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Elise SARRAZIN Recherche Recherches sur l’arôme des vins liquoreux de pourriture noble issus des cépages Sémillon et Sauvignon blanc Caractérisation de composés clés et étude de leur genèse GRAND PRIX 2008

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El i se SARRAZIN

Recherche

Recherches sur l’arôme des vins liquoreux

de pourriture noble issus des cépages

Sémillon et Sauvignon blanc

Caractérisation de composés clés

et étude de leur genèse

G R A N D P R I X 2 0 0 8

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PREFACE

Le Groupe Amorim, né du liège en 1870 au Por-

tugal, a fondé les bases de son développement

sur cette extraordinaire matière première, à tra-

vers la production de cet humble mais insépa-

rable compagnon du Vin : le bouchon de liège.

Notre volonté de servir la cause du vin

s’est toujours exprimée dans la recherche techno-

logique sur la filière liège, base de notre activité.

En 1992, nous avons souhaité aller plus loin et

nous engager davantage aux côtés des chercheurs

en œnologie en créant l’Académie Amorim, un

lieu de rencontre et d’échange entre œnologues,

ingénieurs, professeurs, sommeliers, auteurs,

artistes… tous animés d’une même passion du

Vin.

Chaque année, notre Académie encourage et

soutient la recherche en œnologie par la remise

d’un Prix à un chercheur ou à une équipe de

chercheurs ayant fait paraître des travaux signifi-

catifs qui concourent à la défense et à la promo-

tion de la qualité du Vin. Que soient ici saluées

les personnalités, membres de cette Académie,

qui contribuent si généreusement à cette mission.

Je formule le vœux que cette collection, dédiée

aux Lauréats du Grand Prix de l’Académie,

devienne, au fil des ans, une référence et la

mémoire vivante des efforts et des travaux enga-

gés dans le monde entier pour servir la noble

cause du Vin.

Americo Ferreira de AMORIMPrésident du Groupe Amorim

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Ce sujet lève le voile sur l’exceptionnelle richesse aromatique desgrands vins blancs liquoreux et montre l’intérêt de la pourriture noble

pour amplifier leur bouquet aromatique.

Réputés pour la complexité et la diversité de leur arôme,

les vins liquoreux de pourriture noble restent toutefois peu connus.

Dans ses travaux de thèse, Elise Sarrazin s’est intéressée

à la genèse de certains de leurs composés clés.

Son étude sur les vins bordelais des cépages Sémillon

et Sauvignon Blanc a défini leur espace sensoriel par des

caractéristiques olfactives.

Cette démarche lui a permis d’identifier l’existence

d’un arôme distinctif propre aux vins liquoreux

de la région bordelaise.

Elle montre que la botrytisation favorise la genèse

des composés clés à l’origine de leurs arômes.

Le travail d’Elise Sarrazin s’ouvre sur une démonstration

intéressante qui reste toutefois à valider : la présence du

disulfure du 3-sulfanylhexan-1-ol, pourrait être à l’origine de la

composition singulière des vins liquoreux de pourriture noble.

Pour la seizième édition de son concours, l’Académie AMORIM

a souhaité récompenser des travaux qui soulèvent des problématiques

peu étudiées jusqu’à présent. Merci à tous ses membres pour

le travail effectué avec tant de conscience chaque année.

Robert TINLOTPrésident de l’Académie Amorim

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Les vins liquoreux de pourriture noble sont élaborés selon un procédé de vinification singu-lier. En effet, ils sont produits à partir de raisins surmûris sous l’action de l’un des principauxchampignons cryptogames de la vigne, Botrytis cinerea. Dans des conditions climatiquesfavorables, alternant périodes sèches et humides, B. cinerea se développe sur la surface desbaies parvenues à maturité et provoque l’apparition d’une moisissure cendrée, appeléepourriture noble, qui accélère la déshydratation de la baie sans altérer ses qualités gusta-tives. Cette alliance paradoxale confère aux vins des arômes d’une diversité et d’une com-plexité rare, qui évoquent notamment les agrumes confits, les fruits secs ou le miel.Or, malgré les nombreux progrès réalisés dans le domaine de l’œnologie, les vins de pourri-ture noble restent peu connus et leur mode de vinification n’a pratiquement pas évoluédurant les cinquante dernières années (Dubourdieu, 1999). En particulier, leur arômetypique a rarement été étudié et seuls quelques composés ont été caractérisés. Masuda etal. (1984) ont identifié le sotolon dans ces vins et l’ont considéré comme l’un des composésclés de l’arôme “rôti” en raison de ses nuances d’épices et de fruits secs. Néanmoins, tousles vins liquoreux ne sont pas caractérisés par la présence de sotolon (Sponholz & Hühn,1994). Il n’est donc pas le seul contributeur à l’arôme si typique de ces vins. Plus récem-ment, Tominaga et al. (2000) ont rapporté des teneurs élevées en 3-sulfanylhexan-1-ol quicontribuerait ainsi aux nuances zestées de ces vins. De plus, une équipe hongroise a identifiéplusieurs γ- et δ-lactones dans des vins de Tokay (Miklósy et al., 2000-2004). Cependant,ces composés ne peuvent expliquer, à eux seuls, l’exceptionnelle richesse aromatique desvins de pourriture noble qui contribue pour beaucoup à leur magie.Ce travail se propose d’étudier l’arôme des vins liquoreux de pourriture noble, ainsi que lagenèse de certains composés clés. Il porte plus particulièrement sur les vins de la régionbordelaise, élaborés à partir des cépages Sémillon et Sauvignon blanc et se décompose enquatre parties. Dans un premier temps, nous présenterons les travaux menés par analysesensorielle avec un panel d’experts pour caractériser l’espace sensoriel propre aux vinsliquoreux bordelais. La deuxième partie rapportera l’identification et le dosage des molé-cules intervenant dans l’arôme typique des vins liquoreux. Dans un troisième temps, nousétudierons l’influence du développement de la pourriture noble dans la genèse des compo-sés clés identifiés. Enfin, la quatrième partie portera sur l’étude d’un composé volatil quisemble spécifique des vins liquoreux de pourriture noble et nous étudierons ses voies deformation.

