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RECENSION DES ÉCRITS SUR LE REGROUPEMENT HOMOGÈNE OU HÉTÉROGÈNE DES ÉLÈVES Par Laurier Fortin, Ph.D. Mélanie Filiault, ps.éd. Amélie Plante, ps.éd. Marie-France Bradley, ps.éd. Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance scolaire ©Avril 2011

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RECENSION DES ÉCRITS SUR LE REGROUPEMENT HOMOGÈNE OU HÉTÉROGÈNE DES ÉLÈVES

Par

Laurier Fortin, Ph.D.

Mélanie Filiault, ps.éd.

Amélie Plante, ps.éd.

Marie-France Bradley, ps.éd.

Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance scolaire

©Avril 2011

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE DES RÉSULTATS....................................................................................... 3 1. INTRODUCTION ...................................................................................................... 4 2. DÉFINITIONS ET MODÈLES THÉORIQUES........................................................ 4

2.1 Les différentes formes et pratiques de regroupement ......................................... 4 2.2 Les pratiques utilisées pour décider du regroupement homogène des élèves..... 6 2.3 Les différentes stratégies de déplacement des élèves entre les groupes homogènes .......................................................................................................... 8

3. LES MODÈLES THÉORIQUES EXPLICATIFS DES EFFETS DU REGROUPEMENT HOMOGÈNE DES ÉLÈVES.................................................... 9

3.1 Le modèle théorique de Terwel .......................................................................... 9 3.2 Le modèle théorique du « big fish little pond effect »........................................ 9 3.3 Le modèle théorique de Carbonaro................................................................... 10

4. RECENSION DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES SUR L’EFFICACITÉ DU REGROUPEMENT HOMOGÈNE OU HÉTÉROGÈNE ET LEURS EFFETS SUR LES ÉLÈVES................................................................................................... 10

4.1 Le regroupement des élèves des groupes faibles .............................................. 11 4.2 Les répercussions du type de regroupement sur les élèves............................... 13 4.3 Quel type de regroupement répond aux besoins des élèves et quel type d’élèves en sont satisfaits? .............................................................................................. 18

5. ORIENTATIONS ET DISCUSSION....................................................................... 19 6. CONCLUSION......................................................................................................... 23 7. RECOMMANDATIONS ......................................................................................... 23 RÉFÉRENCES ................................................................................................................. 26 ANNEXE 1 - LE REGROUPEMENT PAR INTÉRÊTS PRATIQUÉ PAR L’ÉCOLE SECONDAIRE D’ANJOU........................................................................ 29

Regroupement homogène ou

hétérogène des élèves

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SOMMAIRE DES RÉSULTATS

éfinitions

e regroupement des élèves faibles

es répercussions du type de regroupement sur les élèves

D

L

L

 Il s’agit de regrouper les élèves dans des groupes de manière à refléter toute l’étendue des habiletés d’une 

même cohorte. 

Il s’agit d’assigner les élèves à des groupes sur la base de leurs habiletés cognitives ou de leurs résultats scolaires afin de faciliter l’enseignement et de favoriser l’apprentissage des 

élèves sans influencer leur développement social ou émotionnel. 

REGROUPEMENT HOMOGÈNE REGROUPEMENT HÉTÉROGÈNE

• On  trouve,  dans  les  groupes  homogènes  faibles,  une concentration  disproportionnée  de  garçons,  d’élèves provenant  de  groupes  ethniques  et  de  statut  socio‐économique  faible  et  avec  des  besoins  éducatifs particuliers. 

• Ces  élèves  recevraient  un  enseignement  de  moins bonne qualité, bénéficieraient de moins de ressources, n’auraient  pas  accès  aux  mêmes  opportunités d’apprentissage,  seraient  plus  souvent  victimes  de préjugés  de  la  part  des  enseignants  et  recevraient moins de stimulation que ceux des groupes forts. 

• Le  regroupement  hétérogène  pourrait contribuer  à  corriger  les  inégalités  quant  à  la polarisation  des  élèves,  à  la  stimulation,  aux opportunités d’accéder à des cours plus avancés ainsi qu’à bonifier  le développement d’attitudes pro‐scolaires et pro‐sociales. 

• Toutefois,  ce  type  de  regroupement demanderait  plus  de  ressources  et  de  soutien aux  enseignants  afin  de  s’assurer  que l’enseignement soit différencié selon les besoins des élèves. 

• Les élèves des groupes  faibles et  réguliers présenteraient plus de facteurs susceptibles de  les mener au décrochage scolaire. 

• Le  regroupement  homogène  conviendrait  mieux  aux élèves  des  groupes  forts.  Ils  auraient  une  meilleure relation  avec  leur  enseignant,  un meilleur  sentiment  de bien‐être et une attitude plus positive face aux devoirs. 

• En  général,  les  élèves  des  groupes  faibles  semblent  plus insatisfaits  du  regroupement  homogène  et  c’est  à l’intérieur  de  ces  groupes  que  l’on  trouve  le  plus  grand nombre d’élèves désirant changer de groupe. 

• Toutefois,  un  grand  nombre  d’élèves  des  groupes  forts voudraient être dans un groupe moins fort, en raison des difficultés  et  du  rythme  de  travail,  de  la  pression  à performer, du soutien et des amitiés. 

• L’appréciation  des  groupes  homogènes  serait  liée  à  des raisons de rendement. 

REGROUPEMENT HOMOGÈNE • Le  regroupement  hétérogène  conviendrait 

mieux  aux  élèves  plus  faibles  ou  ayant  des besoins  particuliers,  puisque  ce  type  de regroupement  permet  aux  élèves  de  mieux progresser  et  de  se  faire  aider  par  des  élèves plus forts. 

• L’appréciation  des  groupes  hétérogènes  serait liée à des  raisons d’ordre social, d’équité et de stimulation. 

REGROUPEMENT HÉTÉROGÈNE

• Le regroupement à l’intérieur de la classe s’avérerait une pratique efficace dans les deux types de regroupement. 

• Une  assignation  bien  appliquée  des  élèves  dans  les groupes peut diminuer les effets négatifs et accroitre les bénéfices, particulièrement pour  les élèves des groupes faibles. 

REGROUPEMENT HOMOGÈNE REGROUPEMENT HÉTÉROGÈNE

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LE REGROUPEMENT HOMOGÈNE OU HÉTÉROGÈNE DES ÉLÈVES 1. INTRODUCTION

Les politiques actuelles du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (MELS) demandent aux écoles d’adopter des méthodes d’éducation inclusives, c’est-à-dire d’intégrer tous les élèves dans les classes, sans discrimination individuelle. Cependant, les écoles regroupent souvent les élèves par habiletés, au moins pour les matières de base. Cette situation amène donc des questionnements sur les effets d’une telle pratique sur l’apprentissage et la réussite des élèves.

En effet, les directeurs d’école se questionnent souvent relativement à

l’organisation des groupes d’élèves. La première partie de cette recension vise à expliquer et à décrire ces pratiques de regroupement, les modalités de regroupement et les stratégies de déplacement des élèves entre les groupes. Par la suite, différents modèles théoriques explicatifs des effets du regroupement sur les élèves sont résumés. La troisième partie du texte concerne la recension des écrits sur l’efficacité du regroupement homogène ou hétérogène et leur effet sur les élèves. Dans la dernière section, à la suite des orientations et d’une discussion des résultats de la recension, différentes recommandations sur le regroupement des élèves sont proposées.

