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1ER COLLOQUE INTERNATIONAL ORGANISÉ PAR LA COCOF BRUXELLES, CAMPUS DU CERIA REGARDS CROISÉS SUR LES PRATIQUES EN PÉDAGOGIES ACTIVES 21-22-23 MARS 2018

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1ER COLLOQUE INTERNATIONAL ORGANISÉ PAR LA COCOF

BRUXELLES, CAMPUS DU CERIA

REGARDS CROISÉSSUR LES

PRATIQUES ENPÉDAGOGIES

ACTIVES

21-22-23 MARS 2018

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SOMMAIRE

LES GRANDES CONFÉRENCES p.15

LES ATELIERS p.75

Inégalités scolaires p.76

Evaluation p.97

Inclusion p.103

Pratiques de classe p.107

Bien-être p.158

Citoyenneté, autonomie et liberté p.166

Coopération p.198

Nouvelles technologies de l’information et de la communication p.222

Formation des enseignants p.225

Gestion des établissements scolaires p.237

LE REGARD CROISÉ DE DAVID LALLEMAND ET AUDE GARELLY p.256

ET MAINTENANT ? p.259

POÈME DE LAURENCE VIELLE p.260

Le contenu et la rédaction des articles n’engagent que la responsabilité de leurs auteur.e.s

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INTRODUCTIONEn Mars 2018, Madame Fadila Laanan, Ministre-Présidente du Gouvernement francophone bruxellois en charge de l’enseignement, a souhaité organiser un colloque international qui s’inscrit dans la politique du Pouvoir Organisateur de promouvoir et développer les pédagogies actives dans son enseignement.

L’enseignement de la COCOF se singularise par une grande diversité et touche environ 6500 élèves et étudiants, jeunes et adultes répartis dans une dizaine d’établissements scolaires proposant une offre de formation et des projets propres à chacun.

Cette offre d’enseignement va encore s’étoffer avec l’ouverture en septembre 2021, sur le campus du CERIA à Anderlecht, de deux nouvelles écoles d’enseignement secondaire général à pédagogies actives :

• Un DOA (Degré d’Observation Autonome) qui accueillera les élèves de 12 à 14 ans (l’actuel premier degré de l’enseignement secondaire).• Un D2-3 qui accueillera les élèves de 15 à 18 ans (les actuels deuxième et troisième degré de l’enseignement secondaire).

Dans ce contexte de développement de son offre, il semblait nécessaire pour le Pouvoir Organisateur d’apporter un regard scientifique et professionnel aux diverses questions que sous-tend le vocable très large de « pédagogies actives ».

Pour cela, plutôt que d’opposer celles-ci à un enseignement dit traditionnel, le colloque s’est attaché à croiser les regards et à proposer des pistes de réflexion et d’actions : les différentes interventions ont été l’occasion de réaliser un état des

lieux critique et de mettre en lumière les apports des uns et des autres.

Les rencontres, les échanges et les partages ont permis aux nombreux participants de découvrir des outils concrets, des pratiques, des pistes d’intervention pertinentes, des méthodes, des recherches, des innovations, …

Les conférences et les ateliers ont éveillé des débats stimulants durant les trois jours du colloque.

Vous trouverez dans ce recueil la plupart de ces interventions qui, nous l’espérons, vous permettront de prolonger la réflexion.

Nous adressons nos remerciements les plus sincères aux membres du comité scientifique pour leur soutien et leurs conseils avisés en amont du colloque.

Merci également aux auteurs des grandes conférences qui nous ont fait l’honneur de leur présence.

Enfin, nous adressons toute notre gratitude à chaque intervenant et à chaque participant, venu parfois de très loin !

Votre qualité de présence et vos regards croisés nous permettent aujourd’hui, de poursuivre notre action et de faire en sorte que les écoles de la Cocof soient des Écoles où l’on prépare le monde de demain dans lequel chaque élève trouvera et prendra sa juste place.

Patrick BeaudelotDirecteur d’AdministrationDirection de l’Enseignement et de la formation professionnelle

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ALLOCUTION

DE MADAME FADILA LAANAN MINISTRE-PRÉSIDENTE DU GOUVERNEMENT FRANCOPHONE BRUXELLOIS, EN CHARGE DE L’ENSEIGNEMENT

mercredi 21 mars Parlement francophone bruxellois

Madame la Présidente du Parlement francophone bruxellois,Madame l’Administratrice générale du Service pu-blic francophone bruxellois, Monsieur le Directeur de l’Administration de l’En-seignement,Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualités,

En tant que Ministre-Présidente du Gouvernement francophone bruxellois en charge de l’Enseignement, j’ai pris l’initiative d’organiser, avec l’aide de mon administration et d’un comité d’experts émérites issus entre autres du monde académique, un grand colloque international dont le thème est « Regards croisés sur les pratiques en pédagogies actives ».

L’idée de ce colloque international trouve sa genèse dans la décision du Gouvernement francophone bruxellois, de construire une nouvelle école secondaire à pédagogies actives sur le Campus du CERIA. Cette nouvelle école, qui ouvrira ses portes - suivant le calendrier des travaux à la rentrée 2020 - sera constituée de deux entités. D’une part, d’un premier degré d’observation autonome – un DOA – de 600 élèves et, d’autre part, d’un deuxième et troisième degré de 600 élèves également. Avec cette nouvelle école, nous prenons notre part de responsabilité non seulement au regard de l’évolution démographique en région bruxelloise, mais aussi et surtout quant à l’évolution des modes d’apprentissages qui permettront demain à nos élèves, d’exprimer pleinement leurs talents.

L’organisation de ce grand colloque international sur les pédagogies actives a un double objectif : tout d’abord, il s’agit d’alimenter notre réflexion en tant que pouvoir organisateur pour l’élaboration de notre projet pédagogique. Ensuite, il s’agit de faire rayonner et profiter tous les acteurs du monde de l’éducation

intéressés par le sujet, qu’ils soient pouvoirs organisateurs, directions, personnel administratif, professeurs, étudiants, parents ou tout simplement citoyens concernés par ces enjeux.

L’efficacité de ces pédagogies n’est plus à démontrer. L’intérêt des différents pouvoirs organisateurs pour les pédagogies actives est grandissant. Elles sont de toute évidence un outil majeur dont il s’agit de se saisir pour rencontrer les objectifs généraux de l’enseignement en Fédération Wallonie Bruxelles.

Je suis particulièrement sensible à ces pédagogies actives qui ont pour objectif de rendre l’élève acteur de ses apprentissages, afin qu’il construise ses connaissances, notamment à partir de situations de recherches. Ces pédagogies proposent des activités scolaires, des savoirs, des savoir-faire, des savoir- être et des compétences qui s’ancrent dans le concret et qui ont donc plus de chances de faire sens pour l’élève. Pour citer Célestin Freinet à ce sujet : «  […] nous irons puiser dans la vie véritable de l’enfant, à l’origine de ses sensations, de ses expériences et de ses découvertes, les éléments essentiels, les éléments de base – les seuls solides et définitifs – de sa formation, de son instruction, et de son éducation. »

Je suis persuadée du bien-fondé de ces principes énoncés par l’un des pionniers des pédagogies dites «  actives  » et que chacun d’entre nous a eu l’occasion de mesurer à son échelle. Il me semble évident que tout savoir s’ancre en

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profondeur dès lors qu’il est éprouvé à partir de ses propres expériences.

Les pédagogies actives prennent en compte, et accompagnent autant que possible les différents types et rythmes d’apprentissages. Je crois comprendre que le réel ne s’étudie pas seulement au travers d’éprouvettes ou dans les cahiers. Le réel se vit et s’expérimente. Là réside sans doute la grande force des pédagogies actives : elles sont une façon de faire entrer puissamment la vie dans la classe et la classe dans la vie. Non plus seulement, comme hier, sur le mode du professeur qui livre un savoir ex-cathedra mais bien désormais, un élève qui étudie la vie en l’expérimentant.

Ces pédagogies actives sont mises en œuvre au sein de nouvelles structures scolaires qui se basent notamment sur des principes structurants tels que l’école de la réussite, l’école démocratique (fondée sur la liberté et la citoyenneté active et critique), l’école de l’égalité des chances (accessible à tous les publics) ou encore à l’école ouverte sur la société et le monde qui l’entoure.

Evidemment, le développement de ces pédagogies s’inscrit dans une perspective de promotion d’initiatives visant la réussite scolaire et la réduction des inégalités sociales. A quelques générations d’intervalle, de Steiner à Freinet en passant par Decroly ou Montessori, ces pédagogies consistent à travailler à la création de meilleures conditions d’apprentissage et d’émancipation. Elles ont en commun un apprentissage de la vie par la vie, le développement de

l’autonomie et du libre arbitre, la pensée critique, la créativité, l’enthousiasme à l’égard des apprentissages, le respect de la liberté de pensée, la collaboration et la solidarité, ainsi que le rythme et le bien-être de l’élève et/ou de l’étudiant.

J’aimerais donc ici exprimer l’immense plaisir que j’ai à accueillir ce panel de pédagogues et d’experts qui vont nous aider à penser l’école de demain, que nous cherchons à concrétiser dès à présent.

Mesdames et Messieurs, je ne serai pas plus longue : le programme du colloque est riche et vaste. Je vous souhaite d’ores et déjà, à chacun d’entre vous, un excellent colloque, plein de découvertes et d’intérêts variés. Avant de céder la parole à Madame l’Administratrice Générale du SPFB, Bernadette LAMBRECHTS, j’aimerais terminer sur cette citation du Docteur Decroly qui dessine, inlassablement, l’horizon qui est le nôtre lorsqu’il s’agit de pédagogie. Le Docteur Decroly rappelle que le but est, je cite : “ […] La connaissance par l’enfant de sa propre personnalité; la prise de conscience de son moi et par conséquent de ses besoins, de ses aspirations, de ses buts et en fin de compte de son idéal. La connaissance des conditions du milieu naturel et humain dans lequel il vit, dont il dépend, et sur lequel il doit agir pour que ses besoins, ses aspirations, ses buts, son idéal soient accessibles, puis réalisés… pour être consciemment et intelligemment solidaire”.

Je vous souhaite encore à tous un excellent colloque.

ALLOCUTION

DE MADAME BERNADETTE LAMBRECHTS ADMINISTRATRICE GÉNÉRALE DU SERVICE PUBLIC FRANCOPHONE BRUXELLOIS

mercredi 21 mars Parlement francophone bruxellois

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CONFÉRENCE D’OUVERTURE DU COLLOQUE

RÉACTIVER L’ÉCOLE

mercredi 21 mars Parlement francophone bruxellois

Jacques CornetSociologuePrésident de CGé (Changements pour l’Egalité), mouvement socio pédagogique

Ce colloque s’inscrit dans la perspective du plan stratégique de la COCOF : construire-promouvoir-innover. Il s’agit ici, essentiellement, de promouvoir et d’innover :

• Promouvoir les politiques décidées par le Gouvernement francophone bruxellois : l’accent mis sur les pédagogies actives dans le projet pédagogique de notre enseignement est une volonté politique, elle vise à mettre le jeune au centre de nos dispositifs, en tant qu’acteur de son apprentissage et futur citoyen.

• Innover : le colloque constitue une occasion unique de faire croître collectivement notre connaissance théorique et pratique des pédagogies actives, par le dialogue critique de professionnels d’horizons divers. Les recommandations qui sortiront de ces trois journées d’échanges constitueront une contribution à un renouvellement de la recherche en la matière et doivent servir de rampe de lancement pour des expérimentations à caractère innovant.

Il est important de souligner le caractère exceptionnel de la démarche préparatoire, pilotée par notre cellule pédagogique - une mention particulière à Ariane Merland qui a pu rassembler autour d’elle toutes les énergies nécessaires - et ouverte sur un large panel académique et associatif. Le processus a démarré au mois de mai de l’année précédente et s’est appuyé sur

l’expertise d’acteurs des universités, des hautes écoles, du réseau CPEONS et de différentes associations actives dans la thématique. Malgré cette pluralité (ou grâce à elle) l’équipe est parvenue en un temps très court à mobiliser plus d’une cinquantaine de contributeurs, belges, français, canadiens, luxembourgeois, en garantissant un niveau de qualité élevé. Le challenge est d’autant plus ardu qu’il s’agit d’un colloque où chacun des participants est forcément acteur de sa formation, et devra également apporter sa pierre à l’édifice.

Pour la COCOF, c’est une fierté d’organiser trois jours d’échanges pour faire bouger les lignes sur une thématique essentielle pour notre futur enseignement :

Quelle place veut-on donner à l’élève dans le processus d’apprentissage ?

Un consommateur de savoirs ou un être en devenir qui doit comprendre petit à petit comment il peut se construire comme futur citoyen et professionnel ?

Je remercie donc toutes celles et ceux qui ont permis de mettre en place les conditions idéales pour mener débat.

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La Cocof veux créer des écoles à pédagogies actives. Elle n’est pas seule. De nombreuses initiatives vont dans le même sens. Actuellement une cinquantaine d’expériences nouvelles sont menées ou vont l’être. A CGé, mouvement socio-pédagogique, nous sommes convaincus qu’il faut réactiver l’école, mais peut-être pas en créant des écoles à pédagogies actives.

POURQUOI RÉACTIVER L’ÉCOLE ?

De nombreux indicateurs signalent l’état déplorable de l’école en FWB. Les résultats PISA démontrent une très forte corrélation entre les résultats scolaires et l’orientation par la relégation, d’une part, et l’origine sociale, d’autre part. À 15 ans, les 10 % les plus « pauvres » fréquentent surtout l’enseignement professionnel. Ils ne sont plus que 9 % dans le général de transition. Les 10 % les plus « riches » sont encore 83 % dans le général de transition. L’orientation vers l’enseignement spécialisé ne cesse de croître, touchant principalement les garçons issus du quart-monde. Globalement on peut dire que notre école en FWB produit 24 % d’analphabètes fonctionnels. De manière générale, notre école en FWB renforce gravement les inégalités sociales.

D’autres indicateurs montrent également le mauvais état de notre école. L’abandon de la profession enseignante dans les premières années d’exercice de la profession : 40 %. Dépressions et burn-out pour les enseignants. Ennui

et mal-être pour les élèves. Mauvais climat relationnel. 1 élèves sur 3 termine son enseignement obligatoire sans redoubler. On peut dire également que l’école n’a plus beaucoup de sens pour la majorité de ses membres.

PERTES DE SENS

Pourquoi cette perte de sens ? L’hypothèse principale est que les enseignants et les élèves sont pris dans un système d’injonctions paradoxales paralysantes.

Première injonction paradoxale :

on demande aux enseignants de faire réussir tous les enfants, de promouvoir une égale réussite de tous, l’échec est donc un problème. Mais on demande également à l’école de distribuer des certificats inégaux, de sélectionner et donc de faire échouer certains. L’échec est donc la solution ! Une réussite n’a en effet de valeur qu’en fonction des échecs qui l’accompagnent. Les enseignants ne peuvent pas en même temps tenter de faire réussir tous les élèves et en même temps sélectionner les meilleurs et retenir ou reléguer les moins bons.

Deuxième injonction paradoxale :

on attend de l’école qu’elle prépare les jeunes à trouver un emploi, à s’insérer dans une société compétitive. Il s’agit donc de faire des guerriers économiques. Mais on demande également à l’école de former des citoyens responsables

actifs, critiques et solidaires. On demande encore à l’école de faire de tous les enfants des personnes épanouies. C’est comme si on demandait à l’école de faire de tous les enfants des petits Bill Gates, des petits José Bové et des petits Dalaï-Lama ou Paris Hilton selon la conception qu’on a de l’épanouissement personnel. Cela n’est évidemment pas possible.

Troisième injonction paradoxale :

on demande à l’école à la fois de réparer la société de tous ses maux et à la fois de préparer les jeunes à la société telle qu’elle est. On ne peut pas réparer et préparer en même temps. On déplore l’évolution des médias, une information toujours plus rapide, émotive, de proximité et des loisirs toujours plus aliénants. On pourrait légiférer, on pourrait agir au moins au niveau des médias publics, mais on n’en n’a pas la force, alors on demande à l’école de faire de l’éducation aux médias. On ferme les frontières. On fait la chasse aux migrants. On réprime ceux qui les aident. Mais, en même temps, on va demander à l’école de faire de l’éducation à l’interculturel. Environnement  : la planète est menacée et on n’arrive pas à légiférer, mais ce n’est pas grave, on va demander à l’école de faire de l’éducation à l’environnement. Le pillage du Sud se poursuit, mais ce n’est pas grave, on va demander à l’école de faire de l’éducation au développement durable. On demande à l’école de préparer les jeunes à entrer dans la société telle qu’elle existe, à devenir un bon travailleur chez Monsanto et en même temps, on demande à l’école de réparer tous les maux de la société et de manifester contre le glyphosate.

Ces injonctions qui paralysent l’école montrent bien que la pédagogie est politique. En effet, faire réussir ou sélectionner, faire des enfants des petits Bill Gates, José Bové, dalaï-lama ou Paris Hilton, réparer la société ou préparer à la société telle qu’elle existe, tout cela sont des choix politiques. Pour sortir des injonctions paradoxales, il est donc nécessaire de faire des choix politiques plus que pédagogiques même si les deux sont évidemment liés.

PÉDAGOGIES TRANSMISSIVES ET ACTIVES

Pédagogies actives au pluriel : il y a différents types de pédagogies actives. Vont-elles rendre du sens à l’école ? Avant de répondre à cette question, je voudrais vous proposer une typologie des pédagogies. Une typologie est toujours relativement arbitraire et réductrice. Néanmoins elle devrait permettre de mieux comprendre les évolutions. Opposons donc d’abord, d’une part les pédagogies transmissives ou les écoles traditionnelles et d’autre part, les pédagogies actives ou école nouvelles ou alternatives. Qu’est-ce qui les oppose ?

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Il faut d’abord rappeler que pour apprendre, on est toujours actif. Parler de pédagogie active ce n’est pas dire qu’on apprend passivement avec un enseignement transmissif. On peut apprendre, ou ne pas apprendre, avec un enseignement transmissif, comme on peut apprendre, ou ne pas apprendre, avec une pédagogie active. Ce n’est pas une question d’efficacité, c’est une question de choix éducatif. On n’apprend pas les mêmes choses avec un enseignement transmissif et une pédagogie active. La posture éducative est profondément différente.

La pédagogie transmissive suppose une posture de soumission au savoir. Le savoir est considéré a priori comme la forme supérieure de représentation du réel. C’est d’ailleurs ce qui fonde l’autorité de l’enseignant. Le maître sait et les élèves ne savent pas. Le maître transmet et les élèves se soumettent. Il s’agit de perpétuer un certain type de rapport au savoir, à certains modes de production et de transmission du savoir, et aux rapports de production du savoir. C’est en cela que l’institution scolaire reproduit et renforce les rapports sociaux existants. Ce type de rapport au savoir est cohérent avec un certain type de rapport à l’autorité de rapport aux autres et de rapport au monde.

Les pédagogies actives supposent un rapport de maîtrise au savoir ce qui est tout différent. Cela remet en question les rapports de production et de transmission du savoir ainsi que les

rapports de production du savoir. C’est ensemble qu’on cherche, ensemble qu’on construit du savoir, ensemble qu’on confronte le savoir local produit au savoir constitué. Ce type de rapport au savoir entraîne un autre type de rapport à l’autorité, de rapport aux autres et de rapport au monde.

On oppose donc les pédagogies actives aux pédagogies transmissives. La typologie proposée ici comprend 2 types de pédagogie transmissive et 3 grands types de pédagogie active. Le premier modèle de pédagogie transmissive, appelé ici traditionnel, est malheureusement le plus fréquent dans les classes. Il est fortement basé sur l’idéologie du don et du mérite. L’enseignant enseigne et les élèves apprennent s’ils le peuvent. Ce modèle n’est pas théorisé comme tel, il ne se revendique pas comme un modèle, c’est plutôt un ensemble d’habitudes implicites de travail qui s’imposent dans les classes sans remise en question.

La pédagogie explicite, elle, se revendique comme modèle et se théorise. L’enseignant annonce d’abord aux élèves les objectifs et les enjeux d’apprentissage pour la leçon qui va suivre. Il donne ensuite les explications en les reliant explicitement aux objectifs annoncés. Lorsqu’il s’est assuré de la compréhension des élèves il propose alors des exercices qui, s’ils sont réussis permettent de passer à la leçon suivante. C’est bien parce que les objectifs et les enjeux de l’apprentissage sont annoncés

qu’appelle cette pédagogie, explicite. Elle reproche d’ailleurs aux pédagogies actives d’être implicites et que cela explique leur inefficacité.

PÉDAGOGIES ACTIVES

C’est au début du 20e siècle que le courant de l’école nouvelle s’est constitué. Lors de ses congrès ou lors de la rédaction de la Charte des écoles nouvelles par Adolphe Ferrière, tous les courants étaient représentés et dialoguaient, ce n’est que par la suite que trois grands courants se sont progressivement autonomisés.

L’auto-socio-construction du savoir a été théorisée par le GFEN (Groupe Français d’Éducation Nouvelle), un mouvement pédagogique. L’apprentissage se fait principalement à travers des situations-problèmes, un dispositif inventé et travaillé par ce mouvement, et souvent galvaudé en dehors de lui. Ce courant remet en question les inégalités sociales et d’apprentissage. Tous capables, affirme-t-il, ou encore, je cherche donc j’apprends. L’activité de l’élève est mise en avant, une activité de recherche en coopération pour produire du savoir local, pour s’émanciper par le savoir. Cela suppose pour l’enseignant un travail d’analyse didactique important. Une situation-problème ne s’improvise pas. Ce courant est aujourd’hui récupéré jusque dans l’enseignement supérieur, pour son efficacité, mais sans l’intention politique qui la fait naître.

Le modèle personnaliste met en avant

l’épanouissement de l’enfant, sa curiosité, son appétence naturelle à chercher et à apprendre. L’enseignant importe moins que l’environnement de la classe. Cet environnement, le plus riche possible, propose de multiples portes d’entrée vers la recherche et l’apprentissage. Le plaisir est mis en avant, le plaisir à être, le plaisir à chercher, le plaisir à s’exprimer et échanger, le plaisir à grandir. La priorité est donnée à l’expression et à la créativité, c’est l’idéal de la personne libre et épanouie.

Le modèle institutionnel met l’accent sur le collectif. Si l’environnement importe également pour faire naître des idées de recherche et de projets, c’est le groupe qui va être activé pour mener collectivement ces recherches et ces projets. L’enseignant est bien responsable du dispositif mais il s’efface au profit de l’organisation du groupe. Il s’agit d’apprendre à s’organiser pour coopérer et progresser ensemble. Les situations de classe comprennent nécessairement de multiples difficultés et problèmes. Chacune de ces difficultés ou problèmes sera l’occasion de pousser le groupe à trouver la meilleure manière d’y répondre, et donc de créer les institutions nécessaires au bon fonctionnement de la classe. La priorité est donnée à la coopération, c’est l’idéal de l’acteur social engagé.

L’auto-socio-construction du savoir est encore aujourd’hui porté par des mouvements pédagogiques organisés de l’école nouvelle (GFEN, GBEN, ...). Le courant institutionnel est toujours porté

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par les mouvement Freinet et institutionnel. Le courant personnaliste est moins organisé et se réfère à des auteurs comme Decroly et Montessori.

DÉRIVES PÉDAGOGIQUES

Les difficultés que connaît aujourd’hui l’école traditionnelle, des évolutions sociales et des effets de mode entraînent certaines dérives. La plus courante aujourd’hui confond liberté et bon plaisir, manifeste trop peu d’exigences et s’isole du monde tel qu’il existe, aveuglée par une survalorisation de l’enfant et une conception immanent de la personne. Proche de cette dérive complaisante, une autre dérive, libertaire, moins fréquente, existe également. Elle nie les différences de statut et de responsabilité entre enfants et adultes, elle affirme l’égalité et installe une autogestion sauvage. Les enfants de Summerhill ne sont pas loin. Troisième dérive, activiste voire même occupationnelle. Des activités sans analyse didactique, des situations- problèmes qui n’en sont pas. Les élèves sont actifs mais acteurs, créateurs, auteurs. Enfin des écoles peuvent s’affirmer actives sans s’inscrire dans aucun de ces trois courants, prétendant faire un peu de tout, sans rien approfondir et sans reconnaître les contradictions entre ces trois courants.

C’est pourquoi tout pouvoir organisateur qui voudrait créer une nouvelle école à pédagogie active devrait se poser les questions suivantes. De quelle adulte rêvons-nous ? Souhaitons nous produire dans notre école plutôt des petits José Bové des petits Bill Gates des petits dalaï-lama ou Paris Hilton ? Souhaitons-nous plutôt des personnes épanouies centrées sur leur développement personnel, ou bien des acteurs émancipés centrée sur leurs capacités créatives, ou bien encore des citoyens militants centrés sur leur capacité d’action sociale ?

À qui l’enfant appartient-il ? L’enfant s’appartient-il à lui-même, à ses parents, à l’enseignant, à sa communauté ou à la société, aux pouvoirs publics qui la représentent ? La question est évidemment dérangeante et l’enfant n’appartient à personne. Il est cependant nécessaire de repenser qui peut, doit, décider de son éducation.

Enfin si le pouvoir organisateur qui crée une nouvelle école à pédagogie active ne se la pose pas, nous devons lui poser : cette création répond-t-elle à un souci pédagogique et politique au nom de ses valeurs ou à une stratégie de positionnement dans le marché scolaire, au nom de ses intérêts ? S’agit-il d’un choix d’éduquer ou d’attirer des clients. Et à travers cette création mesure-t-on bien les effets inévitables de niches éducatives et de ségrégation sociale que cela va entraîner et comment va-t-on y répondre ? Ne serait-il pas plus judicieux de réactiver toutes les écoles ?

01LESGRANDES CONFÉRENCES

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19 - LES GRANDES CONFÉRENCES

PÉDAGOGIES ACTIVES :L’ACTIVITÉ EN QUESTION(S)

Jacques Bernardin Président du GFEN

QUELLE ORIGINE DES PÉDAGOGIES ACTIVES?

Fédérant des expériences éducatives novatrices développées dès la fin du 19ème dans plusieurs pays, l’éducation nouvelle prend un nouvel essor dans les années 20, suite à la boucherie de 14-18. En 1921, la Ligue Internationale de l’Education Nouvelle est fondée au Congrès de Calais.

Selon Henri Wallon : « Il avait semblé alors que pour assurer au monde un avenir de paix, rien ne pouvait être plus efficace que de développer dans les jeunes générations le respect de la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi pourraient s’épanouir les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes de la guerre et de la violence1. »

Critiquant l’éducation traditionnelle, jugée dogmatique, propre à susciter l’ennui, la passivité et l’échec mais aussi l’égoïsme compétitif et le conformisme alors que l’époque est propre à l’éveil des consciences, l’éducation nouvelle défend le principe d’une participation active des individus à leur propre formation. Elle déclare que l’apprentissage, avant d’être une accumulation de connaissances, doit être un facteur de progrès d’ensemble de la personne. Pour cela, il faut partir de ses centres d’intérêt et s’efforcer de susciter l’esprit d’exploration et de coopération. Elle

1 Henri WALLON, Pour l’Ere Nouvelle, 1952.

prône une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs  : intellectuels et artistiques, mais également physiques, manuels et sociaux. L’apprentissage de la vie sociale est considéré comme essentiel.

A cette époque, plusieurs facteurs contribuent au renouvellement de la pensée éducative :

• Les besoins économiques et sociaux Dans les années 20, le taux de croissance est élevé, il y a un essor de la production et de la consommation de masse, ce qui requiert une adaptation aux réalités nouvelles. Il devient nécessaire de former davantage et autrement.

• Le progrès des idées démocratiques et de justice sociale Les «  Compagnons de l’Université Nouvelle », ayant côtoyé le peuple dans les tranchées, posent le problème de l’école unique et proposent une scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans : « Séparer dès l’origine, les Français en deux classes et les y fixer pour toujours par une éducation différente, c’est aller à l’encontre du bon sens, de la justice et de l’intérêt national. (…) Les pères ont veillé dans les mêmes tranchées (…) les fils peuvent bien s’asseoir sur les mêmes bancs  »2 argumentent-ils. En 1947, Paul Langevin, physicien

2 Cité par Jean-Paul DELAHAYE, « Le collège : une construc-tion inachevée », dans Bernard TOULEMONDE (dir.), Le système éducatif en France, La Documentation française / CNED, 2è éd., 2006

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20 - LES GRANDES CONFÉRENCES 21 - LES GRANDES CONFÉRENCES

président du GFEN chargé de repenser l’éducation après la seconde guerre mondiale, reposera ce principe de justice en affirmant : «  (…) tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximal (…) »3.

• Les connaissances scientifiques sur le développement de l’enfantOn ne peut plus penser l’enfant comme un adulte en miniature ou comme un sauvageon dont il faut dompter les pulsions par le corsetage éducatif selon la logique de l’empreinte. L’enfant se développe par étapes graduelles, l’éducation doit donc s’adapter aux possibilités inhérentes à son âge, tout en préparant les conditions de son évolution, dans un processus ouvert aux changements, aux bifurcations, à l’inattendu. Conception dynamique du devenir qui rompt avec l’innéisme qui prévalait à l’époque.

QUELS INVARIANTS DE CES PÉDAGOGIES ?

• Le principe d’éducabilité (contre toutes les théories fatalistes). Parmi les pionniers de l’Education Nouvelle, on trouve beaucoup de médecins qui ont pris en charge des enfants jugés inéducables, dont tout le monde désespérait, enfants dits «  arriérés  » ou difficiles : ainsi, Maria Montessori

3 Paul LANGEVIN, Plan de la réforme de l’Enseignement, 1947 (Cité par Aurélien FABRE, L’école active expérimentale, PUF, 1972.).

(Italie), Edouard Claparède (médecin neurologue, Institut JJ Rousseau, Genève), Ovide Decroly (Belgique), Janusz Korczak (Pologne), Henri Wallon (médecin neuropsychiatre, auteur d’une thèse sur l’Enfant turbulent en 1925) …

Après avoir combattu la théorie des dons avec un ouvrage collectif en 19744, le GFEN lancera son fameux «  Tous capables !  » en 19825. Sujet de controverses, audace défendue au Sénat avant d’être ratifiée par l’Assemblée nationale6, l’idée que « tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser  » est désormais inscrite dans la loi d’orientation française de juillet 2013 en tant que principe de l’éducation.

Si l’idée de handicap socio-culturel a pu apparaître comme une avancée par rapport aux dons, elle perpétue en fait une vision déficiente des élèves, remplaçant «  le fatalisme de l’hérédité par la fatalité de l’héritage   »7. Cette psychologie sommaire du conditionnement culturel est toujours vivace, facteur de renoncement. Or, si l’enfant est initialement « encastré dans

4 GFEN (coll.), L’échec scolaire. « Doué ou non doué » ? Edi-tions sociales, 1974.

5 GFEN (coll.), Quelles pratiques pour une autre école ? Caster-man E3, 1982.

6 Chapitre Ier, Section 1 « Les principes de l’éducation », article 2 de la Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de pro-grammation pour la refondation de l’école de la République (JO N°0157 du 9 juillet 2013)

7 Michel BROSSARD, « Diversité culturelle, inégalités de déve-loppement », in L’échec scolaire... Op. cit., 1974, p. 239.

sa vie familiale » (H. Wallon) et ne manque pas d’être influencé par les conditions de sa prime socialisation, il n’est cependant pas assujetti à son milieu d’origine car il se trouve au carrefour de plusieurs milieux, l’amenant à des comparaisons et à des choix, propices à son émancipation. • Le rôle du milieu, de ses stimulations (contre l’idée d’«auto-développement»). L’environnement naturel est source de découvertes, d’observation et de questionnement (étude du milieu, classe découverte, enquêtes-action, pédagogie du projet). L’environnement social, en permettant d’exercer divers rôles et responsabilités (classe coopérative, parlement d’élèves), contribue à former la personnalité et, par la confrontation aux exigences inhérentes à la vie en commun, élargit et approfondit la socialisation, exerce à la citoyenneté. • L’importance de l’activité, de l’expérience (contre le formalisme abstrait). Les références pourraient se multiplier sur ce point. Nous ne citerons que quelques auteurs :

*    O.  Decroly : «  Pour ce qui concerne les méthodes d’acquisition des connaissances et des techniques, il faut accorder le plus d’importance à celles qui permettent la redécouverte, l’expérience personnelle, l’activité, la réalisation individuelle ou collective, en un mot, la solution complète de problèmes réels »8. * J. Piaget : « (…) une vérité n’est réellement assimilée en tant que vérité dans la mesure seulement où elle a été reconstruite ou redécouverte au moyen d’une activité suffisante (…) Les connaissances dérivent de l’action (…) Connaître un objet, c’est agir sur lui et le transformer (…)»9. * H. Wallon : « (…) s’accommoder, s’adapter au réel, l’utiliser et, à cet effet, le connaître. L’intelligence, instrument de connaissance, sort de l’action et y retourne »10.

La pédagogie active se décline de diverses façons. Pour John Dewey, on apprend en faisant (« Learning by doing »), Decroly promeut les classes-ateliers, Freinet parle de tâtonnement expérimental, de pédagogie du travail. Terme pivot, l’activité est un terme suffisamment usuel pour ouvrir à différentes interprétations et mises en œuvre, tant du côté des enseignants que des élèves, avec des effets inégalement propices à l’apprentissage… Arrêtons-nous un instant sur cette notion, ses ambiguïtés mais aussi ses ressorts.

8 Ovide DECROLY, Manuscrit, oct. 1929 (Cf. Le Docteur Decroly et l’éducation, Centre d’Etudes decrolyennes, Ecole Decroly Ermitage, Bruxelles, mars 1999, p. 20).

9 Jean PIAGET, Psychologie et pédagogie, Denoël / Gonthier, 1969 (respectivement, p. 45 et 48).

10 Henri WALLON, De l’acte à la pensée. Essai de psychologie comparée, Flammarion, 1970, p. 9.

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22 - LES GRANDES CONFÉRENCES 23 - LES GRANDES CONFÉRENCES

DE QUELLE ACTIVITÉ S’AGIT-IL ?

L’élève est-il actif ?

Il n’est pas si simple de le savoir, dès lors qu’on se réfère à l’activité d’apprentissage. En classe, on ne peut réduire l’activité à ses manifestations externes. Tel élève peut beaucoup participer mais cependant peu apprendre quand tel autre, bien qu’extérieurement immobile et silencieux, est intérieurement actif. Piaget avait mis en garde contre cette confusion « (…) qui conduit à penser que toute « activité » du sujet ou de l’enfant se réduit à des actions concrètes, ce qui est vrai aux stades élémentaires mais ne l’est plus du tout aux niveaux supérieurs, où un élève peut être entièrement « actif » au sens d’une redécouverte personnelle des vérités à conquérir, tout en faisant porter cette activité sur une réflexion intérieure et abstraite »11. Quelle conception de la pédagogie active ?

A quelle activité se réfère-t-on lorsqu’on parle de pédagogies actives ? Comme cela a pu prévaloir notamment dans les classes spécialisées, dans une volonté de rompre avec un enseignement trop formel et abstrait, sans accroche motivante ni substrat pratique, le « faire » s’est substitué au dire/écouter, avec parfois une vision restreinte de l’activité. Interprétation de la notion de « pédagogie active » comme étant une « pédagogie concrète », au risque de minorer le processus de formalisation inhérent aux apprentissages conceptuels. Apprendre, est-ce réductible au « faire » ?

Si on ne saurait se priver de pratiques qui engagent l’élève dans la tâche et l’amènent par les résistances que le réel oppose à ses tentatives, à imaginer d’autres voies de résolution et à dépasser les obstacles, « la connaissance ne saurait découler de la seule expérience. (…) nous disent les psychologues, elle « nécessite la médiation de l’activité mentale », de s’extraire de ce qui a été réalisé pour le penser, nous y reviendrons12. Or, réduire l’activité d’apprentissage au « faire », c’est l’endroit même d’un malentendu pour nombre d’élèves, notamment pour ceux qui échouent à l’école…

11 Jean PIAGET, Psychologie et pédagogie, Denoël/Gonthier, 1969, pp. 106-107.

12 Elisabeth BAUTIER, Jean-Yves ROCHEX, Henri Wallon. L’enfant et ses milieux, Hachette, 1999.

LOGIQUE DES ÉLÈVES / LOGIQUES D’ENSEIGNEMENT Pour les élèves, quelle activité importe ? Depuis les années 90, grâce aux recherches de l’équipe ESCOL (Université Paris 8) sur le rapport au savoir, on en connaît mieux les médiations fines par lesquelles, au quotidien, se perpétuent les difficultés scolaires13. Ces travaux explorent le sens que les élèves accordent à leur présence à l’école, la valeur accordée aux contenus et leur façon d’appréhender l’apprentissage. Quels traits saillants peut-on relever à ce propos ? Les élèves en difficulté sont plus fréquemment issus de milieux populaires. L’expérience sociale de leurs parents les amène à avoir un rapport instrumental à l’école, perçue comme sésame pour l’emploi, «  s’en sortir  » et « avoir un bon métier  ». Dans cette logique, non seulement les élèves n’investissent que ce qui leur apparaît utile (pour avoir une bonne note, réussir à l’examen, passer dans la classe supérieure ou pour le métier) - faute de quoi ce qu’on apprend à l’école n’a guère de sens - mais savoir et apprendre, c’est d’abord et essentiellement agir et réaliser, là encore en phase avec l’expérience sociale de leurs proches.

13 B. CHARLOT, E. BAUTIER, J.-Y. ROCHEX (1992), École et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Armand Colin, 1992

Suivant les conseils de l’entourage, en matière d’apprentissage, leur posture va de l’attente et l’écoute passive (il faut «  écouter le maître ou la maîtresse  ») à l’action sans repère ni recul : il s’agit selon leurs propres termes de « travailler » - « bien et beaucoup travailler  » - mais souvent sans réelle prise en compte de la finalité, comme si l’important était de «  faire ce que l’enseignant nous demande  », le plus vite possible. Apprendre, c’est mémoriser (« par cœur, surtout si on a un contrôle le lendemain  »), mais de façon plus mécanique que réfléchie, au risque d’une grande fragilité des « acquisitions ». Les activités sont vécues comme se succédant sans lien, sans rapport clair avec un contenu ou un domaine d’activité spécifique, condamnant les élèves à une dépendance excessive à l’enseignant, duquel ils attendent tout. Les élèves en réussite n’oublient pas que l’école permet d’obtenir des certifications permettant de choisir son métier, mais ils y trouvent ici et maintenant d’autres bénéfices culturels ou symboliques : acquérir de nouveaux pouvoirs, gagner en autonomie, développer sa pensée et « devenir grand » disent les plus jeunes. Au-delà des contenus à valeur explicative, savoir est important car cela permet de réfléchir, d’exercer son intelligence, de comprendre le monde dans lequel on vit, dans un échange avec les autres. Le savoir étant considéré comme le résultat d’une activité faite de recherches, de tâtonnements, d’erreurs rectifiées, l’apprentissage est conçu comme

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24 - LES GRANDES CONFÉRENCES 25 - LES GRANDES CONFÉRENCES

processus nécessitant l’engagement de l’apprenant, dans la durée. Nécessitant d’essayer et de persévérer (GS : «  essayer de faire, même si c’est difficile… jusqu’à ce qu’on y arrive »), apprendre consiste surtout à comprendre. Pour cela, les élèves disent «  écouter en classe  », «  sélectionner l’essentiel  », «  rechercher le plan de la leçon », « faire des fiches récapitulatives » … Toutes techniques permettant un autre ancrage des notions, plus opératoire et durable. Autrement dit, s’il y a conscience d’un « faire », il est nettement situé moins du côté de l’opérativité pratique que de l’activité intellectuelle, de la réflexion, d’une élaboration sémantique visant la compréhension.

Si ces élèves sont en mesure de prendre de la distance avec les situations pour les situer et en identifier l’enjeu, ce n’est pas le cas pour les élèves scolairement fragiles, englués dans l’action, captifs de l’ici-et-maintenant de la situation et des tâches sans pouvoir s’en distancier ni y avoir réellement prise, élèves qui pensent en être quitte avec les apprentissages en réalisant – souvent au plus vite – ce qu’ils croient qu’on leur demande.

Souvent inattentifs aux consignes, ils foncent sans avoir de repères régulateurs… et réduisent fréquemment l’activité à la réalisation de la tâche demandée, sans égard pour la correction qui, par le retour réflexif, dévoile les pans cachés de l’attendu scolaire et permet à chacun de faire le point sur son niveau de maîtrise. Les pédagogies actives seraient-elles élitaires ?

C’est l’interpellation que Philippe Perrenoud adresse en 1985 aux pédagogies nouvelles, pointant les contradictions de l’école active, pouvant être élitiste car relevant d’une idéologie plus proche des classes moyennes que des classes populaires, avec une organisation plus difficile à décoder que les règles traditionnelles14. Il s’inscrit en filiation de Basil Bernstein qui, en 1975, dénonce la « pédagogie invisible »15, qui met l’accent plus sur l’épanouissement de l’enfant que sur l’apprentissage réglé de contenus précis, qui fait la promotion de tâches globales que l’enfant est censé réaliser de façon autonome et qui présuppose que l’apprentissage découle de l’effectuation de tâches ou de réalisation de projets, minorant les techniques intellectuelles spécifiques pour développer des savoirs. Ces thèses font résonance avec les recherches plus récentes du réseau RESEIDA, qui parlent de coconstruction des inégalités scolaires à travers deux processus éducatifs : - d’une part, quand l’école surestime les différences, dans une vision appauvrie des

14 Philippe PERRENOUD. Les pédagogies nouvelles sont-elles élitaires ? Réflexions sur les contradictions de l’école active. Uni-versité de Genève, 1985 (repris dans La pédagogie à l’école des différences. Paris : ESF, 1995, chapitre 3, pp. 105-118).

15 Basil BERNSTEIN, Classe et pédagogies : visibles et invisibles, Paris, CERI-OCDE, 1975.

capacités des élèves et propose moins à ceux qu’elle pense savoir ou pouvoir moins (processus de différenciation active consistant à simplifier ou segmenter les tâches, à aider et guider excessivement certains élèves) ; - d’autre part, à l’inverse, quand elle néglige les différences, fonctionnant alors comme si tous partageaient les codes et attendus scolaires permettant de s’y situer et d’y agir de façon pertinente, ce qui est source de malentendus sociocognitifs (processus de différenciation passive)16. Fonctionnement pédagogique alors dans l’illusion de transparence :

•   des situations (au risque de l’interprétation de leur enjeu, d’une méprise quant au but de l’activité) ;•   du processus d’apprentissage (laissant penser que «  faire  » suffit à répondre aux attendus scolaires) ;•   des contenus (quand on néglige la phase d’institutionnalisation, tirant leçon de l’expérience). Les pédagogies actives sont-elles toujours attentives à éclaircir ces points clés ?...

Réussir ne suffit pas à comprendre Différents degrés de maîtrise Savoir dire n’est pas savoir. Nous connaissons les graves insuffisances des connaissances formelles, trop superficielles pour être mobilisables dans des situations qui l’exigeraient : savoir

16 Jean-Yves ROCHEX & Jacques CRINON. (dir.), La construc-tion des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement. Rennes, PUR, 2011.

réciter telle règle ou tel principe n’est pas garant de pouvoir les activer à bon escient. Exemples : on peut savoir réciter le principe d’Archimède… et mettre une demi-heure à faire flotter une boule de pâte à modeler ! On peut connaître par cœur le théorème de Thalès… et peiner à le convoquer pour mesurer un bâtiment. On peut savoir que l’eau bout à 100°... et penser que c’est la température d’évaporation de l’eau !. Savoir-faire ne suffit pas plus à savoir. Chacun sait parler, mais ne maîtrise pas également la grammaire ; chacun sait faire du vélo, mais ne maîtrise pas toujours le principe incorporé. Or, maîtriser la grammaire élargit les possibilités d’usage du langage (ouvre sur des jeux de langage plus subtils, tels la variation de style, la fonction poétique et des pouvoirs d’écriture accrus), et le principe de démultiplication non seulement permet de savoir pourquoi et comment je peux jouer du dérailleur et des plateaux, mais ouvre à la compréhension de la boîte de vitesse et de bien d’autres objets incorporant le même principe. C’est tout l’enjeu de passer de la maîtrise pratique à la maîtrise symbolique : s’extraire de l’ici-et-maintenant, des contingences présentes pour en extraire des invariants, des règles, des principes, des lois, des techniques et procédures opératoires pouvant valoir dans d’autres temps, situations et contextes. On mesure le saut entre la pratique du comptage et l’accès au principe de numération positionnelle décimale (qui me permet

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26 - LES GRANDES CONFÉRENCES 27 - LES GRANDES CONFÉRENCES

l’accès aux grands nombres et aux opérations sur ceux-ci), entre l’espace vécu et l’espace représenté (qui permet de se projeter, de prévoir un trajet dans un espace inconnu et de voyager là où peut-être je n’irai jamais). «  Partir  » du vécu. L’expression est à entendre dans ses deux sens, à la fois de prendre appui sur et s’en émanciper. Les psychologues insistent sur le changement de plan qu’exige l’accès au savoir. Pour Wallon : «  le réel, pour être objet de connaissance, ne se donne pas directement à voir, il doit être représenté, construit, interprété, faire l’objet d’une élaboration  » et le langage occupe une place centrale dans ce processus17. Passage du réussir au comprendre trop souvent éludé (ou pris en main de manière unilatérale par l’enseignant), pour dégager le noyau dur de la leçon et en faire un objet de savoir générique que les élèves pourront transférer dans une situation de même nature. Temps essentiel de la prise de conscience. Pour Piaget, « Prendre conscience d’une opération, c’est la faire passer du plan de l’action sur celui du langage, c’est donc la réinventer en imagination pour pouvoir l’exprimer en mots (loi du ‘décalage’ ou du ‘déplacement’) »18. Même insistance de la part de Vygotski pour qui « la formulation d’un problème et l’apparition d’un besoin de concept (…)

17 Elisabeth BAUTIER, Jean-Yves ROCHEX, Henri Wallon. … op. cit., 1999.

18 Jean PIAGET, La Prise de conscience, PUF, 1974.

peuvent déclencher le processus de résolution du problème mais non garantir qu’il sera mené à bien  ». C’est le langage qui permet de dégager les traits saillants, de les abstraire, d’en faire une synthèse. «  La prise de conscience, conçue comme généralisation, conduit directement à la maîtrise »19. Temps d’institutionnalisation qui est la pièce faible de l’enseignement, là où pourtant se joue l’essentiel. Ainsi, je peux ne pas réussir la tâche et pourtant ne pas avoir perdu mon temps, dès lors que j’ai compris pourquoi aujourd’hui j’ai failli et ce qu’il conviendrait, dans une situation analogue, de mettre en œuvre pour réussir. Distinguer l’effectuation du travail demandé et la compréhension de ce qu’il convient d’en retenir : c’est ce que les élèves les plus éloignés de l’école doivent parvenir à comprendre pour profiter pleinement de la dynamique éducative. Sachant que le sentiment de maîtrise est le meilleur moyen d’alimenter le désir d’apprendre, l’envie de progresser et de se dépasser, quel que soit l’âge. Après ces détours en pointant les ambiguïtés, vient le temps d’en valoriser la centralité dans l’expérience humaine : l’activité est ce par quoi chaque humain accède au patrimoine culturel, aux significations sociales métabolisées par le travail des générations passées et qu’il lui faut reconquérir pour sortir de l’assujettissement, s’émanciper et pouvoir parler en son nom propre.

19 Lev S. VYGOTSKI, Pensée et Langage, Editions sociales, 1934 (trad. fr. 1985).

L’ACTIVITÉ, ESPACE DE TRANSFORMATION Significations sociales / sens personnel

Le développement socio-historique de l’espèce fait que le monde ne se réduit pas à ses aspects physiques, il est aussi milieu créé, transformé par l’activité humaine, constitué d’objets (idéels et matériels) créés par les générations précédentes. La spécificité de l’espèce humaine se situe à l’endroit de ce patrimoine humain dont l’acquisition n’est pas innée, mais médiatisée par les adultes qui entourent l’enfant. L’acquisition des propriétés spécifiques de ces objets doit ainsi passer par un apprentissage qui en permette la réélaboration. Pour Léontiev, « Même les instruments ou outils les plus élémentaires doivent être découverts activement dans leur qualité spécifique par l’enfant qui les rencontre pour la première fois. Autrement dit, l’enfant doit effectuer à leur égard une activité pratique ou cognitive qui réponde de façon adéquate (ce qui ne veut pas dire forcément identique) à l’activité humaine qu’ils incarnent »20.

Le débat entre le sujet et son milieu se noue donc au cœur des activités d’appropriation des significations et outils accumulés par l’espèce. Ces significations sociales sont les produits de processus de formalisation, cristallisations de l’activité humaine nécessairement

20 Alexis LEONTIEV, Le développement du psychisme, traduc-tion française Editions sociales, 1976, p. 157.

confrontée à des exigences, des critères et des normes à vocation universelle, normes émancipées des personnes et des situations singulières comme des conditions contingentes à leur élaboration. En effet, si ces outils ont fini par s’imposer, c’est qu’ils sont les meilleures réponses trouvées à ce jour aux problèmes posés aux humains. Dans le même temps, ces significations sociales mènent une double vie, actualisées « dans et par la famille, inscrite dans des rapports sociaux et des configurations historiques concrètes (...)  »21 qui en modifient la dimension, la portée ou le caractère, tout autant qu’elles portent l’empreinte subjective du sujet qui y est engagé. «  D’un côté l’objectivité des significations sociales et la pertinence des activités d’appropriation eu égard à ces significations ; de l’autre le sens personnel et les mobiles subjectifs qui s’incarnent et se réalisent en elles : c’est de cette contradiction interne, de cette discordance créatrice entre les deux faces de l’activité du sujet que de l’histoire peut advenir pour celui-ci (...) »22. Le sens personnel n’est pas immuable, il est convoqué et mis à l’épreuve dans les activités. La structure de l’activité

L’activité, n’est jamais réduite à un geste, à l’action qui en est une composante. Essayons de les distinguer. L’action est un processus soumis à la représentation

21 Jean-Yves ROCHEX, Entre activité et subjectivité : le sens de l’expérience scolaire, PUF, 1995, p. 56.

22 Ibidem, p. 66.

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du résultat qui doit être atteint, à un but conscient, et nécessite la mise en œuvre d’opérations (moyens et procédés opératoires pour atteindre ce but). Mais il n’y a pas d’activité sans motif d’agir, sans mobile qui la soutient (ce qui pousse à agir). Si le but a une fonction d’orientation de l’activité et les opérations une fonction de réalisation, le mobile remplit quant à lui la fonction d’incitation. L’activité, processus caractérisé par des transformations constantes, ne peut être comprise comme simple addition ou juxtaposition des “unités” qui en forment la macrostructure, mais plutôt comme lieu de mise en rapport de ces dernières, qui évoluent grâce à plusieurs niveaux de régulation. Le premier niveau de régulation est celui de l’efficacité, définie par le rapport entre le résultat et le but, ce qui permet la régulation non seulement après, mais aussi en cours d’activité. Un deuxième niveau juge du rapport entre les moyens utilisés et le but visé, donc évalue l’efficience, c’est-à-dire le degré d’optimisation (l’économie) des efforts déployés au regard du but à atteindre. Le troisième niveau est celui du sens, qui met en rapport le mobile et le but, rapport entre « ce qui (l’)incite à agir et ce vers quoi (son)l’ action est orientée comme résultat immédiat (…)  »23. Or, «  l’exécution réussie de la tâche ne dépend pas seulement du contenu objectif de cette dernière, mais avant tout du motif qui incite l’enfant à agir ;

23 Alexis LEONTIEV, Le développement du psychisme, op. cit., p. 89.

autrement dit, du sens que revêt pour lui son activité  » (p. 320). Ainsi la leçon d’histoire : on peut l’apprendre pour avoir une bonne note ou pouvoir aller ensuite au cinéma, mais aussi parce qu’on est passionné par l’histoire et envisager de l’enseigner. Le résultat différera au niveau de l’assimilation mais aussi quant à la place prise dans la vie de l’enfant. Une activité ouverte aux métamorphoses…

Le sens est donc l’endroit d’une mise en rapport entre le versant objectif de l’activité (appréciable du point de vue de son efficacité et de son efficience) et son versant subjectif : les mobiles du sujet.

Or, non seulement « le besoin ne connaît pas son objet tant qu’il n’a pas été satisfait pour la première fois », mais l’activité est caractérisée par des transformations constantes : «  L’activité peut perdre le motif qui l’a fait naître et se transformer alors en une action réalisant peut-être un tout autre rapport au monde (…) ; à l’inverse, l’action peut acquérir une force motivante autonome (...)  ». Bien des modifications peuvent se produire, que ce soit pour réguler l’activité ou à son terme, avec des effets en retour. Ainsi, toute réussite, tout résultat qui excède le but initialement escompté peut potentiellement remodeler les mobiles initiaux : « Plus l’activité se développe, plus sa prémisse - le besoin - se transforme en résultat de l’activité »24.

24 Alexis LEONTIEV, Activité, conscience, personnalité, Moscou, Ed. du Progrès, 1975 (trad. Franç. 1984), p.121 / 212.

Imaginons celui qui apprend pour faire plaisir à ses parents ou avoir une bonne note. Le contenu de la leçon peut prendre valeur au regard des questions qu’il se pose, ce qui va modifier son investissement. Quant à celui qui se pensait “nul en maths” et aujourd’hui réussit, il est amené à reconsidérer son rapport au contenu et à cette discipline mais peut aussi, à cette occasion, modifier l’estime de lui-même et reconsidérer son engagement. Ainsi, « (L’) identité n’est pas seulement exprimée dans le rapport au savoir, elle y est aussi en jeu : être confronté à un apprentissage, à un savoir (…), c’est y engager son identité et la mettre à l’épreuve »25. L’activité est donc l’espace clé pour transformer le rapport au monde, aux autres… et à soi-même.

CONCLUSION

La pédagogie active a de beaux jours devant elle pour peu qu’elle fasse la preuve de sa pertinence. Elle a toujours eu soin de développer la curiosité et de promouvoir l’activité autonome des élèves, d’exercer l’imagination et la pensée critique, d’ouvrir à l’altérité, au débat avec les autres, contribuant à la liberté de pensée tout en initiant à une citoyenneté active. On ne saurait y renoncer.

Mais l’émancipation passe aussi – et d’abord - par une maîtrise des contenus : qui vit l’échec dans les apprentissages hypothèque son devenir social mais dégrade également l’estime de lui-même quand cela ne développe pas du ressentiment à l’égard de l’institution qui a symboliquement disqualifié et parfois humilié. Autrement dit, il s’agit de parler aux élèves les plus éloignés de l’école, de contribuer à la démocratisation de l’accès au savoir et à la culture.

Rebondir sur l’intérêt « spontané » des élèves, solliciter leur autonomie, c’est convoquer de fait ce que leur socialisation initiale a développé de façon très variable selon les univers sociaux, alors qu’il revient à l’éducation d’ouvrir à des univers, activités et intérêts insoupçonnés. Proclamer la liberté sans précaution ne sert que ceux qui savent quoi en faire et peut conduire à la tyrannie, quand il s’agit de permettre aux élèves de la conquérir, par des pouvoirs accrus de compréhension de l’ordre du monde et une conscience de soi affranchie des pesanteurs du passé, des déterminismes incorporés. Invitation à prendre à bras-le-corps la question des apprentissages et des modalités concrètes infimes de leur appropriation, comme y invitait Bernard Lahire en conclusion de Culture écrite et inégalités scolaires : «  c’est (…) en insistant plus sur les technologies du travail intellectuel (…) que sur les résultats codifiés de savoirs, plus sur les modalités concrètes infimes de l’appropriation des savoirs que sur

25 B. CHARLOT, E. BAUTIER, J.-Y. ROCHEX, Ecole et savoir dans les banlieues…et ailleurs, Armand Colin, 1992, p. 30.

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l’apprentissage mécanique de ces savoirs que l’école peut (dans les limite de son possible) réduire les inégalités face à l’école  »26. L’éducation nouvelle doit renverser son image dans l’opinion publique, se poser – contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs – comme l’école de l’exigence tant sur le plan des apprentissages conceptuels que sociaux. Le mouvement est amorcé, en réponse aux enjeux de notre époque : l’éducation nouvelle redevient une idée neuve…

26 Bernard LAHIRE, Culture écrite et inégalités scolaires. So-ciologie de « l’échec scolaire » à l’école primaire, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p. 295.

LES PÉDAGOGIES NOUVELLES,TOUTE UNE HISTOIRE !

Catherine ChabrunProfesseur des écoles honoraire

Association ICEM – Pédagogie Freinet

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32 - LES GRANDES CONFÉRENCES 33 - LES GRANDES CONFÉRENCES

En France, les pédagogies nouvelles émergent au fur et à mesure qu’une certaine forme scolaire se met en place, celle où l’on commence à regrouper les enfants par niveaux, où l’on segmente les savoirs avec des progressions délimitées par année avec des évaluations régulières…

En 1667 sous Colbert, il s’agit de nettoyer et de normaliser les villes françaises, chasser les vagabonds, les bandes qui échappent au contrôle social (parmi eux beaucoup d’enfants …).

Pour certains (magistrats, médecins, prêtres …), il s’agit de compassion, de protection pour ces enfants seuls mais pour beaucoup d’autres c’est plutôt la protection de la société, la sécurité qui sont visées.

Jean-Baptiste Salle dans les années 1700 invente l’idée de «  classe  » avec «  la méthode simultanée  » qui permet d’enseigner la même chose en même temps à de nombreux élèves, elle se substitue aux méthodes individuelles et mutuelles. On apprend à lire en français et non en latin. Ces nouveautés ont bouleversé la pédagogie en France.

Ce qui fait déjà dire au XVIIIe siècle à Pestalozzi «  Comment enseigner à des enfants, à des élèves qui ne veulent pas de nous ? ».

Après les lois Jules Ferry sur l’école primaire qui rendent l’école gratuite en 1881, l’instruction obligatoire et

l’enseignement public laïc en 1882, cette forme scolaire est maintenue et renforcée. L’État est aux commandes, il la modélise avec trois séparations : séparations filles-garçons, enseignement général et professionnel, secteur laïque et libre.

Ces lois scolaires répondent à des aspirations qui n’ont cessé de grandir au cours du XIXe siècle, mais leur application rencontre l’opposition de nombreux patrons et parfois des familles : la main d’œuvre enfantine permet le profit des uns et la survie des autres. L’école laïque est l’arme du régime républicain contre ses adversaires, mais elle est aussi perçue dans le prolétariat comme un moyen d’empêcher le développement des idées révolutionnaires, en inculquant aux enfants les valeurs de la classe bourgeoise dominante.

C’est une École tout à la fois en rupture et en accord avec les familles (interdiction des patois mais respect de la «  bonne vieille morale des pères »).

En deux siècles, l’école telle que nous la connaissons est construite : enfermement de l’enfance (dans des espaces qui relèvent plus de la caserne : classes étroites, lieux de déplacement contraints, grande cour de récréation, surveillance des élèves mais aussi des enseignants), les apprentissages s’appuient sur des textes considérés comme sacrés, appris par cœur ; les méthodes sont intangibles ; l’autorité du maître comme celle du manuel ne sauraient être discutées ; l’espace et le

temps scolaire sont réglementés par une discipline rigoureuse. Les pédagogues de l’Éducation nouvelle dénonceront vigoureusement ce dogmatisme, mais par quoi remplacer les méthodes officielles ? En 1926, dans son ouvrage L’imprimerie à l’école, Freinet indiquera qu’il a « jeté par-dessus bord tous les manuels de sa classe ».

En parcourant leur histoire, beaucoup d’entre eux (philosophes, psychologues, sociologues, médecins, inspecteurs et instituteurs) ont expérimenté, inventé, pratiqué dans des établissements particuliers : orphelinats, internats ou écoles. Et le plus souvent en dehors des dispositifs institutionnels. Certaines de ces expériences dépassaient le seul temps scolaire, avec des pratiques extra et périscolaires.

UNE ÉDUCATION PORTEUSE DE PAIX

Au lendemain de la première guerre mondiale, dans une Europe traumatisée, les pédagogues pensent qu’un monde sans violence est possible. En France, en Autriche, au Royaume-Uni, en Pologne, en URSS, en Italie… des personnalités comme Maria Montessori, Célestin Freinet, Ovide Decroly ou Alexander Neill vont profondément changer la pensée de l’éducation, en plaçant l’enfant au cœur de l’enseignement. À contre-courant des sociétés blessées et sclérosées qui sont les leurs, ils tentent, par tous les moyens, d’inventer une autre école, humaniste et progressiste. Ils pensent qu’un monde sans violence est possible.

On retrouve chez tous ce postulat irréductible : l’engagement de l’élève comme sujet. Mais également qu’instituer l’élève n’abolit pas l’enfant, que l’enfant est un sujet qui ne peut être absent de l’école pour qu’elle fonctionne mieux !

En 1921, le pédagogue Suisse Adolphe Ferrière réunit ces pédagogues au sein d’un mouvement : la Ligue Internationale de l’Éducation Nouvelle, créée sur le modèle de la Société des Nations.

L’éducation nouvelle peut prendre son essor !

Vingt ans après les espérances du retour de la paix après la Première Guerre mondiale, la montée des totalitarismes vient faire échouer les alliances et sceller les destins individuels : le rêve s’écroule, à l’orée d’une nouvelle guerre.

Puis le retour à la paix est marqué par les avancées et les espoirs de sécurité sociale pour tous les travailleurs que porte le programme du Conseil national de la Résistance.

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34 - LES GRANDES CONFÉRENCES

À la Libération, le gouvernement provisoire décide de rétablir la gratuité de l’enseignement secondaire et institue une commission de réflexion sur l’éducation. Le rapport Langevin-Wallon qui en est issu propose de nombreuses mesures de modernisation de l’enseignement, pour faire face à la massification de l’enseignement qui se profile. Il propose de démocratiser l’enseignement en allongeant la scolarité à 18 ans, en généralisant les expériences des mouvements de l’Éducation nouvelle et en élaborant une école unique. Ce projet sera abandonné faute de moyens et en raison de divergences politiques, mais il sera source d’inspiration pour de nombreuses réformes scolaires par la suite.