INTRODUCTION

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I. Etude sensorielle : Mise en évidence d’un arôme caractéristique des vinsliquoreux de pourriture noble de la région bordelaise

Avant d’entreprendre le travail d’identification des molécules associées à l’arôme typiquedes vins liquoreux de Sémillon et Sauvignon blanc, il nous a semblé important de vérifierqu’il existait bien un arôme caractéristique de ces vins. C’est pourquoi, nous avons réaliséune étude sensorielle centrée sur la typicité des vins liquoreux de la région bordelaise. Dansce but, nous avons repris la méthodologie développée par Ballester (2004) et nous l’avonsadaptée à notre étude.

1. Notion de typicité et d’espace sensorielD’après Salette (1997), le mot “type” définit “la forme idéale qui réunit au plus haut degré,les propriétés, les traits, les caractères essentiels (…) d’une catégorie”. Lorsque la notion de“type” ou de “typicité” est appliquée à l’œnologie, elle représente “l’ensemble des caracté-ristiques (d’un vin), résultant du cépage, de la terre, des techniques de vinification, etc..”(Sauvageot, 1994). C’est donc une notion qui englobe des aspects sensoriels, mais aussi géo-graphiques et technologiques. Or, au fil des études sur la typicité, il est apparu importantd’isoler les aspects sensoriels du reste des propriétés contribuant à ce concept. En effet, ilexiste une grande variabilité sensorielle au sein d’un même espace produit, qui est d’autantplus marquée pour les produits alimentaires dits de tradition comme le vin. Il existe en faitun “gradient de représentativité” au sein d’une catégorie de produits considérée (Rosch &Mervis, 1975) et cette notion n’était jusqu’alors pas prise en compte. Afin d’intégrer cecontinuum de représentativité ou de typicité, la notion d’ “espace sensoriel” a donc étéintroduite (Dacremont & Vickers, 1994). Elle fait partie de la notion plus générale de “typici-té” mais ne s’intéresse qu’aux aspects sensoriels. D’après Ballester (2004), l’ “espace senso-riel propre” d’une catégorie de produit représente “le caractère commun aux différentesexpressions aromatiques qui subsisterait au-delà de toute diversité”.Afin d’étudier le niveau de typicité de vins d’un même espace produit, il faut donc considé-rer un échantillonnage assez important pour s’assurer de la présence de bons comme demoins bons exemples.Dans notre étude, 21 vins liquoreux de la région bordelaise ont été sélectionnés. Ils pro-viennent des appellations Sauternes, Barsac et Loupiac. Ces vins sont tous élaborés à partirdes cépages Sémillon et Sauvignon blanc. Trois millésimes ont été retenus pour cette dégus-tation : deux millésimes récents, 2001 et 2004, ainsi qu’un millésime plus ancien 1996. Lesvins du millésime 2001 sont considérés comme très qualitatifs, alors que ceux du millésime2004, élaborés sous des conditions météorologiques plus difficiles, sont généralement consi-dérés plus ordinaires. Quant à l’échantillon de 1996, il a été sélectionné pour étudierl’influence d’un style d’évolution aromatique cours du vieillissement, sur la notion de typicitésensorielle.Afin de prouver l’existence de caractéristiques sensorielles qui distinguent les vins liquoreuxde la région bordelaise des autres vins, nous avons également placé dans l’échantillonnagedes vins appartenant à des espaces produits voisins. Nous avons ajouté à l’échantillonnagetrois vins secs de la région bordelaise, élaborés à partir des mêmes cépages (Sémillon etSauvignon blanc) et présentant les nuances aromatiques variétales, ainsi que quatre vinsliquoreux issus du même mode de vinification mais produits à partir de cépages différents.Parmi ces vins liquoreux “extérieurs” à la région bordelaise, deux proviennent de l’AOCCoteaux du Layon. Ils sont élaborés à partir du cépage Chenin et correspondent aux millé-simes 1997 et 2003. Par ailleurs, un vin d’AOC Jurançon (cépage Petit Manseng) et un vind’AOC Pacherenc de Vic Bilh (cépages Petit Manseng et Gros Manseng) de millésime 2004ont été évalués. Ils ne sont pas élaborés à partir de raisins botrytisés mais uniquement pas-serillés et sont aussi caractérisés par une forte concentration en sucres résiduels.L’évaluation de la représentativité sensorielle est très délicate et doit faire l’objet d’unapprentissage (Letablier & Nicolas, 1994). C’est en effet la confrontation régulière avec desproduits considérés comme typiques qui permet à un sujet d’être capable d’apprécier satypicité. Pour juger les échantillons sélectionnés, nous avons donc fait appel à des profes-sionnels du vin (œnologues, producteurs de vins, maîtres de chai) qui travaillent plus spécifi-quement dans le domaine des vins de pourriture noble. Le panel était composé de 13 sujets(2 femmes et 11 hommes).

