Repères diagnostiques de la psychose infantile à l’âge de latence

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DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Repères diagnostiques de la psychose infantile à l’âge de latence Diagnostic reference marks of the infantile psychosis at the age of latency Emmanuel de Becker Cliniques universitaires Saint-Luc, avenue Hippocrate, 10/Bte 2090, 1200 Bruxelles, Belgique Résumé Les concepts de « psychose » et de « latence » peuvent, pour d’aucuns, paraître obsolètes. Centrons-nous sur le premier. Il est clair que la notion de « psychose » n’est plus guère utilisée que dans les cadres de travail s’appuyant sur l’épistémologie et les références psycho-dynamiques. D’autres appellations ont vu le jour sans toutefois mettre l’accent sur les aspects psychopathologiques sous-jacents. Le risque apparaît alors d’écarter des modalités de compréhension pertinentes pour appréhender les difficultés psychiques et relationnelles d’un enfant et de s’arrêter à une lecture essentiellement descriptive de celles-ci. Il pourrait s’ensuivre un manque de profondeur dans l’accompagnement thérapeutique découlant d’une telle manière de procéder. Après avoir rappelé les aspects psychopathologiques, à la lumière de trois vignettes cliniques, l’auteur évoque cinq registres de signes cliniques qui étayent le diagnostic de psychose chez l’enfant. Leur intensité et leur multiplicité définissent la profondeur du fonctionnement psychotique. Premièrement, le langage, étant donné que l’enfant psychotique est confronté à la difficulté de se situer dans un discours dans le sens du code habituel de communication. Deuxièmement, l’angoisse, qui est centrale dans la problématique de la psychose, menaçant constamment l’enfant en lutte contre le vide et l’absence. Troisièmement, le corps de l’enfant psychotique confronté à la question de l’enveloppe corporelle et de la distinction entre le monde intérieur et extérieur. Quatrièmement, le rapport à la réalité de l’enfant psychotique présentant régulièrement un imaginaire débordant, marqué par la confusion. Cinquièmement, les apprentissages, car dans la psychose, l’enfant éprouve habituellement des difficultés pour apprendre, apprendre à se dire et accepter de l’autre ce qu’il ne sait pas encore. La démarche diagnostique autorise donc un temps d’observation, de compréhension et d’énonciation nécessaire au traitement. Elle vise à repérer les signes cliniques évocateurs d’une désorganisation de la pensée, des affects et des relations sociales, susceptibles de conduire à la dysharmonie du sujet. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The concepts of ‘‘psychosis’’ and ‘‘latency’’ can, for some, to appear obsolete. We center on the first. It is clear that the concept of ‘‘psychosis’’ is hardly used than in the working frameworks being based on the psychodynamic epistemology and references. Other names came out without however focussing on the subjacent psychopathological aspects. The risk then appears to draw aside from the relevant methods of comprehension to apprehend the psychic and relational difficulties of a child and to stop with a primarily descriptive reading of those. It could follow of it a lack of depth in the therapeutic accompaniment rising from such a manner of proceeding. After having pointed out the psychopathological aspects, in the light of three clinical labels, the author evokes five registers of clinical signs which back up the diagnosis of psychosis in the child. Their intensity and their multiplicity define the depth of operation psychotic. Firstly, the language since the child psychotic is confronted with the difficulty of being located in a speech in the direction of the usual code of communication. Secondly, the anguish which is central in the problems of the psychosis, threatening the child constantly fights about it Annales Médico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx Adresse e-mail : [email protected]. + Models AMEPSY-1836; No. of Pages 8 http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.03.006 0003-4487/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s.

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DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU

Repères diagnostiques de la psychose infantile à l’âgede latence

Diagnostic reference marks of the infantile psychosisat the age of latencyEmmanuel de BeckerCliniques universitaires Saint-Luc, avenue Hippocrate, 10/Bte 2090, 1200 Bruxelles, Belgique

Résumé

Les concepts de « psychose » et de « latence » peuvent, pour d’aucuns, paraître obsolètes. Centrons-nous sur le premier. Ilest clair que la notion de « psychose » n’est plus guère utilisée que dans les cadres de travail s’appuyant sur l’épistémologieet les références psycho-dynamiques. D’autres appellations ont vu le jour sans toutefois mettre l’accent sur les aspectspsychopathologiques sous-jacents. Le risque apparaît alors d’écarter des modalités de compréhension pertinentes pourappréhender les difficultés psychiques et relationnelles d’un enfant et de s’arrêter à une lecture essentiellement descriptivede celles-ci. Il pourrait s’ensuivre un manque de profondeur dans l’accompagnement thérapeutique découlant d’une tellemanière de procéder. Après avoir rappelé les aspects psychopathologiques, à la lumière de trois vignettes cliniques, l’auteurévoque cinq registres de signes cliniques qui étayent le diagnostic de psychose chez l’enfant. Leur intensité et leurmultiplicité définissent la profondeur du fonctionnement psychotique. Premièrement, le langage, étant donné que l’enfantpsychotique est confronté à la difficulté de se situer dans un discours dans le sens du code habituel de communication.Deuxièmement, l’angoisse, qui est centrale dans la problématique de la psychose, menaçant constamment l’enfant en luttecontre le vide et l’absence. Troisièmement, le corps de l’enfant psychotique confronté à la question de l’enveloppecorporelle et de la distinction entre le monde intérieur et extérieur. Quatrièmement, le rapport à la réalité de l’enfantpsychotique présentant régulièrement un imaginaire débordant, marqué par la confusion. Cinquièmement, lesapprentissages, car dans la psychose, l’enfant éprouve habituellement des difficultés pour apprendre, apprendre à sedire et accepter de l’autre ce qu’il ne sait pas encore. La démarche diagnostique autorise donc un temps d’observation, decompréhension et d’énonciation nécessaire au traitement. Elle vise à repérer les signes cliniques évocateurs d’unedésorganisation de la pensée, des affects et des relations sociales, susceptibles de conduire à la dysharmonie du sujet.� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The concepts of ‘‘psychosis’’ and ‘‘latency’’ can, for some, to appear obsolete. We center on the first. It is clear that theconcept of ‘‘psychosis’’ is hardly used than in the working frameworks being based on the psychodynamic epistemology andreferences. Other names came out without however focussing on the subjacent psychopathological aspects. The risk thenappears to draw aside from the relevant methods of comprehension to apprehend the psychic and relational difficulties of achild and to stop with a primarily descriptive reading of those. It could follow of it a lack of depth in the therapeuticaccompaniment rising from such a manner of proceeding. After having pointed out the psychopathological aspects, in thelight of three clinical labels, the author evokes five registers of clinical signs which back up the diagnosis of psychosis in thechild. Their intensity and their multiplicity define the depth of operation psychotic. Firstly, the language since the childpsychotic is confronted with the difficulty of being located in a speech in the direction of the usual code of communication.Secondly, the anguish which is central in the problems of the psychosis, threatening the child constantly fights about it