DEPUIS 1882, UNE FORME SCOLAIRE GUÈRE CHANGÉE

En effet, jusqu’en 1960, les écoles primaires sont entourées de hauts murs, avec sur leur fronton la devise « liberté, égalité, fraternité », une cour agrémentée de platanes, filles et garçons sont séparés, les salles sont équipées de pupitres, de tableaux noirs et de cartes murales. Un cahier unique et une ardoise, une plume métallique, des blouses pour tous aux couleurs sombres… Le passage du Certificat d’études en fin de primaire (à 11 ou 13 ans). L’année commence le 1er octobre et se termine le 14 juillet (vendanges et récoltes). La journée scolaire dure six heures (trois heures le matin et trois heures l’après-midi) avec depuis 1866 des récréations. La semaine est de cinq jours avec le jeudi réservé au catéchisme… puis le jeudi est devenu le mercredi. Le samedi de classe a disparu peu à peu. Aujourd’hui, la semaine scolaire est de quatre jours avec des journées de classe de six heures.

L’ÉDUCATION NOUVELLE, UN COMBAT D’ACTUALITÉ

Ce combat pour le progrès humain a été porté intimement par des hommes et des femmes hors du commun, ces fameux « pédagogues ». Il aura contribué à façonner de manière décisive les théories et les pratiques éducatives que l’on connaît aujourd’hui. Parce que l’Éducation reste au cœur de tout projet social et politique, leur histoire résonne plus que jamais aujourd’hui, entre les murs de nos écoles.

POUR UNE PÉDAGOGIE DE L’ACCOMPA-GNEMENT INTER-CULTUREL

Loïc ChalmelLISEC EA 2310 Alsace-LorraineNovaTris – Centre de compétences transfronta-lières Université de Haute-Alsace, Mulhouse Cedex, France www.novatris.uha.fr, [email protected]

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PROLOGUE

NovaTris (Centre de compétences transfrontalières de l’Université ́de Haute-Alsace), développe des dispositifs pédagogiques ayant pour objectif d’accompagner l’apprenant dans la construction des compétences nécessaires à agir efficacement en contexte transfrontalier, international et multiculturel.

Les compétences interculturelles sont, a fortiori, transversales et permettent d’optimiser la capacité ́d’action de chacun en contexte hétérogène.

La pédagogie interculturelle universitaire expérimentée par NovaTris depuis 2012 repose, entre autres, sur la reconnaissance de savoirs expérientiels et de l’accompagnement comme posture permettant l’émergence de tels savoirs. L’apprentissage expérientiel est ainsi conçu comme un «  [...] processus par lequel des connaissances sont créées à partir d’une transformation de l’expérience. Ces connaissances nouvelles résultent de la saisie (préhension) de l’expérience et de sa transformation » (Kolb, 1984).

L’équipe du Centre de compétences transfrontalières a progressivement mis en place une « boîte à outils » méthodologique ainsi qu’un référentiel de compétences pour l’acquisition de savoirs de nature interculturelle. Le présent article vise à en préciser les fondements théoriques.

CULTURE VERSUS BILDUNG

La construction de compétences interculturelles est un processus qui se développe tout au long de la vie et au fur et à mesure d’expériences réfléchies et formalisées. L’accumulation de savoirs cognitifs sur l’Autre ne permet pas, seule, le développement d’une capacité ́d’action, et comporte un risque de réification de la « culture » de l’Autre.

La culture d’un peuple, par opposition à la nature, représente l’ensemble des habitus qui soudent un groupe d’individus. Parmi les quelques 150 définitions reconnues au niveau international, retenons celle de Hofstede (2010) : Programmation mentale collective propre à un groupe d’individus. Dans l’espace transfrontalier du Rhin supérieur apparaît à cet égard une première difficulté sémantique : l’existence en allemand des deux substantifs Kultur et Bildung.

Outre Rhin, le mot Kultur représente le patrimoine social, artistique, éthique, appartenant à un ensemble d’individus disposant d’une identité particulière. La culture d’un peuple, l’identité culturelle de ce peuple, la culture collective à laquelle

on appartient. Cette culture collective constitue par ailleurs un processus de fixation d’identités peu évolutif, définissant un repère de valeurs propre à l’insertion dans la collectivité, figé dans le passé, assuré par le rappel à l’Histoire.

Le substantif Bildung désigne plus particulièrement le patrimoine culturel immatériel individuel (culture générale, ensemble des connaissances d’un individu) ou plus communément un processus de construction personnelle de ses connaissances donnant la culture générale. Cette culture individuelle résulte d’un processus d’élaboration, de construction (Bildung) évolutif et individuel (histoire).

La démarche interculturelle ne peut être confondue avec une approche culturelle (Kultur) voire multiculturelle ; elle met au contraire l’accent sur les processus et les interactions qui unissent et définissent les individus et les groupes les uns par rapport aux autres. Il ne s’agit pas de se focaliser sur les caractéristiques intrinsèques ou extrinsèques des autres, mais d’opérer, simultanément un retour sur soi. En effet, toute focalisation excessive sur les spécificités d’autrui conduit à l’exotisme ainsi qu’aux impasses de culturalisme, par survalorisation des différences culturelles et par accentuation, consciente ou non, des stéréotypes voir des préjugés. L’interrogatoire identitaire de soi par rapport à autrui fait partie intégrante de la démarche interculturelle. Le travail d’analyse et de construction des connaissances porte autant sur autrui

que sur soi-même (Abdallah-Pretceille, 2003).

EXPÉRIENCE ET SAVOIR

Le topos de la pédagogie de l’accompagnement interculturel expérimentée par NovaTris, utilise ainsi les ressources offertes par l’espace géographique tri-national dans lequel s’inscrit l’Université ́ de Haute-Alsace (France, Allemagne, Suisse alémanique), et s’adresse à des individus évoluant quotidiennement dans cet environnement interculturel.

Une telle pédagogie s’appuie sur l’observation réfléchie qui permet de mettre en perspective les savoirs et savoir-faire acquis lors des expériences interculturelles de l’apprenant. En les formalisant (détour théorique), il construit des savoirs expérientiels garants d’une action optimisée en contexte interculturel.

De cette façon, l’accompagnement interculturel ne consiste pas en un transfert de compétences, mais tend avant tout un miroir à l’apprenant lui permettant de se réfléchir, de réfléchir son expérience et d’élaborer des règles de conduite personnalisées, adaptées à son contexte.

Selon David Kolb (1984), le processus d’apprentissage des savoirs d’expérience articule quatre phases :

1. Une phase d’expérience concrète, au cours de laquelle l’apprenant est

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directement mis en situation ;2. Une phase de réflexion (miroir) permettant de « faire sens » par rapport au vécu ;3. Une phase de conceptualisation pour l’élaboration de règles de conduite ;4. Une phase de vérification par l’action, par l’expérience, de la validité des règles élaborées.

La première phase, dite d’expérience concrète, représente une étape essentielle du processus d’acculturation, selon la métaphore de «  l’interface  » (micro changement par les phénomènes de contact), bien connu dans d’autres référentiels :

Lorsque des fluides, par exemple une solution et de l’air, sont en contact, ils sont généralement séparés par une couche superficielle dont les propriétés sont différentes de celles des phases qu’elle sépare. Les proportions de divers constituants dans la couche sont généralement différentes de celles qui existent dans chacune des phases en présence (Briant, 1989).

Ce n’est bien sûr qu’une métaphore, mais les phénomènes résultant d’un contact continu et direct entre des fluides qu’elle suggère, nous paraissent illustrer convenablement les micro changements à l’interface entre des groupes d’individus de cultures différentes mis en contact direct et continu. Les apprentissages expérientiels trouvent ainsi leur origine dans les micro

changements qui surviennent au sein des modèles culturels originaux de l’un ou l’autre des deux groupes.

Mais être mis en contact ne suffit pas, et l’on se saurait confondre à cet égard expérience et savoir expérientiel. Sans un processus de formalisation, l’expérience s’inscrit au mieux, dans la mémoire de travail de l’apprenant, sans qu’il modifie pour autant ses règles de conduite dans ses rencontres futures avec l’Autre.

C’est la fonction de la seconde phase dite de réflexion (au sens de miroir) de « faire sens » par rapport au vécu et d’amorcer le processus de transformation de l’expérience (ou des expériences) en savoir(s) expérientiel(s). Intervient alors, au plan méthodologique, le temps de nécessaires formulations (reformulations) des données de l’expérience, et ceci selon la double signification allemande de Erfahrung et Erlebnis. L’Erfahrung permet la reconstruction des données « objectives » de l’expérience telle qu’elle a été vécue par les participants. L’Erlebnis est de l’ordre de l’ineffable, du ressenti. Dès lors, le défi pédagogique semble être à cet égard, de construire un espace suffisamment sécurisant pour les acteurs afin qu’ils acceptent de mettre en mots leur ressenti.

La formulation de questions induit la recherche de réponses qui s’écartent des simples constatations liées à l’expérience contextuelle. L’apprenant tente ainsi d’appréhender une connaissance générique (conceptuelle) par articulation

avec les données de l’expérience. Il s’en détache en vue de comprendre un phénomène de manière plus globale. Cette confrontation avec le monde des théories (modèles pour penser) est le lieu par excellence de la transformation de l’expérience en savoirs expérientiels (modèles pour agir). C’est un moment éminemment pédagogique au sens où, comme l’écrit Jean Houssaye (1999), il s’agit bien ici d’un «  enveloppement dialectique et mutuel de la théorie et de la pratique sur et par le même individu ».

La phase de conceptualisation doit permettre à chacun, à partir de ses questions propres, travaillées dans l’échange, l’élaboration de nouvelles règles de conduite, opérant une mise à distance théorique. C’est effectivement à ce moment que des savoirs nés de l’expérience ont une chance de se muer en savoirs expérientiels. Encore faudra-t-il que les nouvelles règles de conduite élaborées, puissent être testées et ajustées lors d’un retour à l’expérience.

L’ultime phase doit donc permettre la vérification par l’expérience de la validité des règles élaborées. C’est un temps d’auto-évaluation formatif, qui permet souvent l’accès à un autre niveau de questionnement à partir d’un même contexte. La logique de construction des savoirs expérientiels exige du sujet un trajet du concret vers le réflexif pour accéder à l’abstrait puis revenir à l’actif. Le plus haut niveau d’apprentissage est atteint lorsque ces quatre modes sont combinés. De divergents,

les apprentissages deviennent assimilateurs, puis convergents et enfin accommodateurs.

FORMEL, NON FORMEL, INFORMEL

Mais la question du topos de l’expérience interculturelle ne saurait se limiter à une construction de savoir expérientiel «  institutionnalisée  » telle que décrite ci-dessus. Différents espaces éducatifs interagissent donc nécessairement, lieux de construction de savoirs, de savoirs expérientiels et de (re) socialisation. Dès lors, comment caractériser les interactions entre ces différents topos aux cadres plus ou moins flexibles et mobiles, entre continuité, discontinuité, tensions ou conflits ?

Contrairement au postulat des politiques publiques qui opposent l’éducation «  formelle  » unifiée à des pratiques éducatives «  non-formelles  » ou « informelles » plurielles, les composantes de l’apprentissage de compétences interculturelles font l’objet de niveaux de formalisation hétérogènes.

L’étude des interactions entre les différents espaces éducatifs au sein desquels s’inscrivent les expériences dans une trajectoire humaine devient nécessaire à une compréhension globale du processus de socialisation. Le système éducatif forme des « moi sociaux » (c’est sa raison d’être), en mettant l’accent sur l’unité et la cohérence d’ensemble du processus. Sa visée reste production

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d’un sujet conforme aux exigences de l’ordre social, en dépit des résistances du «  moi  » (Chalmel, 2015). L’ouverture vers d’autres espaces, d’autres ergonomies, nous amène à repenser le rôle du sujet (le «  moi  ») en tant qu’acteur de la construction de ses propres apprentissages, articulant réflexion et analyse critique. La socialisation comme la structuration de l’identité individuelle deviennent alors des processus complexes, issus de la diversité des influences croisées héritées des habitus sociaux où évoluent les acteurs. L’intégration des savoirs et des habitus s’origine dans la famille, l’espace culturel aussi bien qu’au travers de l’ensemble des systèmes d’action traversés par l’individu au cours de son existence (Dubar, 1998).

C’est paradoxalement le monde du travail et de l’entreprise qui s’est préoccupé de clarifier les types de savoirs construits dans des espaces de formation singuliers, autour de l’exigence d’une labellisation des compétences acquises par les salariés. La prise en compte des savoirs informels et non formels dans les dispositifs nationaux de certification est ainsi étroitement liée à l’importance accrue de la formation tout au long de la vie. La combinaison d’un marché du travail en perpétuelle mutation, d’une population active vieillissante et d’une concurrence mondiale accrue rend nécessaire la mobilisation d’un capital de connaissances, qualifications et compétences certifiées, indépendamment de leur lieu et mode d’acquisition.

Les systèmes de certification, permettant aux salariés de construire un capital expérientiel tout au long de la vie, sont paradoxalement plus flexibles que la traditionnelle évaluation scolastique. L’apprentissage est perçu dans ce cadre comme «  un processus par lequel un individu assimile des informations, des idées et des valeurs et acquiert de la sorte des connaissances, savoir-faire, qualifications et compétences  » (CEDEFOP1). L’apprentissage se fait par le biais d’une réflexion personnelle, d’une reconfiguration cognitive et d’une interaction sociale. Il peut se dérouler dans un environnement formel, non formel ou informel.

Les apprentissages dispensés dans un environnement organisé et structuré, établissement d’enseignement ou de formation, lieu de travail des salariés etc. sont qualifiés de formels. La formalisation des apprentissages articule des objectifs, une méthode et des ressources avec l’espace/temps de la formation. Il est intentionnel du point de vue de l’apprenant, et conduit généralement à une certification.

Les apprentissages informels (encore dénommés expérientiels ou fortuits) découlent des activités de la vie quotidienne associées au travail, à la famille ou à l’espace culturel. Contrairement à l’apprentissage formel, ils possèdent un caractère non intentionnel de la part de l’apprenant

1 . Centre Européen pour le Développement de la Formation Professionnelle (CEDEFOP)

et ne sont ni organisés, ni structurés en termes d’objectifs, d’espace/temps ou de ressources. La certification n’est pas sa visée première, mais il peut désormais être validé dans le cadre d’une reconnaissance d’acquis.

L’apprentissage non formel, fréquent dans l’espace culturel ou l’éducation populaire, est intentionnel de la part de l’apprenant. Les savoirs qui en découlent se construisent dans des activités planifiées, mais non explicitement désignées comme apprentissage (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources). Ses résultats peuvent être validés et aboutir à une certification. En raison de l’absence de stabilité du cadre institutionnel, il est parfois décrit comme un apprentissage semi-structuré.

Bien que dépendant paradoxalement lui-même d’une institution de formation (Université de Haute Alsace), la définition de l’apprentissage non formel correspond bien au topos dans lequel NovaTris inscrit ses démarches de formation. D’où un malaise certain avec le maniement de concepts propres à l’univers institutionnel, comme celui de compétence par exemple.

DE LA PLURALITÉ DES ESPACES DE CONSTRUCTION SOCIALE ET IDENTITAIRE

La prise en compte de ces différents modes de construction des savoirs invite à explorer de nouveaux espaces au sein desquels interagissent, outre les entreprises, des dispositifs sociaux éducatifs (collectivités locales et territoriales, associations sportives et culturelles), ainsi que des groupes de pairs plus ou moins formalisés. Il devient alors nécessaire d’appréhender l’espace de formation tout au long de la vie comme un espace multidimensionnel, habité par des humains plus ou moins sédentaires ou nomades, tiraillés entre les exigences du développement de leur « moi social », qui les conforment à des normes éducatives exogènes, préparant aux compétences socialement valorisées, et celles de leur « moi », qui les conduisent sur des chemins buissonniers, au sein de dispositifs culturels, associatifs, sportifs, socio-éducatifs plus ou moins formalisés (non formels), ou encore des expériences fortuites associées par exemple au développement de réseaux sociaux (informels).

Dans son Emile, J.-J. Rousseau anticipe la contradiction qui résulte de cette tension permanente entre le générique (la norme sociétale) et le spécifique (les aspirations d’un individu), lorsqu’il affirme en particulier l’impossibilité d’une éducation simultanée de l’individu et du citoyen :

L’homme naturel est tout pour lui ; il est l’unité numérique, l’entier absolu, qui n’a de rapport qu’à lui-même ou à son semblable. L’homme civil n’est qu’une unité

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fractionnaire qui tient au dénominateur, et dont la valeur est dans son rapport avec l’entier, qui est le corps social. Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croit plus un, mais partie de l’unité, et ne soit plus sensible que dans le tout […] Ces deux mots de patrie et citoyen doivent être effacés des langues modernes (Rousseau, 1996, pp.39-44).

L’éducation de l’individu (du «  moi  ») ne peut ainsi être combinée avec celle du citoyen (ou « moi social »). De fait, Rousseau considère l’éducation du citoyen comme un processus de dénaturation du moi/individu, entier numérique, au profit du moi social/citoyen, entité relative au corps social. La relativité des normes sociales, culturelles par essence, s’oppose ici à la constance du moi dans ses besoins et ses aspirations. Adhérer aux valeurs sociales, c’est donc prendre le risque de la relativité et, en cas d’acculturation impossible, le risque d’une exclusion dont le corolaire reste la constitution d’un moi marginal. Mais si Rousseau le philosophe nous propose ici un modèle pour penser l’éducation, les éducateurs sont condamnés au quotidien à l’agir, et en conséquence à risquer l’utopie à savoir : tenter de penser l’éducation de l’être humain en tension entre les exigences du « moi » et celle du « moi social », en terme de continuité /discontinuité dans les apports des espaces formels, non-formels et informels.

L’affaire n’est pas si simple. D’un espace à l’autre, les processus en jeu (en particulier les modes d’apprentissages) et les types de savoirs acquis (normatifs, expérientiels) ne sont pas équivalents. S’appuyer a priori sur le postulat d’une nécessaire complémentarité nous semble un pari risqué, car la conversion et le transfert des savoirs et des expériences d’un espace vers un autre nécessiteraient à minima une coopération entre les acteurs éducatifs. Dans la plupart des cas, les lieux éducatifs sont appréhendés séparément ou par opposition. L’addition des singularités ne permet gère d’appréhender la variété des agencements, les logiques des acteurs, les continuités, les tensions et les clivages, les dynamiques croisées etc. Au final, seule une approche systémique, semble en mesure de saisir les lignes de force du réseau d’influences complexes produit par toutes ces interrelations. La question de la légitimité des savoirs construits dans les espaces informels et non formels n’est pas réglée pour autant.

La notion d’hybridation (Cristol D., Muller A., 2013) se présente comme une porte d’entrée pour légitimer ces savoirs « alternatifs », en s’attachant à l’opérationnalisation des apprentissages construits dans un continuum formel, non formel, informel. Le problème reste que les savoirs informels n’ont de légitimité que par rapport à la norme

formelle, comme l’explique Bernadette Charlier (2014) qui cherche à comprendre en quoi les environnements personnels d’apprentissage (E.P.A.) constituent une source essentielle de données pour étudier l’acquisition de savoirs, «  entre nomadismes et mobilités ».

NOUVEAUX TERRITOIRES

La migration épistémologique des savoirs vers les compétences, des espaces formels à des environnements d’apprentissage moins formalisés, accompagne nécessairement les métamorphoses successives de l’agent en acteur et de l’acteur en auteur, et reste l’un des principaux obstacles à la mise en place d’une formation efficace en interculturalité. Car l’assimilation des compétences aux savoirs perdure… Une compétence est un savoir agir, qui caractérise l’aptitude à réaliser efficacement une action donnée, dans un contexte donné. Les opérations mentales qu’un individu met en œuvre lorsqu’il exerce son intelligence caractérisent quant à elles des compétences transversales qui comportent quatre niveaux : méthodologique, cognitif, social et linguistique.

Si les compétences sont de l’ordre d’un savoir agir, alors les principes d’une pédagogie de l’apprentissage par compétences doivent trouver à se nourrir de l’expérience des acteurs qui s’engagent dans un dispositif de formation en interculturalité, et ceci dans le cadre d’une temporalité précise :

• Définir une compétence à dominante cognitive ou socio-affective dans un contexte familier, la formaliser en précisant les comportements qui la caractérisent;• Repérer dans de nouveaux domaines, non familiers, des situations qui peuvent être lues comme analogiques;• Appliquer les attributs de la compétence à cette nouvelle situation.

Les principes pédagogiques articulent donc trois aptitudes fondamentales  : décrire, modéliser et transférer. Ils s’appuient sur la connaissance individuelle d’un fonctionnement intellectuel propre et induisent un exercice de métacognition par le dépaysement d’une compétence dont les composantes ont été déconstruites (analyse des éléments) puis reconstruites (modélisation).

L’analyse des savoirs de l’expérience, référée à des situations vécues, ouvre aux trois paliers d’apprentissage nécessaires à l’acquisition de compétences : comprendre, agir, transférer. Une telle ingénierie exige une nouvelle posture de l’apprenant qui devient acteur, voire auteur de sa formation, et de l’accompagnateur pour entrer dans un processus d’acculturation. Elle inscrit sans surprise sa visée dans un courant socioconstructiviste, portée par l’idée que le savoir se construit en interaction avec les autres, l’environnement et soi-même. L’apprenant va devoir construire ses acquis expérientiels dans la rencontre, adapter ses gestes et son discours à une

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situation qu’il va devoir analyser pour construire une compétence et entrer dans un processus d’auto-formation et d’auto-évaluation.

De l’exploration de ces champs éducatifs peu conventionnels, naît une nouvelle modélisation de la notion de compétence. La didactique traditionnelle articule trois types de savoirs pour la qualifier: les savoirs, les savoirs faire et les savoirs être. De la nécessité d’explorer les espaces d’apprentissages informels et non formels en interculturel, à la recherche du potentiel reconstructif du «  moi  » des acteurs, émerge une autre articulation qui accompagne la démarche d’apprentissage :

• La notion générique de savoir, fait place à celle d’ergonomie cognitive, organisation psychique permettant l’élaboration de règles de conduite à la fois cohérentes et flexibles ;•    Le savoir-faire devient savoir agir, capacité d’adaptation comportementale pertinente pour la résolution de situations problèmes. Les idées d’application et de répétition procédurales, attachées au savoir-faire, font place à l’exercice de la prise de décision que nécessite l’agir ;• Le caractère statique du savoir être, plus du domaine des traités de civilité que de l’engagement social, devient dynamique au travers d’une réflexion éthique, comme une manière d’être avec les autres et avec le monde (Chalmel, 2015).

POSTURES ÉDUCATIVES

L’expression postures éducatives désigne les grands types de relation qu’un éducateur peut adopter en fonction des finalités qu’il poursuit (Lavenier, Le Bouëdec, Pasquier, 2016). Elles sont regroupées d’une part en postures interindividuelles et d’autre part en postures à l’égard de groupes. Ces auteurs prétendent que l’éducateur est invité à les adopter toutes à un moment ou à un autre, donc à varier son type de relation, à circuler dans les postures, afin de créer des espaces de liberté pour les éduqués. Si nous ne remettons pas en cause cette affirmation, il nous semble pour autant qu’un formateur digne de ce nom se doit d’être cohérent dans les actes qu’il pose, pour que l’autre puisse se repérer. Nous retenons ainsi 4 des 6 postures qu’ils proposent :

•    La posture d’autorité, au sein de laquelle le formateur transmet un savoir indiscutable, et se place au-dessus des apprenants ;•    La posture contractuelle, dans laquelle l’apprenant à la possibilité de co-écrire le scénario. Le formateur se situe alors derrière le groupe, dans une posture de contrôle (de la mise en œuvre des termes du contrat) ;•    La posture d’animation, où le formateur anime le groupe (au sens latin de anima) et s’immerge pour ce faire au sein de l’ensemble ;•    La posture d’accompagnement enfin, où formateur et apprenants cheminent ensemble (côte à côte).

Paradoxalement, lorsqu’il adopte cette dernière posture, le formateur ne domine plus la situation, ce qui ne remet pas nécessairement en cause son statut d’expert. Il s’identifie alors aux trouvères accompagnant les pèlerins sur les chemins de Saint-Jacques, qui légendaient le parcours au fil des difficultés rencontrées. Légende (du latin legenda, qui doit être lu) qui revêt dès lors le double sens d’un récit accessible à l’auditoire, mêlant réel et fiction, et d’un code sous-titrant une carte ou une iconographie. Nous reconnaissons l’accompagnement comme posture majeure pour aider l’autre à construire des compétences interculturelles, les trois autres jouant en mineur en fonction des situations d’apprentissage.

L’accompagnement interculturel répond pleinement à cette exigence d’un compagnonnage dans le cheminement. Il est le topos de la co-construction d’apprentissages et de la réciprocité éducative :

La relation de pure réciprocité a ceci d’original qu’elle suscite les deux termes l’un par rapport à l’autre et l’un par l’autre. Aucun des deux n’a priorité sur l’autre. La relation originaire ne les maintient que l’un avec l’autre. Discerner les sujets personnels comme réciproques, c’est signifier qu’ils n’existent comme sujets que l’un par l’autre […] Le sujet personnel est dans le même acte « relatif à » et « en soi » (Labelle, 1996, p. 181).

Labelle qualifie par trois adjectifs la posture de l’accompagnateur : suscitant, concertant et itinérant. En se comportant ainsi, il est simultanément un passeur, un veilleur et un éveilleur de rencontres aux frontières, l’attitude réciproquante incarnant le mieux : «  la synergie automotrice, permanente et sans fin de la réciprocité éducative (Labelle, 1996, p.293) ».

Au final, nous pouvons modéliser la démarche d’accompagnement interculturel de la manière suivante :

1.    Sortie d’une conception bancaire de la formation (Freire, 1974) qui suppose l’existence d’un éducateur qui sait tout et d’un élève qui ne sait rien (Monteagudo, 2002) ou de la demande de savoirs préexistants à l’accompagnement interculturel.2.    Apprendre de l’ordinaire/extraordinaire (Parret, 1988), en sachant accueillir les savoirs du patient (altruisme et altérité).3.    A partir de l’expérience cheminer vers la co-construction de savoirs expérientiels (posture réciproquante), mettre en projet par une attitude suscitante, concertante et itinérante.4.    Vérification par l’expérience de la validité des scénarii élaborés, temps d’auto-évaluation formatif, qui permet l’accès à un autre niveau de questionnement à partir d’un même contexte.5.    Sortir de la dette (l’autre ne me doit rien). S’étant approprié la démarche, il pourra marcher seul (autonomie).

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46 - LES GRANDES CONFÉRENCES 47 - LES GRANDES CONFÉRENCES

DES ORGANISATIONS POUR APPRENDRE

Peut-on dès lors considérer le Centre de compétences transfrontalières de l’Université ́ de Haute-Alsace, comme une organisation apprenante ?2 Plusieurs dispositifs formels mis en œuvre au cours du temps semblent en attester :

•    groupes d’analyses des pratiques ; •    formation en situation (au sein d’institutions ou d’entreprises) ;•    autoformation accompagnée (en particulier par la pratique du tandem) ;•    communautés de pratiques.

Pourtant, l’approche par les capacités réinterroge les organisations apprenantes, opérant ainsi un changement paradigmatique, et NovaTris n’échappe pas à ce questionnement. Il devient en effet nécessaire, au risque de la stagnation, de s’interroger sur la manière de renforcer le potentiel formateur des situations de travail, pour en renforcer la fonction formatrice et les rendre plus « intelligentes ». Il s’agirait alors de mettre en œuvre de nouvelles approches plus ancrées dans les réalités et les contextes, facilitant le transfert des apprentissages et du savoir agir en situation.

Conformément à cette logique ergonomique de l’environnement comme ressource pour la formation, un

2 En mécanique, un système réciproquant est un système dont l’automouvement est assuré par la conjugaison de forces contraires (Pineau, G., 1998)

autre type d’organisation se dessine, qui d’apprenante deviendrait capacitante (Coutarel; Petit, 2009). Il est désormais nécessaire de quitter le champ des compétences pour rejoindre celui des capacités ou des capabilités (au sens d’Amartya Sen cf. Kebfene, M., 2014). Du savoir agir, il déplace les apprentissages vers le développement du pouvoir d’agir. L’analyse ergonomique des apprentissages ne s’intéresse pas seulement aux organisations, mais aux environnements qu’elles configurent et aux individus singuliers qui y évoluent.

Dès lors s’opère la mutation de l’organisation capacitante vers l’idée d’environnement capacitant, ou encore le passage d’un individu collectif à un individu singulier. L’idée d’organisation capacitante trouve ses origines dans le cadre conceptuel de l’approche par les capacités de l’économiste Amartya Sen (2003). Le cœur de la théorie des capabilités (capabilities) relie la question des libertés à la capacité d’agir (Sen, 2003). Dans la perspective de Sen, il convient de distinguer les capacités des capabilités :

•    Les capacités relèvent du savoir-faire;•    Les capabilités du fait d’être en mesure de faire et possèdent donc simultanément un pouvoir d’être et de faire.

L’approche par les capabilités s’appuie sur les potentialités, c’est à dire les ressources internes et externes dont l’individu dispose implicitement, et

qu’il peut mobiliser en fonction de facteurs de conversion individuels, sociaux ou environnementaux. Il s’agit là d’une première étape sur laquelle doit s’appuyer l’accompagnement interculturel.

Pour caractériser les capabilités, Sen parle d’accomplissements ou de fonctionnements, qui conduisent à un pouvoir d’être et de faire dans le champ des possibles. Les ressources internes et externes à l’individu mobilisables vont subir des conversions afin de s’actualiser dans les conduites ou les réalisations choisies. Faciliter ces conversions, c’est faire en sorte que l’apprenant dispose d’un espace-temps propre, lui permettant successivement la réflexion (toujours au sens du miroir), la prise de conscience du potentiel, suivie d’un détour conceptuel, pour se donner les moyens et la liberté de faire.

Concernant les apprentissages interculturels, une capabilité définit donc un champ de possibles, et donc un choix de passage ou non à l’acte, à la fois pour l’individu qui en est porteur et pour l’organisation qui peut en profiter.

L’ancrage des capabilités dans des ressources internes et externes à l’individu permet de souligner que leur mise en œuvre ne dépend pas uniquement de leur disponibilité mais aussi d’un ensemble de conditions organisationnelles, techniques, sociales, etc. qui leur permettent de s’actualiser, de se transformer dans une situation donnée, et également de la capacité et de la volonté des individus à les convertir (Zimmerman, 2008). L’accompagnateur d’apprentissages interculturels devra être parfaitement conscient de ces phénomènes. Les vecteurs de conversion correspondent à l’ensemble des facteurs qui facilitent (ou entravent) la capacité d’un individu à faire usage des ressources à sa disposition pour les convertir en réalisations concrètes. Ces vecteurs peuvent être individuels (sexe, âge, bagage expérientiel, compétences, désir d’agir, niveau de formation, etc.), sociaux (héritage culturel et social de l’individu, équipe de travail, etc.), ou environnementaux (contraintes/opportunités géographiques et institutionnelles, contexte normatif et culturel, perception des possibilités d’action, capacité de projection etc.).

La capabilité habite l’entre-deux, entre moyens disponibles et résultats de l’action. Elle éclaire l’agir en situation, permet aux compétences d’être activées, de prendre forme. Là est le lien organique. C’est en cela qu’elle devient pour nous extrêmement intéressante du point de vue des démarches d’ingénierie de formation interculturelle. En effet, elle est au centre d’un système qui n’isole ni l’individu, ni les conditions de l’action, ni son environnement.

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LE CENTRE DE COMPÉTENCES TRANSFRONTALIÈRES DE L’UNIVERSITÉ́ DE HAUTE-ALSACE. UN ENVIRONNEMENT CAPACITANT ?

S’intéressant aux questions de santé et de bien-être au travail, Pierre Falzon (2005) définit l’environnement capacitant comme un environnement qui permet aux personnes de développer de nouvelles compétences et connaissances, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et sur la manière dont ils la réalisent, c’est-à-dire leur autonomie (Ferganu Oudet, 2012). En ergonomie, trois regards peuvent ainsi être portés sur la notion d’environnement capacitant (Falzon, 2005) :

1.   Du point de vue préventif, c’est un environnement non délétère pour l’individu, qui préserve les capacités futures d’action ;2.   Du point de vue universel, c’est un environnement qui prend en compte les différences interindividuelles et qui compensent les déficiences individuelles. Il prévient l’exclusion, les décrochages sociaux et générationnels. Il favorise l’intégration, l’inclusion et la reconnaissance sociale ;3.   Du point de vue développemental, c’est un environnement qui favorise l’autonomie et contribue au développement cognitif des individus et des collectifs ; accroissement de l’autonomie et développement des savoirs étant deux facteurs clés de l’extension du pouvoir d’agir.

La pédagogie de l’accompagnement interculturel mise en œuvre au sein de l’environnement NovaTris aide l’apprenant à construire une double autonomie:

• Une autonomie d’action : les capabilités converties au fil de nos accompagnements lui permettent d’appréhender un contexte interculturel avec davantage d’assurance et de compréhension ; • Une autonomie de méthode: les participants s’approprient progressivement la démarche de création et/ou de formalisation et de savoirs expérientiels développés au cours de nos formations qui les rend susceptibles de convertir leur potentiel en capabilités interculturelles adaptées à leur contexte.

NovaTris s’applique à développer un environnement capacitant favorable au développement du pouvoir d’agir des individus. Ce pouvoir d’agir est à l’intersection de la capacité d’agir (qui représente une potentialité, un ensemble de ressources mobilisables en situation par un sujet) et des conditions propres aux situations dans lesquelles les sujets sont engagés (Pastré, Rabardel, 2005). Nous tavaillons aujourd’hui

à dynamiser notre environnement de travail pour le rendre capacitant, en aidant toujours plus les individus à mobiliser, pour les utiliser, les ressources qui sont à leur disposition (et pas seulement les mettre à leur disposition !).

BIBLIOGRAPHIEAbdallah-Pretceille M., Former et éduquer en contexte hétérogène, pour un humanisme du divers, Economica, Paris, 2003Briant, J., Phénomène d’interface agent de surface. Principe et mode d’action, TECHNIP, Paris, 1989Chalmel, L. (dir.), Thérapie & Education. De quoi et de qui parle-t-on ? Presses Universitaires de Lorraine, Nancy, 2015 Charlier, B., Les environnements personnels d’apprentissage. Des instruments pour apprendre au-delà des frontières. STICEF n°21, Université du Mans, 2014Coutarel, F. Petit, J., Le réseau social dans l’intervention ergonomique : enjeux pour la conception organisationnelle, Management et Avenir n° 27, 2009Cristol D., Muller A., Les apprentissages informels dans la formation pour adultes, Savoirs n°32, l’Harmattan, Paris, 2013Dubar, C. Identités collectives et individuelles dans le champ professionnel, in Traité de sociologie du travail, De Boeck, Bruxelles, 1998Falzon, P., Cerf, M., Situations de service : travailler dans l’interaction, PUF, Paris, 2005Ferganu Oudet, S., Concevoir des environnements de travail capacitants, Revue française de sciences sociales, n°119, Paris, 2012Hofstede, G., Cultures et civilisation, Pearson, 2010Housaye, J. (dir.), Questions pédagogiques. Encyclopédie historique. Hachette, Paris, 1999Kebfene, M., La théorie des capabilités d’Amartya Sen, Presses Académiques Francophones, Paris, 2014Kolb, D., Experiential learning, experience as the

source of learning and development, Pearson Education, Upper Saddle River, 1984Kroeber, A.L. and Kluckhohn, C., Culture: A Critical Review of Concepts and Definitions. Peabody Museum, Cambridge, MA, 181, 1952Labelle, J.-M., la réciprocité éducative, PUF, Paris, 1996.Lavenier, T., Le Bouëdec, G., Pasquier, L., Les postures éducatives. De la relation interpersonnelle à la communauté apprenante, l’Harmattan, Paris, 2016Parret, H. Le sublime du quotidien, in Phénoménologie et critique du quotidien, Hadès-Benjamins, Paris, 1988Pineau, G., Recension de l’ouvrage de J.-M. Labelle, La réciprocité éducative, Revue Française de Pédagogie n°122, 1998Rabardel, P., Pastré, P., Modèles du sujet pour la conception. Dialectiques activités développement, Octarès, Toulouse, 2005Sen, A. Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. Odile Jacob, Paris, 2003Zimmerman, B.-J., Investigating Self-Regulation and Motivation: Historical Background, Methodological Developments, and Future Prospects, American Educational Research Journal, Vol. 45, n°1, Austin, 2008

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51 - LES GRANDES CONFÉRENCES

LE BIEN-ÊTRE DANS LES ESPACES SCOLAIRES

Maurice Mazalto Proviseur de lycée honoraire

1. LA PROBLÉMATIQUE

L’école a pour vocation d’assurer deux missions fondamentales d’éducation : transmettre des savoirs par différentes formes d’apprentissages et simultanément développer la socialisation des utilisateurs en favorisant le vivre-ensemble. Etroitement liées, ces deux missions doivent pouvoir exister dans le temps et dans les espaces scolaires. Elles conditionnent une école de la réussite, une école qui incite les élèves à être des acteurs actifs en s’appropriant les différents aspects de leur formation à travers une démarche collaborative, une confrontation d’idées, l’apprentissage à une citoyenneté responsable.

« L’école » est un terme générique pour évoquer des structures d’une grande diversité : des écoles publiques et privées, maternelles et élémentaires, collèges, lycées et lycées professionnels. L’architecture scolaire n’est jamais neutre ; construire une école, c’est inscrire dans les murs les partis pris éducatifs du moment pour développer une histoire singulière ; celle-ci sera, au fil du temps, transformée, modifiée, pour accompagner les évolutions pédagogiques ou démographiques.

2. L’ARCHITECTURE SCOLAIRE CONCRÉTISE DES VALEURS ÉDUCATIVES

Dès le XVIIIème siècle, Claude Nicolas Ledoux, architecte visionnaire le confirme en déclarant : la qualité du cadre de vie conditionne la pensée et le comportement. Il préconise une architecture adaptée au savoir et au savoir être qui procure du bien-être aux utilisateurs. En effet, vivre dans un lieu adapté où chacun trouve une place, augmente le plaisir de rencontrer les autres pour échanger, collaborer à des projets communs, stimule l’imagination, en un mot, favorise la réussite.

Cette vision est partagée par des pédagogues novateurs qui bousculent les équipements scolaires traditionnels, notamment Célestin Freinet qui supprime l’estrade symbole d’une transmission verticale du savoir dans sa classe, ou Maria Montessori qui développe des équipements spécifiques pour les jeunes enfants.

Anne-Marie Chatelet précise que l’espace scolaire doit être interrogé sur son sens au regard de la pédagogie et non sur sa matérialité. Aussi, interroger l’espace scolaire revient à initier une lecture spatiale pour déterminer l’efficacité des choix éducatifs inscrits dans les différents lieux de l’école au regard du bien-être des utilisateurs

3. LE BIEN- ÊTRE, UNE NOTION À PRÉCISER

Le linguiste Alain Rey définit le bien-être comme une sensation agréable procurée

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par la satisfaction de besoins physiques, l’absence de tension psychologique (Le Petit Robert). Il situe ce sentiment de bien-être dans le domaine du ressenti.

Si l’on examine plusieurs études sur «  le bien-être des élèves  », chaque étude retient des facteurs spécifiques différents, selon que l’accent est mis sur les phénomènes de violence ou sur les pratiques éducatives.

Bien que le bien-être soit une notion difficile à quantifier, elle nous semble néanmoins intéressante à conserver car elle concerne directement les utilisateurs dans leurs relations aux espaces scolaires.

A défaut de quantifier le bien-être, on peut le qualifier avec d’autres entrées  ; ainsi celle développée par le CAUE 92 qui propose le fil rouge suivant : «  pour éprouver du bien-être, l’utilisateur doit «  habiter  » au sens propre du terme, s’approprier l’espace dans lequel il se trouve : « Un espace jugé dévalorisant ou discriminant sera peu à peu délaissé et ne pourra plus remplir la fonction qui est la sienne. Pour « vivre  », un espace doit permettre aux personnes qui l’utilisent de « l’habiter » à part entière.Le lieu devient identificateur quand il aide à définir le groupe dont nous faisons partie par les activités que nous partageons, le type d’échanges et de relations que nous mettons en place dans ce lieu et les représentations que nous projetons. Le lieu doit aussi permettre à chaque personne de s’y projeter en tant qu’individu unique en

préservant sa part d’intimité. Lorsque l’espace permet à chacun de s’y exprimer et de s’y représenter en tant que groupe et en tant qu’individu il est identificateur mais il devient aussi identifiant de ce groupe car il en est la représentation ».

Ce propos, noyau central de la fonction architecturale nous semble important à retenir. Il met en lumière les conditions essentielles pour générer du bien-être  : viser la fonctionnalité, permettre aux utilisateurs de s’approprier pleinement les espaces mis à disposition, seuls ou en groupes pour devenir leurs lieux de reconnaissance et d’identification.

4. QUELLES ARCHITECTURES POUR FAVORISER LE BIEN-ÊTRE ?

Parmi de nombreuses possibilités, nous retenons deux organisations spatiales qui sont vecteurs de bien-être : les territoires et les gradins.

a) Les territoires

L’espace scolaire, et plus particulièrement celui dédié à la détente, est l’objet de convoitises par les jeunes utilisateurs  : certains parmi les plus âgés, utilisent «  la loi du plus fort  » et deviennent «  propriétaires  » exclusifs de certains lieux ; dans d’autres contextes, ceux qui pratiquent des activités physiques monopolisent la plus grande partie de l’espace de façon inéquitable. Pour que chacun puisse disposer d’un espace de

détente correspondant à ses envies du moment, la mise en place de territoires matérialisés est une proposition qui nous semble très pertinente.

Le premier exemple concerne la cour de récréation d’une école élémentaire à Paris ; l’histoire de ce bâtiment éclaire la lecture architecturale. A l’origine, il s’agit d’un hôtel particulier construit vers 1720 habité sans discontinuité puis acheté par la ville de Paris en 1882 pour être transformé en école de garçons, lorsque les responsables de la troisième République décident que l’école publique sera laïque, gratuite et obligatoire. Les directives du moment précisent les préconisations concernant les bâtiments scolaires publics : «  un espace clos, à l’écart de la rue, avec sa cour, son préau couvert, ses lieux d’aisance, le logement du directeur, des salles de classe normalisées  » (Galupeau 2001). Transformer une demeure particulière en espace collectif en respectant les impératifs indiqués, présente de nombreuses difficultés, surtout que d’autres évolutions interviendront au fil des ans pour ce bâtiment ; l’ouverture d’une école de filles mitoyenne qui sera transformée ensuite en collège aura pour conséquence de diminuer la superficie de la cour de l’école primaire.

La cour de cette école est un espace restreint intérieur, à l’abri des regards extérieurs selon les conceptions du XIXème siècle. Dans cet espace, durant le temps de détente, trois types d’activités se déroulent simultanément : des

rencontres et échanges verbaux, des jeux physiques de déplacement, des activités de lecture (Photo 1). Faute d’espace, aucun aménagement spécifique n’a pu trouver place pour les activités des jeunes utilisateurs ; impossible d’installer des territoires pour faciliter les échanges, permettre la lecture dans le calme, baliser les espaces de jeux avec déplacements. Inutile de rechercher du bien-être dans un lieu inadapté à la fonction.

L’école de la photo 2 est située en région et dispose d’un espace récréatif bien plus conséquent entre le bâtiment et la rue. Il est donc possible d’installer des

Photo 1

Photo 2

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Photo 4

Photo 3

territoires, zones ouvertes à tous pour des activités spécifiques : une cabane à claire voie (pour la sécurité) est un endroit où les enfants peuvent lire, s’échanger leurs secrets, se donner rendez-vous, un terre-plein circulaire limité par des mini-gradins permet de se reposer, de faire des jeux qui demandent peu d’espace, une piste tracée sur le sol pour faire du vélo, courir,… les différents modules territoriaux sont des repères facilement accessibles et donc vecteurs de bien-être.

b) Les gradins Utilisés depuis l’antiquité dans les lieux collectifs, les gradins sont des constructions simples dont l’intérêt est toujours réel. Il peut être de formes et de niveaux très variables, prévu en amont de la construction ou mobile en construction légère, installé à la demande. Avec des matériaux adaptés, il trouve place aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments.

L’utilisation du gradin permet « de choisir ses vis-à-vis, de se déplacer avec facilité et d’avoir un point de vue original sur l’espace environnant. C’est une structure accueillante qui offre des possibilités différentes quant à la décontraction qu’elle engendre dans l’attitude corporelle comme dans la liberté des échanges » (Mazalto 2017).

Sa présence multiplie les lieux de rencontre, mais également de travail seul ou en groupe, qui s’accorde bien avec l’utilisation du numérique nomade. Sur la photo 3, il est utilisé comme élément de jeu.

Ici, il s’agit d’une école élémentaire suédoise conçue par la designer Rosan Bosch. Les gradins offrent des demi-marches pour le jeu et des marches entières pour s’asseoir, se rencontrer, en choisissant le lieu, les camarades, la durée.

Dans l’exemple de la photo 4, les gradins sont traités comme un mobilier en privilégiant les différences de niveau ; l’espace récréatif est accueillant avec une agora peu profonde, des plots colorés de formes différentes qui invitent à la détente, au travail individuel ou en petit groupe. Offrir ainsi des espaces de qualité, c’est indiquer que tous les temps passés dans l’établissement

forment un ensemble qui bénéficie de la même considération ; une réalisation qui développe des sentiments de bien-être.

5. ABORDER LE BIEN-ÊTRE DANS L’ARCHITECTURE SCOLAIRE

L’établissement scolaire est un livre en 3D avec son bâti et ses zones extérieures végétalisées ou non. La lecture contextualisée ouvre de nombreuses portes : intentions inscrites dans les espaces, concepts éducatifs matérialisés, perspectives prévisibles qui se révèleront positives (bien-être) ou négatives (mal-être) pour les utilisateurs.

Cette démarche propose de passer du «  ressenti  » au «  réfléchi  » en commun. Lors d’interventions sur une école (construction ou réhabilitation), les concepteurs devraient se rapprocher des utilisateurs pour réfléchir à des solutions qui permettent à ces derniers d’habiter véritablement l’espace, de se l’approprier ; en outre il est nécessaire de laisser la porte ouverte aux adaptations résultant de la mise en service avec suffisamment de souplesse pour accueillir les évolutions pédagogiques constantes.

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTECIEP, Revue internationale d’éducation, Les espaces scolaires, Dossier coordonné par Maurice Mazalto et Luca Paltrinieri, n°64 2013DGESCO, Le climat scolaire, sous la direction de

Eric DEBARBIEUX, 2015GARCIA Christian et VELTCHEFF Caroline, Oser le bien-être au collège, Le Coudrier 2016GIRALTE Alice, climat scolaire, architecture et usages des espaces scolaires, Diversité 2015MAZALTO Maurice, L’accueil au collège et au lycée, Paris Fabert 2010MAZALTO Maurice, Cours de récréation et espaces de détente, Fabert 2013MAZALTO Maurice, Concevoir des espaces pour le bien-être et la réussite, L’Harmattan 2017MUSSET Marie, Architecture scolaire : l’école un lieu pour réussir, Diversité 2015

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Photo 1 : Ecole élémentaire Béranger, Paris (75). Maurice MazaltoPhoto 2 : Ecole élémentaire de Sauve (30). Maurice MazaltoPhoto 3 : Ecole Vittra, Stockholm Suède. InternetPhoto 4: Lycée Jacques Prévert, Pont-Audemer (27). Maurice Mazalto

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RECOURIR À DES PÉDAGOGIES ALTERNATIVES ? INTÉRÊTS ET POINTS DE VIGILANCE

Yves Reuter Théodile-CIREL (E.A. 4354). Université de Lille

[email protected] ; [email protected]

Après quelques préalables, je développerai trois points : les raisons qui sous-tendent le recours à des pédagogies alternatives ; pourquoi, selon moi, certaines de ces pédagogies produisent des effets intéressants et enfin quelques points de vigilance nécessaires.

QUELQUES PRÉALABLES

Je parle en tant que chercheur et non en tant que militant. Cela signifie que je ne soutiens pas telle ou telle pédagogie. J’ai effectué des recherches sur certaines d’entre elles mais ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de comprendre les points communs dans des expériences pédagogiques qui «  marchent  », notamment dans la lutte contre l’échec scolaire.

Je m’appuie sur ce que j’ai travaillé, directement ou indirectement : la pédagogie Freinet dans l’école de Mons en Baroeul (Reuter, dir.2007, la pédagogie du projet (Ruellan 2000), les expérimentations liées à l’article 34 de la loi « Fillon » (Reuter, dir, 2011…) avec une grande prudence sur les généralisations.

Je préfère parler de pédagogies «  alternatives  » et non de pédagogies « nouvelles » dans la mesure où la plupart ont près d’un siècle et des sources antérieures.

1. POURQUOI RECOURIR À DES PÉDAGOGIES ALTERNATIVES ?

Il existe à mon sens au - moins trois catégories de raisons qui peuvent conduire à recourir à des pédagogies alternatives ou à des pratiques qui en sont plus ou moins issues.

1.1. Des raisons «  personnelles  » . Être en accord avec ses principes et / ou ses rêves  ; souhaiter ou non reproduire ce qu’on a vécu...

1.2. Les problèmes de l’enseignement traditionnel. L’enseignement classique a du mal à passer dans les conditions ordinaires de classe. Il est éprouvant pour les maitres, qui consacrent beaucoup de temps à la discipline. Ses bénéfices semblent limités : ennui des élèves, manque d’implication, vécu peu positif, décrochage scolaire... Et il ne réduit pas l’échec, notamment en ce qu’il est socialement différencié. C’est là une spécificité française à interroger. Ses pratiques sont tendanciellement contradictoires avec les valeurs affichées ou recherchées : autonomie des élèves limitée, manque de vie démocratique, peu d’espace pour l’esprit critique, droits des enfants faiblement respectés...

1.3. Les intérêts de la mise en œuvre de pratiques alternatives. Il existe des évaluations positives d’expériences assez systématiques (Reuter, dir. 2007). Des effets ont été constatés sur les

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58 - LES GRANDES CONFÉRENCES 59 - LES GRANDES CONFÉRENCES

élèves  : un investissement dans un travail pertinent; un vécu positif : plaisir d’apprendre, rapport positif et durable à l’apprendre, aux savoirs et à l’école ; des résultats en progrès qui ne laissent personne sur la route... Il est à noter que certains effets peuvent parfois être très rapides (incivilités, écriture...). Ces pratiques procurent aussi plus de plaisir aux maitres en raison du calme, de la solidarité et des résultats des élèves. On note également une plus grande sérénité dans le travail pour le personnel de « service » (mieux respecté) et, progressivement, un meilleur rapport des parents à l’école. Cela peut encore engendrer une stimulation pour les écoles environnantes et une plus grande satisfaction des enseignants qui accueillent ces élèves dans le cursus ultérieur.

1.4.   Certaines pédagogies alternatives apportent en outre une réponse aux difficultés de l’enseignement classique dans le cadre des innovations (Reuter, dir.2011) et des tentatives de «  remédiation  » aux échecs et au décrochage : écoles de la seconde chance ... Ces pédagogies sont aussi utilisées par des organismes de lutte contre l’illettrisme, en France avec ATD Quart-Monde ou dans le Tiers-Monde avec l’UNESCO ...

2. COMMENT EXPLIQUER CES EFFETS BÉNÉFIQUES ?

Ces pédagogies partagent un principe fondamental qui détermine les autres:

une centration totale et immédiate sur les apprentissages (et non d’abord sur la discipline). Cela s’articule à une confiance dans les possibilités des élèves (éducabilité) et dans la puissance des dispositifs mis en place. Tout élève est capable d’apprendre pourvu que le milieu pédagogico-didactique soit favorable.

Je retiendrai ici huit principes qui étayent ce principe fondamental.

2.1.   La construction commune d’un projet (à réactualiser constamment) fait que les enseignants fonctionnent de manière identique et solidaire dans l’école et cela dans la durée. Cela engendre clarté, sentiment de justice...

2.2.   La mise en place d’un cadre de vie scolaire favorable aux apprentissages et au bien-être. Cela se caractérise notamment par un milieu riche (importance et variété des documents, des outils...), dynamique (constamment enrichi), approprié par les élèves (ils peuvent le modifier).

2.3.   La construction d’une communauté éducative incluant parents, intervenants ponctuels, membres du personnel, qui englobe ce cadre et favorise ses fonctionnements.

2.4.   La recherche constante d’un équilibre entre bienveillance et exigence. La bienveillance suppose, entre autres, l’accueil et le respect de chacun ; le souci d’un vécu positif :

absence d’humiliations et de souffrances ajoutées (les élèves peuvent boire, bouger, parler...) et valorisations ; les élèves ne sont pas réduits à l’impuissance : autonomie, construction des règles; droits inscrits dans le règlement intérieur ; contrôle collectif par les conseils ; possibilité de travailler sur les questions qu’on se pose ; espaces de parole... fonctionnements disciplinaires qui engendrent un vécu positif (Reuter, dir.2016). Mais en même temps, il s’agit de maintenir de la volonté de ne pas baisser les exigences et de pousser les élèves toujours plus loin (voir les défis).

2.5.   Tout faire pour clarifier la vie scolaire : les règles, les modes de travail, les apprentissages, les contenus, les disciplines (Cohen-Azria, Lahanier-Reuter, Reuter, dir. 2013) que ce soit avec les élèves, dans la classe et hors de la classe (la cour, les couloirs, les toilettes...), avec les parents (information et implication) ou encore avec le personnel de service...

2.6.   Chercher incessamment comment favoriser les démarches d’apprentissage autour de quelques principes essentiels : personne ne peut apprendre à la place du sujet ; les apprentissages ne sont ni identiques pour tous, ni univoques pour tous les contenus, ni linéaires; les apprentissages se fondent sur du déjà-là.

Ici encore, il s’agit : de construire la classe comme une communauté d’apprentissage autour de la coopération et des systèmes d’aides ; de sécuriser les apprentissages (statut de l’erreur - Reuter, 2013 -; tout faire pour faciliter la compréhension); de respecter la possibilité de démarches différentes : dans les modalités de travail, dans les questionnements, dans les variations de rôles (l’élève peut être, professeur, conférencier, critique, évaluateur...), dans le temps donné ; de construire des passerelles et non des fossés en partant du déjà-là et en articulant extrascolaire/ scolaire via les questions des élèves , les représentations, les valeurs, les pratiques  ; de modifier l’évaluation afin qu’elle étaye les apprentissages : bienveillance; clarté des annotations; prise de risques possible ; coconstruction des critères ; d’articuler production et distance réflexive : on apprend en faisant, par ce que l’on fait, parce qu’on fait... et en construisant une distance réflexive pour formaliser, anticiper, évaluer ; de rendre lisibles les histoires des apprentissages : savoir d’où on vient et où on va ...

2.7.   Faire en sorte que la vie à l’école soit une « vraie » vie, plaisante, et non un temps d’attente, d’ennui, de simulacre...en accentuant donc les dimensions de l’expression/ autorisation (les élèves peuvent dire et se dire dans la classe et dans l’école) et de l’implication/ investissement: projets, chefs d’œuvre, socialisation des productions...

2.8.   Cela implique un fonctionnement différent des maitres : investir la puissance de la pédagogie, des situations et des dispositifs ; penser l’enseignement plutôt comme

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60 - LES GRANDES CONFÉRENCES

condition que comme guide des apprentissages ; porter une attention extrême aux apprentissages des élèves ; réfléchir aux configurations disciplinaires possibles pour chaque discipline en fonction des élèves ; travailler plus collectivement avec une solidarité sur des principes et des projets élaborés en commun.

3. DE QUELQUES PROBLÈMES À NE PAS SOUS-ESTIMER

Il n’en demeure pas moins vrai que nombre d’obstacles existent que je cite ici en vrac, faute d’espace suffisant pour les développer : les changements de politiques et les réformes incessantes ; les débats idéologiques et le poids des lobbys ; les logiques de travail différentes ; le recrutement et la formation insuffisante des maitres ; une réflexion sur les contenus disciplinaires parfois sous-estimée au profit du vivre ensemble; l’absence de solution miracle qui nécessite de penser les limites et de se garder du militantisme ; la gestion des parents....

QUELQUES RÉFÉRENCESCohen-Azria, Cora, Lahanier - Reuter Dominique, Reuter Yves, dir. (2013) : Conscience disciplinaire. Les représentations de disciplines à la fin de l’école primaire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.Reuter Yves, dir. (2007) : Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire, Paris, L’Harmattan.Reuter Yves, dir. (2011) : Les expérimentations liées à l’article 34 de la loi d’orientation et de programme pour l’école de 2005, Rapport remis au Haut Conseil de l’Education le 27 juin.Yves Reuter (2013) : Panser l’erreur. De l’erreur au dysfonctionnement, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.Reuter Yves, dir. (2013) : Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, Bruxelles, De Boeck, 3eme édition.Reuter Yves, dir. (2016) : Vivre les disciplines scolaires. Vécu disciplinaire et décrochage à l’école, Paris, ESF.Francis Ruellan (2000) : Un mode de travail didactique pour l’enseignement-apprentissage de l’écriture au cycle 3 de l’enseignement primaire, Thèse de doctorat, Université Charles de Gaulle – Lille III. Thèse reproduite à L’ANRT.

LE MOUVEMENT D’ÉDUCATION NOUVELLE : TENSIONS ET CONTROVERSES

Elsa RolandDocteur en sciences de l’éducation, ULB

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Depuis plusieurs années, le mouvement d’Éducation Nouvelle est au cœur d’une nouvelle actualité en Belgique et plus spécifiquement à Bruxelles : les nouvelles écoles se multiplient et des réformateurs comme Decroly, Montessori et Freinet sont remis au goût du jour. Si les écoles dites à « pédagogie active » ou le mouvement « d’éducation nouvelle » sont souvent présentés comme appartenant à un mouvement uniforme, dans les écrits des fondateurs, il y a de fortes tensions internes (politiques, épistémologiques mais aussi par rapport aux formes de pastoralité).

Afin de questionner les controverses et les tensions de ces expériences minoritaires dans leur histoire, notre exposé se déroule en deux temps :

•   dans un premier temps, nous analysons la recherche des continuités et des discontinuités entre le mouvement d’éducation nouvelle et l’histoire longue de l’école en Occident à partir d’un exposé théorique sur les métamorphoses et la normalisation de l’institution scolaire du XIVème au XXème siècle en nous appuyant sur les écrits de Michel Foucault et sur notre thèse de doctorat.1 Nous interrogeons l’histoire des évidences qui influencent notre langage, nos catégories de pensée et notre manière d’aborder les problèmes éducatifs d’aujourd’hui grâce à la généalogie foucaldienne.

•   dans un deuxième temps, nous nous intéressons à la recherche des continuités et des discontinuités au sein du mouvement d’« éducation nouvelle » au début du XXème siècle, à partir des écrits et des expériences pédagogiques de Decroly et de Korczak.

Pour développer cet exposé, nous avons identifié deux hypothèses auxquelles nous allons tenter de répondre :

A.   Là où des expériences sont identifiées comme “alternatives” par l’historiographie pédagogique, elles présentent de nombreuses continuités par rapport aux écoles « traditionnelles » et à l’histoire longue de l’institution scolaire en Occident.

B.   Inversement, il nous semble exister (surtout dans les expériences aujourd’hui disqualifiées) des discontinuités là où certaines analyses de l’époque ou même actuelles décrivent un même type de continuité.

1 Elsa Roland, « Généalogie des dispositifs éducatifs en Belgique du XIVe au XXème siècle. Disciplinarisation et biopolitique de l’enfance : des grands schémas de la pédagogie à la science de l’éducation » (Promoteur : J-L Wolfs, co-promoteur: S. Kahn). Défendue à l’Université libre de Bruxelles en septembre 2017.

1. CONTINUITÉS ET DISCONTINUITÉS ENTRE LE MOUVEMENT ÉDUCATION NOUVELLE ET L’HISTOIRE SCOLAIRE

L’enfant n’a pas toujours été l’être physiologique et psychologique en développement ou l’être scolaire à protéger. L’école n’a pas toujours été un lieu fermé sous la responsabilité d’un ou plusieurs maitres adultes savants, tenus par un programme et des méthodes adaptés à chaque classe d’âge. Et la famille n’a pas toujours été un espace fermé sur lui-même où la femme est « traditionnellement » responsable de la maison et des enfants.

Jusqu’à il y a deux siècles à peine, l’enfant était encore dans certains milieux, l’infans : celui qui ne sait pas parler. Il était ensuite un petit adulte en réduction participant à l’appareil de production et à la vie adulte. L’enseignant, quant à lui, était un artiste, sans méthode, se basant sur sa propre expérience et/ou la tradition pour apprendre aux élèves un ensemble de savoirs et de pratiques qui lui seyait bien. Et l’école, un ensemble de lieux hétéroclites qui n’avait parfois que très peu en commun avec nos institutions actuelles (tenues parfois par d’anciens forçats ou épileptiques dont l’exemple pouvait mettre des classes entières en transe).

Enfin, jusqu’à la deuxième moitié du XIXème siècle, les notions d’intelligence ou de développement, telles que nous les connaissons aujourd’hui, n’existaient pas.

Selon Foucault (1975, 2004), l’apprentissage, l’école, la famille et l’enfance ont progressivement été « colonisés » du 14ème au 19ème siècle en Occident par une nouvelle organisation de l’apprentissage qui apparait en 1340 dans les écoles des Frères de la Vie Commune, qui marquera profondément notre organisation scolaire actuelle par un ensemble de caractéristiques que l’on nommera aujourd’hui dans le jargon académique : la forme scolaire ou la « grammar of schooling » mais que Foucault désigne à l’époque comme les « grands schémas de la pédagogie » et qui sont selon lui profondément marqués par le pastorat chrétien dans le sens qu’elles lient l’apprentissage, l’éducation et l’instruction avec des rapports individuels de moralisation; de dépendance intégrale et d’obéissance pure, ainsi qu’une surveillance et une prise en charge constante de la vie quotidienne (matérielle, physique et psychique).

Qu’est-ce que cette forme scolaire ou ces grands schémas de la pédagogie selon Foucault?

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1.   Au Moyen Âge, alors que le milieu universitaire était profondément intriqué au milieu ambiant et plus particulièrement aux classes populaires, les Frères de la Vie Commune reprennent le principe ascétique de la vie claustrale et l’introduisent dans leurs écoles. Ce que l’on nomme aujourd’hui : la clôture scolaire, c’est-à-dire l’idée que «  c’est à l’intérieur d’un espace fermé, dans un milieu clos sur lui-même, et avec le minimum de rapports avec le monde extérieur, que l’exercice pédagogique doit s’accomplir ».

2.   Ils reprennent également du pastorat chrétien, la nécessité d’une direction constante de la jeunesse dans cet espace fermé : «  un guide, un protecteur, qui prend sur lui la responsabilité de la démarche de celui qui est en train de commencer son propre cheminement ; et qui, pour ce faire, a perpétuellement l’œil ouvert sur les progrès ou, au contraire, sur les chutes ou les fautes de celui qui commence l’exercice  ». Là encore, «  l’innovation est totale par rapport à la pédagogie universitaire du Moyen Âge ».