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Pour chaque échantillon, les experts doivent noter le niveau de représentativité à l’aided’une échelle structurée à 11 points. Comme l’évaluation sensorielle est centrée sur la typi-cité des vins liquoreux de la région bordelaise, la note 0 correspond à un très mauvaisexemple de vin liquoreux bordelais et la note 10 à un très bon exemple. En outre, les jugesont été informés de la présence parmi les échantillons de vins blancs secs, mais aussi de vinsliquoreux extérieurs. Les échantillons sont présentés à la température de dégustation desvins blancs, soit à 12°C environ. Les vins sélectionnés ayant des couleurs variées, les échan-tillons sont servis dans des verres noirs codés. L’ordre de présentation des vins varie d’unsujet à l’autre et obéit à la règle des carrés latins (MacFie et al., 1989). Enfin, en raison de laprésence dans certains échantillons de sucres résiduels, les vins sont évalués uniquement parvoie orthonasale et aucun n’est mis en bouche.

2. Existence d’un consensus au sein du jury d’expertsComme cela a déjà été observé par Barthelemy et al. (1998), chaque sujet possède sapropre utilisation de l’échelle : certains emploient la totalité de l’échelle alors que d’autresn’en utilisent qu’une partie. Afin d’étudier l’existence d’un consensus entre experts, une ana-lyse en composantes principales (ACP) a été réalisée. L’ACP est une projection qui permetde comparer des individus sur la base de leurs différences pour plusieurs variables. D’aprèsla méthodologie proposée par Ballester (2004), les vins représentent les individus et lesexperts, les variables. Ce traitement statistique permet de construire un plan où l’axe 1 cor-respond à la stricte représentation du niveau de typicité sensorielle des vins et l’axe 2 audésaccord entre les juges. Dans notre cas, l’ACP conduit à la construction graphique d’unplan formé par les deux premiers axes qui explique 59% de la variance totale, soit la majori-té de l’information fournie par la notation des vins. En outre, les experts, indiqués par lessegments noirs, sont tous placés du côté positif de l’axe 1, qui à lui seul représente 48% dela variance totale. Ces résultats montrent donc que les experts semblent en accord sur lanotion de typicité des vins liquoreux de la région bordelaise : les appréciations des treizejuges concordent pour les meilleurs exemples comme pour les moins bons. Commel’évaluation était réalisée par un panel d’experts, l’existence d’un consensus entre jugescompense la dispersion due à l’utilisation variable de l’échelle.

3. Mise en évidence d’un espace sensoriel propre aux vins liquoreux de la région bor-delaiseEn examinant plus précisément la répartition des vins au sein de l’espace de notation (Figure2), nous remarquons que les vins liquoreux de la région bordelaise sont majoritairementsitués du côté positif de l’axe 1 : treize vins ont une coordonnée positive alors que dix sontcaractérisés par une valeur négative. En outre, les trois vins blancs secs, tout comme lesquatre vins liquoreux extérieurs sont situés du côté négatif de l’axe 1.D’ailleurs, une corrélation significative est notée entre la coordonnée des vins sur l’axe 1 et

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leur niveau de typicité (r = 0,9956 ; p < 0,01). Le positionnement des échantillons concordedonc avec le but de l’exercice centré sur l’évaluation de la typicité des vins liquoreux borde-lais. Toutefois, il n’y a pas une réelle séparation entre les vins liquoreux de la région borde-laise et les autres échantillons. Les vins liquoreux sont répartis tout au long de l’axe 1 illus-trant la présence de bons exemples du type considéré tout comme de moins bonsexemples. En ce sens, ces résultats sont en accord avec la notion de “gradient de représen-tativité” développée par Rosch et Mervis (1975).