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Adresse e-mail : [email protected].

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.03.006

0003-4487/� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

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against the vacuum and the absence. Thirdly, the body of the child psychotic confronted with the question of the bodyenvelope and the distinction enters the interior and external world. Fourthly, the report with the reality of the childpsychotic presenting imaginary regularly overflowing, marked by confusion. Fifthly, the trainings because, in the psychosis,the child tests usually difficulties to learn, learn how to say itself and to accept other what it does not know yet. Thediagnostic step thus authorizes a time of observation, comprehension and stating necessary to the treatment. It aims atlocating the evocative clinical signs of a disorganization of the thought, affects and social relations, likely to lead to thedysharmonic subject.� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Angoisse ; Autisme ; Confusion ; Diagnostic ; Psychose infantile

Keywords: Autism; Confusion; Diagnosis; Distresses; Infantile psychosis

E. de Becker / Annales Médico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx2

1. INTRODUCTION

Les psychoses chez l’enfant peuvent se révéler lors de laseconde enfance, à l’âge de latence, de manière brutale ouprogressive, par différents signes cliniques [39]. On se situealors loin de ce temps perçu comme paisible à la pulsionnalitélibidinale mise en veille après les enjeux œdipiens et leurrésolution. Comparativement à l’adulte, l’enfant ne manifesteguère de processus hallucinatoires ou de thématiquesdélirantes [28,43]. Il est ainsi fréquent que le diagnostic nesoit posé que quand l’enfant atteint l’âge de sept ou huit ans ;dans ce cas, diverses difficultés, apparaissant entre autres dansle champ de la scolarité ou dans celui de la socialisation,amènent alors l’entourage à consulter un spécialiste [18,19,38].

À la lumière de trois vignettes cliniques, l’auteur évoque lesprincipaux signes cliniques qui contribuent au diagnostic depsychose chez l’enfant, temps d’évaluation précieux pourdéfinir la phase thérapeutique ultérieure. L’auteur s’appuie surson expérience au sein d’une unité de consultations pédopsy-chiatriques ambulatoires dans un hôpital général.

2. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Sur le plan historique, Marcelli et Cohen résument à proposles trois phases qui se sont succédé quant au statut de lapsychose chez l’enfant [25]. Ainsi, au début du XX

e siècle,certains cliniciens tentent de définir des formes infantiles auxschizophrénies, proposant les termes de « démence infantile »,de « démence précocissime » ou encore de « schizophrénie del’enfant ». Retenons qu’il demeure délicat de transposer lasymptomatologie de la psychose de l’adulte à l’enfant, étantdonné, d’une part, la rareté des processus délirants chez lejeune sujet, et, d’autre part, la difficulté structurelle d’appliquerla notion de démence à un appareil psychique en pleindéploiement. Marcelli et Cohen citent d’ailleurs le propospertinent d’Esquirol : « Le dément est un riche devenu pauvre,l’idiot, lui, a toujours été dans l’infortune et la misère ». Ladeuxième période est marquée par la description princeps del’autisme infantile par Kanner en 1943 et, dans la suite,l’émergence de divers travaux d’auteurs comme Malher, Misès,Tustin [24,42]. Est essentiellement mise en évidence laprésence d’un noyau psychotique et d’un fonctionnementpsychique dit archaïque. De nombreux débats voient le jour,

entre autres sur les questions de causalité mettant en exerguedes éléments étayant une psychogenèse et d’autres traduisantune organogenèse [23,26,33]. Peu après, dans lesannées 1970 et 1980, diverses dénominations provenant desclassifications internationales prennent le devant de la scène. Leconcept de psychose infantile est, d’une certaine façon,déconstruit, l’entité du trouble envahissant du développementétant retenue. La notion de démence, présente antérieure-ment, réapparaît sous l’appellation de « trouble désintégratif »[25].

Actuellement, seule, en pays francophones, la classificationétablie par Misès (CFTMEA) reconnaît le terme de psychose àtravers, entre autres, le tableau de dysharmonie psychotique[27]. En revanche, les DSM et CIM ne recourent plus à cetteappellation ; c’est ainsi que ces enfants se retrouvent souventétiquetés de « TED-NOS » en tant que sujets manifestant un« trouble envahissant du développement non spécifié ».

