REGION PAYS DE LA LOIRE REGION...
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REGION PAYS DE LA LOIRE
REGION BRETAGNE
Illustrations de la couverture:
Structure d'une voie romaine au franchissement d'une zone humide
(J.P.ADAM, in: la construction romaine, d'après J.MERTENS).
La carte de Cassini aux environs de Redon (vers 1770).
Recherche documentaire: Christophe DEVALS.
Prospection terrestre: Christophe DEVALS et Françoise GOUPIL.
Prospection subaquatique: Françoise GOUPIL.
Plongeurs (G. A. S. P. A. R. -Redon) : Gérard AUDIBERT, joël GOUTARD, Roger
LEBERE, Gildas LEFOL, Jean-Yves MAURICE , Jean-Marc ONILLON.
Remerciements pour leur entière coopération aux Services suivants:
Service Régional de l'Archéologie des Pays de la Loire.
Service Régional de l'Archéologie de Bretagne .
Centre National de la Recherche Archéologique Subaquatique.
Service Départemental de l'Archéologie de Vendée (M. Emile BERNARD).
Direction Départementale de l'Equipement (subdivision Redon Navigation).
Direction Départementale de l'Agriculture du Morbihan (subdivision
Gestion des Eaux) .
Archives Départementales d ' Ille-et-Vilaine (Rennes).
Archives Départementales de Loire-Atlantique (Nantes).
Archives Départementales du Morbihan (Vannes).
Musée du Pays de Vilaine, La Roche-Bernard (M.Pierre PRAT).
Bureau du Vlè Génie Militaire (Angers).
Mairie de Rieux (Morbihan).
Mairie de Fégréac (Loire-Atlantique).
Barrage d'Arzal (Morbihan).
Une mention particulière doit être adressée à M. le Maire de
Rieux pour l'accueil et les facilités accordées.
La recherche archéologique des systèmes de franchissement
successifs de la Vilaine à Rieux-Fégréac (56-44) a eu pour point
de départ un travail indispensable de documentation selon deux axes
importants: les archives anciennes et les archives récentes. Sous
ce dernier intitulé, nous entendions cerner au mieux les travaux
divers (draguages, recalibrages, rescindements , remembrement des
berges . . . ) effectués dans les quarante dernières années dans le
fleuve et intervenant comme autant d'éléments potentiellement destruc-
teurs pour des vestiges archéologiques liés au fleuve sur une zone
située au pied du château de Rieux. C'est dans ce cadre que la D.D.A.
et la D.D.E. ont mis à notre disposition leurs archives, de même
que le Vlè Génie Militaire d'Angers qui avait effectué en cet endroit
plusieurs opérations de "franchissement du fleuve" avec des véhicules
amphibies.
Le bilan de la recherche documentaire a fait apparaître d'une
part l'importance historique à toutes périodes qu'avait eu le "passage",
et d'autre part le fait qu'aucune opération capitale de "grands travaux"
sur le fleuve n'avait eu lieu en cet endroit dans les dernières décen-
nies. Seul un léger travail de rescindement de la rive gauche a été
réalisé lors des opérations liées en particulier à la construction
du barrage d'Arzal en 1972 et à des travaux divers de recalibrages
entre les années 1965 et 1975.
Au vu de ces résultats, il nous est apparu opportun et prometteur
d'organiser une opération archéologique rapide d'évaluation et de
repérage sur le terrain.
La finalité même de l'opération, la reconnaissance des systèmes
de franchissement de la Vilaine, nous a conduit à demander aux deux
Services régionaux de l'archéologie concernés une autorisation de
prospection subaquatique, ainsi qu'une autorisation de prospection
terrestre, outil indispensable pour une approche complémentaire de
ces structures situées dans un milieu fluvial qui, dans un cas de
figure comme celui-ci, ne pouvaient être considérées comme entités
isolées. Les autorisations nécessaires ayant été obtenues, l'opération
a donc consisté en un travail d'observation des berges et de prospection
au sol qui ont complété la prospection subaquatique.
Le présent rapport fait donc le bilan de cette approche d'évalua-
tion selon trois axes bien définis et complémentaires que sont la
recherche documentaire, la prospection terrestre et la prospection
subaquatique .
LOCALISATION DE L'OPERATION DE PROSPECTION.
(Carte IGN 1 / 1 00 . OOOème )
RAPPEL DES RECHERCHES ANCIENNES EFFECTUEES SUR LES DEUX COMMUNES:
Depuis plus d'un siècle, les vestiges archéologiques enfouis
à Fégréac (Loire-Atlantique) et à Rieux (Morbihan) ont attiré nombre
d'érudits locaux ou régionaux qui, avec plus ou moins de bonheur,
ont étudié et fouillé le sol des deux communes. C'est ainsi que,
depuis 1818, date des premières découvertes mentionnées, Cayot-Delandre ,
Bizeul, Nicolazo de Barmon, Maître, De Laigue, ont tour à tour tenté
de décrypter l'histoire de ces deux localités, les plus importantes
recherches étant celles de Léon Maître qui a pu mettre au jour un
certain nombre de bâtiments d'époque gallo-romaine à Fégréac et à
Rieux. Sur la rive droite de la Vilaine, sa principale découverte
a été le temple de "Château Merlet" et à Fégréac, il convient de
citer ses fouilles d'un établissement à hypocauste à "La Rochelle"
et d'une grande villa à la "Butte de Bro" (aussi appelée butte Saint-
Jacques). Si l'emplacement du fanum et de la villa sont connus (quel-
ques vestiges très ruinés sont même encore visibles à la Butte de
Bro), les "thermes" de La Rochelle n'ont pu être relocalisés qu'en
1991.
Le château de Rieux, dont il ne subsiste aujourd'hui que la
porte principale et quelques pans de murs, a lui aussi fait l'objet
d'une intervention archéologique menée en 1981 par un groupe de béné-
voles de la région qui n'a d'ailleurs pas amené de précisions supplémen-
taires sur les origines de cette construction. Les trois dernières
opérations réalisées sur ce secteur l'ont été sous l'égide du Service
Régional de l'Archéologie des Pays de la Loire:
- En 1987, une prospection-inventaire effectuée par L.Pirault
a permis de faire la synthèse des vestiges reconnus sur la commune
afin d'en délimiter les zones les plus menacées.
- En 1989, un survol aérien effectué par G.Leroux sur l'ensemble
de la commune a laissé apparaître plusieurs nouveaux sites.
- En 1991, un diagnostic archéologique préalable a été réalisé
avant la construction de la déviation du bourg, opérée par L.Pirault
et C. Devais.