Comme les échantillons ont été présentés en verres noirs et évalués uniquement par voieorthonasale, l’espace sensoriel mis en évidence est uniquement constitué de caractéristiquesolfactives. Nous en déduisons donc qu’il existe un arôme distinctif des vins liquoreux de larégion bordelaise, ce qui concorde avec les observations empiriques de la dégustation etjustifie les travaux de caractérisation moléculaire de l’arôme des vins liquoreux bordelais.

II. Caractérisation de composés clés de l’arôme des vins liquoreux

Les vins liquoreux de pourriture noble ont rarement fait l’objet d’une étude CPG-Olfacto-métrique (CPG-O). Or, cette étape est primordiale pour déterminer les composés majeursde l’arôme en ciblant les zones odorantes clés à étudier en priorité.L’analyse par CPG-O et CPG-AEDA, avec un jury de 3 personnes, de vins blancs secs etliquoreux a permis la qualification et la hiérarchisation de zones odorantes associées auxnuances caractéristiques de l’arôme. Ces travaux ont conduit à l’identification par CPG-SMde nouveaux composés contribuant à l’arôme des vins liquoreux. Les molécules identifiéessont présentées sur la Figure 3 où elles sont regroupées par “familles olfactives”.

1. Zones odorantes “agrumes”Les principales notes “agrumes” sont associées à des thiols volatils. Outre le rôle prépondé-rant du 3-sulfanylhexan-1-ol et de la 4-méthyl-4-sulfanylpentan-2-one déjà décrits (Tominagaet al., 2000), trois nouveaux thiols très odoriférants ont été identifiés pour la première foisdans le vin : le 3-sulfanylpentan-1-ol, le 3-sulfanylheptan-1-ol et le 2-méthyl-3-sulfanylbutan-1-ol (Figure 3). Une quatrième molécule, le 2-méthyl-3-sulfanylpentan-1-ol, a également étéidentifiée sur la base de ses temps de rétention sur deux colonnes chromatographiques etde ses caractéristiques olfactives. Ces composés n’avaient jusqu’à présent jamais été décritsdans le vin. Le 3-sulfanylpentan-1-ol et le 3-sulfanylheptan-1-ol ont été détectés dans les vinsliquoreux dans des concentrations proches de leur seuil de perception (Tableau 1) et destests sensoriels ont établi leur contribution à l’arôme des vins liquoreux par des phéno-mènes d’additivité. Ces interactions moléculaires sont encore très mal connues et sontmises en évidence pour la première fois au sein de la famille des thiols volatils. La contribu-tion sensorielle des deux autres thiols n’a pas encore été étudiée. Bien qu’ils ne soient pas

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caractérisés par des odeurs d’agrumes, ils semblent qu’ils participent tout de même auxnuances zestées perçues dans les vins liquoreux car nous les avons aussi retrouvés dans lesécorces de pamplemousse. En raison, de leur fort pouvoir olfactif, les thiols contribuentdonc activement à l’arôme des liquoreux bordelais. D’ailleurs, leurs teneurs sont nettementcorrélées avec le niveau de typicité des vins de pourriture noble (p < 0,01). Nous en dédui-sons donc que ces composés contribuent à la notion de typicité des vins liquoreux de larégion bordelaise.

2. Zones odorantes évoquant le mielEn analysant les composés susceptibles de contribuer aux nuances miellées, nous avonsidentifié deux aldéhydes de Strecker : le phénylacétaldéhyde et le méthional (Figure 3). Lephénylacétaldéhyde est un composé clé de l’arôme de certains miels (Bicchi et al., 1983 ;Blank et al., 1989 ; D'Arcy et al., 1997). Quant au méthional, même s’il ne possède pas réel-lement de notes miellées, il a déjà été identifié dans le miel (Zhou et al., 2002) et Lallemandet al. (2007) ont récemment démontré une grande influence de sa présence sur le profilaromatique global de mélanges. Le dosage de ces aldéhydes et la détermination de leursseuils de perception olfactive ont établi leur participation à l’arôme typique des vins liquo-reux (Tableau 1). Une corrélation significative est d’ailleurs notée entre le niveau de typicitédes vins et les teneurs en phénylacétaldéhyde (p < 0,05) et en méthional (p < 0,1). En raisondes fortes teneurs en SO2 libre retrouvées dans les vins de pourriture noble, la présenced’aldéhydes est surprenante. Or, ces molécules ne semblent pas présenter une grande réac-tivité vis-à-vis des ions HSO3- et sont principalement retrouvées dans le vin sous leur formelibre. Toutefois, ces molécules sont caractérisées par des comportements distincts dans levin. Le phénylacétaldéhyde est connu pour être synthétisé par B. cinerea lors de son déve-loppement sur milieu de culture (Kikuchi et al., 1983). La formation du phénylacétaldéhydesemble donc résulter directement de l’attaque de B. cinerea sur les baies et nous avonsconstaté des concentrations élevées en phénylacétaldéhyde dans les vins de millésimesrécents. Néanmoins, la nature chimique instable de cet aldéhyde suggère son oxydation enacide phénylacétique lors du vieillissement du vin. Au contraire, le méthional est absent enfin de fermentation alcoolique et formé dans des conditions d’oxydation ménagée, lors del’élevage puis de la conservation en bouteille. La concentration du méthional augmente avecl’âge du vin et il contribue surtout à l’arôme des millésimes plus anciens.