2. DÉFINITIONS ET MODÈLES THÉORIQUES 2.1 Les différentes formes et pratiques de regroupement

Le regroupement homogène (ou regroupement par habiletés : groupes forts ou enrichis, moyens ou faibles) réfère à la pratique d’assigner les élèves à des groupes sur la base de leurs habiletés cognitives ou de leurs résultats scolaires. Il s’agit d’une pratique organisationnelle qui a pour but de faciliter l’enseignement et d’augmenter l’apprentissage des élèves (encourager le développement cognitif) sans influencer ou modifier leur développement social ou émotionnel (Hallinan, 1994). Les élèves sont généralement classés selon des caractéristiques prédictives à partir de tests cognitifs ou selon leur rendement scolaire (Heck, Price et Thomas, 2004). Cette pratique peut être motivée par la différenciation du curriculum, la quantité de matériel et la quantité des notions enseignées en classe (Hallinan et Kubitschek, 1999). À l’inverse, le regroupement hétérogène est la pratique par laquelle les élèves sont regroupés pour refléter toute l’étendue des habiletés d’une même cohorte (Kutnick, Sebba et Blatchford, 2005).

Les pratiques de regroupement varient d’un pays à l’autre (Monseur et Demeuse,

2001). Il existe différentes formes de regroupement homogène. Certaines pratiques de regroupement assignent l’élève à des groupes homogènes fixes. L’assignation aux groupes est alors faite à l’aide d’une évaluation globale de leurs habiletés générales, habituellement basée sur le rendement ou sur les résultats antérieurs à des tests cognitifs ou autres (Kutnick et al., 2005). Ainsi, on parle de regroupement immuable (groupes fermés) à travers les différents cours lorsque l’élève reste avec ses pairs, quelle que soit la matière enseignée (Monseur et Demeuse, 2001). Toutefois, les élèves peuvent parfois

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suivre le même groupe la majorité du temps, mais pas nécessairement dans toutes les matières. Il s’agit de regroupement par niveau d’habiletés/cours (streaming) (Kutnick et al., 2005; Ireson, Clark et Hallam, 2002), ou de regroupement par bloc horaire (block scheduling) (Slavin, 1993). Par exemple, l’élève est avec le groupe A régulier pour le français et les mathématiques, et B fort pour l’anglais, mais dans une classe hétérogène (élèves non regroupés par habiletés) dans les autres cours. Le regroupement par cohorte (banding) (Kutnick et al., 2005; Ireson et al., 2002) est une forme moins différenciée de regroupement par niveau d’habiletés, offrant moins de flexibilité puisque les élèves sont assignés aux classes dans chaque cohorte annuelle, mais selon leurs habiletés scolaires générales. Par exemple, il peut y avoir une classe faible, régulière et forte pour chaque cohorte. L’élève dont les habiletés générales sont jugées faibles selon les procédures d’assignation de l’école se retrouvera dans le groupe faible même s’il aurait pu être dans un groupe régulier en français (Ireson et al., 2002; Kutnick et al., 2005). Le regroupement peut aussi se faire par établissements (parfois appelé filières) lorsque les élèves sont admis dans des écoles qui offrent des curriculums différents et dont le diplôme obtenu n’offre pas les mêmes perspectives d’études supérieures (ex. : écoles professionnelles, écoles techniques) (Monseur et al., 2001; Van Houtte, 2004, 2005).

Une autre pratique, le regroupement par matière (setting), regroupe les élèves

selon leurs habiletés dans une matière spécifique (Ireson et al., 2002; Kutnick et al., 2005). Ceci signifie qu’ils peuvent être dans des groupes plus forts ou plus faibles et avec des pairs différents pour chacune des matières (Kutnick et al., 2005). Certaines écoles peuvent restreindre la flexibilité associée à ce type de pratique en créant un regroupement par habiletés résiduelles (residual setting), où les élèves sont assignés aux groupes selon leurs habiletés dans une seule matière et restent dans ce niveau d’habiletés pour plusieurs autres matières (Ireson et al., 2002). On peut aussi créer des groupes accélérés en assignant les élèves les plus forts à des cours nettement différents, habituellement offerts à des élèves plus vieux (Slavin, 1993).

Contrairement aux précédentes, certaines pratiques assignent d’abord les élèves

dans des groupes hétérogènes. Le regroupement à l’intérieur de la classe est la pratique par laquelle les élèves sont regroupés dans leur groupe pour des activités spécifiques ou, la plupart du temps, selon leurs habiletés ou d’autres critères (ex. : assurer une mixité, répondre à un besoin d’apprentissage spécifique) (Kutnick et al., 2005). Dans le même ordre d’idées, le regroupement homogène à travers les classes pour des matières déterminées assigne les élèves à des classes hétérogènes, mais les regroupe pour une ou plusieurs matières en fonction de leurs résultats (Monseur et al., 2001). Ils peuvent être regroupés par niveau, mais aussi tous niveaux confondus. Toutefois, le regroupement homogène tous niveaux confondus est plus utilisé au primaire et son efficacité n’a pas encore été démontrée au secondaire (Slavin, 1993).

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2.2 Les pratiques utilisées pour décider du regroupement homogène des élèves Les écoles peuvent adopter différentes formules de regroupement homogène1

dépendamment de certains facteurs (Kilgore, 1991). L’école aurait tendance à adopter une formule inclusive2 s’il y a une grande demande pour enseigner dans les classes fortes, si les enseignants exercent une forte influence sur les règles et les normes entourant le regroupement des élèves et si le taux d’interaction élèves-enseignant est élevé. À l’inverse, l’école aurait tendance à adopter une formule exclusive3 lorsqu’elle est en présence d’une plus petite cohorte d’élèves, que les enseignants n’exercent pas une forte influence sur les règles et les normes entourant le regroupement des élèves et que le taux d’interaction élèves-enseignant est faible. La présence d’une petite cohorte peut aussi mener l’école à adopter une formule arbitraire4. Ceci survient lorsque l’école est aux prises avec de grandes contraintes relatives au nombre d’élèves pouvant être admis dans chaque groupe. Toutefois, si l’école est en présence d’une plus grande cohorte d’élèves, que les élèves ne choisissent pas personnellement le niveau du groupe auquel ils veulent appartenir et que la coopération entre les membres du personnel est élevée, elle aurait tendance à adopter une formule méritocratique5.Il est à noter que le recours à la formule d’inclusion par l’école n’aurait qu’un impact modeste sur la réussite des élèves et qu’un large degré de variations quant au niveau de réussite aurait été observé entre des écoles privilégiant cette formule (Farrell, Dyson et Polat, 2007). Ceci laisse supposer que d’autres variables seraient susceptibles d’influencer davantage la réussite.

Plusieurs types d’évaluation peuvent être utilisés pour assigner les élèves aux

groupes. Ireson et al. (2002) se sont intéressés aux pratiques de regroupement des élèves dans 45 écoles de Grande-Bretagne. Les évaluations plus fréquemment utilisées étaient les examens et les compositions maisons, suivis des examens publics. À moindre échelle, des tests standardisés (ex. : tests cognitifs) étaient aussi utilisés. Il est toutefois ressorti que les évaluations étaient surtout utilisées pour l’assignation des élèves en mathématiques et en sciences, puisque le regroupement était beaucoup moins présent en anglais. Outre les évaluations et quoiqu’à une fréquence moindre, d’autres informations seraient utilisées pour le regroupement des élèves. On peut considérer les informations provenant de l’école primaire, l’opinion de l’enseignant quant au potentiel de l’élève et son sentiment vis-à-vis de lui, l’intuition du personnel non enseignant, le comportement et la motivation de l’élève (attitude, estime de soi, effort), les facteurs sociaux (groupes d’amis ou d’ennemis), le sexe et les besoins particuliers. Ces informations pourraient entre autres être utilisées pour éviter des mauvaises combinaisons d’élèves. D’autres études ont suggéré que le genre masculin, l’ethnie, un SSE faible et les besoins éducatifs spécifiques sont des éléments non scolaires qui peuvent motiver l’école à assigner les