À nos yeux, il est regrettable que le concept de psychose soitabandonné, tant sur le plan de la compréhension des processusintrapsychiques et relationnels que pour entreprendrel’accompagnement thérapeutique. L’entourage familial del’enfant ainsi que les professionnels concernés risquent de neplus reconnaître une altération grave de l’organisation de lapersonnalité avec des défaillances d’adaptation à la réalité et à lasocialisation. Ces enfants « différents » sont parfois intégrésdans des catégories comme celle de l’ADHD ou celle des divers« troubles de comportement », avec les conséquencesdommageables qu’on peut imaginer [2,5,7].

Comment comprendre qu’une psychose envahit un enfant ?On est encore actuellement dans l’incapacité d’apporter uneréponse certaine et généralisable. Les facteurs génétiques etorganiques entrent plus que probablement en jeu. Au-delà d’uncaractère familial, l’hypothèse d’une hétérogénéité étiologiquedoit être retenue, nous amenant à considérer l’origine génétiquecomme une probabilité diversifiée dans ses modalités. L’implica-tion de traumatismes durant la petite enfance est égalementenvisagée [1,9,34,35]. Les facteurs neuropsychologiques fonttoujours l’objet de nombreuses recherches menant à desrésultats parfois très contradictoires, tandis que les étudesbiochimiques portant sur différents domaines ouvrent la porte àdes perspectives intéressantes au niveau de perturbations decertains neurotransmetteurs [15,16,21]. Par ailleurs, existentdes troubles perceptivo-sensoriels [29,31]. Qu’en est-il des

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hypothèses psychogénétiques ? Centrons-nous sur lacompréhension du « noyau psychotique » dans une dimensionpsychopathologique. On retrouve chez l’enfant présentant unepsychose une angoisse primaire de morcellement (ou d’anéan-tissement), une défaillance dans la reconnaissance des limites dela distinction entre le soi et le non-soi. On remarque égalementune prévalence des processus primaires sur les processussecondaires ainsi qu’un défaut de liaison entre les pulsionslibidinales et les pulsions agressives, rendant compte desmécanismes préférentiellement utilisés par l’enfantpsychotique ; celui-ci recourt aux défenses archaïques commele clivage, le déni, l’omnipotence, l’identification projective. Lejeune sujet, envahi par des pulsions mortifères, finit par se retirersur lui-même, prenant distance et n’intégrant plus la réalité. Cesdifférents aspects ne sont pas sans rappeler les travaux de Kleinsur la position schizoparanoïde [36,37].

Loin de l’objet des classifications actuelles, on peuts’interroger sur la spécificité de la psychose infantile parrapport à l’autisme. Dans la psychose infantile, nous observonsune fixation au stade de l’objet partiel alors que l’enfant autisteest davantage fixé à une dédifférenciation. Lemay distingue lesstructures intrapsychiques de l’enfant autiste de celles del’enfant psychotique, utilisant pour ce dernier le termed’autisme atypique avec envahissement par l’imaginaire ; laconfusion et la fragmentation y sont présentes [22]. Pourl’auteur, « le corps de l’enfant autiste ne semble pas pouvoirintégrer l’ensemble des éléments qui lui permettrait d’avoir uneconscience globale d’exister » tandis que « l’enfant psychotiquese perçoit menacé par un trop-plein de sensations, d’images etd’émotions qui peuvent disloquer cette totalité dont lapermanence ne peut être assurée ». Chez ce dernier, Lemaymet en évidence des troubles de la modulation. Ainsi, l’enfantpsychotique connaît une « pluie d’informations sensorielles quipénètrent le sujet comme s’il ne parvenait pas à moduler ce fluxdevenu incontrôlable. Lorsque le sujet se fixe sur un détailvisuel, ou sur la même mélodie musicale, il n’est pas absorbé defaçon inexorable par le même schème, ce que nous retrouvonschez les autistes. Il cherche à s’absorber pour fuir unenvahissement. Dans l’autisme classique, il y a un trouble del’intégration qui s’exprime par l’incapacité de recevoir plusieursstimuli à la fois. Dans la forme atypique, il y a surtout un troublede la modulation, le sujet ne parvenant pas à se distancersuffisamment des afflux sensoriels et émotifs pour regroupertous les éléments dans une globalité cohérente ». Dans lapsychose infantile, on observe un problème de triage et defiltrage en termes de modulation et d’identité des stimuli et desactions, l’enfant étant pris dans une confusion, confronté auxexpériences dont il a du mal à poser la cohérence. Il en découleune difficulté pour maintenir l’identité. Comme le montrent DeGuibert et Beaud, une autre manière d’appréhender lapsychose infantile consiste à considérer celle-ci tel un troublede la discrimination des éléments des situations rencontrées[3]. Victime des variations des événements auxquels il ne peutopposer spontanément une homogénéité, le jeune sujet neparvient pas à filtrer, trier, poser lui-même une direction, unvécu homogène, constant et stable. Si l’enfant psychotiquecomme l’autiste présentent un déficit de la situation vécue sur

les plans de la permanence et de la constance du sujet et del’environnement, le trouble autistique touche principalementl’unité et la cohésion de l’événement alors que la psychoseconstitue davantage un trouble de l’identité et de la cohérencede celui-ci. Dans la psychose infantile, nous retrouvons de laconfusion et une appréhension confuse de soi et del’environnement (avec fusion et fragmentation) alors que, dansl’autisme, il y a isolation situationnelle avec appréhensionparcellaire de soi et de l’environnement. Si l’angoisse estprésente chez l’autiste comme chez le psychotique, lesstratégies pour la surmonter sont différentes. Le premierrecherche l’immuabilité tandis que le second tente d’établir lelien quand ce n’est pas le retrait. Il en découle des tableauxsymptomatiques bien distincts. L’autiste procède par isolation,fuyant toute complexité, ne parvenant pas à intégrer leséléments ; le psychotique manifeste de la confusion, manquantd’homogénéité, les éléments n’étant ni comparables nimodulables. Ainsi, la psychose infantile, principalement carac-térisée par une confusion qui met en cause l’identité du vécu, aété décrite en 1986 par Tustin sous la terminologie de psychoseconfusionnelle. Cette confusion se retrouve dans les per-ceptions de l’enfant psychotique, son langage, ses actions, sesmodalités interactionnelles et ses comportementaux.