3.   Enfin, les Frères de la Vie Commune inaugurent l’idée d’un « programme » scolaire qui suit l’enfant jusqu’au terme de son éducation. Programme qui implique, d’année en année, de mois en mois, des exercices de complexité croissante, l’organisation des jeunes en classes de niveaux

différents et le passage d’une classe à l’autre conditionné par la réussite d’un examen.

4.   Dans cette organisation de l’apprentissage, le sens de l’exercice se transforme: alors qu’il était une manière d’ordonner le temps d’ici-bas à la conquête du salut sous sa forme mystique ou ascétique, les Frères vont inverser son sens. L’exercice, devenu élément dans une technologie politique du corps et de la durée, ne culmine plus vers un au-delà mais au contraire : « le thème d’une perfection vers laquelle guide le maître exemplaire, propre aux techniques spirituelles, va devenir dans l’école à partir des Frères de la Vie Commune, celui d’un perfectionnement autoritaire des élèves par le professeur  » (Foucault, 1975 : 163). En outre, en imposant aux corps des tâches à la fois répétitives et graduées, l’exercice ainsi introduit dans le principe pédagogique va permettre une perpétuelle caractérisation de l’individu, par rapport aux autres individus et par rapport à un type de parcours. Il assure, dès lors, dans la forme de la continuité et de la contrainte, une croissance, une observation, une qualification.

Parce que ces dispositifs ou ces rapports permettent de rendre tous les individus utilisables, en rendant possible le cumul des forces mais aussi du temps (temps de travail, d’apprentissage, de perfectionnement, d’acquisition des savoirs et des aptitudes), les dispositifs

des Frères de la vie commune inaugurent quelque chose de nouveau qui, par la suite, sera relayé non seulement par d’autres grands ordres pédagogiques tels que les Jésuites, les Frères des Écoles Chrétiennes au XVIème, puis par les institutions éducatives d’État pour constituer aujourd’hui la norme de nos institutions d’éducation et d’instruction, mais aussi par d’autres institutions.

Ainsi, à partir du XVIème siècle et tout au long du XVIIIème et du XIXème surtout, les pratiques des Frères de la Vie Commune vont être reprises et amplifiées dans divers établissements scolaires pour augmenter les prises du pouvoir, permettre une hiérarchisation de plus en plus précise et contrôlée, qui pénètre profondément au cœur de l’individualité des acteurs au sein de l’institution scolaire.

Enfin, les différents dispositifs sont repris et étendus à d’autres institutions : les prisons, les hôpitaux, l’appareil de production, l’armée, la famille, les savoirs, etc., comme si elles tendaient à couvrir le corps social tout entier pour devenir, selon Foucault, l’une des grandes formules de domination au XVIIIème siècle : ce qu’il nomme la société disciplinaire.

Le pastorat chrétien, qui avait connu une crise durant le Moyen Âge, va ainsi se trouver intensifié, à partir du XVIème siècle, jusqu’à former une forme de gouvernementalité: un art de gouverner basé sur une pratique politique calculée et réfléchie, dont l’entrée en politique marque à la fin des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, le seuil de l’État moderne.

Selon Foucault, il existe ainsi des rapports entre l’explosion des techniques pédagogiques à partir du XVIème siècle et l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernementalité (spécifique à la conjoncture des mouvements de Réforme, de Contre-Réforme mais aussi de la constitution de l’Etat-moderne, etc) qui se caractérisent notamment par :

• Une continuité des formes de gouvernement: de la monarchie administrative à la famille, en passant par l’école, les hôpitaux, etc.• Une surdétermination du problème pédagogique et de la spécificité de l’enfance.• Et l’émergence du processus d’«  éducationalisation  » (Depaepe), c’est-à-dire la définition progressive des pratiques quotidiennes (au départ non éducationnelles) en termes d’apprentissage, d’acquisition de compétences, de niveau à atteindre, de difficulté d’apprentissage, etc. qui nécessitent la direction d’un contrôle éducatif (Smeyers, 2009 : 113).

Avant d’aborder plus spécifiquement les continuités entre cette nouvelle organisation

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de l’apprentissage et de la société qui a «  colonisé  » la jeunesse en Occident du XIVème siècle jusqu’à nos jours et ce que l’on nomme le mouvement d’éducation nouvelle, il nous faut faire un dernier détour par la présentation d’une grande métamorphose qui a caractérisé l’ensemble des sociétés occidentales à partir de la fin du XVIIIème siècle et sans laquelle il n’est pas possible de comprendre des mouvements éducatifs contemporains comme ceux de l’éducation nouvelle ou de la pédagogie active.

De par la reprise par les différentes institutions des dispositifs des Frères et de par l’appareil d’écriture qui les accompagnent (les rapports écrits par ces différentes institutions sur les comportements quotidiens, individuels et sociaux), sont produits de nouveaux savoirs par l’apparition des régularités là où on ne voyait que des phénomènes accidentels, aléatoires qui permettent la construction de l’objet Population et de ce qu’on nomme aujourd’hui la Nature.

Avec la production de ces nouveaux savoirs sur la population, les premiers économistes, les physiocrates, commencent à revendiquer une nouvelle gouvernementalité qui doit se brancher sur la « réalité » ou la « nature ». La forme de gouvernementalité qui avait mis tant de temps à se mettre en place à partir du XVIème siècle commence progressivement à être recouverte par une nouvelle forme de gouvernementalité : le libéralisme (dont

les lignes fondamentales sont encore celle de notre gouvernementalité moderne et contemporaine nous dit Foucault).

Au lieu de penser les hommes comme des sujets de droit capables d’actions volontaires, comme dans la souveraineté, ou comme des corps capables de performances comme avec la discipline, ils ne vont plus être pensés que comme une population, entendue comme un ensemble de processus naturels que l’on ne peut changer ni par décret ni par l’obéissance, mais qu’il faut gérer dans ce qu’ils ont de naturel.

Il ne s’agit plus seulement de disciplinariser l’espace, c’est-à-dire de tout diviser en termes binaires, mais d’aménager un milieu afin de laisser la « nature faire ».

Enfin, alors que dans l’ancien système de souveraineté, ce sont des rapports juridiques et économiques qui obligeaient le souverain à protéger ses sujets, avec la rationalité libérale, c’est désormais la question du danger qui deviendra centrale pour arbitrer la liberté et la sécurité des individus.

Cependant, ce n’est pas parce qu’on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernementalité libérale que la discipline disparaît. Au contraire, la discipline n’aura jamais été plus importante et plus valorisée qu’à partir du moment où on a essayé de gérer la population.

Par exemple, au niveau de l’enseignement, au moment de la fondation de la Belgique – pays libéral par excellence - et tout au long du XIXème, c’est surtout la disciplinarisation des pratiques pédagogiques qui sera au centre des débats. Malgré les différentes initiatives des congrégations religieuses puis des écoles d’Etat, c’est seulement à partir de la deuxième moitié du XIXème que la normalisation des méthodes commence à avoir des effets : les techniques disciplinaires commencent à s’imposer massivement dans les différentes institutions scolaires et les méthodes concurrentes comme celles de Jacotot ou de l’école mutuelle – deux méthodes révolutionnaires qui connurent un grand succès au début du XIXème siècle pour être considérée même comme concurrentes aux méthodes des Frères au sein même des Parlements - sont définitivement disqualifiées.

NB : Je ne vous parlerai pas dans cette présentation de ces deux méthodes - à grand regret. Je vous conseille tout de même vivement la lecture de l’ouvrage de Rancière sur le « maitre ignorant » et celui de Querrien sur l’ « école mutuelle » pour mieux saisir le nombre de possibles pour penser une autre école aujourd’hui.

C’est seulement à partir de la 2ème moitié du XIXème à Bruxelles qu’apparait véritablement ce que l’on pourrait nommer la «  pédagogie libérale  ». On assiste alors à une progressive disqualification de l’empirisme au nom des méthodes positives qui respectent la

« nature » de l’enfant - «  il existe des lois organiques à respecter qui ne dépendent plus de l’habilité des enseignants mais des nouveaux savoirs psychologiques sur l’enfance  » -, de même qu’à une disqualification de la philosophie par la biologie et la physiologie pour penser l’éducation, l’instruction et l’enfance. Apparait alors non plus des méthodes mais LA MÉTHODE. Celle produite scientifiquement, respectueuse des procédés de l’éducation dite naturelle de la première enfance. L’instituteur, nouveau pasteur libéral de l’enfant (qui doit remplacer le père de famille défaillant) est progressivement dépossédé de ses savoirs. D’artiste, il devient technicien de l’apprentissage.

La biopolitique

«  L’homme occidental apprend peu à peu ce que c’est d’être une espèce vivante dans un monde vivant, d’avoir un corps, des conditions d’existence, des probabilités de vie, une santé individuelle et collective, des forces qu’on peut modifier et un espace où l’on peut les répartir de façon optimale » (La Volonté de Savoir, p. 187). La norme ne va donc plus être déterminée a priori et dans une logique binaire (bien/mal) comme avec les techniques disciplinaires. La norme correspond désormais à la moyenne et aux différentes distributions statistiques produites par les nouvelles disciplines scientifiques.

Dès lors, la Belgique verra une explosion des institutions médico-pédagogiques

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de prévention autour de l’enfant, du nouveau-né et de la mère à partir de l’action de quelques médecins (dont Ovide Decroly) au nom de la « protection de l’enfance ».

2. COMPARAISON DE DIFFÉRENTES EXPÉRIENCES D’ÉDUCATION NOUVELLE AU TOURNANT DU XXÈME SIÈCLE

A. Ovide Decroly

Ovide Decroly naît le 23 juillet 1871 à Renaix dans un milieu bourgeois. Il suit des études de médecine et effectue un séjour en Allemagne où il se spécialise dans l’histologie du cerveau et dans la psychiatrie (où rapidement il s’intéresse à l’enfance anormale).

Engagé dans le mouvement de «  protection de l’enfance  », il fonde en 1901 un internat d’enseignement spécial (pour les enfants «  anormaux  » de la bourgeoisie) : le « Laboratoire du Docteur Decroly ». Puis en 1907, il crée son école de l’Ermitage (pour les enfants « normaux »).

Engagé dans le mouvement d’éducation nouvelle, il reste surtout l’un des premiers médecins et psychologues de l’enfant à Bruxelles d’où son implication dans la constitution de la pédologie, de la science de l’éducation et de la psychologie de l’enfant, dans la diffusion des tests

d’intelligence aux USA mais aussi dans une société comme la société eugénique belge.

Decroly et l’enfance « anormale »

•   Problème physiologique: son infériorité mentale créant des insuffisances au niveau de son jugement et de sa volonté, il est incapable de réfréner la sollicitation de ses instincts ou du milieu.•   Problème patriotique: L’enfant anormal, victime de son milieu, ne peut être considéré comme « responsable », mais comme un « malade » ou un « ennemi intérieur » que la société doit réadapter pour défendre la société contre la dégénérescence de l’espèce qui la guette. •   Perspective utilitariste: les déchets humains doivent être récupérés, recyclés pour être adaptés à l’appareil de production.

Conception de l’enfance chez Decroly (et chez les promoteurs de la science de l’éducation à Bruxelles)

Au nom de la « protection de l’enfance », pour un ensemble de pédagogues et médecins, il fallait favoriser la transformation de l’enfance de l’être souverain à l’être-sous-développé :

•   L’enfant étant incapable de volonté, son droit à l’éducation n’est pas un droit souverain, mais une nécessité pour la société.•   « L’enfant n’est pas à lui ». L’enfant est

soumis à l’hérédité.•   Les «  mauvaises habitudes  » d’antan deviennent des problèmes d’inhibition (neurocognitifs) innés ou acquis qui définissent l’enfant.

Decroly et l’intelligence

Au XIXème siècle, l’intelligence est liée à la question de l’instruction : on était ignorant parce que dépourvu d’instruction, de savoirs scolaires. L’égalité d’instruction est à même d’amener à une sorte d’égalité des intelligences.

Chez Decroly, le classement naturel des intelligences est vu comme une loi de la nature : hiérarchisation naturelle des intelligences ; nécessité d’une convergence entre les aptitudes biologiques innées et les aptitudes sociales ; naturalisation des rapports de domination. Dans le grand continuum de l’espèce humaine, l’intelligence différenciée en fonction des individus devient un instrument de ségrégation qui ne se veut plus politique ou social (bien qu’il recouvre ces champs) mais qui répond au principe productiviste du « right man at the right place ».

L’enfant devient une intelligence psycho-physiologique qui se déploie dans sa diversité et de manière différenciée : un capital en soi à faire fructifier à partir de l’aménagement d’un milieu adapté à sa « nature ».

Les dispositifs pédagogiques défendus par Decroly

On assistera à une dualité entre la pédagogie libérale pour les enfants de la bourgeoisie contre des techniques disciplinaires pour les enfants des classes populaires : « l’éducation doit tendre, non pas comme on le pense généralement, à faire de tous les hommes des semblables (...), mais à les rendre capables de production, à les mettre à même de fournir un rendement proportionnel à leurs ressources physiques et intellectuelles ».

Dans les deux cas, cela sera une pérennité des grands schémas de la pédagogie :

•   l’enfance n’est plus protégée du monde adulte par des murs mais par la constitution d’un milieu adapté à son développement ; •   la progressivité de l’apprentissage est légitimée par la biologie et la psychologie (qui avec ses stades de développement, la naturalise) ;•   l’enseignant n’est plus seulement responsable de l’instruction mais de l’entièreté du développement : il devient l’hygiéniste qui prend sur lui la normalité de l’enfant.

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70 - LES GRANDES CONFÉRENCES 71 - LES GRANDES CONFÉRENCES

B. Janusz Korczak

Henrik Goldsmit2 naît en 1896 dans une famille bourgeoise juive assimilée. Il fait des études de médecine (médecin pendant la guerre) et fonde deux orphelinats, de 1931 à 1942 en autogestion. Avec l’occupation nazie, l’orphelinat juif est transféré au sein du ghetto de Varsovie. Le 4 aout 1942, il est déporté avec les enfants vers le camp de Treblinka au nord de Varsovie.

Conception de l’enfance chez Korczak

• L’enfant n’est pas un être inférieur mais un être souverain dominé par les adultes;• Korczak est contre la « protection de l’enfance » mais pour les « droits de l’enfant »;• Selon lui, l’enfant a le droit au respect: le « droit d’être lui-même ».

Les dispositifs pédagogiques de Korczak

L’enfance ne se cloisonne pas, le monde qui l’entoure non plus. Dès lors, il ne doit pas y avoir de clôture scolaire; pas de classification (par niveau ou en fonction de la normalité). Il n’y a pas de surveillance hiérarchique ou de rapport d’obéissance pure mais plutôt l’instauration démocratique de lois identiques pour tous. Contre un ordre moral (disciplinaire) ou scientifique (biopolitique), il faut une défense de rapports éthiques entièrement dévolus à la justice, à l’égalité et à la collégialité.

L’éducateur chez Korczak

L’éducateur n’est pas un pasteur. Il n’a pas à constituer un savoir d’observation de la vie quotidienne, ni à faire entrer dans l’intériorité des enfants les principes de l’obéissance. Il n’est, cela dit, pas opposé à l’utilisation de moyens provenant de la “pharmacie de l’éducation”. Mais il refuse de pénétrer dans la vie intérieure de l’enfant, de la changer et d’en faire ce qui nous paraît être le mieux pour lui : « Il faut que chaque enfant suive son propre chemin, même quand il nous fait peur. Nous devons même apprendre à vivre avec une certaine angoisse afin de laisser vivre l’enfant (…). Ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent, ils le savent mieux que nous ». KORCZAK

3. CONCLUSION

Il ne s’agissait pas ici de poser un jugement sur les pédagogies mais plutôt d’interroger les évidences qui habitent notre quotidien comme praticien de l’éducation, lorsqu’on veut faire l’école autrement.

2 Henrik Goldsmit est passé à la postérité sous le nom de Janusz Korczak.

Qu’est-ce qu’un enfant?

Un être inférieur moralement à dominer et à protéger? Un être physio-psycho-sociologique dont les sciences humaines nous dictent les lois « naturelles » afin qu’il soit « adapté à son milieu » ? Ou un être souverain à respecter et à instruire de ses droits?

Qu’est-ce qu’une école?

Une clôture scolaire, une progressivité des apprentissages, des classifications par niveau et par âge et un guide constant qui prend sur lui les erreurs et les fautes des élèves? Des lois de la « nature » sur l’enfance et l’apprentissage que seuls les experts peuvent connaître et qu’il s’agit simplement d’appliquer pour répondre au principe du « right man at the right place »? Ou alors un lieu ou une communauté pour repenser collectivement et démocratiquement, armés des outils des traditions et des sciences, nos rapports éthiques et quotidiens face à l’enfant, l’apprentissage et même le savoir ?

Il importe de prendre cette distance critique pour ne pas, malgré nous, dans nos pratiques et dans nos rapports, alimenter des rapports de domination notamment entre l’adulte et l’enfant, le maître et l’élève, le savant et l’ignorant, la famille et l’administration, le normal et l’anormal, l’adapté et l’inadapté, le développé et le sous-développé.

BIBLIOGRAPHIE :Ariès, P. (2014). L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime. Paris: Editions du Seuil.Audureau, J. P. (2003). Assujettissement et subjectivation: réflexions sur l’usage de Foucault en éducation. Revue française de pédagogie, (143). 17-29.Becchi, E. & Dominique, J. (1998). Histoire de l’enfance en Occident. Paris : Edition du Seuil.Boon, H. (1969). Enseignement primaire et alphabétisation dans l’agglomération bruxelloise de 1830 à 1879. Louvain: Publications universitaires de Louvain.Decroly, O. & Waxweiler, E. (1910). Comment agit le milieu social dans les bas-fonds des grandes villes ? Archives de Sociologie, (12). Archives de l’Université libre de Bruxelles.Decroly, O. (1907). Notes d’hygiène scolaire. Polyclinique, (3). 49-53.Decroly, O. & Renault, P. (1921b). L’enfance malheureuse. Ce que nous devons faire pour elle. Les réformes réalisées. Bruxelles : Office de Publicité. Decroly, O. & Buyse, R. (1923). Les applications américaines de la psychologie à l’organisation humaine et à l’éducation. Bruxelles : Maurice Lamertin.Decroly, O. & Buyse, R. (1928). La pratique des tests mentaux. Paris : Alcan. Decroly, O. & Buyse, R. (1929). Introduction à la pédagogie quantitative: Éléments de statistique appliqués aux problèmes pédagogiques. Bruxelles : Maurice Lamertin.Foucault, M. (1975). Surveiller et Punir. Naissance de la prison. Paris: Gallimard.Foucault, M. (1986). Omnes et singulatim : Vers une critique de la raison politique. Le Débat, 41 (4). 5-36. [en ligne] doi:10.3917/deba.041.0005, consulté le 27 juin 2016.Foucault, M. (1997). Il faut défendre la société: Cours au collège de france, 1975-1976. Paris: Gallimard.Foucault, M. (1999). Les Anormaux, Cours au Collège de France, 1974-1975. Paris: Gallimard.Foucault, M. (2001). Dits et écrits 1. 1954-1975. Paris: Gallimard (coll. Quarto).Foucault, M. (2001b). Dits et écrits 2. 1976-1988. Paris: Gallimard (coll. Quarto).Foucault, M. (2003). Le pouvoir psychiatrique: Cours au collège de france (1973-1974). Paris: Seuil.Foucault, M. (2004a). Sécurité, territoire, population: Cours au Collège de France (1977-1978). Paris: Gallimard.Foucault, M. (2004b). Naissance de la biopolitique: Cours au Collège de France (1978-1979). Paris: Gallimard.Grootaers, D. (Ed.). (1998). Histoire de l’enseignement en Belgique. Bruxelles : Centre de recherche et d’information socio-politiques.Korczak, J. (2000). Journal du ghetto. Paris: Editions 10/18.Korczak, J. (1979). Le droit de l’enfant au respect. Paris: Robert Laffont.Smeyers, P. & Depaepe, M. (2008). Educational research: The educationalization of social problems. Dordrecht: Springer Netherlands.Van Gorp, A. (2005b). From special to new education: the biological, psychological, and sociological foundations of Ovide Decroly’s educational work (1871–1932). History of Education, 34 (2). 135-150.

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73 - LES GRANDES CONFÉRENCES

SOUS QUELLES CONDITIONS LES PÉDAGOGIES ACTIVES PERMETTENT-ELLES DE MIEUX APPRENDRE ?

André Tricot Laboratoire CLLE, CNRS et Université de Toulouse, FranceEcole Supérieure du Professorat et de l’Education de Toulouse

En 2013, Kirschner et van Merrienboer ont recensé quelques légendes urbaines en éducation : les digital natives, les styles d’apprentissages, les apprentissages en autonomie. Après l’article de Kirschner et van Merrienboer, nous avons mis en œuvre la même approche à propos de quelques mythes liés à l’innovation pédagogique (Tricot, 2017).

FAIRE MANIPULER PERMET DE MIEUX FAIRE APPRENDRE

Cette idée centrale, n’est pas si nouvelle. Déjà Platon, dans le Ménon, disait : « Dis-nous Socrate qu’est-ce qui est enseignable (didakton), ou pas enseignable mais cultivable par l’exercice (askèton), ou ni cultivable par l’exercice, ni apprenable (mathèton), mais échoit aux hommes par nature ou de quelque autre manière ? ». Depuis Platon, nombreux ont essayé de répondre à cette question, en opposant apprentissage par enseignement et par la pratique, ou en ne les opposant pas (Pestalozzi, Dewey, Montessori, etc.).

Cette idée repose souvent sur la confusion entre l’action au sens physique (la manipulation d’objets, le mouvement) et l’activité au sens cognitif du terme : pour apprendre, les élèves ont besoin d’être actifs au plan cognitif, pas nécessairement au plan physique ; mais aussi sur la confusion entre l’action comme moyen d’apprendre et l’action comme but de l’apprentissage. Par exemple, en sciences on peut utiliser la manipulation pour apprendre à faire

quelque chose (une mesure par exemple) ou comme moyen d’apprendre autre chose (un concept scientifique). En philosophie, « rédiger une dissertation » peut constituer le but de l’activité, ou un moyen d’étudier une notion philosophique. Ces confusions ont conduit à une conclusion erronée : pour apprendre à faire quelque chose il faut et il suffit de le faire.

Bref, faire manipuler les élèves n’est pas innovant. C’est surtout pertinent pour apprendre un savoir-faire, notamment moteur. Mais on apprend mieux à faire quelque chose quand on comprend ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Quand l’objectif est de comprendre, d’élaborer une connaissance notionnelle, alors ce n’est pas tant le fait de manipuler qui est important : c’est le fait d’être actif cognitivement, de réfléchir, de se poser des questions, de faire des hypothèses. Faire manipuler ou agir les élèves représente un coût cognitif. Un moyen de réduire le coût cognitif est d’avoir des connaissances dans le domaine. Certaines tâches scolaires sont particulièrement exigeantes : il est sans doute nécessaire de les enseigner. Sinon l’apprentissage par l’action devient un obstacle à l’apprentissage, ou une pédagogie pour bons élèves.

LES ÉLÈVES APPRENNENT MIEUX QUAND ILS DÉCOUVRENT PAR EUX-MÊMES

Cette idée centrale, n’est pas si nouvelle

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74 - LES GRANDES CONFÉRENCES 75 - LES GRANDES CONFÉRENCES

non plus : on la trouve chez Socrate, Rabelais, Montaigne et bien sûr Rousseau. C’est idée est tellement puissante qu’elle fonctionne même avec les animaux ! On sait depuis longtemps que si vous placez un rat à l’entrée d’un labyrinthe et de la nourriture à la sortie du labyrinthe, le rat trouvera plus rapidement la nourriture s’il est guidé (un seul chemin possible dans le labyrinthe) que s’il ne l’est pas (plusieurs chemins possibles). Mais dans un nouveau labyrinthe, le rat qui a « appris » sans guidage saura se débrouiller. Le rat guidé, lui, sera perdu. Seul celui qui a « découvert » par lui-même aura appris.

Les apprentissages par découverte ont eu un grand succès dans l’enseignement des sciences notamment. Les avantages supposés sont divers : apprentissage de la «  vraie  » science, de la pratique scientifique, de la démarche scientifique, du questionnement, du raisonnement, de la capacité à critiquer, de l’autonomie, etc. Pour autant, les fondements théoriques sont assez flous est divers  : parfois le constructivisme piagétien est mobilisé (alors que celui-ci ne porte pas sur les apprentissages scolaires), parfois c’est l’apprentissage par la pratique. Les travaux scientifiques dans le domaine montrent généralement que les apprentissages par découverte ont été poussés trop loin, laissant certains élèves se perdre, faire face à des situations trop complexes. On a parfois confondu le but (apprendre la démarche d’investigation) et le moyen (apprendre par la démarche d’investigation). On est très proche du mythe d’« apprendre

par soi-même  » et des dangers d’une surcharge cognitive (Kirschner, Sweller & Clark, 2006). Par exemple, la méta-analyse de Furtak et al. (2012) montre qu’enseigner la démarche d’investigation a un effet positif sur l’apprentissage de la démarche d’investigation. Mais que la démarche d’investigation comme moyen d’apprendre a un effet positif s’il y a une focalisation explicite sur les aspects épistémologiques, sociaux et procéduraux de la démarche d’investigation. La méta-analyse de Lazonder et Harmsen (2016) souligne l’importance des guidages qui contraignent le processus d’investigation, qui étayent et expliquent.

En bref, comme moyen d’apprendre des connaissances en sciences, la démarche d’investigation est efficace si et seulement si elle est guidée. Quand un élève découvre par lui-même la solution d’un problème et qu’il identifie clairement quelle connaissance lui a permis de résoudre le problème, alors il apprend. Cependant, pour un enseignant, cette situation idéale est bien loin d’être aisée à concevoir. De nombreuses raisons peuvent conduire à l’échec de la situation : l’élève ne trouve pas la solution, les efforts cognitifs à fournir sont trop importants, le temps nécessaire à la résolution est trop long, l’élève n’identifie pas la connaissance qui lui a permis de résoudre le problème, cette dernière ne correspond pas à l’apprentissage visé, l’enseignant ou le pair ne parvient pas à aider l’élève en difficulté pendant la résolution du problème, l’élève ne parvient pas à demander de l’aide de

façon pertinente. Pour toutes ces raisons, le fait d’expliquer la solution du problème à l’élève, de lui proposer une tâche où il doit comprendre la solution et/ou l’expliquer à un pair semble constituer une voie vraiment porteuse.

LA PÉDAGOGIE PAR PROJET

Une idée un peu plus nouvelle ? Depuis le XVe siècle, le chef d’œuvre des compagnons du devoir à la fin de leur formation relève en quelques sortes de la pédagogie par projet. Mais c’est surtout au début du XVIIIe siècle avec le « projet de fin d’études » de l’Académie royale d’architecture en France qu’elle s’affirme. William Kilpatrick est souvent cité aux Etats-Unis comme l’inventeur de la pédagogie par projet. Pourtant il écrit : « Le mot projet est peut-être le dernier arrivé qui frappe à la porte du jargon pédagogique. Mais : qu’est-ce qu’il y a derrière ce terme et est-ce qu’il s’agit d’une notion ou d’un concept valable qui peut rendre service à la pensée éducative ? Le terme « projet » désigne-t-il correctement ce concept ? ». Sa réponse est dubitative. Kilpatrick a pris conscience à la fin des années 1920 que la pédagogie par projet n’était pas une méthode mais une « philosophie personnelle » de l’enseignement. Comme il le disait déjà en 1918, « acte délibéré » ou « mise en activité » pourrait mieux désigner cette « philosophie personnelle ».

Pourtant, cette idée s’est progressivement développée pour devenir un incontournable des pédagogies actives. Le projet en pédagogie se caractérise par le fait qu’il vise un but difficile à atteindre ou non atteignable immédiatement (c’est donc un problème à résoudre). Ce but peut être assez vague ou non spécifié, il est présenté sous la forme d’un défi ou d’un thème aux élèves, qui vont devoir élaborer eux-mêmes une formulation opérationnelle permettant de l’atteindre. Le projet est étalé dans le temps, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, il nécessite d’être planifié, organisé puis régulé. Il implique aussi de rechercher et de mobiliser des connaissances et des méthodes diverses, souvent issues de plusieurs disciplines. Il requiert souvent la participation de plusieurs élèves. Le but atteint, la production, est souvent visible : elle peut être présentée, montrée, argumentée, défendue et discutée.

Sans doute parce que cette idée pédagogique est assez large, utilisable dans des contextes très différents, qu’elle correspond à une mise en œuvre impliquant les élèves et leurs enseignants sur plusieurs semaines ou plusieurs mois ; elle est difficile à évaluer et a fait l’objet de très peu de recherches. Les quelques résultats très incomplets dont nous disposons semblent montrer que la pédagogie par projet permet d’engager les élèves et les étudiants dans des activités, et que leur perception a posteriori est très positive. Les projets sont aussi des situations d’apprentissage par enseignement très exigeantes qui peuvent générer des difficultés importantes

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76 - LES GRANDES CONFÉRENCES 77 - LES GRANDES CONFÉRENCES

(Romero, 2010) : difficultés à apprendre ensemble, à s’organiser, à se coordonner, à planifier, à gérer le temps du projet, à communiquer entre membres du groupe, notamment à distance, à utiliser les outils censés soutenir la réalisation du projet ; crainte de l’isolement et de la flexibilité temporelle ; manque de confiance à propos de l’expertise des coéquipiers ; inhibition, sentiment d’isolement ; frustration et anxiété dues au manque de feedback ; manque de repères temporels ; réticence à exprimer les difficultés aux enseignants.

Il est à peu près impossible de savoir si ces activités permettent de meilleurs apprentissages que d’autres, notamment parce que la pédagogie par projets est souvent utilisée dans des contextes où l’enjeu est aussi d’apprendre à conduire des projets, le but et le moyen ne faisant qu’un.

CONCLUSION

Enseigner est (aussi) un métier de la conception. Nous concevons des situations d’enseignement particulières. Pour cela nous avons besoin de connaissances et de méthodes. Les modes et les mythes pédagogiques nous font croire en l’existence de solutions standardisées. Les pédagogies actives – les apprentissages actifs sont des moyens d’engager cognitivement les élèves dans les apprentissages, à condition d’être pertinents pour les apprentissages visés (l’activité correspond à l’apprentissage visé) et de ne pas rendre les apprentissages inaccessibles (les efforts cognitifs ne vont pas au-delà des ressources cognitives des élèves).

BIBLIOGRAPHIETricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Paris : Retz.

02LES ATELIERS

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79 - INÉGALITÉS SCOLAIRES

INÉGALITÉS SCOLAIRES

01

« TOUS CAPABLES ! »

Dominique Grootaers, avec la collaboration de Francis Tilman Girsef-UCLMéta-Éduc asbl, Atelier d’histoire et de projet pour l’Éducation

COMMENT LA PÉDAGOGIE ACTIVE ET L’ÉDUCATION NOUVELLE VEULENT DÉVELOPPER LE POTENTIEL DES ENFANTS

Approche historique et politique

• Que nous apprend le regard historique pour éclairer le présent et l’avenir ?

Nous commencerons par proposer une définition de base d’une série de mots-clés de la Pédagogie active : Éducation nouvelle, aptitudes, énergie vitale, sélection, observation, orientation, méritocratie, éducabilité, autonomie, développement intégral.

Puis nous montrerons que le sens de certains de ces mots-clés prend des accents différents dans le paysage de la Pédagogie active, selon les étapes

historiques et selon les orientations politiques (ou philosophiques) défendues par les acteurs de l’Éducation nouvelle.

Nous nous arrêterons sur trois étapes historiques :

•   Le temps des promesses de l’Éducation nouvelle (début du 20e siècle jusqu’au début de la Seconde guerre mondiale).•   Le temps de l’idéal démocratique de l’Éducation nouvelle sous la forme de la promotion des meilleurs (l’Entre-deux-guerres).•   Le temps de l’idéal démocratique de l’Éducation nouvelle sous la forme de l’égalité des chances généralisée (les Trente Glorieuses).

Que signifie pour les acteurs de l’Éducation nouvelle, à ces différents moments historiques : développer les aptitudes de l’enfant, les repérer, s’appuyer sur l’activité, l’observation et

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80 - INÉGALITÉS SCOLAIRES 81 - INÉGALITÉS SCOLAIRES

la compréhension mises en œuvre par l’enfant par rapport à son environnement, encourager la prise de responsabilité des enfants comme moyen de leur développement social, connaître l’enfant grâce à la psychologie scientifique (et pour quoi faire ?), etc. ?

• Un nouveau contexte social, un nouvel idéal démocratique et un nouvel avenir pour la Pédagogie active ?

Aujourd’hui, se dessine un nouvel avenir pour la Pédagogie active. En effet, le temps semble venu de lui insuffler vigueur et visibilité dans le cadre d’un nouvel idéal, celui d’une démocratie radicale, directe et coopérative (non compétitive). Cet idéal est lié à un nouveau modèle de développement socio-économique « durable », cherchant à échapper à la seule logique du profit, aux dérèglements environnementaux et à l’accroissement des inégalités sociales.

La nouvelle finalité proposée aux acteurs de la Pédagogie active est de rompre définitivement avec la méritocratie et de privilégier la démocratisation par la réussite ainsi que la coopération, tout au long d’une scolarité basée sur un véritable tronc commun. Pour atteindre cette finalité, la Pédagogie active constitue un modèle d’action global et cohérent qui apparaît à la fois pertinent, opérationnel et efficace. Elle a déjà amplement fait ses preuves !

Cependant, pour permettre l’application du modèle d’action de la Pédagogie active à une large échelle, deux conditions sine qua non sont requises. Elles concernent la partie de la scolarité organisée en tronc commun (regroupant tous les enfants âgés de 6 ans à 15 ou 16 ans) et supposent d’:

1) externaliser l’orientation et la sélection et postposer celles-ci après la sortie du parcours commun, basé sur le principe de l’éducabilité généralisée (l’orientation et la sélection s’effectuant alors progressivement à partir de 15 ou 16 ans, en lien avec le projet professionnel) ;

2) appliquer la Pédagogie active de manière globale et cohérente grâce à la mise en place d’une organisation assouplie et remodelée du temps et de l’espace scolaires (la forme scolaire traditionnelle ne pouvant y subsister, éventuellement, qu’une fraction du temps).

PÉDAGOGIE ACTIVE ET MILIEUX POPULAIRES

Talbot Laurent Docteur en sciences de l’éducationULBBiesemans Frédérique Collaboratrice scientifique au service des sciences de l’éducation ULBTalhaoui Amina Doctorante à l’ULB

La présente contribution vise à relater une recherche élaborée dans le courant de l’année académique 2017-2018 autour des pédagogies actives. Sur base d’une analyse contemporaine du champ d’application des pédagogies actives, différents constats ont en effet été soulevés : un premier rend compte d’une situation fortement contrastée sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Il existe ainsi différents types d’écoles ; certaines qui font le choix de s’étiqueter comme «  écoles actives  » en se référant à un pédagogue précis du mouvement de l’Education Nouvelle (Freinet, Decroly,

Steiner, Montessori, etc.), et d’autres qui adoptent des formes de pédagogies actives que nous avons choisi de nommer «  pédagogies actives artisanales  » dans l’idée d’un brassage des idées de différents pédagogues pour créer un projet plus personnalisé mais toujours axé sur l’adoption de formes actives de la pédagogie. Les projets d’établissements de ces deux types d’écoles ont ainsi en commun l’importance d’une centration sur l’apprenant et son activité. En parallèle de ces écoles, coexistent de nombreuses écoles communément appelées «  écoles classiques » ou « écoles traditionnelles » dans l’idée qu’elles ne se revendiquent d’aucune orientation pédagogique spécifique

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82 - INÉGALITÉS SCOLAIRES 83 - INÉGALITÉS SCOLAIRES

et ne semblent a priori pas adopter de pédagogies actives bien que dépendantes, comme toutes, du Décret Missions élaboré en 1997, et impulsant l’adoption, par le biais du socioconstructivisme, de pratiques actives.

Cette situation contrastée a ainsi été le point de départ de nombreux questionnements  ; nous nous sommes intéressés à ces établissements de différents types et avons relevé d’autres constats qui ont orienté la suite de la recherche. Ces constats s’appuient notamment sur les publics scolaires accueillis et leurs origines socioéconomiques. En effet, reproche souvent fait aux pédagogies actives, nous constatons une importance concentration de public favorisé au sein des écoles dites «  actives  ». L’analyse des indices socioéconomiques le met fortement en évidence et souligne le caractère paradoxal de la situation et le déplacement du champ d’application des pédagogies actives depuis leur contexte d’émergence jusqu’à nos jours. Perrenoud (1996), Romainville (2007) et d’autres encore le précisaient déjà auparavant : les pédagogies actives initialement pensées à destination de publics scolairement fragilisés et visant à une forme de démocratisation et d’émancipation se sont détournées de leur visée originelle. Cependant, il nous faut être nuancé. Galland (2016), Ghali (2015) et d’autres encore soulignent un fort regain d’intérêt très actuel pour ces pédagogies pourtant longtemps considérées comme marginales (Meirieu, 2011).

Ces quelques éléments mis en exergue autour de la situation contemporaine de l’application des pédagogies actives ont mené à l’élaboration de la recherche présentée au sein de cette contribution. Ils ont, en effet, orienté les chercheurs vers une analyse plus approfondie de ces écoles qui ne se revendiquent pas d’un courant actif et qui ont également pour particularité d’accueillir des publics défavorisés. Ce choix se justifie d’une part par l’existence du Décret Missions, qui dirige pourtant l’orientation pédagogique de tous les établissements qui s’y référent vers des pratiques plus actives, et d’autre part par le détournement d’usage des pédagogies actives de leur fonction initiale d’émancipation sociale.

Cette situation amène à questionner la nature des pédagogies exploitées dans des écoles dites classiques : doit-on pour autant exclure l’idée d’une exploitation des pédagogies actives dans les établissements qui ne se revendiquent d’aucune pédagogie particulière ? D’autant plus qu’une injonction, commune à tous, au travail des compétences nécessite l’exploitation de pédagogies constructivistes et dès lors actives.

Dans cette perspective problématique générale, il semble essentiel de s’interroger sur les raisons d’un clivage entre écoles dites «  actives  » et d’autres, n’affichant aucune pédagogie particulière, considérées comme plus « classiques ». Nous avons ainsi questionné les pratiques d’enseignement de ces écoles. Il était également intéressant de

questionner l’influence du milieu sur ces pratiques, d’analyser la réalité effective du déplacement de champ d’application des pédagogies actives, s’il s’est/se produit effectivement afin d’évaluer leur pertinence au sein des «  milieux populaires  »  : si leur développement n’a pas été effectif au sein des milieux populaires, doit-on y voir un problème structurel ou l’effet d’une variation contingente et historique ? Ce questionnement global a ainsi entrainé plusieurs possibilités de catégories explicatives du phénomène :

Une première catégorie mènerait à penser que le changement de champ d’application est dû à des caractéristiques propres aux pédagogies actives : «  des problèmes structurels ». Ainsi, s’il existe des écoles exploitant les pédagogies actives et d’autres pas, entrainant une non-généralisation de ces pédagogies, cela est dû à des facteurs qui en concernent leurs caractéristiques propres. Il s’agirait alors d’un problème structurel propre aux pédagogies actives ; ces facteurs entraineraient des résistances chez les praticiens, et n’auraient pas de rapport premier avec le milieu socioéconomique.

En parallèle, une deuxième catégorie pourrait porter à croire que la non-généralisation concerne les caractéristiques des milieux populaires contemporains. Cette deuxième catégorie d’hypothèses est ainsi liée au milieu en tant que tel et sera nommée « problème de variations historiques ».

Ces deux catégories explicatives ont permis de poser la question de recherche suivante : « Quelle(s) présence(s) des pratiques actives dans des écoles de milieux défavorisés ? Quel lien entre le contexte socioéconomique et la présence de pratiques actives dans des écoles accueillant des publics défavorisés ? »

Pour tenter de répondre à cette question, les deux catégories explicatives ont permis de dégager des variables à analyser, sur un échantillon de 168 enseignants exerçant dans des écoles primaires ordinaires. Cet échantillon constitue l’ensemble d’un Pouvoir Organisateur de la Fédération Wallonie-Bruxelles interrogé via une méthodologie mixte alliant questionnaires et entretiens.

Le questionnement des pratiques d’enseignement dans ces écoles a permis de relever la présence déclarée de pratiques actives à des degrés divers et dépendant principalement de l’initiative de l’enseignant. En s’intéressant de plus près à ces pratiques, des leviers (les valeurs éducatives, le rapport à l’autorité, la gestion des contenus disciplinaires) et freins (la culture de la preuve, le rapport hiérarchique, le regard des milieux populaires, etc.) à l’exploitation des pédagogies actives ont été relevés. La contribution a visé essentiellement à en rendre compte et à les détailler plus en profondeur.

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84 - INÉGALITÉS SCOLAIRES 85 - INÉGALITÉS SCOLAIRES

LA PÉDAGOGIE DU PROJET AU SERVICE DE L’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ MONDIALE Construire la citoyenneté à travers la mise en projet dans l’école

Florence Depierreux Annoncer la Couleur

QUELS LIENS PEUT-ON FAIRE ENTRE LES PÉDAGOGIES ACTIVES ET LE(S) RÔLE(S) DE L’ÉCOLE AUJOURD’HUI ? QUELLES FINALITÉS POUR L’EDUCATION ? QUEL-LE-S CITOYEN-NE-S DE DEMAIN SOUHAITONS-NOUS ?

L’école a pour mission de « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » (Décret Missions, article 6 §3). Au travers de démarches pédagogiques participatives, l’éducation à la citoyenneté mondiale rejoint les objectifs de ce décret. La première partie de cet atelier aura pour objectif de réfléchir à une définition du citoyen de demain que nous souhaitons :

quelle éducation pour former quel type de citoyen-ne ? A travers une technique participative, les participant-e-s ont eu l’occasion d’échanger sur ce qu’ils-elles souhaitent développer en terme de citoyenneté chez leurs élèves. Annoncer la Couleur a également présenté ses réflexions à ce sujet, à travers « sa recette d’ingrédients  » pour un-e citoyen-ne du monde.

Parce qu’elle met les apprenant-e-s dans une situation où ils-elles sont acteur-rice-s d’une tâche concrète qui les mobilisera et les engagera dans leur propre apprentissage, la mise en projet nous apparaît comme une méthode particulièrement appropriée à développer des compétences citoyennes du monde chez les jeunes. C’est pourquoi depuis de nombreuses années, Annoncer la Couleur soutient des projets menés dans les écoles à travers la Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment à Bruxelles en partenariat avec la COCOF.

Les thèmes de l’éducation à la citoyenneté mondiale (démocratie, consommation, diversité, migration, développement durable etc.) sont des portes d’entrée privilégiées pour pratiquer la pédagogie du projet. L’ECM est abordée en classe par des activités concrètes qui s’articulent aisément aux savoirs, savoir-faire et savoir-être des programmes scolaires. En raison de leurs étendues et de leurs interconnexions, ces thèmes favorisent l’interdisciplinarité, la verticalité, la collaboration, l’autonomie, la prise de responsabilité et rendent concrets les

apprentissages. Concernant le savoir abordé, la majorité des thèmes ECM se retrouvent dans les programmes des sciences humaines et il est également possible de faire des liens avec les sciences exactes, le français ou les cours philosophiques. Par conséquent, les thèmes ECM s’articulent – à des degrés divers de facilité selon les disciplines- aux notions développées dans les programmes de cours. À propos du savoir-faire, la démarche en projet contribue au développement de nombreuses compétences génériques telles que se poser des questions ; rechercher, vérifier et analyser l’information ; argumenter, rédiger des synthèses, communiquer oralement, développer un esprit critique, se forger une opinion, etc. Enfin, le savoir-être est fortement sollicité car il se développe à travers l’expérience de la mise en projet (collaboration, autonomie, coopération, confiance en soi, motivation, empathie, intérêt, etc.).

Le dispositif pédagogique de la démarche du projet doit être vu, selon nous, comme un cadre souple permettant le développement d’attitudes et de comportements qui se complexifient en fonction des âges. Il offre de nombreux avantages pour les élèves de l’enseignement maternel, primaire et secondaire, pour les étudiant-e-s en haute école ainsi que pour les professeur-e-s. Il permet de :

•   susciter l’intérêt et la motivation des jeunes ;•   les responsabiliser et les rendre

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autonomes à travers la prise en charge de tâches spécifiques du projet, de son organisation et de sa réussite ;•   favoriser la coopération et la collaboration au sein d’un groupe ;•   expérimenter un fonctionnement démocratique ;•   contribuer au raccrochage scolaire ;•   travailler autrement des apprentissages scolaires ;•   développer des savoirs et des savoir-faire en liés à des thèmes de citoyenneté mondiale.

Grâce à un travail de capitalisation mené par Annoncer la Couleur depuis deux ans, une diversité de projets aux caractéristiques spécifiques et variées ont été sélectionnés. Qu’ils s’agissent de petits ou grands projets, ces bonnes pratiques mettront en valeur le potentiel de ce type de dispositif pédagogique. Les forces de ce type de dispositif seront présentées durant l’atelier à travers le partage d’expériences de différentes écoles qui se sont lancées dans ce type de projet, illustrées par des vidéos, des témoignages et des fiches pratiques. Les difficultés rencontrées ainsi que les solutions proposées par les enseignant-e-s pour mettre en œuvre concrètement au sein de leur école ce type de projet seront également discutées.

Le dispositif de l’atelier s’est axé autour de deux techniques participatives, facilitant la construction des savoirs et les échanges de pratiques, afin de mener une réflexion aux enjeux liés à la citoyenneté et à la mise en projet dans l’école. La notion de citoyenneté mondiale a été construite collectivement et les participant-e-s ont réfléchi ensemble aux avantages et aux écueils de la mise en projet sur base de leurs expériences, nourris par l’expérience capitalisée par Annoncer la Couleur. L’atelier fut donc résolument participatif.

PÉDAGOGIES ACTIVES ET INÉGALITÉS SCOLAIRESQuelques obstacles à surmonter pour que les pédagogies actives ne nuisent pas aux élèves qu’elles entendent soutenir

Olivier Mottint Membre de l’APED (Appel pour une Ecole Démocratique)

On pourrait penser que les pédagogies actives, parce qu’elles ont majoritairement été élaborées, développées, promues et défendues par des philosophes (DEWEY…), pédagogues (FREINET, FERRER…), mouvements (GFEN, ICEM…) et enseignants « progressistes  », attachés à la valeur d’égalité, contribuent naturellement à réduire les inégalités d’acquis en éducation. On les présente d’ailleurs fréquemment comme des pratiques salvatrices pour les élèves en difficulté ou pour les élèves les plus éloignés de la «  culture scolaire  ». Cette assertion mérite un examen critique rationnel, non dogmatique, s’appuyant sur les résultats de la recherche, sur des

expériences passées de mise en œuvre de ces pédagogies actives ainsi que sur quelques notions issues de la psychologie cognitive. La perspective de cet examen n’est pas de disqualifier les pédagogies actives, mais de favoriser l’incorporation des critiques par les enseignants et formateurs qui mettent en œuvre ces pédagogies. Il s’agira donc de montrer que pédagogies actives et égalité ne vont pas inévitablement de pair, et que concilier ces deux intentions est un défi permanent qui exige de se prémunir de quelques écueils et d’un optimisme à ce point excessif qu’il ferait abandonner toute vigilance en ce domaine.

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88 - INÉGALITÉS SCOLAIRES 89 - INÉGALITÉS SCOLAIRES

La relation entre pédagogies actives et égalité des acquis sera abordée à travers plusieurs questions :

• Que disent les recherches à propos de l’efficacité et du caractère égalitaire des pédagogies actives en comparaison à d’autres approches pédagogiques ? Il s’agit d’une question extrêmement difficile à traiter, en raison de la diversité des « pédagogies actives » mais aussi parce qu’elle pose des difficultés en termes de méthodologie de la recherche (notamment l’exclusion des tierces variables). Néanmoins, pour peu que l’on définisse plus précisément ce que l’on entend par «  activité  » (découverte ? construction ? résolution de problème ? projets ? manipulation de matériel ? etc.), pour peu que l’on précise par ailleurs le rôle que l’enseignant joue dans ces « pédagogies actives », on peut avancer prudemment quelques éléments de réponse. Les résultats de quelques recherches (depuis le projet Follow Through) et de méta-analyses (synthétisées par John HATTIE notamment) tendent en effet à montrer qu’une part d’enseignement explicite et qu’une intervention stratégique forte de l’enseignant (dans la structuration, l’explicitation, le guidage, la rétroaction…) sont indispensables à l’apprentissage, a fortiori pour les élèves les plus « faibles ». De même, la notion de « charge cognitive » (originellement développée par John SWELLER) et quelques recherches sur la mémorisation permettent de mettre en évidence les limites d’une pédagogie trop strictement centrée sur la résolution de problèmes, ou laissant trop peu de place à la répétition. Des pédagogies actives radicales, qui ne tiendraient pas compte de ces faits, seraient sans doute néfastes pour les élèves qu’elles entendent aider en priorité, et participeraient au développement des inégalités par l’Ecole. Tenant compte de cela, il y a donc une opportunité à saisir, qui consiste à redéfinir ce que sont les «  pédagogies actives  », et plus précisément ce qu’elles entendent par « activité ».

• Stimuler la « motivation » par le jeu et par la pédagogie du projet, miser sur l’attrayant et sur les intérêts des élèves, est-ce la panacée pour « accrocher » les élèves les moins impliqués dans les apprentissages et ainsi réduire les inégalités d’acquis ? De nombreuses pédagogies actives (inspirées de DEWEY, KILPATRICK, FREINET, DECROLY…) suggèrent d’actionner prioritairement l’un ou l’autre de ces leviers pour « donner du sens » aux apprentissages et mobiliser les élèves dans les tâches scolaires. Cependant, des recherches récentes menées notamment par le réseau RESEIDA (Université de Paris 8) laissent à penser que présenter le « sens » de l’activité de cette manière pourrait perturber l’identification des enjeux cognitifs des activités scolaires par les élèves les moins initiés à la culture scolaire. Ces difficultés de « secondarisation », c’est-à-dire ces difficultés à déceler le sens réel, cognitif, des activités scolaires derrière leur sens apparent (ludique, instrumental, fonctionnel,

pragmatique…), engendreraient des difficultés d’apprentissage en créant des «  malentendus scolaires  », en détournant l’attention des élèves sur des éléments superficiels ou périphériques des activités. Quel sens donc donner aux apprentissages pour ne pas égarer les élèves issus de milieux populaires et favoriser leur progression cognitive ? Quelles conceptions et modélisations plus larges de la motivation sont à mobiliser pour donner sens ?

•   Les variations pédagogiques et l’adaptation aux profils et aux styles cognitifs présumés des élèves permettent-elles de favoriser l’égalité des acquis scolaires  ? On peut au moins faire remonter l’idée d’une « école sur mesure » à Edouard CLAPAREDE. Cette propension à individualiser la pédagogie ou en tout cas à la diversifier a été plus récemment encouragée par une certaine acception de la pédagogie différenciée et par certaines théories «  différentialistes  » à la popularité croissante — « intelligences multiples », styles d’apprentissages visuels/auditifs/kinesthésiques, fonctionnement cognitif centré sur le «  cerveau gauche » ou le « cerveau droit », etc. — et particulièrement mises en exergue dans certaines écoles «  alternatives  » soucieuses de prendre en considération les particularités présumées de chaque élève. Les intentions des enseignants sont souvent louables, mais qu’en est-il de la validité scientifique de

ces théories et de leurs effets sur les apprentissages des élèves ? Quelques recherches permettent d’y voir plus clair et de sérieusement mettre en doute le bien-fondé de ces approches pédagogiques. D’autres recherches sur les registres sensoriels, la mémoire de travail et la mémorisation montrent qu’il existe avant tout des « invariants », des structures et des fonctionnements cognitifs communs à tous, qu’il convient de privilégier, tout en ne tournant surtout pas le dos à une prise en compte volontariste des différences interindividuelles bien réelles (rythmes d’apprentissage, diversité des obstacles rencontrés, etc.).

QUELQUES RÉFÉRENCES :Bautier, E. & Rayou, P. (2009). Les inégalités d’apprentissage : Programmes, pratiques et malentendus scolaires. Paris : PUF.Hattie, J. (2009). Visible Learning : A Synthesis of over 800 Meta-Analyses Relating to Achievement. Londres, New York: Routledge.Kirschner, P. A., Sweller, J. & Clark, R. E. (2006). Why Minimal Guidance During Instruction Does Not Work: An Analysis of the Failure of Constructivist, Discovery, Problem-Based, Experiential, and Inquiry-Based Teaching. Educational Psychologist, 41(2), 75-86.Lieury, A. (2005). Psychologie de la mémoire: Histoire, théorie et expériences. Paris : Dunod.

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LA DIFFÉRENCIATION PÉDAGOGIQUE, VOIE ROYALE POUR UNE PÉDAGOGIE ACTIVE AU BÉNÉFICE DE TOUS LES ÉLÈVES ?

Benoit Galand Université catholique de Louvain

D’après Prud’homme et ses collègues, la différenciation pédagogique a, avant tout, pour ambition de lutter contre l’échec et de réduire les inégalités scolaires (Prud’homme, Folbec, Brodeur, Presseau & Martineau, 2005). D’autres auteurs ajoutent qu’elle vise aussi à accroître la motivation et l’engagement des élèves (Subban, 2006). Cependant, apporter

des éléments de réponse scientifique à la question posée nécessite de disposer de travaux mettant en relation des idées relatives à la différenciation pédagogique (propositions théoriques) avec des faits observés auprès des élèves (informations empiriques recueillies de manière systématique). Cette mise en relation sera d’autant plus convaincante qu’elle a été

soumise à l’avis d’autres membres de la communauté scientifique, typiquement dans une revue avec évaluation par les pairs (Oreskes & Conway, 2012). Des résultats répliqués dans différents contextes et par plusieurs équipes seront aussi jugés plus crédibles que des résultats isolés (Cohen, Manion & Morrisson, 2011).

Qu’en est-il à cet égard concernant les liens entre différenciation pédagogique et développement socio-affectif des élèves? Une recherche rapide sur google scholar (le google des publications scientifiques) indique une quasi absence de travaux empiriques à propos des effets d’une différenciation pédagogique sur les élèves. La lecture des articles traitant de différenciation pédagogique confirme cette impression (Feyfant, 2016). Il y a des avis, des réflexions, des conseils et des recommandations, mais une large absence de mise à l’épreuve des faits. On trouve bien en langue anglaise une poignée de thèses non publiées avec recueil d’information, et de très rares articles empiriques où la différenciation pédagogique est incluse comme un ingrédient parmi d’autres dans une démarche intensive de développement professionnel (e.a. Chamberlin & Powers, 2010; Reis, McCoach, Little, Muller & Kaniskan, 2011). Ces travaux ne permettent donc pas d’évaluer les effets de la différenciation pédagogique en tant que telle. De plus, en l’absence d’un consensus minimal sur la définition et les critères permettant d’identifier si une pratique relève ou non de la différenciation pédagogique, ces études portent sur des

choses assez différentes et aucune n’a été répliquée (Subban, 2006).

Ainsi, on constate un profond décalage entre les préconisations concernant la différenciation pédagogique et les connaissances scientifiques à ce sujet : il y a un manque criant de résultats factuels pour appuyer les bénéfices annoncés de la différenciation pédagogique, que ce soit sur le plan socio-affectif ou cognitif. Cependant, des recherches menées sur des thèmes connexes pourraient peut-être nous éclairer.

QUELLES DIFFÉRENCES ENTRE ÉLÈVES PRENDRE EN COMPTE ?

Tout d’abord, si la différenciation pédagogique se définit par la prise en compte de la diversité des élèves, on peut se demander quelle(s) caractéristique(s) des élèves prendre en compte. Chaque élève se distingue en effet sur une multitude de dimensions : démographique, sociale, relationnelle, cognitive, affective, etc. Dans un article fréquemment cité, Tomlinson et ses collègues prônent de prendre principalement en compte le niveau de préparation de l’élève, ses intérêts et son style d’apprentissage (Tomlinson, Brighton, Hertberg, Callahan, Moon, Brimijoin, et al., 2003).

Des travaux dans le champ de la motivation montrent cependant que certains climats motivationnels liés aux pratiques des enseignants ont des effets positifs sur

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l’intérêt, l’effort, la persévérance et le bien-être des apprenants, quel que soit le type de motivation de départ des apprenants (Galand, Boudrenghien & Rose, 2012 ; Sarrazin, Tessier & Trouilloud, 2006). Les tentatives d’identifier des bénéfices au fait de coupler le type de climat motivationnel et le type de motivation des élèves donnent des résultats mitigés (Givens Rolland, 2012). Dans le champ des styles d’apprentissage, Coffield, Moseley, Hall & Ecclestone 2004) ont recensé pas moins de 71 styles différents... Même en mettant de côté les problèmes de définition théorique et de mesures que posent ces styles d’apprentissage, les synthèses des recherches soulignent surtout que les tentatives de faire correspondre les pratiques d’enseignement aux styles d’apprentissage des élèves n’apportent aucun bénéfice à l’apprentissage des élèves (Kirschner & van Merriënboer, 2013). D’autres travaux suggèrent même que les préférences des élèves concernant les méthodes d’enseignement ne sont pas corrélées, voir négativement corrélées, avec leurs gains d’apprentissages (en particulier chez les élèves dont le niveau initial est plus faible) (Clark, 1982). Laisser les élèves choisir le dispositif d’enseignement ou le niveau de difficulté de la tâche, dans l’intention de respecter leurs préférences et de les motiver, pourraient donc pénaliser l’apprentissage des élèves qui ont le moins confiance en leurs capacités (Nicholls, 1984).

Par contre, un grand nombre d’études indiquent que les connaissances antérieures ou le niveau de savoir-faire

dans une matière sont des éléments à prendre en compte pour déterminer dans quelle mesure un apprenant va bénéficier d’une intervention pédagogique donnée (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007). Au total, il apparaît que ce ne sont pas tellement des caractéristiques générales (psychologiques, motivationnelles, intellectuelles, etc.) des apprenants qui semblent intéressantes à prendre compte pour la différenciation, mais plutôt des informations fines sur le niveau de maîtrise des prérequis relatifs à l’objet d’apprentissage que l’on souhaite enseigner.

LES ENSEIGNANTS DIFFÉRENCIENT-ILS LEURS PRATIQUES ?

Si l’on manque de travaux empiriques sur les effets de la différenciation pédagogique, une longue et abondante tradition de recherches indique paradoxalement que nombre d’enseignants traitent leurs élèves de manière différenciée au sein des classes. Sur la base des performances passées et du comportement en classe de leurs élèves, ces enseignants se forment des attentes plus ou moins élevées concernant les progrès potentiels des uns et des autres (Bressoux & Pansu, 2003). Ils proposent des activités plus simples et moins stimulantes aux élèves envers lesquels ils ont des attentes faibles, ils les sollicitent moins et leur laissent moins de temps pour répondre, ils leurs donnent des feedbacks moins précis sur leurs performances, leur donnent moins

d’autonomie et se montrent moins chaleureux envers eux (Harris & Rosenthal, 1985). La plupart des élèves sont conscients de ces différences de traitement de la part de l’enseignant, et tant leur jugement par rapport à leurs propres compétences que par rapport à celles de leurs camarades en est influencé (Weinstein, 2002). Un nombre considérable de recherches appuient l’idée que le sentiment de compétence ou d’efficacité joue un rôle crucial dans l’engagement, la persévérance et l’apprentissage des élèves (Bandura, 2002). Au final, les élèves envers lesquels les enseignants ont des attentes faibles tendent à progresser un peu moins que ceux envers lesquels les enseignants entretiennent des attentes élevées (Trouillou & Sarrazin, 2003). Le traitement différencié de ces enseignants contribue par conséquent à maintenir ou à accroître les écarts de départ (en partie via ses effets motivationnels). Des travaux en didactiques laissent penser que les dispositifs d’aide individualisés pourraient avoir le même effet (Toullec-Théry & Marlot, 2012).

Ainsi, les élèves utilisent les comportements verbaux – soutiens, critiques, encouragements, conseils, etc. –, et non-verbaux de leurs enseignants – regards, sourires, questionnement, mode de regroupement, difficulté des tâches assignées, degré d’autonomie accordé, etc. – pour décoder l’image que se font ces enseignants de leur niveau de compétence et de celui de leurs pairs. Les élèves réagissent en général de manière très négative à toute marque de favoritisme de la part des enseignants (Babad, Avni-Babad & Rosenthal, 2003). En outre, les pratiques de classe qui rendent plus visible la comparaison entre élèves, qui mettent en avant les élèves les plus performants, qui renforcent la compétition entre élèves ou qui valorisent le résultat final plutôt que les démarches d’apprentissage, ont pour effet de diminuer l’intérêt et l’engagement des élèves, d’augmenter la fréquence des émotions négatives, de favoriser le harcèlement entre élèves et les violences à l’école (Galand, Hospel & Baudoin, 2014; Galand, Philippot & Frenay, 2006). En présence de telles pratiques, auxquelles contribuent les différences de traitement évoquées plus haut, l’introduction d’une différenciation pédagogique risque d’être perçue par les élèves comme une forme supplémentaire d’iniquité de traitement, avec les conséquences négatives que cela entraîne.

Trouver un moyen d’encourager la différenciation pédagogique sans renforcer les inégalités de traitement et la comparaison entre élèves est donc un défi majeur. Diffuser un message incitant à ne pas traiter tous les élèves de la même manière et à prendre en compte leur diversité, sans donner en même temps des outils pédagogiques et didactiques qui aident à maintenir des objectifs ambitieux communs à tous et à limiter la compétition, c’est courir le risque de renforcer l’inclinaison de certains enseignants à baisser leurs exigences et leur soutien envers les élèves jugés plus faibles ou en difficulté.

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QUELLE DIFFÉRENCIATION AU SERVICE DE TOUS LES ÉLÈVES ?

