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Recueil de discours idéologiques (sur l’axe social ou l’axe des rapports sociaux) (Textes idéologiques et analyses de textes idéologiques) Un recueil d’articles publiés entre 1981 et 1997 et rendus disponibles avec la permission Le Devoir, Le Soleil et Le Monde diplomatique ainsi qu'avec la permission de M. Pierre Lemieux (libéralisme libertaire) Textes colligés et préparés pour le cours de sociologie Individu et société, 387-960-91 Un recueil de 83 pages Chicoutimi, 6 septembre 2000

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Recueil de discoursidéologiques

(sur l’axe social ou l’axe des rapports sociaux)

(Textes idéologiques et analyses de textes idéologiques)

Un recueil d’articles publiés entre 1981 et 1997et rendus disponibles avec la permission

Le Devoir, Le Soleil et Le Monde diplomatiqueainsi qu'avec la permission de M. Pierre Lemieux (libéralisme libertaire)

Textes colligés et préparés pour le cours de sociologieIndividu et société, 387-960-91

Un recueil de 83 pages

Chicoutimi, 6 septembre 2000

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Discours idéologiques, axe du social 2

Table des Matières

Table des matières 3

1. Par KOSTAS VERGOPOULOS, “ Le néo -libéralisme contre l'État ?” in LE MONDEDIPLOMATIQUE, Paris, no 328, juillet 1981, page 30

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2. Jules-Pascal Venne, “ Les défis actuels de la social - démocratie ” in LE DEVOIR, le 3 sep-tembre 1983, page 13 —Idées

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3. PIERRE LEMIEUX, “ LE NOUVEAU LIBÉRALISME — I- La souveraineté de l'indiv i - du ”, LE DEVOIR, le 20 décembre 1984, page 9 — idées

11

4. PIERRE LEMIEUX, “ LE NOUVEAU LIBÉRALISME — II- Problématique de l’État li b - éral ”, in LE DEVOIR, le 21 décembre 1984, page 9 — idées

14

5. YVES VAILLANCOURT, “ L’ILLUSION LIBÉRALE, ou la bonne exploitation d’une ph i - losophie bon marché ”, in LE DEVOIR, 9 janvier 1985, page 8 —Idées

17

6. Jean Guay, Gilles Labelle et Daniel Lapointe, “ Un parti socialiste au Québec ? ”, in LEDEVOIR, le 15 janvier 1985, page 9 —idées.

19

7. Rudy Lecours, “ Marcel Pepin croit être en mesure de séduire plusieurs orthodoxesdéçus ”, in Le Soleil, le 28 janvier 1985, page B-2

21

8. RUDY LE COURS, “ Pepin invite les péquistes orthodoxes à se joindre au Mouvementsocialiste ”, in Le Devoir, 28 janvier 1985, page 2

23

9. Denis Clerc, “ PLUS DE MARCHÉ, MOINS D'ÉTAT. Un programme pour la droite ? ”, inLe Monde diplomatique, Paris, no 375, juin 1985, page 28

25

10. Réjean Lacombe, “ Pierre Marc Johnson et le virage socio - économique. Sortir de l'ère de"l’ État-Providence"” , in Le Soleil, 14 août 1985, page B-3

29

11. Pierre LEMIEUX, “ L’individualisme renaît en Amérique ”, in La Presse, le 28 août 1985,page A 7 — tribune libre

31

12. Jocelyn DUMAS, “ TABLE RONDE SUR L'ÉCONOMIE. Il faut libérer le citoyen etl’entreprise d'un trop lourd joug fiscal et réglementaire pour régler le problème devenustructurel de l'emploi ”, in Le Devoir, 20 novembre 1985, page 4

33

13. Claude Turcotte, “ Un virage dont les causes sont plus profondes qu'on le croit, e s - time - t - on. Le monde des affaires se réjouit d'un discours économique qui valorise le rôledu secteur privé ”, in Le Devoir, 23 novembre 1985, page 4

36

14. Jean-Bernard Robichaud, “ DE L’ÉTAT - PROVIDENC E À L’ÉTAT -INDIFFÉRENCE. —“La Justice sociale ne peut pas être liée à notre capacité de produire la richesse”.”, inLe Devoir, le 30 décembre 1985, page 7 — idées

39

15. René Beaudin, “ Libéralisme et néo-libéralisme. La querelle des anciens et des mode r - nes ”, in Le Soleil, samedi 29 mars 1986, page B 3 DOSSIER

41

16. Alain Bonnin, “ Crise économique ou crise politique? Réduire le chômage tout en co m - battant le déficit est à notre portée, mais demande du courage, ce qui manque le plusdans nos classes politiques ”, in Le Devoir, mercredi 20 octobre 1993, page A 9 — Idées

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17. Gilles Massé, “ Pierre Lemieux, anarchiste ”, in revue Jonathan, Avril 1986, pages 17 à19. Montréal, une publication du comité Québec-Israël

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18. Pierre BOULET, “ Fini l' État-Providence... le gouvernement investit dans le bénévolat.—Des millions qui valent des milliards ”, in Le Soleil, 12 avril 1986, page B 1 Dossier

49

19. Pierre BOULET, “ Histoire d'une volte-face pour le moins révélatrice ”, in Le Soleil, sa-medi 12 avril 1986, page B 1 Dossier

51

20. Pierre BOULET, “ Éviter le piège de la privatisation déguisée ”, in Le Soleil, samedi 12avril 1986, page B 1 Dossier

52

21. Jean-Paul L’Allier, “ Les années qui viennent. — L’inévitable social-démocratie ”, in LeDevoir, samedi 24 mai 1986, page A 9, des idées, des événements

54

22. Paul-andré COMEAU, “ BLOC-NOTES. Le débat sur le néo-libéralisme ”, in Le Devoir,Jeudi 17 juillet 1986, page 6

57

23. MARCEL LÉGER, “ De L’État providence à I’État provigain... du moins pour certains ”,in Le Devoir, vendredi 18 juillet 1986 • 7 des idées, des événements

59

24. Pierre-Y. LAURIN, “ Le miroir aux alouettes du libéralisme moderne ”, in Le Devoir, sa-medi, 19 juillet 1986, page A 7 - Idées- événements

61

25. Yves Vaillancourt, “ L'ÉTAT ET LE SOCIAL AU QUÉBEC. — I. À l'époque où l’Étatquébécois jouait un rôle supplétif”, in Le Devoir, samedi 2 août 1986, A 1

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26. Yves Vaillancourt, “ L'ÉTAT ET LE SOCIAL AU QUÉBEC. — II. Le retour du pendule:l’attrait du recours à la privatisation ”, in Le Devoir, lundi 4 août 1986, A 1

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27. Yves Vaillancourt, “ L'ÉTAT ET LE SOCIAL AU QUÉBEC.— III. Le modèle ontarienvu de plus près. Le modèle ontarien: à suivre? ”, in Le Devoir, mardi 5 août 1986, A 1

69

28. Yves Vaillancourt, “ L'ÉTAT ET LE SOCIAL AU QUÉBEC.— IV. Un véritable test:celui de l’aide sociale ”, in Le Devoir, mercredi 6 août 1986, A 1

72

29. PAULO PICARD, “ Compter sur ses propres moyens. — Pour le Congrès du travail duCanada, le NPD est le seul à proposer un projet de société à tendance social-démocrate,mais cette prise de position sera-t-elle profitable au parti le 25 octobre? ”, in LEDEVOIR, le mardi 19 octobre 1993, page A 9 - idées

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30. Bernard Élie, “ Les lois du marché ”, in Le Devoir, 11 avril 1996, page A 6 Éditorial 77

31. MICHEL VENNE, “ Comment le Canada tourne le dos à l'État providence ”, in Le De-voir, Montréal, lundi 24 février 1997, page A1

79

32. Roch Côté, “ Perspectives — Néo-libéralisme, où es - tu ? ”, in Le Devoir, 13 décembre1997, A1

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Le Monde diplomatique, Paris, no 328, juillet 1981, page 30

Le néo-libéralismecontre l'État ?( Retour à la tdm )

Par Kostas Vergopoulos,professeur de sciences économi-ques à l'université de Paris-VIII-Vincennes à Saint-Denis.

Les adeptes du courant dit“néo-libéral” prétendent que cettethéorie ne s'épuise pas avec lecontrôle monétaire de l'économie:elle comprend tout un programmede politique économique positi-vement concevable. Cependant,leur interprétation de la réalitééconomique et sociale se révèlenon seulement tendancieuse, maisaussi pleine de contradictions.

Par exemple, pour M. MiltonFriedman, principal théoricien“néo-libéral”, une société fondéesur l'appât du gain est préférable àune société fondée sur la faim dupouvoir. Comme si, dans le syst-ème capitaliste, les deuxphénomènes — gain et pouvoir—n'étaient pas deux aspects dumême processus social ? En fait,le profit est déjà une formeconcrète de pouvoir, de domina-tion. La lutte pour le profit estdéjà en soi une lutte pour la do-mination. Seuls les esprits naïfsou hypocrites peuvent, tout encondamnant d'un côté la luttepour le pouvoir, glorifier de l'au-tre la lutte pour le profit.

Le “néo-libéralisme” prétendavoir un programme économiquepositif. Pourtant, l’ensemble deses recommandations se résumeen quelques impératifs de caractèreéminemment négatif: réduire lesdépenses de l’État; réduire l'ex-pansion de la monnaie; réduirel'impôt sur l'entreprise, etc. Selonson adage bien connu “tout vabien dans l'économie tant que legouvernement ne s'en mêle pas”:il paraît alors assez difficile d'ad-mettre que les propositions “néo-libérales” contiennent un quel-conque élément de positivité, ouqu'elles puissent offrir un pro-gramme d'action économique po-sitive.

Dans leur lutte contre l’Étatkeynésien, les “néo-libéraux”développent une incroyable offen-sive tous azimuts: tantôt ilsprétendent que cet État fonctionneaux dépens des classes laborieuses- et ils en appellent au peuplepour lutter contrel'État-providence, instrument desriches; tantôt ils considèrent quece même État charge les entrepri-ses à l’excès, compromettant ain-si la incitations à investir - et ilsen appellent aux riches et aux pa-trons pour lutter aussi contre cetÉtat. Autrement dit, face aux pau-vres, les “néo-libéraux” présen-

tent l’État comme l'instrumentdes riches, mais face aux riches,ils le présentent comme une bu-reaucratie parasitaire se dévelop-pant à leurs dépens. Tous lesmoyens sont bons pour susciter larévolte générale des citoyens“contre l'État”. Cependant, cetterévolte vise-t-elle vraiment l'Étaten général ou, peut-être, seule-ment certains de ses aspects touten renforçant par ailleurs certainsautres de ses aspects ?

Les “néo-libéraux” cherche-raient à limiter, si non supprimer,I' appareil d'État moderne tout engardant les structures fondamenta-les de la société capitaliste. Or sil'on prend un certain recul, onconstate que cet État a toujoursété la forme historique concrètedes compromis passés entre lesclasses sociales. S'il y a aujour-d'hui des lois imposant des char-ges sociales aux entreprises ouétablissant un impôt progressifsur le revenu, s’il y a des dépen-ses au titre de la Sécurité sociale,des allocations familiales, des in-demnités contre le chômage, etc.,il serait rigoureusement inexact deconclure que tout cela est le faitde l’État et de l'étatisme. En l'oc-currence, l’État n'a fait qu'entéri-ner les compromis passés entreles classes sociales durant les cin-

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quante dernières années. Pourtant,les “néo-libéraux” ne veulent riensavoir des classes, ni de la luttede classes, ni même de l'histoire.Tous les acquis historiques destravailleurs sont par eux pudi-quement désignés comme des“ingérences” de l’État dans l'éco-nomie. La logique so-cial-démocrate de l’État keynésienqui a prévalu pendant un demi--siècle consistait à canaliser lapression sociale des travailleursen des formes mettant en valeur lafonctions sociales du capital et del'entreprise. Aujourd'hui les“néo-libéraux”, prétendant vou-loir libérer l'entreprise du “poidsécrasant” de l’État et de l'étatismene visent en fait qu'à libérer l'en-treprise de ses fonctions socialeset à imposer la régression del'économie au royaume du despo-tisme absolu du capital.

Le “néo-libéralisme” prôneencore les vertus du marché libreet de la concurrence illimitée. Ilva même jusqu'à affirmer que lemarché libre constitue le seul es-poir des pauvres pour améliorerleur sort, contrairement au syst-ème interventionniste actuel quifonctionnerait exclusivement aubénéfice des couches supérieures.Mais le véritable objectif de ceuxqui se réclament aujourd'hui du“néo-libéralisme” n'est pas telle-ment, on l'a vu, de libérer et derenforcer la concurrence que delibérer les entreprises en généralde leurs charges et fonctions so-ciales. Autrement dit, le vocablede “libéralisme” et l'éloge dumarché libre ne masquent qu'àgrand-peine une offensive généra-lisée contre les acquis historiquesdes classes laborieuses.

Ce “libéralisme” étonnam-ment tronqué implique aussi —contrairement aux abstractions“néo-libérales”— une politiqueétatique musclée pour assurer lamobilisation du capital, compor-tant notamment de multiples for-mes de subventions à l'industrie à

l'aide des fonds de l’État. Ce n'estsans doute pas par hasard que lemodèle de l’État despotique ja-ponais, du temps de la dynastiedes Meiji (inaugurée en 1868)jusqu'aujourd'hui, exerce uneséduction explicite sur MiltonFriedman, les milieux dirigeantsaméricains actuels et les cerclesdu patronat français. Dans cesconditions l'éloge du marché librene serait qu'un simple euph-émisme: la concurrence serait ap-pelée à fonctionner uniquement auniveau du marché du travail, tan-dis que les entreprises seraient for-tement subventionnées, directe-ment ou indirectement, par l’État.Enfin, lorsque le“néo-libéralisme” présente lemarché libre comme une possibi-lité pour la pauvres de s’enrichir,il fait preuve d'une totale mécon-naissance du problème de la pau-vreté considérée sous sa dimen-sion sociale. Il est bien évidentque la mobilité sociale des indi-vidus ne pourra jamais supprimerle problème des classes pauvres,des classes qui, malgré tout, loind'être oisives, sont celles des pro-ducteurs directs.

Le “néo-libéralisme” s'op-pose aussi à la législation anti-trust sous prétexte que lephénomène du monopolisme nepeut être combattu par des lois,proposant comme solution de re-change de renforcer les conditionsde la concurrence libre et illi-mitée. Cependant, ce dilemme,consistant à choisir entre les loisantitrusts d'un côté et le renforce-ment de la concurrence de l'autre,est complètement fictif et imagi-naire et, dans la meilleure des hy-pothèses, il témoigne d’uneméconnaissance de la législationantitrust. En effet, cette législationn'a et ne peut avoir qu'un seul ob-jet: la protection de la libreconcurrence. Faut-il en conclureque les “néo-libéraux” assumentl'idée de marché libre jusqu'à sesultimes conséquences: jusqu'à la

cristallisation de la loi du plusfort, la loi des monopoles ?

Dans les mêmes milieux, onprétend expliquer l'inflation par laquantité de la monnaie en circula-tion. La hausse des prix dit-on,est toujours un phénomène moné-taire. Toutefois, il est évident quecette “explication” se situe auxlimites de la tautologie triviale.Si elle veut souligner que lahausse générale des prix est unphénomène monétaire, on obser-vera que cette explication n'en estpoint du tout une, la hausse duniveau général des prix est unphénomène absolument identiqueà la croissance de la quantité demonnaie en circulation. Dans lameilleure des hypothèses, les va-riations de la quantité monétaireconstituent tout simplement lemécanisme technique par lequelse réalise la hausse du niveau desprix, mais dans tous les cas onreste perplexe; le mécanisme estconnu, mais on ignore aussi bienla nature que les causes de l'infla-tion. Alors que l'inflation est, parexcellence, un problème brûlant,avec des causes et des conséquen-ces sociales extrêmement graves,les “néo- libéraux” escamotentses véritables dimensions, secontentant de présenter innocem-ment le mécanisme technique del'inflation comme une cause.

Les tenants du “néo- libéra-lisme” liquident la question poli-tique et sociale; ils pensent queces aspects peuvent être réglés au-tomatiquement par les mécanis-mes du marché; M. MiltonFriedman affirme que le libéra-lisme économique finit toujourspar rejaillir sur les structures poli-tiques. Mais s'il en était ainsi,comment devrait-on expliquer larésurgence du phénomène autori-taire qui se développe en associa-tion avec les politiques économi-ques “néo-libérales” dans les so-ciétés occidentales ?

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En fait, tout semble indiquerque le modèle économique “néo-libéral” a toujours organiquementbesoin d'un État fort et autoritaire.En régime keynésien, les massesde travailleurs sont intégrées auxformes du pouvoir à travers lamultitude des mécanismes so-cio-économiques del'État-providence. Par contre, dansle régime “néo-libéral”, oùprécisément ces mécanismes en-trent en crise - ce qui permet au-jourd'hui de parler de crise del’État, du keynésianisme, de lasocial-démocratie, des partis, dessyndicats, etc., - il ne reste d'autremoyen pour contrôler les massesque l'appareil répressif, doté desformes juridiques du nouvel auto-ritarisme et de l’idéologie de lamobilisation générale contre lesmenaces pesant sur la sécurité descitoyens. On en conclut que cetteliberté économique dont seréclame le “néo-libéralisme” estassez loin de rejaillir automati-quement sur le plan des libertéspolitiques.

L'expérience du Chili montreque le “néo-libéralisme” en éco-nomie implique inéluctablementun régime politique fortement au-toritaire, sinon despotique, capa-ble de contenir les actions reven-dicatives concertées des masses.Pourtant, les “néo- libéraux” sedisent très satisfaits des progrèsdu “libéralisme” au Chili et par-lent même sérieusement de“miracle économique chilien”.Les points positifs, selon eux, se-raient la baisse du taux de l'infla-tion ramené à seulement (!) 35%par an et la réduction des dépen-ses de l’État de 40% à 30% dansle revenu national. Toutefois, onoublie de signaler que, après huitans de dictature militaire“néo-libérale”, après plusieursvagues d'“assainissements” éco-nomiques et politiques successifspar les disciples du “néo-libéra-lisme”, appelés en l'occurrence les“Chicago boys”, I'économie chi-lienne n'a pas encore aujourd'hui

réussi à rattraper son niveau de1972. Il en va de même en ce quiconcerne le taux de l'investisse-ment dans le produit national chi-lien.

Le moins qu'on puisse sup-poser serait que le modèle chilienactuel, pour conforme qu'il soitaux recettes “néo-libérales”, estencore assez loin de constituer unmiracle économique; non seule-ment la “libéralisation” économi-que de Pinochet ne se reflète pasdans les structures politiques,dissoutes par la dictature, mais ilne semble pas qu'elle parvienne àassurer une croissance de l'éco-nomie dans son ensemble.

La séduction exercée par les régi-mes musclés, autoritaires et des-potiques, sur les adeptes du“néo-libéralisme” est aussiconfirmée par l'importance ac-cordée au modèle japonais, par lesnouveaux dirigeants américains1

comme par le patronat français.Apparemment, ce qu'il y aurait decommun entre le Japon du XIX'siècle et les États-Unis et l'Europeoccidentale d'aujourd'hui seraitune préférence pour la spéculationet l’usure au détriment de l'inves-tissement productif. Au Japon, cefut l'aspect principal de la transi-tion vers le capitalisme modernealors que dans le monde occiden-tal d'aujourd'hui le même probl-ème se présente comme le traitprincipal de la marche à suivrepour sortir de la crise de stagfla-tion. Toutefois, il serait inexactde prétendre que l’État des Meijia agi comme un État libéral; aucontraire, il a usé et abusé de tou-tes les prérogatives de l’appareilde l’État despotique légué par lasociété féodale japonaise. Cet Étata agi sur l'économie en se servantde toutes les formes de contrainte,économique et extra-économique, 1 Cf. Pierre Dommergues,

“Apologie du capitalis-me”, Le Monde, dima-nche, 19 avril 1981

pour assurer l'essor et le dévelop-pement du capitalisme:

- il s'est largement servi desprocédés de taxation sauvagecontre sa propre agriculture etcontre les paysans - en appliquantnotamment des coefficients diff-érentiels d'imposition - pour favo-riser des transferts sociaux aubénéfice du financement du secteurindustriel2;

- il a bloqué autoritairement lessalaires ouvriers à des niveaux ex-cessivement bas;

- il a fortement subventionné -directement ou indirectement - lesprojets d'investissement des en-trepreneurs prives; souvent, l’Étatacceptait de contribuer à ces in-vestissements à raison de 50%,part qu'il cédait ensuite gratuite-ment aux investisseurs;

- il n'a pas hésité à attribuer unmonopole légal à plusieurs firmesindustrielles naissantes;

- souvent, les subsides del’État prenaient la forme d'enga-gements à acheter la productiondes nouvelles entreprises pendantplusieurs années;

- l’État a procédé à la privatisa-tion des entreprises créées avecdes fonds publics acceptant de lescéder à des particuliers à des prixne dépassant pas 15% à 30% desfrais engagés.

Cet État — libéral, selon les“néo-libéraux” — s'est illustrédans l’histoire comme le cham-pion de deux orientations fonda-mentales: la militarisation del'économie sous l’impulsion del’État et une politique protection-niste visant à assurer le monopoledes firmes japonaises sur le mar-ché national, même au prix de la 2 Cf. S. Kuznets, Economic

Growth and Structure,Norton, Londres, 1965.

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violation systématique de tous lesengagements pris en matière depolitique tarifaire en vertu destraités internationaux1.

C’est donc à cet État japonaisque les “néo-libéraux” d'aujour-d'hui pensent pour compléter leurmodèle économique. Maispeut-être que, sur ce point, dansle fond, ils ne se trompent pas: lecomplément nécessaire de l'éco-nomie libérale n'est pas un Étatréduit au minimum, mais aucontraire un État particulièrementmusclé, grand, fort et despotique.Pour eux, le problème fondamen-tal est actuellement de mobiliser àfond toutes les prérogatives del'appareil de l’État pour opérerune série de transferts directs etindirects en faveur des élémentsentrepreneuriaux de la société, etnotamment en faveur des grandesentreprises qui - en raison de leurimportance et de leurs ramifica-tions politico-économiques - peu-vent exercer un rôle dominantaussi bien au niveau du marché etdes échanges extérieurs que dansl'élaboration des nouvelles politi-ques économiques de l’État.

Face au problème de la réces-sion, le keynésianisme préconisaitla croissance du produit brut parla relance de l'investissement,tout en assumant l’hypothèsed'un investissement à profitabilitéinférieure ou nulle financé parl’État. Aujourd'hui, les“néo-libéraux”, face à la crise,jouent la carte de la récession etde l'austérité: leur objectif n'estplus tellement la croissance duproduit brut que celle des profitsau sein d’une production sta-gnante. En fait, il s'agit d'une op-ération par excellence conserva-trice: on ne vise plus la créationde richesses nouvelles, maisplutôt la redistribution des riches- 1 Cf. H. Rosovsky, Capital

Formation in Japan,1868- 1940, Glencoe,New-York, 1961.

ses déjà existantes. L'apparitionde préoccupations exclusivementmonétaristes correspond aux exi-gences de cette nouvelle logique:sacrifier l'économie pour sauver lamonnaie.

Contrairement à ce qu'il pro-met ou laisse espérer, le“néo-libéralisme” s'accomplitnécessairement dans un État for-tement autoritaire et despotique.Cependant, il n’y a là aucunecontradiction avec les prémissesidéologiques de ce mouvement:du “néo-libéralisme”, l’essentielà retenir n'est ni la liberté écono-mique ni la prétendue liquidationde l'étatisme, mais plutôt la sou-mission de la logique de l’État àcelle du capital privé. L’État nedisparaît pas, ne se retire pas del'économie, mais se “privatise”.La liberté dans le marché du tra-vail est complétée par un autorita-risme sans égal dans l'histoire ducapitalisme, notamment au niveaudes politiques de l’État visant lamobilisation du capital. L'analysemacro-économique des organes dela planification publique ne dispa-raît pas, elle s'intègre directementdans l'analyse micro-économiquedes firmes privées (selon l'expres-sion de R. Boyer). Keynes n'estpas évincé, comme on pourrait lecroire, mais se voit intégré dansla vision de F. von Hayek. Sil’État social et l'État-entrepreneursont aujourd'hui directement me-nacés, d'un autre côté les préten-dus “néo-libéraux” s'accommo-dent parfaitement de tous les au-tres aspects du keynésianisme etexigent même le renforcement durôle de l’État dans certains do-maines tels que la politiqueaérospatiale, la croissance desdépenses militaires, aussi bien ducôté de la production que de lademande.

Dans l'histoire du capitalis-me, l’État a toujours soutenu lecapital. Toutefois, cet appui n'ajamais été aussi fort, multiple etinconditionnel que dans les pro-

grammes économiques dits“néo-libéraux”. En définitive, le“néo-libéralisme” n'est peut-êtrerien d'autre que la façade idéolo-gique de l'offensive généralisée dubig business en faveur d'un éta-tisme forcené et autoritaire.

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Le Devoir, Montréal, le 3 septembre 1983, page 13 —Idées

Les défis actuelsde la social-démocratie( Retour à la tdm )

Ces lignes sont extraites d'un do-cument de réflexion, en vue d'uncolloque sur la social-démocratie, préparé sous la direction de M.Jules-Pascal Venne, conseiller auprogramme du Parti québécois.

La croissance continue des servi-ces publics depuis vingt ans aamené beaucoup de citoyens às'imaginer que les capacités del'État étaient illimitées. Tel n'estplus le cas. À l'abondance desannées 60 a succédé une certainepénurie, à l'opulence de l'État,une rigueur certaine. La propor-tion du PIB consacrée aux dépen-ses publiques ne peut continuerde croître indéfiniment. Les résis-tances individuelles et collectivesà une telle expansion vont d'ail-leurs en s’amplifiant, le travail aunoir en est une manifestation.

Il devient donc de plus en plusdifficile de lancer de nouveauxprogrammes sociaux universels etcoûteux. Le problème consistemaintenant à savoir si l'argentdépensé l'est à bon escient et estaffecté aux bons endroits.

Remise en cause de certainespriorités

Les citoyens se posent aujour-d'hui de plus en plus de questionssur l'efficacité de certains pro-grammes sociaux.

Ainsi, Ivan Illich souligne lacontre-productivité des équipe-

ments collectifs et des grandesinstitutions sociales la médecinehypersophistiquée finit par rendremalade, l’école désapprend...Dans certains cas, la distance en-tre des décisions à caractère socialdes États modernes et les usagesqu'on fait des services font ensorte que les objectifs se trouventdétournés de leurs buts premiers.

D'autres critiques plus vigou-reuses traitent de l'efficacité desactions redistributrices des Étatsmodernes et des programmes so-ciaux universels et les remettenten cause. Certaines études mon-trent que les programmes sociauxles plus importants profitent dansune large mesure aux classesmoyennes.

Nos sociétés ont connu, depuisvingt ans, des changements éthi-ques et culturels qui ont modifiéles critères de la pauvreté. Onconstate aussi que les mesures desécurité du revenu ont amélioréles revenus des personnes âgéesmais n'ont pas tenu compte denouvelles formes de pauvreté quiaffectent les jeunes ou les famillesmonoparentales dont le chef deménage est une femme.

Ainsi, 44% de cette dernièrecatégorie de familles vivaient en1980 sous le seuil de la pauvreté,alors qu’elles ne constituaient que8% de l’ensemble des famillescanadiennes. Le pourcentage desjeunes de moins de 24 ans vivant

sous le seuil de la pauvreté estpassé de 20,4% en 1979 à 23,8%en 1980, et pourtant, ce derniergroupe d’âge décline par rapport àl'ensemble de la population cana-dienne.

Nouvelles formes d’inégalité

Avec là crise économique, denouvelles formes d'inégalité sontapparues. Par exemple, le resser-rement du marché de l'emploi en-gendre de nouvelles inégalitésdifficilement visibles, mais nonmoins insupportables, entre lessalariés des secteurs économiquesprotégés et les autres, entre ceuxdu secteur public et ceux du sec-teur privé, sans compter le nom-bre grandissant des travailleurs ettravailleuses occasionnels soumisà des conditions de travail desplus précaires. Dès lors la garantieet la sécurité d'emploi, la durée etles conditions de travail, l'avan-cement relié à l'ancienneté, lespossibilités de formation et depromotion, tous ces facteurs doi-vent être comptabilisés. Notre vo-lonté de mieux répartir la richessecollective devrait en tenir compte.Il faudra également s'attacher àaméliorer les conditions de vie deceux et celles qui ont rarementdroit de parole dans notre société,faute d'organisation et de groupesde pression: les salariés non syn-diqués, les milliers de jeunes enchômage, les milliers de travail-leurs et de travailleuses “au noir”

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Discours idéologiques, axe du social 9

de l'économie parallèle ou clan-destine.

Que faire? Sinon réfléchir à denouvelles formes de redistributionde la richesse collective et du tra-vail.

VERS UN NOUVEAUCONTRAT SOCIAL

L'un des éléments les plus posi-tifs de la concertation naissante auQuébec aura certes été la créationde lieux de rencontres etd’échanges, qui ont permis depercer les murs du silence et derompre avec la confrontation. Onsent se dégager une nouvelle men-talité, de nouveaux rapports. Maisbeaucoup de chemin reste à par-courir. D'abord, il faudrait que lesinitiatives ne viennent pas seule-ment de l'État mais des partenai-res eux-mêmes. Il faudrait aussiqu'au sein des entreprises el-les-mêmes s'établissent des ac-tions concertées.

Nouvelle mentalité

Tout mécanisme d'actionconcertée doit obligatoirements’accompagner d'un changementde mentalité, d'une nouvelleculture née de relations basées surla solidarité et non plus sur laconfrontation.

Il semble bien que ce type deconsensus ne soit pas donné audépart. Il apparaît plutôt commeune conquête qui suppose un longapprentissage historique de miseen commun.

Les résultats des nombreusesconférences tenues à ce jour auQuébec se résument essentielle-ment à quelques centaines d'enga-gements dont l'État est à toutesfins utiles le seul responsable. Eneffet, les porte-parole patronaux etsyndicaux ne sont dépositairesque d'une infime partie de ces en-gagements. Une chose est évi-dente: l’État seul a ouvert ses li-

vres et discuté de ses politiquesalors que les partenaires étaient làessentiellement pour faire valoirleurs revendications. Le rôle del'État dans l'économie est fonda-mental, certes, mais nous devonsconvenir que les arbitrages fon-damentaux entre les partenairesn'ont pas fait l'objet de discus-sions approfondies en partie àcause des résistances patronales etsyndicales engendrées par de lon-gues années de rapports conflic-tuels.

Jusqu'ici les mécanismes deconcertation ont essentiellementété appliqués au déblocage dedossiers. Les mécanismes deconcertation doivent aller plusloin que de dénouer des crises ré-elles ou appréhendées, que deprocéder à la dernière minute àdes arbitrages difficiles. Idéale-ment, un contrat national devraitpermettre d'établir des prioritéséconomiques et sociales etd'aboutir à une entente entre par-tenaires sur la responsabilité dechaque agent dans le développe-ment économique et les prioritéssociales. À cet égard, les enjeuxsont majeurs et suscitent de nom-breux points d'interrogation.

Des questions pertinentes

—Jusqu'à quel point, auQuébec, I'État peut-il et doit-iljouer le rôle, non seulement derégulateur, mais de moteur del'économie?

—Faut-il étendre davantage lesecteur public de l'économie,mieux coordonner les objectifs etl'action des sociétés d´État, de-puis la Société de développementindustriel (SDI), la Sociétégénérale de financement (SGF)jusqu'à la Caisse de dépôt?

—Jusqu'à quel point le secteurprivé est-il prêt à harmoniser sespriorités, dans les domaines del'investissement et des change-

ments technologiques, avec ceuxde la collectivité?

—Le secteur coopératifquébécois entend-il s'impliquerdavantage dans ce processus?

—Les syndicats et le patronatsont-ils - vraiment intéressés à denouvelles formules de gestion?Faut-il favoriser une certaine par-ticipation des travailleurslà-même où ils ne sont pas syn-diqués?

—Comment assurer une repr-ésentation de tous lesnon-organisés dans le processusde consultation et de concerta-tion?

—Certains intérêts corporatistesaccepteraient-ils de réduire en par-tie. leurs privilèges afin de per-mettre à l’État d'aider davantageles plus démunis?

On pourrait ainsi multiplier lesquestions. Ce ne sont pas tant lesinstitutions qui manquent pourréaliser un dialogue qui permet-trait au plus grand nombre de ci-toyens de participer et de prendreen charge le développement duQuébec. Ce qui manque encore,c'est une mentalité différente unevolonté ferme de discuter desvrais problèmes de la société et deprocéder solidairement au chan-gement social autrement que pardes pressions politiques d'inspira-tion corporatiste.

Solidarité sociale

On a longtemps cru que l'ex-pansion des services publics allaitengendrer un renforcement de lasolidarité sociale. Malheureuse-ment, on a vu parallèlement àcette expansion se construire et sestructurer, sur le modèle centraliséde l'État, des groupes de pressionde toutes sortes, ce qui a eu poureffet de compartimenter davantageentre eux les membres de la so-

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Discours idéologiques, axe du social 10

ciété. Ces groupes de plus en pluspuissants, nantis de

Suite à la page 14

Défis Suite de la page 13

moyens de pression proportion-nels à leur force, négocient tropsouvent avec l'État sur un modèleclassique d'affrontement, laissantl'ensemble des citoyens sans prise

face à ces “monstres froids.. Noussommes passés d'un État égali-taire et pourvoyeur de services etde justice sociale à unl’État-clientélaire dont les déci-sions sont prises en fonction detel groupe de pression, de telleclientèle, au détriment de l'intérêtgénéral.

Ce mouvement de responsabili-sation s'inscrit pleinement dans lamouvance sociale-démocrate et

souverainiste. Pour qu'il prennede l'ampleur, l’attitude de dépen-dance envers l’État, attitude quis'est généralisée depuis le débutdes années 60, devra faire place àun désir d'autonomie plus pro-noncé. De nouveaux lieux, denouvelles formes de rapport entreles citoyens, les groupes et }'État,à tous les niveaux, devront êtredéveloppés.