Delion, lui, parle de « processus psychotisant », en ledémarquant du champ cognitif [4]. Dans le cadre de lapsychose, le rapport avec la réalité est très consommateurd’énergie dans la mesure où il n’est jamais le résultat d’uneévidence ; l’enfant est donc soumis constamment aux angoissesarchaïques. Cette perte de l’évidence naturelle amène lepsychotique à y consacrer une grande quantité de son énergiepsychique. Il en résulte une déficience mentale spécifique quin’est pas à comprendre comme un manque d’intelligence, maisbien comme une dysharmonie cognitive, le résultat d’unépuisement des réserves d’énergie psychique. On constateégalement le mécanisme de l’identification projective patho-logique étant donné que les objets sont frappés d’expulsion,entraînant un vécu de persécution. Si, dans une penséeautistique, on retrouve des mécanismes d’identificationadhésive, la logique psychotique s’appuie essentiellement surl’identification projective. Alors même qu’il renonce aux codesen vigueur, l’enfant psychotique se construit un code privé, uncheminement personnel qui, de manière souvent inattendue, leconduit à la solution de problèmes complexes.

Comme on ne peut considérer le sujet sans son entourage,certains travaux se sont centrés sur les qualités de l’environne-ment et sur l’interaction entre le(s) parent(s) et l’enfant [7,35].Les dysfonctionnements familiaux graves avec mode decommunication basé sur le « double lien » participent à ladistorsion du fonctionnement mental et relationnel de l’enfantpouvant précipiter une psychose infantile. On ne peut égalementécarter l’hypothèse d’une spirale interactionnelle pathogènelorsqu’enfant et parent(s) présentent des failles propresalimentant et entretenant des patterns interactionnels domma-geables. Par ailleurs, nous connaissons aujourd’hui grâce à laneuro-imagerie les effets du stress toxique précoce sur ledéveloppement cérébral de l’enfant. Ainsi, les hormonessecrétées en cas de stress (cortisol et adrénaline principalement)

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portent atteinte au cerveau en développement, entravantl’instauration de certaines fonctions, entre autres sur le plandes apprentissages, de l’empathie, des attachements et de larégulation des affects. Ainsi, une augmentation constante du tauxsanguin de cortisol présente une toxicité sur le système limbique,au niveau de l’hippocampe, du cortex préfrontal médian et dunoyau amygdalien. Rappelons que ces zones sont capitales pourle développement cognitif et affectif du sujet. Tout stress toxiqueet toute situation de maltraitance dans l’enfance modifient larégulation des gènes impliqués dans la gestion du stress. Lestravaux de Kandel sont dès lors confirmés par le fait que lesmécanismes de régulation des gènes peuvent être modifiés enfonction du contexte (modification épigénétique) [8].

Sur le plan clinique, évoquons quelques aspects du processuspsychotique chez l’enfant, en nous centrant sur les psychosesapparaissant à l’âge de cinq/six ans. Nombre d’auteurs estimentqu’il n’existe pas de psychose tardive d’apparition ex-abrupto ; ils’agirait de décompensation d’un état préexistant de manièrelatente. L’anamnèse permet ainsi la plupart du temps deretrouver des signes de perturbation développementalecomme des troubles graves du sommeil, des manifestationsobsessionnelles, des signes d’angoisse extrême. Notons, parexemple, l’existence de l’insomnie calme sévère. Ici, le bébédemeure dans son lit, les yeux grands ouverts, silencieux,semblant ne rien demander et ne rien attendre de sonentourage. Les parents découvrent cet enfant de manièrefortuite, stupéfaits de l’absence de manifestation, d’appel de sapart. Remarquons toutefois que la petite enfance peut de-ci de-là être d’apparence normale, même si cette normalité décritepar les parents correspond habituellement à une visionidéalisée du passé gommant les difficultés rencontrées avecl’enfant en question. Il est également classique que cespsychoses suivent l’apparition d’un événement intermittentexterne vécu par l’entourage comme facteur déclenchant[44–46]. Quoi qu’il en soit, elles surviennent sur unepersonnalité déjà structurée avec présence d’un langageglobalement correctement construit, les processus cognitifsayant été déployés permettant à l’enfant de dégager un tant soitpeu la réalité de l’imaginaire [13]. Trois grandes manifestationscliniques se rencontrent :� la première est marquée par une inhibition importante avec

régression, l’enfant réduisant son expression langagière. Il semet en retrait, envahi par une angoisse aux expressions deplus en plus spectaculaires et adoptant des conduites deméfiance envers le monde extérieur. Le jeune sujet semontre morose, sa vitalité s’évanouit, sa socialisation estentravée, mis à part l’un ou l’autre centre d’intérêt pourlequel il se passionne. L’engouement pour les jeuxélectroniques est d’habitude retrouvé, sans que celui-ci nesoit pathognomonique. On observe également l’apparition dedifférents rituels à appréhender comme mécanismes défen-sifs tentant de colmater l’angoisse ;� la deuxième s’exprime par l’agitation et l’instabilité. Les crises

de colère se multiplient avec des comportements agressifsenvers les autres ou vis-à-vis de lui-même. L’enfant peutadopter des conduites de fugue, présenter une logorrhée etde loin en loin un véritable processus délirant. Les passages à