A cet égard, et de manière cohérente avec les travaux sur les attentes des enseignants évoquées ci-dessus, Rosenholtz, Simpson et leurs collègues (Rosenholtz & Simpson, 1984) se sont demandés si la dispersion du sentiment de compétence parmi les élèves d’une même classe pouvait être le reflet des pratiques pédagogiques de l’enseignant (et pas seulement du niveau d’habiletés cognitives des élèves). Les résultats de leurs études de terrain indiquent que la compétence perçue des élèves diffère peu, et que très peu d’entre eux se perçoivent comme incompétents, dans les classes où les enseignants diversifient les types d’activités qui donnent lieu à des évaluations, offrent une certaine autonomie aux élèves concernant les tâches sur lesquelles ils seront évalués, varient la façon de regrouper les élèves, évitent de rendre les résultats de manière publique, et surtout utilisent des évaluations fondées sur des critères fixés à l’avance plutôt que sur le classement des élèves les uns par rapport aux autres. Ces pratiques semblent limiter les effets négatifs de la comparaison et de la compétition évoqués plus haut (Ames, 1992). A l’inverse, dans les classes où les enseignants ne mettent pas en œuvre (pas de ent !) ce type de pratiques, les notes sont plus dispersées, il y a davantage de variations entre élèves concernant le sentiment d’efficacité, et davantage d’élèves se perçoivent comme moins

compétents (Mac Iver, 1988).

Ces études déjà anciennes font écho à des travaux plus récents relatifs aux attentes qu’entretiennent les enseignants vis-à-vis des progrès de groupes-classes dans leur ensemble (et non plus d’élèves individuels). Comparés aux enseignants ayant des attentes faibles vis-à-vis de leurs groupes-classes, les enseignants ayant des attentes élevées proposent les mêmes activités d’apprentissage au choix à tous les élèves plutôt que de les répartir selon le niveau des élèves ; ils se montrent plus soutenant, plus chaleureux et gèrent la discipline de manière plus positive ; ils fixent des objectifs individuels d’apprentissage à leurs élèves sur la base d’évaluations formatives régulières, fournissent des feedbacks précis sur les progrès des élèves vis-à-vis de ces objectifs, et réajustent régulièrement ces objectifs en concertation avec les élèves (Rubie-Davies, 2007). Les élèves fréquentant des classes où l’enseignant entretient des attentes élevées se montrent plus motivés et progressent davantage dans leurs apprentissages, de plus les écarts entre élèves se réduisent (McKnow & Weinstein, 2008). Une étude expérimentale montre que former des enseignants aux pratiques typiques des enseignants ayant des attentes élevées envers leurs classes accroît l’apprentissage des élèves (Rubie-Davies, Peterson, Sibley & Rosenthal, 2015).

Les pratiques des enseignants ayant des attentes élevées envers leurs élèves présentent de fortes similitudes avec les

résultats d’interventions expérimentales développées par Schunk et ses collègues et visant à accroître le sentiment d’efficacité et les performances d’élèves en difficulté d’apprentissage (Schunk, 2003). Dans ces études, des élèves en difficulté ont suivi des programmes dans lesquels la matière était structurée en sous-compétences plus aisément maîtrisables. Les élèves apprenaient eux-mêmes les principes de base, puis les mettaient en application dans des exercices. Les résultats montrent que les élèves prennent davantage confiance en eux et apprennent davantage si on leur donne un objectif formulé en termes de développement de compétence (apprendre à identifier les idées principales) plutôt qu’un objectif formulé en termes de résultat à atteindre (réussir le test avec au moins 6/10), ou que si on leur demande juste de faire de leur mieux. De plus, des objectifs précis et à brève échéance (par exemple, savoir résoudre correctement cinq additions simples pour le prochain cours) aident mieux les élèves à guider leurs apprentissages que des objectifs généraux et éloignés dans le temps (réussir le contrôle avant le bulletin) (Locke & Latham, 2002). Couplés à des évaluations ou à des autoévaluations régulières, ces objectifs permettent des progrès graduels et ont pour effet de favoriser le développement de la confiance en soi et d’accroître la réussite des élèves.

En lien avec les résultats des équipes de Rubies-Davies et de Schunk, de nombreux travaux de recherche soulignent que les feedbacks sont un des leviers les plus puissants pour agir sur la motivation et l’apprentissage des élèves (Hattie & Timperley, 2007). Le type et la forme de feedback communiqués aux élèves sont notamment des paramètres importants. Par exemple, un feedback sous forme de commentaires sur les points forts et les points faibles, et sur les améliorations possibles d’un travail entraîne un intérêt et une performance ultérieurs plus élevés qu’un feedback sous forme de notes ou d’appréciation générale (même s’il s’agit de félicitations). De même, une évaluation qui situe les progrès de l’élève par rapport à ses performances antérieures (par exemple, le nombre de fautes d’orthographe dans des dissertations) – même si ces progrès sont insuffisants – suscite davantage de confiance pour les apprentissages futurs qu’une évaluation qui situe sa performance par rapport à celles des autres élèves (comme c’est souvent le cas des notes scolaires). Une excellente manière de soutenir le sentiment d’efficacité des apprenants, et par conséquent leur apprentissage, serait donc de les focaliser sur les moyens qu’ils peuvent acquérir en vue de mieux maîtriser la tâche à accomplir (Galand & Vanlede, 2004).

Les différents courants de recherche passés rapidement en revue jusqu’ici dessinent une trame cohérente de pratiques pédagogiques à même de favoriser la motivation et l’apprentissage de tous les élèves. L’efficacité de ces pratiques semble liée au fait de réduire la saillance des comparaisons entre élèves dans la classe, de véhiculer une conception de la compétence comme une capacité qui se construit à travers le travail,

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l’étude et la régulation efficace des contraintes et des ressources, et de communiquer des attentes élevées vis-à-vis des progrès réalisables par l’ensemble des élèves. Plus concrètement, ces résultats de recherche invitent les enseignants à proposer à tous les élèves des tâches stimulantes présentant un défi, à fixer des objectifs d’apprentissage clairs et précis avec chaque apprenant, à mettre en place un système qui donne des feedbacks réguliers aux apprenants et à l’enseignant concernant la progression vers ces objectifs1, tout en offrant une certaine flexibilité dans le contenu des tâches, le regroupement des élèves et l’ajustement des objectifs (Hospel & Galand, 2016). Ces résultats suggèrent que ce n’est que si elle permet de promouvoir ce genre de pratiques que la différenciation pédagogique sera profitable à l’ensemble des élèves.

QUEL ÉQUILIBRE ENTRE ENSEIGNEMENT COLLECTIF ET INDIVIDUALISATION ?

Est-ce à dire que les résultats des recherches en éducation plaident en faveur d’une individualisation de l’enseignement ? On est loin du compte. Il est très difficile de faire un bilan solide de l’individualisation (Feyfant, 2008), mais un certain nombre de constats peuvent malgré tout être posés à partir de travaux existants. Premièrement, il est important de veiller au maintien d’objectifs communs de même niveau d’exigence pour l’ensemble des élèves, s’il l’on veut éviter que l’individualisation de certains apprentissages n’entraîne une augmentation des inégalités scolaires (les élèves les plus avancés optant pour des objectifs plus élevés que les élèves moins avancés ; Cohen, 1994). La différenciation des rythmes d’enseignement est donc à mettre en balance avec les écarts d’apprentissage qu’elle peut susciter. Deuxièmement, les dispositifs qui maintiennent un temps d’enseignement collectif important semblent plus efficaces et plus égalitaires que les dispositifs qui donnent priorité au travail individualisé (Crahay, 2013). Troisièmement, les comparaisons internationales suggèrent que l’individualisation systématique d’une partie du cursus pour l’ensemble des élèves peut être efficace, mais que ce n’est pas le cas des remédiations isolées et ciblées sur les élèves en difficulté (Mons, 2007). Enfin, au sein d’un enseignement collectif, varier les activités et les supports, expliciter ses attentes et être attentif aux pré-requis, favorise la motivation et aide à éviter certains malentendus auprès d’un maximum d’élèves (Bernardin, 2006 ; Lautrey, 2006).

Au total, une forte individualisation des apprentissages est souvent lourde et coûteuse à mettre en place, n’apporte pas toujours les bénéfices escomptés et risque d’accroître les inégalités scolaires (Jobin & Gauthier, 2008). En revanche, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, l’instauration d’une certaine souplesse dans la progression

1 Ce en quoi l’enseignement assisté par ordinateur pourrait être une aide utile (Fletcher-Flinn & Gravatt, 1995).

au sein de modules d’apprentissage communs à tous les élèves, couplée à un enseignement collectif varié et structuré, semble plus prometteur pour favoriser l’engagement et la réussite d’un maximum d’élèves. En fait, comparé à l’individualisation, plusieurs autres approches pédagogiques ont nettement plus d’arguments scientifiques à faire valoir en faveur de leur efficacité.

C’est le cas notamment de la pédagogie de la maîtrise et de l’enseignement explicite (Bissonnette, Richard & Gauthier, 2005), qui ont en commun de veiller à expliciter les pré-requis des apprentissages, d’insister sur la guidance fournie par l’enseignant dans le processus d’apprentissage, et de vérifier l’acquisition de l’apprentissage précédent avant de passer à l’apprentissage suivant. Ces deux approches proposent un enseignement structuré et systématique accompagné de rétroactions rapides, qui paraît particulièrement bénéfique aux apprentissages chez les élèves les moins avancés. Sur ce dernier point, elles rejoignent d’autres courants de recherche pour souligner que ce sont les élèves les plus faibles qui sont le plus sensibles aux variations des pratiques d’enseignement (Dumay & Dupriez, 2009).

C’est aussi le cas du tutorat et de l’apprentissage coopératif, qui cherchent à organiser des interactions entre élèves de manière à faire des différences entre ceux-ci une source d’apprentissage et non un obstacle (Darnon, Buchs & Butera, 2006 ; Galand, Bourgeois, Frenay

& Bentein, 2008). Les travaux menés dans ce cadre indiquent qu’en veillant à certaines caractéristiques de la tâche, des consignes et du dispositif d’évaluation, ces approches pédagogiques peuvent être très bénéfiques pour la motivation des élèves, l’apprentissage, ainsi que pour l’intégration au sein de la classe d’élèves de différentes origines ethniques ou sociales ou d’élèves à besoins spécifiques (Roseth, Johnson & Johnson, 2008). Ce dernier résultat est à souligner, l’apprentissage coopératif étant la seule approche qui ait clairement montré sa capacité non seulement à réduire les effets négatifs de la compétition, mais aussi à produire des effets sociaux bénéfiques, notamment concernant la diminution du racisme et des préjugés au sein des classes (Palluck & Green, 2009).

CONCLUSION

Si l’on souhaite favoriser le développement socio-affectif d’un maximum d’élèves (de même que leurs apprentissages cognitifs), les recherches passées en revue dans cette note invitent, nous semble-t-il, à augmenter la qualité des activités collectives, via la guidance cognitive de l’enseignant et via la structuration des interactions entre pairs, plutôt qu’à accroître l’individualisation de l’enseignement (Delahaye, 2015 ; Galand, 2009). Couplé à ces activités soigneusement construites, un peu de flexibilité et de variété apparaissent comme des adjuvants intéressants, notamment dans le choix des tâches et le suivi des progrès des élèves, afin de

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98 - INÉGALITÉS SCOLAIRES

diminuer le poids des comparaisons entre apprenants. Savoir comment l’injonction à la différenciation pédagogique peut contribuer à promouvoir de telles pratiques reste largement à inventer, vu l’état lacunaire des recherches sur ce sujet. Les travaux présentés ci-dessus offrent néanmoins, selon nous, des balises utiles pour avancer dans cette direction. Ce qui paraît certain, c’est que les effets de la différenciation pédagogique dépendront largement de la manière dont cette différenciation sera mise en œuvre.

L’idée n’est certainement pas de nier les multiples différences entre élèves, elle est de ne pas enfermer les élèves dans ces différences. De même, si l’on peut souhaiter que les programmes scolaires reconnaissent et valorisent davantage une plus grande diversité de types de connaissances, de cultures, de savoir-faire, etc. (Bigler, 1999), ce n’est pas une raison pour assigner chaque apprenant à l’un de ces objets en particulier. Il s’agit d’imaginer des dispositifs collectifs qui intègrent cette hétérogénéité, notamment en tenant compte du fait que les élèves n’ont pas tous les mêmes acquis de départ. Cela demande à la fois une bonne connaissance des différentes étapes et obstacles liés aux objets d’apprentissage à enseigner, et une attention soutenue à la progression de chaque élève, de manière à pouvoir accompagner au mieux le saut conceptuel suivant (Hattie, 2009).

Rappelons toutefois les limites de l’exercice proposé ici suite à la question de départ : de nombreux dispositifs n’ont pas fait l’objet d’études rigoureuses, certains aspects de la question sont difficiles à investiguer, la revue présentée dans cette note est loin d’être exhaustive, et l’apprentissage et l’école sont des phénomènes complexes. Si les recherches citées peuvent donner des pistes basées sur des probabilités, elles montrent aussi qu’il n’y a pas de panacée pédagogique, et qu’un même objectif d’apprentissage peut être atteint par plusieurs dispositifs qui renvoient à des valeurs et à des choix politiques différents.

Références disponibles sur : http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/04/170331_Notes_experts.pdf

Galand, B. (2017). Quels sont les effets de la différenciation pédagogique sur les dimensions cognitives et socio-affectives ? Conférence de consensus « Différenciation pédagogique : Comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? », Notes des experts (pp.177-187). Conseil national d’évaluation du système scolaire, France.

ÉVALUATION

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100 - ÉVALUATION 101 - ÉVALUATION

POURQUOI APPRENDRE… UNIQUEMENT POUR RÉUSSIR ?Choix pédagogiques en matière d’évaluation à l’Alter Ecole

Justine Gérard Alter Ecole, projet pilote FWB, Clavier

La conférence a eu pour objectifs d’introduire brièvement le Projet Pilote Alter Ecole, de partager l’évolution du questionnement de l’équipe pédagogique quant à la question centrale de l’évaluation en pédagogie active mais, surtout de présenter le dispositif d’évaluation mis en place quant au choix d’une progression automatique des élèves et d’en établir l’état des lieux actuel. L’échange a été mené par deux professeurs et un élève.

L’ALTER ECOLE EN BREF

L’Alter Ecole est un projet pilote reconnu depuis 2012 par le réseau d’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle ouvre ses portes aux élèves qui souhaitent apprendre autrement. Elle propose une approche alternative de l’École et accueille aussi des élèves qui ne trouvent pas leur place dans le système scolaire. L’Alter Ecole est destinée à des élèves de troisième, quatrième, cinquième et sixième années de l’enseignement secondaire ordinaire

de transition et vise l’octroi du certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS).

Le projet est une expérience éducative et pédagogique qui repose sur huit dimensions :  

• le rapport aux savoirs ;• la relation pédagogique et éducative ;• le rapport à la loi ;• les responsabilités des élèves ;• les responsabilités de l’équipe éducative ;• l’évaluation et la certification ;• la concertation et la décision ;• les aspects de l’Autorité.

Dans le cadre du colloque international sur les pratiques en pédagogies actives, nous avons choisi en particulier d’aborder la thématique de l’évaluation car il s’agit de l’un des derniers grands chantiers entrepris par l’équipe éducative.

L’équipe éducative travaille activement sur l’évolution du projet pilote en traitant différentes problématiques (sanctions éducatives, assiduité scolaire et participation aux différents temps d’apprentissage, hétérogénéité des classes, gestion des conflits, évaluation…).

Les temps d’apprentissages à l’Alter Ecole respectent plusieurs principes pédagogiques : l’apprentissage de la démocratie (agoras et collèges, institutions), la cogestion de l’école (cuisine, entretien et administration), la personnalisation des apprentissages (groupe de besoins et de suivi, tutorat, co-évaluation, contrats) ainsi que la coopération (projets, classes verticales, ateliers interdisciplinaires). Des outils sont sollicités pour permettre à chacun de trouver sa place et d’exploiter au mieux les différents temps d’apprentissage.

L’ÉVALUATION À L’ALTER ÉCOLE

De nombreuses questions ont mobilisé l’équipe : Comment entretenir le plaisir d’apprendre ? Comment encourager l’élève à apprendre par et pour lui-même ? Comment permettre à chacun de progresser et d’être conscient de son évolution ? Comment rendre compte du sens des apprentissages ? Pourquoi apprendre… uniquement pour réussir ? Comment changer le rapport aux savoirs ? Comment faire de l’évaluation un outil positif et éducatif ? Comment mettre les élèves au travail s’ils ne sont plus confrontés à l’enjeu de la réussite scolaire à proprement dit.

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Conscients de l’ancrage culturel fort du redoublement chez les élèves et leurs parents, nous savions que les choix que nous allions poser allaient devoir être envisagés à long terme.

La participation à ce colloque sera pour nous l’occasion de vous présenter le dispositif d’évaluation spécifique à l’Alter Ecole mis en œuvre depuis septembre. C’est aussi l’opportunité de faire l’état des lieux sur le début de ce processus.

CHOIX PÉDAGOGIQUES

Le passage d’une année à l’autre est donc automatique entre la 3ème et la 6ème. Cette décision implique un suivi régulier et rigoureux de chacun. Les enseignants garantissent donc un cadre d’apprentissage personnalisé pour chacun des élèves tout au long de leur parcours. Des groupes de besoin, du tutorat ainsi qu’un plan personnel d’apprentissage seront mis en place pour accompagner l’élève dans sa progression et lui permettre de combler ses lacunes.

Le redoublement à l’Alter École est possible mais exceptionnel. Des indicateurs peuvent aboutir à prendre cette décision pour les élèves de 6ème. Pour les élèves de 3ème, 4ème et 5ème, le redoublement se fait à leur demande.L’évaluation formative sera omniprésente et aura pour objectif de donner un feedback et des conseils à l’élève. Elle peut également déboucher sur la mise en place d’un nouveau dispositif d’enseignement ou sur un nouveau dispositif personnalisé.

L’évaluation certificative, elle, sera absente durant tout le 2ème degré et le 3ème degré tandis que le mois de juin de la 6ème sera consacré à une session d’épreuves sommatives à visée certificative.

Autrement dit, jusqu’à la fin de son parcours à l’Alter École, chacun est là pour apprendre, chacun a le droit de se tromper et de recommencer autant de fois qu’il est nécessaire et chacun a droit à l’aide des professeurs.

PÉDAGOGIE ACTIVE ET ÉVALUATION : DE JAMAIS À TOUT LE TEMPSQuand l’école cesse de trier pour apprendre

Catherine LochetAlain BuekenhoudtCEMEA (Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active)

«  L’évaluation est indispensable à l’apprentissage  ». Que de fois n’entend-on pas cette affirmation comme si nous étions là face à une évidence qui ne supposerait aucune discussion, aucune remise en question, aucune précision du concept d’évaluation ? Cependant, l’éducation active -et l’éducation nouvelle- remet cette affirmation en discussion depuis près d’un siècle. Dans la vie, chacun apprend des choses en dehors de l’école : le nouveau-né apprend à communiquer, à

manger, à marcher, à parler, et ce sans qu’il ne soit comparé à qui que ce soit, avec pour seule « évaluation » les encouragements des parents s’émerveillant à chaque progrès du petit ou de la petite. Même après sa rentrée à l’école, l’enfant continue à apprendre sans être évalué : utiliser sa console de jeu, l’ordinateur de maman, la machine à coudre de papa, utiliser un téléphone, apprendre à rouler à vélo, à nager, à peindre… et ce sans que jamais l’on ne lui donne une note, un bulletin…

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une évaluation-sanction. Et pourtant il/elle apprend ! L’adulte sorti de l’école continue à apprendre, et ce tout au long de sa vie, le plus souvent sans être évalué par personne. Il n’y a que de 3 à 25 ans, de 8h30 à 16h que l’humain serait incapable d’apprendre sans notation, sans être mis en compétition.

L’éducation active pose l’évaluation comme un outil de progrès pour l’individu et non comme un outil de sélection des individus les plus performants. Il s’agit de remettre en question le statut de l’erreur non plus comme une faute à ne pas faire, mais comme le début d’un progrès dans l’apprentissage. Cela remet aussi en question le moment de l’évaluation. Notre système éducatif place chronologiquement l’évaluation après l’apprentissage. L’éducation active prônerait plutôt l’inverse.

Évaluer en pédagogie active signifierait une transformation radicale du système en inversant deux éléments présents actuellement à l’école : la coopération et la compétition. Pour l’instant, l’école évalue en permanence et coopère de temps en temps. Dans une éducation active, elle devrait coopérer en permanence et mettre en compétition de temps en temps. C’est toute la problématique de cette transformation que se propose de travailler cet atelier.

C’est donc en cela que l’éducation active est un système où l’évaluation disparait si celle-ci reste une évaluation de compétition, une évaluation de classement, une évaluation dont seule une personne sort gagnante au détriment des autres. Sinon, l’évaluation devient de tous les instants si elle permet à l’individu de constater ses progrès, ses évolutions, ses perfectionnements et d’être l’évaluateur de sa performance. Comme l’enfant qui jubile parce qu’il roule pour la première fois à vélo sans petites roues. L’atelier proposé permettra de travailler ces questions par l’utilisation d’outils de formation propres aux CEMEA. Nous vous proposerons des outils de réflexion et partirons de vos apports.

Les CEMEA sont les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active. Ce mouvement est présent dans plusieurs pays du monde. Le mouvement belge existe depuis 1947 et est actif dans la formation dans divers secteurs de l’éducation : la formation d’animateur-trice-s, de coordinateur-trice-s de centres de vacances, dans le domaine de la petite enfance, de l’éducation permanente, de la santé mentale, de l’éducation à l’égalité des genres et de l’école.

INCLUSION

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COOPÉRER POUR MIEUX RÉUSSIRL’impact de la relation de confiance et collaboration sur la réussite scolaire

Costel GRIGORAS Doctorant en sociologie, Université Paris-Sorbonne

Dans des conditions de vie extrêmement défavorables et vivant à la marge de la société, les enfants rom ont un taux de scolarisation très faible et un parcours scolaire parmi les plus instables. Pour ces enfants issus d’un milieu social précaire et défavorisé, le changement d’environnement social, le passage de celui de la famille à celui de l’école, est accompagné par des difficultés d’adaptation aux nouvelles normes et valeurs sociales qui s’imposent dans ce nouveau contexte. Puisque l’école en tant qu’institution représente un monde gouverné par des règles et des normes qui leur sont étranges, les enfants rom ressentent une forte pression dans le fait d’aller à l’école et d’y rester pendant les heures de cours. De plus, l’école impose

un mode de comportement codifié que les enfants doivent apprendre, auquel ils doivent s’adapter et obéir : une façon de se tenir, d’écouter et de se comporter en classe. A cela s’ajoute l’imposition d’un contenu culturel spécifique qui détermine la nouvelle identité scolaire des enfants. Ces règles et pratiques de l’école ne sont pas toujours compatibles avec la vie quotidienne des enfants issus d’un milieu communautaire où l’identité est forgée par l’appartenance au groupe et par leurs actions collectives, effectuées principalement dans des buts économiques. Cette contradiction identitaire est supposée conduire à une réduction du sentiment d’attachement et de l’identification à l’école. Dans le cas des communautés rom, dès leur

plus jeune âge, les enfants participent activement aux activités économiques du groupe, telles que la mendicité ou le ramassage de la ferraille, activités qui sont par la suite transmises aux générations suivantes. En même temps, pour les familles rom, l’éducation scolaire est synonyme d’un investissement de longue durée d’un point de vue financier, social et relationnel ayant des conséquences sur le plan culturel, social et économique de la famille et du groupe ethnique. En conséquence, nous nous interrogeons sur le processus de construction des relations de confiance entre les enseignants et les enfants rom ? Comment la collaboration entre les enseignants et les parents favorise leur investissement dans l’éducation des enfants et comment influence-t-elle leur parcours académique pour favoriser l’accrochage scolaire ? Quel est l’impact de la pédagogie coopérative sur le parcours scolaire?

Pour pouvoir déterminer la relation de causalité entre les différents facteurs qui influencent la stabilité scolaire des enfants rom scolarisés en France nous avons choisi une approche ethnographique longitudinale à travers une méthode de collecte des données mixte. Nous avons suivi pendant trois ans une cohorte de 80 enfants rom de 7 à 14 ans, habitant 6 habitats informels situés dans des banlieues parisiennes et qui sont scolarisés dans 4 écoles primaires et 1 école secondaire. Dans un premier temps, pour obtenir les données qualitatives nous avons mené des observations participantes dans le milieu scolaire et familial. A partir de ces observations, nous avons pu étudier et analyser les changements de comportement et d’attitudes des enfants scolarisés dans chacun des deux environnements sociaux, ainsi que la construction des relations de confiance et collaboration qui s’opèrent entre les différents acteurs. Puis, dans un deuxième temps, nous avons passé des entretiens semi-directifs avec 6 enseignants qui donnent des cours dans les 5 écoles où les enfants rom de notre cohorte sont scolarisés. Du côté du travail quantitatif, les données ont été obtenues à partir de questionnaires passés avec les parents des enfants scolarisés au moment de l’enquête.

Les résultats obtenus montrent que la qualité et la quantité de l’éducation reçue influencent d’une part l’investissement des parents dans l’éducation scolaire de leurs enfants et d’une autre part, elle influence l’adaptabilité scolaire et la stabilité identitaire de l’enfant. Ensuite, les résultats mettent en évidence qu’un nombre très réduit des parents rom s’investissent dans l’éducation scolaire des leurs enfants. Cette absence d’investissement peut être expliquée dans un premier temps par le taux d’analphabétisme très élevé chez les parents, puis, dans un deuxième temps, par leur absence d’intérêt dans l’éducation de manière globale. Pour plus de 75% des parents, l’éducation scolaire se résume à apprendre à lire et à écrire et savoir calculer. Se projeter dans le futur et comprendre l’impact du parcours scolaire sur l’avenir de l’enfant, surtout au niveau professionnel, représente un réel défi. Pour

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eux, l’école représente un monde d’incertitudes car rien ne les assure de la réussite future de leurs enfants s’ils sont scolarisés. Et cela s’aggrave davantage dans le cas des parents qui ont été scolarisés dans des écoles ségrégées, éducation qui ne leur a pas permis d’avoir un diplôme ou d’accéder au marché du travail. Dans cette logique économique employée comme stratégie de survie, leurs enfants doivent apprendre à l’intérieur du milieu familial comment il faut gagner sa vie et comment contribuer au bien collectif. Pour plus de la moitié des enfants de notre panel nous avons observé le développement d’une forme de résistance culturelle.

Les données montrent qu’il existe des situations où l’école prend ses responsabilités éducationnelles et s’implique de manière active dans le développement scolaire des enfants rom et leur suivi. Les enseignants gardent un lien étroit avec les parents rom, parfois en dehors des heures d’école, ils leur rendent visite dans les bidonvilles pour enseigner la langue française aux parents également ou pour aider les enfants à faire leurs devoirs. Ce lien de confiance qui se bâtit à travers la collaboration entre les parents et les enseignants devient un facteur stabilisateur entre les deux mondes : famille-école. Dans ce cas, les données mettent en évidence une forme d’équilibre qui s’installe entre les deux identités des enfants rom, l’identité communautaire et celle scolaire. L’interaction avec les enfants du groupe majoritaire et le processus de comparaison avec les autres font que les enfants rom s’adaptent et ajustent leur comportement à la norme dominante. Les résultats mettent aussi en évidence l’impact positif de la pédagogie Freinet sur la stabilité scolaire des enfants rom. L’avènement d’une nouvelle identité sans le rejet de l’autre permet l’adaptation scolaire, un comportement scolaire adéquat et une trajectoire éducative plus stable et de longue durée, favorisant l’intégration scolaire et sociale de l’enfant..

PRATIQUES DE CLASSE

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110 - PRATIQUES DE CLASSE 111 - PRATIQUES DE CLASSE

LE TRAVAIL AUTONOME À L’ACE

Amandine Tuerlinckx ACE (De l’Autre Côté de l’Ecole), Auderghem

De l’Autre Côté de l’Ecole (l’ACE) est une école secondaire d’enseignement général à pédagogie Freinet libre subventionnée. Des parents ont créé une asbl en 2010 afin d’ouvrir cette école. En septembre 2014, l’école ouvrait ses portes à 80 élèves. Chaque année, la population a grandi : 160 élèves en 2015, 250 en 2016, 330 en 2017 pour arriver à plus de 450 à terme.

La pédagogie Freinet à l’ACE, c’est mettre le travail de l’élève au centre, différencier les apprentissages, viser l’autonomie des élèves, mettre en œuvre la démocratie à l’école, favoriser la créativité dans tous les domaines, assurer la coopération entre les élèves et au sein de l’équipe pédagogique, développer l’esprit critique.Pour ce faire, nous utilisons différents outils. Un de ces outils est le Travail Autonome (ou TA). Chez nous, il y a des

plages horaires dédiées au TA dans la plupart des cours. Les objectifs visés par le TA sont de :

•   Différencier au mieux les apprentissages : chaque élève est sur une tâche qui lui est propre en fonction de ses besoins. •   Favoriser le libre choix des élèves afin que l’élève soit motivé par la tâche qu’il entreprend.•   Travailler l’autonomie des élèves : chacun apprend à organiser son travail.

Le TA à l’ACE était déjà présent dans les cartons avant l’ouverture de l’école. Nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait en primaire. Nous avons souhaité développer le concept de TA plutôt que de TI (travail individuel) qui est plus souvent présent dans la littérature afin d’insister sur l’autonomie et de permettre

la coopération entre élèves.

Notre pratique du TA a évolué avec le temps. La première année, nous obligions les élèves à s’organiser avec un plan de travail1 sur six semaines. Nous laissions une grande place pour le projet personnel, sans l’avoir bien défini et organisé. Nous avions mis en place un système de professeur-référent (appelé Tuteur) afin de guider l’élève dans l’acquisition de l’autonomie. Cela s’est révélé compliqué dans l’organisation pratique. Nous avions organisé le TA de manière complètement ouverte : les élèves étaient libres de pratiquer la discipline qu’ils souhaitaient et de se déplacer librement dans toute l’école afin de travailler avec n’importe quel élève ou professeur. Nous avions élaboré un plan de travail unique, commun à l’ensemble des disciplines, ce qui s’est révélé difficile à l’usage.

Forts de notre expérience et de nos essais, nous avons aménagé le TA différemment la deuxième année. Le TA a été plus cadré : ramené dans le temps et l’espace d’un cours, les élèves devaient travailler une discipline donnée dans un temps imparti et dans l’espace-classe. Le plan de travail était organisé sur 2 ou 3 semaines suivant les périodes plutôt que 6. Le plan de travail est devenu disciplinaire et géré par le professeur de discipline.

La troisième année, en 2016 donc, nous

1 Le plan de travail est un document utilisé par l’élève, le pro-fesseur et les parents afin d’organiser et de vérifier le travail qui est fait. On peut l’apparenter à un « contrat » de travail.

avons essayé de rendre l’autonomie de l’élève progressive. Nous avons pensé qu’il était important de faire découvrir les activités en groupe-classe avant de permettre aux élèves de les exploiter de manière individuelle en TA. Nous avons fait évoluer nos « plans de travail ».

La quatrième année, en 2017, nous avons souhaité revenir vers une pratique de TA davantage ouvert afin que les élèves puissent accorder plus de temps à l’un ou l’autre projet dans l’une ou l’autre discipline et que leur élan ne soit plus cassé par les contraintes horaires (ou en tout cas que ce soit moins le cas). Nous avons remis en place un système de professeurs-tuteurs, avec d’autres modalités d’organisation. Nous avons modifié nos attentes par rapport à la planification : il n’était plus question pour les élèves des petites classes, de devoir savoir à l’avance comment ils s’organiseraient sur plusieurs semaines, ils devaient plutôt s’organiser au jour le jour en fonction de ce qu’ils parvenaient à faire.

Pour nous, certaines conditions sont nécessaires pour que le TA se passe bien. Il faut d’abord bien définir les règles du TA, la manière dont il se déroule et ce que les élèves peuvent faire ou ne pas faire pendant ce temps-là. Un climat de travail doit être établi. Les élèves doivent avoir découvert les activités en groupe-classe afin d’oser se lancer et de bien comprendre en quoi consistent les différentes possibilités de base. L’autonomie, ça s’acquière, on doit

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112 - PRATIQUES DE CLASSE 113 - PRATIQUES DE CLASSE

penser le TA de manière accompagnée et évolutive et ne pas trop laisser les jeunes élèves seuls face à une organisation parfois compliquée. Les enseignants ne doivent pas avoir peur d’essayer, pas à pas. Le TA peut être mis en œuvre dans des écoles qui ne sont pas « Freinet », il est possible dans toutes les structures scolaires.

A l’ACE, le TA se passe bien depuis 4 ans, nous avons essayé de réfléchir aux raisons pour lesquelles c’est le cas et aux difficultés et risques relatifs à cette pratique.

Nos forces sont entre autres liées au fait que notre équipe éducative est motivée, tournée vers un projet pédagogique fort et partagé. Nos objectifs sont identiques et nous aimons nous positionner en tant qu’enseignants-chercheurs. Nos opportunités sont du côté de l’intégration. Depuis 2015, nous travaillons avec l’Ecole Intégrée pour nos jeunes porteurs de handicap (principalement dysphasie et dyspraxie) et nous avons engagé une logopède. Ces personnes-ressources nous aident à penser à certains aspects du TA auxquels nous n’aurions pas pensé. De plus, les parents adhèrent également à notre projet d’établissement et sont pour nous de véritables partenaires.

Nos faiblesses seraient au niveau de notre manque de cohérence entre les différentes disciplines. Les élèves doivent jongler avec des outils et des pratiques différentes. Ils doivent chaque fois s’adapter au professeur avec lequel ils ont TA. Les élèves en difficulté ne parviennent pas toujours à utiliser le TA comme un outil pour s’améliorer. Enfin, certains élèves profitent des plages de TA pour se cacher, en faire le moins possible ou faire à la maison plutôt qu’à l’école. Les menaces que nous envisageons sont au niveau de l’horaire figé par tranche de 50 minutes et avec un enseignant désigné, ce qui coupe parfois l’élan de travail des élèves et rend plus compliqué l’interdisciplinarité. Une autre menace est due à la difficulté de communiquer clairement avec les parents sur nos modes de fonctionnements.

Nos objectifs pour l’avenir sont de parvenir à intégrer une dimension interdisciplinaire à notre TA. De remettre plus en avant les projets personnels des élèves et d’homogénéiser davantage nos pratiques.

SORTIR DE L’IMPLICITE, TRAVAILLER LES MALENTENDUSRapports au savoir et malentendus sociocognitifs

Jacques Cornet CGé (Changements pour l’Egalité), mouvement socio pédagogique

Précaution liminaire : ce qui suit n’est pas « vrai », c’est un discours construit comme tout savoir. Un discours n’est pas vrai, il est pertinent ou non, il nous aide à comprendre et à agir ou non. Notre conviction est que le discours qui suit est pertinent. Nous vous invitons à partager cette conviction, mais nous ne prétendons pas dire la vérité.

Le rapport au savoir n’est pas une caractéristique intrinsèque de la personne, ce n’est pas un atout ou une carence, pas un nouveau handicap. Personne n’a, ne « possède » son rapport au savoir. Au contraire, c’est un processus dynamique qui permet à chacun d’élaborer des stratégies de construction de soi en situation de confrontation à du savoir ou à ce qui est

présenté comme tel.

Le rapport au savoir comme processus dépend donc tout autant de la personne confrontée au savoir que de la situation dans laquelle cette confrontation a lieu. Et la stratégie déployée est toujours « intelligente », juste, adaptée à la situation en fonction des éléments dont la personne dispose. Ce n’est donc pas la personne qu’il faut changer ou la stratégie qu’il faut corriger, mais bien la situation qui est à repenser.

Le petit d’homme n’est pas programmé. Il est donc nécessairement amené à (se) faire du savoir sur son environnement

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114 - PRATIQUES DE CLASSE 115 - PRATIQUES DE CLASSE

pour s’y adapter (ou le changer). Et il ne peut faire du savoir nouveau pour lui qu’à partir de qu’il « sait » déjà et du rapport de ce savoir à la nouvelle situation dans laquelle il se trouve. Pas seulement. Il va aussi faire du savoir nouveau pour lui parce qu’il est animé d’une force intérieure qui le pousse à lever le voile, à regarder derrière la porte, à connaitre, parce que son Désir le mobilise. Il y a donc une dimension sociologique dans le rapport au savoir : de quel « savoir » dispose-t-il déjà en fonction de son histoire personnelle et comment ce savoir interagit avec les situations, scolaires ou non, dans lesquelles il est plongé, et une dimension psychanalytique, le mystère de cette force intérieure, ce qui l’anime, ce sur quoi va porter son Désir.

Dans le rapport au savoir, il y a donc du déterminé sociologique, du prévisible, du maitrisable : toute histoire de vie personnelle s’inscrit dans une histoire collective, de genres, de classes sociales, de peuples. Par exemple, on « sait », dans la mesure où cela a été fréquemment observé, que les enfants de milieux populaires dans les situations d’apprentissages traditionnelles vont le plus souvent mobiliser leur énergie sur le respect scrupuleux des consignes, estimant que le succès dépend de cette stricte exécution. Ce malentendu scolaire, croire que c’est en exécutant les consignes qu’on apprend ou qu’on réussit à l’école, est fréquemment entretenu, voire renforcé, par l’école. Et d’ailleurs, orienter son action à l’école pour apprendre ou bien pour réussir fait aussi

partie d’un rapport au savoir ambigu, voire contradictoire, une ambigüité – contradiction entretenue par l’école.

La recherche a ainsi montré comment les expériences familiales vécues contribuent à construire des rapports à l’autorité, au travail, à l’écrit, aux écrans, à l’usage de la connaissance, à soi, aux autres et au monde qui sont constitutives de ce qu’on appelle rapport au savoir dans sa confrontation avec ce que l’école en fait. Pour l’enseignant, la connaissance des multiples formes que peut prendre le rapport au savoir dans sa dimension sociologique et ce qu’elles entrainent dans la classe est une aide importante pour la conception et l’animation des activités d’apprentissage et pour l’attention constante aux malentendus qui peuvent se glisser entre des rapports au savoir divergents dans ces activités.

Mais dans le rapport au savoir, il y a aussi de l’indéterminé psychanalytique, de l’imprévisible, du non maitrisable : toute histoire personnelle est singulière, l’objet du Désir de chacun restera à jamais obscur pour l’éducateur qui voudrait l’imposer. L’enfant, le jeune peut tout à coup attribuer de la valeur à tel ou tel objet d’apprentissage, à telle ou telle activité et s’y investir totalement pour autant que l’école ne réprime pas ce Désir. L’enseignant, l’école doit accepter de se laisser surprendre par cet imprévisible, doit laisser la place au Désir. Le mieux que l’enseignant puisse faire, c’est de Désirer lui-même, désirer savoir, et espérer que chez l’enfant, chez

le jeune naisse le désir du désir de l’autre.

Le rapport au savoir ainsi conçu dans ses deux dimensions, sociologique et psychanalytique, permet de comprendre l’importance déterminante, pour apprendre ou non, pour réussir ou non, du sens donné par chacun, élèves et enseignant, aux activités scolaires. Ce « sens » est à comprendre dans une triple acception : la signification, l’orientation, et la valeur que prennent l’activité, les consignes, les mots, la recherche, la synthèse... pour chacun.

Et il y a malentendu sociocognitif dès que le sens donné par un élève à une activité n’est pas favorable à son apprentissage, le sens donné, c’est-à-dire la signification, l’orientation et la valeur donnée à ce qui lui est proposé. Il ne s’agit donc pas d’incompréhension au sens habituel du terme utilisé à l’école, de l’élève qui ne comprend pas. Ce n’est pas seulement l’écart au sens donné par l’enseignant, car il arrive fréquemment que l’enseignant partage ce malentendu sans le savoir et le renforce involontairement.

Pour qu’il y ait apprentissage, il faut que l’activité d’apprentissage :

• prenne sens (signification) reliée à d’autres choses sues par ailleurs et • donne sens (signification) à d’autres choses qui y gagnent ainsi en intelligibilité et • provoque des échanges, de la communication à travers un conflit sociocognitif et • se situe dans un trajet, entre un avant et un après (orientation) et • rende l’après différent de l’avant, oriente vers de nouveaux apprentissages et • ait de la valeur, soit désirée – désirable pour ce qu’elle donne de pouvoir et • donne de la valeur à des prolongements, rende désirées – désirables de nouvelles activités.

Il y a malentendu sociocognitif dès lors que la stratégie de l’élève repose sur des significations et/ou une orientation non favorable à l’apprentissage et/ou sur de la valeur accordée à autre chose que ce qui favorise l’apprentissage.

POUR PROLONGER LA RÉFLEXION : Sortir de l’implicite, travailler les malentendus. Vous pouvez répéter ?, Coord. B. Roosens, étude CGé, 2017.Les formes de malentendus sociocognitifs (titre temporaire), Coord. B. Roosens, étude CGé, (à paraitre 2018).

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116 - PRATIQUES DE CLASSE 117 - PRATIQUES DE CLASSE

ECHEC SCOLAIRE : TOUJOURS LES MÊMES ? COMMENT LE COMPRENDRE ? A QUI LA FAUTE ? QUE FAIRE ?

Fred Mawet & Thomas Michiels CGé (Changements pour l’Egalité), mouvement socio pédagogique

On sait entre autres par les Indicateurs de l’enseignement et les données recueillies par PISA que notre système scolaire reproduit les inégalités sociales, voire qu’il les renforce. Cela signifie que, selon ses origines sociales, on est prédéterminé à réussir ou échouer à l’école ; que si on appartient à un milieu populaire, par exemple, on a statistiquement plus de chance de rater sa scolarité.

A Changements pour l’égalité, on identifie plusieurs raisons qui expliquent cette situation injuste, des raisons liées principalement au fonctionnement de l’école : l’existence de différents réseaux d’enseignement, une dynamique de compétition entre écoles, une sélection très cruelle des élèves (redoublement, relégations…), une formation des enseignants qui ne permet pas de faire

face à la complexité du métier et à l’ambition de faire apprendre tous les enfants, etc.Si l’école n’est donc pas faite actuellement pour les jeunes de milieux populaires, faite pour les accueillir et soutenir leurs apprentissages, ce constat nous force à relativiser la croyance pourtant bien ancrée en l’égalité méritocratique des chances... Il ne suffit pas de « faire des efforts » et d’être « motivé » pour réussir sa scolarité… Il faut surtout naître dans le bon environnement social, visiblement…

Pourtant, il faut bien admettre qu’un petit pourcentage de jeunes de milieux populaires réussit à l’école, que certains s’en sortent et vont à l’encontre des statistiques. Une partie de ceux qui ont la plus grande probabilité de redoubler à l’école parviennent à échapper à ce risque et dans certains cas, ils occupent même les meilleurs scores dans les classements scolaires.

Qu’est-ce qui explique cela ? Pour quelles raisons certains jeunes de milieux populaires réussissent-ils contre toute attente, dans un contexte scolaire qui n’est généralement pas prévu pour eux ? Si l’échec scolaire n’est pas qu’une affaire d’héritage que l’on a ou que l’on n’a pas, si ce n’est pas une affaire de transmission « mécanique », qu’y-a-t-il de plus à comprendre ?

Bernard Lahire, dans son livre appelé Tableaux de famille (1995), s’est efforcé de creuser la question en dressant le portrait de plusieurs familles de milieux populaires. En dressant ces portraits, il nous permet de distinguer plusieurs facteurs familiaux déterminants qui accrochent ou non les enfants à l’école, à ses règles, à sa culture. L’école privilégiant une culture écrite, les familles marquées par une culture orale, et dévalorisant par exemple l’usage de l’écrit tendent pour partie à compliquer l’entrée de l’enfant dans les apprentissages scolaires. En termes de rapport au temps, Lahire pointe qu’une organisation plus rationnelle, cohérente et suivie des activités familiales préparera mieux, sans dissonance, à entrer dans la division du temps propre à l’école (horaire de cours, rythme des activités, autonomie dans la gestion du temps, gestion des supports scolaires...). En termes de rapport à l’école, pour prendre un dernier exemple, Lahire révèle aussi dans les cas de résistance culturelle à l’école, les conflits de loyauté qui peuvent apparaître et les difficultés scolaires qui s’en suivent.

S’inspirant de ses travaux, notre atelier s’est donné pour première tâche d’identifier avec les participants toute une série de facteurs familiaux qui rapprochent ou éloignent de l’école. La grille de lecture proposée était celle des rapports au savoir, soit la manière vivante par laquelle tout individu entre en relation, se rapporte, se connecte à des processus d’apprentissage et à des produits de savoir, dont il les investit de sens, de son désir, de ses représentations. Rapports qui sont vivants, dynamiques, et sont le fruit du parcours de chacun. L’idée était donc d’identifier des rapports à l’écrit, rapports à l’autorité, rapports au travail, rapports au temps ou à l’espace propres à

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118 - PRATIQUES DE CLASSE 119 - PRATIQUES DE CLASSE

certains milieux sociaux et de voir ensemble lesquels étaient plus ou moins favorables aux apprentissages scolaires.

Notre second but a été, ensuite, de faire appel au vécu des participants (enseignants, étudiants, parents) en interrogeant la place que l’école donnait effectivement aux rapports au savoir des jeunes de milieux populaires.

Cette réflexion nous a amené à penser que les rapports au savoir des jeunes de milieux populaires ne doivent pas être considérés comme des handicaps, car ce sont toujours des stratégies intelligentes, des stratégies cohérentes pour eux, même s’ils sont parfois défavorables aux apprentissages scolaires. Il ne peut être question de changer frontalement les élèves ou de culpabiliser les parents. L’enjeu pour l’enseignant est de travailler les postures et dispositifs mis en place pour qu’ils facilitent l’apprentissage de tous. Ce qui engage une réflexion de fond sur le sens que les élèves donnent chacun aux activités scolaires ; une attention marquée aux malentendus sociocognitifs qu’on génère ; ou encore à l’exigence de proposer un cadrage suffisamment large et fort pour « piéger le désir » de chacun.

UN COURS DE MATH « TOUS CAPABLES » DANS L’ENSEIGNEMENT QUALIFIANT, C’EST POSSIBLE

Marie Milis Adomath

Dès 1990, j’ai eu la grande chance d’enseigner en terminale dans une école technique et professionnelle rassemblant des élèves très vivants et peu scolaires. Dans une telle école, classée en «  discrimination positive  », le professeur de mathématiques est une cible privilégiée de tous les comportements d’auto-dévalorisation apprise (agressivité et mutilation) par les élèves durant les années douloureuses qu’ils ont vécues avec le monde scolaire. Ils se sont majoritairement réfugiés dans la certitude de l’incompétence et

font tout pour enliser toute démarche « positive » de l’enseignant.

Pour éviter d’être rendue impuissante par mes élèves je me suis imposée deux règles : être en lien avec chacun et faire que tous mes élèves deviennent capables …même en mathématiques.

J’ai alors inventé des outils pédagogiques qui font l’objet d’une thèse «  Le savoir mathématique en construction  » en cours de publication chez Chronique Sociale.

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120 - PRATIQUES DE CLASSE 121 - PRATIQUES DE CLASSE

En quelques années, je suis arrivée à transformer mes classes en laboratoire où chaque élève est acteur et à n’avoir plus aucun échec malgré un très haut niveau d’exigence certifié par un jury extérieur.

Ma contribution au colloque est à la fois un témoignage de terrain et de recherche, et en même temps une opportunité de réfléchir avec les personnes qui le désirent pour qu’elles questionnent leurs difficultés et trouvent leurs réponses créatives pour les jeunes contemporains.

Selon Michel Serres1, vers 1993, nous avons vécu le quatrième changement de paradigme culturel majeur : après le passage de l’homme chasseur cueilleur à l’homme sédentarisé, l’arrivée de l’écriture puis celle de l’imprimerie, nos repères culturels ont été complètement chamboulés par l’arrivée conjointe de l’ordinateur portable et d’internet. Pour nos élèves, résolument nés après 1993, les notions de respect, d’écoute, d’autorité, d’étude, d’apprentissage, ... ne veulent plus dire la même chose que pour les enseignants dont la plupart sont nés et ont été éduqués avant 1993. Entre eux et nous un gouffre culturel qui questionne toute perspective de « transmission ». Plus question de regarder dans le rétroviseur de nos expériences en tant qu’élèves pour trouver les bonnes pratiques pour les élèves de demain. Dès lors, il s’agit de les observer et de devenir chercheurs: chaque enseignant aujourd’hui est invité à devenir chercheur en pédagogie sur le terrain de ses classes.

Au centre de notre observation, je propose de placer la devise empruntée à Stella Baruk: « L’erreur est la signature de l’individu ». Ainsi considérée, l’erreur n’est plus seulement défaillance ou déviance, écart par rapport à la bonne réponse, elle devient un langage qui nous instruit sur la façon dont l’élève construit sa compréhension des mathématiques.

J’invite les enseignants à élaborer une posture de troc: positionner l’élève en expert de comment l’on pense avec un cerveau non programmé pour les mathématiques et s’intéresser à ses productions quelles qu’elles soient. Il n’est pas difficile d’y trouver au moins l’intérêt qu’il y ait du bleu sur la feuille, une trace de présence, et parfois même celui d’une pensée à minima ce qui peut être vu comme une façon d’aborder l’esthétique des mathématiques qui valorise l’épure. Demander à l’élève : « Explique-moi ce que tu fais, je veux pouvoir faire pareil  » l’oblige à être l’expert de sa façon de faire et à trouver les mots pour l’expliquer. Cela le rend acteur, contributeur à l’élaboration collective du savoir.

1 Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, coll. « Manifestes », 2012

Le cours doit laisser à l’élève la possibilité de l’errance: se tromper pour apprendre et acquérir la complexité des champs de connaissance contemporains. Il n’est plus question de « donner cours » mais de créer des classes laboratoires où les élèves cherchent, se trompent et apprennent de leurs parcours, dynamiquement et collectivement.

Ce n’est pas au professeur de dire ce qui est juste ou ce qui est faux mais aux élèves de négocier le pourquoi choisir telle réponse plutôt que telle autre. Si leur choix est erroné, l’enseignant pourra remettre cette problématique en recherche à partir d’une autre situation de recherche. Ne plus se positionner en référence, distributeur de savoirs doctes et patentés mais en stimulateur de découvertes, en aiguillon d’apprentissage.

Dans cette perspective, la posture de l’enseignant change... et c’est le plus dur! Il n’est plus question de donner des réponses à des jeunes gavés et convaincus que tout savoir est dans leur téléphone. Il s’agit de les mobiliser de question en question pour qu’ils élaborent individuellement et en groupe les savoirs dont nous avons la responsabilité.

Ce qui a fait dire à Isabelle Stengers, philosophe des sciences, en observant l’évolution de mes élèves qu’ils sont « tous capables si tous ensemble ».

Les jeunes ont besoin de défi, de se coltiner à des questions qui les

dépassent. Pour oser cette aventure il doit leur être permis d’y aller avec la confiance que donne la solidarité et pour cela apprendre la solidarité: apprendre à oser poser la question de ce que l’on ne comprend pas, oser dire ce que l’on a comme piste de solution, écouter l’autre et s’écouter soi.

Marilyne à la fin de ses études secondaires :

«  Le cours de mathématiques nous a appris à aller au-delà des difficultés, à vivre avec des contradictions, à nous sentir perdu(e)s sans couler, à avoir confiance en soi. Le choc du cours, c’est que le monde est comme ça : les mathématiques nous donnent accès à la réalité. Quand tu as un problème dans la vie, une période où tu as l’impression que tout se ligue contre toi, il faut te dire que c’est une étape à passer. Courage. En mathématiques, j’ai appris que pour avancer, il faut aller d’étape en étape. On n’avance pas d’un bond. On n’arrive pas à la réponse finale en une fois. Je crois que ceux qui n’arrivent pas en mathématiques, ce sont ceux qui se sentent tout de suite coulés, qui n’arrivent pas à comprendre que si tu as passé une étape c’est bien. Or, il faut pour progresser, arriver à décortiquer et pour cela, il faut apprendre à poser la question précise de ce qu’on ne comprend pas. Il ne faut pas se décourager et demander à son voisin.

C’est en mathématiques que j’ai appris la solidarité.

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En mathématiques, j’ai appris à me maîtriser : tant de fois, j’aurais pu tout envoyer balader en disant que je ne comprends rien…puis j’essaie quand même de trouver des solutions par moi-même à un truc qui me rend bigrement nerveuse. Cela a un effet sur le comportement. La majorité des cours travaillent sur la mémoire et/ou sur le savoir. Les mathématiques ce n’est pas que du savoir : ça apprend à se retrouver face à une situation difficile sans la fuir impulsivement.

Et puis c’est aussi au cours de mathématiques que j’ai appris à ne pas gober bêtement ce qu’on me dit. J’ai besoin de comprendre pourquoi on me dit ça. Si on n’accepte pas une formule bêtement, on n’accepte pas non plus bêtement ce que quelqu’un nous dit tout en gardant le respect. Tout ça c’est la réalité. Les mathématiques ça sert à vivre. »

Les interrogations sont de bons moments pour stimuler cette dynamique: autoriser les élèves à la recherche collective (ce n’est plus de la « tricherie »!) dans la perspective déclarée dès le début de l’année d’un examen oral, individuel et devant jury en fin d’année. Chacun doit y arriver seul mais tout est permis en cours de route pour construire en chacun la confiance en soi et la compétence d’être acteur en mathématiques, même en mathématiques!

Les décrets dont nous bénéficions et la distinction entre interrogation formative et certificative permet de déclasser une épreuve « ratée » en exercice collectif, donnant à l’enseignant-chercheur plein d’informations sur les compétences et les connaissances (parfois naïves et non actualisées) de leurs élèves. Reprendre dès lors non un cours qui dit le juste mais une recherche comparative des solutions proposées avec pour seules questions: laquelle choisir? Et pourquoi? Même si le choix des élèves est faux, il a le mérite d’avoir été négocié à partir de leurs productions. C’est donc une bonne base de travail avec l’ensemble des élèves.

Dans une telle ambiance chacun compte et se découvre utile, voire compétent. Le plaisir apparaît. La classe se solidarise, le niveau des questions envisagées augmente, le temps s’accélère exponentiellement. Les élèves non seulement ne s’absentent plus du cours mais y participent avec entrain, choisissent d’y venir et brassent rapidement, avec présence et intelligence, de grands pans de matière dont ils découvrent les reliefs par leurs questions devenues expertes.

Alors qu’ils donnent l’impression d’être blasés, « démotivés » et n’ayant plus pour l’école qu’un désintérêt fade et généralisé, le défi est de leur faire confiance, de créer un climat de stimulation et de plaisir. La clé pour cela, nous enseignent la neurobiologie et l’expérience de terrain, est simple: la valorisation, même de «  compétences

résiduelles » (J.-M. Lemaire) : le petit peu qu’ils apportent au collectif, même une erreur ou une question, est valorisé non pas de façon sur-affective sirupeuse mais comme apport à la réflexion collective. Tout est intégré et utile à la construction de la pensée.

Pour les pré-1993, il était de coutume de croire qu’il faut comprendre pour réussir, et dès lors investir le travail nécessaire à la compréhension. Pour les post-1993, cette proposition s’inverse: il faut réussir pour comprendre! C’est parce que je réussis, même un tout petit peu, que je crois en moi et que je me donne une place dans ce collectif stimulant (pure question d’affect et de valorisation). Dès lors je m’intègre plus, participe plus, apprends mieux, et deviens graduellement acteur : je comprends!

Aujourd’hui, il est demandé à l’enseignant de changer sa posture pédagogique, de devenir chercheur et de créer des évaluations habilitantes qui stimulent ses élèves à devenir acteurs. Cela ne se fait pas radicalement du jour au lendemain mais nécessite d’y aller graduellement en observant et en capitalisant ses réussites et ses échecs.

Une clé accélératrice : se taire lorsque l’on pose une question aux élèves. Ne plus donner la réponse, ni soi ni l’élève substitut du maître. Donner la réponse les rend passifs. Se taire force l’élaboration d’une solution par les élèves... ce qui ne se fait pas sans conflit ! Ils sont futés en leur paresse acquise et entretenue : en

ne faisant rien, le professeur s’active pour tous. Ils n’ont aucune envie que cet état change. Ils comprennent bien que le silence de l’enseignant en les encourageant à la parole signe la fin du gavage et l’obligation de devenir actif. L’enseignant qui se fragilise en découvrant une nouvelle posture pédagogique est stigmatisé par des jeunes qui dans un premier temps n’en veulent pas et testent la solidité de l’enseignant et de l’équipe pédagogique. Y aller par petites touches (interrogations, séances d’exercices, ...), avec l’appui de certains collègues, et de la direction ou d’un groupe de recherche créé pour soutenir la démarche... ou mieux encore: dans la cohérence d’une école qui se crée en pédagogie participative!

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LES APPROCHES « EVIDENCE-BASED » EN ÉDUCATION ET LES PÉDAGOGIES ACTIVESUn exemple basé sur l’apprentissage coopératif et un enseignement explicite d’une approche métacognitive en résolution de problèmes mathématiques au primaire

Ariane Baye ULiège

L’éducation fondée sur des preuves (ou Evidence-Based Education - EBE) ou approche basée sur des interventions éducatives dont l’efficacité a été prouvée, est un processus de changement qui se base sur des recherches scientifiques rigoureuses afin d’orienter les politiques et les pratiques éducatives (Baye & Bluge, 2016). Au niveau macro (politiques

éducatives), les défenseurs de cette approche soutiennent l’idée que des améliorations significatives auront lieu si et seulement si (i) les équipes éducatives et les décideurs ont à leur disposition une palette de dispositifs ou de pratiques pour lesquels on dispose de solides preuves d’efficacité ; (ii) les politiques publiques soutiennent l’utilisation de dispositifs

qui ont fait leurs preuves ainsi que le développement et l’évaluation de projets innovants prometteurs. Au niveau de l’implémentation de pratiques « Evidence-Based  » sur le terrain, cette approche privilégie la mise en place de dispositifs pédagogiques dont l’efficacité a été mesurée dans le cadre d’études (quasi) expérimentales, c’est-à-dire des études qui ont pu faire la preuve que le dispositif menait à davantage de progrès pour les élèves qui ont bénéficié du dispositif en comparaison avec un groupe dit «  contrôle  », c’est-à-dire des élèves qui sont comparables aux élèves du groupe expérimental sur toute une série de caractéristiques cognitives et sociodémographiques mais qui n’ont pas eux bénéficié du dispositif pédagogique étudié.

A notre connaissance, peu d’études ont mesuré de manière expérimentale les écoles adoptant des pédagogies actives telles que celles de Decroly, Freinet ou Montessori, à l’exception en Flandre de l’étude de Bilde; Van Damme, Lamote et De Fraine (2013). Cette étude se centre par ailleurs sur les effets des pédagogies Freinet et Waldorf sur l’engagement des élèves, et non sur des variables cognitives. En revanche, des pratiques d’enseignement qui sont mises en place, dans ces écoles ou d’autres, et qui relèvent de «  pédagogies actives  » entendues dans un sens plus large comme le fait de miser sur l’engagement actif de l’élève dans les activités d’apprentissage ont fait l’objet d’études (quasi) expérimentales et de méta-analyses. C’est notamment le cas de l’apprentissage coopératif.

Ainsi, dans le domaine des mathématiques au niveau de l’enseignement fondamental, les travaux de Slavin et Lake (2007, 2008) ont permis de dégager trois grandes catégories de recherches correspondant aux critères de qualité retenus. Bien que présentant certains recouvrements, ces catégories (qualifiées de «  Mathematics Curriculum  », «  Computer-Assisted Instruction  » et «  Instructional Process Program  ») traduisent des hypothèses différentes quant à ce qui constituerait le moteur d’un changement des pratiques porteur d’amélioration des performances des élèves. La synthèse montre assez nettement la plus-value des programmes issus de la troisième catégorie : c’est là que l’on trouve non seulement les recherches les plus solides, mais aussi celles qui présentent les gains d’efficacité les plus importants. Dans cette dernière catégorie, on rencontre notamment des approches s’appuyant sur l’apprentissage coopératif d’une part et sur différentes approches d’enseignement explicite d’autre part.

Une autre source intéressante, dans le domaine des mathématiques toujours et plus spécifiquement dans celui de la résolution de problèmes, réside dans la synthèse réalisée par Mevarech et Kramerky (2014) autour des pédagogies métacognitives. Parmi les différentes approches analysées, le programme IMPROVE est pointé comme étant «  the one which has been most widely studied » et comme ayant « established itself as an evidence-based practical

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method » (p. 16). Cette approche s’appuie sur l’apprentissage coopératif et sur des auto-questionnements qui guident explicitement la réflexion métacognitive des élèves. Notons que les deux ingrédients principaux de cette approche sont pointés comme très efficaces dans la méta-analyse de Hattie (2009) : apprentissage coopératif (A.E. 0.41) et stratégies métacognitives (A.E. 0.69).

Dans le cadre de son mémoire de master en Sciences de l’Education, Julie Frusch (2017) a voulu expérimenter la mise en œuvre d’une telle approche dans des classes de 6e année primaire en Belgique francophone. L’enjeu était de développer, de mettre en œuvre et d’évaluer l’efficacité d’une approche combinant apprentissage coopératif (Buchs, Lerhaus & Crahay, 2012 ; Slavin, 2010) et développement de stratégies métacognitives (Mevarech & Kramarski, 2014). Souhaitant également tirer parti de l’efficacité de l’enseignement explicite (A.E. 0.59 selon la synthèse de Hattie, 209 ; voir aussi Gauthier, Bissonette & Richard, 2008), elle a combiné les apports issus du modèle IMPROVE (Mevarech & Kramarski, 1997) et du modèle SOLVE IT (Montague, Enders & Dietz, 2011) pour développer une grille de questionnements métacognitifs dont l’usage a fait l’objet d’une phase explicite de modelage par l’enseignant. Cette recherche montre l’intérêt d’utiliser et de combiner des pratiques pédagogiques qui ont fait leur preuve, dans des dispositifs qui font la part belle à l’implication active des élèves dans le processus d’apprentissage. En effet, tout en gardant à l’esprit la prudence qui s’impose dans ce type de recherche menée sur un petit échantillon (3 classes), elle a pu mettre en évidence l’efficacité de l’approche développée et ceci tant sur les performances des élèves que sur certaines variables métacognitives et motivationnelles.