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Le Devoir, Montréal, le 20 décembre 1984, page 9 — idées

LE NOUVEAULIBÉRALISME

I- La souveraineté de l'individu

( Retour à la tdm )

PIERRE LEMIEUX

Écrivain et économiste, l'auteurest conseiller économique à Mon-tréal,

Quels sont les fondementsthéoriques du grand courant lib-éral actuel (parfois appelé“néolibéral”) ? Quel rôle s'ensuitpour un État respectueux de la li-berté individuelle ? Ces deuxcourts articles visent à résumerl'apport de la problématique lib-érale contemporaine à la questionde l'individu devant l'État.

Évidemment, je prends leterme “libéral” au sens français, etnon au sens américain qu'ont as-sumé nos partis politiquessoi-disant libéraux mais en réalitésociaux-démocrates. Le libéra-lisme couvre un vaste éventailphilosophique qui va du libéra-lisme classique à l'anacho-capitalisme (voir mon Du libéra-lisme à I'anarcho-capitalisme, Pa-ris, Presses universitaires deFrance, 1983). Aux antipodes ducollectivisme et de l’étatisme, lelibéralisme est un individualismequi affirme la primauté del’individu sur la société, la souve-raineté de l’individu.

L’inadmissible souveraineté del’État

Tout à l'opposé, Staline, Hi-tler, Mussolini et Olaf Palme par-tagent une croyance commune:l'effacement nécessaire de l'indivi-du devant les exigences collecti-ves, c'est-à-dire la souveraineté del’État.

Pour un libéral, la souverai-neté de l’État, y compris de l’Étatdémocratique, est inadmissible.De quel droit, grand Dieu!, ungroupe d'hommes auraient-ils tousles droits à l’égard des autres ?Pour les protéger? Mais alors quiles protégera contre leur protec-teur? Au lieu de permettre auxmieux intentionnés de faire tout lebien dont ils se croient capables,un régime libéral est conçu demanière à empêcher les pire defaire tout le mal que le pouvoirrend possible.

La souveraineté de la majoriténe peut davantage se réclamer duconsentement libre et unanime desgouvernés en vertu d'un contratsocial à la Rousseau. En effet, unindividu rationnel ne confieraitpas un pouvoir illimité à une ma-

jorité de peur de se retrouver plustard dans une minorité opprimée.

Bref, un État libéral ne peutêtre souverain, c'est-à-dire détenirl'autorité suprême. Mais le libéra-lisme ne se contente pas de rejeterla souveraineté de l’État; il s'ap-puie sur trois grandes philoso-phies de l'individualisme.

L’efficacité de l’individualisme

L'efficacité de l’individua-lisme constitue l’un de ces piliersdu libéralisme contemporain. Lagrande leçon, la seule leçonpeut-être, de l'économie est qu'unesociété fondée sur la souverainetéde l'individu non seulement fonc-tionne toute seule sans l'interven-tion constante de l'autorité, maisque l'ordre social ainsi créé est ef-ficace. Le capitalisme en fournit ladémonstration éclatante dans ledomaine de l'économie. Chacunagissant dans son intérêt person-nel sur le marché contribue auto-matiquement à l’intérêt de tous.

Cette idée, déjà présente chezles libéraux classiques, a été raf-finée par les économistes moder-nes (dont Milton Friedman), etglobalement reformulée par Frie-

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drich Hayek dans sa trilogieDroit, législation et liberté (tra-duite de l'anglais par Raoul An-douin, en trois volumes, ParisPUF, 1980-1983). Les institu-tions sociales, y compris le droit,se développent spontanément se-lon un processus automatique desélection des plus efficaces.

L’avant-garde de la gauchecontemporaine redécouvre ce génied'une société autorégulatrice: “Ilest dans l’intérêt général que toustravaillent contre l'intérêt général”,écrit Edgar Morin.

Dans une perspective libérale,l'intérêt général n'est, en vérité,que l'intérêt commun de tous lesindividus dans l'existence d'unesociété où chacun peut poursuivrepacifiquement ses intérêts indivi-duels sur le marché. Contraire-ment à ce que croient desoi-disant libéraux, l'intérêtgénéral ne se définit pas comme lasomme d’intérêts particuliers qui,quand ils s'expriment politique-ment, débouchent sur des privilè-ges coercitifs accordés à certainspar l’État (protections syndicales,corporatistes ou douanières, parexemple).

Individualisme ne signifie pasnécessairement égoïsme, et l'al-truisme spontané est une vertuconstitutive d'une société libre. Etc'est, au contraire, à mesure quel'emprise de l'État armé empiètesur la société civile que s'effacentle sens personnel de la responsabi-lité civique ainsi que' les solida-rités naturelles de la famille et desassociations privées.

Un contrat social unanime

Le contractualisme représentela deuxième grande théorie indi-vidualiste.

Par définition, le contratexige l'unanimité des contractants,garantissant ainsi les avantages dechacun. La souveraineté de l'indi-

vidu se justifie alors par l'axiomeque personne ne sait mieux quel'individu ce qui est bon pour luiou, à tout le moins, qu'on ne saitpas qui sait mieux ou dans quelscas. Une société contractualiste,où chaque individu compte réel-lement pour un, est indiscutable-ment supérieure à une société ma-joritariste, où certains individusimposent à d'autres des contrain-tes qui ne sont pas acceptées indi-viduellement et librement.

D’où l’idée d’étendre lecontractualisme économique auniveau politique: que personne nesoit soumis à une obligationlégale à laquelle il n'a paslui-même, individuellement,consenti. C'est ce problème, simal résolu par Hobbes et Rous-seau, que reprend la théorie ducontrat social unanime de JamesBuchanan, père de l'école du pu-blic choice (voir Buchanan, TheLimits of Liberty. Between Anar-chy and Leviathan, Chicago, Uni-versity of Chicago Press 1974).

À partir d'une situation hy-pothétique d'anarchie, les droitsde propriété naissent des incita-tions d'individus rationnels àréduire leurs dépenses mutuellesde pillage et de protection. Uncontrat constitutionnel est signé àl'unanimité qui définit des droitsde propriété et, en un deuxièmetemps, crée un État protecteur deces droits, qui lui sont donc ant-érieurs et supérieurs. L’État pro-tecteur est constitutionnel et nonpas démocratique, puisque le seulÉtat que des individus souverainsaccepteraient est un État limité.

Le même contrat confie àl’État une mission d'un tout autreordre: produire certains biens quisont présumément désirés par tousmais dont le caractère public renddifficile leur financement libre surle marché (voir le second articlede cette série). Dans ce rôle, l'Étatproducteur agit selon des procédu-res démocratiques requérant moins

que l'unanimité afin de contournerle problème des passagers clandes-tins, c'est-à-dire de ceux qui vou-draient jouir des biens publicssans en payer leur part. On nepeut justifier d'arrangements poli-tiques majoritaristes que commeune approximation, d'unanimité.

Les contractants hypothéti-ques ont le dos large: voilà bienle problème majeur de toute théo-rie politique contractualiste. Ain-si, Buchanan soutient que lecontrat social peut justifier la re-distribution: certains individus àqui leur habileté naturelle au pil-lage fait préférer l'anarchie hobb-ésienne exigeront des plus faiblesune compensation redistributriceavant de consentir à déposer lesarmes. Autrement dit, redistri-buons-leur une partie de nos reve-nus “de peur qu'ils ne viennentcasser les vitres chez nous”.

Les droits individuels

Peut-on légitimer un contratsocial conceptuellement unanimemais auquel certains individusn'adhèrent que sous la menaced’être autrement agressés et ex-propriés par les plus forts ou lesplus nombreux? Un contrat fondésur l'intimidation n'a aucune va-leur. De plus, il s'agit d'un seuldissident ou même d'un seul anar-chiste minoritaire entretenant en-vers l’État une sainte horreur mo-rale pour rendre l'unanimité im-possible.

Ici intervient la longue, di-verse et fructueuse tradition lib-érale des droits de l'homme, quifournit une troisième justificationà la souveraineté de l'individu.Les droits de l'homme sont desdroits individuels inviolables, quipré-existent à tout contrat et quiprotègent également chaque indi-vidu (fort ou faible, riche ou pau-vre, homme ou femme) contre lacoercition d'autrui.

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D'où viennent ces droits in-dividuels.? Des stoïques grecs àHugo Grotius, John Locke, Ro-bert Nozick (Anarchy, State andUtopia, New York, Basic Books,1974) et Murray Rothbard, la tra-dition rationaliste du droit naturelles conçoit comme dérivant de lanature de l'homme. Ainsi, pourRothbard, c'est un fait naturel quechaque individu possède lecontrôle inaliénable de son cer-veau et de son corps, d'où il s'en-suit qu'il en est le propriétaire ab-solu, qu'il a le droit naturel dedéfendre cette propriété (contrel'esclavage ou. disons, la négli-gence criminelle d'une compagniechimique qui déverserait des pro-duits dangereux sur lui) et qu'ildevient propriétaire de tout cen'est pas déjà possédé et qu'il an-nexe à sa personne par son travail(Murray Rothbard, The Ethics ofLiberty, New York, Atlantic Hig-hlands, Humanities Press, 1982).

Le problème philosophiquequi se pose ici est bien connu:comment justifier ce qui doit êtrepar ce qui est, dériver des valeursà partir des faits, des énoncésnormatifs à partir de constatationspositives ? Si on ne peut nier lanature, ne peut-on pas, ne doit-onpas, en corriger certaines consé-quences?

Ultimement, comme la logi-que et les mathématiques, lesdroits individuels reposentpeut-être sur des fondementsaxiomatiques. Certains libéraux,du reste, ont renoncé à leur trou-ver des fondements naturels im-muables, se contentant commeÉmile Faguet de les affirmercontre l'alternative inacceptable dela souveraineté de l'État (voir Lelibéralisme, Paris, Société fran-çaise d'imprimerie et de librairie,1902).

D'une manière ou d'une autre,la, théorie du droit naturel sou-tient que l’individu a des droitsantérieurs et supérieurs aux lois

positives, et que celles-ci doiventêtre jaugées en fonction deceux-là. A Nuremberg, les officiersallemands ne pouvaient se dis-culper en montrant qu'ils obéis-saient aux ordres d'un gouverne-ment légal. D'Alexis de Tocque-ville à Charles Beudant et Geor-ges Ripert, la tradition juridiquelibérale a toujours soutenu la pri-mauté des droits individuels.

Le commun dénominateurdes grandes théories contemporai-nes de l'individualisme libéral setrouve dans la liberté de l'individude poser, sur sa propriété ou avecle consentement du propriétaire,toute action non violente ou frau-duleuse. L’individu est souverain.

À SUIVRE

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Le Devoir, Montréal, le 21 décembre 1984, page 9 — idées

LE NOUVEAULIBÉRALISME

II- Problématique de l’État libéral( Retour à la tdm )

Pierre Lemieux

Écrivain et économiste, l’auteurest conseiller économique à Mon-tréal.

L’idéal libéral est l'anarchie,cette “anarchie ordonnée” (Bucha-nan) que produit la liberté indivi-duelle. Mais même si des servicesde protection privés ne sont pasinconcevables, l'anarchie poseplusieurs problèmes (voir mon Dulibéralisme àl’anarcho-capitalisme, Paris,Presses universitaires de France,1983). À regret, on recourt à unÉtat minimal pour protéger lasouveraineté de l'individu: c'estl’État libéral.

Les principes de l’État libéral

De notre revue des théoriesindividualistes, se dégagent troisgrands fondements de l'État lib-éral:

1) Les droits individuels: l'indi-vidu est souverain, tout individujouit de droits individuels égauxqui priment tout. Les individusont l'obligation de contribuer à laprotection de ces droits, ce quidéfinit la fonction essentielle del’État.

2) L'unanimité constitution-nelle: tout arrangement coercitifdoit, au moins conceptuellement,recueillir l’assentiment unanimede tous les individus qui respec-tent le droit, ce qui exige un Étatconstitutionnellement limité parune véritable charte des droits (àl'opposé des parodies qui nous entiennent lieu).

3) L'ordre social spontané: cesconditions satisfaites, l'État segardera d’interférer avec l'ordrespontané que crée la liberté.L’État garantit les règles du jeuen assurant le respect des droits depropriété.

De ces grands fondements théori-ques, on peut, en retour, dériverquelques principes pratiques pourdélimiter le domaine de l'État lib-éral:

• Le principe des solutionsprivées: on favorisera toujours dessolutions privées, même auxproblèmes publics.

• Le principe de la décentra-lisation politique: quand des so-lutions purement privées sont im-praticables, on visera ce que Gus-tave de Molinari appelait “la li-berté de gouvernement“ en insti-

tuant une décentralisation maxi-male de l’État. La responsabilitédes divers niveaux de gouverne-ment (par exemple: fédéral, pro-vincial, municipal ou communal)dans l'organisation des servicespublics sera en raison inverse deleur extension territoriale, lesgouvernements supérieurs servantessentiellement à protéger les in-dividus contre la tyrannie du vil-lage. Les gouvernements “lesplus près du peuple” offrent l'avan-tage principal d’être plus faciles àdéserter, et leur concurrence profiteaux individus.

• Le principe du fardeau dela preuve: on évitera de jugerchaque demande d'intervention “àson mérite”, selon un pragma-tisme que vantait Mussolini; aucontraire, la constitution imposeraune puissante présomption en fa-veur du laissez-faire, le fardeau dela preuve reposant toujours surceux qui veulent limiter la libertéindividuelle.

L’État libéral est donc unÉtat minimal, un État-veilleur-de-nuit, comme disaient les libérauxfrançais. Plusieurs implicationsclaires en découlent, dont l'illégi-timité de tout monopole ou pri-vilège accordé par l’État à unecorporation, une compagnie

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(privée ou publique) ou un syndi-cat; et l’illégitimité du contrôle,de la réglementation et de la nor-malisation de l'économie. Lesdeux seuls problèmes réels qui in-terpellent la théorie libéraleconcernent les biens publics et lasécurité sociale.

Le problème des biens publics

Économiquement, un bienpublic se définit par deux caract-éristiques particulières: 1• saconsommation par une personnene limite pas la consommationd'autrui, et 2• l’exclusion de ceuxqui ne paient pas leur part descoûts de production est difficilesur le marché. D'où le fameuxproblème des passagers clandes-tins: chaque individu a intérêt àcacher ses préférences véritables enespérant faire financer sa consom-mation par son voisin. La théorieéconomique orthodoxe conclutqu'un tel bien ne sera pas produiten quantité optimale sur le mar-ché.

Pourtant, cet argument desbiens publics ne justifie pas aussifacilement qu'on le croit l'inter-vention de l'État.

D'abord, les biens publicspurs ne courent pas les rues. Àpart la dissuasion qu'offre la pro-tection publique, on pense à cer-taines qualités de l'environnement(le civisme, la pureté de l'air,peut-être la stabilité politique etéconomique d'une société libre)ou à certains ouvrages publicscomme les digues ou barragespour le contrôle des crues. Mais laplupart des biens que l'habitudede l'État assimile à des biens pu-blics peuvent être produits etconsommés privément, de l'enl-èvement des ordures ménagères(qui n'a rien d'un bien public)jusqu'à la signalisation maritime(l’exemple classique des phares aété déboulonné par Ronald Coaseet Murray Rothbard).

Quant aux biens publics im-purs, ils sont innombrables: desrelations civilisées en général jus-qu’à la vue d'une belle femme(sexistement déshabillée des yeux,comme disent les nouveaux obs-curantistes). Or l’existence d'unbien plus ou moins public ne jus-tifie pas nécessairement que l’Étatintervienne pour le produire.

En effet, l'évaluation d'unbien étant forcément individuelle,subjective et variable, l’État nepeut savoir dans quelle mesure unindividu qui refuse de participerau financement d'un bien publicne juge pas sincèrement que, pourlui, les avantages n'en valent pasles coûts.

De plus, l'action politique etl'intervention étatique comportentleurs propres coûts, souvent pluspénalisant que les failles de lacoopération libre. Ces inconv-énients de l'étatisme incluentl'institutionnalisation de laconcurrence sauvage des groupesde pression organisés sur le mar-ché politique, et la corporatisationde la société qui en résulte (voir,par exemple, Jean-Luc Migué,L’économiste et la chose publi-que, Québec, Presses de l'Univer-sité du Québec, 1982).

Enfin; n'oublions pas le prin-cipe des solutions privées, puis-que plusieurs existent au probl-ème des biens publics: 1• lesdroits de propriété privés, à créerlà où ils n’existent pas;2• l'entrepreneurship, qui privatisel'environnement avec des moyenscomme les clauses d'adhésion,véritable zonage privé; ou quiproduit des biens publics à desfins publicitaires comme les feuxd'artifice offerts tous les soirs auxhabitants de Copenhague par leparc Tivoli; 3• les associations etclubs; 4• les pressions sociales;etc.

Autant que possible, la res-ponsabilité des quelques biens

publics restants doit être confiéeaux niveaux inférieurs de gouver-nement. Ainsi, les individus insa-tisfaits n'auront qu’à changer decommune, la concurrence parmiles gouvernements locaux limitantla coercition tout en assurant laproduction des biens publics réel-lement demandés.

Le problème de la sécurité so-ciale

On ne peut admettre la redis-tribution délibérée ou “pure” (se-lon la terminologie de Bertrand deJouvenel) du revenu par l’État.Dans une société libre, le revenuse produit et se répartit sans inter-vention autoritaire, comme lerésultat de la constellation multi-ple des actions individuelles. Uneégalisation où toute forme de re-distribution pure du revenu parl’État viole les droits individuelset ne saurait être acceptée constitu-tionnellement à l'unanimité pardes individus rationnels voulantlimiter l’État (sinon comme résul-tat d'un chantage coercitif).

Autre chose est la redistribu-tion indirecte, par incidence,comme sous-produit d'un objectifdifférent — toute dépense étatique,même la protection publique,étant indirectement redistributive.On peut ainsi considérer commeredistribution indirecte du revenudeux fonctions étatiques regroup-ées sous le terme de “sécurité so-ciale”: 1• l’assistance minimaleaux pauvres, à ces cas marginauxqui subsisteraient après la dispari-tion de la pauvreté causée par lesinterventions actuelles de l’État etaprès l'apport de la charité privée;et 2• les assurances socialescontre des risques involontaires etnon assurables privément (certainshandicaps de naissance, par exem-ple).

Pouvons-nous imaginer uncontrat constitutionnellementunanime prévoyant des assurancessociales obligatoires ? C'est loin

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d'être évident, puisque les droitsindividuels supposent le droit detout individu minoritaire de n’ypas participer.

Le libéral rationalisera moinsdifficilement la fonction d'assis-tance minimale et sélective auxpauvres, dans la mesure où l'évi-tement du spectacle de la misèrepeut être considéré comme unbien public. Demeure quandmême le double problème del'évaluation des préférences réellesde chaque individu et des droitsdu dissident minoritaire.

Aux frontières de la théorieindividualiste, trois voies de sor-tie semblent s'offrir à l’État lib-éral. Premièrement, la protection

des droits individuels peut justi-fier que l’État assure aux enfantspauvres certaines garanties mini-males pour la jouissance future deleurs droits. Deuxièmement, si lesprogrammes d'assurances socialesrelevaient de la juridiction desadministrations locales, chaqueindividu signerait presque sonpropre contrat social en choisis-sant la commune qui offre sacombinaison préférée d'impôts etd’assurances sociales. Enfin, onpeut envisager d'autres formulesd’opting-out individuel.

L'individualisme civilisateura amené les anciens barbares àadmettre la diversité des opinions,puis des choix économiques indi-viduels. Stoppé par la barbarie à

visage humain del'État-Providence au cours desdernières décennies, ce progrès re-naissant permettrait à l'État libéralde continuer à réduire la coercitiondans les affaires humaines.

Pouvons-nous espérer un jour“éteindre l'État” (selon la mal-heureuse formule de Lénine) dansdes domaines où un État minimalnous apparaît aujourd'hui inévita-ble ? Nul ne le sait et il faut segarder autant d'un millénarismenaïf que du pragmatique cynismede nos politiciens actuels. Mais lelibéral sait une chose: l'individuest l'avenir de l'homme.FIN

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Le Devoir, Montréal, 9 janvier 1985, page 8 —Idées

L’ILLUSION LIBÉRALE,ou la bonne exploitationd’une philosophie bon marché( Retour à la tdm )

RÉPLIQUEYVES VAILLANCOURT

C’est tout un galimatiaspseudo philosophique que noussert Pierre Lemieux dans son arti-cle du 20 décembre visant à cir-conscrire les fondements théori-ques du libéralisme actuel.D’entrée de jeu, l’auteur veutétoffer sa crédibilité en nousréférant à un ouvrage sur la ques-tion qu’il a publié à Paris.Qu’importe! Voyons la teneur deses proclamations, et par teneur ilfaut entendre teneur en vérité.L’État est un souverain inadmis-sible, dit-il, et l’efficacité del’individualisme est démontrée, defaçon éclatante, par les réalisa-tions économiques.

Pas d’État, ou moins d’État,pas de privilèges coercitifs ac-cordés à des particuliers, résul-tat: un marché libre, florissant ets’autorégulant. Belle histoire,mais ce n’est même pas ainsi quecela se passe en terre libérale:l’Angleterre tchatchérienne (deMargaret Tchatcher), l’Amériquereaganienne (de Ronald Reagan)et, aussi, il ne faut pas l’oublier,le Chili de Pinochet (du GénéralPinochet, de 1973 à 1995). Que lesyndicat des mineurs anglaisréclame des salaires décents et desconditions de travail humaines,et voilà la droite libérale quipousse l’État à réglementer ledroit de grève et, au besoin, à en-voyer les forces de l’ordre briserles piquets de grève.

La droite libérale veut ladéréglementation, l’évanescencede l’État, mais lorsqu’il s’agit desauver Chrysler ou la Continental-Illinois Bank de la faillite et de laruine, c’est drôle, elle ne recourtpas aux mécanismes “régulateurs”du marché: c’est l’État qui ac-court à la rescousse. Il est ridiculede contester “l’inadmissible sou-veraineté de l’État” en matièreéconomique quand la droite lib-érale accueille à bras ouvertsl’énorme stimulant qu’est, auxÉtats-Unis, le budget militaire.Bref, dans les faits, quant à la pro-tection des riches, il n’y a nidéréglementation, ni retrait del’État. Ce que la droite libéraleveut déréglementer, ce sont lesmécanismes de protection desplus démunis.

Évidemment, cette mascaradenécessite une couverture. Cettedernière n’est nulle autre que lanoble défense des droits inviola-bles de l’Homme: “C’est un faitnaturel que chaque individu poss-ède le contrôle inaliénable de soncerveau et de son corps, d’où ils’ensuit qu’il en est le pro-priétaire absolu.” Belle niaiserie!Même dans une société autonome,produisant des individus autono-mes (ce qui n’est certainement pasle cas dans l’état actuel des cho-ses), pareille propriété ne peut êtrequ’un fantasme. Ultimement, etsans que cela évacue le rôle de laconscience, le regard qu’un indi-vidu jette sur lui-même ne peut

être qu’un regard induit par sapropre société.

À quoi mène donc cette pro-fession de foi, impossible, dansl’individualisme ? Peut-êtrequ’après dix ans de libéralismereaganien, lorsque l’État aura ter-miné son “inacceptable” missionde Welfare State pour laisseroeuvrer le marché, et quand lesplus pauvres des citoyens, ayantdéjà vu réduire de façon drastiqueet, bien sûr, éclatante, l’aide del’État, n’auront plus accès auxsoins médicaux, et bien peut-êtreseront-ils effectivement propriétai-res absolus de leur cerveau et deleur corps. Ceux-ci traîneront li-brement dans la rue sans qu’aucunmédecin ou travailleur social, ôsacrilège! ne vienne en violer lapropriété.

Manifestement, il faut rem-placer la notion de droit del’individu par celle de devoir en-vers tous les hommes. La droitelibérale proclame bien haut sa phi-losophie fondée sur les droits del’Homme (dont le droit au travailqui n’a pourtant jamais procuré detravail à personne), bien qu’elledénie la responsabilité des puis-sants vis-à-vis des démunis. Évi-demment, elle fait cela en agitantl’absurdité que cent millionsd’individus, dans un même pays,“peuvent tous agir dans leur int-érêt personnel sur le marché”.Seuls les déjà puissants peuventagir sur le marché dans leur intérêtpersonnel: personne ne se trompe

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Discours idéologiques, axe du social 18

là-dessus.

Finalement, où est l’honnê-teté quand on fait dire à un auteurconnu ce qu’il ne pense surtoutpas: l’avant-garde de la gauchecontemporaine redécouvre ce géniede la société régulatrice: “Il estdans l’intérêt général que toustravaillent contre l’intérêtgénéral”, écrit Edgar Morin.

Faut-il croire que ce dernierlouange les vertus du marché li-bre? En fait, sa réflexion va dansun sens tout autre que celui de laréflexion de Pierre Lemieux. Par-tant du fait naturel que la désorga-nisation participe activement àl’organisation, Morin analyse lesvirtualités d’une transformationradicale de la société, visant àl’émergence d’une société auto-

nome, qui se prend en charge elle-même alors qu’actuellement ellese soumet à ses institutions, Étatet économistes libéraux compris.Mais, de la part d’un chantre dureaganisme, on ne pouvait guères’attendre à mieux que ce racolagephilosophique digne del’illusionnisme de ses idoles poli-tiques.

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Le Devoir, Montréal, le 15 janvier 1985, page 9 —idées.

Un parti socialisteau Québec ?( Retour à la tdm )

Jean Guay, Gilles Labelle et Da-niel Lapointe

Les auteurs sont étudiants dedoctorat et de maîtrise en sciencepolitique à l’Université de Mon-tréal et à l’UQAM.

LORS de son deuxièmecongrès, tenu au début de décem-bre, le Mouvement socialiste (MS ) décidait d'emprunter la voieélectorale et de briguer les suffra-ges lors des prochaines électionsquébécoises. Selon toute vrai-semblance, le mouvement présidépar M. Marcel Pépin se transfor-mera à court terme en parti politi-que afin de gagner une crédibilitémaximale pour 1e prochain scru-tin.

LE DEVOIR publiait le10 décembre, un texte signé parM. Richard Lanthier dans lequell’auteur prédit que le futur Partisocialiste de M. Pepin n'obtiendraguère de succès auprès des petitstravailleurs, des chômeurs et desjeunes. Cette prédiction repose surle fait que MS ne serait pas suffi-samment à gauche et qu'il feraitpreuve de sectarisme à l'endroitde bon nombre des forces pro-gressistes et socialistes duQuébec, forces, que l'auteur ometcependant de mentionner.

Réfléchir à l’avenir du MS etd'un éventuel Parti socialiste se-lon cette perspective nous sembleune: démarche boiteuse. Il estpermis de statuer que la classe

d’elle-même, une essence de gau-che susceptible d'influencer soncomportement politique, maui ilnous semble très hasardeux de lefaire. L'histoire contemporaine estremplie d'exemples qui indiquentprécisément le contraire. Le casdu Parti socialiste français, para-doxalement cité par l'auteur, cons-titue une preuve éclatante d'unparti qui, tout occupé qu'il est àtrahir ce que M. Lanthier consid-ère être les véritables intérêts de laclasse ouvrière, connaît néan-moins un succès important auprèsde cette fraction de l'électorat.

En ce qui a trait aux chancesde succès du futur Parti socialistequébécois, lors du prochain scru-tin, il existe, selon nous, unegrande quantité de facteurs im-pondérables qui imposent une cer-taine prudence lorsqu'il s'agit deprédictions. Les troupes de M.Pépin peuvent tout autant obtenirun pourcentage appréciable duvote que subir un cuisant revers.Mais s'il y a échec, ce ne sera cer-tainement pas en raison de l'argu-ment soulevé par M. Lanthier.

Il existe un élément impor-tant qui pourrait poser obstacle ausuccès des socialistes québécois etqui mérite d’être mentionné Pourbien le saisir, il faut remonter àl'origine du mouvement.

En 1981, le MS publiait sonmanifeste pour un Québec socia-liste, indépendant, démocratiqueet pour l'égalité entre les hommes

et les femmes. Le manifeste in-siste sur l'idée de réaliser l’unitépolitique des classes ouvrière etpopulaire; d'enraciner en profon-deur le projet du mouvement ain-si que de susciter et développerune volonté de lutte et de chan-gement. Toute perspective électo-rale semble à cent lieues des pré-occupations des auteurs, qui vontmême jusqu'à mettre les lecteursen garde contre la tentation deformer un parti et d'aller à laconquête du pouvoir étatique(manifeste du MS, p. 31). Ques'est-il donc passé en trois anspour que l’exécutif même duMouvement propose lors durécent congrès sa transformationimmédiate en parti? Il sembleévident que le travail effectué parle MS n'a pas transformé la réalitéquébécoise dans le sens de ses ob-jectifs. Aucun progrès significatifn'a été réalisé quant à l’unité desclasses ouvrière et populaire. Lastagnation du membership dumouvement atteste du faible enca-cinement du projet. La volonté delutte et de changement n'a connuaucun progrès stable.

Il nous est donc permis d'in-terpréter la proposition de l'exécu-tif du MS comme un coup de désdans le but de dépasser un piéti-nement devenu intolérable La di-rection du MS, consciente de lanécessité de jouer une nouvellecarte et séduite par la conjoncturede vide politique à l'aube des pro-chaines élections, décide donc dejouer le tout pour le tout et

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Discours idéologiques, axe du social 20

préconise la transformation imm-édiate du MS en Parti. Cette ave-nue prend l’allure d’un coup dedés dans la mesure où le résultatd'élections peut avoir deux cons-équences complètement différentespour un jeune parti: soit qu’ilfasse relativement belle figure etqu'il augmente du coup sa force etsa crédibilité, soit qu’il essuieune gifle monumentale qui ’éli-mine de la scène pendant long-temps.

Personne n'a été surpris d'ap-prendre que le deuxième congrès aopté pour une position médianefavorable à la participation auxprochaines élections mais qui re-tarde toutefois pour quelquetemps la mutation en parti politi-que. Le fantôme du manifeste asûrement nourri les hésitations decertains congressistes qui ne pou-vaient accepter un changementaussi brusque. La crainte d'unimportant revers et de ses cons-équences désastreuses devait éga-lement peser dans la balance. Lefait saillant demeure toutefois ladécision de faire campagne lorsdes prochaines élections. C’est decette décision qu'émerge un nou-veau problème.

Il faut voir que le Mouvementsocialiste, du moment qu'il optepour se transformer en parti et seprésenter aux élections, rencontre-ra un obstacle majeur dans saquête d’un appui populaire ap-préciable, le jour du scrutin. Unéventuel échec du Parti socialisteserait davantage compréhensible àla lumière de cet obstacle que desraisons invoquées par M. Lan-thier.

Au terme de trois annéesd'existence, le MS demeure com-posé d'un groupe restreint d'indi-vidus. Il s'agit de syndicalistes,de militants de groupes populai-res, de féministes engagées, brefde gens partageant une analysegénéralement commune de la so-ciété et des aspirations à peu près

semblables. Cette homogénéitérend encore plus flagrant le fosséqui existe entre ce groupe restreintet marginal et. l’ensemble de lasociété.

Du moment qu'il se trans-forme en parti politique et brigueles suffrages, le MS se verraobligé de se conformer aux règlesdu jeu propres à la logique électo-rale. À défaut de quoi il risque desubir l'échec dont on a fait men-tion de même que ses conséquen-ces redoutables. Un parti politi-que, le jour du scrutin, interpelleforcément l'ensemble de l'électo-rat. Son succès dépendra de sa ca-pacité de coller aux préoccupa-tions de l'ensemble de la popula-tion.

C'est ici qu'apparaît le di-lemme du Mouvement socialiste:le groupe homogène qui constitueson membership peut-il accepterde refléter les remises en questionqui traversent actuellement l'en-semble de la populationquébécoise ? Les membres accep-teront-ils de se montrer moins in-transigeants face à des principeslonguement considérés comme in-touchables ? Devant un électoratqui se questionne de plus en plusquant à l'importance du rôle et dela place de l’État, ou encore quis'oppose de plus en plus au droitde grève absolu dans le secteurpublic, quelle sera l'attitude desmembres du futur Parti socialistependant la campagne électorale ?

Il y a déjà à gauche —dumoins dans ce qu'il faut nommerla gauche “traditionnelle” quiforme une partie importante duMS, l'habitude de véhiculer uncertain nombre de dogmes sur cesquestions et de considérer commehérétique quiconque les met endoute. Par surcroît, il est d'autantplus tentant pour un groupe mar-ginal comme le MS de réagir àson isolement en se refermant sursoi et en refusant tout ce qui peutsembler menacer sa fragile unité.

Le succès ou l'échec du Mou-vement socialiste transformé enparti pour les prochaines élec-tions, pendant lesquelles il devrachercher à recueillir des votesau-delà du cercle des militants degauche, dépendra grandement,croyons-nous de sa capacité depratiquer ce genre de question-nement.

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Le Soleil, Québec, le 28 janvier 1985, page B-2

Marcel Pepin croit être enmesure de séduire plusieursorthodoxes déçus( Retour à la tdm )

(PC)—Les orthodoxes du PQdevront donner à l’idée del’indépendance un contenurésolument socialiste s’ils neveulent pas revivre l’échec duRIN, croit le président duMouvement socialiste (MS),Marcel Pepin.

par Rudy LECOURS

Dans une entrevue accordéeen marge du conseil national duMS, réuni à Québec au. cours duweek-end, M. Pepin: a. expliquéque le programme du MS axe surl'indépendance, le socialisme, lesdroits démocratiques et l'égalitéentre hommes et femmes peutséduire plusieurs militants ortho-doxes déçus.

"Pour un certain nombre departisans orthodoxes, c'estpeut-être intéressant de voir quenous avons, non seulement leprojet de souveraineté traduitsous la forme de l'indépendance,mais aussi un projet de sociétéqui y est indissolublement lié",analyse-t-il.

L’ancien président. de laCSN. affirme que quelques cen-taines d’entre-eux sont entrés encommunication avec le MS de-puis le congrès du PQ qui pours’informer, qui pour se rallier.

Toutefois, il entretient peud’espoir d'unité avec lesporte-étendards de l’orthodoxiepéquiste avec: qui le MS n'est enrapport "ni formel, ni informel".

Pourtant, à son congrès dedécembre, le MS avait résolu detenir des pourparlers avec certainsgroupes idéologiquement voisinsavant de se transformer en partipolitique aux prochaines électionsgénérales.