3. Zones odorantes “sucre cuit”L’étude des notes de sucre cuit a permis l’identification de trois composés de la famille des4-hydroxy-3(2H)-furanones : le furaneol®, l’homofuraneol et le norfuraneol (Figure 3). Ces

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molécules sont présentes à des concentrations toujours supérieures à leurs seuils de per-ception dans les vins liquoreux de millésimes récents, à l’inverse des vins blancs secs(Tableau 1).Cependant, la comparaison des données de l’analyse sensorielle et de l’analyse chimiquerévèle qu’il n’existe pas de corrélation significative entre les teneurs en furanones et leniveau de typicité des vins. Cette conclusion peut paraître surprenante car ces composéssont caractérisés par des odeurs de sucre cuit et de confiture, qui rappellent les nuancesconfites des vins liquoreux. Cependant, ces composés sont retrouvés à des teneurs élevéesdans l’ensemble des vins liquoreux. Même les vins liquoreux extérieurs à la région bordelai-se présentent des concentrations importantes pour ces molécules. Par conséquent, les 4-hydroxy-3(2H)-furanones doivent contribuer à la typicité sensorielle de l’ensemble des vinsliquoreux et non uniquement des vins liquoreux de la région bordelaise.

4. Zones odorantes fruitéesEnfin, l’analyse des nuances fruitées a conduit à l’identification de lactones (Figure 3). En sui-vant la méthode d’extraction spécifique développée par Ferreira et al. (2004), nous avonsdosé plusieurs lactones aliphatiques déjà connues, comme la γ-nonalactone, la γ-décalactoneet la δ-décalactone. Nous avons également quantifié la massoia lactone pour la première foisdans le vin. Le dosage des lactones révèle des concentrations plus élevées dans les vinsliquoreux de pourriture noble que dans les vins blancs secs (Tableau 1).Néanmoins, il semble que la contribution de ces composés soit assez limitée en raison deleur seuil de perception relativement élevé. Nous notons toutefois une corrélation significa-tive des concentrations en γ-nonalactone (p < 0,01) et massoia lactone (p < 0,1) avec leniveau de typicité des échantillons. En conséquence, il semble que ces composés contribuentà la typicité sensorielle des vins liquoreux bordelais, même s’ils sont présents à des concen-trations inférieures à leurs seuils de perception. Plusieurs auteurs ont déjà avancél’hypothèse d’effets de synergie entre lactones (Ferreira, 2005). Ces interactions pourraientdonc expliquer la participation des lactones à l’arôme du vin.

5. Comparaison des données de l’analyse sensorielle et de l’analyse chimiqueLes travaux de caractérisation nous ont finalement conduits à un paradoxe. En effet, la grandemajorité des composés identifiés dans les vins liquoreux sont déjà présents dans les vinsblancs secs, mais dans des concentrations bien moindres. Malgré des différences sensoriellesévidentes, ces deux types de vins semblent donc présenter des compositions proches. Enconséquence, l’arôme caractéristique des vins de pourriture noble résulterait davantaged’une modification de l’équilibre entre molécules clés que de la présence de composés spé-cifiques.

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Afin de voir si des tendances complémentaires pouvaient émerger, nous avons réalisé uneAnalyse en Composantes Principales (ACP). Dans ce cadre, nous n’avons pris en considéra-tion que les composés volatils qui présentaient une corrélation significative avec le niveau detypicité des vins. Nous avons ainsi comparé les vins en fonction de leurs teneurs en thiolsvolatils, phénylacétaldéhyde, méthional et lactones. Comme le montre la Figure 4, le traite-ment statistique permet d’obtenir un plan formé par les axes F1 et F3 qui explique 64% de lavariance totale, soit la majorité de l’information fournie.L’ACP fait ressortir nettement trois groupes d’individus. Le premier est entouré en bleu etcorrespond aux plus mauvais exemples de vins, soit les vins blancs secs et les vins liquoreuxextérieurs à la région bordelaise. Le second est indiqué en rouge et comprend les plus mau-vais exemples de vins liquoreux bordelais ainsi qu’un vin liquoreux extérieur. Enfin, le troi-sième groupe, qui est souligné en vert, correspond aux meilleurs exemples de vins liquoreuxbordelais. Par conséquent, l’analyse quantitative concorde avec l’analyse sensorielle etconduit à la mise en évidence d’un espace propre aux vins liquoreux bordelais.En raison du nombre important de composés dosés, ces résultats étayent l’hypothèse d’unéquilibre variable entre molécules odorantes pour expliquer les nuances caractéristiques desvins liquoreux. La plupart des composés sont présents dans tous les vins et seules lesconcentrations varient.