1 La formule de regroupement homogène se définit par le degré auquel la formule actuelle de regroupement homogène de l’école correspond au placement attendu pour les élèves à l’intérieur de cette même école par rapport aux standards nationaux. Par exemple, ces standards peuvent spécifier que 20 % des élèves seront en groupes forts et 20 %, en groupes faibles. 2 La formule inclusive réfère aux écoles ayant une forte proportion d’élèves au-delà du placement attendu pour les élèves de l’école. Elle suggère que les standards de l’école quant à l’assignation des élèves sont en deçà des normes nationales. 3 La formule exclusive réfère aux écoles ayant une forte proportion d’élèves en deçà du placement attendu pour les élèves de l’école. Elle suggère que les standards de l’école quant à l’assignation des élèves sont au-delà des normes nationales. 4 La formule arbitraire réfère aux écoles ayant une forte proportion d’élèves au-delà et en deçà du placement attendu; elle suggère que l’assignation ne correspond pas aux capacités et intérêts des élèves, mais est plutôt aléatoire et approximative. 5 La formule méritocratique réfère aux écoles ayant une faible proportion d’élèves au-delà et en deçà du placement attendu. Elle suggère que les standards de l’école quant à l’assignation des élèves sont conformes aux normes nationales.

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élèves à un groupe faible (Kutnick et al., 2005; Heck et al., 2004), ce qui contribuerait à la marginalisation de ces élèves (Heck et al., 2004).

Les croyances des enseignants et des parents pourraient influencer les pratiques de

regroupement des élèves faibles. En effet, dans une étude ayant pour but d’observer les perceptions des enseignants et des parents quant à un programme de regroupement homogène dans une école, les enseignants ont rapporté qu’ils trouvaient difficile de comprendre les habiletés et les déficits de chacun des élèves faibles parce qu’ils sont tous très différents les uns des autres et qu’il est ainsi difficile de prévoir la planification de l’enseignement pour eux (Blanksby, 1999). Ils étaient donc d’avis que ces élèves devraient recevoir des services spécialisés. L’opinion des parents allait dans le même sens. Ils rapportaient que l’intégration des élèves faibles ne fonctionne pas et qu’il est préférable qu’ils soient regroupés en groupes homogènes afin de recevoir des ressources spécialisées.

Un autre aspect qui affecte l’assignation des élèves est le déplacement entre les

groupes (Ireson et al., 2002). Dans les groupes homogènes, le taux de déplacement varie d’une école à l’autre selon la rigidité de leurs politiques. Certaines écoles fixent un plafond d’élèves pouvant être inclus dans les groupes forts et/ou imposent des programmes qui ne suivent pas tous le même déroulement d’un groupe à l’autre. Ceci signifie qu’un changement de groupe implique de revoir de la matière déjà vue et d’en manquer d’autre. Dans les écoles plus souples, on peut voir des rencontres bimensuelles ou des observations en classe par les chefs de département pour juger de la pertinence de changer un élève de niveau de groupe. D’autres écoles encore plus souples jugent important que les élèves sachent qu’ils peuvent être déplacés de groupe, ce qui constituerait un facteur motivateur au rendement. Malgré tout, les déplacements entre les groupes sont généralement observés en fin d’année scolaire. Ces déplacements peuvent aussi être stimulés par des requêtes parentales ou encore par des facteurs comportementaux. Selon ces auteurs, le fait qu’un élève puisse être déplacé dans un groupe faible sur la base de son comportement et non de son rendement est inquiétant puisque cette situation laisse entrevoir que les groupes forts seraient réservés aux élèves motivés et capables de se comporter correctement. Quant aux groupes hétérogènes, les déplacements semblent y être moins fréquents et les raisons évoquées semblent avoir trait aux relations sociales (amis) et à l’incompatibilité enseignant-élève.

En résumé, il semble que différentes formules de regroupement existent et que celle

adoptée par l’école dépend d’éléments associés au personnel, à la cohorte d’étudiants, au taux d’interactions élèves-enseignant et aux choix laissés aux élèves. Aussi, les croyances des enseignants et des parents vis-à vis l’intégration des élèves pourraient influencer l’assignation aux groupes. D’ailleurs, bien que les évaluations formelles semblent être les plus utilisées pour décider du regroupement des élèves, d’autres informations plus subjectives pourraient être considérées, telles que l’opinion, le sentiment et l’intuition du personnel, le comportement et la motivation de l’élève, les facteurs sociaux, le sexe et les besoins particuliers. De plus, les politiques de l’école pourraient grandement contraindre le déplacement des élèves entre les groupes, ce qui signifie que l’assignation d’un élève à

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un mauvais groupe au départ pourrait avoir de graves répercussions sur son cheminement scolaire.

2.3 Les différentes stratégies de déplacement des élèves entre les groupes

homogènes Certaines stratégies permettent les déplacements des élèves d’un niveau de groupe

homogène à l’autre. Certaines sont très restrictives. Dans la stratégie cautionnée, l’élève est sélectionné tôt pour faire partie de l’élite et recevoir des opportunités et des ressources spécialisées et y demeure tout au long de son cheminement scolaire (Turner, dans Ellison et Hallinan, 2004). D’autres stratégies favorisent la compétition entre les élèves. En effet, dans la stratégie du tournoi, l’élève qui augmente son rendement peut avancer vers un groupe plus fort, mais celui qui diminue son rendement est déplacé vers un groupe plus faible et perd l’opportunité de remonter vers un groupe plus fort (Rosenbaum, dans Ellison et al., 2004). Quant à la stratégie de lutte d’espace, l’élève peut se déplacer vers un groupe plus fort ou plus faible seulement à condition qu’une place se libère, c’est-à-dire qu’un élève quitte le groupe auquel il veut avoir accès (Hallinan et Sorensen, dans Ellison et al., 2004). La sélection des élèves pour intégrer ces groupes se fait selon des critères de rendement scolaire. Le pourcentage de déplacements est déterminé par des contraintes d’espace, de taille des groupes et des ressources de l’enseignant (Hallinan et Sorensen, dans Ellison et al., 2004). Finalement, selon la stratégie combative, le déplacement des élèves est basé sur le mérite et le rendement (Turner, dans Ellison et al., 2004). Ainsi, les élèves peuvent monter ou descendre de niveau de groupe, dépendamment de leur rendement (Turner, dans Ellison et al., 2004).

D’autres stratégies sont plus souples et ne considèrent pas uniquement le

rendement. Dans la stratégie de concordance, l’assignation est faite conjointement par les dirigeants de l’école et l’élève. En effet, l’école détermine les cours offerts et les élèves choisissent parmi ces options. Ainsi, la sélection des élèves n’est pas nécessairement basée sur le rendement (Garet, Agnew et Delany, dans Ellison et al., 2004). Finalement, selon la stratégie de technique, les caractéristiques des groupes (incluant la taille et les élèves qui les composent) sont déterminées par le personnel de l’école selon la cohorte d’élèves desservis. Il permet ainsi le déplacement des élèves selon les besoins d’apprentissage et non seulement selon le rendement (Barr et Dreeben, dans Ellison et al., 2004).

Il est à noter que le choix de la stratégie dépend des politiques de l’école et n’est

jamais appliqué strictement. Pour la grande majorité des écoles, la stratégie est basée sur les rendements scolaires et elle est modifiée par d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte dans l’assignation des élèves aux groupes, tels que certaines caractéristiques personnelles de l’élève et l’organisation de l’école (Ellison et al., 2004).