"Je crois que les têtes d'affichene peuvent être d'accord avec no-tre: projet à. nous. parce que,pendant des années, elles ont euune autre politique", explique M.Pepin.

Nationalisme

Cette autre politique, M. Pe-pin l'a vertement critiquée dèsl’ouverture du conseil national duMS dans une déclaration intitulée"La question nationale, une ques-tion sociale".

Dépeignant à gros traits mor-dants les visages du nationalismedepuis la conquête, M. Pepin ydéveloppe la thèse voulant que lesélites ont toujours fait vibrer lescordes nationalistes des couchespopulaires pour mieux asseoirleur pouvoir. "Trop attentives àl’étroitesse de leurs intérêts, ellesont toujours choisi soit de répri-mer, soit d’utiliser la volonté

d'indépendance des classes ex-ploitées dans le cadre de leurmarchandage avec les forces capi-talistes dominantes à l'échelle del’Amérique du Nord".

M. Pepin n'est particulière-ment pas tendre à l'endroit deRené Lévesque et du Partiquébécois qu'il accuse d'avoir ex-ploité les velléités indépendantis-tes populaires dans une "formida-ble opération de manipulation".

Le président du MS affirmeque le PQ a été porté au pouvoirpar un courant indépendantiste etsocialisant, désireux de se servirde l'État pour piloter des réformesprogressistes.

Il accuse M. Lévesque d'avoirdéveloppé à fond la recette "allu-sive et contradictoire" concoctéepar feu Daniel Johnson.

Égalité ou indépendance de-vient souveraineté-association."Et voilà maintenant que selonJohnson, Pierre-Marc, l'idée desouveraineté ne ferait plus vrai-ment l'affaire des partis politi-ques", lance-t-il ironique.

Bilan de huit ans de pouvoirpéquiste: "Encore une fois unmouvement national aura servi demarche pied pour s'accaparer dupouvoir et s'y maintenir", analyseM. Pepin.

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Discours idéologiques, axe du social 22

Avenir

Le leader du MS se dit heu-reux du refus exprimé par denombreux militants péquistes demettre leur option en veilleuse. Ilnote cependant que promouvoirl'idée de l'indépendance sanscombattre les classes dominantes

est vouée à l'échec comme entémoigne, selon lui, l'expériencedu Rassemblement pour l'ind-épendance nationale qui s'est sa-bordé en 1968, peu après la fon-dation du PQ: "L'histoire a mon-tré et redémontré que nos élites,cléricales et laïques, n'ont jamaissoutenu de façon conséquente au-

cun mouvement de libération na-tionale.

''L'idée d'indépendance ne sesuffit pas à elle-même, conclut-il.Voilà pourquoi la lutte nationaledes Québécois est intimement liéeaux luttes pour le socialisme.

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Discours idéologiques, axe du social 23

Le Devoir, Montréal, 28 janvier 1985, page 2

Pepin invite les péquistesorthodoxes à se joindreau Mouvement socialiste

( Retour à la tdm )

RUDY LE COURS

QUÉBEC (PC)—Les orthodoxesdu PQ devront donner à ridée del'indépendance un contenu réso-lument socialiste s'ils ne veulentpas revivre l'échec du RIN, croitle président du Mouvement socia-liste (MS), M Marcel Pepin.

Dans une entrevue accordée enmarge du Conseil national duMS, réuni dans la Vieille Capi-tale au cours du week-end, M.Pepin a expliqué que le pro-gramme du MS axé sur l'ind-épendance, le socialisme, lesdroits démocratiques et l'égalitéentre hommes et femmes, peutséduire plusieurs militants ortho-doxes déçus.

“Pour un certain nombre departisans orthodoxes, c'estpeut-être intéressant de voir quenous avons, non seulement leprojet de souveraineté traduit sousla forme de l'indépendance, maisaussi un projet de société qui yest indissolublement lié., ana-lyse-t-il.

L'ancien président de la CSNaffirme que quelques centainesd'entre eux sont entrés en com-munication avec le MS depuis le

Congrès du PQ, qui pour s'infor-mer, qui pour se rallier.

Toutefois, il entretient peud'espoir d'unité avec les porteétendards de l'orthodoxie péquisteavec qui le MS n'est en rapport“ni formel, ni informel *.

Pourtant, à son Congrès dedécembre, le MS avant résolu detenir des pourparlers avec certainsgroupes idéologiquement voisinsavant de se transformer en partipolitique aux prochaines électionsgénérales.

“Je crois que les têtes d'affichene peuvent être d'accord avec no-tre projet à nous parce que, pen-dant des années, elles ont eu uneautre politique”, explique M. Pe-pin.

Cette autre politique, M. Pepinl'a vertement critiquée dés l'ouver-ture du Conseil national du MSdans une déclaration intitulée “Laquestion nationale, une questionsociale.

Dépeignant à gros traits mor-dants les visages du nationalismedepuis la Conquête, M. Pepin ydéveloppe la thèse voulant que lesélites ont toujours fait vibrer lescordes nationalistes de couchespopulaires pour mieux asseoirleur pouvoir. “Trop attentives à

l'étroitesse de leurs intérêts, ellesont toujours choisi soit de répri-mer, soit d'utiliser la volontéd'indépendance dés classes ex-ploitées dans le cadre de leur mar-chandage avec les forces capitalis-tes dominantes à l'échelle del'Amérique du Nord.

M. Pepin n'est particulièrementpas tendre à l'endroit de RenéLévesque et du Parti québécoisqu'il accuse d'avoir exploité lesvelléités indépendantistes popu-laires dans une “formidable opéra-tion de manipulation”.

Le président du MS affirme quele PQ a été porté au pouvoir parun courant indépendantiste et so-cialisant, désireux de se servir del'État pour piloter des réformesprogressistes.

Il accuse M. Lévesque d'avoirdéveloppé à fond la recette“allusive et contradictoire” con-coctée par feu Daniel Johnson..

Égalité ou indépendance de-vient souveraineté association.“Et voilà maintenant que selonJohnson, Pierre-Marc, l'idée desouveraineté ne ferait plus vrai-ment l'affaire des partis politi-ques”, lance-t-il ironique.

Bilan de huit ans de pouvoirpéquiste: “Encore une fois un

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mouvement national aura servi demarche-pied pour s'accaparer dupouvoir et s'y maintenir., analyseM. Pepin.

Le leader du MS se dit heureuxdu refus exprimé par de nombreuxmilitants péquistes de mettre leuroption en veilleuse. Il note ce-pendant que promouvoir l'idée de

l'indépendance sans combattre lesclasses dominantes est vouée àl'échec comme en témoigne, selonlui, l'expérience du Rassemble-ment pour l'indépendance natio-nale qui s'est sabordé en 1968,peu après la fondation du PQ:“L'histoire a montré et redémon-tré que nos élites, cléricales et

laïques, n'ont jamais soutenu defaçon conséquente aucun mouve-ment de libération nationale.

“L'idée d'indépendance ne sesuffit pas à elle-même, conclut-il.Voilà pourquoi la lutte nationaledes Québécois est intimement liéeaux luttes pour le socialisme.

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Le Monde diplomatique, Paris, no 375, juin 1985, page 28

PLUS DE MARCHÉ, MOINS D'ÉTAT

Un programmepour la droite ?( Retour à la tdm )

par Denis Clerc, directeurd’Alternatives économiques

Rien de bien nouveau sous lesoleil ? Telle est la premièreimpression qui se dégage à la lec-ture de trois livres qui tentent depréciser à quelle sauce les Fran-çais seront mangés sil’opposition revient au pouvoir.Pourtant, cette impression de“déjà vu” est trompeuse: ces troislivres dessinent les grandes lignesd'une politique économique assezdifférente de celles que la droiteou la gauche ont mises en oeuvreau cours de ces dix dernières ann-ées.

Réflexions pour demain, deM. Raymond Barre, est un éton-nant concentré de... barrisme.1

L’ancien premier ministre n'apas, bougé d'un pouce: pasl’ombre d'un regret à l’égard deson action passée, pas l’esquissed'une évolution dans l’analyse.

1 Raymond Barre,

Réflexions pour demain,Livre de poche, coll.“Pluriel”, Paris, 1984.

La politique économique qu’ilpréconise repose sur un triptyque.Du point de vue monétaire,l’essentiel est de retrouver unemonnaie forte, ce qui permet à lafois d'attirer les capitaux étrangerset de réduire le coût des importa-tions. Du point de vue budg-étaire, réduire les dépenses pu-bliques limitera la pression infla-tionniste engendrée par un déficitaujourd'hui comblé en partie parune création de monnaie; et, àterme, cela autorisera une réduc-tion de la fiscalité pesant sur lesentreprises ou les particuliers. Dupoint de vue de la production,enfin, l’objectif doit être de res-taurer les marges des entreprises:modération des salaires, retour àla liberté des prix et des licencie-ments. Ces trois orientationssont complémentaires et se renfor-cent dans ce que, en son temps(1978), on avait appelé le“modèle allemand”: la contrainteextérieure imposée par une mon-naie forte oblige les entreprises àdes efforts de réduction de leurscoûts, y compris salariaux. Cesefforts, encouragés par une moin-dre pression fiscale, se traduisentpar une faible inflation laquelle,

en retour, permet d’améliorer lesdébouchés à l’étranger. Etl’emploi ? Une résultante, pourM. Barre: “La meilleure politi-que pour l’emploi est une politi-que pour les entreprises”.

Les failles du “modèle”

Ce modèle “barriste”, mis enoeuvre entre 1976 et 1981, n'apas donné - c’est le moins qu'onpuisse dire - des résultats trèsprobants. En admettant que lesthèses soient exactes, l'analyse deM. Barre est critiquable à undouble égard.

Tout d'abord, le cercle ver-tueux du “modèle allemand” re-pose sur une condition: que lesentreprises utilisent leurs margesreconstituées pour investir etprendre le tournant qu'imposentles mutations technologiques. Or,ni en 1979 (alors quo leurs mar-ges se reconstituaient) ni en 1984(alors qu’elles ont retrouvé leurniveau de 1972), on n'a assisté àune véritable reprise del’investissement. En d'autres ter-mes, il ne suffit pas de réaliser desprofits pour retrouver du nerf: il

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Discours idéologiques, axe du social 26

faut aussi que les débouchéssoient au rendez-vous. Or, juste-ment, ils n'y sont pas (au moinsles débouchés intérieurs), parceque la rigueur rogne le pouvoird'achat des salariés et réduit celuidu secteur public. M. Barre peuttoujours accuser la gauche de nepas mettre en place les autreséléments du cercle vertueux del’“assainissement”: monnaieforte, réduction du déficit budg-étaire. Mais, outre-Rhin, la situa-tion en fort semblable à celle de laFrance, bien que la politique éco-nomique qui y est menée soit trèsproche de celle que souhaite l'an-cien premier ministre: faiblecroissance, déclin industriel,montée du chômage... Même siM. Barre reconnaît la réalité de lacrise, la durée de celle-ci résulte, àses yeux, d'une politique écono-mique inadaptée. La réalité estdifférente: la crise du fordismesuppose, pour être résolue, qu’ily ait à la fois progression du pou-voir d'achat et progression des in-vestissements, alors que, actuel-lement, ces deux progressionssont incompatibles, d'où le blo-cage.

Le barrisme oublie la ques-tion de l’emploi. Ou, plus exac-tement, à en faire une résultante,il passe sous silence le problèmeessentiel de la décennie. La mo-dernisation, au mieux, sauve desemplois. Elle n'en crée pas! dumoins globalement, l’exempleaméricain est parlant sur ce point:les emplois n'ont pas été créésdans le secteur “moderne” maisdans la restauration, le gardien-nage et les services. La réductiondu temps de travail ? M. Barren’y est guère favorable: “Le coûtéconomique des mesures sociales(...), c’est la démotivation pro-voquée par l’apologie de laréduction de l’effort et del’allongement du repos, dans unmonde où règne une concurrencesans merci.”. Les 35 heures en-gendrent des fainéants, non desemplois.

C’est là au moins l'un despoints sur lesquels M. LionelStoléru, fidèle lieutenant de M.Valéry Giscard D’Estaing, se diff-érencie de M. Raymond Barre.Pour lui, aucun doute: du fait desrobots, des puces et del’accroissement de productivitéqui en résulte, “promettre actuel-lement le plein emploi par le seulretour à la croissance, c’est unmensonge politique honteux”1.Aussi, M. Lionel Stoléru déve-loppe-t-il longuement l’idéequ'une politique spécifique del'emploi doit accompagner la po-litique économique. Tout commeM. Barre, il fonde cette dernièrepresque exclusivement sur laréduction des charges (salariales ,sociales, fiscales) des entreprises.Mais au moins, dans ce contextelibéral, met-il l’accent sur lanécessité d'en finir avec le taylo-risme, de sorte que la négociationsociale porte désormais sur Il’organisation du travail, sur unerépartition différenciée des “fruitsde la croissance”.

Un étonnant mélange

Quant à l’emploi, il estimeque cette “politique de l’offre”,qui doit s'accompagner d’une ou-verture internationale croissante,est susceptible de permettre degagner deux à trois points decroissance par an. Et pourtant, ce-la ne suffira pas, pense-t-il: car cesdeux à trois points ne représententque 150 000 emplois supplémen-taires chaque année, soit un peumoins que la croissance actuellede la population active. Même eny ajoutant des mesures spécifiquesen direction des petites entrepriseset des entreprises “de pointe”,cela ne suffira pas à réduire lestock du chômage, estime-t-il en-core. D'où quatre propositions:

1 Lionel Stoléru,

l’Alternance tranquille,Flammarion, Paris, 1985.

- flexibilité des salaires et del'emploi, de telle sorte que lemarché du travail puisse s'adapteraux fluctuations de l’offre et de lademande, aussi bien par desmouvements de prix (salaires) quepar des mouvements de volume(emplois). M. Stoléru estime no-tamment que le SMIC crée unerigidité à la baisse, qui est à l'ori-gine d'une non-création d'emploisen faveur des jeunes. C’est àl’État de garantir un revenu mi-nimal, non à l'entreprise. Laflexibilité de l'emploi doit per-mettre d'adapter à tout moment levolume d'heures travaillées auxbesoins de l'entreprise, par exem-ple en annualisant la durée du tra-vail;

- la réduction du temps de tra-vail au profit de la formation: ils'agit de former les salariés avantqu’ils ne soient chômeurs, lesheures passées en formation déga-geant alors des postes do travail,donc des créations d'emploi.Mais, bien évidemment, il ne ditmot de la compensation salarialeéventuelle de cette formation (cequi signifie qu'elle ne serait quetrès partielle);

- assurer à tous un revenu socialminimal, et réduire les allocationschômage, de sorte que ceux quine cherchent dans l'emploi qu'uncomplément de revenu ou d'occu-pation ne soient pas “attirés” surun marché du travail qui ne peutaccueillir tout le monde;

- enfin, traiter de façon différen-ciée les cas collectifs de chômageles plus graves. Ainsi M. Stolérusuggère des réductions de chargessociales durant deux ans pour lesentreprises qui embauchent deschômeurs de longue durée; demême, il avance l’idée d'unSMIC partiel et de charges socia-les allégées pour les jeunes, lepassage à la normale s'effectuantpar étapes progressives en deuxans (sur ce point, M. Stoléru nefait que reprendre le système em-

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ploi-formation en vigueur, bâtisur une évolution analogue).

Cet étonnant mélange de lib-éralisme et de social peut paraîtrenovateur. Il va surtout dans lesens d'une société dualiste, danslaquelle les filets del'État-providence sont destinés àlimiter les dégâts du marché, defaçon à permettre à ce dernier deprendre une extension maximalesans effets pervers trop marqués.

Le Projet pour la France,présenté par le RPR, est un peuintermédiaire entre ces deux ap-proches1. Du barrisme, il retientl’idée que le chômage résulte es-sentiellement de l’insuffisantecompétitivité des entreprises fran-çaises, aggravée par une politiqueéconomique qui “charge la bar-que” au lieu de l’alléger. De l'in-novation façon Stoléru, il retientl'idée d'une flexibilité des salairesassociée à un maintien del’État-providence. Pour le reste,le parti de M. Jacques Chiracsemble frappé d'amnésie: il se faitl'apôtre d'une politique économi-que exactement inverse de cellepoursuivie entre 1974 et 1976,lorsque son chef de file était pre-mier ministre. Réductiond’impôts, retour à la liberté desprix, redressement des profits(seule la carotte motive), désétati-sation de l'économie, voilà autantde points du credo libéral classi-que, peu originaux, mais assezdifférents de la pratique du leaderdu RPR lorsqu'il était aux affai-res.

Il est intéressant de releversinon une contradiction du moinsun flou artistique. D'un côté, leRPR insiste sur “la guerre indus-trielle sans merci que se Iivrentles pays développés”, guerre danslaquelle “seuls les plus imagina-tifs survivront”. Cette guerre sedéclenche au moment où “une 1 Projet pour la France,

Flammarion, Paris, 1985.

immense mutation” se fait jour:“C’est le décuplement du prix dupétrole, c’est l’éclatement dusystème monétaire et la multipli-cation des moyens de paiementfactices, c’est l’émergence sou-daine de nouveaux producteurs etl’irruption déstabilisante destechnologies d’avant-garde.C’est, dans nos sociétés, la crisede l’État protecteur et du modèlesocial-démocrate, la progressionnon maîtrisée des dépenses desanté, la montée du chômage etla hausse des prix”. En outre,une mauvaise politique économi-que — celle de la relance, d'inspi-ration keynésienne; celle de l'in-tervention étatique, d’inspirationsocialiste — a retardé les ajuste-ments nécessaires. Une bonnepolitique économique peut élimi-ner au moins ce facteur aggra-vant, mais il ne faut pas trops’illusionner sur ses vertus: “Unegestion financière prudente etsaine,, si elle est indispensableau succès, ne suffit pas à garan-tir le maintien ou l’essor del’activité.”. Le RPR conclutdonc, fort logiquement: “Ce quiassure la réussite, c’est aussi lacompétitivité internationale desentreprises, leur liberté d’actionen matière de prix, d’emploi oude financement.” Le marché lib-éral, donc.

Et l’on voudrait que ce re-tour au marché règle les probl-èmes nés de l’”immense muta-tion” mentionnée plus haut ? Ledécuplement du prix du pétrole?L’éclatement du système moné-taire ? L’émergence de nouveauxproducteurs et de technologiesd'avant-garde ? La crise de l’Étatprotecteur ? La montée duchômage ? Entre le diagnostic(mutations structurelles) et les,propositions (moins d’État, maisautant de nucléaire, de protectionsociale et de politique indus-trielle), il y a un hiatus. Mêmeaux États-Unis, la réussite de M.Reagan s’appuie sur le keynésia-nisme dénoncé par le RPR.

Plus de marché, moinsd'État. Plus de rigueur, moins dedépenses publiques. Avec, pourcertains, une inflexion socialedestinée à prévenir l’accroisse-ment du chômage. Tout celan’est pas très original, dira-t-on.Sans doute. Mais avec deuxbémols. Le premier est lié à uneabsence surprenante, celle dumonétarisme. Seul M. Barre y faitallusion.

Cette référence monétariste esttotalement absente des deux au-tres livres, fût-ce à l'état de traces.Peut-être est-ce dû au caractèregrand public de ces écrits, qui nevisent pas un niveau théoriquetrès élevé. Mais il faut plus vrai-semblablement en voir la raisondans la grande désaffection queconnaît aujourd'hui ce courantd'idées depuis que les États-Unis,en juillet 1983, s'en sont détourn-és avec le succès que l’on sait.

Le second bémol concernel'inspiration commune à ca troislivres (mais avec une moindreimportance chez M. Barre), quiest ce qu’il est convenu d’appelerla “politique de l’offre” (supplyside ceonomics). En d’autres ter-mes, l’analyse des difficultésprésentes repose essentiellementsur l’idée que les entreprises, po-tentiellement dynamiques et créa-trices - de richesses et d’emplois -lorsqu’elles sont confrontées aumarché, ne peuvent exploiter cepotentiel parce qu’elles en sontempêchées par des charges (fisca-les, sociales ou salariales) et pardes règles tatillonnes. Certes, cethème est devenu aujourd’hui as-sez classique. Il diffère cependantprofondément de l’analyse ant-érieure de la droite au pouvoir,bien illustrée par les discours gis-cardiens: “La crise est commel’épidémie, elle nous vient du de-hors” (discours de Ver-dun-sur-le-Boubs, janvier 1978).Ou encore, les trois facteurs decrise énoncés lors de la conférence

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de presse de novembre 1978:“D’abord le renchérissementmassif du prix de l’énergie quenous n’avons pas; ensuite,l’augmentation générale descoûts des matières premières quenous sommes obligés d’importerpour les travailler; enfin, le faitque des pays de plus en plusnombreux ont acquis la technolo-gie occidentale et sont capables(,..) de fabriquer les mêmes pro-duits que nous1.

Chassé-croisé

La nouveauté essentielle estlà: lorsque la droite était au pou-voir, les difficultés provenaientd’ailleurs. Maintenant qu’elle estdans l’opposition, elle provien-nent de la politique économiqueactuelle. Et, symétriquement, leprogramme commun de la gauchevoyait l’origine de nos problèmesdans une politique économiqued’austérité qui privilégiait lesprofits au détriment de laconsommation populaire; la gau-che au pouvoir accuse le dollar etles nouvelles technologies,c'est-à-dire des facteurs exogènes.Intéressant chassé-croisé qui ten-drait à montrer que le discourséconomique n’est que l’habillaged'un discours politique infinimentplus frustre. Mais ceci n’est pasvraiment une découverte.

1 Pour une analyse des

discours présidentiels surla crise, de 1974 à 1979,voir Denis Clerc, “La criseexpliquée aux Français”,Économie ethumanisme, no 249,septanbre-octobre 1979

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Le Soleil, Québec, 14 août 1985, page B-3

Pierre Marc Johnson et le virage socio-économique

Sortir de l'ère de"l’État-Providence"( Retour à la tdm )

Après avoir été l’un des prin-cipaux artisans du virage idéo-logique qui s’est opéré au seindu Parti québécois, le ministrede la Justice et des Affaires in-tergouvernementales canadien-nes et candidat à la directiondu PQ, M. Pierre-Marc John-son, se fait maintenant le pro-moteur d’un virage tout aussiimportant et qui porterait, cettefois, sur les plans économiqueet social.

(Entretiens avec l’un des candi-dats à la succession de M. RenéLévesque, à la direction du Partiquébécois, le ministre de la jus-tice et des affaires intergouverne-mentales canadiennes, M.Pierre-Marc Johnson.)

par Réjean Lacombe

Pour lui, le défi des années àvenir, c'est celui de la producti-vité et de la croissance économi-que qui dans son esprit, sont es-sentielles.

"Il ne faut pas, dit-il, reconduireles modèles, trop simples, tropfaciles, des années 60 pour redis-tribuer les richesses. Et quandj'entends certains membres duParti libéral du Québec, surtoutdes ténors libéraux, dire que lacroissance économique va toutrégler, moi je ne crois pas à cela".

M. Johnson ne rejette pas pourautant l’idée que le gouvernementfavorise une croissance économi-que. Toutefois, il se refuse obs-tinément à envisager le partage decette richesse en ayant en ar-rière-plan le schéma des années 60et 70. Dans les faits, M. Johnsonpréconise que le gouvernementcesse de jouer le rôle d’État-Providence. Les nouvelles obses-sions de l'État deviendraient alorsune plus grande productivité etune expansion des marchésquébécois. Tout cela s'accompa-gnerait d'une réforme de la fisca-lité, d'une réforme des services desanté et d'une plus grande décen-tralisation de l'État.

"Il faut, explique-t-il, que l'Étatcesse de s'imaginer qu'il va taxerla croissance économique commeil l'a fait dans le passé. Il va fal-loir qu'il s'organise pour la cana-liser quitte même à détaxer desbouts, mais dans la mesure où cesefforts et une moins grandeprésence de l'État qui soitcontraignante pour l'entreprise, setraduisent par de l'emploi."

Il ne fait aucun doute dans sonesprit que le partage de la crois-sance économique va se faireavant tout par l'emploi. "Cemême partage, postule-t-il, nedoit pas se faire par une plus

grande redistribution des servicespar l'État. Cette phase-là, on l'afaite et c’est assez. On n'a plusles moyens , de le faire commesociété."

Un important virage

M. Johnson admet volontiersque le virage qu'il propose estaussi important que celui qu'a ef-fectué le Parti québécois en jan-vier dernier sur le plan idéologi-que. Il croit toutefois que cettenouvelle façon de voir les chosesest "en train de se faire lente-ment".

"Il y a, précise-t-il, un probl-ème de décodage. Il y a un probl-ème de formuler cela dans destermes idéologiques. Le Québecdes 20 dernières années, c'est unQuébec très idéologique et jepense que la nouvelle façon devoir implique que l'on doit partirde la réalité. On a des défis abso-lument gigantesques, sur le planéconomique, à relever, que cesoient des défis de productivité oud'expansion des marchés et je suisconvaincu que l'on peut les rele-ver."

Pas économiste, mais...

À ceux qui l'accusent de ne pasposséder une formation d'écono-miste, Pierre-Marc Johnson ri-

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poste calmement qu'il ne croîtpas "à cette obsession" qu'il fautabsolument être économistepour diriger un État en périodede crise économique.

"C'est comme l'instruction,dit-il. Ça ne donne pas de juge-ment. Je connais des gens quisont très instruits et qui n'ont au-cun jugement. Diriger un gouver-nement dans une période qui vaêtre marquée par des préoccupa-tions de matière économique, çaexigera un certain niveau de com-préhension des choses que jepense avoir. Il faut savoir s'entou-rer et savoir aussi démystifier uncertain nombre de choses ".

Comme pour mieux étayer sonpoint de vue, il constate, avec unsourire au coin des lèvres, qu'il ya des économistes qui se trom-pent "ça n'a pas de bon sens" et ily en a d'autres qui ont "une meil-leure moyenne au “batte”".

Il considère même comme unavantage le fait de ne pas être éco-nomiste "parce que, dit-il, je suispeut-être un peu plus critique".

"D’abord gagner..."

Mais, l'une des premières pré-occupations du ministre Johnsonest de remporter, au premier tour,la victoire dans cette course à ladirection du PQ. "Je suislà-dedans, dit-il, pour gagner. Jel'ai dit, à Francine, à Pauline, àJean et à Bernard, tout en leursouhaitant bonne chance, boncourage et bon été, que j'allaisavoir plus de votes. Ce n'est pas"ben" compliqué..."

Et si jamais un deuxième tourde scrutin était rendu nécessaire,Pierre Marc Johnson ne s'en for-malisera pas outre mesure Dumoins officiellement.

"L'idée du deuxième tour, ex-plique-t-il c'est la notion de la

période supplémentaire dans leséliminatoires. Quand tu envisagesles éliminatoires, tu ne dis pasque l'on va gagner en supplémen-taire. Tu dis, on va gagner avantla fin de la troisième période Et,s'il y a une supplémentaire, on vala jouer. C'est tout."

Mais il souhaite ardemment l'em-porter dès le 29 septembre. "Lepremier tour, dit-il, va être ex-trêmement important. Je saisqu’il va y avoir des peaux de ba-nane qui vont se tirer en cours deroute et même des régimes toutentiers. Mais, ma préoccupationcentrale, c'est l'unité du parti"

Un parti traditionnel

Il se refuse également à préten-dre que maintenant le Partiquébécois est devenu un parti"comme les autres", un parti tra-ditionnel.

"Le postulat d'action des gensqui adhèrent au Parti québécois,au-delà des visions que l'on a, deséchéances autour de l'option, c'estl'adhésion à une idée de force fon-damentale de la notion que lepeuple du Québec, c'est un peu-ple". M. Johnson soutient qu'il ya des libéraux qui croient aussi àcette notion. "Mais, ajoute-t-il ra-pidement, ce n'est pas vrai pourtout le monde. Il y a des gens quicroient à la notion d'un peuplecanadien."

La deuxième distinction queM. Johnson avance entre péquis-tes et libéraux se situe, selon lui,à une certaine sensibilité à un ob-jectif de partage dans la société.Même s'il reconnaît que le Partilibéral a fait un bout de chemindans ce sens-là", il croit toutefoisqu'il n'a pas la sensibilité que leParti québécois possède. "Parbouts, dit-il, je trouve que le Par-ti libéral n'a pas la franchise quenous avons face à ce partage."

Ceux qui ont quitté

Quant aux ministres qui ontquitté le Parti québécois au plusfort de la crise, M. Johnson n'entend pas faire d'efforts spéciauxpour les entraîner dans le gironpéquiste.

"Ils n'étaient pas bien dans leurpeau avec le virage amorcé en no-vembre dernier. analyse-t-il. C'estun choix que je respecte. Ils ontfait leur choix. C'est fini. C'estfait, c'est fait. Mais, ce n'est pas lecas chez les militants. Il y en aquelques-uns qui vont revenir. Ilsne sont pas du même bloc. Cen'est pas monolithique."

Du même coup, il en profitepour décocher quelques flèches àl'endroit de l'ancien ministre desFinances, M. Jacques Parizeau."Je suis en désaccord avec la théo-rie de M. Parizeau, explique M.Johnson. J'ai été en accord aveccela pendant plusieurs années,mais j’ai progressé. J’ai évolué,j’ai changé."

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La Presse, Montréal, le 28 août 1985, page A 7 — tribune libre

L’individualismerenaît en Amérique( Retour à la tdm )

Pierre LEMIEUX

Les jeunes affichent un ins-tinct individualiste qui contrasteavec la culture collectiviste danslaquelle ils ont été élevés. On leura enseigné que tout est social.Confusément, ils ne le croientplus. Car il y a l'individu.

Les écoles, les médias et lesÉglises continuent d'entretenir unevision collectiviste du monde. Etplusieurs punks du troisième âgequi essaient gauchement de se re-cycler (au Parti libéral du Québecpar exemple) ne peuvent bafouiller“liberté individuelle” sans ajouter“et collective”.

Heureusement, une nouvelleculture individualiste apparaît enAmérique, en France, en Angle-terre et ailleurs dans le monde. Ondécouvre que les anciennes ex-pressions fétiches comme “la so-ciété qui décide” ou “la nationqui grandit” n'ont aucun sens si-non totalitaire. Il n'y a que l'indi-vidu qui compte, et l'individu nedoit compter que sur lui-même.

l'État-providence court à lafaillite. Malgré qu'il confisque lamoitié de tous les revenus desQuébécois, que ses exactions aientdoublé par rapport à la productionnationale depuis vingt ans, sescoffres sont étrangement vides.

L’assurance-maladie étatiquecoûte une petite fortune pour unemédecine fonctionnarisée et desservices de plus en plus rationnés.Les actuaires de Sobeco calculentque, dans une cinquantaine d'ann-ées. 40% des salaires devra êtreconsacré au financement des pro-grammes actuels de sécurité de lavieillesse, de retraites publiques etd'assurance-maladie. Sans compterles impôts pour tout le reste: édu-cation, assistance sociale interven-tions multiples... S'il leur resteencore quelque liberté et quelquedignité, nos enfants diront “non“.

Il ne s'agit pas seulement des'opposer à l’État, mais d’être enfaveur de l'individu et des solu-tions privées. Par exemple, l’Étatvous empêche de travailler en im-posant aux employeurs des condi-tions d'embauche irréalistes(réglementation des congédie-ments, normes du travail, discri-mination positive, salaire mini-mum, conventions collectives,taxes diverses sur l’emploi); ouen exigeant un permis de travail(dans la construction, par exem-ple); ou en accordant aux syndi-cats des privilèges coercitifs quiinstitutionnalisent l’ancienneté etla médiocrité... Eh bien! il nevous reste qu'à créer votre propreemploi, au noir s'il le faut. Ainsis'explique l'accroissement des tra-vailleurs autonomes et de l'éco-

nomie souterraine au cours desdernières années.

La faillite de l'État-providenceet la naissance d'une nouvelleculture individualiste convergentvers la reconnaissance d'une règled'or: pour faire sa vie librement,dignement et efficacement, il nefaut compter que sur soi, sur sesrelations libres, sur des institu-tions privées. L’individu est sapropre providence.

Les écoles publiques sont da-vantage des clubs privésd’enseignants que des entreprisesau service des enfants, leursclients. Allez-vous manifester,former des comités, participer,parler à Pauline Marois, voterpour Pierre Fortier? Ce seraitinefficace, anti-individualiste etstupide. Débrouillez-vous plutôtindividuellement, votez avec vosjambes et envoyez vos enfants àl'école privée de votre choix.

Bâtir sa vie en dehors desfausses sécurités collectivistes etétatiques serait ainsi le mot d'or-dre des gagnants de l'avenir. Onpeut croire que les jeunes sont entrain de le comprendre.

Ce n'est pas toujours facile àmettre en pratique. Quand la fa-mille québécoise moyenne paie lequart de son revenu en impôts detoutes sortes et que son taux mar-

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ginal d'impôt sur le revenu frôleles 50%, allez donc économiserpour la retraite ou offrir à vos en-fants le Collège Stanislas! Aufond l’État déteste la famille, quile remplace trop bien.

Quand l’État empêche lesjeunes de travailler (rappelez-vous, il y a vingt ans, presquen'importe quel jeune pouvaittrouver un emploi n'importequand), il n'est pas facile de partirdans la vie. Et il est bien difficiled'éviter les hôpitaux étatisés et lesmédecins fonctionnaires quandl’État prohibe les établissementscapitalistes et vous interdit (carc'est bel et bien interdit par la loi)d'acheter des assurances privéespour les services assurés monopo-listiquement par la RAMQ.

Mais il faut essayer. Ceux quicomptent sur la sécurité de l’État

se préparent de cruelles désillu-sions. Et puis, nous ne sommespas des assistés sociaux.

Nos guérisseurs profession-nels de maux sociaux, après avoirnié l'individu, ne se gênent paspour ensuite verser quelques lar-mes de crocodile sur l’individudéfavorisé qui, disent-ils, ne pour-rait se débrouiller tout seul. Al-truisme qui sonne faux.

D’abord, les pauvres le sontsouvent parce que l’État leur in-terdit de se débrouiller. L’Étatéthiopien, qui refuse les multina-tionales, ne fait que pousser lephénomène à l'absurde.

Ensuite, l’État redistribuetrès peu aux vrais pauvres, sa re-distribution favorise les fonction-naires, les agriculteurs, les intel-lectuels, les groupes de pression,

la nomenklatura del'État-providence... Les gens quis'arrangeraient mal sur le marchéne s'en tirent pas nécessairementmieux contre la bureaucratie étati-que, corporatiste ou syndicale.