LA VOIE ROMAINE NANTES-VANNES ET LE PASSAGE SUR LA VILAINE:
La caractéristique commune de ces sites romains et médiévaux
est leur localisation à proximité de la voie romaine Nantes-Vannes
que jalonnent des stations gallo-romaines aussi connues que Blain
(Loire-Atlantique) et bien sûr Rieux, toutes deux noeuds routiers
importants dans l'Antiquité. Rieux (Dvretie sur la Table de Peutinger)
est en effet traversée par une autre voie d'orientation Nord-Sud
appelée "voie Rieux-Rennes" par certains auteurs anciens. Cette voie,
mal connue et très peu vérifiée sur le terrain (sauf peut-être à
Langon, située à quelques kilomètres plus au Nord) ne semble pas
au vu de nos connaissances actuelles avoir eu l'importance de l'axe
Nantes-Vannes, encore très visible dans le paysage actuel (limites
parcellaires et chemins).
La voie Nantes-Vannes est tout particulièrement bien cernée
sur la commune de Fégréac et reste , jusqu' à la Butte de Bro une route
départementale encore utilisée pour accéder au petit port de plaisance
situé en bordure de la Vilaine. Sur la rive droite, elle traverse
le bourg de Rieux pour filer ensuite en direction d'Allaire puis
Vannes.
Cette présence de la voie, les nombreux sites qui la jalonnent
de part et d'autre de la Vilaine, ont permis d'avancer l'hypothèse
d'un passage permanent sur la Vilaine ayant existé dès le début de
l'occupation romaine. Les auteurs du XlXè siècle n'ont pu avancer
que des suppositions (bac, gué, pont) difficilement vérifiables pour
l'instant quant au passage antique. Par contre les textes nous appren-
nent l'existence d'un pont très important au Moyen-Age sur le fleuve
situé dans une fourchette chronologique s ' étalant du XlIIè siècle
au XVIè siècle.
CARTES ARCHEOLOGIQUES REGIONALES sfc site gallo-romain
^ site médiéval
voie romaine
Le but de la première partie de ce travail a donc été de repren-
dre ces textes anciens en les comparant à toutes les publications
et manuscrits des érudits ou archéologues ayant travaillé sur la
question et de faire une synthèse critique de tous ces documents
afin de n'en retirer que les éléments essentiels et certifiés.
LE PARCHEMIN DE 1282:
Le texte pivot de cette recherche est un acte officiel de
1282 (voir reproduction) écrit en français. Ce parchemin indique
que Guillaume, comte de Rieux, s'engage à restaurer et entretenir
le pont sur la Vilaine que son père Geoffroy avait délaissé et "déguer-
pi" (c'est-à-dire en vieux français "abandonner ses droits sur")
parce qu'il ne voulait plus en supporter les charges. Jean, Duc de
Bretagne, rétrocède quant à lui ces droits à condition que Guillaume
assume entretien et réparations de l'ouvrage. Si l'on se réfère aux
auteurs anciens, cet acte n'authentifie seulement que l'existence
d'un pont sur la Vilaine.
Or il semble que ce texte contienne plus d'éléments que ce
simple état de fait. D'abord le pont en question existait déjà à
l'époque du père de Guillaume et l'on peut même avancer qu'il existait
déjà avant celui-ci car l'on imagine mal Geoffroy faire construire
un pont qu'il laisserait ensuite tomber en ruines et dont il céderait
les droits.
Ensuite, le terme "délessé" indique bien un abandon, donc
un pont qui déjà à l'époque du père n'était plus en très bon état.
Le fils s'engage d'ailleurs à l'entretenir régulièrement. Ces indices
permettent donc de supposer que l'existence de ce pont est déjà ancienne
et que rien ne permet de le situer chronologiquement dans un contexte
du XlIIè siècle, bien au contraire.
Le second élément apparaît par le biais des responsabilités
des parties en présence: un tel ouvrage, au XlIIè siècle, pouvait
permettre de percevoir un droit de passage et d'exercer un contrôle
sur les montées et descentes des navires de commerce. Ces droits
sont d'ailleurs sous-entendus dans le texte à deux reprises puisque
Geoffroy les a cédés au Duc de Bretagne qui les rétrocède à Guillaume.
Guillaume, seigneur de Rxeux, s'engage par devant le Duc de Bretagne
à réparer, et à entretenir le pont de Rieux. (Extrait du cartulaire
du Morbihan, Louis Rosensweig, parchemin du fonds du trésor des Chartes)
"A touz ceux qui cestes présentes lectres verront é orront, Guillaume,
seignour de Reux, chevalier, saluz en nostre Seignour. Sachent touz
que, comme nostre très-cher seignour noble home Jahan, duc de Bretaigne,
nous ait rendu é quité le pont de Reux, lequel pont mosour Geffroi
de Reux, nostre père, jadis seignour de Reux, aveit délessé é déguerpi
au davant-dit duc, por ce que il, nostre père davant-dit, ne le voleit
pas tenir en estât, nous proumétons é suimes tenuz sus touz nouz
biens, muebles é non muebles, en quelque leu que il saent, fère é
tenir ledit pont de Reux en bon point é en bon estât à touzjourmès
é en touz temps, de totes façons é de touz couz é de touz despens;
é à ceste chose entériner environ ledit pont senz nul deffaut nous
obligeons au davant-dit duc é à ses heirs nous é nouz heirs é touz
nouz biens, muebles é non muebles, en quelque leu que il saent. Ce
fut doné le jour de lundi après la conversion Saint-Paul, l'an de
grâce mil é dous cenz quatre-vinz é J.
26.01.1282
Ces cessions successives indiquent bien que les frais de maintenance
et de restauration devaient être trop onéreux par rapport aux recettes
issues du droit de passage: en résumé, ce pont n'est pas rentable.
Et par déduction, on peut en conclure que si ces frais de maintenance
sont exhorbitants , c'est qu'il ne s'agit pas d'une simple passerelle
mais très certainement d'un ouvrage assez monumental pour nécessiter
des techniciens confirmés et peut-être même d'une équipe d'entretien
régulière.
Enfin, l'importance économique et politique (ou stratégique)
de ce pont apparaît par l'insistance du Duc pour que cet ouvrage
soit constemment entretenu; en effet, les clauses du contrat sont
très lourdes (biens meubles et immeubles) et les prédispositions,
les garanties que le Duc exige abondent en ce sens.