III. Influence du développement de la pourriture noble dans la genèse descomposés aromatiques identifiés

Au cours de la deuxième partie de ce travail, nous nous sommes attachés à identifier descomposés susceptibles de contribuer à l’arôme des vins de pourriture noble. Nous avonsconstaté que la plupart de ces molécules étaient déjà présentes dans les vins blancs secs,mais à des niveaux de concentration bien plus faibles. Comme les vins blancs secs et liquo-reux étudiés proviennent des mêmes cépages, seul le phénomène de surmaturation sousl’action de B. cinerea différencie ces deux types de vins. Ces résultats nous ont donc amenés ànous interroger sur l’influence de la botrytisation sur la genèse des molécules odorantes.

1. Méthodologie suivieDans ce but, des vins ont été élaborés à partir de raisins de Sémillon et Sauvignon blanc pré-levés à quatre stades de développement de B. cinerea (Figure 5) :• Stade sain : baies à maturité non atteintes par la botrytisation• Stade pourri plein : baies dont la surface a entièrement été colonisée par B. cinerea. Lesbaies prennent une couleur brun chocolat mais ne sont pas encore concentrées.• Stade pourri rôti : baies entièrement colonisées par B. cinerea et déshydratées. Du fait dela dessiccation, les baies sont très riches en sucres, ce qui augmente la pression osmotique à

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l’intérieur des baies et empêche le champignon de poursuivre son développement.• Stade pourri rôti tardif : baies marquées au stade pourri rôti et ramassées 10 jours après.Cette étude a été réalisée lors des vendanges 2005 et porte plus particulièrement sur lephénylacétaldéhyde, le furaneol®, l’homofuraneol, le norfuraneol et les thiols volatils. Du faitde son absence dans les moûts et les vins en fin de fermentation, le méthional n’a pas étéanalysé.

2. Augmentation significative de l’ensemble des composés étudiés dans les vins élabo-rés à partir de raisins touchés par la pourriture noble

a. Influence de la botrytisation sur les teneurs en phénylacétaldéhydeNous avons constaté que seul le phénylacétaldéhyde était retrouvé avant la fermentationalcoolique. Il est déjà présent dans les moûts et voit ses teneurs augmenter avec le dévelop-pement de la pourriture noble (Tableau 2). Il semble donc que ce composé soit produit parB. cinerea lors de son développement sur la baie, ce qui concorde avec les travaux de Kiku-chi et al. (1983). En outre, ces résultats montrent de réelles modifications de la compositiondes moûts botrytisés qui se répercutent ensuite sur celle des vins. En effet, le phénylacétal-déhyde est produit dans des proportions plus élevées lors de la fermentation alcoolique demoûts issus de raisins rôtis (Tableau 2).

La formation accrue du phénylacétaldéhyde pourrait résulter d’une accumulation plusimportante de son précurseur hypothétique, l’acide phénylpyruvique, dans le moût sousl’action de B. cinerea. Plusieurs auteurs ont déjà rapporté l’existence de mécanismes enzy-matiques de désamination oxydative d’acides aminés (Matheis, 1991 ; Rech & Crouzet,1974). Comme B. cinerea est connu pour sécréter une grande diversité d’enzymes(Donêche, 1987 ; Grassin, 1987), il est possible qu’il produise l’acide phénylpyruvique pardésamination de la phénylalanine lors de son développement sur la baie. Par la suite, l’acidephénylpyruvique serait décarboxylé sous l’action du métabolisme levurien lors de la fermen-tation alcoolique (Baumes, 1998).

b. Influence de la botrytisation sur les teneurs en furanonesAu contraire du phénylacétaldéhyde, les furanones et les thiols volatils sont absents dumoût, quel que soit le stade de botrytisation, et sont formés au cours de la fermentationalcoolique selon des mécanismes encore peu connus.Concernant le furaneol®, l’homofuraneol et le norfuraneol, une augmentation significativede leurs teneurs est observée dans les vins élaborés à partir de raisins botrytisés et cet

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accroissement est parfaitement corrélé avec la variation de volume des baies (Tableau 3).Ces résultats révèlent donc le rôle indirect que joue B. cinerea, grâce au phénomène dedessiccation, dans l’augmentation des teneurs en furanones retrouvées dans le vin. Le déve-loppement du champignon B. cinerea accélère la dessiccation des raisins mais ne semble pasagir directement sur la formation de ces composés. En conséquence, ces travaux confirmentla contribution des furanones à l’arôme des vins liquoreux, qu’ils soient produits à partir deraisins passerillés ou botrytisés.