Enfin, autant l’État est ineffi-cace pour aider les pauvres, autantdes efforts individuels et privéssont possibles, qui vont de la cha-rité privée à l’entrepreneurship enpassant par les associations com-munautaires. Avec un peu dechance et beaucoup de travail,l'avenir appartiendra au mécénat etaux organismes privés de servicessociaux fiers d’être financés pardes contributions volontairesplutôt que par la coercition fiscale.

L’État ? Connais pas!

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Le Devoir, Montréal, 20 novembre 1985, page 4

TABLE RONDE SUR L'ÉCONOMIE

Il faut libérer le citoyen etl’entreprise d'un trop lourd jougfiscal et réglementaire pour régler leproblème devenu structurelde l'emploi( Retour à la tdm )

JOCELYN DUMAS

Bien que peu remarquabledans son ensemble, c'est au cha-pitre de l'emploi que la repriseéconomique déçoit le plus auQuébec. Il apparaît que le règle-ment de ce problème devenu“structurel” et la poursuite de lacroissance économique du Québecne pourront se réaliser qu'au prixd'un désengagement de l'État afinde libérer le citoyen et l'entreprised’un trop lourd joug fiscal etréglementaire.

On peut aussi se réjouir dufait que la perspective du li-bre-échange avec les américains vaaccélérer le processus même si lespoliticiens “ne semblent pasconscients de toutes les implica-tions” de telles initiatives. Etmalgré un environnement appa-remment très contraignant,l’entreprise privée n'en poursuitpas moins son développement carelle a compris depuis longtempscomment créer la richesse, ce quele discours politique commence àpeine à reconnaître.

Voilà en substance le constatse dégageant de la dernière tableronde organisée par LE DEVOIRportant sur l'économie. Elle re-groupait M. Léon Courville,vice-président à la planification etchef économiste de la Banque Na-tionale du Canada, M Yves Ra-beau, professeur titulaire au dépar-tement des sciences économiquesde l'Université de Montréal ainsique M. Serge Racine, entrepre-neur, président et chef de la direc-tion du fabricant de meublesShermag.

M. Rabeau a d’abord fait ob-server que le Québec a rattrapé lesemplois perdus depuis le sommetde la dernière expansion en 1981il y a seulement quelques mois.Selon lui, la reprise économiqueest loin d'être “remarquable”. Cer-tes, on a pu observer des varia-tions importantes en pourcentagede plusieurs indicateurs économi-ques mais “on oublie le creux trèsprofond par lequel l'économie estpassée “.

De 1981 à 1985, la croissancede l'emploi au Québec aurait étéd'à peine 0.5%, “ce qui est trèsfaible par rapport à la tendance desannées 70”. Le chômage est d'au-tre part sous- évalué car une por-tion importante de la populations’est tout simplement retiré dumarché tandis qu'une bonne partiedes emplois créés le sont à tempspartiel.

M. Rabeau observe en outreque le nombre de bénéficiaires del’aide sociale n'a cessé de croîtredepuis 1982. Le taux de presta-tion par rapport à l’emploi setrouve à un niveau supérieur à cequ'il était avant la récession. Enbref, “le marché du travail de-meure en mauvaise condition”.

Plusieurs annonces de projetd’investissement du type Péchi-ney ou Bell peuvent donnerl’impression que l'économie seporte bien mais cette “reprisesubventionnée” cache des probl-èmes de fonds comme la fiscalitéet les coûts de main d'oeuvre. Unseul secteur fait exception, c'est

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celui des exportations dont labonne santé dépend de la crois-sance économique des États-Unis.

M. Courville partage ce dia-gnostic mais considère néanmoinsque la reprise au Québec a été“heureuse” alors que certains sec-teurs industriels, comme les pâteset papier, ont repris plus rapide-ment dans le cycle économique.Elle n'a cependant pas été assezforte pour relever les finances dugouvernement, ce qui lui fait direque le Québec ne fait pas face à unsimple problème d'ordre fiscalmais “d'organisation de l'activitééconomique et de redistributiondu revenu”.

La trop lourde fiscalité quedoivent supporter les contribua-bles ne serait en fait que le refletdes tendances lourdes et profondesqui se sont imprégnées au coursdes vingt dernières années et quivont appeler des changementsd'orientation majeurs, pénibles etdifficiles si on veut dégager leQuébec du fardeau que le publicimpose aux individus et à l'entre-prise”.

Au delà des énoncés chiffrés,M. Racine constate cependantqu'il y a eu un changement quali-tatif Important des entrepreneursau Québec “qui ont le goûtd’investir et de risquer”. De façonassez surprenante, M. Racine sou-lignait que les entrepreneurscommencent à avoir de la diffi-culté à trouver de la main-d'oeuvrealors que le chômage demeure in-quiétant.

Nos trois invités ne se sur-prennent finalement pas de cetteapparente contradiction qui s'ex-pliquerait du fait que le gouver-nement du Québec a pratiqué unepolitique de “hauts revenus” aucours des dernières années plutôtqu'une politique d'emploi ajoutantaux distorsions du marché du tra-vail comme le décret de la cons-truction.

La politique salariale du gou-vernement a aussi largementcontribué aux distorsions présen-tes sur le marché. “Au cours desannées 70, les coûts demain-d’oeuvre ont graduellementaugmenté au Québec pour dépas-ser ceux de l'Ontario sans mou-vement compensatoire de produc-tivité”, note M. Rabeau, “engrande partie en raison d'undébordement des taux du publicsur le privé”.

Les programmes de créationd’emplois gouvernementaux ycontribueraient aussi puisque lessalaires que l'on y propose ne sontpas basés sur ceux du marché.

“Si les gouvernements veu-lent passer d'une philosophie deredistribution du revenu à la créa-tion de la richesse”, recommandeM. Courville, “il faut laisser lemarché déterminer ce que peutreprésenter un salaire concurrentielà l'échelle nord- américaine, si-non, on ne peut prétendre créer del'emploi”.

M. Rabeau considère en outreque la croissance économique duQuébec n'est possible dans lecontexte du libre-échange que siles individus et les entreprisessont libérés du fardeau fiscal ac-tuel. “Je n'y vois pas d'autre solu-tion que de procéder au démant-èlement de l'appareil construit aucours des vingt dernières années”.

M. Courville ne voit pourtantpas dans le discours politique ac-tuel une volonté manifeste d'yprocéder. “Peut-être que les cir-constances très défavorables aux-quelles devra faire face le prochainministre des Finances va inciterdavantage au changement d'atti-tude...”

Face aux contraintes de cet“environnement lourd qui nechangera probablement pas avantdes années”, M. Racine croit quel'expansion est quand même pos-sible pour les entreprises. Ensomme, le secteur privé n'a pas

besoin d'attendre les grandesréformes de l'État pour agir.

M. Racine note que l’entre-preneur cherche essentiellementdeux choses, développer des ini-tiatives et augmenter sa compéti-tivité. L'environnement actuel duQuébec lui apparaît y être favora-ble alors que l'entrepreneur est trèsvalorisé par la société.

Pour ce qui est des distor-sions sur le marché du travail, ilnote que le pouvoir syndical a euau moins ceci de positif qu'il aforcé les employeurs à parler àleurs travailleurs. “L’intérêt estgraduellement passé des condi-tions de travail à la valorisationdu travail lui-même”. “Un nou-vel humanisme industriel” répon-drait ainsi au moins aux préoccu-pations des travailleurs parl’application de nouvelles formesde gestion. On pense notammentà la gestion participative à la par-ticipation des employés aux béné-fices de l'entreprise.

En regard du libre-échange,M. Rabeau note que les entrepre-neurs préparent les coups en ratio-nalisant leur production mais “lespoliticiens ne semblent pas cons-cients de toutes les implications”.“On voudrait bien avoir les avan-tages de l'accès au marché améri-cain mais on s'imagine que l'onpourra garder tous les fardeaux”comme la fiscalité, les décrets etla panoplie de mesures protec-tionnistes dans différents secteurs.

Il espère cependant que le li-bre-échange va contribuer à acc-élérer le processus de désengage-ment de l'État. Ce dont nes’inquiète pas trop M. Courvillecar “le pacte du libre-échange seranégocié, ce qui veut dire que nousdevrons attendre longtemps avantque tous les intervenants arriventà s'entendre”.

Pour sa part, M. Racine croità la recherche de l'excellence etconsidère que les entrepreneursont intérêt à agir comme si le li-bre-échange prévalait déjà. “Detoute façon, ce sont les entreprises

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les plus productives qui en sorti-ront gagnantes”.

Finalement, si on reprocheaux politiciens de ne pas traiterdes grands choix économiques,

nos trois invités se réjouissentqu'il en soit ainsi. Le dirigismene répond plus aux attentes et sion ne parle pas de la nécessité degérer la décroissance de l'État, il

faut bien avouer que le sujet seprésente mal en campagne électo-rale.

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Le Devoir, Montréal, 23 novembre 1985, page 4

Un virage dont les causes sont plus profondesqu'on le croit, estime-t-on

Le monde des affaires se réjouitd'un discours économiquequi valorise le rôle du secteur privé( Retour à la tdm )

Claude Turcotte

A peu prés tout le monde re-connaît que le débat politique, aucours de cette campagne électo-rale, s’articule beaucoup autour deproblèmes économiques, en valo-risant davantage le rôle des entre-preneurs privés que celui del’État. Dans lé milieu des affai-res, on se réjouit de ce virage, quis'explique, selon plusieurs, pardes causes beaucoup plus profon-des qu'il n'y parait à première vue.

Ces causes relèvent à la foisde la conjoncture dans l'ensembledes pays développés et de l'évolu-tion propre de la sociétéquébécoise, comme l'ont exprimérécemment au DEVOIR certainsdes porte-parole les plus en vue dela communauté des affaires duQuébec.

Parmi eux, il y a d'abord M.André Saumier, nouveau présidentde la Bourse de Montréal, pourqui “le désintéressement apparentdes citoyens pour la chose politi-que implique que l’État n'est plusce qu'il était”. M. Saumier est un

témoin d'autant plus intéressantqu'il a une longue expérience desadministrations privée et publi-que. Il fut haut-fonctionnaire aussibien à Ottawa qu'à Québec “àl'époque des grandes visions en-thousiastes”, précise-t-il.

À ses yeux, “le grand thème,profondément politique et pas dutout particulier au Québec, puis-qu’il se retrouve dans tous lespays développés, concerne le rôlede l’État. et du gouvernementdans le développement pris dansson sens le plus large”. Cela im-plique l'économique, le social, leculturel, bref les projets de sociétéaussi bien que leur réalisation.

Toutefois, l'interventionnis-me de l’État qui s'est manifestésurtout à la fin de la secondeguerre mondiale, mais dont ledébut remonte en fait au “Newdeal” de Roosevelt après la grandecrise économique, explique M.Saumier, semble avoir atteint seslimites. “L’État est embourbé etil y a un essoufflement de lapensée créatrice de l’État” conclutle président de la Bourse après

avoir dressé sa liste de constats:depuis trois ou quatre ans, lesÉtats ne sont plus capables deproposer des projets de société ,ils n'en ont plus les moyens etleurs anciens projets présententsouvent des failles importantes;enfin, on n’arrive plus par l'inter-ventionnisme à corriger des probl-èmes de chômage ou de compéti-tivité.

Il faut donc que l’État. sortemaintenant de son bourbier enjetant du lest, particulièrementdans “les secteurs périphérique”où il oeuvre. Le pendule sembleprendre la direction du libéra-lisme, mais ira-t-il jusqu'au lib-éralisme absolu du 19e siècle?“Personne ne pense à retourner làdit-il. Il pense que l’État. doitconserver un rôle de régulateur del'économie.

D'autres questions se posentcependant: “Avec le retrait del’État, qui va prendre sa place,qui va faire preuve d'imaginationpour l'utilisation des ressources.Ce n'est pas si simple que ça et iln'est pas acquis qu’il y aura des

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mécanismes de remplacement”,répond M. Saumier.

C'est peut-être l'absence deréponses à ces questions qui ex-pliquent l'absence de débats defonds dans cette campagne et quiincite les hommes politiques à seretourner beaucoup vers le mondedes affaires et de l’industrie. M.Saumier constate que le milieudes affaires a été “très vociférant”en multipliant les colloques et lesréunions depuis quelques années.

Mais il souligne aussi que“les syndicats sont de grands ab-sents dans le présent débat électo-ral, sauf pour faire ressortir devieilles querelles et des discoursqui n’ont pas évolué depuis lesaffrontements de 1970”. Il noteaussi un sentiment d'impuissancedevant la nouvelle situation de lapart de partis ou de gouverne-ments socialistes, habitués à valo-riser le rôle de l’État.

M Saumier en arrive tout demême à une finale plus optimisteen prédisant “des explosions decréativité au cours des prochainesannées”, parce que les normes an-ciennes éclatent et que cela permetaux éléments les plus dynamiquesd'inventer de nouvelles solutionset d'exprimer leur originalité.

L'évolution particulière duQuébec illustre sans doute de ma-nière remarquable les observationsdu président de la Bourse.Récemment dans une causerie àRimouski M. Claude Caston-guay, chef de la direction de LaLaurentienne, qui fut lui aussi ungrand conseiller de l’État, puisministre, rappelait les racines en-core récentes de l’entrepreneurshipquébécois.

Hydro-Québec, constitué en1963 fut “le précurseur de cettenouvelle génération”. Il y a eu en-suite la Caisse de dépôt et place-ment, qui a “contribué fortementà modifier la perception qu'on se

faisait du rôle des francophonesdans le secteur de la finance”.

“Alors que ces entreprisespionnières furent créées par lepouvoir politique et appartenaientau secteur public, ajoutait le conf-érencier, leurs descendants appar-tiennent nettement au secteurprivé et sont le fruit de l’initiatived'individus, le résultat de ce qu'onappelle le nouvel entrepreneurshipau Québec “.

Dans le lot de ces nouveauxvenus, M. Castonguay mention-nait plusieurs noms familiers:Bombardier Provigo, Power Cor-poration, Lavalin, SNC, la Ban-que nationale, Cascades, Culinar,Normick Peron et bien sûr leGroupe La Laurentienne. Il souli-gnait aussi l'essor formidable duMouvement Desjardins et lacroissance spectaculaire des PMEdepuis 15 ans.

Il y a aujourd’hui 140,000entreprises de moins de 200 em-ployés. Les nouveaux entrepre-neurs de PME ont pour la plupartmoins de 35 ans et selon uneétude récente 60% des nouvellesPME ont été mises sur pied pardes femmes.

Cette effervescence dans lemilieu des affaires et de l’industriea de plus en plus un impact dansles communautés où elle se faitsentir et par voie de conséquencesur le climat électoral M. LouisLagassé, président de la Chambrede commerce du Québec et Sher-brookois bien enraciné, confirmel'existence de ce nouveau climatdans la campagne électorale et letrouve encourageant.

Pourquoi existe-t-il? D'oùvient-il ? Il y a eu d'abord, selonle président, la crise économique,les fermetures d'usines et les mi-ses à pied, qui ont suscité uneprise de conscience des questionséconomiques. Il y a aussi unenouvelle classe de gens d'affaires

très entreprenants; beaucoup plusinstruits et mieux formés pour re-lever les défis d’aujourd’hui.

Dans une ville relativementpetite comme Sherbrooke, la réus-site d'une entreprise commeShermag a suscité, selon M. La-gassé, un courant d'émulation,avec le résultat qu’aujourd’hui ily a des dizaines de jeunes qui sedisent: “on peut faire la mêmechose” et qui essaient d'y arriver.

Depuis les années 60, Sher-brooke avait vécu aussi de lamanne de l’État., grâce aux re-tombées engendrées par la crois-sance de son université. Cettecroissance ayant atteint son pla-fond à peu près en même tempsqu'arrivait la crise, on a vite com-pris, explique M. Lagassé, qu'ilfallait compter sur nos propresmoyens. Aujourd'hui Sherbrookevit presque dans l’euphorie de sonnouveau développement, qui lui apermis de ramener son taux dechômage entre 7 et 8%, alors quele taux moyen du Québec estd'environ 11%.

Si la communauté des affairesa l’impression d’être beaucoupmieux vue de la population engénéral et des partis politiques enparticulier, il s'en trouve cepen-dant encore certains pour se sentirabandonnés, même en campagneélectorale.

Par exemple, à Alma au LacSt-Jean, M. André Bouchard,propriétaire d'une PME, Bétonpréfabriqué du lac, aimerait bienqu'on s’intéresse un peu “auxrégionaux”. Il n'a aucunementl'impression que les grands débatssur l'économie, la croissance del'emploi, etc. tiennent compte deses problèmes à lui.

Né et ayant toujours vécu àAlma où il a forcément lancé sonentreprise, il se sent pénalisé pouravoir fait preuve de dynamisme etavoir développé une usine qui

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trouve aujourd'hui 75% de sonmarché à Montréal, 10% àQuébec, 5% à l'étranger et seule-ment 10% dans sa région.

S'il avait eu le choix audépart, c'est dans la région deMontréal qu’il aurait installé sonusine. Il aime sa région mais sesaffaires se passent en grande partieailleurs. Il doit dépenser beau-coup de temps et d'argent pourvoir à ses affaires ailleurs et pourtransporter les blocs de béton chezles clients.

Il aimerait que le gouverne-ment pense à lui également et luioffre des mesures incitatives pourrester à Alma tout en poursuivantl’expansion de son entreprise. Parexemple, il souhaiterait bénéficierde tarifs préférentiels pourl’électricité consommée dans sesateliers. Il mentionne quel’électricité du Québec est pro-duite surtout dans les régions plusau nord, Ce qui n’empêche pasque l’électricité se vende le mêmeprix à Montréal qu’à Alma. En

vertu de cette même logique, ilserait très heureux d'avoir certainsavantages pour le transport de tesproduits.

Mais, pour le moment, il déploreque les débats électoraux concer-nent surtout les grands centrescomme Montréal, Québec etSherbrooke, même si l’occupationterritoriale de toutes les régionsrevêt une grande importance pourl’ensemble du Québec.

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Le Devoir, Montréal, le 30 décembre 1985, page 7 — idées

DE L’ÉTAT-PROVIDENCEÀ L’ÉTAT-INDIFFÉRENCE

“La Justice sociale ne peut pas être liéeà notre capacité de produire la richesse.”( Retour à la tdm )

JEAN-BERNARD R0BICHAUD

L’auteur est conseiller principalen politiques sociales au Conseilcanadien de développement so-cial, chercheur invité à l’Uni-versité de Montréal et membre duMouvement socialiste.

QUE PEUVENT attendre les pe-tits salariés, les chômeurs, les as-sistés sociaux, les retraités, lespersonnes handicipées et les repr-ésentants des groupes minoritairespour les quatre prochaines annéessuite à l’élection du 2 décembredernier ? Quel sera leur sort aprèsune campagne électorale où lesenjeux sociaux ont été occultés, àla faveur d'objectifs de renouveauéconomique ? Rien ne permet deprésumer que leurs int_r_ts serontmis de l'avant, au contraire onpeut s'attendre à ce que certainesmesures sociales soient éliminéesou réduites pour libérer la fameuse“marge de manoeuvre” étatiqueen faveur de projets d'investisse-ments étrangers.

Ce que certains appellent la finde l’État-Providence correspondau désengagement de l’État dansles politiques sociales. Cepen-dant, ceci ne signifie pas un Étatmoins interventionniste, maisplutôt un État plus indifférent auxobjectifs sociaux. Les principesd’intervention changent.

L’État-Providence intervenait aunom de principes de redistribu-tion et d’équité sociale.L’État-indifférence intervient,mais en faveur de l’accumulationet de la concentration du capital.C'est un État qui s'inscrit àl’enseigne de la productivité mar-chande, de la compétitivité del'économie et de la valorisation del’individualisme, que l’on a sur-nommé durant la campagne,compétence individualiste. C’estle tournant auquel nous avons as-sisté durant 1a campagne électo-rale.

Les ténors des deux partis quiont obtenu la faveur de l'électoratont tenté de convaincre la popula-tion qu’il fallait créer la richesseavant de la distribuer”. La campa-gne s’est faite à l'enseigne de lacroissance économique, Commes'il fallait faire un choix entre leprogrès social et la croissance del'économie. Depuis son élection,Monsieur Bourassa réaffirme lapriorité économique. On veut fairecroire que la performance de l'éco-nomie ne permet pas d'améliorerles mesures redistributives.Peut-on croire que le Québec dis-posant d’un produit intérieurdépassant les 100 milliards etdont le taux de croissance attei-gnait 8,8% entre 1983 et 1984,est trop pauvre pour éliminer lesinégalités socio-économiques les

plus criantes ? Le produit int-érieur brut s'établit au-delà de$15,000 per capita. De combien leproduit intérieur devrait-il croîtrepour que l'on établisse un plan-cher de revenus décents ? La jus-tice sociale ne peut pas être liée ànotre capacité de produire la ri-chesse. Si tel était le cas, on au-rait des pas plus significatifs dansl'égalisation des revenus. Non, ilse passe autre chose, et les so-phismes de Monsieur Bourassaou de Monsieur Johnson contri-buent à embrouiller les enjeuxplutôt que de les clarifier.

Au Canada et au Québec, de-puis plus de 40 ans, quel qu’aitété le gouvernement au pouvoir,la répartition de la richesse n'a paschangé de façon significative. End’autres termes, la distributiondes revenus est aussi inégale en1985, qu'elle ne l’était en 1945 àla fin de la deuxième guerre mon-diale. Et cela malgré l’État- Pro-vidence, malgré l'augmentationsignificative des dépenses socia-les. Il semble y avoir une règlenon écrite au Canada et au Québecà l'effet que les dépenses socialessont fonction de l'enrichissementcollectif et qu'elles ne visent qu'àmaintenir les écarts traditionnelsentre les classes dominantes et lesclasses dominées. Pas question demodifier le statu quo, pas ques-tion de modifier fondamentale-

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ment les écarts de revenus entreles riches et les pauvres. Un cin-quième de la population, les plusriches, accaparent 42% des reve-nus, alors que le cinquième, lesplus pauvres, n'a accès qu’à 4%.

Non seulement notre société nefait-elle pas de progrès significatifsau niveau de la répartition des re-venus, mais les pauvres perdentdu terrain. C'est ce que révèle unrécent rapport du Conseil nationaldu bien-être social, intitulé“Profil de la pauvreté 1985”. En1984, le nombre de familles pau-vres du Canada atteignait 312,200ou 17,2% des familles, ce quireprésente une hausse de 23,2%entre 1981 et 1984. Le Québecregroupe 31% des familles pau-vres du Canada. Pour les person-nes seules, c'est-à-dire, celles quine vivent pas dans une famille, lasituation est encore plus déplora-ble. Le Québec compte 337,000personnes seules vivant sous leseuil de pauvreté, une-augmentation de 22,400 entre1981 et 1984. Près de la moitiédes personnes seules vivent sousle seuil de pauvreté au Québec(46,8%). Un enfant sur cinq vitdans la pauvreté.

Contrairement à ce que l'onpense généralement, plus de lamoitié ( 57,8% en 1983) des fa-milles vivant sous le seuil depauvreté sont rattachées au marchédu travail. Elles sont pauvresparce que le gagne-pain familialest un petit salarié, et ce salaire nepermet pas à la famille des reve-nus suffisants pour se hisserau-dessus du seuil de pauvreté.

L'organisation du travail et lasituation de l'emploi constituentles principales sources de pauvretéau Québec. C'est pourquoi lesmesures qui ont un impact sur lerevenu familial doivent être prio-risées. Même si un chef de famillede deux enfants travaille 40 heurespar semaine, 52 semaines par

année au salaire minimum de$4.00 l'heure sa famille s'appauvritd'année en année. En effet, à$8,320 de salaire brut annuel, sonrevenu de travail se situe à 40%du seuil de pauvreté de Statisti-que Canada pour les aggloméra-tions de 500,000 habitants et plusen 1985.

La première priorité sociale estsans aucun doute l’augmentationet l'indexation au coût de la viedu salaire minimum, puisque laprincipale source d’inégalité desrevenus est liée aux politiques sa-lariales. Il faudrait augmenter àcourt terme le salaire minimumà$5,30 l’heure pour tenir comptedu rythme de croissance du salairemoyen et ensuite à$ 5 90 pourmaintenir le pouvoir d'achat dusalaire minimum de 1976

Même avec ces augmentations,les salariés chefs de famille conti-nueront à vivre sous le seuil depauvreté. À$ 5,90 l’heure, notrechef de famille, père de 2 enfantstoucherait un salaire annuel brutde$ 12,272, soit 59% du seuil depauvreté pour une famille de 4personnes.

L’assurance-chômage constitueune autre mesure sociale très im-portante reliée aux politiques demain d'oeuvre. Même si ce pro-gramme est une responsabilité dugouvernement fédéral, le gouver-nement du Québec doit prendreposition concernant les modifica-tions prévisibles del’assurance-chômage. Le rapportde la commission MacDonaldpropose des changements majeursà l’assurance-chômage. On peuts'attendre que le comité dirigé parmonsieur Claude Forget fera desrecommandations qui se rappro-cheront de celles de la Commis-sion MacDonald

Le régime d'assurance-chômagedoit assurer les prestations aussilongtemps que le travailleur ou

la` travailleuse ne retrouve pas unemploi. L'aide au recyclage de-vrait faire partie intégrante durégime d’assurance chômage etdes sommes additionnelles doi-vent y être consacrées.

Le nouveau gouvernement vou-drait-il aider les familles sansaugmenter ses déboursés ? C'estpossible en appliquant la proposi-tion du Mouvement socialiste. Ilest possible en éliminant le créditd'impôts et les exemptions fisca-les pour enfant à charge et aug-menter les allocations familialesréservées aux familles à plus dudouble de œ qu’elles sont actuel-lement. Les allocations familialespourraient à court terme dépasser$1,000 par enfant sur une base an-nuelle.

L’élément d’équité est intro-duit en les rendant imposables se-lon les tables de l'impôt, ce quiassure qu'environ 25% desdéboursés retournent au trésor pu-blic. Dans notre exemple, le chefd'une famille ayant deux enfants àcharge, et travaillant au salaireminimum fixé à$5,90 l’heure ver-rait ses revenus bruts passerà$14,300 par années.

En améliorant les mesures exis-tantes, même sans revenu annueldécent garanti il est possibled’augmenter considérablement leniveau de revenus des classes ou-vrières et d'établir des seuilsen-dessous desquels personnedans notre société ne devrait se si-tuer. Le problème n'est pas decréer la richesse, le produit int-érieur du Québec connaissant unecroissance plus que respectable; leproblème demeure de la distribuerplus équitablement. Les groupesprogressistes doivent tenir legouvernement à l'oeil et ne paslui laisser l'occasion d’être indiff-érent.

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Québec, Le Soleil, samedi 29 mars 1986, page B 3 DOSSIER

Libéralisme et néo-libéralisme

La querelledes ancienset des modernes( Retour à la tdm )

par René Beaudin

On parle beaucoup des néo-libéraux et de néo-libéralisme.Mais cela veut dire quoi ? Enquoi ce néo-libéralisme se dis-tingue-t-il du libéralisme traditio-nnel ? Un politicologue deMontréal, M. André Liebich,vient de publier une anthologiedes grands textes libéraux: Lelibéralisme classique. RenéBeaudin s’est entretenu avec M.Liebich.

• Les philosophies libéralesfont un retour en force en Occi-dent.

Ce néo-libéralisme puise enpartie ses racines intellectuelles etidéologiques dans la philosophielibérale traditionnelle ou classi-que.

C'est un peu la raison d'êtresans doute d'un livre tout récentsur "Le libéralisme classique",une anthologie des grands textesfondateurs de la doctrine libérale,préfacée et présentée par le politi-

cologue André Liebich, del'UQAM. (LIEBICH, André, “Lelibéralisme classique”, Presses del’Université du Québec, 1985,625 pages.)

Les auteurs auxquels ildonne la parole étaient d'ailleurstellement démodés ces dernièresdécennies, que leurs nomsn'étaient connus que d'un petitnombre d'initiés et leurs oeuvressouvent introuvables, nousconfie-t-il à l'occasion d'une en-trevue.

Qui connaît Thomas Hob-bes? Qui a lu ou simplement vuson livre "Le Léviathan' publiépour la première fois en 1651,mais disponible aujourd'hui quedans des collections "exotiques",érudites ou coûteuses? Et JohnLocke? Et Robespierre? Qui a luses discours? Et Adam Smith?

Voilà pour les anciens et lesclassiques.

Montesquieu, Rousseau,

Tocqueville sont bien sûr plusconnus et accessibles aux lecteursd'ici, mais c'est davantage pourleur participation à la littératurefrançaise qu'à la pensée politique.

Trudeau et Dessaules

Mais “Le libéralisme clas-sique” a aussi une couleur lo-cale, puisque Pierre Elliott-Trudeau et Louis-Antoine Des-saules, voient de leurs écritsréédités.

Louis-Antoine Dessaules estun illustre inconnu ou en tout casun grand oublié. “J’aurais toutaussi bien pu prendre Papineauou Henri Bourassa", de dire M.Liebich, mais Dessaules, en sontemps, représentait un courant depensée important quoique mino-ritaire.

Dessaules est un "patriote"du siècle dernier, neveu d'ailleursde Louis-Joseph Papineau. Ilétait l'un des chefs du Parti desRouges. Cette orientation politi-

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que, d'expliquer M. Liebich, ca-ractéristique de la période allantde l'échec de l'insurrection de1837 à la Confédération de 1867,représente un libéralisme radical,démocratique et anticlérical.

En 1851, note M. Liebich,Dessaules, face à l'échec dusoulèvement des Patriotes, à lavolonté d'assimilation expriméedans le Rapport Durham, et face àla puissance étouffante del’Église, propose l'intégrationaux États-Unis. Ce sont d'ailleursses "Six lectures sur l'annexiondu Canada aux États-Unis" quisont parties constituantes du"Libéralisme classique':

Trudeau est bien sûr beau-coup plus connu. Mais préciseM. Liebich, s'il reprend de sestextes, c'est pour la raison toutesimple que l'ancien premier mi-nistre du Canada est l'un des ra-res chefs d’État ou de gouverne-ment à avoir “réfléchi sur la poli-tique dans une perspective philo-sophique".

Les textes de M. Trudeausont une série d'articles publiésen 1958, par la revue " Vrai"éditée par la Ligue d'action civi-que, un regroupement réformisteet anti-duplessiste. Il y expliquel'absence de tradition et deculture démocratique au Québec.

C'est peut-être ce qui expli-que la difficulté de se procurerici` les "textes sacrés" du libéra-lisme constatée par M. Liebich.Quel contraste, dit-il, avec ce quise passe dans le reste de l'Améri-que du nord, en tout cas avec lesÉtats-Unis. où pratiquement toutécolier connaît presque par coeurles pages les plus célèbresd'Alexis de Tocqueville sur “ladémocratie en Amérique”, lesgrands principes de la Déclarationd’indépendance ou de la Consti-tution. Qui au Canada ou auQuébec peut en faire ou en dire

autant?

Quand M. Mulroney, noteM. Liebich, acclame la "magie del'entreprise privée", il tient undiscours typiquement américain,mais complètement étranger ànos habitudes et langages.

Les néo-libéraux

Les choses peuvent changerparce que, note M. Liebich,"nous nous américanisons".

Néanmoins, depuis quelquesannées, en partie dans le sillagede la crise économique, du déclindes idéologies marxistes ou sim-plement social-démocrates; duculte des droits de l'homme, lamode est à la déréglementation,l’évacuation par l'Etat de l'acti-vité économique, la valorisationdes forces du marché, etc...

C'est l’heure de gloires des"néo-libéraux" dont l'AméricainMilton Friedman, récipiendaireen 1976, du prix Nobel pourl'économie, est peut-être le plusconnu. L'un des textes de M.Friedman est d'ailleurs disponi-ble dans "Le libéralisme classi-que"

Ont-ils vraiment le droit dese dire "libéraux" tant le contextehistorique qui a donné naissanceau libéralisme est différent de ce-lui qui inspire les néo-libéraux?Voilà une bonne raison en toutcas de rééditer les "textes sacrés".

Les pères du libéralisme seretrouveraient sans doute assezmal dans l’État-Providence d'au-jourd'hui, oeuvre pourtant deleurs héritiers et disciples. Ils seretrouveraient sans doute toutaussi mal dans l'idée de“concurrence parfaite” des forcesdu marché, que propose MiltonFriedman, qui lui aussi se réfèreaux anciens, et qui fonde, aux

États-Unis, la "révolution reaga-nienne".

Ils ne se retrouveraient sansdoute pas non plus dans le lan-gage des néo-libéraux. "Droit na-turel", “droit à la révolte”,“contrat social”, "soulèvementpopulaire" sont des formuleschères à John Locke et Jean-Jacques Rousseau, mais qu'on re-trouve assez difficilement dans ce-lui de leurs héritiers et disciples,même si le culte des droits del'homme est tout autant à la basedes "anciens" que des "moder-nes".

Il est vrai qu'entre-temps,depuis en fait le triomphe de leurgrande revendication au siècledernier, I'économie de marché,les libéraux sont devenus conser-vateurs.

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LE DEVOIR, MONTRÉAL, LE MERCREDI 20 OCTOBRE 1993, PAGE A 9 — IDÉES

Crise économiqueou crise politique?Réduire le chômage tout en combattant ledéficit est à notre portée, mais demande ducourage, ce qui manque le plus dans nos clas-ses politiques( Retour à la tdm )

ALAIN BONNIN

C'est au niveau de la relance del'emploi que les recettes habituel-lement citées sont les plus inadé-quates: la création d'emplois parl'injection massive de dépensessous forme d'embauche dans lafonction publique, d'augmenta-tions salariales ou de grands tra-vaux, n'est pas réaliste quand lesfinances publiques n'offrent prati-quement aucune marge de ma-noeuvre.