RÉFÉRENCES

Baye, A., & Bluge, V. (2016). L’éducation fondée sur des preuves. Rapport du groupe d’expertise mandaté dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence. Bruxelles : Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles.Buchs, C., Lehraus K. & Crahay M. (2012). Coopération et apprentissage. In M. Crahay (eds.), L’école peut-elle être juste et efficace ? (pp.421-454). Bruxelles : De Boeck.de Bilde, J., Van Damme, J., Lamote, C., De Fraine, B. (2013). Can Alternative Education Increase Children’s Early School Engagement? A Longitudinal Study from Kindergarten to Third Grade. School Effectiveness and School Improvement, 24(2), 212-233.Frusch, J. (2017). Enseignement explicite de stratégies cognitives et métacognitives et apprentissage coopératif: une combinaison gagnante pour améliorer les performances, renforcer la motivation et diminuer l’anxiété face à la résolution de problèmes en fin d’enseignement primaire ? Mémoire de Master en Sciences de l’Education, Université de Liège, Document non publié.Gauthier, C., Bissonnette, S. & Richard, M. (2008). Passez du paradigme d’enseignement au paradigme d’apprentissage. Les effets néfastes d’un slogan. Les Actes de la recherche 7(13), 239-271.Hattie, J. (2009). Visible leaning. A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. New York: Routledge. Mevarech, Z. & Kramarski B. (1997). IMPROVE : a multidimensional method for teaching mathematics in heterogeneous classrooms. American Educational Research Journal, 34, 365-394. Mevarech, Z. & Kramarski B. (2014). Critical maths for innovative societies: the role of metacognitive pedagogies. OECD publishing. Montague, M., Enders, C., & Dietz, S. (2011). Effects of cognitive strategy instruction on math problem solving of middle school students with learning disabilities. Learning Disability Quarterly, 34(4), 262-272. Salvin, R. E. (2010). L’apprentissage coopératif : pourquoi ça marche ? in H. Dumont, D. Istance & F. Benavides (Eds.), Comment apprend-on ? : La recherche au service de la pratique (pp.171-189). OECD publishing.Slavin, R. E., & Lake, C. (2008). Effective programs in elementary mathematics: A best-evidence synthesis. Review of Educational Research, 78(3), 427–515

LA PÉDAGOGIE DU CHEF D’ŒUVRE AU SERVICE D’UNE ÉCOLE ACTIVE

David Marth, Jacques Kass Ecole régionale Uewersauer, Grand-Duché de Luxembourg

Préparer les enfants aux défis de demain est une des grandes missions de l’école d’aujourd’hui.

Ainsi, la sensibilisation des enfants au développement durable, à leur environnement et l’éveil du désir de gérer soi-même ses apprentissages sont des piliers de l’enseignement au sein de notre établissement scolaire.

Nous avons décidé de pratiquer la pédagogie du chef d’œuvre de façon continue dans toute l’école. Le leitmotiv de ces pratiques pourrait être « l’enfant auteur ».

Cinq axes ont été réfléchis pour mettre tout cela en pratique.

D’abord, nous avons débattu de valeurs et de partis-pris pour orienter nos actions pédagogiques.

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128 - PRATIQUES DE CLASSE 129 - PRATIQUES DE CLASSE

d’apprentissages proposés. Les didactiques que nous privilégions donnent à l’élève un statut d’auteur. Plusieurs axes sont proposés :

•   Réalisation d’exposés (en duos ou en trios) à présenter aux autres (de la classe ou d’autres classes)•   Réalisation de posters à afficher (dans l’école et à l’extérieur)•   Consignes de recherche et d’écoute•   Organisation du choix (sujets, consignes, référents)•   Des expérimentations à préparer à la maison et à montrer à l’école•   Gestion des espaces de liberté et du temps (dans la structure légale)•   Activités spécifiques de lecture (plaisir, partage en cycle et inter-cycles)

Ces différents dispositifs ont donné lieu à plusieurs réalisations :

•   Des posters thématiques (arbres, environnement, …)•   Le tri des déchets par des poubelles spécifiques•   Des vidéos réalisées par les enfants (reportages, informations, …)•   Une coopérative de l’école (poules, chèvres, abeilles)•   Recrutement d’ouvrier pour aider à la coopérative (écrire des lettres, délibérer pour choisir, …)•   Panneaux pour les routes (Stop déchets !)•   En cours : la présentation de chef d’œuvre par chacun des enfants de 6e année d’études.

La mise en place de ces pratiques

pourrait se résumer par les deux verbes : enseigner pour apprendre.

Nous constatons que les enfants :

•   sont fiers ;•   sont motivés pour venir à l’école ;•   sont envieux d’être actifs pour réaliser des choses ;•   parlent de ce qu’ils apprennent à la maison ;•   veulent être expert ;•   sont inscrits dans le développement durable ;•   deviennent autonomes.

Nous pensons que tous les enfants doivent avoir leur place et grandir dans notre école.Nous ne sommes donc pas une école élitiste. Nous voulons les faire tous évoluer, les valoriser et créer chez chacun le sentiment d’équipe.Ceci se traduit par des postures chez chaque enseignant. Nous pensons que chacun doit être :

• Accompagnateur• Soutien• Référent• Organisateur• Démocratique• Authentique

Et chacun doit accepter de partager du pouvoir.

Ensuite, nous pouvons dire que notre environnement matériel a été organisé. Nous avons la chance d’avoir un parc naturel proche de l’école. De nombreuses personnes ressources externes sont disponibles (voisin fermier, forestier, conseiller écologique, apiculteur, …) et ceci avec le soutien du syndicat scolaire. L’architecture de l’école permet des interactions entre toutes les classes. Notre bibliothèque/centre de documentation est mise au service de la recherche documentaire. Nous y trouvons de nombreux documents à disposition des élèves. L’accès y est organisé, nous avons obtenu l’emploi d’une personne pour la gérer (répertoires, organisation, familiarisation, initiation, …). Les enfants y apprennent à trouver des infos, à confronter différentes versions, …

Le matériel informatique (iPad/Vidéo) est utilisé dans ce contexte.

L’observateur externe pourra aussi constater que la plupart des classes sont sans bureau. Cette situation impose aux enseignant d’adopter une posture démocratique et de ne plus être le distributeur exclusif des savoirs. Il est davantage à côté de ses élèves plutôt que devant.

Signalons que ces aspects sont toujours en cours d’évolution. La bibliothèque n’est pas « statique », son utilisation est discutée régulièrement.En ce sens, nous pouvons dire que ces conditions nous permettent d’être une « école active ».

Nous avons également réfléchi la pédagogie active par rapport aux dispositifs

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LA PÉDAGOGIE PAR LES PAIRS

Service de l’Inspection PédagogiqueDépartement de l’Instruction publique, Ville de Bruxelles

La présente communication vise à exposer les résultats d’une expérience relative à la « pédagogie par les pairs » et à ses effets dans les pratiques de classe. Cette expérience menée à l’initiative de l’Inspection de la Ville de Bruxelles s’inscrit pleinement dans le cadre de l’émergence des pédagogies actives. Elle s’opérationnalise au départ d’activités concrètes et authentiques misant sur le développement de compétences mathématiques sans éluder la perspective citoyenne indissociable à ce type de démarche.

Nous avons testé l’expérience de la «  pédagogie par les pairs  ». Dans une classe de 2ème complémentaire de l’enseignement secondaire, durant deux heures, le cours de mathématique a pris une autre forme. Les élèves ont

appris, transmis, confronté et résolu une situation problème avec beaucoup d’entrain, de rythme, de sourires également. Notre leçon se situe dans le chapitre «  Traitements de données  », petit ensemble de matière du référentiel du premier degré conformément aux référentiels officiels. Ce chapitre fait appel à l’acquisition de techniques de calcul, à la compréhension d’énoncés et à l’utilisation d’un vocabulaire précis et de concepts mathématiques. Il a pour objectif de permettre aux élèves de traiter des situations problèmes citoyennes. Des compétences transversales telles que : lire des graphiques présentés sous différentes formes, calculer une moyenne, définir le mode, l’effectif et l’appliquer à la situation donnée...

En recherche permanente de dispositifs

actifs, énergiques, motivants et participatifs, nous avons été séduits par l’approche de la pédagogie par les pairs. Cette approche rompt avec les approches pédagogiques traditionnelles et redéfinit les rapports régissant les éléments du triangle didactique, ‘’Maître- Elève- Savoir’’ tel que l’envisageait Houssaye. L’apprenant est ici davantage perçu comme un partenaire actif placé au centre du dispositif d’apprentissage.Placer l’élève en autonomie face à une tâche complexe, lui permettre de gagner ou de restaurer l’estime de lui-même ainsi que l’estime des autres rentrent parfaitement en adéquation avec nos objectifs de bienveillance, d’amélioration de la motivation, et d’acquisition des matières.

Le dispositif que nous avons mis en place isolait trois types d’apprentissages : la construction de graphique circulaire, le calcul de la moyenne, l’usage d’une terminologie mathématique précise au travers la manipulation de vocabulaire précis comme le mode, l’effectif…

Dans un premier temps, la classe a été scindée en trois groupes et chacun de ceux-ci a travaillé à devenir expert dans un domaine. Ce travail était accompagné d’une fiche-outil. Dans un deuxième temps, des équipes mixtes, composées des trois experts ont été établies. Ces équipes se sont alors attelées à la résolution de la situation problème proposée. Chaque expert devait donc enseigner aux autres une partie de la matière acquise pour réaliser la tâche. L’ensemble du dispositif s’inscrit pleinement dans une perspective socioconstructiviste.

Imaginez les échanges, l’effervescence, le plaisir. Les élèves, dans la grande majorité, ont pris leur rôle très au sérieux et le résultat démontre une série d’effets attendus et inattendus…L’analyse du dispositif révèle enfin l’émergence d’une série d’effets au niveau cognitif, socioaffectif et motivationnel. Des « traces » vidéos ont été conservées à des fins scientifiques et dans une optique d’échanges de pratiques porteuses.

Ce type d’actions illustre de manière concrète notre intérêt pour les pédagogies actives et traduit pleinement notre volonté de promotion du « bien-être » scolaire, consubstantielle au projet pédagogique poursuivi par l’Instruction publique de la Ville de Bruxelles.

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132 - PRATIQUES DE CLASSE 133 - PRATIQUES DE CLASSE

LA MÉTAMORPHOSE DE L’ECOLE : QUAND LES ÉLÈVES FONT CLASSE

Vincent FailletLycée Dorian, Paris

La structure et l’organisation des salles de classe est figée depuis au moins 350 ans, depuis Jean-Baptiste de la Salle, grand théoricien de l’enseignement simultané qu’il promeut en fondant en 1680 à Reims, l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes. Ce mode d’enseignement, qui fait qu’un enseignant donne un même cours simultanément à des élèves d’une même volée d’âge, est toujours le modèle de référence aujourd’hui. Ce mode nécessite que les élèves soient assis, immobiles et silencieux ; la salle de classe a donc été aménagée dans ce schéma d’enseignement particulier.

D’autres formes scolaires ont pourtant

existé au cours du temps, c’est le cas de l’enseignement mutuel (l’enseignement est conduit par les élèves-moniteurs qui enseignent à leurs pairs) ou des pédagogies actives. Ces formes scolaires alternatives ont toutes deux comme spécificité de considérer l’espace scolaire différemment et de prendre en compte le corps de l’élève et le plaisir d’apprendre !

Ainsi, une salle de classe d’enseignement mutuel au XIXème siècle autorise le déplacement des élèves, de nombreux tableaux sur les murs permettent aux moniteurs de faire cours à un groupe d’élèves. De même, Célestin Freinet investissait au XXème siècle l’espace hors

de la classe à des fins pédagogiques (cour de l’école, classe-promenade, …).

Le corps est mobilisé dans l’enseignement mutuel car les élèves sont en perpétuel mouvement. Un principe qui est aussi substantiel dans les pédagogies actives via la manipulation ; l’activité étant alors érigée comme étant un principe éducatif fondateur.

L’expérimentation « classe mutuelle » menée au Lycée Dorian (Paris XI) depuis trois ans met en exergue qu’il est possible de changer la forme scolaire en privilégiant l’enseignement mutuel sur l’enseignement simultané mais il faut pour cela faire évoluer la salle de classe. Et si les « élèves font la classe » dans cette expérimentation c’est qu’ils sont partie prenante dans la construction de l’espace physique dans lequel ils évoluent (agencement des tables et des tableaux, espaces de travail, règles, …) ; ils font la classe aussi, en en ce sens qu’ils ne sont plus des « vases que l’on remplit mais des feux que l’on allume », ils reçoivent autant qu’ils donnent, ils sont susceptibles d’enseigner à leurs pairs. Dans cette expérimentation, qui mobilise de nombreux enseignants, les élèves sont libres de leurs mouvements dans la salle de la classe. De nombreux tableaux blancs effaçables à sec permettent la collaboration et la coopération entre pairs. Le numérique est un acteur présent mais il est souvent porté par les élèves (BYOD, Bring your own device : utilisation de son équipement privé pour remplir des missions professionnelles). Le numérique est à sa vraie place en ce sens qu’il s’adapte aux situations de classe plus qu’il ne dirige l’acte éducatif.

RÉFÉRENCELa métamorphose de l’Ecole : quand les élèves font la classe, Vincent Faillet, Ed. Descartes & Cie, 2017

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ILS MANQUENT DE VOCABULAIRE !

Jacqueline BonnardGFEN

Combien de fois entend-on cette plainte formulée par des enseignants qui s’interrogent sur le peu d’efficacité des «  leçons de mots  », des recherches de définitions, de l’usage des répertoires constitués laborieusement au cours d’activités scolaires. Comment faut-il travailler le vocabulaire pour que les élèves se l’approprient ?

Il est vrai que certains élèves utilisent un langage restreint caractérisé par un lexique limité, un usage des mots dans une approximation sémantique s’appuyant sur leur sens commun lorsqu’il faudrait les contextualiser pour en percevoir les différentes acceptions. C’est ce pas de côté qui permet d’entrer dans une œuvre littéraire et de comprendre les intentions de l’auteur. Apprendre des mots par cœur, compléter des phrases sorties de leur contexte assignent les élèves dans des exercices répétitifs tout en les éloignant de ce qui fait la richesse d’une langue : la pluralité du sens donné au mot selon les contextes et les champs, le travail sur les concepts, l’étymologie, le jeu avec les mots et leurs significations…

PRENDRE LE CONTREPIED DES PRATIQUES DOMINANTES…

Lors d’une formation en collège, des formateurs du GFEN eurent l’idée de prendre le contrepied des pratiques dominantes décrites précédemment en proposant à des élèves de cinquième la situation suivante : soit un texte de Gide «Une scène

affreuse» dont les mots présupposés difficiles à comprendre ont été enlevés… un exercice à trous en quelque sorte !

Dans un premier temps, chacun tente de retrouver les mots manquants. Puis en petits groupes, les échanges s’organisent pour choisir la solution la plus adaptée. Argumentation qui oblige à de multiples retours au texte pour justifier les choix, ici au regard du sens de la phrase, là du genre de tel mot, ailleurs de la cohérence d’ensemble du texte, de l’époque probable de son écriture, de l’auteur et de son style ! Lors du retour en grand groupe, les justifications s’affinent. Quelles différences entre « gros, corpulent, énorme  » ? Entre «  fort et obèse  » ? Quelle pertinence d’usage entre «  assise  » ou «  structure, architecture ou facture  » au sujet de la chaise en question ? Quelles distinctions entre « fine, usée, élimée, fatiguée » pour définir l’étoffe du pantalon ? Sans oublier l’odeur d’antan du mot «  moleskine  » caractéristique d’une époque qui s’essayait à l’usage du « cuir végétal » dans l’ameublement. Quel étonnement pour les enseignants assistant à la séance de voir les élèves découvrir la saveur d’une langue éloignée de leurs pratiques langagières, argumenter de leur choix de mots d’un vocabulaire à redécouvrir. Lorsque les mots originaux de l’auteur sont enfin proposés mais dans le désordre, quelle jubilation de reconstituer le texte en replaçant chaque mot dans sa phrase originelle et d’en comprendre le sens. Ayant abordé le vocabulaire dans le contexte, les élèves en avaient saisi la signification tout en percevant l’aventure

des mots selon les milieux dans lesquels ils évoluent.

DE LA PRATIQUE DE CLASSE À LA PRATIQUE DE FORMATION

Maitriser un savoir ne prédit rien de la compétence professionnelle à l’enseigner. Il n’est pas facile pour celui qui maitrise un champ disciplinaire de se déprendre de l’apparente simplicité des savoirs qu’il enseigne : tout lui semble logique et compréhensible de tout un chacun si l’exposé qu’il en fait est clairement énoncé. Or rien n’est plus illusoire que de penser que le « discours sur » permet à celui qui l’écoute de s’en approprier le contenu. Cette conception du savoir et de sa transmission a produit un modèle où le savoir semble figé et réifié de ses contenus et dont il est nécessaire de sortir aujourd’hui. Parmi les partis-pris du GFEN sur la formation des enseignants et au-delà du «  Tous capables » qui sous-tend nos propositions, il nous semble important de rechercher une cohérence entre ce qui est vécu en formation et ce qu’on aimerait voir dans les classes. Il est difficile de concevoir l’impact de ce qu’on n’a jamais vécu soi-même. Par le principe d’homologie, il s’agit de faire vivre des situations d’apprentissage, occasion pour chacun d’éprouver personnellement ce qu’il aura à transposer professionnellement. Ces vécus font en retour l’objet de formalisation collective pour mettre en partage réflexion et analyses de situation.

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Sur cette base, la démarche1 «  vocabulaire  » décrite en amont a intégré la boite à outils du formateur GFEN pour aborder la maitrise de langue. Comme dans la séance décrite en amont, les stagiaires sont mis en situation de retrouver les mots manquants. Puis, afin de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les élèves, des apports théoriques (cinq textes) sont proposés pour explorer différentes approches. Le premier aborde une approche historique (Quillet)2 préconisant l’introduction dans les classes du dictionnaire d’étymologie (orthographe sémantique) et un travail sur les registres de langue. Le second de Marina Yaguello3 vise une approche linguistique pour travailler sur la phrase comme signification minimale, jouer avec les mots et sur les structures (fonction poétique de la langue – polysémie), enchâsser un mot dans différents textes, faire des mises en lien à l’intérieur des phrases. Un texte de Pierre Bourdieu4 permet une approche sociologique : sortir le mot d’un contexte pour en explorer la multiplicité des facettes, pluraliser le sens, élargir le vocabulaire (et la syntaxe), jouer sur la signification (sens commun/sens scientifique), effectuer un travail de compréhension et d’interprétation.

1 Démarche d’auto-socio-construction, décrite par Odette Bassis sur le site du GFEN : http://www.gfen.asso.fr/fr/la_de-marche_d_auto_socio_construction_1

2 Le vocabulaire Français – dictionnaire encyclopédique QUILLET

3 Alice au Pays du Langage - Marina YAGUELLO – Seuil – 1981

4 Ce que parler veut dire – Pierre BOURDIEU – Fayard – 1982

Un quatrième texte de Vygotski5 permet d’aborder une approche psychologique : ce ne sont pas les mots qui manquent à l’enfant mais plutôt les concepts qui y sont associés. La maitrise de la langue passe par le développement de la pensée et un processus complexe pour que les mots soient autre chose que des étiquettes vidées de leur sens que beaucoup d’élèves ne réussissent pas à employer à bon escient. Dans un cinquième texte, Catherine Tauveron6 décrit les travers d’une conception additive de la compréhension qui «  ignore les intentions esthétiques de l’auteur et l’interaction du texte et du lecteur ». Elle dessine les contours d’une approche pédagogique où l’élève entre en résonance avec les mots d’un texte.

On répartit ces textes dans des groupes de travail (un texte par groupe) pour en extraire les idées clés et préparer un débat sur la mise en œuvre de situations pédagogiques permettant un véritable exercice de la pensée lors d’une «  leçon de vocabulaire ».

DES RÉINVESTISSEMENTS EN CLASSE

A la suite de cette formation, les collègues ont testé ces nouvelles modalités du «  texte à trous  » dans différentes disciplines : le discours de Périclès devant

5 Pensée et Langage – L. VYGOTSKI – Messidor - 1985

6, Lire la littérature à l’école – Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique? - Catherine TAUVERON – Ha-tier - 2002.

les Athéniens (histoire), le code noir (texte juridique en histoire), Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne (la géothermie, en cours de technologie), une scène affreuse d’André Gide (littérature)…

Il existe une multitude de textes littéraires à (re)découvrir qui permettent de travailler un vocabulaire spécifique d’une discipline en tissant des liens avec d’autres champs permettant de percevoir les différents sens d’un même mot dans des contextes différents et d’entrer dans un autre rapport au langage : aborder les mots comme objets de recherche pour en retrouver la saveur et l’usage et développer ainsi sa pensée.

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LE TEXTE RECRÉÉ1

Jacques Bernardin GFEN (Groupe français d’Education Nouvelle)

Cet outil a été inventé dans les années 70 dans le cadre du Groupe Expérimental du 20ème arrondissement de Paris, groupe créé par Robert Gloton, IEN et président du GFEN. L’idée de base était de mobiliser l’intelligence des élèves afin de les faire tous réussir (à l’époque, plus de 60 % avaient redoublé de un à trois ans à la fin de l’école élémentaire). Par cette activité, les enfants sont amenés à « vivre » le texte de l’intérieur…

LES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE L’ACTIVITÉ

Premier temps :

a   -   La consigne est simple : il faut lire le texte sans rien écrire. On peut choisir un poème (ici, «  La plus drôle des créatures » de Nazim Hikmet ; avec des

1 On en trouvera une présentation beaucoup plus complète, assortie d’une analyse de séance en classe et des adaptations et prolongements possibles à tous niveaux et dans diverses matières dans l’ouvrage de Jeanne Dion et Marie Serpereau : Faire réussir les élèves en Français de l’école au collège. Des pratiques en grammaire, conjugaison, orthographe, production d’écrits, Ed. Delagrave, 2009 (« Mettre ses pas dans ceux d’un écrivain », pp. 178-198). Pour un réinvestissement dans l’enseignement des langues, voir l’ouvrage du Secteur Langues du GFEN, Réussir en langues, Chronique Sociale, 1999 (p. 77-81).

élèves «  Le cancre  » de J. Prévert par exemple ou tant d’autres, selon l’âge et l’habileté des élèves…). b   -   Deuxième consigne : reconstituer individuellement le poème, par écrit. c - Par groupe de 4, les élèves doivent échanger et se mettre d’accord sur une version. d   -   Collectivement, on essaie de parvenir à une proposition commune. L’enseignant organise le débat, pointe les désaccords, pousse chacun à argumenter et légitimer ses choix. On peut choisir de n’écrire au tableau que ce qui est conforme au texte d’origine ou écrire les différentes versions sur lesquelles les élèves ne parviennent pas à trancher pour y revenir ultérieurement…

Deuxième temps :

On affiche le texte original et on compare en pointant les oublis ou erreurs. Troisième temps :

Le texte est à nouveau occulté, et on essaie de redire le poème (en faisant appel à des volontaires, soutenus par l’ensemble du groupe).

LES ENSEIGNANTS DE L’ATELIER ONT EXPÉRIMENTÉ CE TRAVAIL

-   Ils ont été frappés par le décalage entre ce que chacun se rappelait individuellement et le résultat final, après la mise en commun. L’expérience éprouvée de nos limites individuelles contraste avec le sentiment de puissance de l’intelligence collective : ce défi de véritable recréation ne peut être relevé qu’ensemble. Cela contribue à fait naître un « esprit de classe » propre à dynamiser en retour l’implication de chacun et l’envie de dépassement. Stimulation réciproque dans un espace d’apprentissage alors constitué en collectif solidaire d’apprenants. -   Sur le plan du contenu, l’activité a permis de travailler conjointement sur le fond et sur la forme du texte. Les désaccords amènent à fouiller et à préciser les choix et leur pertinence : quel mot, quelle expression nous semblent les plus appropriés à l’esprit du texte et au style ? Pourquoi cette répétition ? Que permet-elle de signifier ? Etc. Dans quelle intention ce procédé linguistique est-il mis en œuvre par l’auteur ? En démontant la logique interne du texte, on est au cœur du processus d’écriture, ce qui permet aux élèves d’en apprécier l’essence et les outils. Il est par ailleurs toujours étonnant d’en voir les incidences - quels que soient l’âge et le contexte - sur la mémorisation. -   Le moment de réflexion qui suit fait partie intégrante de l’activité. Les élèves sont invités à revenir sur leurs points d’appui, sur leurs impasses et sur les éléments ayant permis de les dépasser. Travail à la fois méta-langagier et métacognitif propice aux prises de conscience sur le plan de la maîtrise de la langue et vis-à-vis de son propre fonctionnement cognitif.

Chacun mesure combien ce type de travail est essentiel en ZEP1… comme ailleurs. Le texte sera d’autant plus investi par les élèves que son contenu «  parle  » à leur expérience, à leurs préoccupations ou à leur sensibilité. Au-delà du contenu lui-même,

1 ZEP : En France, Zone d’Education Prioritaire. En Belgique, on parlera d’Encadrement Différencié.

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trop de facilité ou de simplification (texte au contenu ou à la facture minimaliste, écourté ou montré trop longtemps) rabote un des éléments clé de leur implication : l’aspect défi de la situation.

Une des conditions du succès, c’est de solliciter une attention extrême lors du lancement. Avec des élèves jeunes, la restitution se fait collectivement, à l’oral, par dictée à l’adulte. A partir du CE2, on peut commencer à intercaler un temps de restitution individuelle qui précède un échange par groupes avant la reprise collective.

LES ENJEUX DU TEXTE RECRÉÉ

• 1er enjeu : La mobilisation des élèves. Transformer des «  liseurs-écouteurs  » en acteurs. L’activité est stimulante, les élèves participent à divers moments et niveaux, chacun est engagé et amené à apporter sa pierre à l’édification commune : certains ont été plutôt sensibles au contenu, d’autres aux formes employées par l’auteur, chacun mesure à la fois l’importance… et les limites de son apport personnel.

• 2ème enjeu : Le rapport à la langue, au texte et à l’auteur. Il faut réinventer la dynamique d’écriture de l’auteur, entrer dans le processus de création (qui croise imaginaire et logique, sensibilité et rigueur, effervescence imaginative et précision des termes). Chemin faisant, l’activité amène chacun à développer une vigilance

particulière vis-à-vis des textes et de la langue, à divers niveaux : typographie, structure, figures de style, ponctuation, syntaxe, orthographe lexicale, marques grammaticales, rimes...

• 3ème enjeu : Créer une dynamique collective. Il s’agit de rendre les élèves acteurs pour réussir ensemble. Chacun participe de la réussite de tous. Tout le monde a besoin de tout le monde pour arriver au résultat final, même le « bon élève ».

LES CONDITIONS D’UNE VÉRITABLE « AUTO-SOCIO-CONSTRUCTION »

• Il y a nécessité d’un travail individuel pour que chaque élève se fasse une idée, établisse un rapport personnel à l’objet (ici, l’appropriation d’un texte, mais ce peut être une loi physique, une règle grammaticale, un concept mathématique, etc.). L’avis de chacun, redevable à son expérience, sa perception, ses représentations et cadres de pensée, est inévitablement subjectif. Le travail de groupe organise la confrontation des subjectivités, le croisement des divers avis et perceptions amenant à une vision plus objective des choses. Soit l’argument de l’autre me convainc et j’abandonne mes évidences initiales, soit il y a désaccord indépassable et donc retour à l’objet travaillé. C’est ce que Wallon appelle le « processus d’objectivation ».

• En classe, il est aussi important de faire un retour réflexif régulier sur : comment avons-nous fait ? Pour Piaget, réussir n’est pas comprendre. Prendre conscience d’une opération, c’est la faire passer du plan de l’action au plan du langage, opération de mise à distance et de formalisation qui dévoile l’essentiel à saisir, dégage le principe ou les procédés à l’œuvre, créant ainsi les conditions du transfert. C’est donc moins par la redondance d’exercices que par une pratique de la réflexivité que les élèves en difficulté peuvent comprendre (et ainsi réussir… en pensée).

La prise de conscience par les élèves de leur pouvoir de penser n’est pas sans impact en retour sur l’enseignant lui-même, bien souvent époustouflé des capacités de ses élèves. Et ce n’est pas la moindre des conquêtes !

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LES PRATIQUES DE PÉDAGOGIE ACTIVE : TOUS POUR UNE ET UNE POUR TOUS ?Une entrée par le jeu : différentes conceptions et différents vécus

Sylvie Van Lint ULBIsabelle Van Malder HE2B Defré

Bien avant l’ère chrétienne, le jeu a été analysé en tant que pratique pédagogique. Aussi proposons-nous de relire différents écrits de « fondateurs » de pédagogies actives du début du siècle dernier pour en interroger quelques lignes directrices et les confronter aux conceptions et pratiques d’aujourd’hui.

En effet, quand, au début du 21ème siècle, on parle de pédagogie active, de quoi parle-t-on réellement ? Nos

conceptions sont-elles fidèles aux écrits des pionniers du début du 20ème siècle ? Avons-nous tous aujourd’hui les mêmes conceptions à propos des pratiques de la pédagogie active ? Toutes les pratiques de pédagogie active d’aujourd’hui sont-elles comparables ?

Freinet affirme que l’enfant joue parce qu’il n’a pas de responsabilité réelle. Le jeu est donc vu comme un substitut : parce qu’il n’est pas un réel acteur de la

vie sociale, l’enfant « joue » les différentes activités sociales rencontrées. Ainsi, Freinet va s’employer à proposer de vraies activités (correspondance scolaire, rédaction et édition d’un journal, …) à travers lesquelles l’enfant aura de réelles responsabilités et pourra grandir de façon « naturelle ». Mais l’enfant, élève de Freinet, à qui on propose de vraies activités, ne joue-t-il plus ? Les écrits de Freinet mettent en évidence une tension entre le travail et le jeu.

Decroly (et Monchamp) écrit que « les jeux éducatifs n’apprennent pas les notions sensorimotrices ; ils ne donnent pas la solution des comportements intellectuels qui s’imposent dans la vie courante. Ils seront toujours précédés de l’expérience vraie, spontanée et naturelle ; (…) Ils seront accompagnés, puis suivis d’activités en prise sur le réel (…). Les jeux éducatifs ne sont qu’un moment de l’apprentissage ; mais, s’ils sont employés à bon escient, un moment capital » (1922, p. 24). Ces propos font apparaître une tension entre le jeu et la motivation.

Claparède affirme que « ce n’est qu’en engageant, dans le travail à exé¬cuter, la joie et l’attrait que procure le jeu, que nous arriverons à retenir l’attention de l’en¬fant et à lui donner la force psychologique né¬cessaire à l’accomplissement de sa tâche. » (1925, p. 47). Le jeu ici s’entend donc comme une activité fondée sur un intérêt et génératrice d’un effort soutenu car « (…) ce n’est que dans l’attitude du jeu que l’enfant se donne tout entier et persévère dans son effort. ». Nous y voyons une tension entre le jeu et l’exercice.

Montessori se positionne tout-à-fait différemment des précédents pionniers quand elle écrit « Chez nous les adultes, c’est l’intelligence qui nous permet d’acquérir la connaissance, alors que chez l’enfant, c’est sa vie psychique ... Les impressions ne se bornent pas à pénétrer dans son esprit, elles le forment. » (1959). Elle prend l’exemple de l’apprentissage «  naturel  » de la langue maternelle par l’enfant, sans aucune instruction formelle et sans effort conscient : « Il apprend tout inconsciemment en passant peu à peu de l’inconscience à la conscience. »

Dans la même lignée, Rudolf Steiner affirme que « l’enfant construit son individualité, développe sa créativité propre, son initiative d’homme de demain dans le jeu libre d’aujourd’hui ». La place (et la fonction) du jeu libre est ainsi interrogée.

Enfin, nous proposons une cinquième tension entre le jeu et l’apprentissage autour des propos de Vygotski et Bruner. Ainsi lorsque Vygotski présente l’exemple des deux sœurs qui jouaient à ce qu’elles sont à savoir : « être sœurs ». Il explique que ces enfants explorent le concept même de sororité et ses significations. L’enjeu de l’immersion ludique peut consister en l’exploration des potentialités que recèle une

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situation, ici la relation affective, sans les risques et l’angoisse de la rupture. On peut y voir un lien avec l’école qui offre un espace sécurisé qui permet les essais et les erreurs inhérents à l’apprentissage. De plus, l’immersion ludique permettrait de se connecter à l’expérience d’autrui, de se relier aux autres. Les jeux, comme le langage, se font à plusieurs. Comme dans la conversation, il y aura des modifications, des conflits, de la coopération, de la négociation, de la compétition, des retournements de situation : le sens du jeu se modifie comme le sens du discours dans le dialogue. Bruner écrit « Le jeu a pour effet d’attirer l’attention de l’enfant sur la communication en elle-même et sur la structure des actes dans lesquels intervient la communication.  » (1973). Pour lui, les jeux permettent à l’enfant d’explorer comment faire des choses avec les mots. Leur structure même comporte quelque chose de l’ordre d’une syntaxe : ils sont constitués d’un ensemble d’éléments fabriqués, factices, différents à chaque occurrence du jeu mais ces éléments sont reliés les uns aux autres par un ensemble de règles. Ils sont constitués d’un ensemble d’actes, agencés en séquences dans un ordre précis et transformés en fonction de règles. En fait, il y a une structure profonde et un ensemble de règles organisant le jeu en surface. Pour Bruner, le jeu fonctionne comme un langage, voire comme les savoirs.

Après avoir illustré ces différentes tensions voire paradoxes au sein des propos des précurseurs de la pédagogie active, différents acteurs d’aujourd’hui présenteront leurs pratiques actuelles autour du jeu et de l’apprentissage à l’école fondamentale. Une discussion pourra ainsi voir le jour autour des conceptions partagées qui sous-tendent ces pratiques actuelles.

INJONCTIONS PARENTALES ET RAPPORTS AU SAVOIR

Sandrine GrosjeanCGé (Changements pour l’Egalité), mouvement socio pédagogique

La posture que l’élève adopte vis-à-vis de l’école et des activités qui lui y sont proposées, est souvent déterminante pour la qualité de ses apprentissages. La posture, c’est plus que l’attitude, c’est aussi le sens que l’élève donne à ce qu’on fait en classe. Qu’est-ce qu’apprendre ? Que faut-il apprendre ? Pour quel usage ? Cette posture peut se construire à l’école, mais elle se nourrit pour beaucoup des postures familiales. Pour un enseignant, comprendre ces différentes postures, ainsi que pouvoir regarder sa posture propre comme une variante et non comme un modèle est un atout indispensable pour pouvoir amener tous ses élèves à entrer dans les apprentissages.

À partir d’une situation problème « Que me disaient mes parents lorsque vers 10 ans je partais à l’école et que me disaient-ils à mon retour ? », les participants ont été invités à comparer les différentes injonctions présentes dans le groupe avec d’autres, recueillies ailleurs, et à analyser les effets probables sur l’enfant. Ces injonctions ne sont pas « véridiques » au sens d’avoir été vraiment dites, mais elles sont le souvenir que l’on garde dix, vingt ou trente ans après les avoir entendues.

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146 - PRATIQUES DE CLASSE 147 - PRATIQUES DE CLASSE

Comme piste pour distinguer les différents types de messages, les questions suivantes se sont posées :

Que disent ces messages

• De l’implication des parents • Sur l’enfant ? • Sur l’école ?

• Du rapport au travail des parents ? • Du rapport à la connaissance des parents ?

Il est clair que l’enfant à qui on dit « Sois sage, écoute bien Madame » n’est pas incité à prendre la même posture en classe que celui à qui on dit « Pose de bonnes questions », sans parler de ceux à qui on dit « Mange bien », « bon courage » ou « que Dieu te protège ».

Cette analyse à travers la question a permis d’aborder une typologie des rapports aux savoirs. Au risque d’entrer dans la caricature, le message qui dit « sois sage, écoute bien » dit quelque chose sur le comportement à avoir en classe, de respect, voire de soumission à l’autorité, mais ne dit rien du travail qu’il faut fournir pour apprendre. À l’inverse le message « pose de bonnes questions » dit qu’il y a un travail à fournir pour comprendre et s’approprier le savoir transmis en classe et qu’en posant de bonnes questions on contribue à faire ce travail. Dans les deux cas pourtant il n’y a pas de méfiance vis-à-vis de l’institution scolaire comme elle transparait dans l’injonction « que Dieu te protège » qui implique l’idée que l’école peut être dangereuse ou « bon courage » qui implique la lourdeur ou la difficulté de la fréquentation de l’école. Le temps ne nous a pas permis d’aller plus loin dans le rapport au travail d’apprendre ou le rapport à la connaissance qui implique d’autres situations problèmes que les injonctions parentales.

Pour conclure, nous avons analysé dans quelle mesure la séquence proposée était réellement une « situation problème » dans un dispositif socio constructif. La conclusion a été que dans le cadre de cet atelier, nous avons fait l’impasse sur le temps nécessaire à la réelle résolution d’un conflit cognitif en proposant/imposant une grille d’analyse et une typologie toute faite.

PARTAGE DE SITUATIONS DE TÂTONNEMENT EXPÉRIMENTAL

Mehdi SahnounProfesseur de Sciences, De l’Autre Côté de l’Ecole (ACE), Auderghem

Le tâtonnement expérimental, une des bases de la méthode naturelle Freinet, est un procédé permettant à l’apprenant d’évoluer en pratiquant une pédagogie basée sur les essais-erreurs où les imprévus et les tribulations deviennent la force d’un apprentissage propre à chacun.

Dans cet atelier consacré aux sciences et à la technologie et basé sur le tâtonnement expérimental, nous allons découvrir une activité inspirée du fichier TATEX d’André Laffont1. Celle-ci

1 Plus d’informations sur https://www.icem-pedagogie-freinet.org

se veut modulable et réalisable à divers niveaux de l’enseignement (maternel/primaire/secondaire) et se base sur le fait que chaque apprenant possède un autodidactisme lui permettant de gérer lui-même ses apprentissages.

Cette activité sous forme de défis s’organise avec du matériel facile à trouver dans des écoles (papier-calque, agrafeuse, colle, ciseau, ressort, etc.) et toujours en groupe coopératif de deux à trois apprenants où chacun a un rôle bien défini. Elle propose plusieurs échelons de difficultés dans le but de créer un espace de tâtonnement

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149 - PRATIQUES DE CLASSE148 - PRATIQUES DE CLASSE

expérimental pour l’apprenant.

Différents objectifs sont donc élaborés par les groupes pour remplir ces niveaux étape par étape.

Nous allons émettre des hypothèses et les tester dans la foulée, par le biais de la manipulation et l’échec devient le fondement de la réussite. La réflexion appelle au travail manuel qui par sa modularité appelle à la réflexion. L’essai-erreur se transforme donc en essai-action qui se traduira par la validation ou non des hypothèses émises par le groupe. Les mains seront associées à la tête, les petites avancées seront des pas de géant pour l’apprenant et la réussite invitera à la jubilation d’avoir créé et réalisé une tâche de A à Z.

De plus, la coopération et le partage d’idées dans le groupe, en plus du tâtonnement et de l’expérimentation de celui-ci, sont les clefs de la réussite des niveaux de difficultés. Et comme les expériences de vie sont toutes différentes, les méthodes de réussite deviennent protéiformes et le partage entre les groupes apporte valorisation et confiance en soi pour les apprenants.

D’un point de vue didactique, les défis proposés deviennent des situations-problèmes dans les domaines de la technologie et des sciences ou les questions fusent :

Pourquoi les billes tombent plus ou moins vite en fonction de l’inclinaison ? Pourquoi l’aimant attire cette bille et pas celle-là ? Pourquoi cette matière permet de faire des tours plus hautes ?

Nous jouons avec les lois de la physique et les occasions pour le professeur de faire des liens avec les sciences et technologies sont nombreuses. En effet, les défis proposés deviennent alors des problématiques de l’ordre de la vie de tous les jours pour l’élève qui se réjouira d’y obtenir une réponse afin d’emmagasiner un maximum de connaissances pour la prochaine activité. Nous rentrons dans le domaine de la puissance de vie, les apprentissages deviennent naturels et les échanges coopératifs et bienveillants permettront au groupe d’avancer plus vite et de renforcer la cohésion de celui-ci.

Pour conclure, les défis TATEX sont des activités facilement accessibles et modulables. Je vous invite donc à me rejoindre dans le but de tester un défi et de vous immerger afin d’analyser et de comprendre l’un des fondements de la pédagogie Freinet.

Les trois interventions suivantes proviennent d’étudiantes en bachelier institutrice primaire. La forme de leur contribution écrite se distingue de celle habituellement communiquée dans la plupart des colloques.

Cependant, nous avons souhaité encourager cette initiative lors du colloque en donnant une place aux auteures, dans un format différent des autres contributions : les participants ont pu passer une vingtaine de minutes dans chaque atelier afin d’échanger avec les étudiantes sur leurs pratiques actuelles et à venir.

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150 - PRATIQUES DE CLASSE 151 - PRATIQUES DE CLASSE

COMMENT EXPLIQUER LA LOCALISATION PARTICULIÈRE DES VOLCANS À LA SURFACE DU GLOBE ?

Nisrine Baanan & Souheila Budhan Etudiantes à la Haute Ecole de Bruxelles (HE2B Defré)

La finalité de ce dispositif est que l’apprenant, grâce à différentes questions et manipulations, puisse reconstituer le phénomène qui est à la source des éruptions volcaniques et expliquer leur localisation.

Par ses questionnements, hypothèses, recherches et manipulation, l’enfant devient lui-même acteur de son apprentissage. De plus, le dispositif favorise l’apprentissage collaboratif.

DÉROULEMENT DE L’ACTIVITÉ

Les stagiaires auront imprimé la carte du monde avec continents et volcans sur A0.

Recouvrir la carte d’un tissu pour qu’il y ait un effet « surprise ».

Tour de table pour présentation.

Montrer la carte.a) «  Que voyez-vous sur cette carte ? Que peut-on observer ? »

QUOI ?

Réponses des apprenants : on voit des continents, on voit l’océan, on voit les endroits où il y a des points de couleurs sur la carte du monde…

«  A votre avis, que peuvent représenter ces points ? »

Réponse attendue : Les volcans

Si la réponse ne vient pas, faire une comparaison entre la Belgique et un pays où plusieurs volcans sont présents « Qu’y a-t-il près de Naples, Bali mais qu’il n ‘y a pas en Belgique, France… ?  » Indice  : penser à l’actualité : Bali (catastrophe naturelle)

(Pourquoi faire référence à un fait d’actualité ? Partir d’un fait d’actualité est une méthode active qui consiste en une analyse d’une situation complexe s’appuyant sur un cas réel)

« Et qu’est-ce qu’un volcan ? »

Réponse des apprenants.

Un volcan c’est une ouverture dans la croute terrestre par laquelle sort de la

lave (magma).

b) «  Que peut-on observer sur leurs localisations ? Où se situent-ils ? »

OÙ ?

Réponse attendue : le long des côtes, ils sont alignés, d’autres sont au milieu de l’océan.

Si pas d’idées, demander aux enfants si les volcans sont placés au hasard.

«  Est-ce-que les volcans sont placés au hasard, un peu n’importe où ? »

Réponse attendue : non, le long des côtes, le long des plaques.

Si les plaques ne viennent pas comme élément de réponse : les institutrices apportent un puzzle où les différentes pièces sont les plaques tectoniques. (Pièce de puzzle sur transparent A0 + A4 pour les élèves)

Par groupe de 2, les enfants reconstituent le puzzle des plaques tectoniques en format A4.

Faire le lien avec le globe terrestre et les montrer.

« A votre avis, que représentent les pièces du puzzle ? »

Réponses des apprenants : des plaques

« Effectivement, ce sont des plaques que l’on appelle : des plaques tectoniques.

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152 - PRATIQUES DE CLASSE 153 - PRATIQUES DE CLASSE

A votre avis qu’est-ce qu’une plaque tectonique ? »

Réponses attendues par les élèves : plaques qui recouvrent le monde

Les plaques sont des morceaux de la croûte terrestre. La terre est recouverte de 14 plaques majeures qui se déplacent de 1 à 10 cm par an. Il existe des plaques océaniques et des plaques continentales.Pour aider les apprenants à se représenter la position des plaques tectoniques sur la terre, nous avons représenté notre Terre avec de la plasticine colorée.

MISE EN COMMUN :

«  Nous allons reproduire le puzzle en grand format pour que nous puissions vérifier et faire une mise en commun collective. »

Les enfants placent les pièces de puzzle (plaques tectoniques) sur la carte A0.

c) «  Qu’observe-t-on par rapport à la disposition des plaques et des volcans ? »

Réponses des apprenants : que les volcans se trouvent plus ou moins là où 2 plaques se rejoignent, ils se placent aux limites des plaques.

« Pourquoi avons-nous utilisé des points de couleurs différentes ? »

Réponses attendues : ce sont des volcans différents, qui se forment

différemment.

« A votre avis pourquoi les plaques sont à l’origine de certains volcans (montrer du doigt) ? »

Réponses des apprenants : car 2 plaques se collent entres-elles…

«  Selon vous, comment doivent se positionner les plaques pour qu’il y ait formation d’un volcan ? »

COMMENT ? + POURQUOI ?

Montrer les différentes procédures avec nos mains.

Réponse des apprenants : on voit que les 2 plaques montent, on voit que l’une va sur l’autre, on voit que l’une va sous l’autre.

« Effectivement, • Lorsqu’une plaque glisse sous l’autre, il peut y avoir une formation d’un volcan. Ce phénomène est appelé la subduction.• Lorsque 2 plaques se déplacent et laissent un espace entre elles au niveau de la croûte terrestre et qui laisser passer le magma. Ce phénomène créé des dorsales.• Lorsqu’une plaque se situe sur un point chaud, la moindre faille pourrait laisser passer du magma. »

EXERCICE COLLECTIF :

«  Qui pourrait me rappeler les termes

des différents phénomènes appris ? »

Les enfants rappellent les termes.

Montrer 3 images qui rappellent les 3 phénomènes et les associer collectivement.

d) Pour garder une trace et voir s’ils ont bien compris. Nous leur distribuons un exercice récapitulatif des termes vus juste avant.

Les apprenants devront associer 3 images à leur terme et à leur explication.Afin d’effectuer cette activité, nous avons besoin :

• de maximum 6 personnes ;• de 25 minutes ; • de 4 bancs regroupés ;

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154 - PRATIQUES DE CLASSE 155 - PRATIQUES DE CLASSE

PARCOURS DE MIGRANTS

Cécile PierreStéphanie BrasseurLaura MarlotEtudiantes, Haute Ecole de Bruxelles

Parcours de Migrants est un jeu de plateau qui vise à sensibiliser les joueurs au parcours mené par les migrants qui arrivent chez nous, dans le parc Maximilien plus précisément. Tout au long du jeu les joueurs sont amenés à se poser les questions : Qui sont les migrants ? D’où viennent-ils ? Que fuient-ils ? Quel est leur parcours ?

DÉROULEMENT DU JEU :

Installation :

Installer le plateau de jeu face aux joueurs.Les cartes personnages, photo-débat, question-débat, questions et préjugés sont placées face contre table.Les grandes photos permettant d’animer les débats sont cachées.

But du jeu :

Chaque joueur (ou groupe de joueurs) tire une carte-personnage qu’il présente aux autres joueurs, et le pion correspondant au personnage est placé sur la case départ du pays d’origine du personnage.

Déplacement :

Le déplacement se fait en lançant le dé, le joueur avance du nombre de case correspondant au chiffre du dé.Si le joueur passe par une des cases obligatoires, il doit s’y arrêter pour remplir les formalités.Note : Si on dispose de peu de temps, le joueur peut continuer à avancer du nombre de case qui lui restait à avancer après avoir rempli les formalités de la case obligatoire.

Durée du jeu :

Entre 20 et 30 minutes.

Nombre de joueurs :

De 3 à 6 joueurs

Les différentes cases :

Les cases obligatoires :• Demande de visa• RDV SPF Intérieur et Fedasil• RDV CGRA• Décision CGRA

Quand il passe par une de ces cases, le joueur doit obligatoirement s’y arrêter, quel que soit le chiffre indiqué par le dé.L’animateur statue alors sur son sort en fonction de son profil (voir tableau des parcours).

Les cases obstacles :• Case «  corruption  » : vous n’avez pas assez d’argent pour payer ce qui vous

permettrait d’avancer dans la queue interminable devant le consulat. Vous passez un tour.• Case «  passeur  » : vous n’avez pas assez d’argent pour payer le passeur. Le temps d’économiser, vous passez un tour.• Case « chavirage » : le bateau qui vous emmène vers la frontière chavire. Vous êtes repêché et emmené en Italie. Avancez de 2 cases.• Case «  frontière belge  » : avancez jusqu’à la case « Parc Maximilien »• Case «  contrôle  » : si vous avez votre ticket pour le SPF, continuez. Si pas, passez un tour.• Case « chance » : le joueur qui tombe sur la case chance voit sa situation s’améliorer en fonction de son profil (voir tableau des parcours).• Cases « ? » : le joueur tire une carte « ? ». L’animateur la lit et lance les échanges autour de la question, la photo ou le préjugé mentionné sur la carte.

Fin du jeu :

A la fin du jeu, certains personnages auront été renvoyés dans leur pays d’origine, d’autres auront obtenu un statut.Un épilogue est proposé pour chaque personnage dans le tableau des parcours en fonction du passage par la case chance ou pas.Comme dans la réalité, l’ensemble des joueurs n’arrivera pas forcément au bout du parcours.On peut décider d’arrêter le jeu lorsqu’un ou deux personnages sont arrivés.

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156 - PRATIQUES DE CLASSE 157 - PRATIQUES DE CLASSE

L’animateur peut engager la discussion sur les difficultés à obtenir un statut, rencontrées par le/les personnage(s).

Ce jeu, pouvant être apparenté à un jeu de rôles, apporte une dimension affective et permet d’aborder en classe un sujet d’actualité sensible, quel que soit le côté duquel on se place et quelles que soient nos opinions politiques. Il met en évidence la dimension sociale de l’homme. La coopération sociale fait partie des compétences indispensables à la citoyenneté. Indirectement, en s’intéressant à l’histoire des migrants les joueurs sont amenés à développer cette compétence.

D’OÙ VIENNENT LES ALIMENTS QUE NOUS CONSOMMONS?

LONDOT Magali & PANEK CarolineEtudiantes à la Haute Ecole de Bruxelles

Notre carte (construite à partir de matériaux recyclés) a pour finalité de questionner l’origine de notre alimentation, ses conditions de production, les causes et conséquences de la mondialisation dans le secteur alimentaire et les alternatives qui s’offrent à nous, citoyens belges. A travers ce dispositif pédagogique, nous invitons les participants à être acteurs de leurs apprentissages.

MÉTHODOLOGIE

Parallèlement à la carte, notre dispositif propose plusieurs autres supports :

• des étiquettes d’aliments essentiels dans notre pyramide alimentaire et un panier de course;• une plaquette reprenant tous les pays d’origine de ces aliments;• un tableau référentiel avec tous les noms des pays sur lequel nous retrouvons d’emblée un panel de produits belges;• un atlas (dans le cadre d’une leçon de 2x50min)

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158 - PRATIQUES DE CLASSE 159 - PRATIQUES DE CLASSE

Chaque élève sera en situation d’acheteur-consommateur car il lui sera demandé de choisir ses aliments au supermarché. Les aliments proposés viennent de tous horizons, ce sont des produits de la pyramide alimentaire. Nous proposons un large panel propice aux observations, aux échanges et aux questionnements.

Pour commencer, les apprenants devront choisir entre 3 et 5 aliments et les placer dans leur panier. Avant d’aller plus loin, ils sont invités à regarder les produits belges prédisposés sur le référentiel. Les premières observations et les questionnements commencent. « Tiens, nous avons ça en Belgique ? », « Ah, ça je connais, j’en mange souvent » ou « Oh, ça coûte ça, un poulet ! »,...

Ensuite, viennent les analyses d’étiquettes. Celles-ci seront décortiquées au peigne fin (produit, pays, prix,..) comme par exemple : un pomelo qui vient de Chine à 1,99€/pc.

Dans le cadre d’une leçon complète, les enfants seraient amenés à utiliser un outil spécifique car ils devraient chercher la position de la Belgique et celle du pays d’origine dans un atlas. Ils devraient alors piquer les drapeaux aux bons endroits sur la carte. Ici, par faute de temps, nous avons privilégié une numérotation sur les drapeaux et la carte.

Une fois les drapeaux de chaque aliment placés, les enfants doivent à l’aide d’une ficelle et d’une latte mesurer et calculer

la distance qu’effectue chaque produit qu’ils ont choisi depuis son pays d’origine jusqu’à la Belgique.

Les enfants réfléchissent ensemble au processus à mettre au point, ils collaborent dans la manipulation de la ficelle et tentent de résoudre ensemble ce calcul en faisant une règle de trois. Une fois la réponse trouvée, chaque membre du groupe peut venir coller son étiquette avec le nombre de kms sur le tableau récapitulatif. Dans cette activité, la réflexion individuelle et la collaboration sont mises à l’honneur.

Commence un débat citoyen, nous observons la provenance des différents produits. Certains produits peuvent être cultivés en Belgique, alors pourquoi les importons-nous ? Comment les importons-nous, à quel prix et dans quelles conditions ? Existe-t-il des dangers ? Si ces aliments font un si long voyage, il doit y avoir énormément de gaspillage ? Et ces transports, ne sont-ils pas nocifs pour la planète ? Quelles sont les conditions de travail à l’étranger ? La mondialisation, c’est ça ? C’est la culture en masse pour les pays riches ? Produire beaucoup pourquoi, pour qui et à quel coût ? Existe-t-il des alternatives ? Le bio, c’est quoi ? Les producteurs ont-ils le droit  ? Quels sont nos droits et nos devoirs en matière d’alimentation ? Y a-t-il assez de terres cultivables en Belgique ?

Voici les questions que nous avons pu rencontrer lors de notre expérimentation. Lors de celle-ci, nous avons pu exploiter

le jeu durant 20 minutes seulement. Mais nous sommes persuadées qu’il est porteur d’intérêts et qu’en plus d’être à la base d’une leçon de géographie, il pourrait être également bénéfique pour des séquences didactiques transversales, comme :

• les mathématiques (calcul coût de production, de transport, calcul des distances...);• la biologie ( pyramide alimentaire, potager, les pesticides...);• la citoyenneté.

Les enfants étaient impliqués car le sujet les intéresse. Notre nourriture, c’est notre essence ! « Y a-t-il des pesticides dans ma pizza », nous a même demandé une petite fille ou « Je ne peux plus manger de bananes alors ? » Ce à quoi nous avons répondu, après une réflexion collective, qu’il s’agit de trouver un juste équilibre entre un produit local et un autre qu’on ne trouve pas chez nous et qui peut être importé.

A la fin de la séquence, en guise de conclusion et de moment d’intégration, nous les avons remis en situation d’acheteur-consommateur mais cette fois-ci l’approche était différente. Nous leur avons demandé : « La prochaine fois que tu iras au magasin, à quoi seras-tu attentif ? » « Pensais-tu que les haricots venaient de si loin ? » « Faire un potager, ça te tente ? », …

Cette activité ne nécessite pas de grands investissements, elle peut même se construire au fur et à mesure avec les élèves. Ils pourraient créer eux-mêmes leur propre carte, choisir eux-mêmes leurs produits directement dans les magazines des grandes surfaces ou même prendre des photos au marché.

Pour aller plus loin, nous pourrions pousser la réflexion sur le bilan carbone et la pollution de tous les moyens de transports, de manutention, des emballages. Nous pourrions parler des droits de l’Homme et des conditions de travail pour un agriculteur belge et celles pour un producteur à l’étranger. Nous pourrions, rien qu’au sein de la classe, imaginer une charte sur l’alimentation de la classe en invitant les parents à avoir un geste citoyen et écologique. Favoriser des collations saines, locales et sans emballage par exemple. Il reste encore tant de pistes à explorer…

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161 - BIEN-ÊTRE

BIEN-ÊTRE

05

PÉDAGOGIES ACTIVESET BIEN-ÊTREDE L’ENFANT,HISTOIRESET PERSPECTIVES

Fabienne Serina-KarskyChercheure en sciences de l’éducation,Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Quelles sont les pratiques de classe en lien avec les pédagogies actives que l’on retrouve dans les écoles qui s’ancrent aujourd’hui encore dans le mouvement de l’Education nouvelle ? Pourquoi et comment cette éducation datée de plus de 100 ans permet-elle d’envisager une école attachée au bien-être de l’enfant ? A partir de séquences de films, de photographies et de matériel pédagogique « innovant », nous découvrirons le petit monde

des écoles nouvelles et cheminerons ensemble dans l’histoire de ces pratiques pédagogiques qui ont pour ambition affirmée de révolutionner l’école.

Notre propos est de mettre en lumière les pratiques éducatives qui participent à instaurer un environnement scolaire favorisant le bien-être de l’enfant à l’école. Dans cette optique, nous nous interrogeons sur les écoles se réclamant

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162 - BIEN-ÊTRE 163 - BIEN-ÊTRE

aujourd’hui encore du courant historique de l’Éducation nouvelle et qui mettent en place des pédagogies actives centrées sur l’enfant. Elles restent toutefois, la plupart du temps, à la marge de l’institution scolaire, et leur manque de visibilité les conduit à s’adresser à un public restreint. Dès le début du XXème siècle, les pédagogues de l’Éducation nouvelle s’intéressent à l’enfant et à son bonheur, et s’appliquent à élaborer un cadre scolaire susceptible d’en tenir compte. Citons Adolphe Ferrière, pédagogue suisse qui prône une école active, basée sur la spontanéité des enfants, Ovide Decroly en Belgique, pour qui il s’agit d’envisager l’enfant dans sa globalité et de partir de ses centres d’intérêt, Maria Montessori bien sûr et la question du respect de la nature enfantine, dont la pédagogie repose sur une éducation sensorielle, mais aussi Roger Cousinet, qui s’attache à redéfinir en France la figure du maître, à ses yeux bien plus un «renseigneur» qu’un «enseigneur». Pour tous, la «révolution copernicienne» annoncée par Edouard Claparède doit placer l’enfant au centre, de façon à proposer une école qui s’adapterait aux besoins de l’enfant. On parle alors de liberté enfantine, mais aussi de respect du rythme de l’enfant, de droit à l’erreur, d’élaboration des règles en commun, qui vont permettre à chacun d’évoluer dans un milieu adapté et sécurisant. Ici la question de la socialisation est centrale, on prône la coopération plutôt que la compétition, et l’individualité est mise au service de la collectivité.

Les principes mis en exergue par les

pédagogues de l’Éducation nouvelle, qui s’attachent à proposer un environnement scolaire qui s’adapte à l’enfant et répond à ses besoins de liberté et d’activité, trouvent dans les jardins d’enfants et les écoles nouvelles de la première moitié du vingtième siècle des terrains d’application de choix1. Les jardins d’enfants, qui s’attachent tout d’abord à appliquer avec les enfants les principes mis en avant par Fröbel, se laissent imprégner des pensées de Maria Montessori dès les années 1910. Dans l’entre-deux guerres, de nombreuses écoles nouvelles sont créées, qui reprennent les principes mis en avant par les pédagogues et font appel aux jardinières d’enfants formées à cet effet. Au sein de l’institution publique, le renouveau provient de l’implication des instituteurs bien sûr, dont Célestin Freinet est le plus célèbre exemple en France. La guerre portera un coup fatal aux expériences florissantes de l’entre-deux guerres, mais la lente construction du paradigme de l’école active se poursuivra néanmoins.

Sur un plan pratique, on constate en France, après la seconde guerre mondiale, la création d’écoles nouvelles, publiques comme l’école Decroly de Saint Mandé en 1945 et l’école de Boulogne en 1947, privées également, c’est le cas de l’école de la Source ou encore de l’école du Père Castor en 1946, qui cherchent à concrétiser les principes de l’éducation nouvelle. Dans l’enseignement secondaire public, l’expérience des classes nouvelles s’inspire également

1 Foulquié P. (1948). Les écoles nouvelles. Paris : PUF

de ces principes, elle sera conduite tout d’abord dans les classes de sixième, puis étendue aux classes de cinquième, quatrième et troisième, avant de prendre fin en 1952 avec la retraite forcée de Gustave Monod, qui en était l’instigateur. L’année 1950 marque alors un climax de l’éducation nouvelle, le moment où son paradigme est parachevé, alors même qu’apparaissent les premiers signes d’un processus qui va précipiter son déclin, à travers des conflits et tensions internes entre ses protagonistes, mais aussi l’érosion de ses leaders théoriques, autant de facteurs auxquels s’ajoutent les évolutions sociétales marquées par l’explosion et la démocratisation scolaires. Néanmoins, les expériences menées sur le terrain de l’école dès le début du vingtième siècle participent à introduire dans l’école les notions de bien-être de l’enfant et à mettre en place les pédagogies actives que l’on retrouve aujourd’hui.

C’est ce que nous voyons à travers la charte d’une école « nouvelle » contemporaine, qui s’organise autour des trois mots être, agir, apprendre, s’appliquant à chacun des acteurs. En ce qui concerne l’enfant, sont mis en avant le respect de ses rythmes d’apprentissage, le sens, le partage et l’échange, et l’évaluation dans ses apprentissages, tout autant que le respect des règles communes, le sens des responsabilités et l’implication dans la gestion des conflits. L’enseignant a quant à lui besoin d’être « respecté, entendu et reconnu professionnellement », de façon à « créer les conditions d’un échange authentique avec les élèves, les parents et les autres enseignants » dans un esprit de liberté pédagogique allant vers l’innovation, ce qui suppose de pouvoir «  expérimenter, tâtonner  » ainsi que d’échanger et se former. Le parent bénéficie d’« une place définie et reconnue », et s’engage à « participer à la vie de l’école en respectant le rôle de chacun » ainsi qu’à « connaître le fonctionnement de l’école et les principes fondateurs qui le sous-tendent  ». Enfin, en tant qu’institution, l’école s’engage à être un lieu de formation, notamment par l’accueil régulier de stagiaires. Différents outils sont utilisés afin de « créer une responsabilité collective au sein de la classe ». Il s’agit de la causette, du conseil, des métiers, des délégués de classe, mais aussi de la prise en charge du déjeuner qui se déroule dans les classes. Les enfants apportent en effet leur repas, préparé chaque jour par leurs parents, et choisissent leur place, puis font le ménage à tour de rôle après le moment du repas. Par ces différentes instances, nous voyons que les élèves sont invités à participer de manière active à la vie de l’école et à en être des acteurs responsables. D’autres techniques, comme celle des métiers, souhaitent participer à les responsabiliser : chaque enfant a, pour un temps donné, un métier, entendu comme une responsabilité par rapport à l’organisation de la vie de la classe : pour l’un il s’agira de tailler les crayons, pour un autre de fermer les stores, d’ouvrir ou de fermer le rang... Outre la responsabilisation qu’elle entraine, cette attribution d’un métier dévolu à chacun aide à trouver une place au sein de la classe, entendue ici comme une communauté à part entière.

