée du Petit Palais d’Avignon. Le paysage

devient une fantaisie, un tableau du merveilleux, une rêverie. Rêverie autour des

noms de pays comme celles de Marcel Proust, qui me font imaginer les lieux et les

campagnes que la chaise à porteur à dû parcourir. Ces rêveries prennent corps,

matières et couleurs dans la peinture, à travers trois éléments de petites dimensions,

inspirées des peintures de la chaise à porteur mais aussi retransformés à l’image des

paysages de l’Uzège. Les paysages à travers lesquels est passés l’itinéraire de la

chaise à porteur. Itinéraire secret, paysages perdus ou cachés, tout comme les bras

de la chaise qui demeurent invisibles dans les réserves.

La question de la présentation de ces trois petites peintures à l’huile est devenue

essentielle, et m’éloignant de Carpaccio je me suis rapproché de la chaise à porteur.

Par sa forme, sa taille et sa disposition dans la salle du musée, c’est l’armoire qui a

surgie. Et puis il y a les lourds coffres du musée lardés de fer que l’on emporte aussi

en voyage. J’ai donc utilisé une grande caisse ancienne de bois blanc, et dressée à la

verticale, la porte ouverte, elle imite la chaise à porteur.

Les objets disposés dedans sont les trois petites peintures de paysages, une huile sur

carton, une scène mythologique, inspirée librement d’un tableau de Gustave

Moreau, un petit miroir et un repose-pied vert qui veut rappeler l’intérieur de la

chaise garni de velours vert usé. Deux bouteilles complètent l’ensemble pour

apporter du volume à cette installation et par leurs jeux de reflets et de transparence

rappeler les vitres de la chaise à porteurs, verres ondulés et légèrement déformants.

J’ai par cette présentation fait passer les peintures de l’extérieur de la chaise à

porteur à l’intérieur, remplacé un monde de luxueux trompe l’œil en une cellule

close, comme le sont les réserves du musée.

La chaise à porteur c’est le voyage à l’extérieur comme la caisse de voyage est celui

à l’intérieur.

II. L’objet problématique.

L’objet problématique c’est, pour moi celui qui échappe à sa fonction, et par cela,

en devant inutile il rentre dans l’art ; ce n’est pas un objet inutile en lui-même, il

devient inutile par la volonté de l’artiste et d’un autre et alors devient une œuvre

d’art.

Ainsi par son entrée au musée, la chaise à porteur est devenue une œuvre d’art.

Objet de locomotion, devenu immobile dans la salle du musée, il devient œuvre

d’art.

Ainsi, cette chaise bleue est devenue un objet absurde quand j’y ai disposé des

vitres dessus, créant une sorte d’éventail de transparence. Par l’immobilité

contrainte de cet objet, par le fait qu’il ne présente plus qu’un objet dénué de sens

(hors-même de l’histoire contrairement à la chaise du musée) il est devenu œuvre

d’art ou du moins tentative plastique d’œuvre offrant au spectateur le spectacle de

la transparence et du banal. A peine objet esthétique. Objet qui n’est plus que pour

l’esprit et qui concrétionne les problèmes du beau, de l’art et de l’œuvre (de manière

plus nette que la chaise du musée même car celle-ci est un témoignage d’une

époque, un témoin d’Uzès du XVIIIème), la chaise présentée ici, faite pour aucun

voyage est simplement la question (les questions ?) mais en aucune manière la

réponse. Donner à voir un problème par un quotidien dérouté.

Florent Allemand, 02/05/2015.