Un dernier point de détail est à préciser quant à la date
de ce texte. L'année 1282 avancée par Rosensweig pourrait paraître
erronée puisque le texte mentionne bien "mil é dous cenz quatre vinz
é J." Comme il s'agit d'un parchemin, on peut penser que la lecture
des lettres manuscrites soit difficile. Les auteurs du XlXè et du
XXè siècle ne sont d'ailleurs jamais d'accord entre eux (De Laigue
parle de 1281, Ogée de 1283). En ce qui nous concerne, nous resterons
à la date de 1282, date vraisemblable de la mise en application du
contrat; la date de 1281 indiquée dans le texte ne devant être que
celle de la rédaction du document sigillé.
LES MENTIONS ANTERIEURES A 1282:
A notre connaissance, aucun document antérieur à 1282 n'indique
l'existence d'un passage construit de quelque nature qu'il soit (gué,
pont en bois, en pierre, bac...) entre Fégréac et Rieux. Par contre,
quelques renseignements indirects sont à retirer d'une relecture
précise de Grégoire de Tours à propos d'une bataille ayant eu lieu
près du "castellum" de Rieux en b90. Cette uacaiile : est l'aboutissement
tragique d'une guérilla que menait Waroch, comte breton de Vannes,
sur les terres situées sur la rive gauche de la Vilaine, terres qui
appartenaient au comte franc de Nantes. L'expédition punitive que
les Francs organisèrent ayant eu pour résultat la promesse de Waroch
de ne plus continuer ses incursions en pays nantais, l'armée franque
reprit le chemin du retour "en empruntant la voie romaine allant
de Vannes à Nantes". Mais Waroch se rétracta et poursuivit les francs
qu'il retrouva à Rieux en train de franchir la Vilaine: "les plus
forts des soldats (francs), et aussi sans doute les riches, passèrent
les premiers la Vilaine; mais les faibles et les pauvres qui étaient
avec eux ne purent traverser en même temps, et comme ils attendaient
sur le bord, arriva comme la foudre Canao, fils de Waroch, déjà oublieux
de la parole donnée. Les gens de Canao se jetèrent sur les retardataires
les chargèrent de chaînes et mirent à mort ceux qui résistaient.
Quelques-uns ayant voulu passer le fleuve à cheval furent entraînés
par le courant" .
Il semblerait qu'une partie de l'armée franque, les "forts
et les riches" donc, ait pu passer et que des retardataires aient
tenté de passer le fleuve à cheval sans y parvenir: celà incite à
penser un passage de l'armée à marée haute sans que l'hypothétique
gué romain ait pu être utilisé. Plusieurs questions sont dès lors
posées: existait-il réellement un gué ? Etait-il encore en état en
cette fin de Vlè siècle ? Les Francs "riches et forts" se sont-ils
servis d'un pont de bateaux ou d'un bac ? De toute façon, le récit
de Grégoire de Tours ne laisse pas beaucoup de doutes: il n'existait
vraisemblablement pas de passage surélevé utilisable au Vlè siècle
pour franchir la Vilaine à Rieux.
Pour la période romaine, enfin, les auteurs les plus crédibles
(R.De Laigue, L. Maître) penchent pour l'existence d'un gué. L. Maître
s'appuie sur des sondages effectués à sa demande dans le lit du fleuve
par M.Kerviler, ingénieur aux Ponts et Chaussées, sondages qui auraient
révélé une "accumulation de graviers et de pierres plates qui forme
une barre très sensible à la descente de la marée". Cette barre,
qu'il situe "en face de la pointe du promontoire de Rieux" oblige
même les navigateurs de 1 ' époque à marquer un arrêt dans 1 ' attente
de la pleine mer. L. Maître précise même que des pieux ont été arrachés
en même temps que les pierres, pieux qu'il assimile d'ailleurs au
pont médiéval (!). R.De Laigue, pourtant, insiste bien sur le faît
que les vestiges du pont médiéval se situent en amont du passage
romain.
Les pieux recueillis par L. Maître ne pourraient-ils pas être
les soubassements d'un passage empierré romain ? Et les découvertes
de ces structures confirment-elles réellement un passage à gué ?
La question principale réside en faît dans la nature même de ce passage:
gué ou pile d'un pont ? La présence de la "barre" est aussi à relativi-
ser, car des accumulations de gravats et de détritus divers peuvent
très bien en être à l'origine.
LES MENTIONS POSTERIEURES A 1282:
En 1345, un couvent de Trinitaires s'installe à Rieux, à proximi-
té du château. Les moines ont vite pris l'habitude d'aller dire la
messe à la chapelle de la Béraudayé (Bro), en la paroi se de Fégréac,
en empruntant le pont qui passe sur la Vilaine (d'après A. De Barmont).
En 1384, les habitants de Fégréac obtiennent le droit de cons-
truire une nouvelle chapelle dédiée à Saint-Jacques , remplaçant ainsi
la précédente: nous sommes en effet sur un des trajets qu'empruntent
les pèlerins en route vers Saint-Jacques de Compostelle.
En 1431, un trépas (droit de passage) précise les tarifs dont
les navigateurs doivent s'acquitter pour que s'ouvre le tablier du
pont.
Un extrait du registre de la Chancellerie de Bretagne daté
du 1er octobre 1484 contient une mention d'une lettre du Duc "cassant
et annulant tout droit de péage au pont de Rieux".
Pourtant, en 1542, un compte de pontage précise encore les
tarifs dus par les navigateurs souhaitant remonter ou descendre la
Vilaine. Cette mention e«t la dernière connue concernant le fonction-
nement de ce pont à tablier mobile (celà permet d'ailleurs à Ogée
d'affirmer que le pont est détruit en 1543...).
En 1636, Aubigné Dubuisson rapporte ce qu'il voit encore:
"à Rieux, il avoit jadis un pont en bois dont les pilotis paroissent
encor, deux ou trois, et on este, depuis dix ans, les autres arrachés...
Ils tiennent, comme il est vray, que c'estoit l'ancien, l'ordinaire
et plus court chemin de Nantes à Vennes, par vingt-deux lieues petites
de Bretagne".
Un texte anonyme conservé aux archives départementales de
Loire-Atlantique (cote F. 1245) mentionne un devis daté de 1785:
"cependant, d'importantes réparations furent affectées à la chaussée"
tandisqu 1 "un devis de réparation du pont s'élevait à 80 000 £".
Si ce devis est authentique, il permet de constater, outre que les
réparations n'ont pas été faites (trop onéreuses ?), que l'état du
pont à la fin de l'époque moderne était tel qu'il permettait encore
sa restauration.