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164 - BIEN-ÊTRE 165 - BIEN-ÊTRE

Nous nous intéressons ensuite à la mise en place des ateliers libres, qui a suscité un projet de réaménagement du temps et de l’espace en vue de mieux répondre aux rythmes d’apprentissage de chaque enfant d’une classe de petite et moyenne section. Puis nous envisageons le soutien scolaire apporté aux enfants en difficulté d’apprentissage, qui est ici intégré au temps scolaire. Au-delà de l’individu, le groupe, qu’il s’agisse du groupe-classe, du groupe-cycle, ou du groupe-école, mobilise les capacités de chacun pour la réalisation de projets, qui permettent de prendre en compte les centres d’intérêts des enfants et de travailler en « décloisonné ». La prise en compte du travail transversal à l’école suppose là aussi une organisation différente du temps et de l’espace. Nous nous intéressons plus spécifiquement aux projets annuels, qui inscrivent petits et grands autour d’un même thème et permettent d’envisager l’école comme un lieu d’apprentissage de la vie en société où chacun a une place et un rôle à jouer. Ces différentes pratiques pédagogiques supposent également d’appliquer une évaluation positive, gage de confiance, et susceptible de suivre l’évolution des élèves, au-delà des apprentissages strictement scolaires. La notion de pédagogie de projet, qui suppose une transversalité dans les apprentissages, tout autant que la notion de travail individuel, suppose une évaluation susceptible de correspondre aux apprentissages de chacun des élèves. Cette évaluation positive, qui inclut le droit à l’erreur et intègre l’auto-évaluation des élèves, participe à créer et à entretenir des rapports de confiance entre les élèves et les enseignants, et favorise un climat scolaire apaisé.

Ainsi, la revisite historique des pratiques éducatives nées du paradigme historique fondateur de l’Éducation nouvelle permet-elle d’éclairer d’un jour nouveau les réalités scolaires contemporaines et de poser en perspective la question des pratiques pédagogiques aujourd’hui. Les pédagogies actives sont-elles le reflet d’une utopie affichée par des établissements scolaires, le plus souvent privés, pour se distinguer du lot commun ? Ou plutôt d’une conception éducative qui s’origine dans un mouvement pédagogique novateur reposant sur une approche scientifique pluridisciplinaire de l’enfant ? Si tel était le cas, doit-on voir là une conception qui en perpétue l’orientation originaire ou qui la révise profondément ? Cette mise en perspective permet d’esquisser un nouveau paradigme éducatif qui prenne en compte la dimension du respect et de la « bien-traitance » de l’enfant à l’école. Nous nous appuyons dans cette optique sur la pensée d’Edgar Morin, qui place l’identité humaine au cœur de ses recherches, et nous permet de penser la place et le respect de l’enfant à l’école dans une perspective dialogique, qui éclaire une entité globale rendue invisible si l’on pense le bien-être de l’enfant, appartenant à la sphère privée, et l’école, qui relève de l’espace public, comme deux entités antagonistes et séparées.

JOUER ET APPRENDRELE FRANÇAIS

Isabelle Dessaintet Laura Van Laethem Secteur ludothèques de la Cocof

Dans le cadre du projet global de soutien de l’apprentissage et de la maîtrise du français au sein de la région bruxelloise, le secteur ludothèques de la Commission communautaire française initie en 2013, un projet ludique au sein d’une école primaire d’Anderlecht.

Organisé sous forme d’un partenariat entre l’équipe éducative de l’école P12 et des ludothécaires bruxellois, ce projet destiné aux vingt-sept élèves d’une classe de quatrième primaire, consiste en l’organisation d’un cycle d’animations ludiques visant à améliorer leur niveau de français.

Huit animations se déroulant de novembre à juin leur offrent l’opportunité de découvrir et d’utiliser une trentaine de jeux de société, sélectionnés par les ludothécaires, sur base de leur intérêt éducatif.

Si l’objectif premier des séances de jeu est de développer les compétences langagières des élèves et d’améliorer leur capacité de mémorisation et d’attention, l’accent est également mis sur la stimulation de leurs capacités socio-affectives.

Notre intention est d’étudier l’impact de la pratique ludique non seulement sur la maîtrise du vocabulaire et de l’expression orale mais également sur la motivation, la confiance en soi, la persévérance, l’autonomie des élèves et sur le climat général de la classe.

A la demande de l’enseignante, les vingt-sept élèves de la classe sont répartis en six équipes homogènes de quatre à cinq joueurs qui participent à trois parties de jeu par séance, chaque partie étant encadrée par un adulte. Les rôles des encadrants sont de transmettre les

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règles, d’arbitrer les parties et d’aider les élèves à verbaliser leurs ressentis et acquis. Cette phase de verbalisation a pour but de fixer et de transférer les apprentissages cognitifs et socio-affectifs à d’autres domaines scolaires.

Chaque animation débute par une phase d’accueil destinée à rappeler les règles de fonctionnement, rédigées avec l’aide des élèves et à renforcer la cohésion de la classe. Elle se termine par une phase de clôture servant à quitter l’«  espace ludique  » pour réintégrer le monde scolaire.

A l’issue des animations, les élèves ont l’occasion de jouer régulièrement aux jeux laissés en dépôt dans leur classe ce qui leur permet de construire progressivement leurs stratégies et d’expérimenter l’apprentissage par essais et erreurs. La pratique régulière renforce en outre les apprentissages tant cognitifs que socio-affectifs.

Chaque animation fait l’objet d’une phase de préparation au cours de laquelle les ludothécaires présentent aux membres de l’équipe éducative les jeux, leurs règles et les compétences dont ils favorisent l’acquisition. Une séance d’évaluation réunissant tous les encadrants clôture toute animation.

L’équipe du secteur ludothèque de la Cocof a rédigé une évaluation globale de ce projet basée sur les évaluations menées à l’issue des animations, les interviews de la titulaire de classe et de plusieurs élèves

et sur les enregistrements audios de différentes parties de jeu.

Il en ressort que d’un point de vue socio-affectif, le projet a permis aux élèves :

• D’acquérir une plus grande confiance en eux, notamment en apprenant à gérer leurs limites et à accepter leurs erreurs. Certains sont également parvenus à dépasser leur anxiété, osant interpeller des adultes en cas de difficultés et acceptant d’animer des parties de jeux destinées à des invités extérieurs à l’école. • De développer leur persévérance en leur apprenant à ne pas se décourager face aux difficultés mais à mobiliser leurs acquis et à solliciter l’aide de partenaires ou d’encadrants.• D’accroître leur autonomie. Les élèves ont pris l’habitude d’utiliser spontanément les ressources disponibles pour atteindre l’objectif des jeux et de créer des variantes pour aider les joueurs en difficultés.• D’améliorer les relations sociales en étant moins compétitifs et en apprenant à collaborer avec d’autres joueurs et à faire preuve d’empathie vis-à-vis des moins performants. Cette évolution qui a eu un impact positif sur le climat de classe est due notamment à la pratique de jeux collectifs et de jeux en équipes.

Lors de l’atelier proposé dans le cadre du colloque, les participants ont pu expérimenter l’impact d’un jeu en

équipes sur les relations sociales. Nous leur avons en effet proposé de jouer au jeu « Quitte ou double » au cours duquel ils ont dû collaborer au sein de leur équipe pour trouver la réponse la plus proche à différentes questions portant sur des données chiffrées. L’aspect décalé des questions et l’ambiance ludique suscitée par le jeu ont contribué à favoriser les interactions entre les participants qui ne se connaissaient pas.

L’évaluation détaillée de notre projet est consultable via notre site :www.spfb.brussels rubrique Culture/Ludeo

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169 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

CITOYENNETÉ,AUTONOMIE ET LIBERTÉ

06

L’ATHÉNÉELÉONIE DE WAHAET LA FORMATIONÀ LA CITOYENNETÉPARTICIPATIVE

Rudi CreetenPréfet des études, Athénée Léonie de Waha, Liège Veronique DortuEnseignante

INTRODUCTION

Sans jouer les Cassandre, je ne me présente pas à vous de manière extrêmement optimiste quant à l’avenir de notre société occidentale. Il suffit de regarder tout autour de nous… Notre monde semble se trouver à un moment où tout s’accélère, où les anciens repères disparaissent et où les mutations se multiplient. Nous n’entendons en effet plus parler que de mondialisation, de globalisation, de récession économique, de politique d’austérité, d’intégrismes religieux, de terrorisme, de repli identitaire, de crise des migrants, d’insécurité, de réchauffement climatique, de menaces écologiques, d’épidémies virales, d’épuisement des ressources énergétiques, …

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Amplement relayés par les médias, ces éléments disparates provoquent un fort sentiment de malaise. Alors que la montée des incertitudes devrait accroître la liberté politique et l’action citoyenne, elle contribue plutôt à leur aliénation en raison de la peur qui entoure désormais notre civilisation. Nous connaissons donc une régression du concept de démocratie qui transforme l’ambition politique et citoyenne en dispositif de conformisme social, ainsi qu’en techniques et stratégies normatives.

C’est le moment de nous questionner sérieusement sur le devenir de notre démocratie, un système politique aussi précieux que fragile, couvrant à peine 300 ans de l’Histoire de l’Humanité. C’est le moment de nous questionner sérieusement sur la place que doit occuper la citoyenneté dans ce monde en crise.

L’EXIGENCE D’UNE RÉPONSE CITOYENNE

La citoyenneté est le fondement même de toute démocratie et à ce titre, elle doit être faite de valeurs (citons le civisme, la solidarité, l’ouverture aux autres, …) mais aussi d’enthousiasme, d’ambition et de combats de la part de l’ensemble des citoyens. Des citoyens formés qui doivent avoir acquis les qualités morales nécessaires grâce à l’éducation. Car si on naît « simple » citoyen, on devient citoyen éclairé et participatif. Etre membre de la société institue une citoyenneté d’appartenance. Mais la citoyenneté éclairée et participative diffère considérablement. Elle n’est pas donnée, elle est construite !

Déjà en 1927, dans son ouvrage Le public et ses problèmes, le psychologue et philosophe américain John Dewey écrivait que la population avait les moyens de devenir un réel acteur démocratique grâce à l’éducation scientifique et morale. Celui-ci soulignait d’ailleurs que « le remède aux maladies de la démocratie est davantage de démocratie ».

Et John Dewey allait plus loin en considérant que le développement de l’individualité, c’est-à-dire de la réalisation de soi à travers la démocratie, n’était pas conçu sur base de l’existence d’un gouvernement, mais bien à partir de la participation des individus à l’action collective. Et pour atteindre cet idéal démocratique, celui-ci considérait qu’il fallait offrir à la jeunesse les moyens nécessaires pour participer activement à la vie publique et sociale. Sa doctrine, appelée « learning by doing », consistait donc à apprendre en faisant.

Près de 40 ans plus tard, Célestin Freinet ne pensait pas autrement. Son Invariant pédagogique n°27 stipule bien que : « On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’Ecole. Un régime autoritaire à l’Ecole ne saurait être formateur de

citoyens démocrates ». Le rôle de l’école est donc de suffisamment armer les étudiants afin qu’ils deviennent des citoyens capables de s’engager et d’agir positivement sur notre société. Et pour ce, l’élève doit vivre et s’imprégner de la démocratie tout au long de sa scolarité.

L’APPRENTISSAGE À L’ENGAGEMENT CITOYEN

C’est exactement sur cette même philosophie que se construit à Liège, depuis maintenant presque 20 ans, l’Athénée communal Léonie de Waha, dont je suis le Préfet des Etudes. Cet établissement propose en effet à ses 800 élèves (de 12 à 18 ans) l’apprentissage de la Pédagogie Active de type Freinet et de l’Immersion précoce en anglais et néerlandais. Le projet d’établissement se veut avant tout centré sur la formation au vivre ensemble, à l’autonomie de vie et à la citoyenneté participative.

L’équipe pédagogique s’efforce donc constamment de développer l’examen critique des jeunes face aux problèmes sociétaux et aux enjeux démocratiques afin de les amener à construire leur avenir de manière citoyenne, tout en restant vigilants, créatifs et volontaires. Ayant suivi deux années de formation supplémentaires en Pédagogie Active de type Freinet par rapport à leur diplôme initial, les professeurs se doivent donc de mettre en place des démarches qui donnent aux adolescents, non seulement la maîtrise des compétences et des connaissances, mais aussi le goût

à l’investissement personnel et à un engagement citoyen pour la société de demain.

Et c’est là qu’une petite nuance doit être apportée. Nous envisageons bien ici l’engagement citoyen et non uniquement la citoyenneté. Mais encore faut-il savoir quel type de citoyen nous désirons former. Pensez-vous vraiment que la société a un réel besoin de citoyens disposant d’une simple connaissance toute théorique des enjeux démocratiques ? En forçant le trait, je pourrais vous dire que nous rencontrons chaque jour des citoyens apathiques, consentants, acceptant les droits civils et politiques dont ils jouissent, ainsi que les devoirs qui leur incombent (payer les impôts, respecter la loi, …), sans se poser de questions. Ces citoyens ne sont pas engagés. Ils sont embarqués dans la citoyenneté qui leur est, pour ainsi dire, imposée !

Pour être authentique, la citoyenneté doit être le fruit d’une réelle immersion qui permet d’ouvrir les esprits et de faire intérioriser durablement les valeurs démocratiques dans l’esprit des plus jeunes. Notre but est de former des élèves à l’esprit indépendant, qui seront en mesure de construire leur avenir de manière active et volontaire. Notre but est de former des citoyens aussi engagés que compétents, capables d’influer dans des actions de développement social, éducatif, culturel et d’économie locale, mais aussi dans des dispositifs non financiers de solidarité. Notre but est de

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former des citoyens participatifs qui savent faire entendre leurs avis, proposer des projets et des solutions, s’associer aux débats collectifs et aux prises de position, et assumer des responsabilités dans leur mise en œuvre.

Mais comment notre établissement s’y prend-t-il pour faire ancrer durablement dans les esprits les valeurs de la démocratie et de la citoyenneté participative ? Avant d’évoquer deux des moyens d’action concrets mis en place à l’Athénée Léonie de Waha, il faut toutefois nous attarder quelque peu sur la triple vision philosophique qui imprègne notre projet d’établissement.

LES CONDITIONS À UNE VRAIE FORMATION CITOYENNE

A. DONNER GOÛT AUX APPRENTISSAGES

Célestin Freinet avait déjà très bien compris que les réels moteurs de l’apprentissage résident en l’intérêt et la motivation des élèves. L’école doit donc offrir un cadre bienveillant et stimulant le plaisir d’apprendre afin que les élèves s’épanouissent et aient envie de s’investir. Et ceux-ci y ont bien droit. Pensez… D’après un calcul rapide qui n’a rien de savant, ils passent entre 800 et 900 heures par an assis sur les bancs de l’école…

Les Invariants pédagogiques de Célestin Freinet se révèlent encore être d’une très grande modernité et permettent de mieux comprendre encore les attentes (malheureusement) toujours actuelles des jeunes apprenants. J’évoquerai particulièrement trois d’entre eux qui constituent de véritables sources d’inspiration pour créer les fondations pédagogiques de tout enseignement ambitionnant de former les futurs acteurs de notre démocratie :

Invariant n° 11 : La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’Ecole, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle.

Invariant n° 12 : La mémoire, dont l’Ecole fait tant de cas, n’est valable et précieuse que lorsqu’elle est vraiment au service de la vie.

Invariant n° 17 : L’enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel.

Vous l’aurez compris, l’institution scolaire doit comprendre que cette exigence de cadre pédagogique mobilisateur et fonctionnel est toujours (et même plus que

jamais !) d’actualité. En mars 2017, le Comité des Elèves Francophones a d’ailleurs rendu ses conclusions dans le cadre de la création du fameux «  Pacte d’Excellence  ». Ayant sondé ses troupes, ce Comité a fait plusieurs propositions, dont deux demandes fortes pour ce qui nous occupe : les élèves du secondaire veulent comprendre pourquoi ils se rendent en classe (traduisez mieux saisir le sens de ce qui leur est enseigné !) et que l’école puisse leur permettre de devenir des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires !

B. RESPECTER LES DROITS DE L’ENFANT

L’institution scolaire ne doit pas non plus oublier que la formation à la citoyenneté ne peut se faire que par l’exercice de la citoyenneté au quotidien. C’est exactement ce qui est recommandé par la Convention Internationale des Droits de l’enfant, signée par 192 Etats membres de l’Assemblée générale des Nations Unies, dont la Belgique, le 16 décembre 1991. Ce traité reconnaît en effet le droit aux enfants d’exprimer leur opinion quant aux décisions qui les concernent et de participer à la vie sociale, en fonction de leur évolution et capacité. C’est ce que le Conseil de l’Europe et l’Unicef appellent « le droit de participation démocratique ». Les enfants doivent être considérés comme des citoyens à part entière, en construction, et non plus uniquement comme citoyens « en devenir ».Dans son document La participation des enfants à la vie familiale et sociale

(document CDPS CP (96)) daté de l’an 2000, le Conseil de l’Europe ne dit pas autrement en soulignant que «  l’enfant doit être considéré comme un membre actif de la société ou comme un citoyen à tous les niveaux. La formation à la participation qu’elle ait lieu dans le cadre familial, à l’école, au niveau des quartiers, au sein d’associations d’enfants ou dans des institutions pour l’enfance est essentielle pour doter l’enfant d’une expérience réelle de citoyenneté ».

Notons que le Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies vient de rappeler aux Etats que les jeunes ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux du seul fait qu’ils franchissent les portes de l’école et que leur participation active et éclairée pour toute question les intéressant est un DROIT et non une simple possibilité.

C. PRIVILÉGIER LE TRAVAIL EN COOPÉRATION

La formation à la citoyenneté participative doit également s’ancrer sur l’habituation de l’enfant à s’associer aux autres pour construire le bien commun, tout en assumant sa part de responsabilité. Pour ce, l’institution scolaire doit veiller à susciter le respect et la confiance mutuelle entre élèves, ainsi qu’entre élèves et adultes. Vous l’aurez compris, l’école doit promouvoir des rapports de coopération, de négociation, ET NON de compétition, entre les jeunes.

Deux Invariants pédagogiques de

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174 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 175 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

Célestin Freinet soulignent parfaitement la primauté du travail coopératif sur l’individualisation des apprentissages encore prônée dans trop d’établissements scolaires, ce qui n’est absolument pas naturel à l’enfant, limite à sa plus simple expression la socialisation et forge progressivement des citoyens autocentrés :

Invariant n° 21 : L’enfant n’aime pas le travail de troupeau auquel l’individu doit se plier comme un robot. Il aime le travail individuel ou le travail d’équipe au sein d’une communauté coopérative.

Invariant n° 24 : La vie nouvelle de l’Ecole suppose la coopération scolaire, c’est-à-dire la gestion par les usagers, l’éducateur compris, de la vie et du travail scolaire.

Le travail en coopération permet que valeurs et compétences soient réellement acquises en même temps que partagées, comme en témoigne les travaux de Jacques Lagarrigue, qui s’est penché sur cette problématique dans sa thèse de doctorat soutenue à l’université de Paris X-Nanterre en 1997. Une thèse toujours très actuelle qui donnera lieu à un ouvrage intitulé L’école, le retour des valeurs ? Des enseignants témoignent (Bruxelles – De Boeck &Belin – 2001).

Après avoir analysé le mode de fonctionnement d’une quarantaine d’écoles, le chercheur français constate surtout une cohérence entre les valeurs enseignées et celles exprimées par les enfants dans les établissements prônant la coopération. Ceux-ci s’approprient vraiment les valeurs de l’enseignement qui leur est dispensé !

Il ressort aussi de cette étude que les enfants issus d’un enseignement coopératif possèdent une vision de la démocratie qui n’est pas uniquement circonscrite aux portes de leur établissement. Pour quelles raisons ? Les objets d’étude sont légitimés par la pratique quotidienne des institutions citoyennes instaurées dans leur école. Les savoirs acquis s’inscrivent donc dans une compréhension globale de la société. Capables très tôt de liens et transferts, les enfants appliquent quotidiennement les valeurs apprises. Ils sont les vrais acteurs de cette démocratie d’apprentissage !

Vous l’aurez compris, si l’école accorde une importance centrale aux apprentissages sociaux, celle-ci peut être un réel facteur de progrès global de la personne et un moyen d’émancipation politique et citoyenne. La pédagogie du modèle adulte doit donc être abandonnée au profit de la pédagogie de l’acte. Cela sous-entend l’obligation d’institutionnaliser la participation citoyenne en créant des instances où chacun se sent libre de parler, d’échanger, de débattre, de légiférer, de décider des projets collectifs, de prendre ses responsabilités, … Bref, de s’autoriser à agir en citoyen !

DEUX MOYENS D’ACTION

Le Conseil de la classe

Le Conseil de la classe est un des piliers fondamentaux de notre Pédagogie Active de type Freinet. Cette structure constitue l’espace démocratique des élèves par excellence. Il s’agit d’un moment institutionnalisé, dont les procédures sont clairement définies. Celles-ci permettent la prise de parole et l’apprentissage des démarches qui guideront progressivement vers la citoyenneté participative. Ils y apprennent le droit d’exercer leur liberté de pensée et d’expression tout en respectant les règles de l’écoute. Ils y apprennent à faire preuve d’esprit critique, à contester et à poser des questions pertinentes. Ils y apprennent à défendre leur propre point de vue, à le soutenir avec des arguments solides et à accepter d’être remis en cause. Bref, les élèves s’initient à la démocratie !

Concrètement, toutes les semaines durant une heure et quart, les membres de chaque classe se regroupent et se placent en cercle, ce qui favorise une réelle communication, sous l’égide d’un président et d’un secrétaire dont les mandats sont renouvelés démocratiquement par élection interne tous les mois et demi. Le président et le secrétaire animent ledit conseil, distribuent la parole équitablement, veillent à ce que les débats restent démocratiques (aidés en cela par l’observateur) et rapportent sur base d’un PV au Conseil des délégués (par année)

les opinions et demandes de la classe.

Lors du Conseil de la classe, les membres de chaque groupe analysent donc les différents aspects de la vie interne et externe à l’école, confrontent leurs points de vue, négocient, prennent des décisions et en évaluent l’implication. Les jeunes participent ainsi à la concrétisation de certaines dispositions du Règlement d’Ordre Intérieur et en premier lieu aux règles de leur vie en classe. Ils cherchent des solutions en tenant compte de l’intérêt général. Parce qu’elles sont élaborées ensemble, lesdites règles sont par définition beaucoup mieux respectées. Des relations privilégiées se créent. Les actes de violence disparaissent. Le respect mutuel devient alors un point d’appui fondamental de la relation éducative. L’épanouissement personnel en sort renforcé.

L’ordre du jour est confectionné chaque semaine par l’ensemble des représentants (président et secrétaire) d’une même année lors du Conseil des délégués. Mais en règle générale, celui-ci présente le même canevas et comporte toutes les informations concernant les activités de l’école, les points positifs et négatifs de la semaine écoulée, l’évaluation des activités passées, le rappel des tâches (intendance, aide aux absents, gardien du temps, …) à se partager pour favoriser le vivre-ensemble, les questions à la Direction, un sujet de débat et la planification avec le rappel des différentes échéances à venir, ce qui permet aux élèves de faire le point sur

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176 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 177 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

leur gestion du temps de travail. Tout Conseil de la classe se termine par la relecture du PV qui doit être approuvé par l’ensemble des étudiants.

Le professeur titulaire assiste pour sa part au Conseil de la classe et peut aider le président dans la gestion des débats à sa demande, si celui-ci se sent débordé. Mais en général, le professeur fait partie intégrante du cercle de débat et il possède une voix comme tous les autres membres du Conseil de la classe.

La pédagogie du projet et les Journées Ateliers

La pédagogie du projet offre indéniablement un autre moyen idéal pour parvenir à une authentique citoyenneté participative puisqu’elle place les apprenants devant des tâches complexes permettant de construire des compétences et des savoirs à travers des situations de recherche et de faire intérioriser durablement les valeurs démocratiques.

La pédagogie du projet vise à ce que les élèves deviennent des acteurs sociaux. C’est une pédagogie de l’appropriation. Pour l’enseignant, il s’agit ici d’encadrer, d’accompagner, plus que d’enseigner au sens classique du terme, et a fortiori, de transmettre. Cette pratique permet indéniablement de décloisonner les savoirs et de croiser les compétences en dehors des schémas pédagogiques traditionnels. Elle donne aussi aux élèves un sens à leurs activités et l’envie de s’impliquer de manière aussi dynamique qu’enthousiaste. Car, comme le signalait déjà fort à propos Benjamin Franklin : Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends.

Outre des savoirs et compétences disciplinaires, les élèves vont progressivement apprendre à mettre en pratique les compétences transversales et des structures d’action qui seront renouvelables dans des circonstances analogues et qui ne manqueront pas de rythmer l’existence de tout individu : prendre des initiatives, planifier, collaborer, rechercher, créer, décider, communiquer, …

Mais il y a plus encore… La pédagogie du projet permet aussi aux élèves de travailler en dehors du microcosme des classes. Tout au long de leur cursus, ceux-ci entrent donc en relation avec le monde associatif dont ils deviennent des partenaires, ce qui leur permet de mieux le comprendre. Les élèves peuvent aussi s’appuyer sur des intervenants extérieurs qui garantissent la pluridisciplinarité et la pluralité philosophique des approches qu’ils développeront.

Le désir de participer naît de projets collectifs dont la réussite nécessite l’échange, la réciprocité, la coopération et la participation responsable de chacun des membres.

L’action pour réaliser un objectif commun permet à chacun de se faire reconnaître avec ses compétences et lui apprend à mieux se connaître et accepter les autres. La joie de réussir ensemble une action importante constitue un vécu stimulant. Le travail par projet permet à chacun des élèves d’être réellement impliqué dans chaque phase du processus, sur base des actions successives qui sont : proposer, négocier, décider et appliquer.

Le travail en projet, qui constitue un des piliers fondamentaux de notre Pédagogie Active de type Freinet, trouve sa parfaite concrétisation lors des «  Journées Ateliers  ». Celles-ci sont des périodes d’activités pédagogiques (10 jours répartis sur une année scolaire) qui permettent le décloisonnement des savoirs et… des classes. En réalité, elles donnent la possibilité aux étudiants de développer des compétences transversales, ainsi que leur esprit de solidarité et de collaboration. Le travail en projet offre ici un moyen supplémentaire de placer les élèves de façon concrète face à des «  situations problèmes  » et de créer des liens entre eux et leurs apprentissages.

Concrètement, peu après la rentrée scolaire, une vaste « bourse aux projets » est organisée et présentée à l’ensemble des élèves de la 1ère à la 5e année. Ces projets sont proposés par des organisations et autres associations extérieures (locales, nationales, voire internationales), des professeurs, mais aussi des élèves qui désirent défendre une proposition et devenir porteurs de projet. Lors de cette

«  bourse aux projets  », chaque étudiant doit effectuer un choix responsable, selon ses centres d’intérêt, pour ensuite être réparti, non plus par classe d’âge, mais par projet. Ce décloisonnement est indispensable, car il permettra de créer de nouvelles relations interpersonnelles et de favoriser le tutorat des aînés.

Lors des «  Journées Ateliers  », chaque professeur est tenu d’encadrer le projet de son choix, accompagné (dans la mesure du possible) d’un spécialiste de la question. Les ateliers qui voient le jour sont, chaque année, caractérisés par une grande variété et s’insèrent dans un des six grands thèmes suivants : citoyenneté au quotidien, citoyenneté mondiale, citoyenneté et communication, citoyenneté et expression artistique, citoyenneté et Mémoire collective, ainsi que citoyenneté et sciences. Personnellement engagés dans leur projet, les adolescents font preuve d’un grand investissement et se trouvent donc, une nouvelle fois, au centre de leurs apprentissages.

Tout Atelier débute par un brainstorming où chaque membre décrit ses attentes et ce qu’il imagine pouvoir apporter à celui-ci. Sur base du vaste échange d’idées qui a lieu, se crée le cahier des charges dans lequel doivent impérativement figurer les objectifs concrets poursuivis (sous forme de problématiques) lors des 10 journées imparties, les stratégies imaginées pour y parvenir, la planification des tâches, les compétences exercées, le contrat d’engagement et la liste du matériel à

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178 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 179 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

prévoir. Rien ne doit être laissé au hasard !

Ce cahier des charges est régulièrement ré-évaluable et les ajustements nécessaires peuvent y être apportés. Il s’agit donc d’un bon moyen de s’entraîner à l’auto-évaluation. Lors des journées Ateliers, les élèves s’exercent à la prise de décision et coopèrent étroitement. En fin de parcours, ceux-ci seront capables d’analyser les raisons pour lesquelles le projet a pu être mené à bien ou non.

L’objectif final de chaque Atelier est la réalisation d’un produit communicable et concret à destination d’un public externe, lors de la « Journée Portes ouvertes » par exemple. Cette ouverture vers le monde extérieur constitue le couronnement de la participation active de chaque étudiant et contribue, par conséquent, beaucoup à son épanouissement. Quoi de plus logique, puisque le résultat présenté est, en quelque sorte, la somme de la disponibilité, la créativité, l’autonomie, la solidarité, la responsabilité, l’authenticité, et l’efficacité… qu’il aura su mettre en œuvre durant de longs mois de travail.

CONCLUSION

L’institution scolaire doit centrer son action sur l’apprentissage du vivre ensemble, sur la participation active au service du collectif. Celle-ci doit mettre en place des moyens d’action formant les futurs citoyens aux valeurs humanistes. Tournant le dos aux modèles d’« école d’entreprise » ou de « fabrique d’excellence », l’école doit privilégier l’éducation à la démocratie en étant elle-même une communauté démocratique. Pour ce, l’enfant doit être considéré comme un jeune citoyen de plein droit, apte à prendre à son échelle, avec les autres acteurs de son éducation, les décisions qui le concernent.

Le monde actuel a impérativement besoin de citoyens qui ont envie de s’engager positivement et qui soient capables de contrer la société individualiste, sécuritaire, consumériste qu’on nous impose trop souvent et qui tend à privilégier la quête d’un bonheur privé. La démocratie participative est la seule forme d’association qui pourra véritablement assurer la croissance des êtres humains, la libération de leurs potentialités, et le partage constructif de leurs expériences.

La pédagogie du projet, basé sur les réels centres d’intérêt des élèves plutôt que sur les référentiels et autres programmes, est un moyen pédagogique prépondérant pour la formation complète de citoyens participatifs que nous voulons pour demain… Tout comme l’est le Conseil de la classe, qui offre l’opportunité à chaque élève de s’imprégner des règles démocratiques et du vivre ensemble.

DÉMARCHES SOCIO- CONSTRUCTIVISTESEN SCIENCESHUMAINESFaire apprendre activement par des « situations-problèmes »

Michel StaszewskiRetraité de l’enseignement secondaire (A.R. de Jette)

Cet atelier a pour objectif de confronter les participants à une forme particulière de pédagogie active : celle des situations-problèmes de type socio-constructiviste adaptées au (vaste) domaine des sciences humaines. On y réfléchira :

1.   à l’intérêt de ce type de dispositif par rapport à l’objectif de former des citoyens responsables et actifs ;2.   à ce que cette option didactique implique comme positionnement professionnel de l’enseignant ;3.   aux fondements théoriques (socio-constructivistes) qui fondent de telles pratiques.

Dans la conception constructiviste des apprentissages, les savoirs ne sont pas des « choses » que les élèves reçoivent, « transmises » par leurs professeurs. Les cerveaux

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180 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 181 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

des élèves ne sont ni des récipients « que l’«  attention  » [des élèves] permettrait d’ouvrir à des savoirs que l’on déverserait méthodiquement  », ni une «  pyramide bien régulière où, heure après heure, leçon après leçon, viendraient se poser les connaissances acquises (…) » ; sur laquelle on les empilerait « en commençant par les plus grandes, les plus solides et en posant dessus, au fur et à mesure, de plus fines et de plus complexes  »1. Les élèves n’empilent pas les savoirs qu’ils reçoivent, ils n’apprennent vraiment que les savoirs qu’ils construisent. Construire un savoir implique un travail d’appropriation complexe qui passe par une déconstruction partielle des connaissances préexistantes de l’apprenant (remise en question de certaines représentations désormais dépassées) et une reconstruction permettant d’intégrer (de classer, de relier) le nouveau savoir (attitude, concept, savoir-faire) à l’ensemble des connaissances acquises précédemment.

Prenons un exemple qui concerne le cours d’histoire. Pour que les élèves puissent s’approprier le concept de «  révolution  » dans le sens où ce mot est utilisé dans les cours d’histoire, il est nécessaire qu’ils remettent en question leurs représentations préexistantes de la signification de ce terme. En l’occurrence, dans ce cas, une des représentations mentales2 spontanées parmi les plus

1 MEIRIEU, P., Apprendre … oui, mais comment ?, coll. Pédago-gies, ESF, Paris, 1987, p. 50.

2 Représentation mentale : conception qu’un individu a, à un moment donné, d’un objet ou d’un phénomène. L’apprentis-sage consiste à modifier ses représentations mentales dans

fréquentes est qu’il s’agit d’une émeute mettant en mouvement un grand nombre de personnes, indépendamment de l’objet et des résultats de cette émeute. Il est nécessaire de confronter les élèves qui sont dotés de ce type de représentation à des exemples nombreux et variés (de révolutions politiques mais aussi économiques, démographiques, scientifiques, culturelles) pour que cette conception très prégnante soit déstabilisée, puis déconstruite pour pouvoir fixer et rendre utilisable une représentation plus complexe applicable à de nombreux cas particuliers. Cette vision de l’acte d’apprendre amène à concevoir des dispositifs didactiques visant à mettre le plus souvent possible les élèves en situation de conflit cognitif, c’est-à-dire, de remise en question de leurs représentations préexistantes d’attitudes, de concepts ou de savoir-faire.

Plus concrètement, dans le contexte scolaire, où les élèves sont réunis en groupes-classes, il s’agit de favoriser le développement de conflits socio-cognitifs, c’est-à-dire d’interactions cognitives entre des élèves (et, occasionnellement, entre des élèves et leur professeur) ayant des conceptions différentes des savoirs dont l’apprentissage est visé. On parle alors de socio-constructivisme. Le travail en sous-groupes de pairs est un moyen très efficace de multiplier les occasions de conflits socio-cognitifs.

le sens d’une conceptualisation de plus en plus poussée. En pédagogie on utilise souvent les termes : représentation spontanée, conception préalable, pré-conception.

Cette approche méthodologique rompt résolument avec le cours « clé sur porte ». Le professeur aura certes défini à l’avance, pour lui-même, les principaux objectifs qu’il poursuit en termes d’appropriation de savoirs par les élèves; il aura préparé des dispositifs didactiques visant à obliger les élèves à confronter leurs représentations de ces savoirs à celles amenées par le professeur. Mais les difficultés rencontrées par chaque élève ou groupe d’élèves lors des tentatives de résolutions des situations-problèmes, ne peuvent pas être toutes prévues à l’avance. Le professeur n’est plus celui qui pose toutes les questions et qui fournit toutes les réponses. Il devient une personne-ressource, au service d’apprenants qui cherchent.

LES SITUATIONS-PROBLÈMES3

Ce type de situation didactique constitue un modèle d’organisation de l’enseignement qui place les apprenants en situation de construire leurs savoirs. Leur intérêt y est mobilisé par une énigme ou un problème à résoudre. La tâche qui en découle doit donner lieu à une production socialisée (communicable et communiquée). Elle doit être conçue de manière à ce que sa réalisation implique que tous les apprenants soient confrontés à un ou des savoirs nouveaux dont l’appropriation constitue l’objectif pédagogique de l’enseignant. Philippe Meirieu nomme ces savoirs des objectifs-obstacles ; cette expression imagée rend compte du fait que l’apprenant se trouve confronté à la difficulté que représente l’appropriation d’un savoir nouveau pour lui : il doit modifier son système de représentations mentales, ce qui implique de renoncer à certaines d’entre elles.

Pour éviter que les apprenants contournent les difficultés qu’occasionnent l’appropriation de nouveaux savoirs, des consignes précises doivent être fournies tant en ce qui concerne les critères de réussite de la tâche qu’en ce qui a trait aux conditions dans lesquelles la tâche doit être réalisée (contraintes de temps, type de collaboration entre les apprenants, aide matérielle admise, etc.).

Les savoirs dont l’appropriation est visée par le moyen des situations-problèmes doivent être choisis sur base d’une évaluation diagnostique permettant à l’enseignant de répondre aux questions suivantes : les apprenants possèdent-ils les savoirs nécessaires (les prérequis) à l’appropriation des nouveaux savoirs ? Ces derniers sont-ils vraiment nouveaux pour eux ? Si ce n’était pas le cas, la situation-problème perdrait tout son intérêt.

La situation-problème, bien que répondant à des consignes précises, doit prendre en

3 La description qui suit de la méthodologie des situations-problèmes est inspirée de l’ouvrage de Philippe Meirieu cité ci-avant.

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182 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 183 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

compte le fait que les élèves développent des stratégies différentes pour résoudre les mêmes problèmes.

Pour construire une situation-problème, l’enseignant devra donc se poser les questions suivantes :

1.   Quel est mon objectif pédagogique ? Autrement dit, quels sont les savoirs (concepts, savoir-faire ou attitude intellectuelle) dont je souhaite l’appropriation par les élèves grâce à cette situation-problème ?2.   Quelle tâche puis-je proposer qui requiert, pour être menée à bien, l’appropriation de ces savoirs ? 3.   Quel dispositif didactique dois-je mettre en place pour que l’activité mentale des élèves permette, en réalisant la tâche, l’appropriation des savoirs visés ?

•   Quels matériaux, documents, outils dois-je réunir ?•   Quelles consignes (critères de réussite et conditions de réalisation) dois-je donner pour que les apprenants traitent les matériaux pour accomplir la tâche sans contourner les apprentissages visés ?

De plus, dans le cadre d’une pédagogie prenant en compte les différences entre élèves, l’enseignant s’efforce d’apporter des réponses satisfaisantes aux questions suivantes :

4. Quelles activités puis-je proposer qui permettent de négocier le dispositif selon diverses stratégies ? Comment varier les outils, démarches, degrés de guidage, modalités de regroupement ?

Tout au long de la réalisation de la tâche, dans le souci que les apprentissages visés puissent effectivement se produire pour chaque élève, l’enseignant veille au respect des consignes et apporte les aides nécessaires aux groupes ou individus en difficulté.

Les résultats obtenus en termes d’apprentissage doivent être vérifiés pour chaque apprenant. Ceci requiert des activités de décontextualisation permettant la généralisation (la conceptualisation) et donc l’appropriation réelle, transposable à d’autres contextes, du savoir nouveau.

PRATIQUES DEPÉDAGOGIES ACTIVESÀ L’ECOLE DÉMOCRA-TIQUE DE L’ORNEAU

Romain GauthierEcole démocratique de l’Orneau, Gembloux

Romain est diplômé en sciences politiques et en entrepreneuriat social. Il a travaillé pour l’organisation à but non lucratif internationale Ashoka qui favorise l’émergence d’innovations sociales à grande échelle ainsi que pour des entrepreneurs sociaux en France, au Cambodge et au Québec. Il participe au développement de l’association québécoise - la fondation du Dr Julien - dont la mission est de permettre à chaque enfant issu d’un milieu vulnérable de développer son plein potentiel et son bien-être, dans le respect de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Il s’engage aussi auprès des adolescents pour une éducation qui prend en compte la globalité de leur être et accompagne le projet Green Teens, film libre et indépendant qui explore l’éducation engagée à l’autre bout du monde.

Il rejoint le démarrage de l’école démocratique de l’Orneau à Gembloux en septembre 2016 afin de participer au développement d’autres approches éducatives pour les enfants.

Cette structure accueille des enfants et jeunes de 3 à 18 ans, sans classe d’âge, sans note et sans programme. Elle

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184 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 185 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

propose une approche éducative centrée sur les apprentissages autonomes pour développer l’identité des enfants, un fonctionnement en cogestion démocratique et une responsabilisation au développement soutenable.

L’approche pédagogique de l’Ecole démocratique de l’Orneau repose sur trois piliers fondamentaux :

PILIER 1 : L’AUTONOMIE

Nous accompagnons chaque enfant dans l’apprentissage de l’autonomie, une compétence qui lui permet de réussir tous ses apprentissages et de s’épanouir pleinement dans sa vie future.

APPRENDRE DE MANIÈRE AUTONOME : Un enfant de l’École démocratique de l’Orneau pratique majoritairement l’apprentissage autonome tout en tenant compte du passage des différents certificats et épreuves externes de l’enseignement prévus par la législation belge.

ACCOMPAGNER L’ENTHOUSIASME : Nous partons du principe que l’être humain est naturellement curieux et que la motivation intrinsèque est le plus puissant moteur de l’individu. L’apprentissage est aussi naturel que d’apprendre à marcher, tant que nous y trouvons du sens, y prenons plaisir et avons de l’enthousiasme. C’est donc en laissant libre cours à la curiosité naturelle et la soif d’apprendre, avec des adultes en posture de «  facilitateurs  »

et «  d’accompagnants  » plutôt que de «  détenteurs du savoir  », que nous pouvons aider les enfants à se réaliser pleinement.

PILIER 2 : LE FONCTIONNEMENT DÉMOCRATIQUE

VIVRE LA DÉMOCRATIE AU QUOTIDIEN : chaque enfant a un pouvoir de décision et de vote, quel que soit son âge, dans des moments informels et surtout dans les moments formels que sont le Conseil d’École, le Conseil d’Ajustement et les Cercles. Ce cadre permet à chaque enfant de saisir la complexité et les enjeux de la démocratie dans le vivre ensemble et dans notre société.

LE CONSEIL D’ÉCOLE : est l’organe en charge de l’administration et de la gestion de l’école. Il est constitué des enfants, de l’équipe pédagogique et des intervenants réguliers. En pratiquant le débat, l’argumentation, la réflexion, le discernement et le respect des opinions d’autrui, les Conseils d’École sont autant d’occasions pour l’enfant d’aiguiser son sens de la citoyenneté.

LA MÉDIATION DES CONFLITS : la résolution des conflits et des tensions se travaille par des outils de communication non violente mis à disposition de tous (ex. roue des émotions et besoins, cartes caramel). Les enfants et les adultes sont formés à les utiliser et à devenir médiateurs des conflits à tous moments de la journée.

LES CERCLES : rassemblent des groupes d’individus (membres actifs, parents, membres invités) pour gérer notamment les finances, les achats, les relations publiques, l’aménagement de l’école, les ressources humaines, ou encore les présences.

PILIER 3 : ETRE SENSIBILISÉ POUR MIEUX PRÉSERVER DANS LA CLASSE, DEVENIR ACTEUR D’UN DÉVELOPPEMENT SOUTENABLE

Il est devenu urgent d’agir. Nous en avons tous les moyens. Et surtout, le devoir. C’est pourquoi, nous avons décidé de faire du développement soutenable un des piliers de notre école.

CONSOMMER MIEUX : En apprenant à économiser et à partager de manière équitable les ressources, en utilisant les technologies qui polluent moins, qui gaspillent moins d’eau et moins d’énergie, et surtout en changeant nos habitudes de consommation et nos comportements. C’est cela, le développement durable. Ce n’est pas un retour en arrière, mais un progrès pour l’humanité : celui de consommer non pas moins, mais mieux.

SENSIBILISER : Parce que notamment le destin de l’humanité est lié à celui de notre planète, une sensibilisation précoce à la fragilité mais aussi à la beauté du monde qui nous entoure est nécessaire afin de le préserver, pour nous et pour les générations futures.

CONSCIENTISER : Ce troisième pilier veut conscientiser les enfants aux différentes ressources naturelles existantes, à l’impact potentiel de nos choix de vie sur l’environnement, afin qu’à travers leurs activités quotidiennes, ils deviennent des citoyens responsables, acteurs et spectateurs de leur(s) environnement(s).

AGIR : Au quotidien, nous sommes très attentifs à l’aspect durable des actions entreprises à l’école:

• bâtiment rénové de façon écologique, récupération de l’eau de pluie ;• les 3 R : réduire, recycler et réutiliser (par exemple, presque tout le mobilier a été récupéré et la construction d’un garde-corps d’escalier s’est faite avec des matériaux de récupération) ;• produits bio, équitables et écologiques le plus souvent possible ;• potager.

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RÉFÉRENCES :

Ken Robinson : L’élément - quand trouver sa voie peut tout changer!André Stern : L’enthousiasme, cet engrais qui fait fleurir l’enfance https://www.youtube.com/watch?v=bb6V6ztxK4sJohn Holt : Teach your ownJohn Holt : Les apprentissages autonomesClara Bellar : Être et devenir http://www.etreetdevenir.com/EED.fr.html#AccueilPeter Gray : The most basic freedom is freedom to quit https://www.psychologytoday.com/blog/freedom-learn/201304/the-most-basic-freedom-is-freedom-quitErwin Wagenhofer : alphabet (http://www.alphabet-lefilm.fr/)

LA PÉDAGOGIE FREINET,UNE PÉDAGOGIETOUJOURS NOUVELLEÉvolution d’une pédagogie dans le sillage de l’éducation nouvelle

Henri LandroitDanièle BlumfarbEducation Populaire – Mouvement Freinet

Parmi les pédagogies dites « nouvelles », il en est une qui ne supporte guère cet adjectif : la pédagogie Freinet. Car ce qui apparait comme nouveau un jour est destiné inéluctablement à être considéré comme ancien si pas ringard quelque temps après. Freinet préférait parler de « pédagogie de l’école moderne » et tout un temps, les publications parurent sous le titre de l’ «  École moderne  » et le mouvement d’enseignants prit, en France, le nom d’Institut coopératif de l’école moderne. «  Nous disons bien École moderne, écrit Freinet, et non École nouvelle parce que nous insistons beaucoup moins sur l’aspect nouveauté

que sur celui d’adaptation aux nécessités de notre siècle... Nous avons à faire naitre l’avenir au sein du présent et du passé, ce qui nécessite non point un spectaculaire appel de nouveauté, mais de la prudence, de la méthode, de l’efficience et une grande humanité. » C’est donc dans cet esprit que s’est développée la pédagogie Freinet en près de cent ans : se renouveler au point de vue des techniques, des méthodes, mais tout en restant toujours elle-même.

En 1965, il précise encore : «  Nous éliminons volontiers de notre pédagogie le mot de nouvelle ; nous préférons

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le qualificatif de moderne, ou de modernisation qui montre le souci constant des réformateurs à travers les siècles d’adapter leurs techniques aux nécessités et aux possibilités de l’époque. »

Dans un premier temps, dès 1922, les pratiques proposées par Freinet et ses camarades furent baptisées «  Techniques Freinet  ». Il s’agissait du texte libre, de l’imprimerie scolaire, de la correspondance interscolaire, du dessin libre, du calcul vivant, etc. Ce n’est qu’à partir de 1964, soit deux ans avant sa mort, que l’on parla officiellement de « Pédagogie Freinet ». Plus de quarante ans de recherches, de pratiques, de mises au point diverses s’étaient en effet écoulés et avaient permis de couvrir tous les champs scolaires. La pédagogie Freinet avait maintenant une réponse spécifique aux questionnements des enseignants, elle était en mesure de proposer des pistes originales de pratique et de recherche non seulement en langue maternelle et en arts plastiques, mais dans tous les domaines de l’activité de l’école, en mathématique, en sciences, en géographie, en histoire et même en gymnastique et en musique.

En résumé, peut-on dire que la pédagogie Freinet est une pédagogie qui ne souffre pas du temps qui s’écoule ? Si l’on entend de temps à autre certains affirmer qu’elle est «  dépassée  », c’est parce que ces détracteurs en sont seulement les observateurs et pas les acteurs. Ils en sont restés à des visions stéréotypées ou

anciennes (et donc effectivement parfois apparemment dépassées dans la forme, comme l’imprimerie scolaire) de cette pédagogie. Lorsqu’on la vit de l’intérieur, lorsqu’on côtoie les enseignants qui s’en nourrissent, qui la pratiquent, lorsqu’on assiste aux formations, aux congrès, aux rencontres internationales que le mouvement Freinet génère en Europe, en Afrique, en Amérique latine, au Japon, etc., on ne peut être qu’impressionné par la vigueur des chantiers de travail, la qualité des productions, le nombre d’idées nouvelles expérimentées et le respect de la place de l’élève dans son développement personnel et social en lui reconnaissant un statut d’enfant-auteur et le droit à l’erreur comme au tâtonnement expérimental.

Elle ne pourrait donc s’intituler « nouvelle » que parce qu’elle se renouvèle constamment, s’adaptant aux évolutions technologiques (d’abord le cinéma, puis l’enregistrement sonore et enfin les technologies nouvelles, du fax aux blogs et à l’internet).

La pédagogie Freinet est non seulement moderne, mais elle est politique. Ce qu’elle propose comme système de valeurs et d’organisation sociale n’est pas seulement destiné aux enfants et adolescents, mais applicable dans la société en général, adultes y compris (la libre expression, la décision collective, la recherche, la créativité, etc.). Ce qui se vit et se pratique socialement dans les classes Freinet peut se pratiquer au niveau des quartiers, des associations

et plus largement dans la société civile. Les enseignants Freinet ne proposent pas particulièrement toutes ces méthodes et techniques libératrices aux enfants parce que ce sont des enfants, mais bien parce que ce sont les futurs adultes d’une société qu’ils voudront plus solidaire et juste. C’est en ce sens que nous parlons de pédagogie politique. Tout observateur un tant soit peu curieux des pratiques scolaires à tous les niveaux d’enseignement ne peut manquer d’être frappé par le manque de pratiques qui préparent l’enfant ou l’adolescent à entrer dans la vie adulte muni d’un bagage de connaissances et d’expériences suffisant qui lui permette de l’aborder en tant que citoyen conscient, autonome, solidaire, actif.

Pourtant, ces questions sont présentées dans les programmes scolaires, parfois à demi-mot, il est vrai. Et surtout, certaines pédagogies ont labouré consciencieusement ce terrain depuis près de cent ans. C’est le cas de la pédagogie Freinet qui a basé son approche de l’enseignement et de l’éducation en favorisant dans la classe la coopération entre élèves en lieu et place de la compétition si souvent mise en valeur dans les activités scolaires par les classements, les regroupements, les notations chiffrées, les examens, etc. Ce parti pris de la mise en avant de la coopération favorise évidemment la prise de conscience démocratique par les élèves. En effet, c’est en collaborant, en se frottant les uns aux autres, en participant à des projets communs plus qu’en cherchant à être les plus forts, les plus grands, les meilleurs, etc. qu’ils découvrent les bases de la gestion démocratique d’un groupe social.

Les pédagogies qui prétendent ne pas se préoccuper de politique, n’être ni de droite ni de gauche préparent, parfois inconsciemment, une société s’engluant dans ses contradictions internes et se reposant sur le conservatisme ambiant.

En Belgique, d’abord pratiquée principalement dans l’enseignement fondamental, elle a fait petit à petit sa place dans l’enseignement secondaire montrant par-là que les principes qu’elle défend sont valables à tous les âges, adultes y compris et même en-dehors du strict champ scolaire, dans la vie citoyenne.

Ce texte est écrit en orthographe modernisée

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190 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 191 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

COLLABORERPOUR PENSER, CRÉERET ORGANISERL’ÉCOLE DE DEMAINLe cas du projet « La CiTé – école vivante »

Cédric Danse et Daniel FaulxUniversité de Liège

Les pédagogies actives sont habituellement pensées à l’intérieur d’un système-classe : elles questionnent les outils didactiques, les types d’apprentissages, la posture de l’enseignant et les activités cognitives, affectives et collaboratives des élèves. Dans cette optique, les pédagogies actives s’entendent comme des organisations de classe « qui requièrent la participation de l’élève à la découverte des problèmes et à la recherche des solutions, ainsi qu’à l’élaboration même de ses connaissances » (Gal & Zadou-Naisky, 1968, p. 255).

La présente contribution a pour ambition d’élargir ce cadre pour ainsi traiter de la mise en œuvre d’une pédagogie non-traditionnelle (ou alternative) au travers de la création d’un établissement scolaire différent, La CiTé - école vivante, fondé sur le postulat du « Tout est éducatif ». La dimension active de la pédagogie est donc à lire non seulement dans le système-classe, mais également à l’échelle de l’établissement, de sa gouvernance, des rapports entre les différents membres de la communauté éducative, qu’ils soient élèves, enseignants, membres de la direction ou encore parents.

S’appuyant sur le décret «  Missions  » (Fédération Wallonie-Bruxelles, 1997), ce projet d’école secondaire vise trois objectifs fondamentaux : l’émancipation des individus, la socialisation grâce aux groupes et la démocratie collaborative. La CiTé – école vivante est un établissement qui n’a pas encore vu le jour ; il se construit activement notamment par des démarches collaboratives et espère ouvrir ses portes dans les prochaines années (rentrée 2019).

Une telle entreprise ne naît cependant pas sans poser questions. Nous en évoquons ici quelques-unes.

•   Comment positionner cette école différente dans la diversité du paysage institutionnel des établissements scolaires ? Dans sa recension des créations d’établissements scolaires à pédagogie alternative en France, Viaud (2017) mentionne notamment, outre les plus habituels Freinet ou Montessori, des écoles dites démocratiques (ou Sudbury) ainsi que des écoles qui «  revendiquent non pas une pédagogie, mais une pluralité de sources d’inspiration ». La question qui se pose ici se construit alors autour de trois grandes préoccupations. La première est de savoir qui assigne cette reconnaissance institutionnelle ? Vient-elle de « l’intérieur » de l’école, par les acteurs qui la construisent ou de son environnement qui lui reconnaît telle ou telle caractéristique ? La deuxième est de préciser sur base de

quels attributs cette reconnaissance peut se fonder. Autrement dit, qu’est-ce qui permet de dire que «  telle école  » est de «  telle orientation  » ? S’agit-il de pratiques spécifiques, du projet pédagogique développé, d’énoncés de valeurs et de principes sociétaux particuliers, des modes de gouvernance de l’établissement, des contenus-matières travaillés, des formes que l’évaluation revêt… ? La troisième préoccupation se centre sur les relations avec les autres établissements sur une dimension géographique mais aussi identitaire. Comment l’arrivée d’une école dans un périmètre donné est-elle perçue par des établissements scolaires, qu’ils soient dits de pédagogie alternative ou non ? Sur le plan identitaire, c’est davantage l’attache à un réseau plus large d’écoles «  qui se ressemblent  » qui est à prendre en compte, donc sur un espace géographique bien plus grand.

•   Quels sont les soutiens politiques, institutionnels et sociétaux essentiels à obtenir pour mettre en œuvre un tel projet ? L’accomplissement d’un tel projet nécessite, depuis sa genèse jusqu’à sa réalisation effective, l’appui d’une multiplicité de personnes aux ressources complémentaires. Vu sous l’angle de la sociologie de la traduction (Akrich, Callon & Latour, 2006) et du projet latéral (D’Herbemont & César, 2004), la mobilisation des «  acteurs-réseaux  » est essentielle et suppose

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192 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 193 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

entre autres la problématisation et l’intéressement de chacun des partenaires. Comment dès lors est-il possible, dans un projet d’une telle envergure, d’enrôler enseignants, politiciens, universitaires ou autres acteurs de la vie sociale ?

•   Comment parvenir à mobiliser des citoyens – potentiellement parents d’élèves – dans cette initiative ? Une école n’est rien sans élève. Mais au-delà de cette évidence, une école qui se réfléchit par et pour la société ne peut faire l’économie d’être au contact des citoyens. L’avancement du projet en est aujourd’hui à un stade où un double mouvement doit être assuré. D’une part, informer, sensibiliser, faire valoir la création d’une telle école. D’autre part, entendre les premiers retours du terrain, les espoirs mais aussi les suspicions que cette entreprise peut soulever. A l’heure de la postmodernité voire de l’hypermodernité (Tapia, 2002), quelles sont dès lors les initiatives, les moyens et les opportunités qui permettent d’inclure et mobiliser des citoyens dans cette démarche ?

•   Comment se doter d’un cadre institutionnel et fonctionnel cohérent définissant les principes de fonctionnement d’une telle organisation humaine ? Puisque la CiTé – école vivante s’inscrit dans une démarche de démocratie collaborative, quelle structure, quels outils, quelles modalités de prise de décision lui sont nécessaires pour fonctionner ? Nous verrons que ces outils puisent plus particulièrement leur source dans trois champs complémentaires : la pédagogie institutionnelle (Oury & Vasquez, 1971), l’intelligence collective (Zara, 2004) et les nouvelles formes d’organisations (e.a. Laloux, 2017).

L’intérêt de cette contribution est donc double. Le premier est d’apporter quelques éclairages conceptuels permettant de construire des réponses aux différentes questions évoquées. Le deuxième est de faire écho à la démarche de création pédagogique globale que l’équipe fondatrice du projet La CiTé – école vivante a entrepris, et continue d’entreprendre, afin de proposer des pistes concrètes de réponses à ces questionnements. Cette communication est assurée conjointement par l’équipe fondatrice du projet et des membres de l’équipe universitaires accompagnant le projet.

BIBLIOGRAPHIEAkrich, M. ,Callon, M. & Latour, B. (2006). Sociologie de la traduction. Textes fondateurs. Paris : Presses des Mines. D’Herbemont, O. & César, B. (2004). La stratégie du projet latéral. Paris : Dunod. Fédération Wallonie-Bruxelles (1997). Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. Retrouvé sur : http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/21557_024.pdf Gal, R. & Zadou-Naisky, G. (1968). Projet pour une école d’orientation et d’adaptation pédagogique. In Hommage à la mémoire de Roger Gal. Paris : IPN.Laloux, F. (2017). Reinventing organizations. Paris : Diateino. Oury, F. & Vasquez, A. (1971). De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle. Nîmes : Champ social. Tapia, C. (2012). Modernité, postmodernité, hypermodernité. Connexions, 97, (1), 15-25.Viaud, M-L. (2017). Le développement des écoles et pédagogies différentes depuis le début des années 2000 : état des lieux et perspectives. Spécificités, 10, (1), 119-148.Zara, O. (2008). Le management de l’intelligence collective: vers une nouvelle gouvernance. Paris : éditions M21.

REGARD SUR QUATREPREMIÈRES ANNÉESD’EXISTENCE DE« DE L’AUTRE CÔTÉDE L’ECOLE »,ÉCOLE SECONDAIRE ÀPÉDAGOGIE FREINET

Amandine TuerlinckxDirectrice de l’ACE (De l’Autre Côté de l’Ecole), Auderghem

Travailler en pédagogie Freinet, c’est adhérer à des valeurs et les vivre à travers chacun de nos moments. Tous nos enseignants sont engagés et sélectionnés par l’équipe pédagogique et le Pouvoir Organisateur de l’école sur

lettre de motivation et suite à un (ou plusieurs) entretien(s). Tous s’engagent à mettre tout en œuvre pour enseigner selon ces valeurs, décrites dans notre projet d’établissement.

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«

La pédagogie Freinet, c’est quoi pour nous ?

TÉMOIGNAGE D’UNE ÉLÈVE

Lors de cet atelier, nous avons écouté les témoignages d’élèves et d’un parent sur leur vécu par rapport à l’école. Voici un témoignage :

Bonjour,

Je m’appelle Aurore, je suis élève en 4A. Je suis à l’ACE depuis son ouverture en 2014, et même avant, j’ai pas mal participé aux journées travaux. Cela permettait de s’investir dès le début dans l’école et de rencontrer des personnes présentes dans l’équipe pédagogique, des élèves, des parents… et de se donner une idée de “comment serait l’école” (bien que même aujourd’hui elle ne soit pas finie, et est en évolution constante).

Le principe des journées travaux était déjà fort en lien avec la pédagogie Freinet : autonomie, initiative, entraide… Et permettait aussi de nous sensibiliser et de prendre soin des choses, nous peignions les murs de l’école, lavions le sol, les tables les chaises, nettoyions, grattions les chewing-gums…

Puis il y a eu la rentrée en septembre, nous étions 80 élèves, divisés en 5 classes, dont une de différenciée.

Je suis arrivée à l’école avec la boule au ventre, ne sachant pas à quoi m’attendre, j’étais stressée et excitée ! C’était un saut dans le vide, un pari à prendre, rien n’était fait !

Et ça s’est super bien passé, très vite j’ai trouvé mes marques, j’allais à l’école le cœur léger, je n’avais plus peur ! Je me sentais bien, dans un groupe dans lequel j’ai eu tout de suite et tout à fait ma place.

Nous n’avions pas de devoirs imposés, donc la possibilité d’avoir une vie en dehors de l’école et de faire toutes les activités parascolaires qu’on souhaitait ! Je n’avais plus le stress des devoirs et des évaluations à rendre pour le lendemain…

Et très vite est arrivée cette notion de « pouvoir »: tu peux travailler à la maison, si tu en a envie. Les profs nous expliquaient qu’ils considéraient, que si nous étions attentifs pendant les 7 heures de cours de chaque journée, alors pour eux nous n’avions pas besoin de travailler en plus ! Mais au bout d’un certain temps, certaines recherches ou projets, exercices…, j’ai eu envie de les continuer, de travailler à la maison. « On ne peut pas faire boire un cheval qui n’a pas soif », disait Freinet ! Mais j’avais soif d’apprendre, je rentrais à la maison avec encore des tas de choses dans la tête et qu’une seule envie, les expliquer, partager mes connaissances ! À partir de là, j’aimais apprendre, mais j’aimais surtout “mon école”, je n’étais plus une élève parmi tant d’autres, j’ai compris que je faisais partie de l’école.

Je ne percevais plus mes profs comme des gardiens de prison qu’on devait vouvoyer. La distance qu’il y avait entre le supérieur et l’élève était révolue ! Je les voyais désormais comme des accompagnateurs qui sont là pour m’aider et me remettre dans le droit chemin si je déviais de ma trajectoire. J’avais le droit de les tutoyer, ce qui contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient croire, n’est pas du tout un frein au respect bien au contraire, ce n’est pas parce qu’on tutoie nos professeurs qu’on ne les respecte pas ! Je faisais désormais partie des pionniers ! Nous sommes les plus grands, les premiers…, les cobayes, « l’année test ». On ne sait jamais de quoi demain sera fait, à quelle sauce nous serons mangés ! Mais c’est une expérience merveilleuse,

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et ça a pas mal d’avantages. Ce qui est drôle c’est que souvent nous sommes plus expérimentés dans la pédagogie Freinet que nos nouveaux profs.

Nous avons vu l’arrivée de l’année juste en dessous de nous, comme des envahisseurs, nous étions seuls, “chouchoutés” et d’autres sont arrivés. Mais n’ayant qu’un an d’écart avec eux ils ne nous respectent pas beaucoup vu qu’ils ne nous considèrent pas comme beaucoup plus âgés qu’eux. Les années d’en dessous et c’est logique, sont de plus en plus jeunes du coup, nous respectent plus…

Comme nous sommes les plus grands, on veut nous responsabiliser de plus en plus. Je trouve ça super que pour les journées portes ouvertes, on nous fasse autant confiance, c’est super de pouvoir expliquer aux gens comme fonctionne notre école…

Quatre années plus tard, je suis toujours là ! Plus épanouie, et bien dans ma peau.