c. Influence de la botrytisation sur les teneurs en thiols volatilsTout comme le 3-sulfanylhexan-1-ol et la 4-méthyl-4-sulfanylpentan-2-one, les trois nou-veaux thiols volatils sont absents des moûts. Ces résultats suggèrent donc leur libérationlors de la fermentation alcoolique à partir de précurseurs S-cystéinylés, selon un mécanismesimilaire à celui des thiols déjà connus du vin (Tominaga et al., 1998).Par ailleurs, nous notons un accroissement significatif des teneurs de l’ensemble des thiolsdans les vins élaborés à partir de raisins botrytisés. Cette augmentation dépasse nettementle seul facteur de concentration des baies. Par conséquent, cette étude révèle l’influenceindirecte de B. cinerea sur l’augmentation des teneurs en thiols volatils des vins de pourritu-re noble. C’est en se développant sur les baies que B. cinerea engendre un accroissementsignificatif de la teneur en thiols du vin correspondant. Il serait donc intéressant de pour-suivre l’étude des mécanismes impliqués dans l’augmentation des teneurs en thiols volatilspour comprendre le mode d’action de B. cinerea dans la révélation du potentiel aromatiquefruité des vins. En conclusion, cette étude nous a permis d’approfondir notre connaissancedes mécanismes impliqués dans la genèse de certains composés de l’arôme des vins liquo-reux. De plus, l’ensemble des résultats prouve que B. cinerea engendre de nombreusesmodifications de la composition des baies qui influencent directement la formation des thiolsvolatils, des furanones et du phénylacétaldéhyde, et donc le profil aromatique des vins.

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Ces travaux vérifient par conséquent les pratiques empiriques et confirment l’intérêt de labotrytisation pour amplifier la palette aromatique des vins liquoreux.

IV. Mise en évidence originale d’un composé nouveau dans les vins depourriture noble

1. Identification du 3-propyl-1,2-oxathiolaneL’analyse CPG-O d’extraits de vins liquoreux a révélé la présence d’une zone odorante auxnuances d’agrumes qui ne correspond pas à un thiol volatil. De plus, elle n’est jamais retrou-vée dans les extraits de vins blancs secs. Elle paraît donc spécifique des vins liquoreux, ce quinous a incités à l’étudier. Or, nous avons constaté qu’elle était détectée par CPG-O lorsquel’extrait de vin était injecté en mode splitless (230°C), mais non à 45°C en mode on column.Il semble en conséquence que cette zone soit formée dans l’injecteur à chaud. Du fait deson caractère spécifique des vins liquoreux, nous avons tout de même poursuivi son étudepour l’identifier, et surtout comprendre ses voies de formation à partir d’un composé quiserait spécifique des vins liquoreux lors de l’injection à chaud.L’étude de cet “artefact “ retrouvé uniquement dans les vins liquoreux nous a conduits à lacaractérisation pour la première fois du 3-propyl-1,2-oxathiolane. Ce composé est trèsinstable et possède une odeur d’agrumes. Il résulte de la dégradation thermique du disulfuredu 3-sulfanylhexan-1-ol (3,3’-dithiobishexan-1-ol) (Figure 6). A notre connaissance, la dégra-dation thermique de ce disulfure est décrite pour la première fois. Ce mécanisme corres-pond à une dismutation puisque l’atome de soufre du disulfure gagne et perd simultanémentun degré d’oxydation pour former le 3-propyl-1,2-oxathiolane et le 3-sulfanylhexan-1-ol.

2. Mise en évidence indirecte du produit d’oxydation du 3-sulfanylhexan-1-ol dans lesvins de pourriture nobleLes thiols sont connus pour leur capacité à se dimériser par oxydation pour former desdisulfures (Jocelyn, 1972). Cependant, dans le vin, leurs produits d’oxydation n’ont pas enco-re été caractérisés. L’identification du 3-propyl-1,2-oxathiolane lors de l’analyse d’extraits devins liquoreux révèle donc indirectement, pour la première fois, la présence du disulfure du3-sulfanylhexan-1-ol dans les vins.Comme le 3-propyl-1,2-oxathiolane n’est jamais perçu lors de l’analyse d’extraits de vinsblancs secs, la composition particulière des vins liquoreux pourrait expliquer la présence dudisulfure uniquement dans ces derniers (Figure 7). On sait que les vins blancs secs compor-tent des teneurs élevées en polyphénols, connus pour leurs propriétés anti-oxydantes. Plu-sieurs études ont montré que leur oxydation entraîne la formation de quinones, qui peuventensuite facilement piéger les thiols par addition de Michael (Cheynier et al., 1986 ; MonteroRodil, 2003 ; Quideau et al., 1995 ; Singleton et al., 1984). Or, dans les moûts rôtis, les poly-phénols du raisin sont oxydés par la laccase produite par B. cinerea, puis polymérisés et pré-cipités. Les vins liquoreux contiennent donc une plus faible concentration de composés phé-noliques, en particulier de procyanidines (Biau, 1996). D’ailleurs, travaux récents ontdémontré une cinétique de consommation du dioxygène beaucoup plus lente dans les vinsliquoreux que les vins blancs secs (Poupot, communication personnelle).En conséquence, le mécanisme de dimérisation des thiols, et en particulier du 3-sulfanyl-hexan-1-ol, qui est généralement observé en milieu biologique, pourrait être favorisé (Joce-lyn, 1972).De plus, comme les vins liquoreux présentent des teneurs en 3-sulfanylhexan-1-ol plus