Le gel des salairesn'est qu'un remède

temporaire et lesymptôme del'incapacité de

nos dirigeants àproposer des

mesuresdurables

L'économie canadienne souf-fre de deux maux principaux auxsolutions apparemment contradic-toires: les déficits colossaux ac-cumulés depuis près de 20 anspar une génération qui a, incons-

ciemment, choisi de se payer dubon temps aux dépens des pro-chaines générations à qui elle esten train de refiler la facture; unchômage accablant générateur decoûts, de manque à gagner et dedésespoir énormes. Le premier deces maux exige la réduction desdépenses publiques pour dimi-nuer le fardeau de la dette et nousobliger à vivre selon nosmoyens; le second commande-rait, selon une idée bien établie,des dépenses publiques massivespour relancer l'économie et créerdes emplois. Les conservateurscomptent réduire les dépenses enremettant vraisemblablement encause un certain nombre de droitsacquis (on n'aura sans douteguère de détails avant les élec-tions puisqu'il ne s'agit pas là dethèmes très payants pour recueil-lir des votes), mais sans rienproposer pour faire reculer lechômage; les libéraux proposentdes grands travaux en ignorant leproblème du déficit.

Réduire le chômage tout ens'attaquant au déficit est néan-moins une chose à notre portée,

mais elle demande ce qui manquele plus aujourd'hui dans nos clas-ses politiques fédérales et provin-ciales: du courage pour s'attaqueraux vrais problèmes.

Les recettes de réduction dudéficit sont relativement bienconnues, même si l'on pourratoujours discuter de la plus oumoins grande efficacité de telle outelle mesure:

• Réduction du budget mili-taire;

• Réduction de la protectionmédicale: ticket modérateur, sup-pression du remboursement decertains services dont l'aspect pu-rement médical est indiscutable,reconnaissance que certaines op-érations très coûteuses ne peuventpour l'instant être offertes gratui-tement à la population —c'est,hélas, cela, vivre selon sesmoyens;

• Réduction des subventionsagricoles;

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• Dégrossissage de la fonc-tion publique;

• Remise en cause de certai-nes protections sociales qui inci-tent des citoyens à se mettre surle chômage et raide sociale plutôtqu'à garder ou chercher un em-ploi. L'obligation de travauxcommunautaires — tri desdéchets, nettoyage des rives duSaint-Laurent par exemple — encontrepartie de prestations socia-les, serait également une solu-tion, très impopulaire certes,mais qui ferait chuter de façonsensible le nombre de réclamantstout en diminuant le travail clan-destin;

• Importance accrue accordéeà la répression de la fraude(contrebande, travail au noir...)qui crée un manque à gagner im-posant tout en décourageant ceuxqui ont la faiblesse de travaillerencore.

Au passage, le gel des salai-res ne peut être qu'un remèdetemporaire destiné à attendre qued'autres mesures produisent deseffets: il n'est pas une solution.Pris isolément comme c'est le casaujourd’hui, il est plutôt lesymptôme de l'incapacité de nosdirigeants à proposer des mesuresdurables.

C'est au niveau de la relancede l'emploi que les recettes habi-tuellement citées sont les plusinadéquates: la création d'emploispar l'injection massive de dépen-ses sous forme d'embauche dansla fonction publique, d'augmenta-tions salariales ou de grands tra-vaux, n'est pas réaliste quand lesfinances publiques n'offrent prati-quement aucune marge de ma-noeuvre.

La France l'a essayé en 1981-82, l'Ontario plus récemment,avec des résultats désastreux. Ces

recettes ne sont bonnes que lors-que les finances publiques sontsaines. Créer des emplois sansdépenser davantage est néan-moins possible si on laisse lesecteur privé, dont c'est le rôle,effectuer normalement son travail:

• Gérer une entreprise sansêtre paralysé par des contraintesanti-économiques imposées pardes règlements administratifsplus ou moins idiots ou desconventions collectives qui résul-tent de rapports de force et non deconsidérations économiques;

• Rémunérer et offrir desbénéfices marginaux en fonctiondes capacités de l'entreprise et del'état de l’économie.

Comment gérer de façon ra-tionnelle une entreprise lors-qu'une clause de la conventioncollective prévoit que tout em-ployé licencié touchera son pleinsalaire jusqu'à sa retraite? Com-ment veut-on développer harmo-nieusement l'économie cana-dienne lorsque des centaines derèglements protectionnistes emp-êchent ou limitent les échangesentre les provinces? Comment lafonction publique ne peut-elledevenir un boulet trop lourd pourl'économie lorsque des agents no-toirement incompétents ou im-productifs ne peuvent être licen-ciés?

Depuis des décennies, la po-litique de l'emploi consiste àprotéger les emplois existants aulieu de créer les conditions favo-rables à l'initiative. Chacun cher-che à préserver son travail par uneréglementation qui affaiblit en faitla capacité de gérer del’employeur alors que les em-plois ne peuvent être générés quepar une économie dynamiquedont les membres ne se sententpas paralysés par toute une sériede contraintes. De jobs sauvéesen emplois préservés, nous avons

créé une économie où près de25% de la population est sanstravail.

Si l'on avait le courage des'attaquer au problème de l'em-ploi, il faudrait:

• Interdire, dans les conven-tions collectives, les clauses ga-rantissant, sous une forme ousous une autre, la sécurité del'emploi ou du revenu, sauf pourquelques cas particuliers: mater-nité, formation, maladie;

• Limiter, par voie législa-tive, les avantages sociaux ac-cordés aux employés à un certainpourcentage du salaire ou de lamasse salariale (pas plus de 15ou 20% par exemple);

• Abolir ou revoir de fond encomble les décrets régissant lesconditions de travail en bannis-sant les clauses qui limitent l'ini-tiative de l'employé comme del'employeur et imposent le cloi-sonnement des activités;

• Abolir les barrières protec-tionnistes interprovinciales.

Ajoutons une mesure tempo-raire (pour pas mal d'annéesquand même) qui contribuera àcontrôler notre déficit et nousobligera à vivre selon nosmoyens tout en favorisant rem-ploi futur au Canada: interdictiond'emprunter à l'étranger pourpayer notre déficit Le rembour-sement de nos emprunts étrangerscrée aujourd'hui du travail au Ja-pon, aux États-Unis et en Europeau lieu d'en créer chez nous.Obligeons-nous à ne pas aggraverle problème ni à le transmettre ànos enfants.

Ces mesures ne coûterontrien sinon de l'imagination etsurtout du courage. Elles permet-tront de réduire fortement lechômage (probablement de re-

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tomber à un niveau de 57%) aucours des deux années suivantleur mise en vigueur sans pesersur les finances publiques.

Dans les moments de crise(on peut considérer que c'en estun actuellement pour le Canadaqui doit très rapidement prendredes mesures difficiles s'il désirerester parmi les grandes nations),des pays ont fait taire leurs que-

relles partisanes pour constituer,durant la période de redressementdes gouvernements d'union oùl'intérêt national transcendait lesintérêts des partis.

Soyons réalistes: les mesuresà prendre sont trop impopulairespour qu'un parti, tant au niveaufédéral que provincial, prenne lerisque de les mettre dans sonprogramme avant ou même après

des élections. Au mieux, nousaurons droit à quelques mesuresdiluées sans effets importants du-rables. Des gouvernementsd'union, à Ottawa comme àQuébec, sur un programme de re-dressement national contenant cetype de mesures, représentent unedes dernières chances qui s'offrentà nous. Ce n'est pas là une ques-tion d'argent mais de courage po-litique.

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Revue Jonathan, Avril 1986, pages 17 à 19. Montréal, une publication du comité Québec-Israël

Pierre Lemieux,anarchiste( Retour à la tdm )

Gilles Massé

Marx est mort, I'État-provi-dence agonise, vive l'anar-cho-capitalisme! C'est du moinsla solution à tous nos maux quenous propose Pierre Lemieux,économiste anarchiste qui, vousen conviendrez, rompt décidémentavec la tradition. Anarchisme etcapitalisme? L'association de cesdeux termes vous fait sans doutesursauter et pourtant, nous ditPierre Lemieux, si l'on y regardede plus près...

Pierre Lemieux ne répond pasà l'image typique qu'on se fait en-core de l'anarchiste. Le sombreindividu vêtu de noir, marginal etasocial, posant des bombes, cen'est décidément pas lui. Il seraitplutôt conseiller économique à laChambre de commerce du Québecet consultant ailleurs. Par cons-équent de droite, alors qu'on estaccoutumé de voir un anarchiste àgauche. Il en est un, pourtant.Seulement, il faudra peut-êtreréviser nos idées concernantl'anarchie...

L'une des dernières fois qu'ila fait parler de lui, c'était alorsqu'il venait de s'en prendre àl'État-providence, au cours d'uncolloque à Paris sur l'individua-lisme. Il y avait soutenu en subs-tance que la négation de l'individureprésentait l'aboutissement del'État-providence.

La première fois d'impor-tance, c'était en novembre 1983, àl’occasion d'un livre qu'il venaitde publier aux Presses Universi-taires de France: Du libéralisme àl'anarcho-capitalisme. Dans celivre étonnant, en même tempsqu'un économiste se révélait unanarchiste et s'évanouit l'image del'anarchiste romantique, moinsoccupé d'affaires et de réalité qued'une certaine poésie humanitaire.

L'échec del'État-providence

Par une soirée de tempête deneige, j'ai demandé à Lemieuxquelques éclaircissements sur lemariage, à première vue déconcer-tant, de ces deux termes:“anarchisme” et “capitalisme”.

“Je pense que nous sommesprésentement dans une situationoù les gens s'interrogent. Ilsvoient d'une part que le commu-nisme est un échec. Cela apparaîtévident pour tout le monde,même pour les intellectuels occi-dentaux, qui ont mis du temps àse faire à cette idée-là.

“Les gens s'aperçoivent d'au-tre part que dans nos sociétés ànous, I'État-providence est loind'être un succès fulgurant. Ilss'aperçoivent qu'ils doivent payerde plus en plus d'impôts, quel’État est de plus en plus envahis-

sant, qu'ils ont de plus en plus depermissions à demander, et toutça pour gagner quoi?

“Pour gagner un régime d'as-surance-santé public où vous ris-quez de vous retrouver dans uncorridor d'hôpital si vous êtes ma-lade; pour gagner un régime de re-traite public qui, fort probable-ment, n'aura plus de fonds pourvous payer quand vous arriverez àl'âge de la retraite; pour gagnerune économie qui, bien quel’État, maintenant, prélève plusde 50% de la production auQuébec, produit une année derécession où la production dimi-nue d'environ 6%; une économieoù, somme toute, au cours des sixou sept dernières années, le revenuréel per capita n'a pas augmenté.Est-ce pour gagner cela que nousavons tant abandonné de notre li-berté individuelle?

“J'ai été frappé, quand j'étaisplus jeune, par le fait que la li-berté, que j'avais cru trouver dansles doctrines socialistes, se trou-vait au contraire dans la théoriecapitaliste. En poursuivant moncheminement personnel, j'en suisarrivé aux idées que j'ai exposéesdans mon livre.”

Une anarchie qui sécrète l'ordre

D'emblée, évidemment, onconçoit mal l'anarchiste en

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l'homme d'affaires armé de son at-taché-case et vêtu de son uniformecivil. C'est que l'anarchisme pro-posé par Pierre Lemieux n'a riende viscéral ni d'improvisé. Il estla conclusion “purement logiqueet rationnelle” d'une ligne droitequ'il dit avoir prolongée à son ex-trême limite, à partir des principeslibéraux classiques de liberté in-dividuelle et de capitalisme.

Il faut préciser également quesi l'ouvrage dans lequel il exposeses idées est un livre de philoso-phie politique, selon sa propredéfinition, c'est quand même unéconomiste qui l'a écrit, et quel'image de chaos et de désordreordinairement associée à l'anarchiene cadre pas tellement avec lathéorie économique à laquelle ilsouscrit. “L'économie nous ap-prend essentiellement une chose.Est économiste celui qui a com-pris cette chose-là et ne l'est pascelui qui ne l'a pas comprise.L'économie, depuis au moinsAdam Smith (XVIIIe siècle), nousapprend que les actions indépen-dantes de gens qui agissentséparément, dans leur intérêt per-sonnel, créent un ordre social effi-cace. C'est la grande leçon del'économie. C'est même la seuleleçon de l'économie.”

Il suffit donc de laisser le pluspossible le champ libre à ces ac-tions indépendantes, sans interve-nir, pour que se crée spontané-ment un ordre. C'est de cet or-dre-là que parle l'anarchie dePierre Lemieux. Le “Laissez-faire”capitaliste. L'idée en elle-mêmen'apparaît pas tellement nouvelle:ne serait-elle pas même un peuéculée? Eh bien, non, ce serait,semble-t-il, le contraire.

“L'humanité existe depuis500 000 ans. Durant la presquetotalité de ces 500 000 ans, elle avécu sous un régime plus oumoins communiste. Pas dans lesens où Marx l'entendait, maisdans celui où c'était la collectivitéqui, d'une manière ou d'une autre,soit par des chefs, soit par la tradi-tion, décidait de ce que les indi-

vidus feraient. L'humanité a vécusous ce genre de régime collecti-viste pendant au moins 499 700années sur les 500 000 ans, etpendant toutes ces années, il n'y apas eu de développement écono-mique. Quatre-vingt-dix-neuf pourcent de l'histoire de l'humanité estune histoire à la fois de tyrannie,de collectivisme, de sous-développement et de pauvreté. Lesseuls pays qui se sont développesl'ont fait parce que, justement, ony a abandonné le carcan collectifsur les activités des gens. La Hol-lande au XVIIe siècle, l'Angleterreau XVIIIe, suivis au XIXe de laFrance, des États-Unis et, lente-ment, des autres pays qu'on ap-pelle maintenant développés. Despays qui ont, en bonne partie,laissé faire. Qui ont laissé l'initia-tive individuelle et le marchés'occuper du développement éco-nomique.”

L'idée du “laissez-faire” capi-taliste serait donc plutôt neuve,dans le sens où Pierre Lemieuxpropose d'aller jusqu'au bout del'expérience capitaliste qu'aconnue l'humanité durant une trèspetite partie de son histoire, exp-érience qu'est venue enrayer, avecplus ou moins de succès,l’actuelle social-démocratie. Il vamême jusqu'à trancher: “L'avenirde l'humanité—si avenir il ya—est du côté de la poursuite decette expérience de liberté indivi-duelle et de capitalisme.”

“L’État est dangereux”

Comment serait le monde,livré à l'anarcho-capitalisme? Enprincipe, tout serait soumis à laloi du marché. “L'idée que le testdu marché est en quelque sorte letest ultime, repose, au bout ducompte, sur un postulat fort sim-ple: à savoir que chaque individusait mieux que quiconque, quen'importe quel bureaucrate ou in-tellectuel, ce qui est bon pourlui”, plaide-t-il, à la défense de

cette idée qui tend à prendre, jetrouve, des dimensions de credo.

En principe, tout deviendraitprivé: les routes, les rues, les ri-vières, la justice, la police... tout.Même la défense nationale. L'Étata le grand tort d'être un monopoleet d'éviter ainsi le test du marchéqui l'éliminerait sans doutecomme incompétent, au profit desociétés privées plus efficaces. Leprincipe de base serait donc le“laissez-faire” qui permettrait à unordre spontané, plus authentique,évoluant avec le changement etsauvegardant en même temps latradition, de naître à partir de l'in-teraction libre des individus. “J'aivoulu montrer, à l'opposé des id-ées à la mode, que si l'on acceptele postulat de la liberté indivi-duelle, l’État est dangereux.Comment idéalement il faudraitne pas avoir d´État.” Il y a de cesformulations osées qui font pres-que rougir, sans qu'on sache tropsi c'est de plaisir, de pudeur... oules deux!

En pratique, toutefois, Le-mieux fait quelques pas en arrière.Effectivement, certains problèmesposés par la privatisation univer-selle demeurent irrésolus. Ladéfense nationale, notamment, etla sécurité intérieure. Commentcontrôler l’efflorescence inévitablede diverses mafias? Aussiramène-t-il, en dernière analyse, sapromotion de l'anarchisme, del'anarcho-capitalisme pour êtreexact, à des dimensions plus ac-ceptables et plus réalisables.

C'est que, en définitive, pourprotéger l'anarchie générale, la-quelle, pour ainsi dire écologi-quement, est le système politiquele plus souplement adapté à la na-ture humaine, il faudra un État.Mais un État minimal, qui ne ferarien d'autre que protéger les droitsindividuels, les seuls vrais droitspour Pierre Lemieux. “Il ne fautpas rêver de systèmes faits pourdes hommes parfaits. Au lieud'avoir un système politique,comme l'étatisme ou le collecti-visme, qui permettrait aux meil-

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leurs de faire beaucoup de bien, ilfaut plutôt un système qui emp-êche les pires de faire beaucoup demal. Qu'est-ce qui serait le plusdangereux? Avoir un exploiteur

comme président d'Eaton oucomme premier ministre?”

Peut-on ne pas reconnaîtreque, dans le vide actuel des idées,cette proposition de Pierre Le-

mieux... résonne avec un senscommun fort séduisant?

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Québec, Le Soleil, samedi 12 avril 1986, page B 1 Dossier

Fini l'État-Providence...le gouvernement investitdans le bénévolat

Des millions qui va-lent des milliards( Retour à la tdm )

Textes de Pierre BOULET

Photo: Le Soleil, André PichetteAu Québec comme au Canada, letiers des travailleurs bénévolesoeuvrent dans le secteur de lasanté et des services sociaux, plusprécisément dans le domaine dumaintien à domicile.

Depuis quelques années, les gou-vernements se sont mis à la modedes compressions budgétaires.On ne parle que de coupures, deprivatisation et de désinstitution-nalisation. Au même moment auQuébec, dans le seul secteur de lasanté et des services sociaux, legouvernement a multiplié pardeux les budgets accordés aux or-ganismes bénévoles. Une généro-sité soudaine qui ne manque pasd’éveiller une certaine méfiance...même chez les principaux int-éressés. Pierre Boulet est allé yvoir de plus près.

Le bénévolat n'a pas beau-coup de secrets pour le jésuite Ju-lien Harvey. Directeur du CentreJustice et Foi de Montréal, il di-rige aussi un organisme bénévole

qui voit à l'hébergement des3,000 clochards et clochardes dela métropole. Il y a trois semai-nes, il recevait une subventionde$800,000 pour ouvrir deuxnouveaux centres destinés à cetteclientèle. On croit donc rêverquand on l'entend déclarer enpleine assemblée publique:"Méfiez-vous du sourire du gou-vernement quand il vante lesmérites du bénévolat!"

Contradiction? Ce serait malconnaître le père Harvey. Disonsplutôt sens critique. S'il croit enla "nécessité d'une reprise intelli-gente du bénévolat", Julien Har-vey n'en affirme pas moins qu’“ilserait désastreux de voir lebénévolat remplacer une sociétéqui ne prend plus ses responsabi-lités”.

Le jésuite participait récem-ment à Québec, avec des représen-tants d'organisations populaires,syndicales et bénévoles, à unesoirée de réflexion sur le thème dubénévolat... un sujet redevenu trèsà la mode par les temps qui cou-rent.

En effet. au moment même oùI’État-Providence râle ses derniers

râlements et que l'on ne parle plusque de privatisation et de désinsti-tutionnalisation, voici que legouvernement se met à découvriret à promouvoir les vertus del’“action volontaire”... un termeplus "in" pour désigner la pratiqueséculaire du bénévolat.

Pendant que le Québec passela faucheuse dans des servicesqu'il avait dispensés jusqu'à au-jourd'hui, il augmente simul-tanément de 100 pour 100 lescrédits qu'il accorde aux organis-mes d'action bénévole. Finil’État-gâteau. La tendance favorisedésormais la prise en charge descitoyens par eux-mêmes. Qu'on enjuge!

Un virage radical

Au cours des trois dernièresannées, les sommes d'argent vers-ées par le gouvernement québécoisdans les établissements publics desanté et de services sociaux sontgénéralement allées décroissant.Par exemple, de$3,7 milliardsqu'il était en 1982-83, le budgetdes centres hospitaliers de courtedurée est passé à$3,5 milliards en

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1985-86. Pendant la mêmepériode, les budgets des centresd'accueil et des centres de réadap-tation ont été plus ou moinsmaintenus à$400 millions etâ$550 millions respectivement...un statu quo trompeur qui se tra-duit par un déficit, si l'on tientcompte de l'inflation. Bref, lescompressions budgétaires et lescoupures de postes sont devenues,depuis quelques années, le lot irr-éversible du réseau québécois dela santé et des services sociaux.

Il faut bien reconnaître cepen-dant que la hache gouvernemen-tale a frappé de façon sélective. Aucours de ces mêmes trois annéesen effet le ministère québécois dela Santé et des Services sociaux aplus que doublé son soutien auxorganismes bénévoles qui oeu-vrent dans le seul secteur des affai-res sociales. Entre 1982-83 et1985-86, les crédits alloués à ceposte sont passés de$ 11,021,900à$25,428,700, révèle un fonction-naire de la Direction du soutienaux organismes communautaires.

Voilà des millions qui peu-vent faire figure de goutte d'eaudans un océan de milliards de dol-lars... d'autant plus qu'ils ne

répondent qu'à 25 pour 100 desdemandes en provenance des or-ganismes bénévoles, révèle lemême fonctionnaire. Mais la ten-dance est claire. "Cela correspondau discours que tient le gouver-nement à l'effet que les gens seprennent en main. Cela coïncideaussi avec les coupures dans lesservices sociaux", commente-t-il.

Et attention! En bout de li-gne, les petits millions investispar le gouvernement dans lebénévolat valent des milliards.

Des économies pour l'État

Pas besoin de faire de savantscalculs, en effet, pour mesurerl'ampleur des économies que peutréaliser l'État grâce au bénévolat.Les statistiques les plus récentes(1980) révèlent qu'en 1979, 2.7millions d'adultes canadiens (desfemmes dans une proportion de54.2 pour 100) se sont adonné aubénévolat, soit 15 pour 100 de lapopulation. Ils ont travaillé gra-tuitement un total de 373,991,000heures. En termes d'emploisrémunérés, cela équivaut à environ218,000 personnes travaillant 40heures par semaine pendant une

année entière.A la même époque au

Québec, 512,000 personnes (11pour 100 de la population) ont faiten moyenne 116.6 heures debénévolat par année. Cela repr-ésente 59,708,000

heures de travail ou l'équiva-lent de$238 millions au salaireminimum. Quand on sait que letiers des bénévoles évoluent dansle secteur de la santé et des servi-ces sociaux, on peut mesurerl'importance des économies gou-vernementales dans ce seul do-maine.

L'impact économique de l'ac-tion bénévole revêt en outre desproportions astronomiques lors-qu'on l'analyse en termes de recet-tes. En 1980, les recettes des39,965 organismes de charité en-registres au Canada ont totalisé lasomme$5.84 milliards. Ce mon-tant correspond, pour l'époque, àenviron 11 pour 100 des recettesdu gouvernement fédéral et à pres-que deux pour 100 du Produit na-tional brut. Les dons comptentpour 43.6 pour 100 de ces revenustandis que les subventions gou-vernementales n'y sont que pour22.8 pour 100.

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Québec, Le Soleil, samedi 12 avril 1986, page B 1 Dossier

Histoire d'une volte-facepour le moinsrévélatrice( Retour à la tdm )

Texte de Pierre BOULET

La nouvelle ferveur du gou-vernement québécois à l'endroit del'action volontaire et de la prise encharge des citoyens par eux-mêmes s'est manifestée de manièreon ne peut plus explicite, en1983, à l'occasion d'une campagnede promotion du bénévolat. Il fauttoutefois remonter cinq ans en ar-rière pour saisir l'importance duvirage effectué par l'Etat à cetteépoque.

"En 1978, la Fédération descentres d'action bénévole duQuébec a demandé au gouverne-ment une subvention d'à peuprès$100,000 pour financer unecampagne de promotion dubénévolat", révélait récemmentJean Brousseau, ex-président del'organisme, devenu depuis direc-teur général du Centre d'actionbénévole de Québec. "Invoquantdes restrictions budgétaires, legouvernement a refusé."

Quelques années plus tard, leministère des Affaires sociales faitpourtant volte-face. En deux ans -du printemps 1982 au printemps1984- la Direction des communi-cations du ministère inves-tit$600,000 dans une campagne-médias destinée à promouvoir lebénévolat. Le thème: "Prenez letemps d'aider!" Selon le directeur

des communications du ministère,Benoît Roy, aucune étude d'im-pact n'a suivi la campagne. "Àl'époque, les organismes bénévo-les nous ont cependant fait savoirque les offres de services de la partdes citoyens s'étaient accrues de100 pour 100", révèle M. Roy.

Mais "trop c'est comme pasassez" veut le dicton. Et FrancineSénécal de l'lnstitut canadiend'éducation des adultes (ICEA),affirme pour sa part que la campa-gne gouvernementale en faveur dubénévolat s'est soldée par unéchec: "Il ne faut surtout pas ou-blier que les groupes bénévolesn'ont jamais été associés à cettecampagne, rappelle-t-elle. Ils ontété pris par surprise. Ils n'étaientpas prêts à recevoir toutes les of-fres de services qui ont suivi."

Pas une panacée

Au moment où la sociéténord-américaine négocie un virageserré à droite et que l’État-Providence s'adonne allègrementau sabordage, on comprendra doncfacilement pourquoi les gouver-nements se mettent à courtiser siassidûment les organismesbénévoles. Si ces derniers yvoient une occasion de se refaireune crédibilité et une... santé fi-nancière, il semble cependant que

ce ne soit pas à n'importe quelprix. Pas à celui en tout cas, de laperte d'autonomie et du rapport deforces avec les travailleurs syndi-qués des établissements de santéet de services sociaux.

Et les gouvernements devrontbien comprendre que tous les in-tervenants (syndicats, organismespopulaires et groupes bénévoles)semblent s'entendre sur au moinsun point: l’action volontaire n'estpas une panacée.

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Discours idéologiques, axe du social 52

Québec, Le Soleil, samedi 12 avril 1986, page B 1 Dossier

Éviter le piègede la privatisationdéguisée( Retour à la tdm )

Texte de Pierre BOULET

Des subventions doublées entrois ans. Plus d'un demi-millionde dollars investis par le gouver-nement dans la promotion del’action volontaire. Une déléga-tion accrue aux organismesbénévoles de responsabilités so-ciales jusqu'ici assumées par lesservices publics,.. N'est-ce pas làce qu'on pourrait appeler enfin unevéritable reconnaissance dubénévolat par l'Etat? "Pas dutout!", affirme Francine Sénécal,de l'Institut canadien d'éducationdes adultes (lCEA)

Alors ce serait quoi, une vraiereconnaissance du bénévolat?

"Il faudrait d'abord pouvoirfaire reconnaître l'expérience ac-quise dans le cadre d'un travailbénévole, soutient Mme Sénécal.Actuellement, il est pour ainsidire impossible à quelqu'un quisollicite un emploi, dans le sec-teur public ou prive, de faire re-connaître officiellement l'exp-érience acquise et accumulée entravaillant bénévolement."

"Et pourtant au moment oùon parle de déficit gouvernementalet de désinstitutionnalisation, lesbénévoles risquent d'être mis à

contribution beaucoup plus qu'ilsne le voudraient, soutient-elle. Unexemple? Les sentences de tra-vaux communautaires!"

Depuis 1980, les tribunauxprononcent à peu près 1,000 sen-tences de travaux communautairespar année, au Québec. Il s'agitd'une alternative à la peine de pri-son pour les citoyens qui se sontrendus coupables de délits mi-neurs. Or ces peines sont généra-lement purgées dans des organis-mes bénévoles. Le directeurrégional des services de probationrévèle d'ailleurs avoir fait affaireavec une centaine d'organismesdifférents dans la seule région deQuébec, depuis quatre ans

Francine Senécal reconnaîtque les sentences de travauxcommunautaires ne coûtent pascher aux contribuables et qu'ellesfavorisent la réinsertion socialedes délinquants. "Mais ça signifieaussi que les groupes communau-taires et les organisations bénévo-les deviennent de plus en plus desgestionnaires de programmes so-ciaux, ajoute-t-elle du même souf-fle. Leurs priorités s'en trouventsouvent modifiées. Leur chargeéconomique et sociale augmente."

Bien sûr, les organismes

peuvent toujours refuser de pren-dre la relève de l'Etat. Mais direnon à I'administration d'un nou-veau service, ça peut vouloir direnon à une subvention. Et il fauts'attendre à ce que les organisa-tions bénévoles soient encore sol-licitées davantage à l'avenir.Coincé par les restrictions budg-étaires, le Solliciteur général duQuébec a annoncé récemment qu'ilrenonçait à la construction denouvelles prisons et qu'il allaitprivilégier désormais les sentencesde travaux communautaires.

Ne pas mêler les cartes

Le directeur général du Centred'action bénévole de Québec, JeanBrousseau, reconnaît qu'il existeun danger pour les organismes dedévier de leurs objectifs de départ.

"Certains organismes bénévo-les qui s'occupent de maintien àdomicile, par exemple, vont faireappel tantôt à des bénévoles, tant-ôt à des délinquants qui ont reçudes sentences de travaux commu-nautaires, tantôt à des assistés so-ciaux inscrits à des programmesde travaux communautaires etrémunérés par le gouvernement autaux du salaire minimum... C'est

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Discours idéologiques, axe du social 53

ainsi que l'Etat finit par donnerl'étiquette de bénévoles à des gensqui ne le sont pas."

C'est ainsi, reconnaît-il aussi,que certaines organisations d'ac-tion volontaire devront se définirde moins en moins comme orga-nismes bénévoles et de plus enplus comme entreprises privées.

M. Brousseau admet d'ail-leurs que c'est de cette manièreque survient le danger d’instaurerdes services parallèles aux servicespublics... aux CLSC, par exem-ple. "Bien sur, ces services parall-èles coûtent moins cher... et là,on peut parler de "cheap labour" etde double emploi."

C'est là aussi que les syndi-cats montrent les dents.

Privatisation déguisée

Ce qui préoccupe les syndi-qués de la santé et des services

sociaux bien davantage que lebénévolat, c'est justement la mul-tiplication des contrats à l'entre-prise privée, "la privatisation paren dessous de la table".

Francine Martel est vice-présidente à la Fédération des Af-faires sociales de la CSN. MichelFontaine, lui, est travailleur socialsyndiqué dans un CLSC de Mon-tréal. Tous deux affirment que lestravailleurs du réseau des affairessociales ne sentent pas leurs em-plois menacés par les travailleursbénévoles.

Le bénévolat, ils sont pour...dans la mesure, bien sûr, où ils'inscrit en complémentarité avecla tâche des salariés et dans la me-sure où on lui fournit l'encadre-ment professionnel nécessaire. "Ala condition aussi que les bénévo-les ne monopolisent pas les tâcheshumanisantes, ne laissant auxsyndiqués que le travail techni-

que." Bref, à la condition qu'onpuisse travailler sereinement et ef-ficacement ensemble.

A l'occasion d'une récente ré-union de réflexion sur le bénévo-lat, le directeur du Centre Justiceet Foi, le père Julien Harvey,déclarait d'ailleurs: "11 est urgentqu'il y ait concertation entre lebénévolat et le travail social payé.Les bénévoles ne doivent pas fairele jeu de l'Etat en prenant la placedes employés syndiqués... Il fautéviter que le bénévolat ne de-vienne une activité de droite!"

Photo: Le Soleil, Gilles LofondJean Brousseau, directeur généraldu Centre d'action bénévole deQuébec: "Certaines organisationsdevront se définir de moins enmoins comme organismesbénévoles et de plus en pluscomme entreprises privées "

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Le Devoir, Montréal, samedi 24 mai 1986, page A 9, DES IDÉES, DES ÉVÉNEMENTS

Les années qui viennent

L’inévitablesocial-démocratie

( Retour à la tdm )

Jean-Paul L’Allier

Dans les années 60 et jus-qu'au début des années 70, le Par-ti libéral, ses chefs en tête, sedéfinissait volontiers avant toutcomme social-démocrate.

Encore aujourd'hui, les lib-éraux ne manquent pas de rappeleravec raison qu'ils ont été à l'ori-gine des principales réformes no-vatrices qui ont permis au Québecde rattraper en certains domainesson retard et de se distinguer dureste du pays en d'autres.

Mais la social-démocratiecomme étiquette de politique àtout le moins, n'est pas a la modeces années-ci. Pour bien vendre unprogramme politique, le parti quile signe doit toujours se faire lechampion de l'initiative, de lacréativité et de la réforme. Lesbonnes réponses dans chacun deces domaines se trouvent plutôt,selon le préjugé populaire actuel,à l'extérieur des administrationsgouvernementales.

Chez les libéraux, on ne parledonc plus de social-démocratie.Au Parti québécois, par ailleurs,on est aussi conscient que l'éti-

quette n'est pas plus populaire quecelle de la souveraineté, même siles deux ont incarné et incarnentencore, pour bon nombre de ci-toyens plus progressistes queconservateurs, l’essence d'un partiqui se couperait de ses racines lesplus profondes s'il continue des'en trop éloigner.

En politique, deux tendancesou plutôt deux tentations se po-sent en permanence: celle du trèscourt terme qui conduit habituel-lement à l'exercice du pouvoirceux qui ont les moyens de s'or-ganiser pour y arriver, et celle dulong terme qui souvent faute desupport populaire suffisant, permetde s'attacher à prévoir des alterna-tives plutôt que la simple alter-nance. A Ottawa, par exemple, leslibéraux représentent l'alternanceet le NPD l'alternative.

Un autre élément s'ajoute, auQuébec, pour brouiller les cartes:s'il ne s'agissait que de discuter delibéralisme ou de social-démocratie, les forces politiquesse diviseraient plus simplement etplus naturellement. Mais il y a,en arrière scène, l'omniprésentequestion d'un Canada à construirequi ne peut reconnaître, pour se

développer, les spécificités régio-nales, en particulier celles duQuébec. Il y a aussi celles encored'un Québec suffisamment différentpour être conscient que son int-égration sans nuances dans l'en-semble canadien lui enlèverait defait plusieurs de ses principauxmoyens de développement origi-nal.

Les débats qui auront lieu aucours des prochains mois et desprochaines années au sein commeautour du Parti québécois risquentfort de devenir les meilleures ga-ranties pour le Parti libéral, degarder le pouvoir aussi longtempsqu'il le voudra, un peu comme unparti unique. Il ne pourra sansdoute pas brandir encore long-temps aux yeux de la populationle spectre de l'indépendance ap-préhendée ou de la souveraineté-association avec suffisamment decrédibilité pour faire peur. Il ses'en privera quand même certai-nement pas. Dès lors aussi long-temps qu'il y aura une majorité decitoyens pour rejeter la démarchede la souveraineté-association, leParti libéral n'aurait pas de vérita-ble opposition au moment desélections.