C’est une école qui m’aura fait grandir, permis de développer ma créativité. J’aurai appris tellement de choses ! Et ce que j’aime le plus c’est le fait qu’on nous donne la parole, qu’on nous encourage à donner notre avis, qu’on nous aide à développer notre esprit critique.

« Qu’on ne soit pas de bons petits soldats prêts à obéir à des ordres stupides », qu’on puisse faire la part des choses et réfléchir par nous-même !

J’adore qu’on fasse des débats, des présentations, des temps de partage… C’est ce qui pour moi donne le plus de vie au sein des classes !

En tout cas pour moi, la pédagogie classique ce n’est même plus envisageable, plus jamais ! Beaucoup disent que les pédagogies alternatives sont faites pour rester dans les écoles primaires, et qu’en secondaire, il faut que le travail soit dur. Qu’il y ait énormément de matières (bourrage de crâne…). Mais je ne suis pas d’accord, déjà je pense que la quantité ne signifie pas toujours la qualité.

Au contraire, c’est un challenge, parce que nous sommes à des moments de nos vies où ce n’est pas toujours facile, donc c’est d’autant plus important pour les élèves d’être vus et traités en tant qu’êtres humains et non pas comme des numéros. Et pour les profs, accompagner et écouter les élèves, c’est d’autant plus de travail !

Ce que je trouve génial, c’est qu’on veut nous sensibiliser le plus possible. Je trouve ça super de faire venir des intervenants externes ! Par exemple : on a parlé des addictions, de l’autonomie, on parle régulièrement de ce qui va bien et de ce qui va moins bien

dans l’école… Ou une dame de l’ONG “Human Acts” est venue récemment nous parler de la maltraitance des congolais (en particulier des femmes) due à l’extraction des minerais pour construire les téléphones portables, des choses dont à vrai dire nous ignorions l’existence.

C’est vraiment une chance de pouvoir vivre une telle expérience, je suis fière d’être là ! Et je pense que nous en sortirons tous grandis, épanouis, plus responsables. Je ne dis pas que nous avons tous des parcours irréprochables mais nous apprenons de nos erreurs et nous développons un esprit critique et nous sommes plus conscients du monde qui nous attend !

En tout cas, après tout ce que j’ai vécu, jusqu’à présent, je pense que je peux parler au nom de tous, en disant qu’à partir du moment où l’on entre dans cette école, on est heureux et on ne veut plus en sortir ! »

ANALYSE DE L’ÉQUIPE PÉDAGOGIQUE

En ce qui concerne l’équipe pédagogique, nous avons pu mettre en évidence, en opérant un regard sur ces quatre années, que nous vivons plus de continuités que de ruptures : nous gardons les grandes valeurs en ligne de mire.

Le TA (Travail Autonome), en place depuis 2014, existe toujours à peu près sous la même forme qu’à l’origine. Nous évaluons par des commentaires (pas de grilles, pas de points, pas d’appréciations). Les conseils de classe et d’école, comme pensés en pédagogie institutionnelle, sont toujours d’application.

Beaucoup de choses sont en bonne voie mais restent à travailler, à améliorer, à questionner.

Nous réfléchissons depuis 2014 à ce que des adultes de l’école soient chacun en charge d’un petit groupe de tutorés, ces tutorats ont pris forme chaque année de manière différente et ont même disparu de janvier 2015 à juin 2016 pour réapparaitre ensuite sous une autre forme. Les projets personnels ont une place importante et chaque année nous essayons que les élèves en développent le plus possible, cependant, cela n’a commencé de manière institutionnalisée qu’en 2017. Nous avons mis en place des ateliers inter-âges en 2017. Nous réfléchissons à aller vers de plus en plus de projets inter-âges.

Les voyages scolaires se construisent avec le temps. Nous faisons des tentatives avec les élèves et adaptons le cadre d’année en année.

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198 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ 199 - CITOYENNETÉ, AUTONOMIE ET LIBERTÉ

Nous restons en perpétuelle recherche sur la mise en œuvre de la méthode naturelle d’apprentissage dans nos différentes disciplines, au niveau secondaire. C’est cela qui nous a d’abord occupé. De ce fait, l’interdisciplinarité est loin d’être acquise. Chacune des disciplines ayant réfléchi sur l’essence des apprentissages dans sa matière.

Le travail sur le cadre est en perpétuel chantier : chaque année, la construction de la culture d’école se fait, petit à petit, avec de nouveaux enseignants, de nouveaux élèves, de nouveaux parents, de nouveaux espaces. Chaque année, le cadre est questionné, mis à mal, rappelé, adapté.

2014 : Choc des réalités (80 élèves, 10 enseignants, pas d’éducateurs)•   Beaucoup de choses sont démarrées puis avortées. •   Un gros travail sur le cadre est fait par l’équipe : entre l’autodiscipline rêvée et la réalité de terrain, quelques ajustements doivent être faits. •   Des expériences uniques sont vécues : comme nous avons peu d’élèves et une petite équipe il est facile de lancer de grands projets et de vivre des expériences « d’école ».

2015 : du simple au (plus du) double (175 élèves, 25 enseignants, 2 éducateurs)•   La population scolaire et l’encadrement ont plus que doublé.•   On referme certaines choses : on cadre plus, on laisse moins de libertés. •   On se centre sur les disciplines.•   Réunir toute l’école en un seul lieu d’échanges et de discussions devient compliqué.•   Les conseils d’école et de classe sont améliorés.•   On garde le voyage scolaire de 1ère année, on expérimente pour celui de 2ème année.•   Réflexion sur l’acquisition progressive de l’autonomie et le cadre.

2016 : le début du 2ème degré (250 élèves, 30 enseignants, 3 éducateurs)•   Les groupes de disciplines expérimentent, se renforcent.•   De nouveaux projets sont dans les cartons : parrainage, projet plateau.

2017 : plus de la moitié de l’école complète (320 élèves, 40 enseignants, 3 éducateurs)•   On ose avec un nouveau projet plateau et des heures en « p90 » … mais on se heurte à des difficultés, on est une « grosse machine » avec autant d’élèves, d’enseignants et de travailleurs dans l’école.•   On a envie d’interdisciplinaire et de projets personnels, on tente, on réfléchit mais c’est encore compliqué.•   On réfléchit beaucoup à l’évaluation, à nos critères, aux passages de classe.•   On commence à avoir «des grands», plus d’abstraction, on est dans de l’enseignement général, ce qui nous pose des questions sur l’orientation des élèves.

LES POINTS DE TENSION

Garder un cap avec des valeurs et des pratiques particulières sans jouir d’un statut particulier (comme c’est le cas en France pour certaines écoles dites « expérimentales »), n’est pas chose aisée. Voici quelques points de tension qui nous semblaient intéressants à identifier.Par rapport au cadre «  Fédération Wallonie-Bruxelles  », nous vivons de nombreuses inspections pour vérifier que les subsides que nous recevons sont légitimes. Nous comprenons le bien-fondé de ces inspections mais nous ne rentrons pas toujours dans les «  grilles  » que les inspecteurs doivent remplir. Nous sommes soumis aux épreuves externes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qui est également normal mais nous n’avons pas l’habitude de coter nos élèves ni d’organiser des sessions d’examens, cela n’est donc pas dans la continuité de ce que nous souhaitons faire et de notre projet d’établissement et cela parasite parfois les apprentissages (en 2ème année par exemple). Les heures de cours « saucissonnées » en 50 minutes rendent l’interdisciplinarité difficile et «  cassent  » certaines dynamiques de travail. Le décret « Titres et Fonctions » empêche certaines continuités dans les apprentissages en cloisonnant le Degré Inférieur et le Degré Supérieur et encore davantage les cours. Enfin, nous souhaitons être une « école pour tous » et pourtant nous nous inscrivons dans l’enseignement général ordinaire, ce n’est pas toujours évident de trouver un équilibre entre ces deux pôles.

Les parents ont souvent des attentes multiples, élevées et parfois contradictoires. Ils attendent beaucoup d’une école «  différente  » qui pourra résoudre toutes les questions d’éducation qu’ils se posent. Les élèves ont également des attentes multiples, parfois différentes de celles de leurs parents.

Au niveau de la pédagogie Freinet en secondaire et de notre école en particulier, tout est à créer, les fonctions des membres du personnel sont à inventer, les outils sont à développer. Nous sommes parfois assez seuls, avec peu de pairs avec qui échanger sur nos pratiques (ou alors des collègues du primaire). Inventer une autre manière de gérer l’école (en co-autogestionnaires) est aussi une entreprise compliquée.

Créer une école est une entreprise passionnante et énergivore. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli et le bilan est très positif pour nos élèves, les parents et les personnes qui travaillent à l’école.

Malgré les difficultés, la volonté de chacun de contribuer à ce projet commun permet de déplacer des montagnes et de réaliser de grandes choses. Nous gardons cependant en tête nos objectifs, les choses que nous souhaitons améliorer, mettre en place, modifier et continuons avec enthousiasme à bâtir cette belle école en équipe.

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201 - COOPÉRATION

COOPÉRATION

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LES ÉCOLES PUBLIQUESALTERNATIVES AUQUÉBEC :LA NAISSANCE DUMOUVEMENTALTERNATIF AUQUÉBEC ET LA PLACEDE LA COÉDUCATIONENTRE LE PERSONNELENSEIGNANT ET LESPARENTS DANS CETYPE D’ÉCOLES

Donia ZeineddineDoctorante en éducation, Université de Sherbrooke, Québec, Canada

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Dans un contexte de diversification des populations, tant sur le plan social, culturel et ethnique que sur le plan des apprentissages, assurer la réussite solaire pour tous et lutter contre le décrochage scolaire posent entre autres, des défis majeurs. À cet égard, les multiples réformes en éducation ont exigé, recommandé ou incité des changements tant sur le plan pédagogique que sur les pratiques d’enseignement et de gestion. La dernière réforme du système éducatif québécois, celle des années 2000, a incité entre autres tous les partenaires du milieu scolaire, directeurs, parents et personnel enseignant à travailler ensemble pour assurer le développement et la réussite des élèves tout en soulignant l’importance de l’implication des parents.

Dans le système scolaire québécois, les écoles publiques alternatives rassemblées dans un réseau, R.É.P.A.Q. (Réseau des écoles publiques alternatives au Québec) semblent adopter une organisation et un fonctionnement différents de ceux des autres écoles publiques. En effet, axées sur l’élève, ces écoles portent une ambition plus large en proposant une alternative au système régulier. Plus spécifiquement, elles impliquent les élèves et leurs parents dans le processus d’apprentissage, d’où l’idée de la coéducation, pilier fondamental soutenant au sein du réseau des écoles publiques alternatives au Québec.

Un regard sur les principes, les conditions et le fonctionnement de ces écoles fait ressortir clairement certains termes utilisés pour se décrire. Entre autres, nous citons : « former une équipe », « communauté d’appartenance », « communauté éducative », «  communauté d’apprentissage  », «  intervention éducative des enseignants et des parents  » «  esprit de coéducation  », «  partenaires  », «  éduquer ensemble  », « coévaluaation », «  évaluation tripartite », etc. (RÉPAQ, 2005, 2008, 2013). Ce portrait dressé laisse voir une façon différente de percevoir l’éducation, l’enfant ainsi que le rôle de chacun des intervenants1 que ce soit le personnel enseignant, la direction et les parents dans ce type d’écoles.

Cette présentation se développe en deux parties soit la naissance du mouvement alternatif au Québec, et la coéducation entre le personnel enseignant et les parents dans les écoles publiques alternatives au Québec.

1. LA NAISSANCE DU MOUVEMENT ALTERNATIF AU QUÉBEC

Le contexte sociopolitique et son impact sur l’éducation vont nous permettre de déchiffrer le mouvement des écoles alternatives au Québec. Pour ce faire, nous prenons appui sur les rapports Parent (1965, 1966), sur les documents du Conseil supérieur

1 Le masculin est utilisé pour alléger le texte, et ce, sans préjudice pour la forme féminine.

de l’éducation (CSÉ), notamment ceux de 1970 et de 2008-2010, sur le rapport du groupe C.O.P.I.E (1976) et également sur les quelques études (Angenot, 1985; Caouette, 1992; Gosselin, 1994; Pallascio & Beaudry, 2002; Paquette, 1992, 2005; Paré 1977; Picard, 1997; Poulin, 2010, Sirois, 1997) - peu nombreuses - effectuées sur les écoles alternatives québécoises. Le Québec a vécu une période de bouleversements dans les années 1950 à 1960 et a été dominé par les valeurs cléricales qui s’étendaient jusque dans les écoles. «  Ce procédé autoritaire et dogmatique consistant à désigner les seuls bons livres et à interdire la lecture de tous les autres a certainement contribué à notre isolement intellectuel et au conservatisme en nous tenant à distance de l’effervescence littéraire et philosophique que connaissaient alors l’Europe et les États-Unis. » (Sirois, 1997, p. 7) C’est à cette période qualifiée de grande noirceur que plusieurs mécontentements et contestations émergent et s’intensifient, réclamant « la liberté, la créativité et la dénonciation du conservatisme  » (Poulin, 2010, p.  4), voire de la gouverne de l’Église menant de la sorte à la Révolution tranquille des années 1960. La réforme de 1960 a soutenu le développement d’une pédagogie active dans l’enseignement primaire : «  Quand nous prônons l’école active, nous l’entendons au sens large […] l’enfant est essentiellement un être actif

et c’est par l’exercice que ces moyens se développent et que sa personnalité s’épanouit » (Rapport Parent, 1965, Tome II, p. 11), recommandant de la sorte le développement d’une pédagogie active centrée sur l’enfant tout en précisant le rôle de l’enseignant : «  Enseignement plus inductif que déductif, où le maitre tend à devenir plus tôt un éveilleur et un guide qu’un distributeur de connaissances  » (Ibid., p. 309). Les rapports déposés par le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ), notamment celui de 1970, intitulé « L’activité éducative » et celui de 2008 – 2010, intitulé « Conjuguer équité et performance en éducation, un défi de société  », encouragent l’Éducation nouvelle, surtout en ce qui concerne le rôle de l’enseignant et de l’élève, et insistent sur l’importance de la collaboration entre les intervenants du milieu scolaire pour la réussite de l’élève. L’élève est vu comme ayant des capacités naturelles pour apprendre. En ce qui concerne l’enseignant, le rapport (1970) accentue son rôle : celui d’accroitre les ressources de l’élève «  ce que l’étudiant doit apprendre, ce n’est pas un contenu définitif de connaissances ni telles habiletés particulières, c’est demeurer actif et mobile  » (Ibid., p. 29). Dans ce contexte, un mouvement réclamant l’innovation pédagogique et cherchant un changement concret au sein des écoles s’instaure au Québec, portant une ambition plus large en proposant une alternative au système éducatif régulier qualifié de traditionnel, notamment en impliquant élèves et parents dans le processus d’apprentissage. Les premiers

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projets d’écoles innovatrices, qu’on appellera par la suite « alternatives », naissent au début des années 1970 dans un contexte de remise en question enthousiaste issue de la Révolution tranquille, mais aussi de profond désarroi.  » (G.O.É.L.A.N.D., 1992, p. 1). C’est en 1981 que les enseignantes et enseignants des écoles alternatives isolées et marginalisées par le système éducatif en place ont décidé de se regrouper avec les autres intervenants, dont les parents, les directeurs et/ou directrices et les différents partisans et partisanes du milieu scolaire, afin de réunir leur voix et de se donner ensemble des moyens communs dans un groupe œuvrant pour l’école libéralisante, alternative, novatrice et démocratique (G.O.É.L.A.N.D.). En 2002, le Réseau des écoles publiques alternatives au Québec (RÉPAQ) fut créé et fait suite au G.O.É.L.A.N.D.

Soulignons que le RÉPAQ a toujours annoncé que les écoles publiques alternatives se nourrissent des idées et des principes de courants novateurs en éducation sans jamais faire référence explicite à aucun courant ou penseur. Cependant, le Réseau a dévoilé uniquement dans la dernière publication, celle de 2013, dès la première page les noms de plusieurs pédagogues et penseurs (Rousseau, Ferrière, Dewey, Decroly, Freinet, etc.) qui ont inspiré les écoles publiques alternatives québécoises. Pour résumer, les écoles publiques alternatives au Québec ont hérité certains éléments de l’Éducation nouvelle dont : la diversité et l’unité, la méthode active dans l’apprentissage, les classes multiâges, la modification du rôle de l’enseignant et celui de l’élève, la collaboration entre les intervenants, l’autoorganisation ou encore l’autogestion.La spécificité des écoles publiques alternatives au Québec réside dans trois éléments : la coéducation, la cogestion et la coévaluation. Cependant, il est regrettable que, depuis plus d’une quarantaine d’années, les écoles publiques alternatives existent et qu’elles soient restées minoritaires dans le système éducatif québécois et, encore plus, que peu de recherches scientifiques visent ce type d’écoles, leur fonctionnement, leur organisation et leurs pratiques.

1.1 LES QUESTIONS DE RECHERCHE

Question principale : Quelles sont les pratiques déclarées et les pratiques effectives de coéducation privilégiées dans les écoles publiques alternatives au Québec entre le personnel enseignant et les parents?

Questions spécifiques :

1. Quel est le sens attribué à la coéducation dans les écoles publiques alternatives au Québec? (sens attribué, objectifs et acteurs)

2. Quelles sont les pratiques prescrites, les pratiques déclarées et les pratiques effectives de coéducation dans les écoles publiques alternatives québécoises? (pratiques prescrites, pratiques déclarées et pratiques effectives de coéducation entre personnel enseignant et parents, le rôle du personnel enseignant et des parents dans la mise en oeuvre de la coéducation, les méthodes et instruments déployés )

3. Quelles sont les conditions de mise en œuvre de la coéducation entre le personnel enseignant et les parents? (facteurs aidants et les freins à la mise en œuvre de la coéducation)

Cette recherche a pour objectif d’explorer, de comprendre et de décrire les principes, les pratiques prescrites et les pratiques réelles de coéducation entre le personnel enseignant et les parents au sein des écoles publiques alternatives au Québec faisant partie du RÉPAQ et ayant des approches pédagogiques différentes. Pour arriver à cette fin, une approche qualitative s’avère appropriée dans le cadre de cette recherche qui s’inscrit dans un paradigme compréhensif, interprétatif. En effet, dans le cadre de cette approche qualitative, nous optons pour 1) l’observation directe « l’observation attentive et l’analyse du processus mis en œuvre dans les actions permettraient de mettre au jour les procédures par lesquelles les acteurs interprètent constamment la réalité sociale  » (p. 25  ; et 2) l’entrevue semi-dirigée auprès du

personnel enseignant et des parents qui se porteront volontaires pour participer à la recherche afin d’observer, de comprendre et de décrire leurs activités concrètes, leurs conceptions de la coéducation ainsi que leurs pratiques réelles. Ces deux approches retenues, bonifiées par l’analyse de la documentation du RÉPAQ, vont nous permettre d’examiner les écoles alternatives publiques au Québec non seulement telles qu’elles étaient conçues à l’époque de leur création, mais également d’étudier leurs pratiques continuelles, plus particulièrement leurs pratiques prescrites et réelles.

2. LA COÉDUCATION DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES ALTERNATIVES

Le lien entre l’école et la famille est examiné sous tous les angles par la littérature : quelques recherches évoquent une relation timide, tendue, une confrontation entre parents et enseignants (Guigue et Tillard, 2010; Lesur, 2011, etc.); d’autres s’intéressent à la collaboration, au partenariat entre les acteurs (Adish, 2008. 2012; Maubant et Leclerc, 2008, etc.); d’autres étudient le rôle de chacun des acteurs partenaires (Pourtois et al, 2013), et se penchent sur les fondements d’une relation harmonieuse et productive entre les deux (Larivée, 2003, 2011) et d’autres analysent la coéducation (Gutierrez, 2010; Humbeeck et al, 2006; Mackiewicz, 2010; Pallascio et Beaudry, 2000; Pourtois et al, 2008; Sellenet, 2006, etc.). Toutefois, une absence ou une rareté de débats existants

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sur ce qu’est la coéducation dans le milieu scolaire alternatif et sur ce qui est attendu de la coéducation dans ce milieu suscite beaucoup de questionnements. Pour tenter d’y répondre, nous soulignons d’abord la signification du terme « la coéducation ».

Rappelons–nous qu’en 1919 Ferrière a lancé son programme de 30 points, dont la coéducation qui occupait la cinquième place. La coéducation réapparait dans la charte diffusée en 1921 de la Ligue Internationale de l’Éducation nouvelle, comme sixième principe, dont la définition est la suivante « La coéducation réclamée par la Ligue-coéducation qui signifie à la fois instruction et éducation en commun exclut le traitement identique imposé aux deux sexes, mais implique une collaboration qui permettra à chaque sexe d’exercer librement sur l’autre une influence salutaire.  » (Raymond, 2003, p. 67). Le contexte éducatif dans lequel a pris naissance cette notion a évolué laissant place à un élargissement de cette notion vers d’autres dimensions sociales et éducatives, comme l’énonce Escot (2010) : « Après avoir abordé les questions d’égalité et de différence des sexes dans l’éducation, est très vite apparu le rapport du maître et de l’élève. [...] l’autorité verticale du maître dans le processus de transmission va se voir contestée au profit d’un mode horizontal, participatif, collaboratif et global. » (Escot, 2010, p. 2).

Selon Humbeeck et al (2006), la mise en scène de la coéducation nécessite la présence de trois éléments fondamentaux :

1)   les bonnes relations école-famille; 2) le rôle éducatif des enseignants 3) le rôle éducatif des parents.

D’une part, l’enseignant enseigne et forme l’élève à l’école et d’autre part, les parents éduquent et forment leur enfant à la maison. De la sorte, la coéducation est mise en œuvre par les deux intervenants, soit les enseignants et les parents dans deux lieux distincts, l’école et la maison. Pallascio et Gosselin (1996) trouvent que la coéducation ne peut se concrétiser que par un travail ensemble à l’école, en classe et à la maison. Également, Pallascio et Beaudry (2000) évoquent le rôle pédagogique des parents et proposent plusieurs pistes qui permettent de faciliter et de renforcer ce rôle « L’attention portée aux conditions de succès de chaque élève dans l’environnement de sa classe amène de nombreux observateurs à souligner l’importance de la complémentarité entre les parents et les professionnels, ou bien entre l’enseignant et les ressources environnementales.  » (Pallascio et Beaudry, 2000, p. 77). Selon le RÉPAQ (2004-2005), la coéducation constitue un principe fondamental. Dans une documentation de 2008, le RÉPAQ précise : « Le préfixe « co » signifie « avec » par conséquent, la coéducation commande une grande complicité entre les enseignants

et les parents et un niveau d’implication élevée de ceux-ci envers le jeune. Les activités sont destinées à développer les connaissances, le savoir-faire, les valeurs morales et la compréhension requise dans toutes les situations de vie. » (RÉPAQ, 2008, p. 1).

Selon les documentations affichées sur les sites internet des écoles, la coéducation se traduit par la participation des parents à l’école, leur participation aux différents comités de l’école, leur implication, leur présence en classe, l’animation des ateliers, le «  partage des expertises  », la participation aux différentes activités et sorties. Plusieurs écoles ont déterminé un nombre minimal d’implications parentales à l’école variant de 10 à 20 heures par année. La recencion des écrits scientifiques a souligné la présence de deux conceptions de la coéducation. La première conception constatée dans les écoles dites régulières trouve que la coéducation suppose une séparation des territoires, classe- enseignant et hors classe pour les parents- dictant ainsi une alternance des rôles entre enseignants et parents. Une reconnaissance du rôle professionnel des enseignants est primordiale ainsi qu’un respect des valeurs des parents et de leur rôle à la maison. Également, selon les études que nous avons mentionnées antérieurement, coéduquer n’est ni coenseigner ni cogérer. Donc, cette coéducation s’effectuant selon des balises claires, supposant une séparation dans les lieux et dans le temps, demande un respect du rôle de chacun des

partenaires - parents et enseignants, que nous nommons « une coéducation éthique ».

La seconde conception constatée selon la documentation du RÉPAQ et des écoles publiques alternatives au Québec exige des territoires communs- école-classes- et un rôle en alternance et en simultanéité entre les deux acteurs. Une reconnaissance mutuelle du rôle des enseignants comme des professionnels dans le domaine de l’enseignement et celui des parents chacun dans son domaine. Coéduquer est, selon la documentation du RÉPAQ, cogérer et coenseigner, mais ce n’est pas nécessairement le cas dans toutes les écoles publiques alternatives membres du réseau. Également, le terme coéducation est souvent associé à d’autres termes que ce soit la communauté d’apprentissage, l’implication parentale, les partenaires. Le RÉPAQ propose une définition claire de la coéducation tout en laissant la porte ouverte aux diverses interprétations aux écoles membres. Dans ce cas, pouvons-nous nommer cette coéducation de « coéducation sociale » ?

Nous serons, après la collecte de données, à même de préciser quel type de coéducation nous pouvons trouver dans les écoles publiques alternatives au Québec, la coéducation éthique et/ou la coéducation sociale.

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ENOVA :APPRENONS ENSEMBLE !

Jean-François Fonck et l’équipe éducativeEcole EnovA, Attert

Suite à l’initiative d’un collectif local de citoyens et grâce à l’accord de la commune d’Attert, notre équipe d’enseignants a relevé le défi de créer de toutes pièces une nouvelle école communale fondamentale à pédagogie active dans un ancien presbytère mis à disposition par la commune. Ce projet «  EnovA  » (pour Ecole Nouvelle Attert) a pour objectif de contribuer au développement d’une pédagogie ouverte, participative, solidaire et émancipatrice à travers laquelle les enfants découvrent, expérimentent, inventent, s’expriment, se trompent et élaborent ensemble des savoirs. Elle reprend des fondements tels que le non-redoublement, la fin des mesurages

par les points, la construction des savoirs plutôt que la transmission de ceux-ci, la présentation de chefs-d’œuvre pédagogiques, de portfolios d’apprentissages, le développement de l’esprit de solidarité, de l’esprit critique et scientifique mais aussi de tout ce qui touche à l’expression, la communication et la créativité. Toutes les compétences scolaires sont bien entendu développées en plaçant l’enfant en tant qu’acteur de ses apprentissages. Parallèlement, une importance évidente est accordée au développement des compétences sociales et relationnelles de nos élèves pour les aider à devenir progressivement des citoyens responsables.

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1) ELABORATION D’UN PROJET PÉDAGOGIQUE POUR UNE TOUTE AUTRE ÉCOLE

Une fois constituée en mars 2017, l’équipe éducative d’EnovA a naturellement entamé l’élaboration d’un projet pédagogique à présenter aux familles. Celui-ci peut se résumer autour de dix fondements qui nous animent quotidiennement :

1.   Assurer la maîtrise par tous des savoirs sociaux et scolaires.2.   Développer le goût d’apprendre et la confiance en soi. 3.   Développer l’esprit de solidarité, la coopération. 4.   Considérer l’erreur comme une composante essentielle de l’apprentissage.5.   Favoriser les recherches libres à présenter aux condisciples et le partage d’apprentissages avec la famille.6.   Présenter le chef-d’œuvre pédagogique comme valorisation des apprentissages réalisés tout au long du parcours dans l’école.7.   Assurer un développement corporel harmonieux.8.   Développer l’expression de soi, l’affirmation personnelle dans le respect d’autrui, la communication et la créativité.9.   Développer l’esprit critique et scientifique.10.   Développer des liens entre les élèves, l’équipe éducative, le Pouvoir Organisateur et les familles.

Outre ces piliers, l’équipe éducative affirme toute l’importance qu’elle accorde à la mise en place d’attitudes relationnelles et de dispositifs didactiques adéquats afin de rencontrer au mieux les différents besoins identitaires de l’enfant : les besoins de valeurs, besoins affectifs, sociaux et cognitifs.

2) DÉMARCHES ADMINISTRATIVES ET ORGANISATION DES INSCRIPTIONS

Suite à une soirée d’information pour les familles intéressées par notre nouvelle école, de très (trop) nombreuses demandes d’inscriptions nous sont parvenues. C’est ensemble que l’équipe éducative a fait en sorte de composer l’école pour équilibrer les classes, garantir une mixité sociale et s’ouvrir à des enfants à besoins spécifiques. Pour respecter des conditions d’accueil raisonnables dans notre maison-école, 81 enfants ont été inscrits au final en vue de la rentrée de septembre 2017. Parallèlement à tout cela, la future direction de l’école a entrepris toutes les démarches administratives nécessaires pour l’ouverture et la reconnaissance par la FWB de cette nouvelle école communale

publique … et gratuite ! La mise en place d’un accueil extrascolaire dans le même esprit que l’école se préparait également.

3) TRANSFORMATION DE L’ANCIEN PRESBYTÈRE EN MAISON-ÉCOLE

Avec l’aide des familles mais plus largement de toute une région, une formidable dynamique s’est mise en place pour transformer le bâtiment et préparer l’arrivée des futurs élèves d’EnovA. L’appel aux dons lancé par l’équipe éducative a été un succès pour équiper l’école. La bibliothèque, véritable centre névralgique de l’école, est à présent enrichie de milliers de livres offerts à l’école. Durant tout l’été, parents et enseignants se sont mobilisés pour effectuer les indispensables travaux d’aménagement et de peinture … au finish jusqu’à la veille de la rentrée ! Une soirée d’accueil pour faire connaissance avec nos nouveaux élèves a été organisée le 30 août, l’occasion aussi pour tous de tisser des liens de ce nouvel environnement scolaire un peu inhabituel tout de même !

4) LA CONCRÉTISATION DU PROJET AU QUOTIDIEN

Il ne suffit pas en effet de rédiger un projet pédagogique attrayant pour proposer un enseignement différent aux enfants que nous accueillons chaque jour ! Si notre école est encore en construction et de nombreux projets encore dans

nos cartons, voici déjà des éléments très concrets mis en place dans l’école :

•   Conseils de classe et d’école : Une fois par semaine, les enfants et leur titulaire se réunissent pour proposer des idées afin de faire évoluer la vie de la classe (de l’école), de rendre compte des responsabilités prises lors des conseils précédents et d’échanger à propos des conflits ou des malentendus dans l’idée d’y apporter des solutions. Un moment de «  bonheur  » est également prévu lors de ces conseils pour laisser aux enfants la possibilité d’exprimer leur gratitude ou leur bien-être envers eux-mêmes ou envers leurs pairs. Le mode de décision du conseil fonctionne par consensus, chacun peut s’opposer à une proposition tant qu’il justifie son point de vue et propose un amendement. Ces institutions fonctionnent à l’aide de boîtes dans lesquelles les enfants sont invités à déposer des mots signés qui seront traités lors des conseils. Cela permet de différer chaque situation, et donc, petit à petit, apprendre à prendre du recul sur ce qui est vécu et à se détacher du « tout, tout de suite ».•   Courrier interne : Une boîte aux lettres interne à l’école est mise à disposition et relevée quotidiennement par le responsable du courrier. Les enfants peuvent écrire des messages signés destinés aux membres de l’école, enfants ou adultes. Le courrier est distribué une fois par jour. • Ecriture de bonheurs : Une fois par semaine, un temps de 15 minutes est dédié à la rédaction, en trios multi-âges,

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des mots qui alimenteront les boîtes des conseils ou du courrier interne. Nous y trouvons des formulations telles que : je félicite ... ce qui me met en joie, c’est, ... je remercie, .... •   Lecture en trios : Deux fois par semaine, un temps de 15 minutes et prévu, en trios multi-âges. A tour de rôle, les enfants choisissent un livre et se font mutuellement la lecture dans le lieu de leur choix (bibliothèque, canapé, estrade, escaliers, tapis, dehors ...).•   Ateliers philo : Une fois par semaine, les enfants sont rassemblés en trois groupes d’âges hétérogènes. Un sujet de société ou philosophique est exposé sous forme de question. Dès que possible, un conte est lu en lien avec la thématique. Les enfants s’expriment sur le sujet grâce à un bâton de parole, l’adulte n’intervenant que pour être garant du cadre. •   Education à la paix : deux fois par mois, les enfants sont rassemblés en trois groupes d’âges hétérogènes et participent avec l’aide d’un adulte, à des jeux coopératifs, de vivre ensemble, d’expression des émotions. Ils apprennent l’écoute active et à distinguer les faits des jugements. L’objectif pour la fin de l’année étant d’apprendre aux plus âgés qui en feraient la demande, de participer à la médiation de conflits entre pairs. •   Activités verticales : Régulièrement et pour tout type d’apprentissage (expérience sur l’électricité, théâtre de marionnettes, peinture, écriture, recherches documentaires, exposés, ...)

les enfants sont rassemblés en trios multi-âges. Ils sont invités à travailler ensemble, à collaborer, pour produire quelque chose de commun à partager entre condisciples. Les contraintes sont source de créativité et invitent à la coopération. •   Portfolio d’apprentissage : Notre école vise à mettre nos enfants en position de constructeur de ses savoirs et non de récepteur. Pour ce faire, il construit tout au long de l’année, un dossier personnel (portfolio) qui montre l’évolution dans son chemin d’apprentissage. Les documents du portfolio font l’objet d’une auto-évaluation par les enfants ainsi que d’un retour qualitatif de la part de l’équipe et des adultes qui encadrent. •   Rassemblements divers : Le lundi matin, tous les enfants de primaire sont rassemblés pour un moment d’échange et établir le programme de la semaine dans toute l’école. C’est aussi l’occasion d’ouvrir un «  quoi de neuf », qui permet à chacun de déposer son humeur du moment, d’expliquer une anecdote, en une phrase courte. Le vendredi, à la fin de la journée, pour clôturer la semaine, chaque enfant est invité à exprimer une chose qui l’a marqué afin de terminer la semaine ensemble et paisiblement. •   Quoi de neuf : Tout comme le lundi, chaque matin et dans chaque classe, un temps est prévu, sur base d’inscription, pour déposer son humeur du moment, expliquer une anecdote, en une phrase courte.•   Mise en place de responsabilités :

Tous les 15 jours, les enfants sont invités à prendre ou à remettre une responsabilité proposée par les enfants eux-mêmes. Au bout d’une semaine, lors du conseil d’école (ou de classe), un tour des responsabilités est organisé afin de permettre à chacun de s’améliorer dans sa responsabilité. •   Réunion de parents participative : Dans l’esprit de maintenir le lien entre l’école et les familles, une réunion de parents a été organisée sous forme de tables rondes. Plusieurs thèmes ont été proposés et après trois fois 15 minutes de débats, les comptes rendus ont été partagés en grand groupe. Cela a permis à chaque parent de s’exprimer, d’entendre le point de vue d’autres et donc, d’affiner sa pensée. •   École ouverte (parents dans les classes) : Un mois avant la réunion de parents participative, les parents ont eu l’occasion de s’inscrire à des journées classes ouvertes et de participer aux côtés de leurs enfants à des activités d’apprentissage. La participation se voulait donc active. •   Devoirs au choix : Étant donné l’absence de devoirs obligatoires à domicile, l’équipe pédagogique a opté pour les devoirs au choix. Chaque enfant qui le souhaite est invité à préparer à la maison un court exposé sur un sujet qu’il a envie de faire apprendre à ses camarades. •   Apprendre à se connaître soi : Dès l’école maternelle, des ateliers réguliers sont mis en place pour permettre à l’enfant de mieux se connaître soi-même notamment grâce à l’auto-massage, la méthode Félicité, la relaxation et la découverte des émotions.•   Entraide : La notion de solidarité n’est pas un mot en l’air ! Toutes les opportunités d’entraide sont favorisées et notamment entre les plus petits de maternelle et les plus grands. Le travail en verticalité favorise évidemment des liens plus forts entre les élèves.•   Les temps de midi sympas : Pas de cantine dans notre maison-école mais une possibilité pour nos élèves de prendre leur repas dans toutes les pièces. C’est l’occasion pour eux de vivre durant le midi des moments ressourçants, reposants ou amusants… selon l’envie du jour ! Certaines classes sont consacrées aux jeux de construction, d’autres aux jeux de société, la bibliothèque pour les lecteurs et l’espace extérieur pour les jeux de plein air. Les enfants, sur base volontaire, animent également régulièrement des ateliers pour ceux qui le souhaitent (pliages, bricolage, contes …). •   Les mercredis en forêt : Une sortie en forêt est prévue chaque mercredi pour les enfants de maternelle. Celle-ci est l’occasion de découvrir, jouer, expérimenter dans les bois … et mettre tous les sens en éveil ! Lorsque la météo ne permet pas cette sortie, c’est un « mercredi surprise » qui la remplace.

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5) LES EMBÛCHES

Créer une nouvelle école avec un projet pédagogique qui bouscule (certains) n’est pas une mince affaire ! Toutefois, la détermination de l’équipe éducative (soutenue par les familles, la commune d’Attert et son Député-Bourgmestre, ainsi que de nombreux sympathisants) a permis d’aplanir tous les obstacles un par un. Il a très souvent fallu être créatif pour trouver des solutions à des difficultés administratives, organisationnelles ou logistiques.

6) PARTAGE ET CONTAGION

L’école EnovA suscite un intérêt important dans le monde enseignant mais aussi bien au-delà. Des regroupements de parents, d’enseignants ou des directions réalisent à présent qu’il est possible de créer une école différente, publique, plus solidaire et qui met en avant d’autres valeurs pour les enfants d’aujourd’hui. Notre équipe installe ses pratiques mais partage également toutes les informations afin de soutenir et d’encourager des projets similaires. Les demandes sont nombreuses et des collaborations se précisent. La réussite du projet EnovA et le partage de ce qui se vit dans l’école via le blog est aussi une source d’inspiration pour des enseignants d’autres écoles ou pour des équipes éducatives en réflexion pour réformer leur projet éducatif. Il n’est en effet pas nécessaire de créer une nouvelle école pour mettre en place un projet pédagogique comme celui d’EnovA. Que ce soit pour la totalité ou partiellement, les dix fondements pédagogiques ou exemples concrets cités plus haut peuvent être transférés à d’autres écoles. Il importe toutefois que l’équipe éducative unanime décide de donner un nouvel élan à l’enseignement en poursuivant des objectifs pédagogiques et éducatifs plus en phase avec les besoins de notre société actuelle. Une commission du comité de parents-enseignants s’occupe aussi de la sensibilisation à d’autres approches pédagogiques pour un large public.

7) EVALUATION ET CONCLUSION

Le 1er septembre 2017 était donc à la fois un aboutissement et un commencement pour EnovA ! Le travail de mise en place de l’école se terminait mais une longue aventure commençait pour 81 élèves et toute l’équipe éducative. Notre école (projet) est toujours en construction mais les premiers effets se sont très vite fait sentir dans l’école et les familles. Certains élèves en décrochage retrouvent le goût de venir à l’école… mais surtout celui d’apprendre ! L’esprit de solidarité et de coopération s’installe très vite dans l’école, l’entraide devient la norme ! La bienveillance est au cœur de l’école, ce qui facilite les relations entre les familles, les enfants et les

enseignants. Entre enfants, il reste certes du chemin mais les signes sont très encourageants. La plupart d’entre eux utilisent désormais les institutions de l’école (conseil de classe, conseil d’école, courrier interne, quoi de neuf …) pour faire part de leurs émotions et permettre un meilleur vivre ensemble. Le travail en verticalité institué (et donc quasi journalier) permet aux petits et grands de s’enrichir mutuellement et à chacun d’évoluer. L’erreur fait naturellement partie du processus d’apprentissage. Elle est primordiale et nécessaire et le statut que nous lui accordons, de 2ans ½ à 12 ans, permet à chaque enfant de se sentir en sécurité afin qu’il puisse s’engager dans ses apprentissages.

Pour l’équipe éducative, l’énergie déployée est énorme depuis le début de cette aventure. Il y a eu des moments très forts, mais aussi par moments des creux ou du découragement. Le résultat est toutefois palpable au quotidien. Le bonheur et l’évolution de nos élèves sont évidents et ils l’expriment d’ailleurs très fréquemment ! Nous avons donc la conviction d’apporter à l’enseignement une nouvelle approche nécessaire et significative qu’il nous est important à présent de pouvoir partager.

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TRAVAILLER SESCOMPÉTENCESSOCIALESPOUR S’ORIENTERDANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Souhait, M., Chevalier, S.TalentCampus, Fondation de coopération scientifique, Dijon, France Garreau, L.GIP-FTLV de Bourgogne, Service Europe – International -Rectorat, Dijon, FranceLanternier D.Proviseur du lycée Stephen Liégeard, Brochon, France

Le rapport de l’OCDE intitulé «  Skills for Social Progress: The Power of Social and Emotional Skills  » témoigne de l’omniprésence et de l’importance de ce concept

de compétences sociales dans les champs de l’éducation et de la formation (Hernandez, 2016). Il est admis depuis plusieurs années qu’elles peuvent avoir des répercussions aussi bien sur la vie personnelle et la santé mentale que sur la réussite et les résultats sociaux, professionnels ou scolaires (OCDE, 2015 ; Moscovici, 2005).

Ce constat et le rapport STRANES de 2015 ont mené le lycée porteur du projet (Stephen Liégeard à Brochon, France), à proposer un partenariat stratégique Erasmus + (action-clé 2) dont l’objectif est l’échange de bonnes pratiques avec deux autres lycées partenaires : le lycée de Paimio (Finlande) et le lycée de Radomsko (Pologne). Le quatrième partenaire est le Projet Investissement d’Avenir TalentCampus.

A travers le projet ISSKO, les élèves et les membres du groupe de pilotage travaillent indirectement sur diverses thématiques ciblées par l’Europe comme étant des priorités : approche par compétences, lutte contre le décrochage scolaire, inclusion, apprentissage des langues, participation active des jeunes à la société civile, etc. Toutefois, le cœur du projet ISSKO est principalement la découverte de ses compétences sociales pour s’orienter au mieux dans l’enseignement supérieur.

C’est en effet un sujet de préoccupation en développement, notamment pour l’OCDE qui indique que les compétences sociales sont essentielles aux élèves dans

leur scolarité mais aussi dans leurs futures études et carrières professionnelles. Le rapport PISA 2015 prouve d’ailleurs l’importance de travailler davantage ces compétences à l’école puisque la France se situe en dessous de la moyenne lorsqu’il s’agit de posséder des compétences collaboratives.

C’est pour cela que le projet IDEFI TalentCampus (Initiative d’Excellence en Formations Innovantes – ANR-11-IDEFI-0035) a été associé au projet ISSKO. L’objectif de TalentCampus est de permettre à chacun de découvrir et développer ses compétences sociales : communication, leadership, confiance et estime de soi, gestion du stress, travail en équipe, ... Ainsi, les participants apprennent à mieux se connaître, grâce aux travaux en groupes proposés durant les formations qui se déroulent sous forme de pédagogique active.

Dans le cadre de ce projet Erasmus +, il a été proposé aux participants une formation de trois jours en début de projet, permettant dans un contexte d’interculturalité de :

• Définir la notion de « compétences sociales ».•   Expliquer en quoi elles sont importantes

• dans un contexte interculturel,• dans le cadre de son projet d’études ou professionnel.

• Solliciter ses propres compétences sociales pour contribuer à un travail réalisé au sein d’une équipe

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multiculturelle.• Analyser :

• Les bénéfices/possibilités, liés à une mobilité,• Les freins liés à la mobilité.

La formation proposée s’est déroulée sous forme de pédagogie active avec comme programme :

• Jour 1 : jeu d’entreprise (jeu «  sérieux ») en équipe permettant de commencer à prendre conscience de ses compétences sociales et des mécanismes du travail d’équipe. Les participants, en équipes de cinq personnes étaient amenés à créer une start-up de transport aéronautique. Durant la journée, des débriefings sur le travail en équipe, les compétences mobilisées, les rôles dans le groupe étaient proposés afin de faire comprendre aux participants l’importance des compétences sociales et de ce que chacun apporte à un groupe et donc à un projet mené en équipe.• Jour 2 : activités alliant réflexion individuelle et échanges en groupes sur son projet d’avenir et l’intérêt de la mobilité dans l’enseignement supérieur. Durant cette journée, les participants ont travaillé leur aptitude à communiquer. Chacun était amené à créer un pitch pour parler de son projet. Chaque personne était également invitée à passer devant la caméra afin de mettre en application les outils de communication orale vus durant la journée et permettant d’être performant à l’oral. • Jour 3 : activité théâtrale avec restitution finale. Cette journée a permis de consolider les acquis des journées précédentes et de comprendre les mécanismes de la communication interpersonnelle. Elle servait également à mobiliser les outils appris au cours des deux premières journées.

Cette formation a été très bien accueillie par les élèves puisqu’elle leur a permis notamment d’apprendre à se connaître entre lycéens de différents pays, à travers diverses activités certes pédagogiques, mais aussi ludiques et pratiques. Au-delà de cette formation proposée en avril 2017 et qui marquait la première rencontre entre les trente lycéens, des groupes de travail sont régulièrement organisés dans chaque pays pour permettre aux lycéens de travailler sur la question de l’orientation dans l’enseignement supérieur. Ils sont également invités à échanger virtuellement avec les lycéens des pays partenaires pour avancer sur un projet commun de film. C’est en cela que le projet ISSKO applique une pédagogie active pour mener à bien ses objectifs.

La fin du projet est prévue pour mars 2019 mais il est déjà envisagé une continuité

dans le but de valoriser scientifiquement ce projet en communiquant dessus et en produisant, par exemple, un « cahier des bonnes pratiques  » résultant des expériences de chacun liées au projet. Dès janvier 2018, une journée de formation auprès des équipes pédagogiques de deux lycées en France est organisée afin de leur transmettre des outils permettant de sensibiliser les élèves à la découverte de leurs compétences sociales. Un séminaire sera également organisé par les quatre partenaires pour pouvoir communiquer sur ce projet qui, sélectionné à titre «  expérimental  » sur cet aspect innovant pour l’Education Nationale, est devenu une action « test », suite à la découverte de failles dans le système d’orientation français « APB » en juin 2017.

BIBLIOGRAPHIE

« Skills for Social Progress: The Power of Social and Emotional Skills  », Paris: Organisation for Economic Co-operation and Development. OCDE. (2015).

« Rapport PISA 2015 », Organisation for Economic Co-operation and Development. OCDE. (2016).

«  Les compétences sociales et non académiques dans les parcours scolaires et professionnels  », sous la direction de Jean-François Giret et Sophie Morlaix, Editions Universitaires de Dijon. (2016).

« Programmes de développement des compétences sociales et d’insertion professionnelle chez les étudiant.e.s : efficacité ́et limites  », Lucie Hernandez, L’orientation scolaire et professionnelle vol 45 (n°3), p.303, (2016).

« Propositions pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur », Sophie Béjean et Bertrand Monthubert, (2015).

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LE VIADUCDE LOUVAIN :UNE ACTIVITÉCOLLABORATIVEPOUR APPRENDRELE TRAVAIL D’ÉQUIPESouhait, M., Bouley, J., Carrez, J., Fourgaut, J., Galmiche, E.TalentCampus, Fondation de coopération scientifique, Dijon, France,Ducarme, D., Bollen, X., Raucent, B.Louvain Learning Lab et Ecole Polytechnique de Louvain (EPL), Belgique.

Ce travail a reçu un financement de l’Agence Nationale de la Recherche (Initiative d’Excellence en Formation Innovante - ANR-11-IDEFI-0035)

Chaque année, l’Ecole Polytechnique de Louvain-la-Neuve propose une activité kick-off de rentrée afin d’accueillir les étudiants de première année. Cette activité a pour

objectifs de :

• Briser la glace (première étape dans la cohésion de l’équipe).• Faire une première expérience de travail d’équipe et tirer parti de cette expérience.• Percevoir par l’expérience qu’il est important de s’organiser au sein d’une équipe, de s’attribuer et de se partager des fonctions et d’adopter des comportements pour constituer un groupe efficace.• Percevoir l’importance des compétences transversales comme facteur de réussite d’une activité, quelle qu’elle soit.

Lorsqu’une équipe reçoit une tâche à exécuter, on suppose souvent qu’il y aura autorégulation spontanée du groupe en vue de réussir la tâche ou d’atteindre les objectifs. Cela n’est cependant pas très courant : la compréhension de la mission et son acceptation peuvent être différentes pour chacun, des conflits de leadership peuvent surgir, etc. Alors comment permettre à des étudiants d’acquérir des techniques de travail en équipe ? Le kick-off est l’occasion de répondre à cette problématique en permettant à tous de vivre une expérience avec un but commun et de tirer des leçons de celle-ci.

En septembre 2017, le kick-off «  le Viaduc de Louvain  » a été imaginé par l’EPL et TalentCampus qui depuis plusieurs années, travaillent ensemble à la conception de nouvelles activités en pédagogie active. En effet, il leur semble essentiel de positionner l’individu au cœur de sa formation par des apprentissages actifs et de favoriser les interactions par l’apprentissage collaboratif.

L’activité, proposée aux élèves ingénieurs en début d’année universitaire, les invitait lors d’une première mission à se mettre dans la peau de fondateurs d’une entreprise de construction de ponts. Ils devaient alors en équipes, concevoir et construire un pont en papier, devant supporter le plus de poids possible. Les seuls matériaux utilisables pour créer le pont étaient ceux donnés au départ (feuilles de papier et papier collant). Plusieurs consignes simples étaient ainsi livrées par écrit aux élèves, qui devaient respecter des horaires précis pour tester leur pont (d’où l’importance de répartir les rôles dans l’équipe et de nommer par exemple, un gardien du temps).

Il faut noter que l’activité était encadrée par des tuteurs (étudiants de master qui encadrent des groupes d’apprentissage du programme de bachelier) (Raucent et al., 2014) ayant pour consigne d’accompagner les groupes dans leurs réflexions. En effet, à l’issue de la première mission, les élèves devaient répondre à un certain nombre de questions :

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•   Quel a été le climat dans le groupe ? •   Y a-t-il eu une phase d’organisation du travail ? Vous êtes-vous donnés des tâches spécifiques ?•   Y a-t-il eu un(e) leader dans le groupe ? A-t-il(elle) été accepté(e) par tous ?•   Qu’avez-vous appris sur l’utilisation des feuilles pour la construction d’un pont en papier ? Que feriez-vous mieux ou différemment la prochaine fois ?•   Comment s’est passée la coopération au sein du groupe ? (implication, entraide, etc.)•   Qu’avez-vous appris sur la manière de travailler en groupe ? Que feriez-vous différemment la prochaine fois que vous aurez à travailler en groupe ?•   Pouvez-vous identifier des fonctions particulières qui vous aident à gérer le temps, éviter de se disperser, faire circuler la parole, etc. ?

Après ce bilan de vingt minutes, suivait alors la mission deux, durant laquelle les équipes devaient construire un nouveau pont pour un nouveau test de résistance au poids. Ce pont devait être réalisé par deux équipes en collaboration : une équipe construisait un demi pont et l’autre équipe l’autre demi pont. Afin de s’accorder sur la construction de ces deux parties de pont, un membre de chaque équipe était invité à communiquer à part pour réaliser un plan d’action.

Finalement, un nouveau bilan était proposé aux équipes et ces questions étaient abordées :

• Avez-vous tiré profit de la première

expérience ? Sur quels points particulièrement ? Quelles ont été les conséquences sur la seconde expérience ?•   Compte tenu de ces expériences, comment un groupe doit-il démarrer son travail ?•   Quels enseignements en tirez-vous pour votre futur projet ?•   Quelles sont les leçons générales à retenir pour la planification, la coopération dans le groupe, l’organisation des tâches, etc. Par quelles étapes faut-il passer ?•   Quelles sont les choses à éviter ?

Le déroulement du kick-off a été observé par trois membres de l’équipe de TalentCampus. Chacun des observateurs se trouvait dans une salle où les étudiants étaient répartis en quatre équipes de six. Chaque salle était encadrée par un tuteur. Chaque équipe était assise autour d’un îlot de tables. Les consignes pour les observateurs étaient les suivantes :

• Mission 1 : Comment les étudiants se comportent-ils durant la première partie (comportements types) ? Comment le bilan se déroule-t-il (moments-clés, phrases types, fonction identifiée) ?• Mission 2 : Comment la deuxième mission se déroule-t-elle ? Comment les étudiants préparent-ils l’échange entre les deux groupes ? Comment se déroule l’entrevue entre les deux représentants ? Comment se déroule le retour dans le groupe : y a-t-il des pertes d’information ? Comment

se comporte le groupe après le retour du représentant du groupe : y-a-t-il des changements de missions ou de consignes, quid des fonctions ? Comment se déroule le bilan : des fonctions sont-elles proposées ?

Les trois observations, une fois croisées, sont très intéressantes : les équipes peuvent parfois agir de manière très différente (certaines se lancent directement dans l’activité, d’autres vont prendre davantage de temps pour réfléchir à un plan d’action). Mais des similitudes apparaissent : par exemple, les équipiers vont très souvent se répartir les tâches techniques (plus rarement, ils se répartiront des rôles). Il apparaît également que la plupart du temps, des leaders émergent. Un observateur note que selon lui « plus le leader est fort, moins il y a de répartition de travail » et il semblerait que cela impacte le rendu final (« Le groupe qui a le moins bien réussi le premier test était celui qui avait un leader «  fort » »). Finalement, il apparaît que moins la charge de travail est grande, moins les équipes sentent le besoin de s’organiser.

BIBLIOGRAPHIEBédart, D. (2006), Comment former les étudiants et les enseignants à leurs nouveaux métiers? Dans Raucent, B., Vander Borght, C. Être enseignant, Magister? Metteur en scène? Bruxelles: De Boeck.Verzat, C., O’Shea, N., Raucent, B., (2015). Réguler le leadership dans les groupes d’étudiants en APP. Ripes 31-1.

Belbin, R-M., (2010). Team roles at work. USA: Routledge.

Bouvy, Th., De Theux, M-N., Raucent, B., Smidts, D., Sobieski, P., Wouters, P. (2010). Compétences et rôle du tueur en pédagogie actives, dans B. Raucent, C. Verzat, L. Villeneuve, Accompagner les étudiants. Bruxelles : De Boeck, collection pédagogie en développement.

Raucent, B., Milgrom, E., Romano, C., (2014). Guide pratique pour une pédagogie active: les APP…, Apprentissages par Problèmes et par Projet, Toulouse et Louvain: INSA Toulouse et Ecole Polytechnique de Louvain, pp 18-28.

Souhait, M., Hernandez, L., (2016). TalentCampus, un dispositif de développement des compétences sociales basé sur une pédagogie innovante. Actes du Colloque international francophone «  Eduquer et Former au monde de demain  », 6-7 AVRIL 2016 - ESPE Clermont-Ferrand.

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225 - NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

NOUVELLESTECHNOLOGIESDEL’INFORMATIONET DE LACOMMUNICATION

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EDUCATION AU MONDENUMÉRIQUEET PÉDAGOGIE ACTIVE

Françoise GuillaumeCentre d’Etudes DecrolyennesHélène GuttEcole Decroly, Bruxelles

CHEZ LES PETITS, UNE PÉDAGOGIE ACTIVE, ANCRÉE DANS LE RÉEL, ÉDUQUE AU NUMÉRIQUE. CHEZ LES GRANDS, LES PRATIQUES NUMÉRIQUES OUVRENT AUX TECHNIQUES ET AUX ENJEUX.

Comment construire une pensée dans le monde numérique actuel? Les pédagogies actives, basées sur le concret du monde environnant et sur la structuration progressive de liens, apportent des réponses adéquates, dans le cadre de l’école et donc, potentiellement, pour tous.

L’école se demande parfois quel rôle elle va jouer dans la société de demain, sentant Internet comme une concurrence. Certain(e)s enseignant(e)s réagissent en diabolisant ce nouvel outil, d’autres en l’intégrant dans un maximum d’activités, au nom de son caractère ludique et novateur qui suscite l’intérêt des élèves.

Nous voudrions ici proposer à la discussion une autre proposition : pourquoi ne pas

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226 - NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

examiner les possibilités ouvertes par les pédagogies actives pour essayer de sortir de cette polarisation, toujours un peu stérile ?

Une des bases principales de ces pédagogies est de partir du concret, des expérimentations faites par les élèves pour leur permettre d’acquérir des savoirs (ce qui est très différent d’une information), progressivement, ancrés dans le réel, dans le monde environnant.

Tout au long de l’exposé, pour l’idée expliquée dans le paragraphe, on s’appuiera sur un exemple concret, pratiqué à l’École Decroly.

Quand on ancre un concept dans le réel, dans le corps, on peut supposer que des élèves qui ont pratiqué ce genre de démarches, dans toutes les phases de l’apprentissage, auront un lien avec la réalité qui leur permettra de mettre le virtuel à sa juste place. De plus, ils auront du monde une représentation à trois dimensions qui leur permettra de profiter pleinement de toutes les possibilités offertes par le travail sur écran quand ils seront adolescent(e)s ou adultes.

Ces pédagogies partent toujours d’hypothèses formulées par les élèves, plus ou moins justes, qui offrent ainsi un champ des possibles, structuré en réseau. Mais à un moment donné, il faut bien en tirer un raisonnement plus continu, plus cohérent pour répondre à une question telle qu’elle se pose. On peut voir là une forme d’apprentissage : construire une

pensée rationnelle à partir d’un réseau infini d’hypothèses tel qu’il s’ouvre sur le Net. C’est ce qui différencie l’information (disponible presqu’à l’infini sur Internet) des savoirs construits et transposables.

Ainsi donc, sans employer d’ordinateur en classe jusqu’à un certain âge (pour donner une idée, 9-10 ans), l’école prépare bien les enfants au monde numérique.

Cela ne suffit évidemment pas et, à partir de cet âge-là, au plus tard à l’école secondaire, il faudra être plus « sur l’outil », à la fois pour apprendre à le maîtriser mais aussi pour en comprendre tous les enjeux. On donnera quelques exemples, tant au niveau des compétences techniques que de l’approche citoyenne.

On insistera sur le fait que les adultes ne doivent pas se disqualifier, ni quitter la position de transmetteurs : certes, parfois, ils doivent bien reconnaître qu’ils en savent moins que les enfants mais ce n’est pas grave. Une des caractéristiques du Net est une forme d’horizontalité de partage de savoir. La verticalité propre à toute relation intergénérationnelle n’entre pas en opposition à cette horizontalité : l’adulte intervient avec son expérience et d’autres savoirs, tout aussi utiles, qu’il convient d’articuler avec les compétences numériques.

Ainsi donc, l’introduction au numérique est de la responsabilité de tous les enseignant(e)s.

FORMATION DES ENSEIGNANTS

09

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228 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS 229 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS

‘TENTER PLUS’ …UNE CLASSECOOPÉRATIVEVERTICALELa Pédagogie Institutionnelle en formation d’enseignants

Françoise Budo, Sarah Close et Michel ThiryHELMO, Liège

‘Tenter Plus’, c’est un collectif de douze enseignants dans une Haute Ecole, au sein de la section régendat. Nous mettons en place des dispositifs de formation inspirés de la pédagogie institutionnelle pour des futurs enseignants du début du secondaire en sciences humaines (géographie, histoire, sciences sociales).

Etant convaincus, qu’en formation d’enseignants dire reste inefficace, c’est faire qui compte, la loi de l’isomorphisme, si bien formulée par Fernand Oury : « Ne rien dire que nous n’ayons fait », guide l’action des activités que nous organisons en formation d’enseignants. Pour remettre en question et transformer des pratiques professionnelles, il est essentiel de vivre des ruptures dans sa manière de penser et de poser son acte. Il s’agit donc bien d’interroger l’identité enseignante. C’est pourquoi, l’ensemble de la formation est réorganisé en trois grands temps, explicités dans le schéma ci-dessous.

Pourquoi passer par des ruptures identitaires ? Car entre sa propre histoire d’apprenant

et son projet d’enseignant ; entre sa culture familiale et sa culture scolaire ; entre la culture étudiante et la culture professionnelle, le futur enseignant doit davantage passer par une transformation qu’une formation. Il doit notamment sortir de la représentation des études, où il suffit d’étudier pour réussir, pour entrer dans une logique de l’implication personnelle. A partir de là, d’autres ruptures seront possibles.

En effet, devenir enseignant, ce n’est pas réaliser des études sur différentes matières extérieures à soi : c’est s’impliquer dans le travail et dans des projets qui transforment ; c’est sortir de la sacralisation du savoir, du savoir révélé pour entrer dans

la conception d’un savoir qui est le résultat d’une recherche, qui est une construction ; c’est ainsi développer un rapport de maîtrise au savoir, à la production de ce dernier, comme dans les classes Freinet du fondamental. Dès lors, l’enseignant n’est plus celui qui doit dispenser des savoirs révélés. Il est celui qui réfléchit et propose des dispositifs d’apprentissage. Dans notre système de formation, plusieurs techniques Freinet sont adaptées à la formation initiale (‘L’enquête album’ - projet collectif vertical ; ‘le journal’ - ‘nos gazette’, etc.). Ces dispositifs impliquent des déplacements de tous ordres : déplacement de l’enseignant, déplacement des élèves, de l’espace classe, etc. Des métiers (chez nous nommés responsabilités) et certaines

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230 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS 231 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS

fonctions comme la présidence du conseil, le secrétariat et bien d’autres encore sont prises par les étudiants. C’est apprendre également que chaque élève est singulier, que la démocratisation de l’école ne peut pas passer à côté des histoires de chacun et continuer à clamer l’égalité des chances. Œuvrer à l’émancipation des élèves, c’est reconnaître qu’il y a une histoire sociale qui continue à reproduire la société des dominants et maintenir une exigence pour tendre vers une égalité de résultat. Conduire les étudiants à devenir des acteurs sociaux et institutionnels, producteurs de changement, n’est ni facile, ni simple. Pourtant, c’est le pari que notre collectif tente depuis une dizaine d’années.

Ce défi d’entraîner des ruptures identitaires, qui en quelque sorte déstabilise et insécurise, nécessite l’organisation d’un collectif fort pour faire appartenance et référence. Le changement personnel attendu est de l’ordre d’une véritable acculturation. En effet, le groupe institué va ainsi favoriser de nouvelles identifications, de nouvelles solidarités. En début d’année, par exemple, des projets collectifs verticaux font entrer les étudiants du bloc 1 dans une histoire commune, déjà commencée par les étudiants qui les ont précédés. Un voyage en résidentiel de quatre à cinq jours, un local commun, une caisse commune ou encore une série d’institutions, bref, toute une batterie de moyens pour aider chacun à prendre toute sa place, rien que sa place dans ce collectif.

Par ailleurs, le caractère fonctionnalisant

de notre système de formation vient de l’aspect fonctionnel et socialisant des activités. En effet, deux tiers des temps d’apprentissage sont des activités fonctionnelles avec une production socialisable. Par exemple, le projet collectif vertical débouche sur une production qui est destinée à la formation continuée, les réalisations de la classe atelier (projet spécifique des étudiants du bloc 2) sont destinées à des séquences de stage, .... Les étudiants sont pris au sérieux dans leur production du savoir, ce n’est pas pour rire, c’est pour de vrai.