Peu de sources, en revanche, .témoignent de l'architecture
du pont médiéval. On sait principalement que la majeure partie de
l'ouvrage, sinon sa totalité, se constituait d'éléments en bois,
et qu'un tablier mobile, fonctionnant sur le principe d'un pont-levis,
en formait l'ossature. Une mention est à retenir à ce propos: un
manuscrit issu des archives des Blancs-Manteaux (monastère de Paris) ,
daté de 1488, fait état de l'achat de cordages pour lever et hausser
le pont-levis afin de laisser passer les bateaux.
Ces divers témoignages confirment donc une régularité d'utilisa-
tion du pont pendant les XlVè, XVè et, en partie, XVIè siècles jusqu'à
ce que disparaisse presque totalement la mention d'un pont dans les
archives d'époque moderne. Il est important de noter ici que le château
est définitivement abandonné dans la même période, entre 1518 (date
à laquelle il est en partie incendié) et 1558 où il est vendu aux
héritiers du comté de Rieux, les Guise-Lorraine, qui le laissent
à l'abandon au profit du château de Maison Neuve à Glénac (Morbihan).
En 1630, Richelieu, abbé commanditaire de Redon, en ordonne la destruc-
tion. Il est fort possible que cette réelle décadence de meux et
de son château comtal ait entériné l'abandon puis la destruction
du pont vers la fin du XVIè siècle.
De nos jours, la tradition orale rapporte l'existence, il
y a encore une cinquantaine d'années, d'un petit pont de bois ou
passerelle qui permettait de passer à pied sec la Vilaine au moment
de la marée basse. Pour y accéder, une voie pavée, dont le départ
côté Rieux est encore visible (voir photographie) a été construite.
On ne connait absolument pas l'origine de ce passage sommaire élaboré
sur un principe mixte (chaussée pavée et pont-passerelle) mais l'on
pense généralement qu'il a succédé au grand pont médiéval; M. le Maire
de Rieux nous a rapporté les détails suivants: "mon père, bien avant
la construction du barrage d'Arzal (1972), connaissait bien ce passage
formé par une voie pavée qui allait de la rive actuelle de la Vilaine
côté Rieux jusqu'au chenal (la Vilaine à marée basse). De l'autre
côté (Fégréac), on retrouvait la même voie pavée permettant d'accéder
à la rive gauche. Sur le chenal, une passerelle permettait de relier
les deux parties de la voie pavée et de passer à pied sec" (témoignage
recueilli le 4 octobre 1991).
Certains témoignages font état de ce passage en le considérant
comme la "voie romaine", ce qui est 'très improbable pour de simples
raisons architecturales. Les auteurs anciens n'en font jamais mention,
ce qui laisse à penser qu'eux-mêmes n'ont jamais douté de sa construc-
tion assez récente.
R.De Laigue est à la fois le dernier historien à avoir sérieuse-
ment travaillé sur l'histoire du passage sur la Vilaine et le premier
à en avoir retiré une synthèse des connaissances. S'il confirme les
théories de L. Maître (gué à l'époque romaine et pont médiéval), il
donne peu de précisions nouvelles sur les emplacements de ces différents
systèmes de franchissement. Il semble pourtant d'après ses écrits
que le gué romain se soit situé face au promontoire du château et
que le pont médiéval ait été érigé en amont de celui-ci (il dit en
avoir encore vu des vestiges). Sur le terrain, celà signifierait
que ce pont se trouverait entre la chaussée- du bac partiellement
conservée et le déversoir du ruisseau "le Gléré" situé. à une vingtaine
de mètres plus loin en amont (ou peut-être plus loin encore). Ses
constatations diffèrent donc de celles de L. Maître qui, après les
sondages effectués en 1885 dans le fleuve, affirme que les pieux
arrachés en même temps que les pierres du gué romain sont ceux du
pont médiéval.
Un autre détail est à retenir dans les propos de R.De Laigue:
dans le manuscrit de son ouvrage sur l'histoire de Rieux, consulté
aux archives départementales du Morbihan, l'auteur écrivait à l'origine
"il (le pont médiéval) n'a jamais été remplacé ce qui cause une gêne
sensible aux relations entre Morbihan et Loire-Inférieure". Le terme
"remplacé" a été transformé en "reconstruit" dans le texte publié.
La nuance confirme peut-être la substitution d'un nouveau passage
au pont détruit ou en ruines: pensait-il alors à la chaussée pavée
encore visible de nos jours ?
BILAN DES SOURCES ET HYPOTHESES SUR LES PASSAGES SUCCESSIFS:
A la lecture de ces indices documentaires présentés ici, il nous
est apparu quelques problèmes principaux (en l'état actuel du dépouil-
lement documentaire, bien entendu ) :
- les auteurs anciens pèchent tous par un manque d'analyse
critique rigoureuse des sources écrites qu'ils exploitent. Le manuscrit
de 1282 est à cet égard exemplaire puisque tous, à partir de ce texte,
datent le pont du XlIIè siècle alors que rien ne permet d'affirmer
que cette période est celle qui a vu naître le passage construit
sur la Vilaine.
- 1 ' hypothèse du gué pour 1 ' époque romaine repose sur des
constatations de Léon Maître; il s'avère pourtant que celui-ci appuie
sa théorie sur une "barre" qui gêne la navigation et sur le résultat
de quelques (?) sondages approximatifs ayant permis de récupérer
des graviers, des pierres plates et des pieux. Les conclusions hâtives
et jamais vérifiées de L. Maître n'empêchent pas tous les historiens
ou érudits qui lui ont succédé de reprendre à leur compte ces affirma-
tions .
- d'importantes erreurs apparaissent jusque chez les auteurs
actuels: J.P.Leguay, après lecture du texte de L. Maître "navigation
sur la Vilaine au XVè siècle" (v. bibliographie) affirme dans "Un
réseau urbain au Moyen-Age: les villes du duché de Bretagne aux XlVè
et XVè siècles" que le pont de Rieux a été restauré aux XlIIè et
XVè siècles; jamais L. Maître n'a écrit que le pont a été restauré
au XVè siècle.
A.Chédeville, dans "la Bretagne féodale (Xlè-XIIIè siècle)" écrit
successivement: "la Touche Saint-Joseph à Rieux" alors que ce hameau
se situe sur Fégréac, "pont attesté dans un acte de 1252" alors que
l'acte est daté de 1282, et surtout "Henrieux, qui commandait le
passage du fleuve" alors que ce village de Fégréac se trouve à 1,5
kilomètre de la Vilaine, à un endroit où le fleuve est invisible:
on imagine mal dès lors le rôle que lui attribue l'auteur.