l’acte sont imprévisibles ainsi que l’adoption de conduitesdangereuses pour lesquelles l’enfant paraît indifférent. Il semontre imperméable au dialogue et aux tentatives de prise deconscience ;� la troisième se marque par une évolution structurée du

fonctionnement psychique, l’enfant recourant à la rationalisa-tion et étant doté d’un caractère puissant aux confins de latyrannie. Solitaire, méprisant, il interprète de manière rigidetout comportement à son égard, qu’il provienne del’entourage social ou des membres de sa famille. Petit àpetit se structure une personnalité engendrant un véritablesyndrome paranoïaque.Dans la psychose infantile, les portraits cliniques sont plus

nuancés et plus variables que dans le syndrome autistique.L’enfant psychotique est perçu comme bizarre, dispersé,désorienté, désorganisé, à l’identité incertaine et incohérente.Curieux, il occupe l’espace et supporte mal la séparation,contrairement à l’autiste. Dans le contexte de la psychoseconfusionnelle, Tustin observe que le contact de l’enfant estpathologiquement envahissant ; on note une confusion de lapensée traduite par un langage mal articulé, confus et prolixe[42]. Si l’enfant autiste évite le regard, l’enfant psychotique aplutôt un regard vague qui ne se pose pas sur l’autre, qui semblele traverser. Dans la psychose, est souvent retrouvée uneangoisse de séparation et d’annihilation, le jeune sujetconnaissant des réactions de panique vives, une détériorationdu discours avec une combinaison d’attitudes désespérées,tentant à la fois de s’accrocher à l’objet d’amour et de lerepousser. Habituellement, les tableaux de présentation serévèlent polymorphes, la psychose infantile pouvant laisser àl’avant-plan une symptomatologie bruyante comme un ADHD.Il peut également arriver que les adultes de l’entourage del’enfant en question s’arrêtent à un aspect de celui-ci, formant« écran », telles les compétences cognitives actuellementfortement valorisées socialement ; c’est le cas lorsque desparents concèdent à leur enfant « HP » d’être différent dans samanière de vivre le monde étant donné son « haut potentiel ».

3. VIGNETTES CLINIQUES

Sans être paradigmatiques, trois vignettes cliniques illustrentà propos le thème de l’article. Pour chaque situation, après letemps diagnostique, un traitement est mis en place, s’appuyantau minimum sur un suivi individuel de l’enfant d’orientationanalytique, des séances familiales et un travail avec la structurescolaire. L’aide par psychotrope est évoquée, sans êtrenécessairement retenue. Précisons encore que plusieursentretiens avec les parents s’avèrent incontournables pourparler du diagnostic.

3.1. Première vignette

Jessica, âgée de sept ans, deuxième d’une fratrie de trois (ellea deux frères), est accompagnée de ses deux parents à lapremière consultation. D’emblée, elle dit : « Je viens pour moncomportement car je fais des bêtises et je fais ce que j’ai envie ».Le regard franc, elle s’installe dans le bureau de consultation

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sans éprouver la moindre angoisse. Tandis que Jessica réalisespontanément un premier dessin, les parents étayent par moultdétails les difficultés rencontrées depuis de nombreusesannées. Ils retracent l’histoire de la famille et de Jessica enparticulier, montrant combien depuis toujours ils ont tout misen œuvre pour accompagner leurs trois enfants de manièreoptimale. Un bilan cognitif réalisé vers l’âge de six ans a mis enévidence un QI de 144. Les parents sont convaincus que lesdifficultés comportementales sont à relier à ce haut potentielconduisant l’enfant à s’ennuyer et à manipuler les adultes de sonentourage, qu’ils soient professionnels ou familiers. Un bilanpédopsychiatrique incluant la passation de tests psychologiquesest accepté. L’anamnèse ne met rien de particulier en évidenceet l’examen médical somatique est rassurant. Lors desentretiens cliniques, Jessica reconnaît que, où qu’elle soit,très vite, les conflits apparaissent sans en comprendre lesraisons. Par ailleurs, elle ne semble guère affectée par lasituation générale que suscitent ses difficultés. Elle paraîtdétachée et ne réagit pas quand ses parents manifestent leursémotions et leur détresse ; devant sa mère qui s’écroule enlarmes, épuisée et démunie, elle dira : « Je ne comprends paspourquoi maman pleure. . . je ne l’ai pas frappée aujourd’hui ».Au fil des rencontres, l’enfant s’isole et se replie dans sespensées, fermée à nos interpellations. On remarque une fuitedes idées ainsi qu’une compréhension de tout stimulus externecomme agression. Des tests projectifs (CAT, TAT) ressortentles éléments suivants : évocation de thèmes de dévoration, demort, d’isolement, de non-protection parentale, de solitude, deporosité de différentes limites. Les modes de fonctionnementperceptif et symbolique sont très peu différenciés. Les affectsainsi que leurs représentations ne sont pas énoncés. Parailleurs, un trouble de l’identité est observé, la femme étantperçue comme démoniaque et meurtrière. D’autres planchesmontrent des projections arbitraires, des craintes de persécu-tion, des débordements avec des représentations farfelues, uneabsence de culpabilité et d’interdit surmoïque. Tant ladifférence des sexes que celle des générations ne sont pasreprésentées.