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3. LES MODÈLES THÉORIQUES EXPLICATIFS DES EFFETS DU REGROUPEMENT HOMOGÈNE DES ÉLÈVES Quelques modèles théoriques sont proposés pour évaluer les effets du

regroupement sur les élèves. Nous présentons les modèles les plus pertinents. Le premier modèle, celui de Terwel, permet une analyse systémique des effets du regroupement sur l’élève. L’intérêt du deuxième modèle, celui du big-fish-little-pond effect, réside dans les aspects amenés par la comparaison sociale. Finalement, le modèle de Carbonaro propose une interrelation entre l’effort fourni par l’élève, le niveau du groupe et le rendement. 3.1 Le modèle théorique de Terwel

Terwel (2005) suggère un modèle qui est influencé par trois perspectives. La première, génétique et biopsychologique, repose sur l’idée que des facteurs génétiques stables, prédéterminés et fixes engendreraient des différences inévitables au niveau du QI, ce qui justifierait le regroupement des élèves en groupes homogènes. La deuxième perspective, culturelle, amène l’idée que l’apprentissage est une responsabilité de chaque individu et requiert une liberté individuelle. Ainsi, l’utilisation du regroupement homogène pourrait minimiser la responsabilité et la liberté individuelle. Toutefois, selon l’auteur, cette pratique n’est pas bonne ou mauvaise tant et aussi longtemps que l’organisation scolaire vise l’égalité et le respect de ses élèves. La troisième perspective, sociologique, propose que les différences au niveau du QI sont causées par le regroupement homogène et que cette pratique crée des différences au niveau de la qualité des interactions en classe. Ainsi, les élèves plus performants et regroupés dans la même classe sont plus stimulés par les enseignants et ont tendance à s’entraider davantage comparativement aux élèves présentant des difficultés sociales et scolaires. Dans ce modèle, les expériences d’apprentissage sont affectées par les caractéristiques de l’élève (facteurs génétiques), elles-mêmes influencées par le contexte scolaire, incluant la différenciation au niveau du curriculum (facteurs culturels) ainsi que par la composition de la classe (facteurs sociaux).

3.2 Le modèle théorique du « big fish little pond effect »

La théorie du « big-fish-little-pond effect » soutient que la formation du concept de soi scolaire de l’élève requiert la comparaison de sa propre perception de ses compétences scolaires à un cadre de référence. Par exemple, la formation du concept de soi scolaire est perceptible lorsqu’un élève détient un concept de soi scolaire inférieur parce qu’il se compare à des élèves qui, selon sa perception, sont plus performants que lui. Les élèves performants auraient donc un meilleur concept de soi scolaire s’ils étaient placés en classe hétérogène, puisqu’ils seraient les plus habiles de la classe comparativement à un scénario où ils seraient placés dans un groupe de niveau élevé dans lequel la compétition est beaucoup plus forte (Marsh, Chessor et Craven, dans Catsambis, Mulkey et Crain, 2001) À l’inverse, les élèves moins forts bénéficieraient d’être regroupés tous ensemble en groupes faibles puisqu’ils n’auraient plus à faire face à la compétition. Ils auraient alors une meilleure perception de leurs habiletés (Marsh, dans Mulkey, Catsambis et Steelman, 2005).

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3.3 Le modèle théorique de Carbonaro Carbonaro (2005) présente un modèle conceptuel qui met en lien l’effort, le

regroupement et le rendement de l’élève. Selon lui, les efforts sont susceptibles de varier en fonction du niveau du groupe et l’effort antérieur est un critère important pour l’assignation des élèves aux groupes. Ainsi, le niveau du groupe est susceptible d’influencer la perception que les élèves ont d’eux-mêmes et de leur futur, ce qui influence par le fait même le niveau d’effort qu’ils mettent en place à l’école. Aussi, le regroupement homogène est influencé par la demande cognitive provenant du curriculum, ce qui entraîne un impact sur l’engagement intellectuel de l’élève. L’effort et le niveau du groupe sont donc susceptibles d’influencer la réussite scolaire de l’élève. De même, l’effort et la réussite scolaire sont susceptibles d’influencer le groupe. Enfin, certaines caractéristiques personnelles (genre, SSE, ethnie) des élèves sont susceptibles d’expliquer les différences existantes entre l’effort mis en place dans les différents groupes d’habiletés, puisque dans les groupes faibles, les élèves tendent à mettre moins d’effort dans leur apprentissage.

Les pratiques de regroupement des élèves sont donc assez variées. De plus, les

stratégies de déplacement des élèves d’un groupe à l’autre et les modèles théoriques présentés suggèrent que le regroupement homogène peut avoir des effets sur l’apprentissage et la réussite des élèves. Il importe donc de se questionner sur l’efficacité des pratiques de regroupement ainsi que sur leurs effets sur la réussite des élèves.

4. RECENSION DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES SUR L’EFFICACITÉ DU REGROUPEMENT HOMOGÈNE OU HÉTÉROGÈNE ET LEURS EFFETS SUR LES ÉLÈVES D’entrée de jeu, il importe de préciser que dans les études consultées, le

regroupement homogène est très souvent observé dans les cours de mathématiques, puisque cette matière se prête grandement à cette pratique. La généralisation des résultats présentés aux autres matières est donc limitée, quoiqu’elle serait possible en regard des autres matières principales (français et sciences), puisqu’elles sont aussi souvent incluses dans les études (Kutnick et al., 2005).

Les écrits scientifiques ayant trait aux effets du regroupement homogène sur les

élèves s’inscrivent majoritairement autour de ces deux questions : (1) Le regroupement homogène est-il plus efficace pour encourager l’apprentissage des élèves que les autres méthodes de regroupement? (2) Tous les élèves bénéficient-ils du regroupement homogène au même degré?

Nous débuterons en nous questionnant sur les élèves des groupes faibles. Nous

résumerons ensuite les résultats des études qui ont examiné les répercussions des deux types de regroupement sur les élèves faibles, moyens ou forts, notamment sur la réussite scolaire et leur rendement dans certains cours.

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4.1 Le regroupement des élèves des groupes faibles

4.1.1 Les élèves des groupes homogènes faibles reçoivent-ils un enseignement de moins bonne qualité? Les études quantitatives montrent que l’on retrouve généralement dans les groupes

faibles une concentration disproportionnée de garçons, d’élèves provenant de groupes ethniques spécifiques, de statut socio-économique faible et avec des besoins éducatifs spécifiques. Ce sont toutes des caractéristiques qui affectent les attentes des enseignants envers les élèves et les aspirations des élèves (Kutnick et al., 2005). Ces élèves seraient aussi plus susceptibles de vivre un plus grand nombre de changements d’enseignants (Kutnick et al., 2005) et d’avoir plus d’enseignants qui ne sont pas des spécialistes de la matière enseignée (Betts et Shkolnik, 2000; Kutnick et al., 2005). Toutefois, dans ces groupes, le ratio enseignant-élèves serait moindre (Betts et al., 2000), afin de permettre plus de soutien à ces élèves (Ireson, Clark et Hallam, 2002). Finalement, il semble que les élèves des groupes faibles évitent des cours plus difficiles même lorsqu’ils peuvent faire ce choix. En effet, dans une école d’Israël qui laisse le libre-choix à l’élève du niveau du groupe qu’il désire fréquenter et qui offre plus de cours de sciences pures avancés, il a été observé que les garçons d’habiletés faibles et qui n’étaient pas considérés comme étant des élèves appropriés pour les cours de sciences avancées se retrouvaient intégrés dans les cours avancés en sciences humaines.