Ces quelques exemples permettent de comprendre la confiance
limitée qu'il faut avoir vis-à-vis des éléments bibliogaphiques exis-
tants; en retirant donc les informations non vérifiées, les constata-
tions erronées, les erreurs de localisation et les suppositions aventu-
reuses, il reste un certain nombre de données viables pour que les
propositions suivantes puissent être avancées:
- époque précédant l'occupation romaine: aucune trace d'un
passage n'existe; la théorie généralement admise fait de la Vilaine
une frontière naturelle entre Namnètes et Vénètes, alors que l'Oust
(région de Redon) devait ouvrir sur la cité des Coriosolites. C'est
en tout cas l'opinion d'auteurs comme P.Galliou, L.Pape, A.Chédeville,
L.Langouet etc.
- époque gallo-romaine: la voie Nantes-Vannes (réseau d'Agrippa)
traverse Fégréac puis Rieux d'Est en Ouest. Aucun vestige de pont
romain n'est connu en cet endroit sur la Vilaine. On peut supposer
qu'un pont de pierre aurait laissé des vestiges (culées, par exemple).
Mais qu'en serait-il d'un pont de bois ? Quant au gué factice de
L. Maître, il reste encore à démontrer, même si ce système peut paraître
comme assez vraisemblable. Il est par contre plus difficile d'admettre,
pour un axe de cette importance, le principe d'un simple bac ou d'un
pont de bateaux.
- Haut Moyen-Age: si un passage construit (gué ou pont) subsiste
encore, il est fort probable qu'il n'est plus utilisable, au moins
à la fin du Vlè siècle (V. récit de Grégoire de Tours). Notons tout
de même que les premières mentions écrites du castrum (ou castellum)
de Rieux apparaissent au IXè siècle, époque ou l'ancienne cité romaine
et les territoires lui appartenant sont érigés en comté. La nécessité
d'un pont sur la Vilaine date-t'elle de cette période ?
- époque médiévale: le pont de bois à tablier mobile existe
au XlIIè siècle et peut-être avant. Ce pont a été utilisé au moins
jusqu'à la moitié du XVIè siècle. En 1636, on en voit encore des
vestiges. Les XVIè et XVIIè siècles correspondent à la période de
décadence du comté de Rieux, alors que dorénavant Fégréac suit sa
propre route. Un bac permet dès lors de faire la navette entre les
deux rives du fleuve.
- après le XVIIè siècle: le bac fonctionne au moins jusqu'au
début du XXè siècle (il est d'ailleurs signalé sur les cartes d'état-
major). A une époque indéterminée, pourtant, apparaît le "chemin
pavé" dont les vestiges sont encore en partie visibles. Il semble
à la fin du XVIIIè siècle que le trafic entre les deux rives soit
encore assez important pour que 1 ' on envisage une restauration du
pont (le pont médiéval ?): il est vrai que l'ancienne voie romaine
reste toujours utilisable, même s'il elle est absente des cartes
de l'époque (y compris de la plus "précise" d'entre elles, la carte
de Cassini).
En conclusion, les données documentaires actuellement étudiées
peuvent nous permettre de supposer l'existence d'au moins trois passages
successifs :
- le passage antique, qui reste à déterminer.
- le pont médiéval.
- la voie pavée probablement post-médiévale.
Les éléments archéologiques devront, dorénavant, permettre
non seulement de les reconnaître mais aussi de les situer.
DOCUMENTATION-ARCHIVES: PROGRAMME 1992:
- Archives des Ponts et Chaussées royaux: la construction
du canal de Nantes à Brest a perturbé une partie des vestiges gallo-
romains enfouis du côté de Fégréac, en particulier près de la Vilaine
et à proximité de la voie romaine. Des annotations intéressantes
peuvent y être conservées (obstacles, récupération etc.). Plus directe-
ment, des devis de réparation, de construction ou de démolition sont
susceptibles d'être conservés dans ces liasses (en ce qui concerne
le pont et la voie pavée). Ces archives devraient, selon toute logique,
être consultables aux Archives Départementales de Loire-Atlantique.
- Archives de la S.N.C.F.: de même, la construction, à la
fin du XlXè siècle, de la voie de chemin de fer Nantes-Redon (Chemins
de Fer de l'Ouest) a été à l'origine de la destruction de nombreux
vestiges archéologiques près du "Bellion" à Fégréac. Les ingénieurs
responsables des travaux ont consigné ces découvertes et les ont
rapportées à Léon Maître. N'en resterait-il pas des traces écri-
tes ? Liées moins directement au passage sur la Vilaine, ces découvertes
sont néanmoins intéressantes quant à la connaissance de 1 ' environnement
immédiat du fleuve.
- Archives fiscales des paroisses puis communes de Rieux et
Fégréac: c'est dans ces documents que devraient apparaître les mentions
de péage, les changements de tarifs, le détail des produits transbor-
dés concernant le pont, la chaussée pavée et le bac. Bien entendu,
l'énormité présumée de ces sources ne permettra pas leur dépouillement
rapide, d'autant plus que certains manuscrits très anciens peuvent
se révéler difficiles à décrypter. Le but, pour 1992, est d'abord
d'estimer la quantité et la valeur de ces sources vis-à-vis de notre
recherche.
Ce programme, qui pourrait paraître important, obéira plutôt
aux aléas propres aux recherches approfondies en archives. De plus,
il convient de préciser que l'aide de spécialistes pourra être requise
dans certains cas (paléograhie, épigraphie, latin médiéval).
Parallèlement à l'étude des systèmes de franchissement de
la Vilaine, qui constitue le point central de l'opération, il a semblé
nécessaire d'étendre notre recherche sur le domaine terrestre afin
de replacer les éléments directement liés au fleuve dans un cadre
spatial plus large. Cette prospection globale n'intègre cependant
que les parcelles environnant le fleuve ainsi que les rives gauche
et droite.
ELEMENTS CADASTRAUX ( micro-toponymie ) :
Le secteur d'étude correspond le plus fréquemment à de très
grandes parcelles en pâture, humides, caractéristiques de la Vallée
de la Vilaine. La micro-toponymie y est très pauvre, plusieurs parcelles
portant la même appellation. En outre, les possibilités d'occupation
ancienne étant, dans de tels lieux (souvent marécageux et mal protégés),
fort restreintes, il y avait peu à espérer dans le dépouillement
des états de section et plans napoléoniens.