3.2. Deuxième vignette

Précédé par deux jumelles âgées de douze ans, Sacha a septans et demi quand nous le rencontrons pour la première foisaccompagné de sa mère ; ses parents séparés sont d’originedifférente, la mère finlandaise et le père mexicain. L’enfant estorienté par le pédiatre traitant pour un avis pédopsychiatriquecomplémentaire vu la complexité de ses difficultés comporte-mentales. Un bilan multidisciplinaire a arrêté le diagnosticd’ADHD ; Sacha est aidé régulièrement par une neuropsy-chologue et prend depuis deux mois du méthylphénidate(10 mg/j). L’anamnèse indique une grossesse, un accouchementet une petite enfance sans particularité. Dès le premierentretien, Sacha se montre agité, touchant aux différents objetsde la pièce, allant et venant d’un siège à l’autre. La mère pointele fait que Sacha agresse aussi bien les adultes que les enfants,qu’il veut systématiquement avoir raison quels que soient l’âgeet le statut de l’interlocuteur. Il ne réagit guère quand la mère

évoque fait après fait ses difficultés relationnelles : « Pour unrien, il se met en colère, explose et peut gifler, par exemple sagrand-mère quand celle-ci lui refuse une friandise, ou grifferl’institutrice. » Sur ce dernier aspect, Sacha rétorque : « C’est àcause d’elle, elle a voulu m’empêcher de parler. » Madameattribue à la séparation parentale violente la causalité ducomportement de l’enfant ; selon elle, Sacha reproduit lesattitudes du père. La mère note également l’impossibilité pourson enfant de trouver sa place au sein d’un groupe. Nousproposons de voir Sacha avec son père et, avec l’accord desparents, nous établissons des contacts avec la psychologuescolaire. Confirmant la description relatée par la mère, ellerelève que les propos de l’enfant sont parfois incohérents etqu’il peut s’exprimer de manière très exaltée. L’agressivitéenvers les autres, qu’ils soient enfants ou adultes, se remarquequotidiennement. Pour la psychologue, Sacha est un « ADHD »qui présente de l’opposition systématique à toute formed’autorité, ne pouvant nullement se remettre en question. Lorsdes entretiens cliniques, Sacha parvient non sans peine à seconcentrer, à dessiner et à échanger. Nous tentons del’impliquer et d’avoir son point de vue ; devant toute situation,Sacha estime qu’il est dans son droit. Il sourit également quandsa mère parle de lui : « C’est un véritable petit diable, il fait peurà tout le monde. » À cet instant, Sacha dit : « Est-ce que c’estmoi ou est-ce que c’est un diable qui vient en moi ? » Les testsprojectifs (CAT, TAT, Rorschach) mettent en évidence uneinstabilité des processus identitaires, des mécanismes deprojection avec vécu d’intrusion et crainte de persécution. Onne retrouve pas de culpabilité ni d’interdit surmoïque.L’angoisse est présente mais sans indice de castration. Onrelève également des interprétations projectives de typeparanoïaque.

3.3. Troisième vignette

Adrien est âgé de huit ans quand nous le rencontrons pour lapremière fois, accompagné par sa mère sur l’insistance de ladirectrice de l’école. En effet, Adrien adopte régulièrement descomportements inadéquats ; lors du dernier voyage scolaire, il« faisait le ver de terre » n’écoutant aucune consigne de lamaîtresse, frappant les autres, criant, intervenant à tout propos.De son côté, la mère confirme combien l’éducation de son filsunique lui prend toute son énergie psychique et physique.D’origine polonaise, elle s’est séparée du père d’originebrésilienne quand l’enfant avait six mois. Adrien ne voit sonpère qu’épisodiquement, celui-ci vivant en Suisse. La mère,attentive au développement de l’enfant, estime que l’école,quoiqu’accueillante, ne comprend pas le fonctionnement de sonfils. Il est vrai qu’elle-même rencontre de nombreusesdifficultés et que quotidiennement, elle est surprise parl’inadéquation des réactions d’Adrien. Autant il se montreperformant, faisant preuve d’une curiosité scientifique, autant ilse comporte comme un enfant de trois ans « n’en faisant qu’à satête », n’adoptant aucune conduite de sécurité (par exemple, ilpeut traverser une rue sans regarder et se perdre facilementdans un magasin). Au cours des entretiens, Adrien interromptsans vergogne sa mère, lui demandant ce qu’elle a préparé pour

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le repas du soir. Il est inquiet de savoir si les aliments vont luiplaire. Puis, passant d’une idée à l’autre, il interpelle le clinicienpour savoir ce qu’il pense de la galaxie et de la possibilité del’existence d’une autre vie sur les planètes du système solaire ; ilfait preuve d’une grande érudition. Les dessins qu’il réalise deséance en séance sont extrêmement détaillés mais marquésessentiellement par les conflits et les flammes destructrices. Il ymet toute son énergie et sa concentration, fermé alors à nossollicitations ainsi qu’à celles de sa mère. Un jour, Adrien arriveles poches bien chargées ; il a en fait rempli de sable son anorak,voulant montrer combien même le sable est doté d’une grandevaleur : « Ça me rend très triste de savoir que l’on marche sur lesable, que peut-être, on lui fait mal. » Nous aurons l’occasiond’établir des contacts téléphoniques avec le père, l’enfant étantprésent dans le local de consultation. Le père estime que son filssouffre de « TOC », vu ses comportements obsessionnels. Parailleurs, la mère évoque de graves troubles du sommeil ; Adrien,agité, rejoint régulièrement sa mère dans son lit, pris depanique, terrassé par des rêves de dévoration. Rarementagressif, Adrien suscite toutefois de l’irritation et pousse lesadultes dans leurs derniers retranchements ; à certainsmoments, Madame explose devant son fils qui refused’obtempérer en affirmant : « Je suis différent, alors, je n’aipas à faire ça ! » Au fil des séances, progressivement Adrien semontre proactif, proposant à côté des dessins le jeu du pendupour lequel mère et professionnel doivent découvrir le motcaché. C’est à travers ces médias (dessins et jeux) que l’enfantse pose, accepte les interpellations, se stabilise par l’effet decontenance de ses pensées débordantes. Les rencontressingulières alternent avec les moments où nous invitons la mèreà nous rejoindre dans l’entretien, dans la finalité de soutenir unehistorisation du parcours de l’enfant en explorant, entre autres,les génogrammes.