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Bien plus, il n'est pas impos-sible que les forces indépendantis-tes se regroupent efficacement, soitpour tenter de reprendre un partiqu'il aura échappé, soit pour for-mer, en parallèle, une troisièmevoie, dure et pure.

Si l'on ajoute à cela le faitque bon nombre de citoyens pour-raient en arriver à préférer un NPDrenouvelé dans ses bases, social-démocrate québécois mais nonindépendantiste, tout ce qui pour-rait y avoir d'opposition réelle, letemps de l'élection venu, se trou-vera à peu près également diviséen parcelles d'aucune façon me-naçante pour le parti au pouvoir.

Au-delà de cette analysesommaire cependant, ce sont leschoix politiques que les partis aupouvoir ou dans l'opposition, fontdans les faits, au sujet de l'aveniret du développement de la sociétéquébécoise et non pas seulementde son économie.

En copiant les principalesrègles du libéralisme à l'améri-caine, au niveau du Québeccomme au niveau du Canada, onélargit la plupart des voies dedépendance qui nous lient déjà ànos voisins du Sud. Ce n'est pasnécessairement un mal pour lesconsommateurs ou les producteursmais cela rend certes aléatoire ladéfinition d'action collective et depolitique qui corresponde à nosfaçons de vivre et à nos façons devoir encore différentes en bien despoints de celles de nos voisins duSud. Seuls les pays les plus fortspeuvent se développer en s'ap-puyant essentiellement sur leursentreprises privées car leurs entre-prises privées sont aussi presquepar définition, les plus puissantessur la scène internationale. Ellesfont la loi.

Plus les pays sont petits,plus les entités collectives sontdépendantes sur le plan économi-que, plus elles doivent se consti-tuer en elles-mêmes des moyensde protection et de développement

social et culturel que la simpleapplication des règles du marchéne leur donnerait pas.

Au Québec comme au Cana-da, pour prétendre être différents etexploiter cette différence à notreavantage, il faut, qu'on le veuilleou non, accepter de vivre plu-sieurs des règles et des exigencestraditionnelles de la social-démocratie telle qu'elle est com-munément définie.

L'analyse de ce que fait, de-puis maintenant près de six mois,le gouvernement libéral duQuébec en est un bon exemple. Ilétait difficile d'imaginer un dis-cours plus libéral et plus à droite,au moment des élections pour bat-tre le Parti québécois. Une fois aupouvoir, on nettoiera bien ici et làquelques structures administrati-ves, on diminuera les budgets etcertains services qui font doubleemploi on vendra les sociétésd’État mais il n'est pas impossi-ble que l'on en crée d'autres: en unmot, le discours demeurera àdroite mais l'action et la gestionne seront pas jamais totalementaussi libérales. Le verbe politique,parce que c'est la mode, sera plusà droite que l'action. En d'autresmots, pour faire contrepoids auParti québécois par exemple, ilétait plus à gauche.

Mais l'action demeure au cen-tre et le centre, au Québec, seratoujours plus proche de la social-démocratie qu'il ne le sera jamaisdans n'importe quel État améri-cain, par exemple.

Cela signifie que l'État, cheznous, sera toujours plus présentpar nécessité plutôt que par choix,en matière de culture comme enmatière de sécurité sociale, en ma-tière de protection et de dévelop-pement de l'emploi ou en matièrede recherche et d'enseignement.

Imaginée et vécue par les lib-éraux, la social-démocratie vise àaméliorer le contexte social et lasituation des personnes à un coûtminimal pour que l'ensemble soit

plus productif à des fins économi-ques et ultimement, à des finsprivées. C'est ce que l'on peut ap-peler la social-démocratie d'apai-sement ou de dépendance.

Vue par un social-démocrate,du NPD par exemple, c'est autrechose: il s'agit plutôt de dévelop-per une économie aussi saine etrigoureuse que possible dont lesretombées positives soient avanttout d'élever les plus bas com-muns dénominateurs, de favoriserle développement de la société enelle-même et des individus qui lacomposent. L'économie n'est pasune fin, elle est un moyen.

Entre les deux, la social-démocratie endossée par le Partiquébécois dans le passé est plutôtétriquée. Elle est hybride et serapproche davantage des conceptsqui ont mis au monde le Partilibéral de l'après-duplessisme:I'État se fait entreprise privée maisle développement économiquedemeure le but ultime.

Une meilleure intégration duQuébec dans le Canada, soit dansles faits soit dans l'applicationplus rigoureuse et plus vigoureusedu cadre fédéral, empêche évi-demment une social-démocratiequébécoise de se développer iciautrement qu'elle ne le ferait ail-leurs dans le pays puisqu'en défi-nitive, le gouvernement fédéralprend à peu près tout l'espace po-litique utile dans les secteurs quicomptent pour l'avenir.

Si l'on s'intéresse aux affairespolitiques et au fond des ques-tions, si c'est le développementmême de la société et de nos col-lectivités qui importe, il faut cher-cher à rénover l'État et à le rendreplus pertinent et plus fort, ce quine veut pas dire, surtout mainte-nant, le rendre plus gros, plusprésent et plus coûteux.

Les défis des sociaux-démocrates, ces années-ci, sont degarder les citoyens et la sociétécomme ultime objectif de leur in-tervention tout en questionnant

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jusque dans leur fondement lesthèses et les moyens retenus pareux depuis une trentaine d'annéescomme les seules façons d'y arri-ver. En bout de piste, un projet desociété basé sur une vision social-démocrate de la politique si elle

est effectivement renouvelée,correspondra toujours mieux auxintérêts du Québec en lui-mêmecomme du Canada dans son en-semble. Au moment où s'affirmeplus agressivement que jamais lemimétisme libéral américain, l'ab-

sence de nouvelles définitions dela social-démocratie ne permet pasde véritable choix.Photo: Jean Lesage, ancien chefdu parti libéral et premier ministredu Québec.

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Le Devoir, Montréal, Jeudi 17 juillet 1986, page 6

BLOC-NOTES

Le débat sur le néo-libéralisme( Retour à la tdm )

PAUL-ANDRÉ COMEAU

FAUT-IL encore une fois ci-ter Molière ? “Cachez ce sein...”C'est la question qui s'imposelorsqu'on prend en considérationles coups de téléphone, les ques-tions directes, les premières ripos-tes—voir le texte du politicologueDorval Brunelle publié en pagevoisine—suscitées par la publica-tion de la série de quatre textes del'économiste montréalais PierreLemieux. Depuis samedi dernier,M. Lemieux a jugé, à travers lagrille néo-libérale, I'attitude dugouvernement Bourassa depuisson accession au pouvoir. Il aaussi jugé, dans la même perspec-tive, les trois rapports déposés audébut du mois par autant de co-mités de “sages bénévoles” envue d'adapter la structure et lefonctionnement de l'appareil étati-que aux idées du moment.

Le néo-libéralisme, tout lemonde connaît. On en parle par-tout. C'est devenue la référenceobligée lorsque l’on tente de jus-tifier de nécessaires transforma-tions des pratiques étatiques ousimplement bureaucratiques. C'estle terme qui revient dans la plu-part des rapports publiés, ici et .dans plusieurs autres pays occi-dentaux, au terme de l'examen cri-tique du rôle et du pouvoir de

l'Etat. Bref le néo-libéralisme estservi à de multiples sauces sansque le plat lui-même n'ait fait icil'objet d'appréhension rigoureuse.

À parcourir les publicationsétrangères, européennes et améri-caines surtout, on est frappé del'absence de ce thème majeur dansles médias au Québec. En Francenotamment, depuis la publicationdes ouvrages de vulgarisation decette idéologie—à titre d'exemple,on peut parcourir: La Solutionlibérale, de Guy Sorman, publiéchez Fayard, à Paris, 1984—, lesjournaux ont été le lieu d'affron-tements majeurs autour de cettequestion. Les arguments ont étéexposés, développés, confrontés.Les conséquences éventuelles dela néo-libéralisation des sociétésoccidentales ont été, elles aussi,soupesées et envisagées à traversune foule de scénarios. Ici, ledébat n'a pas démarré. Ou si peu.Règle générale, on - s'est contentéde balayer toute l'affaire d'un re-vers de la main, quand on n'utili-sait pas le mot avec la coquetteriedes nouveautés. Le terme néo-libéralisme s'est inséré dans levocabulaire passe-partout, aumême titre qu'une foule deconcepts qui nous ont fait évoluerdu vécu aux intervenants en pas-sant par les personnes-ressources.

Pendant un quart de siècle, leCanada français d'abord, puis leQuébec ont été le théâtre d'unvéritable débat de régime. Pourou contre le fédéralisme ? Pour oucontre l'indépendance ? Ce choix,envisagé, proposé et rejeté, d'unnouveau régime pour le peuple duQuébec a polarisé les énergies detoute la classe politique, d'unecertaine partie de la population. Acertains moments, l'ardeur des en-gagements a donné lieu à des af-frontements dont les cicatrices nesont pas encore toute refermées.

Épuisement ou lassitude, leréférendum scellé, le débat atourné court. Immédiatement, laconclusion est tombée: on entraitdans une nouvelle phase irr-émédiablement orientée vers “ledéclin du nationalisme”, pour pas-ticher le titre d'un ouvrage stimu-lant de Dominique Clift. La no-tion même de débat social ou col-lectif s'est pratiquement évanouie,du moins telle que reflétée sur laplace publique, par médias inter-posés.

Deux indices permettent tou-tefois de croire que l'idéologienéo-libérale a marqué des points àla faveur de cet apaisement collec-tif. Il suffit d'écouter le émissionsd'appels téléphoniques sur les on-

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des radiophoniques pour s'enconvaincre. Balivernes ou mani-festations vides de toute significa-tion profonde ? Le ressentimentpopulaire contre la puissance despouvoirs publics ne constitueraitqu'une version nouvelle du vieuxfonds d'anti-étatisme développétout au cours de notre histoire.Retenons cette hypothèse, à défautde démonstration plus convain-cante.

Il sera sans doute encore plusdifficile d'étayer l'autre argumentqui ne manque de s'imposer a lamoindre fréquentation de certainscercles gouvernementaux, enten-dus au sens des mandarins et au-tres grands commis de l’État.C'est dans ces milieux que trou-vent preneur bon nombre dethèses popularisées en France parGuy Sorman et aux États-Unis parMilton Friedman, pour ne citerque ces chantres populaires dunéo-libéralisme. Aucune surprise àce que les “sages bénévoles” dugouvernement Bourassa aient DUbénéficier d'appuis précieux etd’une collaboration pertinente aumoment de l'élaboration et de larédaction de leurs rapports: c'estun secret de polichinelle qued'évoquer le rôle joué par certainshauts fonctionnaires et quelquesuniversitaires dans la rédactiondes rapports Gobeil et Scowen.

Cette idéologie néo-libérale,sous l'une ou l'autre de ses varian-tes, propose un choix de société.Rien de moins. Refuser le débatsur cette question sous prétexteque le précédent débat a fait perdretemps et énergie, c'est implicite-ment signifier un accord tacite auxtenants de cette nouvelle idéolo-gie.

Pour revenir à Molière, cer-tains soupirent: “Mais que diableallait-il faire dans cette galère”? Àla faveur de sa contribution,spéciale et ponctuelle, l'écono-miste Pierre Lemieux a jaugé àl'étalon de cette idéologie néo-libérale, les propositions des

“sages” du gouvernement libéral.On peut apprécier ou non sadémarche qui ne manque pasd'être provocante. Elle a le méritede situer le débat autour de cettenouvelle (?) idéologie dans uneperspective concrète au lieu de secantonner dans des principes oudes généralités, terrain de prédilec-tion de nombreux philosophes.

LE DEVOIR ne peut être ab-sent de ce débat qui n'a pas étéencore engagé et que pourrait sti-muler la publication des textes deM. Lemieux. Il ne s'agit pasd’une coquetterie de journaliste,en mal de copie emballante. Ra-menée à ses principes fondamen-taux, l'idéologie néo-libérale in-terpelle directement ceux qui pro-fessent un quelconque attachementaux droits collectifs, aux valeursqui établissent une communauténationale. Et Pierre Lemieux nes'en cache pas, qui consacre l'undes chapitres de son ouvrage Dulibéralisme a l'anarcho-libéralisme (Presses Universitairesde France, Paris, 1983) à démon-trer que “les droits collectifs sontun mythe”. C'est s'inscrire en fauxcontre les objectifs fondamentauxdu fondateur du DEVOIR.

Au lieu de détourner pudi-quement le regard, il vaut mieuxengager le débat avant que les désne tombent.

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Le Devoir, vendredi 18 juillet 1986 • 7 DES IDÉES, DES ÉVÉNEMENTS

De L’État providenceà I’État provigain...du moins pour certains( Retour à la tdm )

MARCEL LÉGERAncien ministre de l'Environne-ment et du Tourisme dans legouvernement Lévesque

LE GOUVERNEMENT néo-libéral de Bourassa vient dedémontrer ses vrais couleurs etd'annoncer ses véritables inten-tions après six mois d'administra-tion discrète et cachée. Le mariagedu gouvernement Bourassa avec lemerveilleux monde des affaires esten train d'amener une politiquequi vise à freiner et à retarder laprogression du Québec vers sonautonomie (voire sa souveraineté).Une politique contraire aux int-érêts nationaux du Québec.

Que sont ses intentions

— D'abord depuis le “rendez-vous raté” du référendum, le mi-lieu des affaires veut éviter touteautre velléité de souveraineté duQuébec et on désire que le Québecredevienne au plus vite une pro-vince comme les autres et ceci surtous les plans.

— Ensuite que le peuplequébécois perde son caractère dis-tinct et arrête de prétendre êtremaître de ses affaires.

— Et finalement que soientsacrifiés sur l'autel de la supposée“efficacité du privé” la plupart desoutils d'émancipation et de déve-

loppement qu'il s'est donné de-puis 25 ans.

Il ne veut pas accepter quenous ne soyons pas une provincecomme les autres et qu'il nousfaut un système de développementéconomique qui nous soit propre.L'État est un des rares outils dedéveloppement que les francopho-nes contrôlent dans le continentaméricain. Il doit donc jouer unrôle de déclencheur.

C'est ça le recul libéral fédéra-liste, c'est ça la liberté à la sauceBourassa, celle du renard dans lepoulailler et du loup dans la ber-gerie.

La privatisation

La privatisation de la plupartdes sociétés d'État qui ont un rôlemajeur dans le développementharmonieux de notre économieaussi bien sectorielle que régio-nale va amener la fin de l'entre-preneurship pour l’Étatquébécois. Ça amènera aussil'abolition de 10 sociétés publi-ques de développement et de créa-tion d'emplois autant industriellesque minières et forestières. C'estla remise en cause et le réexamend'outils aussi indispensables etpuissants pour nous Québécois,qu’Hydro-Québec (ou ses sociétésaffiliées) ou que la Caisse de dépôtet de placement (c'est la loi S-31 à

l'envers).C'est la fin de l'expérience

québécoise, unique et originale enAmérique du Nord, de collabora-tion entre les secteurs public,privé, coopératif et même syndical(Fonds de solidarité de la FTQ).

Qu’on se souvienne

Qu'on se rappelle que sans lessociétés d’État et sans cette colla-boration il n'y aurait pasd’aluminerie à Bécancourt. Il n'yaurait pas de modernisation de laDomtar à Windsor de développe-ment minier aussi important enAbitibi (mines Noranda et or). Iln'y aurait pas de scierie à Mont-Laurier, en Gaspésie et ailleurs oudes projets de papeterie à Matane.

Montréal ne serait pas rede-venu un centre financier majeur.On n'y verrait pas aujourd'huil'installation de plusieurs siègessociaux, la construction de nom-breux gratte-ciel appartenant à desentreprises québécoises, la montéedes francophones dans l'économieet surtout des milliers et milliersd'emplois n'auraient pas été main-tenus ou créés.

Le patrimoine national

Le rapport Fortier, c'est ladestruction de notre patrimoinenational. C'est une plus grande

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Discours idéologiques, axe du social 60

dépendance économique et ferro-viaire. C'est priver notre sociétéd'instruments de développementde grande valeur. C'est aussi ladisposition ou la non-création àplus long terme de milliers d'em-plois. C'est en fait se placer, nousQuébécois, dans une position plusfaible dans la perspective d'un ac-cord de libre-échange avec lesÉtats-Unis.

La déréglementation

Il faut certes assouplir laréglementation, la réduire danscertains domaines, la rendremoins tatillonne, moins exces-sive. Mais pas au point de remet-tre en cause les acquis des travail-leurs dans la santé et la sécurité autravail, les dispositions anti-briseurs de grève et de foutre lebordel dans le secteur de la cons-truction. C'est là provoquer un re-tour aux tensions sociales d'hieraux affrontements nocifs à notreéconomie, à la loi de la jungle.C'est surtout jeter brutalement parterre l'édifice des consensus so-ciaux et de la concertation cons-truit pierre par pierre depuis dixans et loin d'être achevé.

Cette concertation qui nousdistinguait de nos voisins nord-américains et commençait à rendrenotre société plus harmonieuse,plus forte donc plus souverainesurtout en fonction d’un objectifde plein emploi pour lesQuébécois.

Le rôle de l’État

Ce serait le rapport des“sages” dont deux sur cinq repr-ésentaient le gouvernement Bou-rassa et non des moindres. M.Gobeil, président du Conseil duTrésor et M. J.-Claude Rivest,principal conseiller et bras droit

de M. Bourassa. Que Robert Bou-rassa ne joue pas les Ponce Pilateen se distançant du rapport. Il aété informé au préalable et a certesapprouvé ce coup de force contrel'Etat québécois. Il tentera de met-tre en oeuvre le maximum de re-commandation venant d'une partieimportante de sa clientèle électo-rale. Comme il a déjà mis enoeuvre l'amnistie des illégaux dela loi 101 pour plaire à son autreclientèle les anglophones et allo-phones de Montréal.

Si M. Bourassa n'avait pasété d'accord sur le fonds, le rap-port n'aurait pas été rendu public.D'ailleurs le rapport présenté finjuin aux médias avait été adressé àM. Bourassa le 26 mai 1986comme l'indique la préface de M.Gobeil à M. Bourassa dans cemême rapport. Qui est le patronde MM. Gobeil et Rivest ? M.Lortie ? ou M. Bourassa ?

Qu'y propose-t-on ?

Sabrer la montée des 200 or-ganismes de l'État et remettre ain-si en cause sinon rendre ineffi-ciente et “sans dents”: la protec-tion de la langue française, La pro-tection de l’Environnement(BAPE), la protection de territoi-res agricoles; la protection de lasanté et de la sécurité au travail,l’abandon presque total de l'aideaux PME.

L'entreprise privé et son gou-vernement qu'elle contrôle est prêtà abandonner toute une série demesures sociales et économiquesd'aide de l'Etat dont le rôle est vi-tal pour une société comme lanôtre dans un but mercantile dediminuer ses impôts et lescontraintes qui la fatiguaient.Voilà un bel exemple du peu desouci de ses responsabilités socia-les qui se retrouvent dans ce rap-

port.Dans l'environnement par

exemple, quand j'ai créé la chartedes droits du citoyen à la qualitéde son environnement je voulaism'assurer que le développeur nes'enrichira pas en appauvrissant lacollectivité pour longtemps en nerespectant pas la volonté de ce mi-lieu qu'il veut développer. Le Bu-reau d'audience publique pourl'environnement était l'instance oùle citoyen qui craignant de voirdégrader son milieu de vie avaitavec cette loi le droit à l'informa-tion, le droit de donner son avis,de s'opposer s'il le veut à l'int-érieur d'un processus bien définid'étude, d'impact et de séance pu-blique permettant à cet organismeindépendant qu'était le BAPE depouvoir recommander le rejet oula modification de tout projet quipouvait altérer négativement laqualité du milieu de vie des ci-toyens.

Le rapport Gobeil vientdétruire tous ces acquis de notresociété. Il s'agit en fait pour lecomité et ses amis du milieu desaffaires de saborder les bases del'Etat québécois, de le démantelerau profit des plus riches, les pluspuissants et... Les autres, c'estl'État provi-gain (pour certains).C'est surtout une tentative sour-noise pour nous affaiblir commepeuple trop minoritaire en Améri-que.

Défaire ce qu'on a construit.Réduire notre marge de liberté etde discussion comme peuple.Faire faire en bonne partie par lesautres ce que nous comptions fairenous-mêmes.

Voilà comment on espèrebien nous intégrer complètementau système canadien et retardernotre émancipation. Parce que lesrouges savent très bien que “la li-berté, c'est la souveraineté”.

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Discours idéologiques, axe du social 61

Le Devoir, Montréal, samedi, 19 juillet 1986, page A 7 - Idées- événements

Le miroir aux alouettesdu libéralisme moderne( Retour à la tdm )

RÉPLIQUE

PIERRE-Y. LAURINL'auteur est historien de forma-tion, spécialiste informatique deprofession et collabore occasion-nellement au DEVOIR

L’été porte traditionnellementen lui le calme, non la tempête.Malheureusement, les rapports surl'administration gouvernementaleprésentés par les ministres Fortier,Scowen et Gobeil ont eu l'effetd'une douche froide sur les cha-leurs timides de la saison estivale.Hormis leur contenu, l'implica-tion strictement politique de cesdocuments semble avoir été maljugé. M. Bourassa, qui les acommandés, s'est empressé d'ennuancer d'emblée les conclusions.Il a donc réussi à satisfaire unecertaine droite inquiète de la taillede l'État, tout en se réservant lapossibilité de faire exactement cequ'il veut des suggestions des“sages”. Il fallait s'attendre auxréactions négatives et immédiatesdes syndicats. Mais la critique laplus “musclée” viendra de ladroite.

M. Pierre Lemieux, dans qua-tre grands articles qu'a publiés LEDEVOIR (du samedi 12 juillet aumercredi 16), décerne au groupelibéral à Québec de vigoureusesremontrances mêlées de timides

encouragements. Il pose, en limi-naire, la question suivante: y a-t-ilun gouvernement libéral àQuébec ? La réponse est non.Pourquoi ? Parce que les autoritésen place sont mal conseillées. Oùdevraient-elles chercher l'inspira-tion ? Chez de vrais libéraux.Mais où diable sont-ils donc ?Selon M. Lemieux, surtout ausein de l'Institut économique deParis à Montréal. Et qui est le di-recteur de cette organisation ?Mais ... Pierre Lemieux en per-sonne ! Devons-nous en conclurequ'il est bien marri de ce qui setrame dans les bunkers de laGrande Allée parce qu'il ne s'estpas vu offrir le poste de conseillerdu Prince ? Sûrement pas: ce se-rait faire preuve d'une mesquineried'une petitesse qui ne sont certai-nement pas des traits de caractèrede notre auteur.

Tout au long de ses quatretextes il cherche un peu partoutles raisons de ces carences gou-vernementales. Et tout compte faitle principal problème est la“faiblesse philosophique” desmembres du pouvoir en place. Ilnote par ailleurs que les hommesd'affaires ne sont guère plus ferrésà cet égard. Il reproche à tout cebeau monde le pragmatisme deleur approche. A preuve, les a sa-ges” ont regardé la rentabilité et laviabilité des organismes publics:ils ont commis l'erreur de ne pas

suggérer qu'ils soient tous ba-layés. Ils ont timidement recom-mandé que l'État soit plus oumoins géré comme “une busi-ness”: M. Lemieux, lui veut quel'on fasse de la société tout entièreun laboratoire. Car ses thèses néo-libérales, jamais éprouvées, nousproposent d'élaguer toutes lesréglementations, d'abattre tou|tesles barrières. “L'économie,comme telle, n'existe pas.” À cecompte toute la pensée économi-que de Ricardo à Marshall, enpassant par Pareto et Leontiev,n'est que “morale économiquepour république de bananes”. Ilsouhaite que “chaque individusoit libre de s'occuper pacifique-ment de sa propre compétitivité etl'économie s'arrangera bien touteseule”. Fini les lois de protectiondes consommateurs, les chartesdes droits de l'homme. Ainsi, lecitoyen, libre de toute tutelle, denouveau plongé dans son creusetoriginel, accéderait au vrai bon-heur. En relisant ces articles, ons'interroge songeusement si de detels propos méritent seulement unseul mot de réplique ! Car, avecses constructions fallacieuses, no-tre auteur nie simplement la so-ciété elle-même qui, de toute his-toire, a dû se créer des règles pourêtre viable. Il nous apparaît donclogique que la théorie anarcho-capitaliste (que dans un accèsétrange de modestie, il ne fait que

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citer au passage) soit le fruit d'uneimagination aussi fertile (voir Dulibéralisme à l'anarcho-capitalismePUF, Paris 1983).

La critique hautaine que faitM. Lemieux du pragmatisme serévèle, elle intéressante dans lamesure où elle pose aux gouver-nants et aux intellectuels qui s'enréclament des questions précises.Au passage nous remarquons quel'économiste n'a pas peur desamalgames. Il cite Benito Musso-lini: “Le fascisme est pragmati-que: il n'a pas d'a priori ni de butslointains.” Robert Bourassa quisemble penser que la politique estl'art du possible plutôt que celuide rêver, qui paraît vouloir géreret aménager l’État, au lieu de lefaire capoter, est-il un fasciste enpuissance ? Laissons à Pierre Le-mieux le soin de répondre. Maisles hommes d'affaires alors ? Pourdiriger une entreprise, il faut avoirle sens des réalités. Ainsi, si onpousse la logique, les entrepre-neurs sont aussi des fascistes enpuissance ?

Tout bien considéré, je nevois pas pourquoi le pragmatismene serait pas une position philo-sophique tout à fait soutenable(surtout si nous la comparons aumiroir aux alouettes que nous offrenotre philosophe-économiste).L'équipe Bourassa, loin d'êtreparfaite, fait figure de modèle demodération après les coups degriffes de Pierre Lemieux (on doitavoir particulièrement goûte cesarticles, dans les officines…).Quand nous y regardons de près,la tâche de dégraissage entamée(malgré les bavures maladroi-tes…) est parfaitement valable.L'État doit se défaire des firmesnationalisées qui s'avèrent à l'oc-casion être des tonneaux des Da-naïdes. Et cela à condition que le

secteur privé puisse prendre le re-lais (ce qui n'est pas toujours lecas). Après tout, il s'agit ici del'argent de tous les contribuables:on se doit de bien l'administrer.

A part la question des libertéset des entreprises étatiques, celledes impôts aux particuliers estchère au coeur de notre auteur.Son esprit en flèche nous dresse leportrait d'un peuple en grogne,perclus de taxes, en combat vir-tuel permanent avec l’État. Si celaétait bien vrai, Pierre Lemieux se-rait un intellectuel écouté, le“Sartre” de notre temps au lieu del'agitateur de la pensée que ses aidées” ont fait de lui. D'ailleurs,on a qu'à poser la question à lapopulation. Bien sûr nous aime-rions tous payer moins d'impôts:mais les services qui nous sontofferts sont à la hauteur, malgréles problèmes inhérents aux gran-des machines. Dans le mondetroublé de notre auteur, un filsd'ouvrier pauvre, nécessitant desinterventions chirurgicales coûteu-ses, n'est pas sûr de s'en sortir vi-vant. On n'arrive pas au a libéra-lisme” sans casser des oeufs !Dans notre monde, le problème nese pose pas: nous sauvons cemalheureux. Nous payons tous lanote, et la majorité le comprendaisément. L'économiste Serge-Christophe Kolm a déjà brillam-ment exposé l'essence de cescomportements altruistes que l'onretrouve partout dans la société (Le Contrat social libéral PUF,Paris 1985, chap. 25).

Le libéralisme moderne (nonpas celui de notre auteur, mais ce-lui de la réalité) est sans contestel'idéologie la plus complète et laplus adéquate que nous ait fournil'histoire. Mais elle n'est pas lapropriété de quelques iconoclastesqui prêchent dans le désert: elle

est le bien, le vecteur de toute lapopulation. Elle assure à ungroupe social en mutation perp-étuelle les moyens de se défairedes scories du passé, et ceux d'ap-préhender l'avenir. C'est la thèsede la a destruction créatrice,défendue par Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démo-cratie, édition de 1979 chezPayot). Mais de cet écrémageconstant, le libéralisme modernetente de préserver des citoyens fra-giles, facilement bousculés par leschangements économiques. Cettepréoccupation a fait naître les poli-tiques sociales.

“Le libéralisme n'est pas undogme, mais il peut le devenir[ . . .]. Un signe en serait qu'ilévacuât la politique et prétenditconfier à des mécanismes imper-sonnels, à une main invisible, lesoin de résoudre tous les conflits.”(Alain Besançon, L'Express, 11juillet 1986, p. 21.) À n'en pasdouter, Pierre Lemieux n'a rien afaire de l'avertissement du soviéto-logue français Besançon. Non, ilcontinuera, avec quelques autres, àpsalmodier des litanies, à nousresservir les mêmes poncifs éculésqui nous assurent qu'il suffit deraser l'Etat au niveau des fonda-tions pour régler le problème. Re-gardons-les amusés, parcourir leuritinéraire d'aveugle qui les mènetout droit à un abîme de lapensée. “Il n'y aura plus d’État,plus d'exploitation”: ne croyez pasque je cite ici M. Lemieux. Cettephrase nous vient plutôt d'undénommé Vladimir Oulianov,mieux connu sous le nom deLénine. Décidément, tous les ex-trêmes se rejoignent...

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Le Devoir, Montréal, samedi 2 août 1986, A 1

L'ÉTAT ET LE SOCIALAU QUÉBEC

I. À l'époque où l’Étatquébécois jouait un rôlesupplétif( Retour à la tdm )

Politicologue de formation, leprofesseur Yves Vaillancourt estactuellement directeur du dépar-tement de travail social del’UQAM. Il publiera d'ici quel-ques mois un important ouvragesur l'évolution des politiques so-ciales au Québec de l'immédiataprès-guerre, sujet de recherchesqui le préoccupe depuis une quin-zaine d'années. C'est dans cetteperspective qu'il envisage la si-gnification des rapports sur latransformation du rôle de l'État auQuébec déposés au début de juil-let. LE DEVOIR publie aujour-d'hui le premier de cette série dequatre articles.

YVES VAILLANCOURTCollaboration spéciale

L’État québécois souffriraitprésentement d'un grave problèmed'obésité: il aurait pris l'habitude,depuis la Révolution tranquille,d'intervenir trop massivement

dans le développement économi-que et social. Ce diagnostic ap-pelle un remède: il faut soumettrele patient à une cure intensived'amaigrissement. L'État doit vi-ser à redevenir svelte en se dépar-tissant d'un certain nombre d'or-ganismes et en se désengageant deservices qui pourront être pris encharge soit par un palier inférieurde pouvoir public (v.g. les muni-cipalités), soit par le secteur privéà but lucratif ou non lucratif. Amesure qu'il rapetissera et s'assa-gira, I'État québécois laissera enfinl'entreprise privée assumer le rôlepremier qui lui incombe dans ledéveloppement économique. Enoutre, le marché sera capable d'in-tervenir de façon beaucoup plusefficace que lui face aux problèmessociaux.

Voilà quelques unes des id-ées forces de rapports rendus pu-blics, au début de juillet, par lestrois comités de “sages” quiavaient été mandatés par le gou-vernement Bourassa, en janvier1986, pour travailler sur la priva-

tisation, la déréglementation et larévision des fonctions et des orga-nisations gouvernementales. Cesidées et les propositions concrètesqui les accompagnent ont plu auxuns et déplu aux autres. Elles ontau moins eu l'avantage de relancerchez nous un important débat surle rôle de l'État dans notre société.

Revenons un peu en arrièredans notre histoire pour voir cequi se passait au Québec, à laveille de la Révolution tranquille,à l'époque où l'État n'était pasobèse du tout !

Au cours des quinze annéesde régime Duplessis qui s'inter-calèrent entre l’été 1944 et l'au-tomne 1959, le Québec était le pa-radis de l'entreprise privée et l'Étatprovincial intervenait très peudans le développement social.Dans le Discours sur le budget de1959, J.S. Bourque, le dernierministre des Finances du gouver-nement de Duplessis, résumait dela façon suivante la philosophiegouvernementale au sujet des po-

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litiques so-

Voir page A-8: État

SUITE DE LA PREMIÈREPAGE

• État

ciales: “Avec les années, la sécu-rité sociale a tendance dans l'espritde certaines gens à remplacerl'épargne populaire, les plans depensions et les formes d'assuranceorganisées pour assurer la protec-tion contre certains risques. Cettetendance est de nature à découra-ger l'initiative privée, I'effort per-sonnel, l'esprit de travail, audétriment de la liberté et duprogrès économique de la nation.Le gouvernement de la province afoi en l'entreprise privée, sou-cieuse de ses droits, mais respec-tueuse de ses obligations. Il estconvaincu que le paternalisme etle socialisme sont les ennemis lesplus dangereux du progrès et de laliberté.”

Or, dans le lexique del'Union nationale, à l'époque, lesmots “sécurité sociale”,“paternalisme” et “socialisme”étaient tout simplement synony-mes de l'interventionnismed’État. Année après année, sousle gouvernement de l'Union na-tionale pendant les années 40 et50, les discours du budget et lesdiscours du trône, de même queles discours de l'intelligentsia quiappuyait le régime (v.g. la Com-mission Tremblay) réaffirmaientune profonde méfiance de l'inter-ventionnisme étatique qui devaitêtre combattu parce que suscepti-ble de “décourager l'entrepriseprivée”. La conception de l'Étatqui prévalait avait même un nom:la a théorie de l'État supplétif”,cette expression suggérait quel'État devait se contenter de sup-pléer à l'initiative privée une foisque cette dernière avait fourni son

effort en tant qu'acteur principal.

La méfiance de l'État ne lais-sait pas seulement ses traces dansle discours du gouvernement del'Union nationale. Elle influençaitégalement la pratique gouverne-mentale dans le domaine social.A la fin des années 50, au mo-ment où sévissait en Amérique dunord une forte récession (taux dechômage: 10% au Québec ), lesystème de politiques sociales etsanitaires était carrément sous-développé. Le vieux régimedésuet d’assistance publique, ins-tauré à partir de la législation de1921, était toujours en place à lamanière de l'incarnation même del'anti-étatisme: l'assistance étaitfournie par des institutions privéesmais financée en partie par l'Étatprovincial; I’assistance publiqueétait d'abord disponible pour lespersonnes indigentes et admissi-bles à l'intérieur des murs d'uneinstitution (hôpital hospice, or-phelinat, etc. ); au fil des ans, lesagences de service social, recon-nues comme institutions spécialesd'assistance publique, pouvaientdispenser des services à domicile;mais la loi ne permettait pas à cesagences privées de s'occuper direc-tement des problèmes sociaux liésau chômage et à l'insuffisance derevenus.