Pourtant, si l'on se réfère aux reproductions de ces documents,
le terme de pont apparaît fréquemment, tant sur Rieux que sur Fégréac,
et, plus intéressant encore, nous retrouvons cet indice micro-toponymi-
que bien connu des romanisants, le "Pré du Rouge" (Fégréac). Si ce
nom peut être quelquefois associé à la nature géologique du terrain,
ce n'est assurément pas le cas ici (zone d'alluvions fluviatiles
grises) alors qu'a contrario la densité de vestiges gallo-romains
est telle dans ce secteur (Le Bellion, La Rochelle...) qu'il est
intéressant à retenir. Ces "prés du Rouge" se situent en limite de
Vilaine mais sont curieusement situés près du chemin rural aboutissant
au fleuve.
PROSPECTION DANS LES PARCELLES ENVIRONNANTES :
Exception faîte de quelques micro-reliefs correspondant à
d'anciens étiers comblés, il n'a guère été remarqué de différences
de niveaux, d'accidents topographiques ou de vestiges quelconques
pouvant être liés à un phénomène archéologique dans les parcelles
prospectées. De plus, très peu d'entre elles étaient labourées (voir
carte de localisation), ce qui limite les découvertes ponctuelles.
- Fégréac (rive gauche): la parcelle labourée entourant la
Butte de Bro (Le Bellion) a une fois encore livré son lot de mobilier
archéologique (tuiles et céramique), lié à la présence proche de
la villa (?) fouillée au siècle dernier par Léon Maître. Dans l'enceinte
du camping du Bellion (à proximité de la chapelle Saint—Jacques ) ,
deux grands monolithes sont partiellement enfouis dans les broussailles.
Si certains auteurs les ont considérés comme étant des bornes milliaires
dans le passé, rien ne permet aujourd'hui de confirmer leur hypothèse.
La route endiguée, orientée au Sud du Bellion et qui forme ensuite
un coude pour accéder à la Vilaine, paraît correspondre à l'ancien
départ du bac (ou du pont ?) pour traverser le fleuve en direction
de Rieux: son axe est en effet presque identique à celui de la chaussée
pavée que l'on trouve sur la rive droite. C'est aussi près de cette
route, déjà présente au début du XlXè siècle, que se situent les
"Prés du Rouge". Il n'est pas impossible que le tracé de cet axe,
certes complètement dévié par rapport à la voie romaine, puisse d'ail-
leurs être très ancien: un ou deux sondages opérés dans ce chemin,
aujourd'hui quasiment abandonné, seraient à même de pouvoir mieux
nous renseigner sur ses origines.
- Rieux (rive droite): la prospection réalisée dans une grande
parcelle labourée située à l'arrière de la maison du passeur ("Le
Pré du Pont"), a permis de recueillir des tessons de céramiques post-
médiévaux en assez grande quantité; proviennent-ils d'un habitat
ou d'un épendage en relation avec 1' ex-couvent des Trinitaires ?
L'enceinte même du château est aujourd'hui trop envahie par les brous-
sailles pour autoriser une prospection efficace. Pour cette raison,
au vu des vestiges actuels, il est impossible de confirmer les propos
de Léon Maître qui certifiait y avoir repéré des tuiles romaines
réutilisées dans les murs du château.
Plus à l'Ouest, dans le bourg même de Rieux, la relocalisation de
"Château Merlet" ( fanum fouillé par Léon Maître vers 1885) et de
l'endroit appelé "Les Arènes" a été effectuée: aucun élément nouveau
(mobilier archéologique, configuration des lieux) ne complète à ce
jour les données existantes.
La "borne milliaire" anépigraphe actuellement visible au carrefour
des routes de Béganne et d'Allaire n'est pas à son emplacement d'origi-
ne: elle n'apparaît en effet pas sur une carte postale ancienne (vers
1900) alors que la tradition orale l'y situe depuis toujours.
PROSPECTION SUR LES RIVES DE LA VILAINE:
La rive gauche de la Vilaine, devant le château de Rieux,
a été l'objet d'un léger rescindement dans les années 1970, la consé-
quence directe étant la disparition partielle des niveaux supérieurs
des structures archéologiques. Seuls les vestiges submergés sont
donc encore accessibles.
D'autre part, les pâtures de la rive gauche s'étendent sur
toute la zone concernée par l'étude, surplombant le fleuve de quelques
trente à cinquante centimètres seulement et ne facilitent pas les
observations sédimentologiques et archéologiques. Le repérage, par
sondages terrestres, de l'axe de la voie romaine serait à ce propos
un excellent moyen de suppléer à ces difficultés de terrain.
La rive droite du fleuve n'a jamais, semble-t'il, fait l'objet
de travaux quelconques. La géologie locale fait de cette rive une
zone qui surplombe la Vilaine et qui dégage ainsi une stratigraphie
que nous avons pu lire, cette année, en un lie seulement, face à
la ferme du Grénit. Il est à noter d'ailleurs qu'une grande partie
de cette rive droite n'est étudiable qu'avec l'aide d'un bâteau.
C'est ainsi qu'à cet endroit, sur une épaisseur d ' 1 , 50 mètre environ,
se distinguent successivement:
— la mince couche de terre végétale (environ quinze centimètres).
— une première épaisseur de vase grisâtre, dense, avec quelques
tessons médiévaux et post—médiévaux (quatre-vingt centimètres).
— un niveau de petits galets roulés de tailles diverses (dix
centimètres ) .
— une nouvelle couche de vase grisâtre (vingt centimètres).
— un second niveau de petits galets roulés (cinq centimètres).
— une troisième couche de vase grisâtre (dix centimètres).
— une troisième et dernière couche de petits galets correspondant
au niveau de battement du fleuve régulé par le barrage d'Arzal. Sur
la partie supérieure de cette couche se trouvait une perle d'argile
cuite (étude et dessin page ).
Ces derniers niveaux traduisent l'évolution du cours de la
Vilaine au travers des siècles: phases de dépôt, terrasses anciennes,
modification du niveau du fleuve soumis à l'influence des marées.
GENERALITES SUR LA VILAINE:
La Vilaine est le plus long fleuve côtier de la Bretagne (225
Km). Elle traverse dans sa majeure partie des terrains primaires.
Dans le secteur d'étude, elle coule dans une vallée large et serpente
entre la "Butte de Bro" (Fégréac) et celle du château de Rieux. Les
photographies aériennes et 1 ' ancien cadastre indiquent de nombreux
étiers plus ou moins disparus au gré de leur envasement ou du remembre-
ment mais le cours moyen ne semble pas avoir considérablement changé
depuis les périodes historiques.