4. DISCUSSION

À la lumière des vignettes cliniques, abordons deux aspectscomplémentaires, à savoir, d’une part, les indices cliniques quiparticipent à l’élaboration diagnostique, et, d’autre part, leséléments méthodologiques qui sous-tendent celle-ci.

4.1. Les signes diagnostiques

La psychose infantile est marquée par un défaut majeur del’accès à la symbolisation ; comme le soulignent des auteurs telsParry-Jones et Reichert et al., cette fragilité génère un cortègede perturbations au niveau intrapsychique et relationnel[30,32]. Rappelons que l’accès à la symbolisation se réalisegrâce aux interactions précoces, à la qualité de présence duparent qui soutient le développement de la pensée. Cetaccordage, cet ajustement, entre l’enfant et le parent autorise laconstruction psycho-affective du jeune sujet, qui s’appuie surson équipement et son patrimoine psychiques personnels. Dansla psychose, la pensée de l’absence ne se met pas en place étantdonné la défaillance de représentations. L’ordre symbolique estdéfaillant, l’objet étant peu ou pas représenté [17]. Tout est àrecommencer continuellement.

Sans être exhaustif, évoquons cinq registres de signescliniques qui étayent le diagnostic ; leur intensité et leurmultiplicité définissent la profondeur du fonctionnementpsychotique :� le langage : l’enfant psychotique est confronté à la difficulté de

se situer dans un discours dans le sens du code habituel decommunication. Pour lui, la parole de l’adulte est peu ou nonfiable, ce qui suscite de l’angoisse et un sentiment de solitude.Dans la psychose, on observe une absence de décalage entrele mot et la pensée. S’il parle effectivement, et parfoisabondamment, le psychotique énonce une parole perturbée.Sont rencontrés des troubles de l’élocution, des homopho-nies, des holophrases ; il n’est pas rare que l’enfant inverse lespronoms : « t’as peur ! » pour « j’ai peur ». Comme dans lesvignettes cliniques présentées, le langage peut également êtremaîtrisé et correctement utilisé, sans trouble syntaxique ouautre difficulté locutoire. Par ailleurs, l’enfant psychotiqueaccède peu à l’humour ;� l’angoisse : centrale dans la problématique de la psychose, elle

menace constamment l’enfant en lutte contre le vide etl’absence. L’angoisse génère un rapport particulier auxdimensions spatio-temporelles ; l’immédiateté est souventretrouvée. Le jeune sujet psychotique, contrairement àl’autiste, redoute tout moment de séparation, vécu commeréelle coupure ; le déchirement, insupportable et menaçantl’intégrité, suscite parfois des réactions vives de panique etd’agressivité envers l’autre et/ou soi-même. Les crises, parexemple, au temps de l’endormissement ou à la fin d’uneactivité sont habituellement décrites par l’entourage. Notonségalement que les passages à l’acte sont fréquents et que lesaffects se déchargent facilement dans la motricité. Dans ce cas,l’agitation pénètre le fonctionnement de l’enfant, celui-cidemeurant dans une vigilance anxieuse permanente. Lasolitude éprouvée par les défaillances de l’intériorisationd’imagos parentaux, de représentations rassurantes, estsusceptible d’entraîner des thématiques persécutrices. Lemonde extérieur incluant le cercle familial et les professionnelsconcernés est non seulement perçu comme non fiable mais telun danger dont il faut se préserver. L’intelligence de l’enfantpsychotique est alors mobilisée pour alimenter un mondeimaginaire envahi de violences et de fantasmes archaïques ;� le corps : l’enfant psychotique est confronté à la question de

l’enveloppe corporelle et de la distinction entre le mondeintérieur et extérieur. Cette limite est mal constituée dans lesreprésentations, ce qui se traduit, entre autres, par les écueilspour tout aspect de séparation entre Moi et l’autre. Auxconfins de la non-différenciation, il n’est pas vraiment séparéde l’autre, le jeune sujet n’étant pas suffisamment construit demanière unifiée. Angoissé, l’enfant psychotique connaît unvécu de persécution redoutant d’être continuellementagressé par l’autre. Le corps est vécu comme morcelé. Ilen découle une image du corps perturbée. Par ailleurs,l’enfant psychotique éprouve des difficultés pour compren-dre le fonctionnement de ce corps, ne présentant pas lescapacités pour appréhender ce qui se passe à son niveau.Cliniquement, il n’est pas rare de rencontrer des troublessphinctériens comme l’énurésie et l’encoprésie ;

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� le rapport à la réalité : marqué par la confusion, l’enfantpsychotique présente régulièrement un imaginaire débor-dant. La défaillance de l’ordre symbolique conduit àl’enchevêtrement des dimensions, le sujet impliquant désirset craintes à la fois dans le réel et le monde fantasmatique. Lesforces pulsionnelles sont déliées, non limitées et laissées àune potentialité destructrice effrayante. L’enfant peut direune chose et son contraire, ne percevant pas combien il semontre paradoxal. Le cours de la pensée peut être troublé,semant de la perplexité dans l’entourage. Mais l’enfantpsychotique peut aussi donner le change et énoncer desscénarii complexes, très élaborés et en lien avec la réalitévécue. En revanche, on entend constamment de la confusionau niveau des places générationnelles, l’enfant ne se repérantpoint dans la filiation, gommant, nivelant les différences degénération ;� les apprentissages : habituellement, l’enfant psychotique