Les études qualitatives vont dans le même sens. Boaler, Wiliam et Brown (2000)

ont trouvé que les élèves des groupes faibles subissent beaucoup d’effets négatifs. En plus des changements fréquents d’enseignants et de l’expérience limitée de certains enseignants, ils ajoutent l’attribution de leçons de bas niveau considérées comme trop faciles, l’inaccessibilité à des cours de mathématiques permettant d’atteindre un niveau plus élevé et l’obligation d’attendre la fin du cours, sans tâche supplémentaire à effectuer, si les exercices sont terminés à l’avance. Par conséquent, ces élèves croyaient que leurs opportunités d’apprentissage étaient grandement amoindries, que leur enseignant les considérait comme étant limités et que ces derniers avaient aussi une idée préconçue des habiletés de ces élèves qui se traduisait à leur offrir peu de chance de se développer davantage.

Par ailleurs, dans une étude faite dans une école qui a choisi d’éliminer le

regroupement homogène et d’instaurer le regroupement hétérogène pour une partie de ses classes de 9e et 10e année (14-16 ans), Rothenberg, McDermott et Martin (1998) ont trouvé que l’enseignement et la qualité de l’instruction ont changé dans tous les groupes, homogènes et hétérogènes, sauf dans les groupes homogènes faibles. Dans ces groupes faibles, puisque l’enseignement était ralenti, dilué et raccourci, les élèves trouvaient que les travaux n’étaient pas amusants ni intéressants, ne favorisaient pas l’apprentissage et étaient incompréhensibles. De plus, le contenu académique enseigné était résumé et simplifié et les enseignants semblaient demander moins de tâches d’écriture aux élèves.

En résumé, il semblerait que les élèves des groupes homogènes faibles reçoivent un

enseignement de moins bonne qualité. Ces élèves bénéficieraient de moins de ressources, n’auraient pas accès aux mêmes opportunités d’apprentissage, seraient plus victimes de

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préjugés de la part des enseignants et recevraient moins de stimulation que ceux des groupes forts.

4.1.2 Le regroupement homogène perpétue-t-il les difficultés à accéder aux études

supérieures? Une seule des études recensées a apporté des réponses à cette question. Dans cette

étude quantitative, Heck et al. (2004) ont utilisé une analyse de réseau pour étudier les différents profils d’élèves présents dans une école secondaire d’Hawaii qui pratique le regroupement homogène. Ils ont trouvé une structure sociale très sélective qui limite l’accès des élèves à certaines positions sociales. Cette structure est également très limitante par rapport à la probabilité pour les élèves d’atteindre les plus hauts niveaux d’éducation. Ainsi, leurs résultats rapportent qu’environ 35 % des élèves des profils forts obtiennent un diplôme avec mention très honorable ou très bien et que plus de 82 % d’entre eux planifient d’aller à l’université. Quant aux élèves des profils faibles, plusieurs n’obtiennent pas leur diplôme, près des trois quarts planifient d’aller dans un collège communautaire et 14 % planifient d’aller dans une école militaire.

Il semblerait donc que les élèves des groupes faibles aient moins d’opportunités à

leur disposition et aient moins de chances d’accéder aux études supérieures. Ces conclusions sont toutefois à interpréter avec prudence, puisqu’il est possible qu’elles ne s’appliquent pas aux élèves d’autres provenances.

4.1.3 Le regroupement hétérogène permet-il de corriger ces inégalités?

La recension des écrits de Monseur et al. (2001), qui regroupe des données statistiques provenant de 40 pays, rapporte que l’homogénéité à l’intérieur des classes aurait pour effet de rendre les classes ou les établissements plus différents entre eux, tandis que l’hétérogénéité à l’intérieur des classes les rendrait plus semblables. De plus, ces auteurs ont trouvé des taux de retards scolaires assez faibles dans les pays qui favorisent le regroupement hétérogène. Aussi, l’assignation à une classe hétérogène augmenterait même la probabilité des élèves qui présentent une compétence initiale forte de prendre des cours de mathématiques avancées (Burris, Heubert et Levin, 2006). D’ailleurs, après l’assignation dans des groupes hétérogènes, on a observé une augmentation significative du pourcentage d’élèves qui prennent des cours avancés. De plus, Kutnick et al. (2005) rapportent un effet positif du regroupement hétérogène sur les attitudes pro-sociales et pro-scolaires des élèves.

Du côté des études qualitatives, des effets bénéfiques ont pu être observés dans une

école qui a abandonné le regroupement homogène dans certaines classes de 9e et 10e année (14-16 ans) pour y instaurer le regroupement hétérogène (Rothenberg et al., 1998). En effet, en plus d’avoir observé une augmentation du taux de présence des élèves anciennement assignés aux groupes faibles ainsi qu’un pourcentage plus élevé d’élèves qui prennent des cours avancés de mathématiques et donc un plus grand pourcentage d’élèves qui rédigent l’examen national standardisé de mathématiques, ils ont vu que les pratiques d’enseignement ont changé. Comparativement au début de l’année scolaire, les enseignants utilisaient majoritairement une pédagogie centrée sur l’élève (guider les élèves, encourager le travail d’équipe et l’entraide) à la fin de l’année et utilisaient plus

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l’apprentissage coopératif ainsi que de meilleures stratégies pour questionner les élèves. Ceci a eu pour effet de bonifier le niveau d’apprentissage, la stimulation des élèves, le niveau d’interaction général et les habiletés d’opérations, telles que la pensée critique et l’écriture.

Hallam et Ireson (2005) se sont intéressés aux croyances des enseignants quant aux

pratiques de regroupement dans 45 écoles de Grande-Bretagne. Les enseignants se sont prononcés fortement en accord pour dire qu’il est plus facile d’enseigner dans une classe homogène, que ce type de regroupement rend la gestion de classe plus facile et permet de mieux ajuster les programmes aux besoins des élèves. Cependant, ils s’entendent pour dire que l’enseignement en classe hétérogène est bénéfique pour tous les élèves en plus de mettre les enseignants au défi en les gardant alertes quant au maintien et au développement de leurs compétences, les empêchant ainsi de devenir rigides dans leurs méthodes d’enseignement. Ils sont toutefois d’avis que l’efficacité de cette pratique dépend des ressources disponibles et du soutien qui leur est offert. Ils sont aussi d’accord pour dire que l’enseignement aux élèves plus faibles demande une approche différente de celle utilisée pour les élèves plus forts et qu’on tend à enseigner à l’élève moyen dans les classes hétérogènes.

En résumé, les résultats des études suggèrent que le regroupement hétérogène

pourrait contribuer à corriger des inégalités quant à la polarisation des élèves, à la stimulation et aux opportunités d’accéder à des cours plus avancés ainsi qu’à bonifier le développement d’attitudes pro-scolaires et pro-sociales. Toutefois, ce type de regroupement demanderait plus de ressources et de soutien aux enseignants afin de s’assurer que l’enseignement soit différencié selon les besoins des élèves.

4.1.4 Le regroupement des élèves en groupe hétérogène selon d’autres indicateurs que

les habiletés intellectuelles ou scolaires (intérêts, attitudes, talents, histoire, etc.) est-il prometteur pour favoriser la réussite scolaire? Malheureusement, aucune étude scientifique n’a pu être identifiée en lien avec ce

sujet. Toutefois, une expérience de regroupement des élèves par intérêts est présentement pratiquée dans une école secondaire de l’Île de Montréal6.

4.2 Les répercussions du type de regroupement sur les élèves 4.2.1 Le regroupement homogène ou hétérogène favorise-t-il le décrochage scolaire ou

nuit-il à la réussite scolaire? Une seule étude a été trouvée concernant le lien entre le regroupement homogène et

le décrochage scolaire. Dans cette étude quantitative, Berends (1995) rapporte que l’assignation à un groupe faible ou régulier augmenterait les probabilités de décrochage scolaire. En effet, comparativement aux groupes forts, les élèves des groupes faibles et réguliers présenteraient plusieurs facteurs qui augmenteraient la probabilité de décrochage. Ces élèves aspireraient moins à atteindre le niveau collégial, auraient plus de

6 École secondaire d’Anjou de la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île. Voir un résumé de cette pratique et des effets en annexe 1.