Enfin, nous avons organisé notre système de formation de manière à ce que les opportunités d’exercer une parole instituante soient des plus fréquentes et diverses possible. Et ce, notamment par les temps de conseil, à travers des institutions telles que le «  ça va – ça va pas  », le «  comment va la classe ?  », etc. Une manière de multiplier les occasions de mettre une parole sur ce qui est vécu. Le conseil est aussi un réel partage du pouvoir : chaque personne a une voix, les étudiants sont cent et les enseignants sont douze. Tant qu’une nouvelle décision ne va pas à l’encontre de la double loi de la classe1, aucun des responsables de la formation ne pourra mettre son véto. Cette ‘praxis’ pédagogique exige un travail très important de (trans) formation (de soi) pour l’enseignant.

1 1ère LOI DE LA CLASSE : Ici, chacun est tenu de s’impliquer dans le travail pour se (trans)former et pour contribuer à la (trans)formation des autres. 2e LOI DE LA CLASSE : Ici, nul ne peut être considéré comme objet, pas même objet de formation ; chacun est sujet à part entière, chacun a donc le droit de s’engager ou de marquer son refus.

LES PÉDAGOGIES ACTIVES,UN SIÈCLE PLUS TARD...Revisitons les grands pédagogues pour en extraire un dénomi-nateur commun en vue de la formation des citoyens de demain

Françoise GuillaumeCentre d’Etudes Decrolyennes

Aujourd’hui comme hier, l’objectif des pédagogies actives est de former des citoyen(ne)s qui, parce qu’ils ont appris à partir des observations qu’ils menaient sur leur milieu proche et des questions qui en découlaient, interrogeront toute réalité en établissant des liens avec leur expérience (savoirs et compétences acquises) pour participer de manière critique et constructive au monde.« C’est dans la préparation des jeunes, à laquelle tout homme doit participer, que se trouve le gage, le seul, d’un avenir où la justice et le droit dans le travail solidaire l’emporteront sur la force aveugle et l’iniquité. » (O. Decroly). Il existe plusieurs facteurs communs incontournables, principalement issus des pédagogues du siècle dernier mais aussi adaptés au monde contemporain :

• Partant du milieu environnant, d’éléments concrets, l’élève comme véritable acteur de son apprentissage. L’enseignant reste«  garant des apprentissages  » grâce à un dispositif pédagogique qui permet de réels apports des élèves, tout en gardant en tête les apprentissages propres à cet âge.

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232 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS 233 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS

COMMENT AMENERLES FUTURS ENSEIGNANTS À INNOVERPOUR FAIRE FACE ÀLEURS FUTURS DÉFISPROFESSIONNELS ?

Coline VincentHaute Ecole de la Ville de Liège, Liège

Depuis trois ans, nous proposons en formation initiale un dispositif ayant pour visée principale de stimuler la créativité des étudiants.

Actuellement, la créativité n’apparaît pas explicitement dans le référentiel de compétences des enseignants en Belgique francophone (2000). Nous y voyons néanmoins une compétence professionnelle indispensable à développer à l’heure où l’innovation est aussi au centre des préoccupations des acteurs de l’éducation.

• En termes relationnels, les élèves en tant qu’humains sont intrinsèquement égaux aux adultes en valeur mais ils sont à un autre stade de vie et ont des besoins fondamentaux. Les rôles sont différents ; ni les élèves, ni les enseignants ne gagnent à prétendre à une égalité des rôles. L’enseignant a un rôle primordial : rester ouvert aux apports, tout en gardant une attitude contenante et souple.

Il n’y a pas d’opposition entre pédagogies actives et transmissives ; toute éducation doit assumer la part de transmission (et ses valeurs) qui lui est intrinsèque.

Ces données de base étant posées, elles induisent quelques corollaires :

• Le rythme : «  Ce qui manque, ce n’est pas le temps, c’est la patience.  » (M.Montessori).• La compréhension de la place de l’enfant : l’enfant d’hier n’est pas l’enfant d’aujourd’hui. Le concept d’autonomie, poussé à son extrême, mène à l’absurdité: accorder trop d’autonomie à un enfant, c’est parfois l’abandonner. Certes,« c’est l’enfant qui doit s’éduquer, s’élever avec le concours des adultes. Nous déplaçons l’acte éducatif : le centre de l’école n’est plus le maître mais l’enfant. » (C. Freinet). Mais aujourd’hui, il y a confusion sur l’expression« l’enfant au centre du système ». En observant les élèves, un enseignant peut voir où se situe leur intérêt. Dans la société contemporaine, la responsabilité de l’adulte a changé. D’où l’importance du

dispositif pédagogique, cadre souple pensé par l’enseignant pour laisser la place à plusieurs déroulements de la séquence.• Le réel est toujours appréhendé globalement par les enfants, donnée encore plus importante dans le monde numérique qui advient car l’utilisation d’outils numériques n’est pas synonyme de pédagogie active en soi. Tous les aspects de l’enfant sont pris en compte : intellectuel, physique, social, créatif, etc.• Le rôle du groupe est important : on n’apprend pas tout seul. L’objet d’apprentissage (au sens large) requiert une attention conjointe dans le groupe. Cette éducation à l’attention, vers l’objet d’apprentissage mais aussi de l’un à l’autre, est devenue indispensable dans le monde numérique.• Enfin, il n’y a pas de pédagogie active sans enseignants actifs, ce qui nécessite des libertés dans les réglementations ainsi que des espaces institutionnalisés de réelle concertation. Cette coopération permet d’adapter les dispositifs pédagogiques aux caractéristiques de l’école où ils se pratiquent.

En conclusion, il est important de comprendre que les pédagogies actives ne se sont pas faites en un jour mais qu’elles ont des racines solides et fécondes. Elles constituent un chemin de réflexion, qui permet d’intégrer les savoirs et les compétences de base, tout en se donnant comme objectif de former des citoyens au sens fort.

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234 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS 235 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS

Un processus créatif est donc mené au sein d’activités visant à la fois une meilleure compréhension du concept et son appropriation en tant que démarche active et fonctionnelle. Les futurs enseignants y développent des projets d’innovations pédagogiques en référence aux étapes d’un modèle inspiré de plusieurs modèles du processus créatif (Howard, Culley & Dekoninck, 2008 ; Wallas, 1926).

Les activités proposées dans ce cadre visent donc le développement de la capacité à innover de nos étudiants. La créativité étant le moyen choisi pour y parvenir. Dans le cadre d’une recherche menée en 2016-17, nous avons exploré la question suivante :

Le dispositif permet-il aux futurs enseignants de faire évoluer leurs représentations du métier en y intégrant le processus créatif comme démarche fonctionnelle ?

Par la mise en œuvre du dispositif de formation, nous souhaitons donc stimuler chez les futurs enseignants l’aptitude à concevoir des propositions nouvelles, originales, en équipe, en réponse à des problématiques qu’ils sont susceptibles de rencontrer dans l’exercice du métier d’enseignant. Autrement dit, nous souhaitons stimuler leur créativité.

De notre point de vue, la créativité est un outil très intéressant pour apprendre à faire face à des situations problématiques ou que nous souhaiterions tout

simplement faire évoluer, comme des aspects méthodologiques que chaque enseignant met en œuvre dans sa classe par exemple. Il y a donc un enjeu important à développer ce type de démarche chez les étudiants qui y sont souvent peu familiarisés. Ils sont parfois réticents ou « insécurisés » par la grande ouverture (souvent perçue comme un manque de repères) suscitée par une démarche créative, indispensable à l’innovation. Nous souhaitons donc que le dispositif proposé leur permette de dépasser ou du moins d’atténuer ces craintes et dans le même temps, d’augmenter leur sentiment de compétence face aux multiples défis qui les attendent. Nous avons donc l’ambition de toucher non seulement à leurs représentations de la créativité mais également à leur définition du métier et à leurs aptitudes à l’exercer efficacement.Concernant la recherche menée en 2016-17, la méthodologie était essentiellement qualitative. La démarche mise en œuvre reposait essentiellement sur l’analyse des productions des étudiants.

Dans un premier temps, un questionnaire relatif à l’usage de la créativité dans l’enseignement leur a été soumis. Cela tient lieu de point de départ quant aux représentations des étudiants vis-à-vis de la créativité.

Par la réalisation d’un « processus créatif » (selon les étapes du modèle «  PIEDS  »), les étudiants étaient amenés à proposer une innovation pédagogique relative à un thème choisi au départ du dispositif

(par exemple, la relation école-famille ou la collaboration entre élèves).

Les étapes vécues par les étudiants (du choix du thème de départ jusqu’à la proposition d’innovation pédagogique) ont ensuite fait l’objet d’un rapport d’analyse dans lequel l’évolution de la réflexion des étudiants était relatée au même titre que la réalisation de chacune des étapes vécues. Enfin, ce rapport comprenait également une analyse réflexive portant sur l’investissement réalisé dans les étapes du processus créatif et sur les potentiels apports de celles-ci dans la pratique professionnelle du métier d’enseignant.

C’est donc en analysant les rapports des étudiants que nous avons extrait des unités de sens liées au processus créatif et à son utilité/utilisabilité dans le contexte professionnel. Ces unités de sens ont été catégorisées selon un modèle développemental des niveaux de réflexion de l’enseignant (Füller, 1969) de façon à les situer dans les sphères liées à un stade de préoccupation « de base » ou à un stade plus élaboré, portant sur les questionnements à caractères pédagogiques et méthodologiques.

Ce travail nous a permis d’identifier certaines évolutions des représentations des étudiants à la suite du dispositif proposé, ainsi que la manière dont la créativité peut s’intégrer de manière fonctionnelle à leur « modèle opératif ».

À plus long terme, nous espérons que les futurs enseignants pourront se saisir de la créativité comme d’une compétence professionnelle favorisant leur autonomie et celle de leurs élèves en prenant conscience des enjeux de leur future profession. Nous souhaitons également les sensibiliser à l’importance de la collaboration, en vue d’optimiser le travail dans les équipes pédagogiques qu’ils intégreront.

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236 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS 237 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS

LA PRATIQUERÉFLEXIVEAU COEUR DELA FORMATION DESENSEIGNANTSComment développer la pratique réflexive au travers d’incidentscritiques dans le cadre de l’activité d’apprentissage « Techniquesde Gestions des Groupes et expression orale 2 » dispensée à desétudiants futurs agrégés de l’enseignement secondaire toutessections au sein de la catégorie pédagogique de la Haute EcoleFrancisco Ferrer ?

Emilie WilmetHaute Ecole Francisco Ferrer, Bruxelles

Nous proposons un atelier collaboratif. L’atelier se déroule avec un maximum de douze participants.

L’intérêt est d’aborder la gestion d’incidents critiques au travers de la pratique réflexive. Au cœur de la formation initiale des enseignants, depuis les travaux de Paquay

(1994), figure l’axe du praticien réflexif. La formation initiale se construit dès lors, aujourd’hui, autour de cet axe. Afin de faire correspondre les prescrits de la formation à la réalité du métier de terrain et de permettre aux étudiants futurs enseignants une imprégnation réelle du métier, nous leur proposons, depuis deux ans, des ateliers de pratique réflexive au sein de l’activité d’apprentissage «  Technique de Gestion de Groupes et expression orale 2 ».

Les différentes activités mises en place au sein de ce dispositif professionnalisant visent à tendre à un transfert optimal des apprentissages par les étudiants au travers du modèle de l’AECA (apprentissage et enseignement contextualisés et authentiques) pour favoriser (1) l’ intégration des connaissances et le développement des compétences, (2) l’activation et le transfert des connaissances et (3) une perception positive de la tâche et de soi-même comme apprenant (Bédard, Frenay, Turgeon & Paquay, 2000 in Frenay et Bédard, 2004).

Agir individuellement et ensuite interagir avec le groupe sont à la base du dispositif ; les étudiants ont des tâches à réaliser, produisent et communiquent sur ces productions et peuvent ensuite confronter leurs productions et échanger des outils en vue de réguler leurs actions (Parmentier et Paquay, 2002).

Les intervenants désireux de participer à cet atelier peuvent provenir d’horizons

divers et variés : l’intérêt étant que la régulation des situations critiques se construise au travers de la collaboration et d’une pédagogie de coopération active. Les objectifs de l’atelier proposé sont nombreux et seront régulés en fonction des participants et de leurs besoins. Nous pouvons évoquer de manière non exhaustive les objectifs suivants :

•   Pouvoir s’exprimer à l’oral en tenant compte de la communication verbale et non verbale.•   Être capable d’établir avec les élèves des relations justes et adaptées à leurs apprentissages.•   Pouvoir établir des relations positives avec les différents partenaires scolaires (parents, collègues, directeur, inspecteur).•   Gérer ses émotions, dépasser ses préjugés.•   Pouvoir utiliser des outils spécifiques.

L’atelier propose une animation d’analyse d’incident(s) critique(s) durant approximativement une heure ; l’animation se situe autour de l’écrit réflexif. L’intérêt étant de proposer aux participants une mise en commun des expériences vécues sous forme de jigsaw (environ 30 minutes) afin de déterminer les forces et faiblesses d’une telle approche de l’incident critique en formation de futurs enseignants.

Les participants sont regroupés en groupes de 4 à 5 personnes issues de divers horizons. Après un moment d’échange au sein des groupes, ils

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238 - FORMATIONS DES ENSEIGNANTS

déterminent - pour chaque groupe - un incident critique à développer. Cet incident est en lien direct avec leur pratique d’enseignement.

Chaque groupe, après avoir déterminé l’incident critique qui animera sa réflexion, passe ensuite par les étapes suivantes :

• description de l’incident critique par l’auteur,• chaque membre réexplique ce qu’il a retenu/compris de la description de l’auteur,• chaque membre expose une ou plusieurs pistes de solution pour l’auteur,• l’auteur du cas présenté résume la situation et les pistes proposées,

Après ce travail réflexif, chaque groupe réalise un poster permettant d’illustrer à la fois l’incident critique tel que présenté par l’auteur et interprété par les membres du groupe ainsi que les pistes de solution proposées.

Une séance plénière de présentation des posters permet ensuite de faire naître la discussion parmi tous les participants et de soulever des questions tant sur le fond que sur la forme ; tant sur le dispositif que sur les situations vécues et travaillées.

BIBLIOGRAPHIE :Frenay, M., & Bédard, D. (2004). Des dispositifs de formation s’inscrivant dans la perspective d’un apprentissage et d’un enseignement contextualisés pour favoriser la construction de connaissances et leur transfert. (2004). Du transfert des apprentissages au transfert des connaissances. In A. Presseai & M. Frenay (Eds.), Le transfert des apprentissages : comprendre pour mieux intervenir (pp. 241-268). Québec : Les presses de l’Université Laval.Paquay, L. (1994). Vers un référentiel des compétences professionnelles de l’enseignant ? In : Recherche et Formation, n°16. Les professions de l’éducation : recherches et pratiques en formation. pp. 7-38.Parmentier, P. et Paquay, L. (2002). En quoi les situations d’enseignement/apprentissage favorisent-elles la construction de compétences ? Développement d’un outil d’analyse : le COMP.A.S. Version 3. Louvain-la-Neuve : GRIFED UCL.

GESTION DES ÉTABLISSE-MENTSSCOLAIRES

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240 - GESTION DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES 241 - GESTION DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

LE RÔLE DUDIRECTEURD’ÉTABLISSEMENTDANS LE DÉVELOPPEMENT DES PÉDAGOGIES ACTIVESQu’est-ce qui fera qu’un directeur d’établissement pourra menerson équipe vers le développement et l’adoption de méthodespédagogiques actives, proches des jeunes appelés à construire leXXIème siècle?

Danielle BoucherPrésidente, Association québécoisedu personnel de direction des écoles(AQPDE), Québec, Canada

L’AQPDE est une association québécoise regroupant plus de 660 directions d’établissements scolaires :

•  écoles d’éducation préscolaire et d’enseignement primaire ;• écoles secondaires ;• centres de formation professionnelle ;• centres d’éducation des adultes.

Elle a pour but de représenter, de faire reconnaître et de défendre les intérêts professionnels, sociaux, politiques et économiques de nos membres. Elle influence les décisions et les enjeux du milieu de l’éducation. Elle contribue à l’avancement de la profession et collabore au développement de l’éducation au Québec en participant à la réflexion sur l’amélioration du système éducatif du Québec.

LA SITUATION AU QUÉBEC

Depuis l’an 2000, de grandes réformes se mettent en place avec deux volets :

1)   Début 2000  : le renouveau pédagogique.2)   À compter de 2016 : la décentralisation administrative vers les établissements d’enseignement.

1) Le renouveau pédagogique

C’est au début des années 2000 que la réforme de l’éducation appelée « renouveau pédagogique » apparait au Québec.

La mission de l’école se décline alors en trois axes :

InstruireL’accent est mis sur le développement

des activités intellectuelles et sur la maîtrise des savoirs et non plus sur le développement de la personne tel que mis place dans la période précédente.

SocialiserEn deuxième place, l’école doit socialiser, soit promouvoir les valeurs qui fondent la démocratie et préparer à l’exercice d’une citoyenneté responsable.

QualifierEnfin, en troisième place, l’école doit qualifier, c’est-à-dire soit préparer aux études supérieures, soit préparer l’élève pour le marché du travail.

Le renouveau pédagogique propose un découpage non plus en disciplines ou matières distinctes, mais en cinq domaines généraux de formation regroupant plusieurs matières :

• langues (maternelle, d’enseignement ou étrangère) ; •  mathématique, sciences et technologie ;• univers social (histoire, éducation à la citoyenneté, géographie et économie) ; •  développement personnel (enseignement moral et enseignement religieux, éducation aux valeurs, éducation physique et éducation à la santé) ;• arts.

Dans ce cadre et au travers de situations d’apprentissage et d’évaluation (SAE), l’élève acquiert des connaissances qu’il apprend à utiliser dans divers contextes.

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242 - GESTION DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES 243 - GESTION DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

Les contenus disciplinaires et les activités de l’école permettent à l’élève de développer des compétences communes aux programmes telles que :

• résoudre des problèmes et exploiter de l’information ;• se donner des méthodes de travail efficace ;• communiquer de façon appropriée ;• structurer son identité.

Le programme de formation appelle une participation active de l’élève et laisse aux enseignant.e.s le choix des approches pédagogiques selon les caractéristiques de ses élèves :

• Enseignement magistral ;• Enseignement explicite ;• Enseignement par projet ;• Enseignement par coopération ;• Enseignement par démarche inductive ;• …

De plus, l’autonomie professionnelle des enseignant.e.s. est reconnue :

• choix des outils didactiques ;• choix des méthodes d’enseignement ;• choix des moyens d’évaluation.

Enfin, la coopération en équipe-cycle et avec les différents professionnels est encouragée.

2) La décentralisation administrative vers les établissements d’enseignement

La décentralisation administrative se fonde sur un principe de base: la subsidiarité. C’est-à-dire que la responsabilité d’une action publique ou d’un service public revient à l’entité administrative la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action ou par ce service.

En conséquence,

•   le ministre définit les orientations et les grands encadrements ;•   la Commission scolaire organise les services sur son territoire et répartit équitablement ses ressources humaines et financières entre ses écoles ;

•   l’école dispense les services, les adapte à la situation de ses élèves et adopte son budget de fonctionnement.

3) Pour faire avancer l’école

L’AQPDE s’appuie sur trois grands principes :

•   L’éducation se fait dans une classe composée d’une enseignante ou d’un enseignant et d’un groupe d’élèves. Cette classe est dans une école où les besoins se déterminent, les services s’organisent et les décisions se prennent.•   La direction est à l’école ce que l’enseignant est à la classe. C’est à elle et son équipe que revient le choix des moyens et des stratégies pour assurer la persévérance et la réussite de tous ses élèves.•   L’éducation est une responsabilité collective.

L’AQPDE propose trois pistes afin de mettre en place des conditions gagnantes :

1.   Reconnaître le leadership de la direction d’établissement dans son école et dans sa communauté et faire confiance à son leadership créatif.2.   Adopter des stratégies de soutien aux directions d’établissement pour en faire des directions exceptionnelles.3.   Mettre en place des programmes

élevés de recrutement de directions de haute qualité.

1.   Reconnaître le leadership de la direction d’établissement dans son école et dans sa communauté et faire confiance à son leadership créatif

Pédagogue de carrière, la direction d’établissement est inspirante pour son équipe. Elle a une vision d’ensemble, ce qui en fait une visionnaire qui connaît les besoins de son milieu. « Curieuse » de ce qui se fait ailleurs, elle se tient informée des résultats de la recherche et est centrée sur la réussite de ses élèves. Elle est une personne rassembleuse autour de visées communes.

2.   Adopter des stratégies de soutien aux directions d’établissement pour en faire des directions exceptionnelles et les aider à :•    Améliorer les méthodes pédagogiques utilisées dans leur école.•    Mettre l’accent sur la nécessité d’adapter les approches pédagogiques à l’évolution des jeunes et de leur environnement.• Parfaire leur rôle administratif pour assurer une gestion budgétaire rigoureuse en fonction des besoins de leur milieu.

Pour y parvenir, les communautés de pratique professionnelle rassemblant sur une base volontaire des directions de différents milieux et les communautés d’apprentissage professionnel

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244 - GESTION DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES 245 - GESTION DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

rassemblant sur une base volontaire les acteurs de l’école (enseignants, professionnels, directions, experts) sont un exemple de moyens à développer dans les établissements scolaires.

3. Mettre en place des programmes élevés de recrutement de directions de haute qualité

• Identifier, attirer et recruter des enseignantes et des enseignants reconnus par leurs pairs pour devenir des dirigeants chevronnés• Offrir aux candidats recrutés un programme de formation continue :

•   une formation initiale de 2 ans, préparatoire à l’exercice de la fonction, en ciblant la compréhension de l’exercice du leadership pédagogique, la connaissance des indicateurs de gestion stratégique pour suivre l’évolution de son école et la compétence en gestion budgétaire ;•   un programme de mentorat assumé par des directions chevronnées ;•   des activités annuelles de formation obligatoire assumées par les associations professionnelles ;•   un soutien des unités centrales relatif à la gestion administrative (budgets, ressources humaines…).

• Développer des réseaux de directions d’établissement pour partager leurs expériences et leurs difficultés :• des rencontres mensuelles ;

•   une offre de séminaires ou d’ateliers ;•   des stages dans des écoles de milieux différents ;•   …

PACTE POUR UNENSEIGNEMENTD’EXCELLENCE -LE NOUVEAU PROFILDU DIRECTEUR AU SEINDU PLAN DE PILOTAGE

Roberto GalluccioAdministrateur délégué, CPEONS

1. NOTRE SYSTÈME ÉDUCATIF : QUEL CONSTAT ?

La Fédération Wallonie-Bruxelles propose un système inégalitaire. On constate :

•  Des écarts de réussite entre les élèves les plus performants et les moins performants, en fonction de l’origine socioculturelle des élèves et entre les écoles plus marqués que dans la plupart des pays de l’UE ;•    Les élèves sont regroupés dans les écoles en fonction de leurs aptitudes et de leur origine sociale.

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Au total, 48% des élèves ont déjà doublé au moins une fois à l’âge de 15 ans (contre 14% en moyenne pour l’EU), ce qui engendre un coût de 365 millions d’euros dans le secondaire, soit 11% du budget de l’enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Autre constat, l’Indice Socio-Economique influence le parcours scolaire des élèves sur plusieurs dimensions, et ce dès le plus jeune âge. Pourtant, les dépenses publiques pour l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (8 milliards d’euros) sont supérieures à la moyenne de l’OCDE.

Lorsque nous analysons la performance scolaire en FWB, nous remarquons qu’elle s’articule autour de trois axes complémentaires :

L’Efficacité

•   Etapes atteintes : capacité du système à scolariser, former, et diplômer ;•   Niveau atteint : capacité du système à donner à chacun le socle de compétences requis, au regard des objectifs fixés par et pour le système et des référentiels internationaux ;•   Objectifs “non-académiques” : performance en termes de résultats sociaux, professionnels, civiques et culturels.

L’Equité

•   Mesurer la capacité du système à promouvoir l’égalité des chances ; •   Un système sera considéré comme performant si les résultats scolaires sont moins dépendants des caractéristiques personnelles des élèves ou des types d’établissements fréquentés.

L’Efficience

•   Comparaison des résultats obtenus en termes d’efficacité et d’équité avec les ressources humaines et financières investies ; •   Au regard de l’efficience « coût », un système est considéré comme plus efficient s’il atteint le même niveau d’efficacité et d’équité à un coût inférieur.•   Le système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles : performance hétérogène et globalement insatisfaisante

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les trois axes peuvent être analysés comme suit :

L’Efficacité

Au niveau du parcours scolaire, l’accès à l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles est positif. Par contre, la progression des élèves durant leur parcours scolaire est négative. De plus, le décrochage, qui s’avère massif, ainsi que le choix des filières sont négatifs. Le qualifiant est encore considéré par les élèves comme un choix de relégation.

Au niveau des élèves, la réussite au CEB est très bonne, au CE1D très faible. La Fédération Wallonie-Bruxelles se classe parmi les derniers dans les enquêtes PISA.

L’Equité

Il existe une forte iniquité, partout dans le système et dès le plus jeune âge! En effet, on s’aperçoit que l’indice Socio-Economique constitue un élément de ségrégation et que l’origine migratoire influence négativement le parcours de l’élève. Le seul point positif à relever est que la mixité est garantie.

L’Efficience

Elle est considérée comme négative et ce parce que, malgré les moyens financiers consacrés à l’enseignement, les résultats des élèves aux épreuves externes certificatives ou aux tests PISA restent très faibles.

Pour résumer, le niveau de l’enseignement en Belgique francophone est de qualité :

de nombreux élèves tant du primaire que du secondaire y réalisent de bons scores aux tests PISA. Néanmoins, pour trop d’enfants, notre système éducatif paraît peu adapté et ne leur permet pas d’acquérir les connaissances de base. Comme dit précédemment, à l’âge de 15 ans, 48% d’entre eux ont déjà redoublé au moins une fois, et beaucoup sont orientés vers des filières qu’ils n’ont pas choisies.

Le Pacte pour un Enseignement d’excellence, par la série d’initiatives qu’il propose, vise à offrir un enseignement de qualité et un parcours de réussite à chaque élève. Une autonomie et une responsabilité dans l’organisation des établissements scolaires sont les maîtres-mot du Pacte. Cette nouvelle approche de la gouvernance des écoles repose sur les compétences et les initiatives des directions.

2. PLAN DE PILOTAGE : PHILOSOPHIE ET VALEURS

Sur la base d’objectifs généraux fixés par le Gouvernement, un Plan de Pilotage sera élaboré au sein de chaque établissement. Celui-ci sera défini et mis en œuvre par la direction et le Pouvoir organisateur, en collaboration avec l’équipe éducative. Ce plan comprend les stratégies concernant la réussite des élèves, la lutte contre l’échec et le décrochage, les outils numériques, l’accès à la culture et aux sports, la promotion à la citoyenneté, l’orientation, les discriminations, l’intégration des

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élèves à besoins spécifiques, le travail en équipe, la formation du personnel et la collaboration avec les parents.

Pourquoi un plan de pilotage ? Le Plan de Pilotage est un outil destiné à amener chaque établissement à contribuer individuellement à l’amélioration globale du système éducatif.

La vision du Plan est de mettre en place un outil compris et utilisé par l’ensemble des acteurs du système éducatif afin d’inscrire concrètement ce dernier dans une logique d’amélioration continue. Il a pour mission d’aider le chef d’établissement à améliorer concrètement son école grâce à une méthodologie claire et structurée, notamment sur base d’éléments pertinents apportés par l’ensemble des acteurs de la sphère éducative.

Le Directeur de l’école est le « capitaine » du Plan de Pilotage de son établissement. En tant que capitaine du navire, le directeur a la responsabilité de :

•   définir le cap à prendre en concertation avec son équipage ;•   guider le bateau au jour le jour, aussi bien en période d’accalmie que dans la tempête ;•   être à l’écoute de son équipage et le soutenir en cas de besoin.

Le Plan permettra de développer le leadership pédagogique des équipes de Direction. Le Pacte apportera au travail de Direction les améliorations suivantes :

•   Alléger la charge administrative pesant sur les directions;•   Redéfinir les missions et responsabilités des directions, y compris en matière de gestion stratégique des ressources humaines de l’école;•    Optimaliser le processus de recrutement/sélection des directeurs;•   Professionnaliser les directions par des stratégies intégrées de développement des compétences et une approche plus systémique de la fonction;•   Mettre en place des dispositifs d’évaluation pour les directeurs;•   Mettre en place des équipes de direction et des mécanismes de délégation;•   Envisager la revalorisation/harmonisation des barèmes de direction;•   Réformer la carrière des directeurs (mobilité – promotion – fin de carrière).

Le Pouvoir organisateur, en tant que cosignataire du Plan de Pilotage, est l’officier du port qui assiste la direction. En tant qu’officier du port, il a pour responsabilité de :

•   rester informé de l’évolution du travail à effectuer ;•   valider les décisions prises ;•   soutenir la direction dans son chemin d’amélioration.

L’implication de l’équipe éducative est essentielle. Les membres de l’équipe éducative sont sur le terrain

au plus près des élèves et disposent donc de connaissances cruciales dans l’élaboration du Plan de Pilotage de leur établissement scolaire. Ils seront invités à collaborer de manière structurée pour concourir aux améliorations à apporter. L’équipe éducative peut être impliquée : directement en faisant partie de l’équipe Plan de Pilotage ou indirectement en prenant part à certaines initiatives. Elle peut également être encouragée à partager son avis via les questionnaires-miroirs et lors des présentations.

L’implication des parents est un atout. Les parents sont responsables de l’éducation de leurs enfants et ont un rôle majeur à jouer dans la vie de l’établissement. Leur collaboration est nécessaire dans l’élaboration du Plan de Pilotage. Pour impliquer les parents dans le processus, la direction peut, par exemple, les inciter à participer à certaines initiatives ou les inviter à donner leur(s) avis via le questionnaire-miroir lors des présentations du Plan de Pilotage, par mail ou par courrier.L’implication des élèves est essentielle. Les élèves sont au cœur de la démarche, il est dès lors indispensable de les inclure dans le processus afin de déterminer l’impact qu’ont certaines initiatives sur eux. L’implication des élèves dans le processus passe principalement par la collecte de leur(s) avis via des questionnaires-miroirs. Ils pourraient également prendre part aux initiatives qui les concernent.

D’autres acteurs sont impliqués :

• Les Directeurs de Zone (9 DZ), les Délégués aux Contrats d’Objectifs (88 DCO) et les représentants du Pouvoir régulateur (FWB), donc l’autorité publique, définit les objectifs généraux et, à travers les DCO, valide le Plan de Pilotage des établissements qui devient le CONTRAT d’OBJECTIFS.• Le Réseau ou Fédération de Pouvoirs organisateurs (FPO), dont le CPEONS, contractualise et accompagne les Pouvoirs Organisateurs et les Directions à l’élaboration d’un Plan de Pilotage et effectue les formations ad hoc. •   L’Institut de Formation en Cours de Carrière forme initialement les directions au sens des Plans de Pilotage et aux attentes de l’autorité publique.•   D’autres intervenants externes soutiendront l’établissement dans l’élaboration du Plan de Pilotage (exemples : CPMS, Centres de formation, sportifs et culturels).

3. PLAN DE PILOTAGE : ÉLÉMENTS CONCRETS

Le Décret «  Missions  » est modifié : les articles 67 et 68 sont complétés. Le Plan de Pilotage est élaboré pour améliorer le système scolaire dans sa globalité (approche systémique). Il s’agit d’un plan spécifique à chaque établissement ou implantation en lien direct avec les objectifs généraux du Gouvernement, articulés autour de trois dimensions fondamentales (efficacité, équité, efficience), en lien avec des objectifs

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spécifiques par zone géographique ou par catégorie d’établissement et signé par l’ensemble des acteurs clés de l’école (directions, Pouvoir organisateur, Fédération de PO, Directeur aux Contrats d’Objectifs et Directeurs de Zone) afin de devenir un Contrat d’objectifs.

Les intérêts pour améliorer le système sont multiples:

• Ancrer une culture d’amélioration continue au sein du système scolaire ;• Faciliter la mise en œuvre sur le terrain de politiques décidées par le Pouvoir régulateur ;• Fédérer l’ensemble des acteurs-clés de l’établissement, renforcer la cohésion ; • Responsabiliser les acteurs clés de l’établissement par une contractualisation ;• Identifier les faiblesses et les forces de chaque établissement du système ; • Continuer les projets d’amélioration qui deviennent indépendants des directions en place dans l’établissement.

4. PLAN DE PILOTAGE : ÉTAPES DU PROCESSUS

Cinq étapes sont nécessaires pour élaborer un Plan de Pilotage, chacune d’entre elles est un défi à part entière :

1/ Communiquer, sensibiliser, recruter, donner du sensEn tant que Capitaine du navire, le Chef d’Etablissement va mettre en place un véritable leadership partagé, basé en première ligne sur une «  équipe Plan de Pilotage ». Cette équipe, réunie sur base volontaire, sera constituée de membres de l’équipe de direction, d’enseignants, d’éducateurs, … Ses membres seront autant de relais vers l’équipe éducative au complet.

2/ Effectuer un diagnostic partagé et le communiquer (questionnaire-miroir)Pour avoir un miroir fidèle de l’école, deux types de données sont à prendre en compte : des données quantitatives issues des épreuves externes, de tests divers, de données fournies par l’école, du TABOR, … et des données qualitatives traduisant le climat de l’école et obtenues en synthétisant les réponses apportées aux questionnaires soumis aux équipes pédagogiques, aux élèves et aux parents.

3/ Définir les stratégies et les actionsChaque école, en fonction du diagnostic, des objectifs généraux précisés par la Fédération Wallonie-Bruxelles et de ses spécificités, définira quels sont ses objectifs spécifiques.

Il conviendra ensuite de les décliner en actions.

Voici des exemples d’Objectifs d’Amélioration fixés par la Fédération Wallonie-Bruxelles :

•   Augmenter le nombre d’élèves avec certificat ;•   Diminuer le taux de redoublement et de décrochage ;•   Diminuer les différences entre les résultats des élèves (ISE) ;•   Augmenter la mixité sociale (objectifs par zone - à partir de 2022).

L’Ecole définira les objectifs spécifiques à atteindre.

4/   Finaliser le Plan de Pilotage, l’encoder et le soumettre au Délégué aux Contrats d’ObjectifsA partir des objectifs spécifiques et des actions définis à la troisième étape, il s’agit de rédiger le Plan de Pilotage en tenant compte des quinze thématiques et des trois sujets transversaux (pratiques collaboratives, plan de formation, continuum), d’encoder le Plan dans l’application qu’aura conçue l’ETNIC, de le faire valider par le Délégué aux Contrat d’Objectifs (DCO).

Le Plan de Pilotage devient alors le Contrat d’objectifs. Une fois le contrat d’objectifs établi, il entre en vigueur dès le 1er septembre suivant (c’est-à-dire le 1er septembre 2020 pour la première vague).

5/ Piloter …Une fois le contrat d’objectifs établi, une évaluation intermédiaire aura lieu après trois ans et l’évaluation finale après six ans. Ces évaluations se baseront notamment sur des indicateurs. Pour atteindre les objectifs spécifiques et réaliser le plan d’actions, de nombreux objectifs opérationnels seront dégagés par l’équipe éducative lors de journées de réflexion. Le Plan de Pilotage / Contrat d’Objectifs contient aussi les modalités d’évaluation pour l’évaluation interne annuelle. Les indicateurs sous-jacents seront mesurés périodiquement en fonction de leur spécificité (annuel, trimestriel, hebdomadairement, …). Les pratiques collaboratives revêtent une importance primordiale.

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OUVERTURE DE DEUXÉCOLES À PÉDAGOGIESACTIVES :NAISSANCE DE L’ASBLL’ECOLE ENSEMBLE

Julie MoensEspace maritime, Ecoles secondairesplurielles, Bruxelles

Au départ, c’est l’histoire de professeurs de secondaire à Bruxelles (différentes écoles, différents réseaux, différentes pédagogies) qui s’aperçoivent que leurs élèves sont bien plus épanouis lorsqu’ils sont dans des projets qu’ils mènent d’un bout à l’autre et qui donnent du sens à ce qu’ils font à l’école. A côté de ça, ces professeurs sont inquiets pour l’enseignement : Bruxelles ressemble à un marché où des écoles “plus performantes” côtoient des écoles

“moins performantes” et la mixité sociale y a rarement sa place. L’école n’est plus un ascenseur social et renforce les inégalités déjà présentes dans la société.

Depuis quelques années, des écoles secondaires à pédagogies actives ouvrent à Bruxelles mais dans des quartiers souvent favorisés. Ces écoles dépendent de la FELSI (Fédération des Etablissements Libres Subventionnés Indépendants). Le seul problème est

que, ce réseau n’étant pas totalement subventionné, ces écoles n’ont pas d’autre choix que trouver des aides financières pour survivre. Les parents doivent donc souvent payer pour y inscrire leurs enfants.

L’idée est alors théoriquement simple : ouvrir une école secondaire à pédagogies actives, gratuite et socialement mixte car nous pensons que cette mixité est une véritable richesse et une source de réussite pour tous. Nous décidons alors de créer une ASBL, L’Ecole Ensemble, avec d’autres acteurs du monde scolaire. Nous étudions les expériences de pédagogies actives en milieu populaire, rédigeons un projet pédagogique, et cherchons des partenaires. Les démarches ont été lourdes mais efficaces car nous avons rencontré des partenaires motivés par le projet dans deux communes bruxelloises (Molenbeek et Berchem Sainte-Agathe) et à la Communauté française qui désirait aussi ouvrir des places attractives en secondaire. Nous avons trouvé deux bâtiments dans des quartiers socialement mixtes et avons finalement décidé d’ouvrir deux écoles à Molenbeek : l’une à la frontière de Jette et l’autre à la frontière de Berchem Sainte-Agathe. L’ouverture d’une école s’est alors transformée en l’ouverture de deux écoles.

Les deux écoles accueillent depuis septembre 2017, 264 élèves, répartis en 11 classes de première secondaire. Environ 1400 élèves y seront accueillis après 6 ans (700 dans chaque école).

Le projet pédagogique est basé sur trois priorités :

•   les pédagogies actives : une école où les élèves sont acteurs de leur apprentissage, apprennent et évoluent avec enthousiasme parce qu’ils trouvent du sens à ce qu’ils étudient (projets, pas de compétition, évaluation différente, école de la réussite...) et où ils peuvent apprendre la démocratie dans les cours et l’organisation de l’école (conseil hebdomadaire où les élèves discutent de la classe et avancent dans leurs projets, cours d’actualité, ...). Une école où chacun avance à son rythme, avec ses forces et ses faiblesses (après-midi de différenciation). Une école où les évaluations ne sont pas stigmatisantes et sont non cotées.

•   la mixité sociale : une école qui par sa situation géographique offre la mixité sociale tellement absente des écoles bruxelloises et la maintiendra jusqu’en rhéto grâce aux pédagogies actives où la particularité de chaque élève est prise en compte.

•   le partenariat avec les écoles primaires de la commune (surtout celles proposant des pédagogies innovantes), les centres culturels du quartier et les parents qui doivent retrouver leur rôle d’acteur.

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COMPTE RENDUDU COLLOQUEAIMABLEMENT RÉDIGÉPAR LE GFEN (GROUPEFRANÇAIS D’ÉDUCATIONNOUVELLE) ET MIS ENLIGNE SUR SONSITE INTERNET :HTTP://WWW.GFEN.ASSO.FR

Jacqueline BonnardGFEN

La COCOF a organisé un colloque international explorant cette thématique sur le Campus du CERIA à Bruxelles du 21 au 23 mars. Ce colloque où le GFEN était invité, s’adressait à l’ensemble des acteurs du monde de l’éducation et visait à croiser des pratiques favorisant la réussite scolaire et la réduction des inégalités sociales. L’enjeu est de taille puisqu’une nouvelle école doit s’ouvrir sur ce campus, axée sur ces pédagogies en 2021. Alternant conférences et ateliers, 700 participants ont suivi un parcours personnalisé pour découvrir de nouveaux outils, des pratiques, des résultats de recherche.

Dans la conférence d’introduction, André Tricot a tenté de répondre à la question : Sous quelles conditions les pédagogies actives permettent-elles de mieux apprendre ? Ce terme de «pédagogie active» fait référence aux situations où le professionnel tente de rendre les élèves actifs. Expression ambigüe qui nécessite de définir le terme «actif» : s’agit-il d’une tâche physique, d’une tâche cognitive, d’une tâche sociale ou d’un mode d’engagement dans la tâche ? Et selon qu’on apprend un geste ou un concept, comment cette activité permet-elle d’améliorer ou empêcher les résultats attendus ?

Ce psychologue cognitiviste, propose une approche en quatre niveaux pour aider les professionnels à concevoir des situations d’apprentissage : l’engagement, l’attention, la réalisation de la tâche, les apprentissages. Il souligne que les deux

derniers niveaux : la réalisation de la tâche et la réussite de l’apprentissage, peuvent être en concurrence. Si la tâche est trop exigeante, si la tâche est trop difficile, l’élève peut complètement s’engager dans la tâche mais cet engagement dans la tâche peut se faire au détriment de l’apprentissage. Ce qui semble essentiel pour apprendre, ce n’est pas l’analyse de la tâche seulement, c’est l’analyse de la tâche et le mode d’engagement dans la tâche.

Les ateliers proposés sur ces deux jours ont exploré des champs portant sur les inégalités scolaires, l’évaluation, l’inclusion ou les pratiques de classes. Des ateliers participatifs, conférences en duo ou collectives, partages d’expériences, il y en a eu pour tous les goûts. Et les échanges se sont poursuivis de façon informelle lors des pauses café ou du lunch. Le GFEN y a proposé deux ateliers : le texte recréé et le vocabulaire. Jacques Bernardin est intervenu sur le thème : Pédagogies actives : l’activité en question (s) puis dans la conférence de synthèse pour relever les points de vigilance à avoir lorsqu’on s’inscrit dans une pédagogie dite «active».

Le jeudi soir un spectacle : Very Math Trip, des mathématiques comme on ne les a jamais vues ni entendues et qui nous les ferait aimer ! Émotion, passion, aventure, culture, anecdotes, surprises, magie, intrigues sont les ingrédients de cet hommage aux mathématiques et à ceux qui en ont fait son histoire.

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256 - COMPTE RENDU 257 - COMPTE RENDU

Conférence de clôture du colloque

Cette conférence animée et modérée par Aude Gallery et David Lallemand réunissait Patrick Beaudelot (directeur d’administration de l’Enseignement et de la formation professionnelle de la Cocof), Jacques Bernardin (GFEN), Séverine Acerbis (directrice de l’Asbl Badje) et Jacques Cornet (Président de CGé).

Il s’est agi de faire le lien entre les apports du colloque, les réalités des familles, les paroles et vécus des enfants. La conférence commence par l’écoute de paroles d’enfants fréquentant une école nouvelle qui disent leur ressenti d’élèves dans ce cadre :«  le plaisir d’être libre, accepté ; la mixité, la participation, l’évaluation, l’égalité et l’autonomie, travailler ensemble » même si c’est tempéré par la crainte d’avancer plus lentement qu’ailleurs. Les professionnels qui les encadrent insistent sur le plaisir de partager les questions de métier, d’échanger sur les pratiques et la vie collective.

Mais pour qui ces écoles nouvelles sont-elles faites ? Quelles peuvent-être les dérives ? Faut-il oser innover et changer ses pratiques?

Patrick Beaudelot souligne l’importance de l’ouverture d’une école s’appuyant sur les pédagogies actives. Au-delà des programmes et de l’institution, ce qui compte c’est le regard porté sur l’enfant qui apprend : éducabilité mais également exigence. Il faut un projet affirmé avec une appropriation des différents partenaires du projet ainsi qu’une formation adaptée pour les enseignants. Ce projet porte tout à la fois sur la pédagogie, l’aménagement des espaces et la gestion du bien-être des différents acteurs.

Séverine Acerbis, directrice de l’Asbl Badje : Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l’Enfance, une fédération pluraliste bruxelloise active dans le secteur de l’accueil des enfants et des jeunes, prône la cohérence et la continuité pédagogique dans les différents milieux que l’enfant fréquente.

Jacques Cornet affirme que les pédagogies actives ont deux caractéristiques : méthodologique et sociopolitique. Sur un plan méthodologique, le but de l’activité est différent de l’objectif d’apprentissage. L’activité permet d’enrôler l’élève mais comment modifier le rapport au savoir à partir des productions de savoir ? La pédagogie active vise à lutter contre les dominations sociales mais les instruments dont elle se dote peuvent être détournés par ceux qui les utilisent dans un rapport hiérarchique. On distingue deux courants en pédagogie active. Certains sont centrés sur les situations-problèmes dans une articulation entre but, objectifs, ressources et contraintes. D’autres comme la pédagogie Freinet s’appuient sur des «méthodes

naturelles». Le risque majeur actuel est la prolétarisation des métiers qu’on ne peut pas délocaliser (dont les enseignants). On a pourtant besoin de travailleurs impliqués et pensant ensemble.

Jacques Bernardin note que les exemples donnés dans les deux temps de vidéos montrent des enfants passant des moments agréables. Mais au-delà se pose la question des apprentissages : qu’est-ce qu’on apprend ? Quand apprend-on ? L’école est le lieu du passage d’un patrimoine culturel, d’une communauté d’appartenance. Le développement de l’enfant passe par son désenclavement ; c’est en proposant des choses qu’il n’a jamais connues et qu’il peut ne pas aimer dans un premier temps. En proposant des espaces de confrontations de points de vue, l’école donne des outils à penser et de pensée. Il faudrait reprendre la distinction entre information, connaissance et savoir. La zone de tension pour les pédagogies actives est la place de l’activité si des moments réflexifs ne viennent pas assoir les objectifs d’acquisition de savoirs.

Après un débat avec la salle portant sur la parité, la posture d’accueil pour lutter contre les discriminations sociales, l’accompagnement des jeunes enseignants entrant dans une pédagogie active, l’accueil des enfants en situation de grande pauvreté, Laurence Vielle, poétesse nationale conclut à sa manière ce colloque en déclamant un texte «  à fleur de », création faite des mots dits ou entendus durant ces trois jours.

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David LallemandChargé de projet chez le délégué général aux droits de l’enfant

Aude GarellyConsultante & coach

Dé-re-construction.Durabilité, cohérence, fierté, autonomie.Créativité.Confiance en soi.Energie.Partage.Ecoute.Diversité.Développement.Contamination positive.Enthousiasme.Respect.Audace.Transversalité.Plaisir.

Pas d’injustice.Pas d’inégalité.Pas de« chouchous ».Avancer doucement jusqu’à ce qu’on arrive au bon niveau pour soi.Etre libre et accepter la différence.Se sentir bien.S’amuser.Ne pas avoir peur de l’échec.S’exprimer !Penser.Ecouter. Etre écouté…Participer.

Aimer apprendre. Aimer enseigner.Lâcher prise.Remettre en question. Prendre le temps.Etre acteur de son apprentissage.Rêver.Oser.Observer.Aspirer à faire autrement.

Tout est là, en quelques mots. Trois jours de réflexions, d’échanges, de débats, d’ateliers, de conférences… résumés en quelques mots par celles et ceux qui y ont participé. Car ces mots, ce sont les leurs, les vôtres. Ceux qui vous sont venus spontanément à l’esprit quand il s’est agi de définir au lance-pierre les pédagogies actives lors du colloque international organisé par la COCOF sur le sujet en mars 2018. Regards croisés. Sur les pratiques. Un défi gigantesque relevé notamment grâce à l’originalité de la formule participative proposée, malgré la jauge impressionnante (jusqu’à 800 personnes dans une salle), malgré les écueils, malgré les conventions et les clichés. On ne pouvait pas faire un colloque«  classique  » -où apprenants et experts se rencontrent rarement vraiment- sur une question qui touche aux intelligences multiples, aux échanges, aux remises en question. Un défi relevé aussi grâce à la présence des enfants et des jeunes, réelle ou virtuelle, au cœur des discussions, puisque au cœur de ces dynamiques.

Ils sont beaux aussi les mots, les verbes, choisis par les enfants pour parler des pédagogies actives. Ces mots autour desquels se sont tissés les fils des intelligences collectives mises en commun pour tenter d’avancer avec les difficultés et facilités qui émergent dans toute évolution de paradigme. Avancer toujours mieux, toujours plus loin- et en respectant les rythmes différents-, ensemble – enfants et adultes - vers une école émancipatrice et bienveillante qui accueille toutes les différences comme une richesse.

Autant de conseils, d’espoirs, pour réussir l’école de demain dès aujourd’hui dans une sphère bienveillante où chacun.e trouvera sa place. Pas une place assignée parce que l’enseignement est obligatoire. Sa place, celle qui mène à la construction d’un jeune puis d’un adulte citoyen responsable, prêt à contribuer à la vie de la communauté en même temps qu’il ou elle s’épanouira dans sa vie personnelle. Sa place à l’école qui mène à sa place dans la vie, dans la société. Malgré les écueils, malgré les conventions et les clichés.

Pari réussi donc. Celui de soumettre à la critique des enfants et des jeunes un système qui les concerne au premier plan mais dont les adultes décident, presque exclusivement, des tenants et des aboutissants. Pari réussi que celui de travailler en même temps l’académique, le scientifique, les émotions, les affects, qui sont trop souvent séparés lorsqu’il est question d’aborder le scolaire. Comme si les uns pouvaient se concevoir sans les autres.

Il n’y a pas une mais des pédagogies actives. Elles ne mènent pas toutes à la réussite – telle qu’on l’entend trop traditionnellement encore ou qu’elle est définie notamment dans«  l’employabilité » des élèves – et sont parfois contreproductives quand elles répondent à la mode plutôt qu’aux besoins des enfants. Il fallait donc les réfléchir, les tester, les mettre en débat.

Vous l’avez fait. Dans l’intérêt supérieur des enfants et des jeunes. Par, pour et avec tous les membres de la communauté éducative.

Nous sommes heureux d’avoir eu l’occasion de contribuer à notre mesure à ce projet, et de ramener dans nos poches quelques-uns de ces moments, quelques-unes de ces rencontres. Cela nous alimente jour après jour.

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ET MAINTENANT ?Créer une école, c’est réfléchir au monde à venir. Ce monde incertain dont personne ne sait de quoi il sera fait.

C’est donc apprendre aux élèves à trouver les clés pour comprendre le monde. Comprendre le monde tel qu’il a existé, tel qu’il existe et tel qu’il existera.

C’est faire en sorte que les élèves acquièrent progressivement une autonomie de penser et une autonomie d’action. C’est les amener à développer leur pensée critique dans une perspective de réelle émancipation.

Créer une école, c’est réfléchir à ce qu’il est important de transmettre aux élèves pour qu’ils trouvent et prennent leur juste place dans ce qui sera leur monde.

Créer une école, c’est réfléchir à cette juste place … Quelle place, quel rôle souhaitons-nous pour nos élèves et dans quelle société ?

C’est donc faire des choix politiques et tendre vers une société moins inégalitaire, une société plus juste et plus humaine pour tous et pour chacun, une société où la coopération prime sur la compétition, une société dans laquelle la relégation n’a pas sa place. C’est faire le pari du«  Tous capables » et du« Tous capables ensemble » et favoriser la réussite de tous les élèves.

Créer une école, c’est construire collectivement et à tous les niveaux, à la mise en place de ces belles intentions.Construire avec le Pouvoir Organisateur qui, avec les deux nouvelles écoles à pédagogies actives mais aussi avec l’ensemble de ses écoles, ambitionne de

« Réactiver l’Ecole ».

Construire avec la communauté éducative en lui ouvrant des espaces de co-construction, de réflexion et de réflexivité, des espaces où elle pourra développer son intelligence collective. Au sein de ses espaces, c’est travailler les représentations, c’est travailler collectivement à une meilleure connaissance de la diversité des publics accueillis à l’école et de leur réalité de vie. C’est apprendre à identifier ce qui fait obstacle aux apprentissages et c’est donner du sens aux activités d’enseignement. C’est se former aux pratiques coopératives. C’est se remettre perpétuellement en question.

Construire avec les élèves afin de leur permettre d’être auteurs de leurs apprentissages en leur offrant de véritables espaces de démocratie participative dans lesquels ils auront un véritable pouvoir de discussion et de décision. C’est également leur offrir des espaces architecturaux qui leur permettront un autre rapport au temps, à l’espace et aux savoirs. C’est aussi les Relier à la Nature.

Construire aussi avec tous les partenaires qui gravitent autour de l’école et réfléchir à comment offrir une juste place aux parents afin que le dialogue puisse s’instaurer dans un souci de coéducation et dans le respect des rôles de chacun.

Créer une école, c’est encore bien plus !

Et pour la Cocof, que ce soit dans ce magnifique nouveau projet ou dans les écoles existantes, ce n’est pas demain, c’est MAINTENANT !

AM

V+, M

SA, 51N

4E

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Laurence ViellePoétesse nationale de 2016 à 2018

Les pédagogies alternatives, un grand chant, un grand champ de possibles, des graines à planter, À faire pousser des graines de possibles, de peaux cibles…À fleur de peau cibles, de tous nos possibles, oui À fleur du grand champ des pédagogies alternativesÀ fleur de « qui est dans la salle ce matin » ? des professeurs ? des directeurs d’école ? les directeurs sont côte à côte ? À fleur de juste parent À fleur de « pas d’enfant ici, pas d’enfant; alors on va les écouter, les principaux concernés absents ce matin »À fleur de pour qui ? pour quoi ?

À fleur de modifier le rapport au savoir en modifiant les rapports de production du savoirÀ fleur de quoi, à fleur du site du Ceria, à fleur de discuter avant de poser les briquesÀ fleur de « les points ne prouvent rien », dans la vie les points doivent pas compterÀ fleur de « j’ai eu zéro je suis zéro ? » À fleur de que veut dire la réussite ?À fleur d’internet vaut mieux que le prof, l’information est déjà en forme dans les médiasÀ fleur d’inquiéter les certitudes des élèves pour retrouver la saveur du savoir

À fleur d’émancipation, de mise en ordre du chaos du mondeÀ fleur de pédagochaos, d’alterchaosÀ fleur d’alter, d’alter monde, d’alter éducation, d’alter vie, d’alter apprentissage d’alter tissageÀ fleur de tissage, à fleur de chants, de chants de vie, à fleur de « rage rage contre la mort de la lumière »À fleur de travailler à ton rythmeÀ fleur d’expérimentationÀ fleur d’autre chose tout autre chose, autre chose que quoi, que quoi ? À fleur de garde ta pensée en éveil, ton corps en éveil, ton cœur en mouvementÀ fleur des champs, de fleurs en mouvement

À fleur de vies. Les nôtres et celles de nos enfantsÀ fleur de badge « éducation hors scolaire » épinglée sur ton cœurÀ fleur de faire entrer l’école dans notre vie, une place dans l’école, une place dans la vieÀ fleur de droit au repos droit au loisirÀ fleur de plaisir, oui de plaisirÀ fleur de jeu, de pédagojeu, pédagojubile, pédagodébile, pédagobilleÀ fleur de gratte poilÀ fleur de je me sens bien, je me sens libre, je me sens accepté, je me sens au même niveau que les autres, je me sens écoutéÀ fleur de mixité, de participation, de rythmes scolaires, d’auto-évaluationÀ fleur d’être apprécié, de s’apprécier, d’apprécierÀ fleur d’égalité, d’autonomieÀ fleur d’apprendre plutôt que réussirÀ fleur de l’école c’est la vie. Ça doit pas être autre choseÀ fleur de travail d’équipe, d’être ensembleÀ fleur de pas de stress, de penser comme on veutÀ fleur de plaisir, de bienveillance, de découverteÀ fleur d’aimer apprendre, d’aimer enseigner, d’enseigner aimer, d’apprendre à aimer, d’apprendre à enseigner, d’enseigner à apprendre, d’aimer aimerÀ fleur de partage, d’écoute, d’apprendre à travailler ensemble. À fleur de responsabilité, de place, de pouvoir, les mêmes mots que le politiqueÀ fleur d’être au-delà du champ de l’écoleÀ fleur de quelles fleurs ? Quels enfants y ont accès ? quel est le rôle des parents ? À fleur de mystère, à fleur de dérivesÀ fleur de réfréner Freinet ? à fleur de Freinet dans le technique ? À fleur de culot d’avoir du culot pour ça ?À fleur de restituer à l’individu sa dignité d’être un individu d’aujourd’hui et pour demainÀ fleur de donner la parole aux femmes, actrices de terrains essentielles, la proportion des intervenants de ce colloque n’est pas justeÀ fleur de lâcher prise, à fleur d’oser innover, à fleur d’échec, d’apprendre en se trompantÀ fleur de confiance en soi

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À fleur d’engagement, d’exigence, de motivation à apprendreÀ fleur d’audace, de transversalité À fleur d’inattenduÀ fleur de travailler de manière coopérative, collaborativeÀ fleur de ffffff ffffffff à fleur de feu feu feu à fleur d’entretenir le feuÀ fleur de transmettre le patrimoine culturel et contribuer à une sociabilisation élargie À fleur de cohabitation, de construire du commun, À fleur d’ouverture aux transformationsÀ fleur de désenclavement, de compréhension du monde élargieÀ fleur de mettre en place des cadres pour permettre de prendre ta place sans qu’on te la donneÀ fleur de jamais oublier qu’il y a un enfant, un adolescent derrière l’enseignementÀ fleur d’oubli sous obsessions bureaucratiques de programmes, de contraintesÀ fleur de repenser repenser repenser, chaque fois repenserÀ fleur d’exigence et d’éducabilitéÀ fleur de pour tous les enfants oui oui pour tous les enfantsÀ fleur de confiance, de cœur ouvertÀ fleur de lutter contre toutes les formes de domination socialeÀ fleur de fffff fffff f à fleur et à feu ! à fleur de garde, le feu garde le jeu au cœur de toiÀ fleur de peau, à fleur de peaux cibles oui, reste ému, reste lentLe champ oui, je te le dis un grand champ de possiblesun grand champ d’alter monde, de maintenant, de monde de maintenant, ah non peut-être ?

À fleur de désir, garde le désir, écarte la peur, gardons le feu et débattons et luttons et actons et gardons pour toujours au cœur de l’enseignement la parole de l’apprenant, le désir de l’apprenant, le feu de l’apprenant, à feu à feu à feu les pompédagogiers ! à feu ouvert !

Il faut brûler pour briller ! Gardons le feu !

Apprenons à aimer, aimons apprendre, aimons aimer

Organisées par l’Institut Roger Guilbert, Campus du CERIA

2 sessions (actuellement programmées le samedi) :

1. Pour l’enseignement fondamental en 13 modules d’une journée

2. Pour l’enseignement secondaire en deux parties : initiation (6 modules d’une journée) et approfondissement (12 modules d’une journée)

Visitez : www.ceria.be/irg pour plus de détails

Personne de contact : Nathalie EVERAERTS - [email protected]

Méthodes actives

Co-constructiondes apprentissages

par et avec les élèves

Actionspédagogiques

interdisciplinaires

FORMATIONS AUX PÉDAGOGIES ACTIVES

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INDEX ALPHABÉTIQUE DES INTERVENANTSA

ACERBIS, Séverine

B

BAANAN, NisrineBAYE, ArianeBEAUDELOT, PatrickBEGHIN, ValérieBERNARDIN, JacquesBIESEMANS, FrédériqueBLUMFARB, DanièleBOCKEN, Pierre-Arnaud BONNARD, JacquelineBOUCHER, DanielleBOULEY, JustineBRASSEUR, StéphanieBRIES, JannickBUDHAN, SouhailaBUDO, FrançoiseBUEKENHOUDT, Alain

C

CAILLIEZ, Jean-CharlesCARREZ, Jérémy CHABRUN, CatherineCHALMEL, LoïcCHEVALIER, Sébastien CLOSE, SarahCORNET, JacquesCOSTEL, GrigorasCREETEN, Rudi

D

DANSE, CédricDAVAIN, ThibautDELCROIX, GeoffreyDE LIEVRE, BrunoDEPIERREUX, FlorenceDERUDDER, SophieDESSAINT, IsabelleDORTU, Véronique

E

ECH-CHAQROUNI, Ikram

F

FAGNANT, AnnickFAILLET, VincentFAULX, DanielFONCK, Jean-FrançoisFOURGAUT, JanickFRUSCH, Julie

G

GALAND, BenoitGARREAU, Liliane GARELLY, AudeGAUTHIER, RomainGERARD, JustineGROOTAERS, Dominique(DE) GROOTE, JulieGROSJEAN, Sandrine

GUILLAUME, FrançoiseGUTT, Hélène

H

HAC, Audrey HARCKMAN, AnabelleHOUDART, Emmanuel

J

JAMIN, Virginie

K

KASS, Jacques

L

LAANAN, FadilaLALLEMAND, DavidLAMBRECHTS, BernadetteLANDROIT, HenriLANTERNIER, DominiqueLIEGEOIS, CatherineLOCHET, Catherine

M

MARLOT, LauraMARTH, DavidMASSART, DanielMAWET, FredMAZALTO, MauriceMERENNE, Laurent MICHIELS, ThomasMILIS, MarieMOENS, JulieMOTTINT, OlivierMOUCHERON, Isabelle

P

PEDE, Fabian

PEPINSTER, CharlesPIERRE, CécilePINCHART, CédricPIRARD, Judith

R

REUTER, YvesROLAND, ElsaRUPF, Frédéric

S

SAHNOUN, MehdiSERINA-KARSKY, FabienneSOUHAIT, MélanieSTASZEWSKI, Michel

T

TALBOT, LaurentTALHAOUI, AminaTHIRY, MichelTILMAN, FrancisTRICOT, AndréTUERLINCKX, Amandine

V

VAN LAETHEM, LauraVAN LINT, SylvieVAN MALDER, IsabelleVERSELE, JulieVIATOUR, LucVIELLE, LaurenceVINCENT, Coline

W

WILMET, Emilie

Z

ZEINEDINNE, Donia

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Coordination : Cécile De Blauwe et Ariane Merland

Nous remercions les membres de la cellule pédagogique du CERIA pour leur relecture attentive

Dépôt légal : D/2018/2239/03

Vous retrouverez cette publication sur www.colloque-pedactives-cocof.com

Editeur responsable :Bernadette Lambrechts42, rue des palais1030 Bruxelles

Crédits photographiques :Couverture, pp192 et 255 : Stéphane Corbesiersp2 : Shutterstockpp51-52 : Maurice Mazaltop258 : Image d’études préliminaires du projet des nouvelles écoles, bureaux d’architecture AM V+, MSA, 51N4E