En plus du régime d'assis-tance publique qui de fait consti-tuait une sorte de programmed'assurance hospitalisation pourles pauvres, il y avait à la fin desannées 50, quatre programmesd'assistance sociale catégorielledont trois étaient à frais partagésentre le fédéral et le provincial(soit les programmes d'assistancepour les personnes âgées de 65 à70 ans, pour les aveugles et pourles invalides) tandis que le der-nier, soit le programme d'assis-tance aux mères nécessiteuses, re-levait exclusivement de l'Étatquébécois. Ajoutons que l'Étatquébécois attendit jusqu'à l'au-tomne 1959 pour entrer dans leprogramme d'assistance-chômage

instauré par le gouvernementfédéral en 1956 et devait attendrejusqu'en 1961 pour entrer dans leprogramme d'assurance-hospitalisation instauré par legouvernement fédéral en 1957.Quant aux autres programmes so-ciaux appliqués au Québec, ilsprovenaient exclusivement del'initiative de l'État fédéral (l'assu-rance-chômage, la sécurité de lavieillesse, les allocations familia-les).

La timidité de l'intervention-nisme de l'État québécois à laveille de la Révolution tranquillesignifiait un énorme coût socialpour la majorité de la populationqui demeurait en quelque sorte àdécouvert par rapport au risque dela maladie, du chômage, del’insuffisance des revenus de tra-vail. Il faut le dire avec clarté: surune base comparative avec les au-tres provinces canadiennes, no-tamment la Saskatchewan, oùl'État provincial assumait davan-tage ses responsabilités sociales,le système de services sociaux etde santé qui prévalait au Québecétait carrément artisanal. Biensûr, pendant ce temps-là, lescompagnies privées d'assurance-maladie, auxquelles les Québécoisversaient$ 50 millions de primesen 1955, faisaient de bonnes affai-res. Mais pour les deux tiers dela population québécoise quin'étaient pas assurés, la maladieétait une catastrophe et, accepterde se faire soigner et hospitaliser,c'était s'endetter pour des années,comme devait le rappeler Jean Le-sage dans son premier Discourssur le budget en 1961.

Mais ce qu'il faut dire sur-tout, c'est que pendant ladeuxième moitié des années 50, lacoalition des forces qui avait ap-puyé le gouvernement de Duples-sis était fissurée. La théorie del'État supplétif, à la suite desprogrès de l'industrialisation, al-lait à l'encontre des intérêts d'uneportion de plus en plus large de lapopulation. Le laisser faire de

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l'État provincial était mêmedénoncé et critiqué par une partiede la bourgeoisie “autochtone”.En effet, pour échapper à la margi-nalité économique à laquelle ellese sentait confinée, cette dernièreressentait vivement le besoin d'unÉtat maître d'oeuvre capable d'in-tervenir pour favoriser la planifica-tion et le développement écono-mique. La Chambre de commercedu Québec, à l'époque, constituaitpour cette bourgeoisie québécoiseen mal d'émancipation une impor-tante tribune pour faire entendreses revendications (v.g. DorvalBrunelle, La désillusion tranquilleHMH, 1978). À partir d'une re-vue comme L'actualité économi-que des HEC, certains économis-tes (dont Roland Parenteau à par-tir de 1954 et Jacques Parizeau àpartir de la fin des années 50),prêtèrent main-forte à ce courant.Ils se distancèrent de l'anti-étatisme véhiculé par les EsdrasMinville et les François-AlbertAngers. Ils plaidèrent vigoureu-sement en faveur de l'utilisationde l'État québécois comme levierpour planifier et coordonner ledéveloppement économique. Au-tour de l'Université Laval, d'autresuniversitaires spécialisés dans lesquestions sociales, notamment lesJean-Marie Martin Claude Morinet Guy Rocher souscrivaient à laconception de l'État intervention-niste et préconisaient l'utilisationde l'État québécois comme outil

principal de planification etd'animation sociales.

Les luttes du mouvement ou-vrier, porteuses d'une forte de-mande sociale et d'une grandeexigence de démocratisation,jouèrent un rôle central pour appe-ler une vigoureuse intervention del'État québécois permettant des'attaquer aux problèmes sociaux,notamment les problèmes dechômage, de santé, d'accès àl'éducation.

Le Rapport Boucher publiéen 1963, en pleine Révolutiontranquille, à la manière du fruitmûr des luttes anti-duplessistesdes années 50, présentait sur laquestion du rôle de l’État unnouveau compromis. Ce rapportqui devait malheureusement par lasuite demeurer dans l'ombre durapport de la Commission Cas-tonguay / Nepveu, constituait lapièce maîtresse qui sonnait le glasde la théorie du rôle supplétif del'État: “… l'État devient le prin-cipal et le plus important distribu-teur de secours. Cette placeprédominante ne peut plus sérieu-sement lui être contestée. Cettesituation de fait impose donc àl'État un rôle positif dans le do-maine de la sécurité sociale.Désiré ou non, ce rôle doit défini-tivement être joué. L’État nepeut donc se récuser: il lui fautnécessairement emboîter le pas(…)”. Puis suivait la fameuse re-

commandation 7 qui proposait unsaut qualitatif décisif dans le do-maine de l'assistance sociale enpréconisant la reconnaissance du“principe selon lequel tout indi-vidu dans le besoin a droit d uneassistance de la part de I’État,quelle que soit la cause immédiateou éloignée de ce besoin”. (p.118). Ce principe n'était pas uneinvention québécoise. Mis del'avant au Québec, il invitait àrompre avec la tradition de l'assis-tance catégorielle et à cesser d'as-socier le droit à l'aide sociale aufait d'appartenir à une catégorie debons pauvres. Dorénavant, peuimporte la cause de l'insuffisancedes revenus, les pauvres avaientdroit à l'assistance de l'État etc'était là une question de justiceplutôt que de charité.

Somme toute, l'intervention-nisme responsable de l'État dansle social auquel conviait le Rap-port Boucher c'était l'envers exactdu cul-de-sac social et sanitairedans lequel la populationquébécoise se trouvait enfermée,pendant les années 1950, en cetteépoque où l'État québécois, loind'être obèse, se trouvait tout à fait“maigrichon”.

LUNDI: le retour dupendule

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Le Devoir, Montréal, lundi 4 août 1986, A 1

L'ÉTAT ET LE SOCIALAU QUÉBEC

II. Le retour du pendule:l’attrait du recours à laprivatisation( Retour à la tdm )

EN RAPPELANT récem-ment dans les colonnes de cejournal les principaux paramètresdu débat sur le néo-libéralisme,M. Paul-André Comeau soulevaitune hypothèse intéressante: “leressentiment populaire contre lapuissance des pouvoirs publics”ne pourrait-il pas constituer “uneversion nouvelle du vieux fondsd'anti-étatisme développé tout aucours de notre histoire” (17 juillet1986). C'est parce que j'accordedu poids à cette hypothèse que j'airappelé la place de la méfiance del'État dans le discours et la prati-que du gouvernement de Duples-sis jusqu'à la fin des années 50 etl'importance des recommandationsdu Rapport Boucher (1963) quiproposaient un véritable renver-sement des rôles assumés jusquelà par le secteur public et le sec-teur privé.

Mis en oeuvre dans les ann-ées 60 et 70, ce renversementamena l'État à assumer le leaders-hip principal dans les politiquessociales en général et les services

sociaux en particulier. En cons-équence, le secteur privé fut ap-pelé, du même coup, à ]jouer unrôle plus résiduel dans l'organisa-tion des services socio-sanitaires.Ainsi, le Québec, si anti-étatiquedans les années 50, devint, aucours des années 70. I'une desprovinces canadiennes où l'éta-tisme était le plus poussé.

Mais le retour du pendulenous guettait à l'horizon ! En cettefin des années 80, le débat a reprisde plus belle et, dans les rapportsdes trois groupes de travail pu-bliés en juillet, on a choisi demettre l'accent sur les travers del'étatisme et sur les attraits de laprivatisation.

Quand on se réfère à la priva-tisation — i.e. à l'envers de l'éta-tisation —,

Voir page 6: État

État

on peut penser d'abord à la priva-tisation des sociétés d’État et aucomité qui a abordé le plus direc-tement cette question, soit leComité Fortier. De fait, cegroupe de travail recommande augouvernement dans son rapport dese débarrasser, d'ici 18 mois,d'une dizaine de sociétés d’Étatsur les quinze qui oeuvrent dansles domaines industriel et com-mercial.

Mais il y a un autre type deprivatisation qu'il ne faudrait pasoublier. Il s'agit de la privatisa-tion des services publics, qui ren-voie à des processus à travers les-quels des organismes non gouver-nementaux, de type lucratif ounon lucratif, sont amenés à pren-dre la relève des organismes gou-vernementaux dans la livraison oule financement de certains servi-ces. Or, c'est précisément à cetype de privatisation que s'int-éresse hautement le Rapport Go-

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beil. Dans les pages qu'il consa-cre à l'évaluation du réseau de lasanté et des services sociaux (pp.31-35), il manifeste à plusieursreprises son attrait pour la formulede la privatisation d'une partie desservices présentement assumés parl'État québécois.

En référence au système desanté qu'il me suffise de rappelerque les scénarios allant dans lesens de la privatisation sont rete-nus au niveau des recommanda-tions. Je pense à celles qui met-tent de l'avant: premièrement, “lapossibilité de confier à des firmesexternes la gestion complèted'hôpitaux”; deuxièmement “laprivatisation des centres hospita-liers de taille petite ou moyenne”;troisièmement, “I’utilisation pluspoussée de la politique du fairefaire” en confiant par contrat à desfirmes privées la gestion de servi-ces de soutien””. (pp. 33-34).Ajoutons à ces trois recommanda-tions celle concernant la “créationde nouveaux centres médicaux,appelés organisations de préserva-tion de la santé (O.P.S.)”; bienque la description de cette formulefaite par le Comité Gobeil laisseplace à certaines zonesd’ambiguïté, ce qui en est ditdégage une forte odeur de privati-sation.

Quant à l'évaluation du syst-ème de services sociaux (pp. 34-35), elle me manque pas d'êtredéroutante à plus d'un égard.D'entrée de jeu on est informé quecertains types d'établissements neseront pas évalués parce que jugésperformants. Il s'agit des Centresde services sociaux (CSS), desCentres d'accueil et des centreshospitaliers de longue durée. Ausujet des CSS, la décision de pas-ser outre est légitimée de la façonsuivante: “ces centres sont bienstructurés et ils offrent des servicesqui semblent assez bien répondreà la demande. Le comité n'a doncpas de questions spéciales à sou-lever sur ces centres …”. Suiteaux trois années de tiraillement

alimenté par le dossier des trans-ferts de ressources des CSS versles CLSC et à l'incertitudeconcernant la vocation future desCSS, il est surprenant de voir quele rapport passe si vite sur ce typed'établissement. Au sujet desCentres d'accueil, le rapport nepeut pas s'empêcher de signaler aupassage qu'il y a 60 centres d'ac-cueil privés sur un total de 236 etque “cette formule mixte d'éta-blissements privés et publics de-vrait être maintenue dans les déve-loppement futurs de services”. Ils'agit là d'un autre coup de cha-peau favorable à la privatisation.

C'est en référence aux Centreslocaux de services communautai-res (CLSC) qu'on retrouve les af-firmations et les propositions lesplus aberrantes. Le comité com-mence par dire ceci: “Ceréseau—i.e. de CLSC—a étéconçu au tout début sans lui défi-nir une fonction précise et com-plémentaire par rapport aux autresétablissements. On espérait queles populations locales définiraientleurs services en fonction de leursbesoins. Expérimentale au début,la formule a été étendue à tout leterritoire...” Jusque là leséléments d’évaluation demeurentvagues et discutables. Par exem-ple, il est difficile de trancher si,pour le comité Gobeil, le fait queles populations locales n'aient pasréussi à influencer davantage laprogrammation et la gestion desCLSC constitue un point négatifou positif. En outre prétendrequ'à leur début les CLSC auraientreprésenté une “formule expéri-mentale” tend à occulter que dansla législation de 1971 concernantla reforme des services de santé etdes services sociaux, l'intentiond'avoir un réseau universel deCLSC sur l'ensemble du territoireétait quand même très présente.Mais le plus étonnant, c'est la re-commandation suivante: “Dupoint de vue de l'utilisation opti-male des ressources, le comité estd'avis que le gouvernement de-

vrait sérieusement remettre enquestion le réseau des CLSC”.

La remise en question desCLSC proposée et justifiée nemanque pas de trahir, une fois deplus, le fort penchant en faveur dela privatisation des services gou-vernementaux. Le rapport sou-haite le démantèlement, à toutesfins pratiques, des CLSC de mi-lieu urbain sous prétexte que,dans les centres urbains, il y adéjà des polycliniques, c'est-à-diredes établissements privés, quidispensent déjà les services desoins de santé relevant des CLSC.Puis le reste de l'analyse se ter-mine en queue de poisson: lesCLSC de milieu rural pourraientrester, les CLSC urbains, une foisamputés de leurs programmes desanté, pourraient survivre et lenouveau réseau, une fois dénaturéet dévalué serait abandonné parl'État provincial aux municipa-lités.

Quant aux Conseils régio-naux de santé et de services so-ciaux (CRSSS), ils sont, eux aus-si, jugés sans appel. Le comitéleur reproche d'avoir des conseilsd'administration qui “représententdavantage les intérêts régionauxdes établissements que les intérêtsdu ministère”. Voilà qui estétrange quelque peu: tantôt lesCLSC semblaient fautifs parce quetrop peu marqués par la réalité lo-cale; maintenant les CRSSS sem-blent fautifs parce que trop mar-qués par la réalité régionale. Maisenfin, on en est pas à une contra-diction près: le comité recom-mande à la fois l'abolition desCRSSS et la restructuration deleurs conseils d'administration.La restructuration proposée se fe-rait sur le modèle de celle mise del'avant dans un passage antérieurpour les centres hospitaliers. LeComité Gobeil exprime alors sonpenchant pour des petits conseilsd'administration efficaces de 5 à 8membres dans lesquels la moitiéde ceux-ci seraient nommés par legouvernement, tandis que l'autre

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moitié serait choisie par coopta-tion. En outre, le Comité Gobeilinsiste sur le principe suivant:“Tous les membres qui ne sontpas nommés d'office devraient ve-nir de l'extérieur de l'établisse-ment”.

Ajoutons six brefs commen-taires.

1) Il est étonnant, voire dis-gracieux, que le Comité Gobeil,tout en faisant preuve de beaucoupd'amateurisme dans l'analyse desservices socio-sanitaires, ne fasseaucune référence à la CommissionRochon qui mène présentementavec méthode une enquête appro-fondie sur ce même système etremettra son rapport final en sep-tembre 1987.

2) L 'analyse des CLSC estparticulièrement décevante et inac-ceptable. Les 150 CLSC, endépit de leur fragilité et de leurslacunes, sont des établissementsfort novateurs. Ils représentent unlaboratoire riche et original où desefforts valables sont déployés pourfavoriser la prévention l'approchemultidisciplinaire, la prise encharge communautaire, etc. Leursconseils d'administration, aux-quels le Rapport Gobeil ne sem-ble pas s'intéresser, font une placeplus large que ceux des autres éta-blissements du réseau aux usa-gers.

3) La privatisation des orga-nismes gouvernementaux est misede l'avant de façon plus audacieusequ'on le penserait à première vue.En outre, le type de privatisationqui est favorisé va dans le sens de

la commercialisation des services:la relève du désengagement desorganismes gouvernementaux se-rait assumée par des organismes àbut lucratif plus que par des orga-nismes non gouvernementaux detype communautaire. Choseétonnante, la privatisation estmise de l'avant sans analyse véri-table des avantages et inconv-énients de cette formule.

4) Dans le traitement de laquestion de l'étatisme, le ComitéGobeil occulte systématiquementla question clé de la démocratie etde la participation qui passe parl'implication de la populationdans la planification la gestion etl'évaluation des services. Leproblème des conseils d'adminis-tration est examiné à partir duseul critère de l'efficacité empruntéà l'entreprise privée. On oublieque les c.a. sont souvent appau-vris par l'absence des représentantsdes travailleurs et des usagers et lasur-représentation des gestionnai-res. Les pratiques démocratiquesd'un grand nombre d'ONG vrai-ment alternatifs dans le domainede la santé et des services sociauxpourraient suggérer des pistes int-éressantes pour favoriser la démo-cratisation des organismes gou-vernementaux.

5) Le traitement conféré auxCRSSS suscite des interroga-tions. Il nous manque présente-ment des bilans de la performancede ce type d'établissement. Onsemble leur reprocher d'être destremplins de pouvoir régionalrébarbatifs aux directives issues deQuébec. Ne sommes-nous pas

habitués à entendre des reprochesdifférents suggérant que lesCRSSS seraient davantage desémanations du MSSS que de véri-tables porte-parole des points devue et des pouvoirs régionaux ?Ces établissements demeurenttrop souvent des clubs fermés degestionnaires régionaux plutôt quedes lieux où se sentiraient égale-ment chez eux les professionnels,travailleurs et les usagers ainsique les représentants d'organismescommunautaires du milieu.Avant de rendre un jugement finalà leur sujet, ne serait-il pas int-éressant de comparer leur fonc-tionnement démocratique à celuides Social Planning Councilsqu'on retrouve dans certainesgrandes villes des autres provincescomme à Toronto, Winnipeg,Edmonton, Vancouver et quisemblent faire preuve d'une grandevitalité démocratique et prophéti-que ?

6) Au sujet de la décentralisa-tion ! il y a là une piste intéres-sante à explorer, mais rarement dela manière mise de l'avant dans leRapport Gobeil. L 'impatience dece dernier à confier aux municipa-lités des responsabilités encom-brantes (v.g. dans le zonage agri-cole, l'environnement le loge-ment) n'aurait-elle pas quelquechose de suspect ?

DEMAIN: le modèle onta-rien

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Discours idéologiques, axe du social 69

Le Devoir, Montréal, mardi 5 août 1986, A 1

L'ÉTAT ET LE SOCIALAU QUÉBEC

III. Le modèle ontarienvu de plus prèsLe modèle ontarien: à suivre?

( Retour à la tdm )

Il y a quelques années encore,en regardant les plaques d'imma-triculation dans notre province, onpouvait être amené à penser que“la belle province”, du moins auxyeux de plusieurs représentants denos élites économiques et politi-ques, ce n'est plus le Québec, c'estl'Ontario ! C'est une habitude,voire une phobie, de plusieurs denos chefs de file: ils nous incitentconstamment à tourner notre re-gard du côté de l'Ontario commepour nous per-, mettre de vérifiersi nous avons le pas. Pour pren-dre de bonnes décisions dans tousles domaines de notre vie écono-mique et sociale, nous devonsd'abord nous demander commentça se passe et combien ça coûtesurtout en Ontario.

A cet égard, le gouvernementdu PQ, principalement à la fin deson deuxième mandat, avaitcommencé à faire le lit dans lequelle gouvernement Bourassa n'avaitplus qu'à s'étendre de tout sonlong après l'élection de décembre1985. C'est ainsi que le salaireminimum avait été gelé depuis1981 au Québec et cela dans lebut de conserver notre compétiti-

vité avec l'Ontario. C'est ainsique, dans le Livre blanc sur la fis-calité (p. 190), on se plaît à nousrappeler que les barèmes de l'aidesociale, pour les bénéficiaires deplus de 30 ans évidemment, sontplus généreux au Québec qu'enOntario. Inutile d'ajouter qu'onne précise pas que les barèmesd'aide sociale, pour une famille dequatre personnes comprenant deuxadultes et deux enfants, en Onta-rio, viennent au neuvième rang,juste derrière ceux du Nouveau-Brunswick, comparativement àceux offerts dans les autres provin-ces canadiennes.

Depuis le retour des libérauxau pouvoir, nous sommes me-nacés de torticolis, tellement onnous invite souvent à nous tour-ner vers l'Ontario. Par exemple,dans la lettre qu'il adressait à MReed Scowen, le 16 janvier 1986,pour préciser le mandat du groupede travail sur la déréglementation,le premier ministre Bourassa inci-tait explicitement le président ducomité de travail à privilégier lescomparaisons Québec-Ontario enl'invitant à “formuler des recom-mandations destinées à placer les

entreprises du Québec dans une si-tuation au moins aussi avanta-geuse que celles de l'Ontario, ence qui concerne l’ensemble desconditions réglementaires qui af-fectent leur productivité.”

Cette directive fut appliquée àla lettre. Elle a fourni les princi-paux arguments auxquels se réfèrele Comité Scowen, dans son cha-pitre 4 sur la “réglementation so-ciale” (pp. 75-144), pour jeter sondévolu sur la Commission desanté sécurité au travail, sur la loides normes minimales de travailsur les dispositions anti-briseursde grève, etc. On apprend mêmeen lisant le Rapport Scowen que“la poursuite aveugle d'objectifssociaux risque d'affecter la capacitééventuelle de l'économie d'être lemoteur du progrès social” (p. 79).C'est sans doute pour mieux nousprémunir contre ce danger que lerapport, en faisant référence au sa-laire minimum, avance la sugges-tion “de garder le taux du Québecà un niveau légèrement inférieur àcelui de notre voisin, I’Ontario,tant et aussi longtemps que nousaccuserons des taux de chômageparmi nos jeunes plus élevés que

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Discours idéologiques, axe du social 70

les taux de l'Ontario (p. 110).

Cette logique bizarre débou-che évidemment sur une recom-mandation qui revient à la ma-nière d'un refrain: dès que la légi-slation sociale dans un domaineparticulier se trouve plus avancéeau Québec qu'en Ontario, il fautmodifier à la baisse. Il semble queles avantages sociaux plus abon-dants au Québec soient les seulsfacteurs qui empêchent nos pau-vres entrepreneurs d'être compéti-tifs avec ceux de l'Ontario. Sabrerdans ces avantages devient évi-demment la voie à suivre. Et,comme l'Ontario vient tout

Voir page 8: État

État

juste de sortir de 40 années d'affil-ées de gouvernements conserva-teurs, il est facile de soupçonnerce qui se dessine à l'horizon: dèsqu'il y a un indice de justice so-ciale quelque part, ça nuit au bonfonctionnement de la théorie des“avantages comparatifs”, il fautsortir la faux !

De son côté, le Rapport Go-beil fait référence à l'Ontario aussisouvent qu'aux États-Unis, soitune douzaine de fois. Ces référen-ces sont faites de façon systémati-que, notamment dans les passagesoù il est question d'évaluer lesservices publics émanant du gou-vernement québécois dans le do-maine de l'éducation, de la santéet des services sociaux.

Immanquablement, les com-paraisons visent à légitimer desrecommandations destinées àamener des réductions de coûts:dans le domaine de l'éducation, ils'agit d'augmenter la charge detravail des enseignants et cela àtous les niveaux; dans le domainede la santé et des services sociaux,comme nous l'avons montré dans

l'article d'hier, ces comparaisonspermettent souvent d'encourager,parfois de façon subtile, la ten-dance à la privatisation des servi-ces qui est plus marquée en Onta-rio qu'au Québec.

Étrangement cependant, leRapport Gobeil, habituellement sifriand des comparaisons Québec-Ontario en termes decoûts/bénéfices, chaque fois quecela permet de préconiser l'aug-mentation de la charge de travaildes employés-es du secteur publicau Québec, se montre moins em-pressé de nous sensibiliser aux bi-lans disponibles des expériencesontariennes en matière d'étatisa-tion ou de privatisation des servi-ces de santé et des services so-ciaux. Pourtant, ces bilans nepourraient-ils pas alimenter nosréflexions et éclairer certains deschoix que nous avons à faire ? Eneffet, si le Québec devait, au coursdes prochaines années, suivre lemodèle ontarien en matière deprivatisation des services publicsn'aurait-il pas avantage à s'intéres-ser, dès maintenant, aux hypoth-èses et conclusions qui commen-cent à se dégager, à la suite de cer-tains travaux de recherche menéssur les avantages et les inconv-énients qu'il y a à privatiser plusou moins—ou a étatiser moins ouplus—les services sanitaires et so-ciaux ?

Je vais me référer ici plusspécifiquement aux résultats dequelques recherches en cours surla privatisation des services so-ciaux en Ontario. Je pense à desbilans produits au cours des 12dernières années par le Ministry ofCommunity and Social Services(COMSOC). Je pense égalementà des recherches récentes fort int-éressantes menées par ChristaFREILER du Social PlanningCouncil of Metropolitan Toronto(Caring for Profit, The Commer-cialisation of Human Services InOntario, Toronto, 1984) et parquelques chercheurs-es universitai-res de l'University McMaster à

Hamilton (Lorna F. HURL, Da-vid TUCKER Ramesh MISHRA,Glenda LAWS, etc.). Pour peuqu'on prenne connaissance de cesétudes et de ces recherches à tra-vers notre fenêtre québécoise, il ya un certain nombre de constats etde réflexions qui ne tardent pas ànous interpeller.

1 ) Au cours des 15 dernièresannées, les services sociaux onta-riens ont été beaucoup moins éta-tisés et, conséquemment, sontdemeurés beaucoup plus privésque les services sociauxquébécois. Dans le domaine cen-tral de la protection de la jeu-nesse, par exemple, les servicesdispensés ici par les Centres deservices sociaux (CSS), soit desorganismes gouvernementaux, setrouvent, et cela, sans interruptiondepuis le 19e siècle, à être dis-pensés en Ontario par des orga-nismes non gouvernementaux àbut non lucratif, soit les Childre-n's Aid Societies qui demeurentcependant très dépendants del'État pour leur financement. De-puis 1973, COMSOC, soit leministère responsable des servicessociaux en Ontario, a articulé unepolitique officielle dans laquelle lasituation de fait fut tout simple-ment érigée en théorie. Dans cettedernière, I’État est appelé à jouerun rôle résiduel, ou “supplétif”pour reprendre le langage du Rap-port Boucher (Québec, 1963),tandis que les organismes nongouvernementaux de type volon-taire (à but non lucratif) ou com-mercial (à but lucratif ) sont ap-pelés à jouer le rôle d'acteur prin-cipal.

2) Au cours des années plusrécentes, un mouvement de com-mercialisation des services s'estdéveloppé de façon accélérée enOntario. Cette tendance à lacommercialisation s'est déployéeau détriment de la place ancien-nement occupée dans l'organisa-tion des services sociaux, soit parles organismes gouvernementaux,soit par les organismes non gou-

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vernementaux de type volontaire.Ce développement rapide des ser-vices sociaux à but lucratif se pro-duit principalement dans le do-maine des centres d'accueild'hébergement pour personnesâgées ou pour personnes handi-capées, dans le domaine des servi-ces de soins à domicile et dans ledomaine des garderies où le sec-teur commercial contrôle 42.5%des places en 1983 (comparati-vement à 18% des places auQuébec). Au cours de l'année1983-84, le gouvernement onta-rien a consacré un budget de$ 18millions pour soutenir des entre-prises commerciales de services àdomicile.

3) Le fait que l'État ontarienoccupe une place plus restreinteque l'État québécois dans la li-vraison des services sociaux nesemble pas signifier que le syst-ème des services sociaux, quiprévaut en Ontario, se trouverait àl'abri d'un certain nombre deproblèmes qu'on retrouve dans lessystèmes plus étatisés tel le syst-ème québécois. Au contraire !Les services sociaux non gouver-nementaux sont aux prises aveccertains problèmes qu'on a ten-

dance parfois à identifier aux orga-nismes gouvernementaux. C'estainsi qu'on rencontre des probl-èmes tels la lourdeur bureaucrati-que des organismes, la difficultéd'innover pour adapter les servicesaux besoins, les dédoublementsde services, I’instabilité du per-sonnel, les listes d'attente, etc.Dans le domaine plus particulierdes services commercialisés, onrencontre des problèmes plusspécifiques tels l'écrémage des casc'est-à-dire la tendance à laisser àd'autres établissements les caslourds et plus coûteux. En outre,la question de l'imputabilité desservices, tant dans les organismesà but non lucratif que lucratif,semble poser de graves probl-èmes: lorsque les bénéficiairessont insatisfaits, ils ont de la diffi-culté à trouver un interlocuteurresponsable puisque le gouverne-ment qui finance les services et lesorganismes non gouvernementauxqui les dispensent ont développéau fil des ans l'art de se lancer laballe.

4) L'évaluation de servicessociaux du secteur privé en Onta-rio amène un certain nombre despécialistes (dont HURL,

FREILER et TUCKER) à fairel'hypothèse que le modèle de ser-vices sociaux le plus prometteurserait celui dans lequel l'État de-meure l'acteur principal et danslequel les organismes non gou-vernementaux assument un rôlesupplétif. D'une certaine façon,les conclusions de ces chercheurs-es semblent à plus de 20 ans d'in-tervalle, rejoindre celles quiavaient été avancées en contextequébécois par le Rapport Boucher.L'expérience ontarienne démontrequ'il est périlleux de faire ce quepréconise le chapitre 20 (sur lesservices sociaux) du RapportMacdonald, c'est-à-dire de trop endemander aux organismes volon-taires et bénévoles. En effet, onrisque alors d'empêcher ces orga-nismes de réaliser leur vocationspécifique en les détournant deleur rôle de défense des droits eten les incitant à s'approprier cer-tains traits des organismes dansun contexte où ils doivent comp-étitionner avec eux pour obtenirde l'État certains contrats de servi-ces en sous-traitance.

DEMAIN: l’aide sociale

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Discours idéologiques, axe du social 72

Le Devoir, Montréal, mercredi 6 août 1986, A 1

L'ÉTAT ET LE SOCIALAU QUÉBEC

IV. Un véritable test:celui de l’aide sociale( Retour à la tdm )

N’est-il pas curieux de cons-tater jusqu'à quel point les assist-és sociaux sont redevenus desboucs émissaires dans la sociétéquébécoise ? Avec les “visites àdomicile” lancées par le gouver-nement Bourassa —je dis biengouvernement Bourassa pour biensuggérer que cette triste opérationn'est pas l'initiative du seul mi-nistre Paradis — dans le but dedébusquer les “fraudeurs” de l'aidesociale et les débats alimentés parces visites, il est redevenu de bonton de pointer du doigt les assist-és sociaux dans les lignes ouver-tes et dans nos conversations esti-vales. Comme tous les humainsen chair et en os qu'on peut voirde proche, les assistés sociauxconcrets ont parfois des côtés quinous déçoivent. Mais, à la diff-érence d'autres groupes sociauxqui pourraient aussi avoir deschoses à cacher (v.g. les personnesde milieux aisés qui fraudent lefisc), les personnes qui vivent del'aide sociale au Québec, en cet été1986, sont exposées à notre re-gard: elles n'ont pas de résidencessecondaires, elles ne partent pasen voyage; elles vivent dans deslogements collés sur le trottoir etpeu protégés par des clôtures des

arbres… Tout le monde peut lesvoir et les disséquer en petitsmorceaux, surtout lorsqu'unecampagne de délation publiquenous y incite.

Tout cela ne manque pas eneffet d'être curieux. En 1982-83,lorsque le gouvernement précédentpointait du doigt les employés-essyndiqués-es du secteur public etparapublic comme étant des tra-vailleurs-euses choyés-es qu'il fal-lait mettre au pas, l’argument leplus fort utilisé par les politiciens,et repris dans plusieurs médias,c'était que les argents ainsi épar-gnés allaient être utilisés par l'Étatpour soutenir les plus pauvres etles plus démunis. Quatre annéesplus tard, à l'aube d'une nouvellenégociation du secteur public, ilest difficile de prétendre que lesort des plus démunis s'est am-élioré. Car le programme d'aidesociale a déjà été coupé de plusde$ 30 millions, à la suite del'élimination de l'indexation àtous les trois mois.

Les opérations visite à domi-cile ne sont pas menées contrel'ensemble des assistés sociaux,dit-on, mais seulement contre les“faux assistés sociaux”. Sous-entendu: les “vrais assistés so-

ciaux” n'ont rien à craindre. Aucontraire, c'est pour mieux les ai-der qu'on a entrepris cette chasseaux fraudeurs ! Pourtant, à regar-der autour de soi, on s'aperçoitvite que cette opération fait mal atous les assistés sociaux et passeulement à quelques-uns d'entreeux. C'est

Voir page 8: État

SUITE DE LA PREMIÈREPAGE

• État

même une opération qui fait mal àtoute la société. Elle tend à éveil-ler la fibre mesquine et hargneuseen chacun d'entre nous. Elle apour effet de semer la panique,l'insécurité l'humiliation chez les700,000 bénéficiaires de l'aide so-ciale parmi lesquels il ne faut pasoublier les 230,000 enfants, notrerichesse de demain. Elle a unimpact destructeur sur la dignitéhumaine et sur l'intégrité psycho-logique et morale de tous lesbénéficiaires. Elle porte atteinte

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au dynamisme des organisationsdémocratiques que les assistéessociales se sont données pourdéfendre leurs droits.

Le risque dans toute cette op-ération, c'est de perdre de vue quele problème ne provient pas desbénéficiaires mais des défauts inh-érents à la structure même du pro-gramme d'aide sociale. La Com-mission Macdonald a vu juste surcette question: “Les abus commisà l'encontre des programmes desécurité du revenu résultent biensouvent d'une conception fautive-on peut y remédier beaucoup plusfacilement en corrigeant la struc-ture du programme qu'en accrois-sant les effectifs d'inspection et devérification. Par exemple, laforme d'abus, qui est de loin laplus courante dans le cas de l'as-sistance sociale, est la non-déclaration de faibles sommes parles bénéficiaires. La Commissionestime que quiconque est en me-sure de gagner un revenu modi-que, afin de compléter ses presta-tions, devrait être vivement en-couragé à le faire (…). La solu-tion, selon nous, consiste moins àrenforcer l'appareil répressif, maisà modifier les dispositions duprogramme.” (Rapport Macdo-nald, Vol. II. p. 855)

Il ne s'agit pas ici de nierqu'il y a des cas de fraudes àdénoncer et à démasquer. Mais ilfaut bien reconnaître que parmi lespersonnes soupçonnées de frauderla loi de l'aide sociale, un grandnombre sont tout simplement despersonnes qui font preuve dedébrouillardise sociale dans le butde rejoindre les deux bouts pourelles et leurs dépendants. L'expli-cation de ce phénomène est sim-ple: d'un côté, l'article 3 de la loiaffirme que l'aide sociale doit êtreproportionnelle aux besoins;mais, de I autres côté les articlesdu règlement, qui établissent lesbarèmes généraux ( art. 23 ) ouspéciaux pour les moins de 30 ans( art. 29 ) contredisent eux-mêmesles dispositions de la loi relatives

à la prise en considération des be-soins, en fixant des montants deprestations qui se situent systéma-tiquement à 55% ou 60% desseuils de pauvreté et à beaucoupmoins encore dans le cas des per-sonnes seules de moins de 30 ansconsidérées comme aptes au tra-vail.