Soumis à l'influence de la marée jusqu'à Redon, dernier port
de mer de la Vilaine, le lit de ce fleuve, à l'identique de l'Odet
(Finistère) ou de la Rance (Côtes d'Armor) avant son réaménagement,
présentait à marée basse l'aspect d'une zone encaissée (cinq à six
mètres de dénivellé) et vaseuse, avec une partie centrale (dans notre
cas excentrée vers Fégréac), passage de l'eau douce, la Vilaine même,
très réduit.
Le barrage d'Arzal (1972) était destiné à réguler le fleuve
et ses crues importantes, à permettre une navigation commerçante
et touristique non assujettie aux marées et à constituer une énorme
réserve d'eau douce, lieu de captage pour tout le bassin. Il établit
donc le lit de la Vilaine à un niveau d'une quinzaine de centimètres
supérieur au niveau des marées moyennes qu'elle subissait auparavant.
LA PROSPECTION SUBAQUATIQUE:
Les autorisations officielles obtenues (Services régionaux
de l'archéologie, D.D.E.), nous avons fait appel au club de plongée
de Redon (le G.A.S.P.A.R. ) dont les plongeurs expérimentés ont accepté
de participer à l'opération (1). Les plongées (deux week-ends) ont
toujours été réalisées dans un cadre de surveillance stricte (surveil-
lance de surface avec bateau et surveillance de berge, pavillon alpha).
La présence d'un bateau et l'utilisation d'un sondeur à cristaux
liquides nous ont permis de repérer rapidement plusieurs micro-reliefs
au fond du fleuve sur lesquels il nous faudra revenir ultérieurement.
Cette première approche avait pour but de cerner le degré
de conservation des vestiges immergés, leur "accessibilité" (environne-
ment) et la possibilité d'effectuer toutes opérations rendues nécessai-
res par la méthodologie archéologique. Sur le premier point, nous
avons pu constater que des éléments de bois (pieux et madriers) étaient
présents au fond du fleuve, et que le processus d'envasement n'avait
pas recouvert les vestiges depuis la construction du barrage d'Arzal.
En ce qui concerne le second point, la Vilaine est un fleuve
qui coule, avons-nous déjà mentionné, en terrain primaire et les
vases en résultant sont d'une nature fortement colloïdale (2). Les
particules en suspension absorbent la lumière et à cinq mètres de
profondeur, la visibilité est quasiment nulle (profondeur maximum:
six mètres). Mais cela n'a pas constitué un obstacle majeur pour
les plongeurs confirmés. Il est sur par contre que, sur certains
aspects, la "méthodologie" archéologique prévue a eu du mal à être
mise en oeuvre totalement. C'est ainsi que la réalisation de clichés
photographiques a présenté un sérieux problème dans ce contexte de très
forte contrainte au niveau de la visibilité.
-Méthodologie: sur la rive droite de la Vilaine, le départ
d'une chaussée pavée s 'enfonçant dans le fleuve a constitué dans
un premier temps le fil conducteur de la progression des prospecteurs
subaquatiques qui, munis de plaquettes en polysthyrène de couleur
(1) Je tiens à remercier personnellement ces plongeurs néophytes
en matière d'archéologie, qui se sont fort bien adaptés à la nature
de l'opération en apportant tout leur savoir-faire et leur esprit
d ' observation.
(2) Rapport de deux ingénieurs sur le barrage d'Arzal (D.D.A.).
et de poids en plomb ont pu repérer et marquer ainsi tous pieux,
madriers ou structures susceptibles d'être intéressants.
Les plaquettes correspondantes étaient ensuite relevées à
l'aide d'un niveau puis positionnées; une borne N.G.F. placée sur
la "Maison du Passeur" a permis de parachever ces relevés.
Dans un second temps, un boot de plus de cinquante mètres
a été installé au fond du fleuve et transversalement à celui-ci,
et a ainsi permis de se repérer selon un axe matérialisé. Une fois
les observations diverses et les relevés effectués, certains pieux
ont été tronçonnés sans difficultés en vue d'analyse dendrochronologi-
que. Les plus importants des éléments repérés, notamment dans la
dernière partie de la plongée, n'ont pas été prélevés par défaut
de temps, de matériel adapté et aussi parce que, de par leur taille,
ils constituent un repère important pour une éventuelle poursuite
de l'opération.
LES RESULTATS:
La chaussée est construite sur la base de cadres faits avec
des madriers, cadres dans lesquels des pavés jointifs sont disposés
sans liant; c'est ainsi que deux séries de "caissons" ont été repérés
en plus de celui qui émerge (voir photographie). Des pieux situés
un peu plus à l'extérieur de la structure même ont été découverts
puis tronçonnés. Ils dépassaient généralement de vingt à trente centi-
mètres les pieux ou les pierres avec lesquels ils étaient calés,
mais leur profondeur d'implantation est elle restée inconnue. De
plus, un assemblage bien conservé a été observé: il est installé
à la limite de deux caissons et donc à la jonction de trois madriers
(deux longitudinaux et un transversal plus long) maintenus en cohésion
par un pieu planté dans le sol. Cet ensemble a été laissé en place.
Nous avons pu suivre cette chaussée en descente progressive
sur plus de la moitié du fleuve, jusqu'au delà du franchissement
du chenal à proprement parler de la Vilaine. Au-delà des deux caissons,
la chaussée présentait quelques perturbations superficielles. Les
i i C Î r-î i /\ c
madriers étaient absents et les pavés étalés avaient une emprise
plus grande que la chaussée initiale. Mais la présence de quelques
pieux, dalles, cailloux et cailloutis continuaient de marquer son
existence jusqu'au chenal central matérialisé par la présence de
vase sur une largeur de 5 à 6 mètres puis, de nouveau apparaissaient
des pieux et des pierres.
Ces derniers éléments de bois présentaient un diamètre beaucoup impor-
tant (70 à 80 cm de diamètre) et semblaient définir une structure
cohérente; de plus, se trouvait, couché en travers un madrier de
section circulaire (diamètre 60cm environ) et d'une longueur de plus
de 5 mètres: faut-il y voir une partie d'une superstructure abattue?
Quoiqu'il en soit, cet ensemble de pieux plantés ou couchés constitue
les vestiges du ponton installé au-dessus du chenal du fleuve toujours
en eau à marée basse.
Il faut noter également que quelques sondages à la tarière effectués
entre des pavés disjoints dans quelques centimètres d'eau, ont révélé
plusieurs centimètres de vase grise puis systématiquement un blocage
de pierres infranchissable, qui pourrait correspondre à une installation
antérieure à la chaussée.
Au-delà du ponton, en direction de la rive gauche du fleuve, la chaussée
remonte vers la berge; elles a été suivi sur quelques mètres.