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problèmes de discipline, feraient preuve de moins d’engagement envers l’école et s’absenteraient plus.

En général, les résultats quant aux effets du regroupement homogène sur la réussite

des élèves sont mitigés, car certains chercheurs ne trouvent aucun effet ou seulement de très légers effets. Effectivement, Slavin (1993), Betts et al. (2000), Vandenberge (2006) et Kutnick et al. (2005) n’en trouvent qu’à condition qu’il y ait ségrégation entre des écoles qui offrent des curriculums différents (filières ou écoles spécialisées). D’ailleurs, le regroupement en filières pourrait amener une différenciation précoce des curriculums, ce qui mènerait à une inégalité dans les rendements (Hallinan, 2000). D’autres rapportent que le rendement des élèves est plus grand dans les groupes homogènes que dans les groupes hétérogènes (Moller, Blau et Stearns, 2003) ou encore que le rendement varie en fonction du niveau du groupe homogène et que le groupe à lui seul pourrait affecter la quantité de matière apprise par l’élève (Hallinan, 2000). De plus, l’assignation à un groupe plus fort que celui auquel l’élève est actuellement assigné aurait pour effet d’augmenter son rendement et vice versa s’il était assigné à un groupe plus faible (Hallinan, 2000).

Des comparaisons entre le regroupement homogène et le regroupement hétérogène

ont suggéré que les élèves plus faibles progresseraient mieux en groupes hétérogènes, contrairement aux plus forts qui progresseraient mieux en groupes homogènes (Kutnick et al., 2005). Toutefois, Hallinan (2000) a trouvé que l’assignation de l’élève à un groupe hétérogène en 8e année (13-14 ans) serait positivement corrélée avec le rendement de ces mêmes élèves assignés à un groupe fort en 10e année (15-16 ans). De plus, on observerait une plus grande augmentation du rendement chez les élèves ayant une compétence initiale forte et qui sont assignés à un groupe hétérogène (Burris et al., 2006). Le placement dans ce type de groupe aurait donc un effet bénéfique sur le rendement, même une fois les effets du niveau de compétence initiale, du SSE et de l’ethnie contrôlés (Burris et al., 2006). De plus, le niveau d’effort fourni par l’élève différerait d’un niveau de groupe homogène à l’autre selon les efforts antérieurs, la réussite antérieure et les expériences en classe vécues par l’élève (Carbonaro, 2005). Tout comme pour le rendement, augmenter le niveau du groupe aurait donc un effet bénéfique sur le niveau d’effort fourni par l’élève (Mulkey et al., 2005). Ceci vient expliquer les conclusions de ces auteurs à l’effet que l’assignation de l’élève en 8e année (13-14 ans) aurait un impact sur son rendement en 12e année (17-18 ans).

Mulkey et al. (2005) se sont intéressés aux effets du regroupement homogène ou

hétérogène en comparant des élèves de forces similaires provenant d’écoles qui utilisaient le regroupement homogène à ceux d’écoles à regroupement hétérogène. Afin de s’assurer qu’ils comparent des groupes d’élèves similaires, ils estiment la propension d’un élève à être assigné à un groupe fort, moyen ou faible, peu importe le type de regroupement utilisé dans leur école, sur la base de leurs habiletés en mathématiques. Ainsi, les élèves « forts » sont ceux qui ont de bonnes habiletés en mathématiques, peu importe qu’ils soient dans des classes hétérogènes ou des classes homogènes fortes, moyennes ou faibles en mathématiques. Ils ont observé une association significative entre le type de regroupement et les résultats scolaires ainsi que des caractéristiques sociales entre la 8e et

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la 10e année, et aussi entre la 10e et la 12e année. Toutefois, ces effets varient selon le genre et selon la propension à être dans un groupe fort ou faible. Ainsi, les garçons à propension « fort » ont des résultats moindres en mathématique lorsqu’ils sont placés en classes homogènes plutôt qu’hétérogènes, alors que les garçons à propension « faible » semblent avoir de meilleurs résultats dans des classes homogènes. Chez les filles, seules celles à propension « faible » réussissent généralement mieux en mathématiques lorsqu’elles sont en classes homogènes. Cette étude rapporte aussi des effets positifs du regroupement homogène pour les élèves à propension « faible » au plan des caractéristiques psychosociales, entre la 8e et la 12e année. Les filles et garçons à propension « faible » auraient plus confiance de graduer, de poursuivre des études supérieures, et ont un meilleur concept de soi scolaire en mathématiques lorsqu’ils sont placés dans des classes homogènes. Par contre, ceux à propension « fort » qui sont en classes homogènes ont moins confiance de graduer, de poursuivre des études supérieures et ont un concept de soi moindre en mathématiques que les élèves à propension « fort » en classes hétérogènes. Les auteurs expliquent cet effet par le haut niveau de compétition entre élèves forts lorsqu’ils sont regroupés dans des classes homogènes. Le type de regroupement semble avoir peu d’effet sur l’engagement scolaire chez les filles. Par contre, en comparaison aux garçons de même force inscrits en classes hétérogènes, les garçons à propension « fort » tendent plus à se désengager de l’école alors que l’engagement scolaire est meilleur chez les garçons à propension « faible ».

Quant aux élèves ayant des besoins particuliers, il semblerait que les effets du

regroupement homogène sur eux soient moins clairs, à l’exception des élèves surdoués pour qui un programme spécial, donné dans un groupe séparé et par un enseignant formé pour leur enseigner, serait efficace. Pour les autres, incluant les élèves de minorités ethniques, malgré un nombre limité de recherches sur le sujet, il y aurait quelques avantages potentiels d’un regroupement homogène flexible et du regroupement à l’intérieur de la classe, qui permettent un déploiement efficace d’assistants d’enseignement (Kutnick et al., 2005).

D’ailleurs, le regroupement à l’intérieur de la classe, peu importe le contexte de

regroupement, pourrait avoir le plus grand potentiel pour augmenter les standards en rendant l’expérience d’apprentissage personnalisée (Kutnick et al., 2005). Il faudrait toutefois porter une attention particulière aux interactions entre les élèves et entre l’enseignant et l’élève (Kutnick et al., 2005). En effet, l’enseignant étant seul pour s’occuper d’un grand groupe d’élèves, le temps alloué par celui-ci à chacun des élèves est assez limité. Par conséquent, il faut questionner si la qualité des interactions entre pairs sera aussi propice à l’apprentissage de l’élève. Cependant, il est à noter que les raisons qui poussent les enseignants à regrouper les élèves à l’intérieur de leurs classes semblent plutôt justifiées par des motifs d’ordre organisationnel plutôt que par des buts pédagogiques (Kutnick et al., 2005; Hallam et Ireson, 2005). Les groupes seraient donc construits par les élèves et motivés par les amitiés (Kutnick et al., 2005). Cette pratique de regroupement serait aussi plus présente dans les classes hétérogènes que dans les classes homogènes (Hallam et al., 2005). Il est cependant important de souligner que le nombre d’études sur le regroupement à l’intérieur de la classe semble limité et que

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d’autres techniques et éléments tels que la communication et le soutien pourraient avoir un effet positif sur le rendement (Kutnick et al., 2005).

En résumé, il semble que les élèves des groupes faibles et réguliers présenteraient

plus de facteurs susceptibles de mener au décrochage scolaire. De plus, le regroupement homogène conviendrait peut-être mieux aux élèves des groupes forts et le regroupement hétérogène conviendrait mieux aux élèves plus faibles ou ayant des besoins particuliers. Toutefois, le regroupement à l’intérieur de la classe pourrait s’avérer être une pratique efficace, qu’il soit pratiqué en groupe homogène ou hétérogène. Après les études qui ont examiné les effets généraux du type de regroupement sur les élèves, la section suivante se penche sur les effets spécifiques du regroupement homogène sur les différents groupes d’élèves.