Alors, si les barèmes de l'aidesociale se situent systématique-ment en-dessous des seuils depauvreté, il n'y a plus qu'une voiepermettant aux personnes surl'aide sociale de s'en sortir: ellesdoivent être astucieuses ! Ellescompléteront les revenus de l'aidesociale avec des dons de leursproches ou bien avec des revenusdu travail. Mais c'est ici que lerèglement de l'aide sociale serévèle le plus désuet. En effet l'ar-ticle 43 du règlement précise queles revenus de travail autorisés nepeuvent pas dépasser$ 25 parmois pour une personne seule et$40 par mois pour une personnequi a une famille. Si un montantsupérieur à ce plafond est gagné,la balance, soit un dollar sur cha-que dollar, doit être remise int-égralement à l'État. C'est dans untel contexte que plusieurs person-nes sur l'aide sociale pour s'ensortir, sont amenées à faire preuvede débrouillardise. Dans certainscas, cela veut dire faire du travailau noir et ne pas le déclarer. Dansd'autres cas, ça peut vouloir dire,pour une personne célibataire demoins de 30 ans, de chercher à sefaire reconnaître comme inapte autravail.

Dans les cas de fraudes plusimportantes, dont quelques-unesnous sont rapportées par lesmédias, à ce moment-là nouspouvons affirmer avec la Commis-sion des droits de la personne, laLigue des droits et libertés et plu-sieurs autres organismes que la loipermet au gouvernement de seprévaloir de plusieurs moyens decontrôle adéquats. Ces dernierspermettent de disposer de plu-sieurs informations confidentielles

sur les bénéficiaires, informationsdétenues par d'autres ministères.Ils permettent également deconfronter les bénéficiaires partéléphone ou en les faisant venirau bureau. Ils peuvent mêmedonner lieu à des visites à domi-cile mais à condition que la per-sonne sur l'aide sociale ait ex-pressément donné son consente-ment.

À propos de ces visites sour-noises à domicile, rappelons queles femmes constituent 55% desbénéficiaires adultes sur l'aide so-ciale. Parmi ces dernières il y a80,000 femmes chefs de famillesmonoparentales. Ces femmesélèvent et prennent soin de leursenfants avec tout ce que cela im-plique de travail, de présence etaussi d'entraves à la mobilité et àla disponibilité. Or, dans les di-rectives fournies par le ministèreaux agents enquêteurs, plusieursdes pistes mentionnées pourdétecter des indices de fraudes, en-tre autres des indices ayant trait àla vie privée et affective, concer-nent exclusivement les femmes.On ne peut s'empêcher de frémiren songeant aux années 50 lorsqueles 20,000 mères nécessiteuses,admises au programme d'assis-tance qui les concernait, devaientobtenir un certificat de bonnesmoeurs. Cette pratique a donnélieu à des manifestations arbitrai-res les plus éhontées et à dusexisme primaire.

Le débat sur les visites à do-micile constitue un baromètre à laveille de la réforme de l'aide so-ciale annoncée pour l'automne, etdont les éléments essentiels se re-trouvent dans le Livre blanc sur lafiscalité des particuliers, préparépar Parizeau en 1984 et publié enjanvier 1985. Il est significatifque dans la page consacrée à l'aidesociale dans le Rapport Gobeil (p.40), on se contente tout simple-ment de faire référence au Livreblanc de Parizeau. Monsieur Pa-radis reprend à son compte lespropositions de Parizeau. Mon-

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sieur Gobeil reprend à son compteles recommandations du Livreblanc de Parizeau. Monsieur Pa-rizeau félicite monsieur Paradispour son “courage politique”. Laboucle est bouclée !

La réforme consistera sansdoute, au point de départ, à amé-nager à l'intérieur de l'aide socialeun programme différencié pour lesinaptes et pour les aptes. Lesinaptes, quant à eux, auront droità une aide plus généreuse. Maisles aptes, quant à eux, aurontdroit à l'aide de l'État à conditiond'avoir fait la preuve qu'ils sont debons aptes, c'est-à-dire des per-sonnes prêtes à relever leur niveaud'employabilité, en acceptant departiciper à des programmesspéciaux: stages en entreprises, re-tour aux études et travaux com-munautaires. Les autres, c'est-à-dire les personnes aptes au travail,moins empressées à établir cettepreuve, verront leurs prestationsd'aide sociale réduites ou coupées.

Il est difficile d'être contre cer-taines dispositions qui visent àmaintenir la capacité et le goût detravailler. Mais, encore faut-il queles incitations au travail soient as-sorties de politiques de créationd'emplois mises de l'avant pard'autres ministères à vocationéconomique. Autrement, on setrouve, ou bien à attirer les assist-és sociaux dans de nouveaux culs-de-sac, ou bien à les pousser à ac-cepter n'importe quels emplois, àn'importe quelles conditions, pourn'importe quel salaire. Voilà unchoix de toute une société puisqueses effets risquent de changer lesrègles du jeu de l'organisation dutravail et de tout ce qui s'y ratta-che.

De plus, on risque de revenirà l'assistance catégorielle des ann-ées 50 qui, justement, divisait lesassistés sociaux en diverses caté-gories ( mères nécessiteuses, han-dicapes, personnes âgées, aveu-gles…) et traitait de façon fort diff-

érenciée les aptes et les inaptes.Du même coup, on étiquetait lescauses du besoin avec toutes lestracasseries, les humiliations etles coûts administratifs sup-plémentaires que cela implique.

Tout est fait supposémentpour augmenter l'incitation au tra-vail. En guise de conclusion, ilserait intéressant de relire. Maisc'est ici un court paragraphe duLivre blanc sur la fiscalité des par-ticuliers: “Quant bien même onchercherait à inciter les assistéssociaux, et d'une façon généraleles chômeurs, à accroître leur“employabilité” et à chercher del'emploi, il faut tenir compte del’état du marché du travail et dudéveloppement des programmesde formation” (Livre blanc, p.203)

- FIN -

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LE DEVOIR, MONTRÉAL, LE MARDI 19 OCTOBRE 1993, PAGE A 9 - IDÉES

Compter surses propres moyensPour le Congrès du travail du Canada,le NPD est le seul à proposer un projet de société à tendancesocial-démocrate, mais cette prise de position sera-t-elle pro-fitable au parti le 25 octobre?

( Retour à la tdm )

PAULO PICARDProfesseur de science politiquecollège Jean-de-Brébeuf

La plus importante centrale syndi-cale canadienne, le Congrès dutravail du Canada (CTC), de-meure fidèle à sa vieille traditiond'action politique partisane. Eneffet, comme le prévoient ses sta-tuts, elle accorde encore publi-quement son appui électoral auNouveau Parti démocratique duCanada.

Le CTC n'est pasen mesure de contrôler

concrètementle comportement

électoral deses adhérents

Plus précisément, elle fournità nouveau des militants au Nou-veau Parti démocratique canadien,et elle invite à nouveau ses mem-bres à travailler activement et àvoter pour cette formation politi-que, en vue des prochaines élec-tions fédérales le 25 octobre.

Le CTC affirme toujours quele NPD est le seul parti politiquecanadien qui propose un projet desociété à tendance social-démocrate.

Ce projet réformiste corres-pond aux valeurs sociales, éco-nomiques et politiques de“gauche” que véhicule l'organisa-tion syndicale.

Le projet du NPDcorrespondaux valeurssociales,

économiques etpolitiques de“gauche” que

véhicule le CTC.

C'est dans cette perspectivequ'elle offre son appui électoral of-ficiel au NPD.

La prise de position du CTCen faveur du NPD sera-t-elle unestratégie électorale efficace pour cedernier?

En d'autres termes, la consi-gne de vote du CTC sera-t-elle

véritablement observée par lesadhérents de cette organisationsyndicale?

Il semble bien, d'entrée dejeu, que l'on puisse mettre sérieu-sement en doute la rentabilitéélectorale, pour le NPD, del’action politique partisane prati-quée par le CTC en vue du pro-chain scrutin fédéral.

Notre argumentation se fondesur les motifs suivants qui nepeuvent être présentés que trèsbrièvement.

Une adhésion à intensité varia-ble

Adhérer au CTC ou à touteautre organisation ne signifie pas,pour autant, en devenir un mili-tant dévoué.

L'intensité de l'allégeance auCTC ne pouvant être absolueparce que concurrencée par d'autreséléments de la culture canadienne(langue), de la socialisation poli-tique (diversité des agents et mi-lieux) et de l'idéologie dominante

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Discours idéologiques, axe du social 76

(néo-libéralisme), il est probableque la consigne générale de voteémanant de la plus importante or-ganisation syndicale canadiennene pourra cheminer complètementjusqu'à l'isoloir le 25 octobre pro-chain.

De toute évidence, la décisionofficielle prise par le CTC, vérita-ble profession de foi envers la so-cial-démocratie, ne peut avoir uncaractère obligatoire pour sesmembres.

Cette décision n'est, tout auplus, qu'une recommandation ouqu'une incitation à agir dans unsens politique précis afin dedéfendre et de promouvoir des int-érêts économico-professionnelsparticuliers.

Le CTC n'est pas en mesurede contrôler concrètement le com-portement électoral de ses adh-érents et d'appliquer des sanctions(suspension ou exclusion) à ceuxqui n'auraient pas respecté laconsigne syndicale.

Ainsi, l’absence de contrain-tes organisationnelles ou légaleslibère d'autres membres du CTCde toute obligation partisane.

Utilisé au Canada pour l'élec-tion des 295 députés à la Cham-bre des Communes, le scrutin ma-joritaire uninominal à un tourtend au bipartisme.

Ce mode de scrutin mène àl'élection d'un bon nombre decandidats de deux grands partispolitiques fédéraux qui jouissentde clientèles plutôt étendues et re-lativement stables.

Même s'il est présent à laChambre des Communes depuisplusieurs années, le NPD consti-tue donc un tiers parti.

Le bipartisme s'explique no-tamment par la tendance quemaintiennent les électeurs à voterpour des valeurs sûres et à ne pas“perdre” leur vote.

Le jour du scrutin, les ci-toyens sont confrontés aux op-tions suivantes: voter pour unnouveau parti politique qui offreun programme intéressant et ris-quer, du même coup, de “fairepasser” un “vieux” parti qui leurdéplaît, ou bien donner leur votepour le “moins pire” des grandspartis.

Pas de gaspillage de votes

Il est à prévoir que bon nom-bre de membres du CTC retien-dront cette dernière alternative.Pour ne pas “gaspiller” leur votedans un système électoral où il ya non-proportionnalité de la repr-ésentation, ils ne voteront paspour le NPD mais appuieront, engrand nombre et par défaut, pro-bablement les libéraux qui parlentaussi de création d'emplois.

Malheureusement, la lutteélectorale se transforme souvent enune lutte de personnalités plutôtque d'idées ou de véritables pro-jets de société.

Depuis quelques décennies,l'utilisation de la télévision dansle déroulement des campagnesélectorales a accentué cephénomène.

Le remplacement de plus enplus marqué du discours idéolo-gique par des images, n'est guèrefavorable au NPD.

En effet, Audrey McLaughlin,chef du NPD, ne jouit pas d'unetrès grande popularité personnelleparmi les chefs politiquesfédéraux. et les intentions de vote

qu'obtient le NPD le placent aucinquième rang national, loin der-rière le PPCC et le PLC.

Cela n'aide évidemment pasla cause du NPD, ni, bien enten-du, celle du CTC qui ne peut jus-tifier le bien-fondé de sa consignepolitique auprès de ses membres,sur la base d'une probabilité ré-aliste que le NPD canadien acc-ède, enfin, au pouvoir.

Par ailleurs, on ne peut ou-blier la présence de partis politi-ques qui défendent des intérêtsrégionaux, tels le Bloc québécoiset le Reform Party of Canada.

De telles formations politi-ques soutireront probablement peude suffrages et de sièges parlemen-taires à l'échelle canadienne, dumoins comparativement aux deuxprincipaux partis politiquesfédéraux, mais elles risquentnéanmoins d'affecter le comporte-ment électoral de quelques mem-bres du CTC au détriment duNPD.

Rappelons que la Fédérationdes travailleurs et travailleuses duQuébec (FTQ), qui fait d'ailleurspartie du CTC, supporte le Blocquébécois et invite ses centainesde milliers de membres à faire demême.

De plus, il y a toujours lesnombreux abstentionnistes qui,plus ou moins désabusés politi-quement, ignoreront simplementles élections et, par conséquent, laconsigne politico-idéologique deleur propre organisation syndicale.

Bref, il semble bien, encoreune fois que le Nouveau Partidémocratique du Canada ne puisse“compter que sur ses propresmoyens”.

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Le Devoir, Montréal, Jeudi, 11 avril 1996, page A 6 Éditorial

Les lois du marché( Retour à la tdm )

Bernard Élie

Quel Parlement a voté ceslois ? Voyons, il ne s'agit pasd'une loi des “hommes” mais dela nature elle-même, nous affirme-t-on! Il est étonnant que le fonc-tionnement d'une constructionhumaine, le marché, fut associéaux lois de la nature au même ti-tre que les lois de la gravitationuniverselle. Aussi certain qu'unepomme qui quitte son arbre se re-trouvera au sol, le marché permet-trait un équilibre économique parla libre confrontation de l'offre etde la demande.

Qui est le Newton écono-miste qui a formulé cette loi? Ilfaut remonter au Kepler des éco-nomistes Adam Smith (1723-1790) avec sa parabole de la“main invisible”, puis à LéonWalras qui codifia les lois dumarché, à la fin du XIXe siècle.La conception du marché est di-rectement héritée des philosophesdes Lumières, toute analyse de-vant être faite “à la seule lumièrenaturelle” disait Descartes. Il fautabolir l'arbitraire des princes etconcevoir la société et donc l'éco-nomie sur une base naturelle!

La rencontre sur le marchéd'individus libres et égaux par na-ture, assure donc le meilleur résul-tat dans l'échange. On doit excluretoutes interventions extérieures au

marché, comme celles de l'État,ou qui corrompent les lois dumarché, comme les monopoles.Pour que cela fonctionne, aucunacteur ne doit pouvoir influencer àson avantage le marché: chacundoit disposer de la même informa-tion et de la même force. Le mar-ché et ses lois sont de pures cons-tructions idéalisées pour asseoirune conception du monde quis'opposait à l'arbitraire de l'ancienrégime et à ses lois surnaturelles.

En effet, dans le système deséconomistes d'avant les révolu-tions bourgeoises, il existait deuxpivots: le prince et la monnaie. Lecommerce (ou les affaires) n'étaitpas la relation naturelle et uniqueentre des individus, réclamée parles économistes actuels, carl'échange était une forme de trans-fert possible comme le sont levol, le pillage ou le don — d'oùla nécessité d'une contrainte poursocialiser les individus. Le princeet les instruments monétairesdécrétés par le prince jouaient cerôle dans le maintien de l'ordresocial.

Après des siècles de fermenta-tion, la prise de pouvoir (écono-mique et intellectuel) par la bour-geoisie au XVIIIe siècle sera unevictoire sur le prince, c'est-à-direcontre l’État féodal. L’État futdonc rejeté du processus de socia-lisation. Les individus égaux etlibres furent vus comme des êtres

naturels et agissant selon les loisde la nature. Ces lois sont bonneset rationnelles parce que “natu-relles”!

Si en biologie les individussont habituellement égaux au sor-tir du ventre de leur mère, en so-ciété ils ne sont certainement paségaux. Cette première notiond'égalité pose problème pour lescroyants du marché, à moins denier le social et de rêver à l'ho-mogénéisation de tous. Mais lacondition essentielle à la bonnelubrification du marché est l'in-formation. Selon les apôtres dumarché, plus l'information estgrande pour tous, plus il y auratransparence et mieux se compor-tera le marché. Les délitsd’initiés, les transactions entrequelques-uns et les complotscontre le marché sont bannis. Lerôle actuel de l'État ou des orga-nismes internationaux, selon leséconomistes libéraux, doit être derendre le marché le plus transpa-rent possible par une grande in-formation.

Aujourd'hui, la complexifica-tion et la lourdeur des marchésrendent la tâche de transparencetrès difficile, pour ne pas dire im-possible. C'est particulièrement lecas pour les marchés financiers quisont d'une telle complexité queles autorités publiques, prises depanique, réclament plus de trans-parence et plus d'information. Le

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contrôle direct des flux de capi-taux serait certes plus efficace maisil est exclu comme anti-marché.

Les idéaux d'égalité et libertésont bien théoriques et oubliés.Le marché, aujourd’hui mondia-lisé, globalisé et omniprésent,nous est présenté comme un lieude confrontation d'individu etd'entreprises qui recherchent leursurvie par la perte des autres.Cette ambiance sacrificielle devraitnous transformer tous en Ramboféroces sans foi ni loi, individua-listes et sans aucune compassionpour l'autre puisqu'il est un en-nemi réel ou potentiel, à abattre.

Comment pouvons-nous ad-hérer à une telle conception dumonde qui relève plus de la barba-rie primitive que d'un monde ensociété qui est beaucoup plusqu'une simple addition d'indivi-dus? Cette image stéréotypée desrapports humains nous est im-posée comme la meilleure.

Pourquoi? Tout simplementparce qu'elle correspond exacte-ment à ce qu'on attend. Un mondeque l'on voudrait compréhensibleet prévisible grâce à des “lois”simples. La société libérale estréduite à l'analyse de simples rap-ports marchands, les rapports so-ciaux, culturels et politiques étant

évacués parce que jugés trop com-plexes et aléatoires. La perversionatteint son comble lorsque cer-tains “radicaux” vont jusqu'à af-firmer que si les membres de lasociété ne répondent pas aux loisdu marché il faut les y contrain-dre. Comment peut-on être contre“nature”?

Pourtant, je croyais que lepropre des humains était d'avoirréussi à contrôler la nature dansses excès et non de s'y soumettreaveuglément. Arrêtez de nousprésenter le marché comme in-contournable parce que naturel.Ses abus nous tuent.

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Le Devoir, Montréal, lundi 24 février 1997, page A1

Comment le Canada tournele dos à l'État providence( Retour à la tdm )

MICHEL VENNEDE NOTRE BUREAUDE QUÉBEC

Le Canada tourne-t-il le dos àl'État providence? Beaucoup lepensent en voyant comment lesgouvernements donnent la prioritéà la lutte contre le déficit.

En fait, nous assisterions à“une transformation profonde dela société canadienne”, avertit lesondeur Angus Reid dans un livreparu en 1996. Le Canada, écrit-ildans “Shakedown” (éditionsDoubleday), entre dans une èredominée par un individualismemesquin encouragé par la nouvelleéconomie et la mondialisation desmarchés (“Sink-or-Swim Era”).

Cet explorateur de l'âme cana-dienne croit voir apparaître unenouvelle lutte des classes. “Aulong de ma carrière de sondeur,écrit-il, j'ai vu des divisions pro-fondes entre les Canadiens baséessur le sexe, l'âge la géographie.Mais jamais n'avais-je vu cellesqui ont émergé ces dernières ann-ées, des divisions basées sur lerevenu.”

Reid a constaté pour la pre-mière fois, dans un sondagerécent, qu'une majorité de Cana-diens est contre le soutien écono-mique des régions pauvres etqu'une large proportion de la po-pulation est déterminée plus quejamais à restreindre la portée du fi-

let de sécurité sociale avant quetrop de gens ne puissent en profi-ter.

“Les gens sont plus enclins àblâmer les pauvres bien que,ajoute-t-il en soulignant le para-doxe, il soit de plus en plus facilede sombrer dans la pauvreté.”“Nous étions plus généreux pourdes gens qui avaient plus dechance de s'en sortir dans les ann-ées 1970 et 1980 que nous lesommes maintenant, en cettepériode difficile.”

Le plus grand risque qui ac-compagne ce changement d'épo-que est de dilapider “le capitalsocial” du Canada et de jeter avecl'eau du bain les valeurs qui ontfaçonné ce pays, écrit Reid. Cerisque, ajoute-t-il, est plus impor-tant pour l'avenir du Canada quela menace de la séparation duQuébec.

La transformation est-elle aussiprofonde que le croit, avec nostal-gie, ce libéral déçu? Chose cer-taine, le changement de mentalitésest réel. Si Angus Reid proposedes éléments d'explication, quatreautres livres publiés au Canadaanglais ces derniers mois donnentd'autres éclairages que nous avonsrecensés ici.

Un des plus réputés démogra-phes au pays, David K Foot,montre dans “Boom, Bust andEcho” (éditions Macfarlane, Wal-

ter and Ross), quel est l'impact dupoids du baby-boom sur l'air dutemps au Canada Son livre est entête depuis 39 semaines du pal-marès des best-sellers du Globeand Mail. Il est paru en françaiscet hiver chez Boréal, collectionInfo Presse, sous le titre “Entre leBoom et l'écho”.

Dans leurs mémoires, deux an-ciens premiers ministres néo-démocrates, Bob Rae (Ontario) etMike Harcourt (Colombie- Bri-tannique) s'en prennent plutôt àl'incapacité de la gauche à mettreen œuvre ses propres réformes.

Enfin les journalistes Greens-pon et Wilson-Smith racontentdans “Double Vision” (Double-day) comment le gouvernement deJean Chrétien, sous l'impulsionprincipalement de Paul Martin, anégocié avec succès, après lesélections fédérales de 1993, un vi-rage conservateur évident.

Le titre de ce livre qu'il faut lirepour comprendre les jeux d'in-fluence au sein d'un gouvernementa un double sens. Autant il réfèreaux deux visions de la politiqueincarnées respectivement par JeanChrétien, vieux singe qui tire lesficelles, et Paul Martin le mo-derne. Il évoque également lesdeux visions du Canada proposéespar le Parti libéral avant et aprèsles élections.

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Edward Greenspon dirige le bu-reau du Globe and Mail à Ottawatandis qu'Anthony Wilson-Smithoccupe la même fonction pour lemagazine Maclean’s. En 400 pa-ges ils racontent, sur le ton du re-portage dénué de critique, lé che-min de Damas des libérauxfédéraux. Grâce à la documenta-tion recueillie au cours de quelque200 entrevues, ils reconstituentcomment le PLC a rompu durantle premier mandat du gouverne-ment Chrétien avec l'héritage so-cialisant des années Trudeau.

Les auteurs rendent compte,d'ailleurs, du désarroi des héritiersde Trudeau, restés fidèles à la doc-trine libérale traditionnelle de lajustice sociale: Sheila Copps,Sergio Marchi, David Colenette,David Dingwall, Ron Irwin,Ceux-ci se rendent compte aprèsle budget de 1995 qu'ils ont perdula partie aux mains des poidslourds du cabinet issus du mondedes affaires. Ils se reprochentd'avoir mal organisé leur proprecabale.

De toutes façons, les libéraux del'aile conservatrice sont trop forts.Et ils ont la conjoncture en leurfaveur. Début des années 1990, lamauvaise santé financière dufédéral fait peser sur le Canada lespectre d'une tutelle du Fondsmonétaire international. Ladébandade de la Nouvelle-Zélandeprisonnière de sa dette extérieurefait sensation. Le tout nouveauchef du PLC, Jean Chrétien, estde ceux qui craignent pour l'ind-épendance du pays. L'une de sestrois priorités dans l'élaborationdu programme libéral en vue desélections suivantes: tenir le FMI àdistance.

Dans l'arène libérale s'affrontentdeux courants partagés entre lagauche et la droite, le social et lesaffaires, le nationalisme canadienet le libre- échange.

Le cœur de l'ouvrage exposecomment, grâce à des conseilsglanés auprès d'un gourou du sec-teur bancaire et au travail acharnédes fonctionnaires des finances,Paul Martin s'est définitivementconverti à la lutte contre le déficit,en réalisant le poids paralysant dela dette sur le budget fédéral. Etde quelle manière, par la suite,appuyé par trois mousquetaires del'aile “business” (on les appelaitles “quatre Ms” et ils incluaientRoy MacLaren, John Manley et,plus tard, Marcel Massé), il s'estchargé de convaincre le reste ducabinet

Au moment de prêter sermentcomme ministre des Finances àl'automne 1993, il estimait queles taux d'intérêt élevés et la faiblecroissance économique engen-draient les déficits. Onze moisplus tard, dans un discours àWashington, il argue que ce sontles déficits qui engendrent les tauxélevés et la faible croissance. Lebudget Martin 1995 sonnera, enquelque sorte, la fin de l'ère Tru-deau au sein du Parti libéral duCanada. En dépit des promessesRadio- Canada passe à la caisse.L'universalité de la sécurité de lavieillesse sera abolie tout commeles subventions au transport dugrain dans l'Ouest. On donneraplus de souplesse aux provinces,en échange d'une réduction radi-cale des transferts financiers. EtM. Martin annonce l'abolition surquelques années de 45 000 em-plois dans la fonction publiquefédérale.

Si la conjoncture et le jeu desalliances au sein du cabinet ontaidé Paul Martin, I'évolution desmentalités au Canada y fut aussipour quelque chose.

“The Boomers behind the bud-get”, titre le Globe and Mail, enéditorial mardi, le jour du dépôtdu dernier budget fédéral. LeGlobe estime que c'est grâce auconsentement des boomers

qu’Ottawa a pu, sans perdre l'ap-pui de l'électorat, sabrer dans lesdépenses fédérales.

Les baby-boomers sont nés en-tre 1947 et 1966 et composent au-jourd'hui le tiers de la populationcanadienne. Le gros d'entre eux at-teint la cinquantaine. À cet âge,on devient moins dépensier, onn'emprunte plus, on finit de rem-bourser ses dettes, on épargne eton investit. Ce raisonnement, s'ildicte les comportements person-nels influence également ses atten-tes face aux gouvernements.

Dans son best-seller, David KFoot explique remarquablementbien l'influence du baby-boom aupays. “Lors. qu'ils toussent, c'estle Canada qui s'enrhume”, écrit-il.Ainsi, lorsqu'on croit être enprésence de nouvelles tendancessociales au Canada, nous assis-tons parfois à un phénomènedémographique prévisible.

Ainsi en est-il du présumé re-tour aux valeurs familiales. Il nes'agit pas en soi d'une nouvelletendance sociale, écrit Foot. C'esttout bonnement que le tiers desCanadiens sont aujourd'hui âgésde 30 à 50 ans et que, à cet âge,I'âge auquel on élève des enfants,il est bien normal que l'on s'int-éresse aux valeurs familiales.

L'impact du nombre de ba-by-boomers se fait sentir aussi surles préférences de la populationdans les services publics. A cin-quante ans, on n'aime pas atten-dre, écrit Foot “Une populationâgée est plus exigeante et mieuxinformée, elle est moins prête àtolérer des services médiocres. Deplus, les gens plus âgés ont desmoyens plus considérables que lesgens plus jeunes et ils sont prêts àpayer pour avoir ce qu'ils veulent”Ils sont prêts à payer aussi pourdes services de santé. Ce qui faitprédire à Foot que “les soinsdonnés à des fins lucratives serontune industrie en croissance”, ce

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qui menace le système public ca-nadien dont un des principe estl'égalité d'accès pour tous. AngusReid mentionne dans son livreque 20% des médecins canadiensdisent qu'ils iraient se faire soi-gner à l'étranger s'ils étaient vrai-ment malades.

Reid reproche aux Canadiens desombrer dans l'individualismemais il ajoute que leur comporte-ment est également celui de gensqui croient que les gouvernementsont gaspillé.

L'ancien premier ministre onta-rien Bob Rae fait valoir dans sesmémoires (“From Protest to Po-wer”, Viking) que la gauche atardé à comprendre cette simplevérité de la vie. “La révolte anti--taxes que nous entrevoyons estauthentique, écrit-il. La gauche asous-estimé son importance.”Tout comme elle fait erreur en re-fusant de reconnaître que la dettepèse sur la marge de manœuvredes gouvernements.

Dans ce livre, il critique am-èrement les syndicats qui ont re-fusé de discuter avec lui d'un nou-veau contrat social dans le secteurpublic pour réduire le poids del'État “J'ai tout de suite su, dit-il,que si nous ne réussissions pas àconvaincre les syndicats que notreapproche était la bonne, d'autrespartis seraient élus qui assigne-raient une punition plus dure.” Ilregrette d'avoir eu raison car lesélecteurs ontariens ont élu MikeHarris.

L'ancien premier ministre de laColombie-Britannique Mike Har-court partage la même amertumeenvers la gauche de sa province.Dans “A Measure of defiance”(Douglas & McIntyre), il suggèreà la gauche de combattre sur leterrain des idées et de leur diffu-sion, pour reprendre le terrain per-du dans l'opinion publique.

Harcourt constate que la droitesubventionne des instituts quipublient des études célébrant lesvaleurs néolibérales et parviennen-t' par leur large diffusion dans lesmédias, à gagner la guerre del’opinion au Canada Il invite tousles gens de bonne volonté, œuxqui prônent la tolérance et lacompassion, reconnaissent lesdangers du néo-libéralisme, decréer à leur tour des lieux deréflexion et de diffusion de leursidées.

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Le Devoir, Montréal, 13 décembre 1997, A1

Perspectives

Néo-libéralisme,où es-tu ?( Retour à la tdm )

Roch Côté

Des mots accèdent à des mo-des aussi soudaines qu'irrationnel-les. Quiconque veut jeter l'anath-ème à la face de son interlocuteurutilisera, en France, l'expressionde “pensée unique”. Ici, le pireest probablement de se faire assi-miler au courant “n_o-lib_ral”.C'est un synonyme de la peste.

Des religieux de tout le Ca-nada réunis à Montréal au débutdu mois disent avoir constaté queles gouvernements se sont conver-tis à “la religion néolibérale”,qu'ils “n'ont plus de cœur n'écou-tent plus le peuple” et que “ladémocratie est en déclin”.

Ils reprennent là un thèmelargement répandu: l'État auraitsauvagement sabordé sa missionsociale traditionnelle pour livrerla société aux seules lois du mar-ché.

Le Protecteur du citoyen, Da-niel Jacoby, affirmait le week-enddernier qu'en matière de santé,nous sommes revenus à la situa-tion qui existait “quelque tempsavant la Révolution tranquille”.A l'époque, donc, où il n'y avaitpas de régime public, où l'on de-vait compter sur le bénévolat et lacharité. Il n'y a pas de semaine oùune voix quelconque ne vient pas

dénoncer l'effondrement des servi-ces publics décrire une société re-tournée à là préhistoire du capita-lisme.

Si l'État s'est aussi massive-ment retiré de son rôle social, celadoit bien apparaître quelque partdans sa “feuille de route”. On neparlait pas de néolibéralisme il ya 25 ans ni même il y a 10 ans. Ildevrait donc s'être produit un ca-taclysme visible dans quelquesismographe.

À cet égard, une étude publiédans Québec 1998 (Fidès- Le De-voir) sous la signature de GuyFréchet permet de se faire unebonne idée de la présence de l'Étatau Québec pendant les 20 ou 25dernières années.

On peut en tirer les constats sui-vants:

• Depuis 25 ans, près de 70%des dépenses de l'Étatquébécois vont à ses grandesmissions sociales: santé, ser-vices sociaux sécurité du re-venu, éducation. Cette partétait de 69% en 1971; elle estde 67,6% en 1996.

• Dans le domaine de la santéet des services sociaux, l'Étatquébécois dépensait en 1971le quart de ses ressources;

l’an dernier, c'était plus de30%.

• Pour la sécurité du revenu(l'assistance sociale), l'Étatconsacrait l'an dernier plus de10% de ses revenus; c'était8% il y a 20 ans.

• En éducation, l'État consa-crait près de 27,1% de sesressources il y a 20 ans. Cettepart était de 24,3% en 1996.C'est là que la diminution re-lative de l'engagement del'État est la plus visible.Cette tendance remonte à1991 et n'a pas changé avecles gouvernements. l'Étatconsacrait 1461$ par habitantpour l'éducation et la cultureen 1991 et s'en tenait aumême montant en 1996.L'auteur souligne que cettetendance fait “craindre pourla pérennité de l'éducation àtitre de programme social”.

• Sur 25 ans, c'est la dette quia exigé du gouvernement lesplus fortes augmentations dedépenses, soit plus de 20%pour les cinq dernières annéesseulement.

Ces chiffres ne prétendent pastout dire. L'auteur de l'étude sou-ligne que “la taille de l'État n'estpas synonyme de son caractère

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plus ou moins providentiel”.Mais il n'en demeure pas moinsque le cataclysme n_o-lib_raln’apparaît pas dans l'évolutiondes dépenses de l'État québécoissur une longue période.

D'autres données montrent aucontraire que depuis quelquesannées, I'État, loin de se retirer dela vie des citoyens, accapare unepart sans cesse croissante de leurrichesse. Les statistiques mises àjour par le sociologue SimonLanglois dans Québec 1998 fontressortir les faits suivants:

• Les diverses administrationspubliques ont dans leur en-semble augmenté leurs prélè-

vements sur les revenus descontribuables, même dans uncontexte de réduction desdépenses publiques. Cetteproportion était de 16,9% en1970, de 20,8% en 1980 etde 26„6% en 1996.

• Les contributions payées àl'État ont continué leur pro-gression alors que la crois-sance des revenus réels desfamilles était fortement ralen-tie. Autrement dit, seules lesadministrations ont augmentéleurs revenus. Le revenu dis-ponible des familles est passéde 83% en 1970 à 73% en1996.

• Les transferts de l'État auxindividus représentent en gros20% des sources de revenuspersonnels depuis le début dela décennie. Cela est plusqu'au cours des décenniesprécédentes. Le rôle de l'Étatdans la redistribution de la ri-chesse s'est maintenu etmême accentué.

Ces données démontrent aumoins une chose: le spectre dunéolibéralisme n'est pas une appa-rition rationnellement déduite del'évolution, même récente de laprésence de l'État dans notre so-ciété.

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