La zone en amont des pavés, n'a été que très peu prospectée et n'a
révélée que quelques pierres éparses; et il sera nécèssaire d'y revenir
en cas de poursuite de l'opération.
La partie en aval a montré une zone de pierres qui, de par la masse
qu'elle constitue, ne semble pas raisonnablement appartenir à la
chaussée ( et ceci même si on envisage un quelconque éboulis ) . Elle
se poursuit sur quelques dizaines de mètres au moins et est formée
de pierres de taille moyenne à grosse et de cailloutis.
Cet ensemble apparait donc comme devant être dissocié de la chaussée
ou de quelques perturbations de celle-ci.
RIEUX // FEGREAC
1 991
Eléments de bois:
NUMERO t CONSERVATION î INTERET DENDRO j ANALYSE j. TRACES OBS
PIEU I échantillon
entier.
aubier absent.
oui- non h:15 à 18cm
0 : 14cm
coeur excentré
PIEU II échantillon
entier
oui - non départ de
branche
h:20 cm
0 :19 cm résineux
PIEU III
PIEU IV
échantillon
entier.
échantillon en
2 parties
aubier
oui - non présence
d'1 fiche
de fer
h: 14 à 23 cm
0 :12 à 18 cm
coeur excentré.
oui - non h: 15 à 20 cm
0 :20 cm
FICHE MOBILIER :
fiche métallique
longueur : 140 mm, .
tête circulaire irrégulière ; 0 de 35 à 40 mm, épisseur 10 mm .
tige de section carrée, 15 mm de côté
l'extrémité recourbée fait un angle droit avec la tige,
provenance: pieu III
BILAN:
Cette première approche nous a permis de mesurer tout l'in-
térêt archéologique du site (potentiel archéolpicue , importance
quantitative des passages successifs...)
De nombreuses hypothèses, étayées par les archives, se présentent:
la chaussée actuelle s'est-elle installée sur un précédent aménage-
ment et de quelle période; la masse rocheuse repérée représen-
te-t-elle la voie antique mentionnée en biais à cet endroit
dans le fleuve ou bien l'accumulation de pierres contre les
pieux attribuables au pont médiéval (textes anciens); le ponton
représente-t-il le point central d'un système très ancien
La dendrochronologie nous permettra d'effectuer un tri chronologi-
que dans les pieux prélevés et à prélever.
La chaussée pavée reprend un modèle ancien de construction en
caisson (cale de la Roche-Bernard, déversoir du Moulin du Comte
à Rennes -XVème au XVTIIème siècle-) , elle semble cependant être
attribuable à une période post-médiévale assez récente, ce qui
expliquerait qu'elle ne figure jamais dans les descriptions
du XVIII ou XIXème siècle.
La poursuite des recherches devra donc s'orienter selon plusieurs
axes :
- prospections, relevés et prélèvements de la structure de ponton
du chenal ( analyses dendrochronologiques ) .
- recherche approfondie de pieux en amont de la chaussée afin
de vérifier la présence ou l'absence de vestiges.
- prospection approfondie de la zone en aval de la chaussée
sur une longueur de 200 mètres environ avec réalisation de
profils bathymétriques du fond ( régiment du génie militaire
d 1 Angers ) .
- démontage ponctuel de la chaussée dans sa partie immergée.
- prélèvement systématique des pieux repérés.
De plus, la technique de relevés sera perfectionnée et fera
l'objet d'une collaboration ponctuelle extérieure.
GONCLysnoiNi L'étude des paysages successifs sur la Vilaine à Rieux-Fégréac
s'est appuyée sur une approche en archives pour effectuer ensuite
les prospections terrestre et subaquatique sur le site.
Cette dernière s'est déroulée sur deux week-ends aux mois
d'octobre et novembre 1991; bien que très courte, elle a permis de
percevoir l'importance qualitative et quantitative des vestiges immergés
traduisant à l'identique la masse d'informations révélée par les
archives .
La poursuite de l'opération permettra d'effectuer un tri chrono-
logique (sur la base des analyses dendrochronologiques notamment)
dans cette masse d'informations et devra s'efforcer d'attribuer de
façon fiable tel vestige à telle structure.
La complémentarité nécessaire (sources documentaires, milieux
terrestre et subaquatique) continuera d'être le fil conducteur de
1 1 opération.
Il serait trop long de citer ici toutes les publications que
les auteurs anciens et actuels ont réalisé concernant Rieux ou Fégréac,
surtout si l'on prend en compte les mentions ponctuelles des découvertes
ou des descriptions effectuées sur les deux communes depuis plusieurs
siècles. Les différents passages sur la Vilaine n'ont pas fait l'objet
d'études particulières si l'on excepte l'ouvrage de R.De Laigue concer-
nant l'histoire de Rieux, ouvrage dans lequel un chapitre est consacré
à ce sujet. Signalons simplement que les textes ou notes publiés
et manuscrits (plus d'une centaine d'entre eux ont été consultés)
susceptibles de donner des indications au moins indirectes sur les
passages successifs sont principalement l'oeuvre d'auteurs comme
R.De Laigue, L. Maître, L.Rosensweig, Nicolazzo de Barmon, Ogée, G. De
Corson etc.
Pour ce qui est des auteurs actuels, il faut au moins citer:
A.Chèdeville : La Bretagne des Saints et des Rois (Vè-Xè siècles).
La Bretagne féodale (Xlè-XIIIè siècles.
P.Galliou : L : Armorique romaine.
J.P.Leguay : Fastes et malheurs de la Bretagne Ducale 1213-1532.
Un réseau urbain au Moyen-Age, les villes du Duché
de Bretagne aux XlVè et XVè siècles.
Une liste exhaustive des sources et de la bibliographie compulsés
dans le cadre de cette étude sera présentée en annexes du rapport
d'activités 1992, si l'opération se poursuit bien sûr.
G.DEPEYHOT : Le pont vieux de Cahors, étude architecturale et archéo-
logique d'un pont médiéval, in: cahier d'archéologie
subaquatique, 1974, N° 3, plbl à 162.
J . BURNOUF-J . 0 .
GUTLHO-M.O.MAN-
DY-C.ORCEL : Le pont de la Guillotière, in: D.A.R.A. , 1991.
J.MESQUI : Le pont en france avant le temps des ingénieurs, 1986.
M.PRADE : Les ponts, monuments historiques, 1986.
E.RIETH L'archéologie des fleuves et des rivières, in: De Lascaux
au Grand Louvre, p354 à 357, 1990.