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élevées que les vins blancs secs, la loi d’action de masse pourrait favoriser cette réactionchimique. L’absence de cette zone odorante lors de l’analyse CPG-O de moûts rôtis ou devins liquoreux en cours d’élevage vient d’ailleurs renforcer l’hypothèse de la présence dudisulfure dans les vins liquoreux. Comme le 3-sulfanylhexan-1-ol est absent du moût, ilsemble logique que le disulfure ne soit pas non plus retrouvé dans le moût. De même, il estprobable que les vins en début d’élevage n’aient pas été soumis à des conditions d’oxydationsuffisantes pour permettre au 3-sulfanylhexan-1-ol de se dimériser.La confirmation de la présence du disulfure devrait nous permettre d’accroître notreconnaissance du comportement des thiols volatils dans les vins liquoreux, lors de conditionsd’oxydation ménagée, en particulier lors de l’élevage et de la conservation en bouteille. Dufait de l’impact olfactif majeur du 3-sulfanylhexan-1-ol, cette identification nous conduirait àune meilleure compréhension de l’évolution du profil aromatique des vins liquoreux depourriture noble. Ceci est capital en vue de l’amélioration de la qualité de ces vins.

ConclusionLes vins liquoreux de pourriture noble sont réputés pour la complexité et la diversité deleurs arômes. Toutefois, les composés associés à leurs nuances caractéristiques sont encorepeu connus.Après avoir vérifié l’existence d’un arôme typique des vins liquoreux de cépages Sémillon etSauvignon blanc, notre travail s’est ciblé sur la caractérisation de molécules clés. L’analysepar chromatographie en phase gazeuse couplée à l’olfactométrie et la spectrométrie demasse de vins blancs secs et liquoreux a permis la qualification et la hiérarchisation de zonesodorantes associées aux nuances typiques des vins liquoreux, dont certaines 3(2H)-fura-nones (furaneol®, homofuraneol et norfuraneol) aux odeurs de sucre cuit, le phénylacétal-déhyde aux nuances miellées et le méthional.Les notes zestées sont pour la plupart associées à des thiols volatils. Outre, le 3-sulfanyl-hexan-1-ol déjà décrit, trois nouveaux sulfanylalcools ont été identifiés pour la première foisdans le vin : le 3-sulfanylpentan-1-ol, le 3-sulfanylheptan-1-ol et le 2-méthyl-3-sulfanylbutan-1-ol.La participation de ces différents composés à l’arôme caractéristique des vins liquoreux aété étudiée en déterminant leurs seuils de perception olfactive et en les dosant. Paradoxale-ment, ces composés sont déjà retrouvés dans les vins blancs secs.Néanmoins, nous montrons qu’ils présentent des teneurs accrues dans les vins élaborés àpartir de raisins botrytisés et prouvons l’intérêt de la pourriture noble pour amplifier lebouquet aromatique des vins liquoreux. Par ailleurs, notre travail a permis de démontrerindirectement la présence du disulfure du 3-sulfanylhexan-1-ol (3,3’-disulfanediyldihexan-1-ol)dans les vins de pourriture noble, et ainsi, de confirmer la composition singulière de ces vins.

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Plusieurs points de ce travail restent aujourd’hui à élucider. Les recherches doivent toutd’abord se poursuivre pour identifier d’autres marqueurs de l’arôme caractéristique des vinsde pourriture noble et réaliser des expériences de reconstitution. La reconstitution d’arômereprésente, en effet, l’une des principales voies de recherche pour progresser dans la com-préhension des phénomènes impliqués dans la construction d’odeurs complexes. En analy-sant les interactions de synergie et d’antagonisme coexistant entre les différentes famillesd’odeurs, ces expériences permettraient de confirmer l’hypothèse d’un équilibre variableentre molécules clés pour expliquer l’arôme caractéristique des vins liquoreux. De plus, ilserait intéressant d’approfondir notre connaissance des modifications engendrées parl’action du champignon B. cinerea sur le raisin et notamment sur la révélation du potentielfruité des vins liquoreux. Enfin, l’identification du disulfure du 3-sulfanylhexan-1-ol doit êtrevalidée pour confirmer la composition singulière des vins liquoreux de pourriture noble. Cerésultat, conforté par le dosage de cette molécule, permettrait de recueillir de nouvellesinformations sur les mécanismes d’évolution des thiols volatils, composés clés de l’arôme,dans les conditions d’oxydation ménagée de l’élevage, puis lors de la conservation en bou-teille.

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