4.2.2 Y a-t-il des effets spécifiques du regroupement homogène sur les différents groupes

d’élèves? Dans les groupes homogènes faibles, la moyenne générale serait moins élevée, il y

aurait plus d’échecs (Van Houtte, 2005), plus d’élèves qui ne graduent pas (Heck et al., 2004) et l’intérêt par rapport aux tâches d’apprentissage serait moins présent (Van de gaer, Pustjens et Van Damme, 2006). Ces élèves percevraient moins l’utilité des mathématiques et seraient davantage enclin à éviter la tâche, ils utiliseraient moins de stratégies métacognitives et démontreraient une volonté plus faible face aux efforts à fournir (Bouffard et Couture, 2003). Par ailleurs, il semble que les buts de performance soient positivement associés à la réussite scolaire des groupes réguliers et faibles, c'est-à-dire que plus l’élève est motivé au rendement scolaire, mieux il réussit (Bouffard et Couture, 2003). Ainsi, augmenter le niveau d’habiletés du groupe des élèves dits « sous la moyenne » pourrait avoir pour effet d’augmenter leur concept de soi scolaire général et leur concept de soi scolaire en anglais (Ireson et al., 2001). Notons ici que le taux d’absentéisme en 8e année (13-14 ans) serait relié au rendement en mathématiques en 9e année (14-15 ans) dans les groupes très faibles (Hallinan, 2000).

Le niveau de rendement antérieur du groupe pourrait aussi avoir des impacts sur le

rendement ultérieur de l’élève (Hallinan, 2000). En effet, Ireson, Hallam et Hurley (2005) ont observé qu’à rendement égal à l’examen national de mathématiques de secondaire 3 (Grande-Bretagne), les élèves dans les groupes forts en secondaire 5 ont mieux performé, suivis de ceux dans les groupes moyens et enfin de ceux dans les groupes faibles, à l’examen de fin d’études secondaires. Un effet relatif au groupe a donc été observé. D’ailleurs, ces auteurs rapportent aussi qu’une fois les effets du rendement antérieur, du statut socio-économique et du taux de présence contrôlés, les élèves des groupes forts ont mieux performé à l’examen de fin d’études secondaires que les élèves des groupes faibles, surtout en mathématiques et en anglais. Aussi, le score des élèves à l’examen national d’anglais en 8e année (13-14 ans) serait positivement corrélé avec le rendement en anglais en 9e année (14-15 ans) de ces mêmes élèves assignés à des groupes réguliers, forts et avancés, mais pas avec celui de ces mêmes élèves assignés à des groupes faibles (Hallinan, 2000).

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En général, les élèves des groupes forts auraient de meilleurs résultats en mathématiques (Kutnick et al., 2005) et en compréhension de lecture (Monseur et al., 2001) que les élèves des groupes faibles. De plus, ces élèves performeraient mieux en langage, suivis des élèves moyens et enfin des élèves faibles (Van de gaer et al., 2006). Aussi, l’assignation à un groupe fort ou avancé de mathématiques en 8e année (13-14 ans) serait positivement corrélée au rendement de ces mêmes élèves placés dans un groupe régulier ou fort de mathématiques en 9e année (14-15 ans), mais pas avec celui des élèves placés dans un groupe faible (Hallinan, 2000).

De plus, les élèves des groupes forts auraient une meilleure relation avec leur

enseignant, un meilleur sentiment de bien-être et une attitude plus positive face aux devoirs que les élèves des groupes faibles (Van de gaer et al., 2006). Par ailleurs, les élèves des groupes forts auraient un plus haut niveau de compétence perçue ainsi que des buts de performance plus élevés (Bouffard et al., 2003). D’ailleurs, la compétence perçue serait reliée à l’engagement et à la réussite pour tous les niveaux de groupes (Ibid.). Toutefois, il semble que les élèves des groupes forts soient ceux qui ont le niveau le plus faible de buts de maîtrise et que ces buts de maîtrise soient positivement associés avec leur engagement, mais négativement associés avec leur rendement (Ibid.). De plus, il semble que les élèves qui sont davantage disposés à fournir de plus grands efforts soient plus souvent regroupés dans les groupes forts (Carbonaro, 2005). Les élèves qui exercent plus d’efforts en 10e année (15-16 ans) apprennent davantage et sont plus souvent regroupés dans des groupes forts (Ibid.).

Aussi, malgré des opinions divergentes sur d’autres aspects, il semble se dégager

un consensus dans les études à l’effet que les élèves des groupes forts soient avantagés par rapport aux groupes faibles quant au rendement scolaire et sur plusieurs autres aspects ayant trait à la réussite.

4.2.3 Y a-t-il d’autres répercussions du regroupement homogène sur les élèves?

Selon les études quantitatives recensées, il semble que le regroupement homogène soit un désavantage à bien des égards et ce, particulièrement pour les élèves des groupes faibles. Ces élèves adopteraient des attitudes sociales et scolaires plus négatives, vivraient plus de mécontentement face à l’école et auraient des attitudes plus négatives relativement à leurs attentes et à leurs aspirations scolaires (Kutnick et al., 2005). Par contre, Ansalone et al. (2006) ont évalué un programme qui regroupe les élèves dans des groupes hétérogènes où ils travaillent individuellement, de manière autonome, à leur rythme, sans cours magistraux, mais avec du soutien de l’enseignant. Ils ont observé que les élèves faibles assignés à ces classes adoptaient une meilleure attitude que ceux dans les classes traditionnelles.

D’un autre côté, les effets du regroupement homogène sur l’estime de soi des

élèves semblent encore incertains. Ireson et al. (2001) rapportent une meilleure estime de soi et un meilleur concept de soi scolaire chez les élèves dans les écoles où le regroupement homogène est pratiqué de façon modérée par rapport à celles où il est omniprésent ou absent. Également, l’estime de soi serait meilleure dans les groupes forts que dans les groupes faibles, mais cet effet serait plus grand chez les garçons (Van

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Houtte, 2005). De plus, les garçons qui ont tendance à être assignés à un groupe faible seraient positivement affectés par le regroupement homogène quant à l’estime de soi et à la perception de contrôle (locus of control) (Catsambis et al., 2001). À l’inverse, Van Houtte (2005) ne trouve, en moyenne, pas d’effet du regroupement sur l’estime de soi.

Par contre, le regroupement homogène aurait aussi quelques effets perceptibles à

long terme dans la vie de l’individu. À cause d’un moins bon rendement scolaire, les personnes n’ayant pas vécu le regroupement homogène à l’école bénéficieraient d’un moins bon salaire une fois sur le marché du travail et d’une moins bonne assurance santé (Moller et al., 2003).

En résumé, il semblerait que le regroupement homogène puisse affecter l’attitude,

le comportement, l’estime de soi et le concept de soi des élèves, et que cette pratique de regroupement puisse avoir des répercussions à long terme dans la vie des élèves une fois sur le marché du travail. Toutefois, que ce soit au plan de l’effet du regroupement homogène sur la réussite scolaire ou sur les attitudes et comportements des élèves, il semble en général qu’une assignation bien appliquée des élèves dans les groupes peut diminuer les effets négatifs observés dans les études et accroître les bénéfices observés, particulièrement pour les élèves des groupes faibles.