éprouve des difficultés pour apprendre, apprendre à se direet accepter de l’autre ce qu’il ne sait pas encore.L’acceptation du manque, à la base de tout apprentissage,est peu intégrée chez ce jeune sujet. Au fur et à mesure qu’ilgrandit, confronté à des exigences de plus en plus complexes,l’enfant manifeste des difficultés qui ne lui permettent pas depoursuivre une scolarité classique. Quand l’enfant psycho-tique se rend compte qu’il ne peut y arriver, il se réfugie dansl’imaginaire et/ou présente de l’agressivité sous forme decrises de colère et de passages à l’acte violents. Laréorientation scolaire nécessaire amplifie son sentiment derejet et alimente un vécu de persécution. La positionparentale à ce moment peut influencer la réaction de l’enfant,aggravant ou apaisant la situation. Les problèmes scolairesfréquents interrogent l’avenir de l’enfant en termesd’épanouissement et d’intégration dans la société à traversune activité professionnelle. Par ailleurs, il se peut égalementque l’enfant psychotique investisse le champ des apprentis-sages, de manière générale ou ciblée. L’un ou l’autre centred’intérêts se démarque à la grande satisfaction de sesproches. Il arrive aussi que le potentiel cognitif soit très élevé,l’enfant surprenant son entourage par une intelligenceaiguisée. Le diagnostic dans ces circonstances se révèle arduà poser tant les éléments d’ordre psychotique passent àl’arrière-plan de performances cognitives qui séduisent dansune société si attachée aux résultats et aux prestations.

4.2. Aspects méthodologiques

La multifactorialité de l’étiopathogénie de la psychoseinfantile demande une approche diagnostique basée surl’interdisciplinarité, tant il faut tenir compte de l’intricationd’éléments divers et variés. Les aspects propres à l’enfant auniveau intrapsychique sont à investiguer en profondeur, aurisque sinon de ne considérer que les questions comporte-mentales à l’avant-plan [40]. La rencontre avec l’enfantconcerné, s’appuyant sur plusieurs unités de temps, demeurel’axe central pour établir le diagnostic. À côté de ces entretienscliniques, Symann a montré l’intérêt de l’utilisation de médias,comme le dessin du bonhomme, et de tests projectifs tel le

Rorschach [41]. En effet, autant un enfant psychotique peut enséance tenir un échange sans être trop dispersé ou confus, auxpropos relativement conformes, autant les éléments expriméslors d’une épreuve psycho-affective donnent des indicationsprécieuses pour le diagnostic. Pour notre part, nous recouronségalement au CAT et TAT ; on retrouve essentiellement deséléments de la série A et E (rigidité et émergence de processusprimaires). Comme dans les vignettes cliniques, la psychose s’ytraduit entre autres par une altération de la perception, unemassivité des projections et une désorganisation des repèresidentitaires et objectaux. Notons aussi des récits évoquant uneinstabilité des limites. Par ailleurs, toujours au niveau de l’enfantconcerné, nous préconisons d’évaluer le fonctionnementcognitif, s’il n’a pas déjà été réalisé sur l’initiative des parents,comme l’indiquent Groom et al., Hardy-Bayle et al. et Jepsenet al. [12,14,20].

En complément à ces investigations, on doit considérer lefonctionnement de l’enfant dans ses dimensions intrapsychiqueet relationnelle au sein d’autres sphères d’appartenance, tellesla famille, la structure scolaire, les éventuelles activitésparascolaires. En respectant la nécessaire confidentialité touten concevant la pertinence du secret professionnel partagédans l’intérêt de l’enfant, nous colligeons les élémentsprovenant de différentes sources. L’étonnement n’est pas rarede découvrir des perceptions parfois opposées de la part desadultes qui gravitent autour de l’enfant psychotique. Pourcertains, cet enfant est un « original et brillant distrait » tandisque d’autres s’épuisent à tenter de le contenir et de lecomprendre. Ce constat nous amène, d’une part, à rappelercombien le contexte et la qualité des liens établis déterminent lamanière d’être et de s’énoncer, et, d’autre part, à réévoquer lapolysémie de la symptomatologie de la psychose ; la notion dedysharmonie psychotique chez l’enfant traduit cette réalitédécrite dans la CFTMEA.

5. CONCLUSION

Le diagnostic constitue un temps d’observation, decompréhension et d’énonciation nécessaire au traitement.Celui-ci comporte trois volets, éducatif, pédagogique etthérapeutique, qui sont étroitement liés, inscrits dans untravail en réseau et impliquant, outre l’enfant concerné,l’entourage sociofamilial. Il s’agit dans l’absolu de soutenir ledéveloppement de l’autonomie de l’enfant, l’épanouissementintellectuel et psychoaffectif ainsi que le déploiement d’unesocialisation de qualité [11]. L’investissement des différentsvolets doit aider l’enfant psychotique à contenir les retentisse-ments multiples des angoisses archaïques et de l’imaginairedébordant, non limité par un ordre symbolique défaillant. Cetenfant gagne à rencontrer des adultes prêts à l’accompagnerdans un long processus de construction identitaire, fiables,ritualisant les événements, balisant le temps, aménageant lesmoments de séparation. Petit à petit, le jeune sujet pourras’appuyer sur un travail de symbolisation et d’historisationduquel il ne faut pas exclure, selon les situations, l’apport de lamédication et de l’institutionnalisation. À la suite d’auteurscomme Gochman et al. et Falloon et al., la démarche

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diagnostique vise donc à repérer les signes cliniques évocateursd’une désorganisation de la pensée, des affects et des relationssociales, susceptible de conduire à la dysharmonie du sujet[6,10].

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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