4.3 Quel type de regroupement répond aux besoins des élèves et quel type d’élèves

en sont satisfaits? Dans la recension des études quantitatives, Kutnick et al. (2005) rapportent que le

lien est bien démontré entre le regroupement homogène et le mécontentement des élèves les plus faibles relativement au rendement, à la polarisation et aux attitudes anti-scolaires. Ces élèves semblent préférer être assignés à des groupes hétérogènes en mathématiques, comparativement aux élèves forts qui préfèrent l’être à des groupes homogènes en mathématiques, en sciences et en anglais (Hallam et Ireson, 2006). D’ailleurs, selon ces mêmes auteurs, les élèves qui obtiennent un meilleur résultat à l’examen national, qui ont vécu beaucoup de regroupement homogène, qui ont un SSE élevé et qui ont un goût élevé pour l’école seraient ceux qui préféreraient le regroupement homogène, tandis que ceux qui auraient une préférence pour le regroupement hétérogène seraient caractérisés par un meilleur concept de soi général et scolaire.

Dans une étude sur la satisfaction des élèves en Grande-Bretagne (n>6000) quant à

leur regroupement actuel, Hallam et Ireson (2007) ont trouvé qu’un plus grand pourcentage d’élèves en groupes homogènes aimerait être dans un groupe plus fort en mathématiques, en anglais et en sciences plutôt que dans un groupe plus faible ou dans un groupe parallèle, sans toutefois désirer être dans le groupe le plus fort. Ce sont les élèves des groupes faibles qui ont le plus exprimé le désir de changer de groupe. Dans les groupes hétérogènes, un plus grand pourcentage d’élèves a exprimé le désir d’être dans un groupe équivalent en anglais et en sciences que d’élèves dans les groupes homogènes. D’ailleurs, ils amènent l’idée que le regroupement actuel serait de loin le plus puissant indicateur pour qu’un élève désire changer de groupe. Les raisons qui ont été les plus souvent évoquées par les élèves quant au désir de changer de groupe sont de faire du

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travail plus difficile, de faire du travail plus facile à un niveau et à un rythme plus appropriés et avec plus de soutien, d’avoir un meilleur statut et d’être avec ses amis.

Dans une autre étude de Hallam et al. (2006) sur la préférence des élèves quant au

regroupement (Grande-Bretagne; n>5000), les raisons évoquées par les élèves qui préfèrent le regroupement homogène sont que ce type de regroupement permet que le travail soit fait au niveau approprié et que le rendement soit considéré. Bien que peu de réponses aient été recueillies quant aux raisons qui justifient la préférence pour le regroupement hétérogène, il est ressorti la coopération et l’entraide, être avec ses amis, encourager les interactions sociales, et l’égalité des opportunités d’apprentissages et pousser les élèves plus faibles à mieux performer. Aussi, des élèves faibles participant à un programme pour lequel ils sont assignés à des groupes hétérogènes, mais où ils travaillent individuellement, de manière autonome, à leur rythme, sans cours magistraux, avec du soutien de l’enseignant, seraient plus satisfaits de ce type de regroupement que des classes traditionnelles (Ansalone et al., 2006).

Quant aux études qualitatives, dans une étude effectuée auprès de 843 élèves en

Grande-Bretagne, Boaler et al. (2000) ont observé que dans les groupes forts, les élèves (surtout les filles) mentionnent qu’ils ne peuvent conjuguer la vitesse des leçons enseignées avec la constante pression de devoir performer. En effet, dans ces groupes, les enseignants donnaient des démonstrations rapides de la matière sans donner davantage de précision et d’explication et réprimandaient même les élèves lorsqu’ils ne comprenaient pas immédiatement. C’est pourquoi la plupart des élèves aimeraient être assignés à un groupe un peu plus faible que celui auquel ils sont assignés actuellement et les élèves des groupes forts apprécieraient moins leur cours de mathématiques que les élèves des groupes hétérogènes. D’ailleurs, dans les groupes hétérogènes, les élèves apprécieraient le fait que l’enseignant soit en mesure de s’adapter au rythme de chacun en respectant les élèves qui ont un rythme plus lent et en donnant des tâches supplémentaires à ceux qui sont plus rapides.

En résumé, les élèves des groupes faibles semblent être les plus insatisfaits du

regroupement homogène et ils sont ceux qui désirent le plus changer de groupe pour être dans un groupe plus fort, mais pas dans le groupe le plus fort. Toutefois, on retrouve aussi un grand nombre d’élèves des groupes forts qui voudraient être dans un groupe moins fort. Les raisons évoquées par ces derniers quant au désir de changer de groupe ont trait à la difficulté et au rythme de travail, à la pression de performer, au soutien, au statut et aux amitiés. D’ailleurs, l’appréciation des groupes homogènes semble plutôt liée à des raisons de rendement, tandis que celle des groupes hétérogènes le serait plutôt à des raisons d’ordre social, d’équité et de stimulation.

5. ORIENTATIONS ET DISCUSSION Les études suggèrent que les élèves des groupes homogènes faibles semblent

recevoir un enseignement de moins bonne qualité. En effet, il semble que le regroupement homogène entraînerait des inégalités au niveau de la répartition des

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ressources, des opportunités d’apprentissage et de la stimulation et que les élèves des groupes faibles seraient plus victimes de préjugés de la part des enseignants (Betts et al., 2000; Kutnick et al., 2005). Ces élèves seraient donc désavantagés par rapport à ceux des groupes homogènes forts.

En effet, les enseignants ne considéreraient pas l’hétérogénéité, présente même

dans les groupes homogènes faibles (Ireson et al., 2005), ce qui les amèneraient à avoir des attentes différentes envers les élèves en raison de leur perception du niveau d’habiletés du groupe (Ireson et al., 2005; Burris et al., 2006). Ainsi, ils verraient le niveau d’habiletés des élèves comme étant fixe et non malléable (Ireson et al., 2005), ce qui aurait pour effet de diminuer les opportunités d’apprentissage par la différenciation des programmes selon le niveau d’habiletés (Ireson et al., 2005; Burris et al., 2006) et donc de diminuer la motivation des élèves (Ireson et al., 2005). Par conséquent, un curriculum accéléré et enrichi pourrait être plus bénéfique pour les élèves ayant des habiletés plus faibles qu’un curriculum plus traditionnel qui ralentit les apprentissages (Burris et al., 2006). D’ailleurs, Hallinan (2000) suggère qu’il est beaucoup plus probable que les enseignants découragent ces élèves en ne leur donnant pas assez de défis plutôt qu’en leur donnant du travail trop difficile.

De plus, les élèves des groupes homogènes faibles seraient plus victimes de rejet

social, se verraient limités dans l’accès aux connaissances et plusieurs n’obtiendraient pas leur diplôme d’études secondaires. Par conséquent, ils auraient moins d’opportunités d’accéder aux études supérieures et aspireraient à un niveau d’études moins élevé (Heck et al., 2004).

Aussi, il semble que les élèves des groupes homogènes faibles décrochent plus en

raison de la présence accrue de facteurs défavorables en lien avec la réussite scolaire (Berends, 1995). Quant à la réussite, certains auteurs ne trouvent pas d’impact significatif du regroupement homogène sur le rendement (Betts et al., 2000; Monseur et al., 2001; Ireson et al., 2005; Vandenberge, 2006). D’autres en trouvent quant à la ségrégation (Vandenberge, 2006), à la favorisation des curriculums et à l’affectation des ressources (Monseur et al., 2001; Heck et al., 2004; Hallam et al., 2005), ce qui limiterait l’accès aux connaissances (Heck et al., 2004) et diminuerait l’opportunité de développer des connaissances généralisables (Hallam et al., 2005). Ainsi, le regroupement homogène pourrait affecter le rendement des élèves à travers des processus éducationnels, interpersonnels et institutionnels (Hallinan et al., 1999) qui favoriseraient les élèves des groupes forts au détriment de ceux des groupes faibles (Hallinan et al., 1999; Ireson et al., 2005). Conséquemment, par ses décisions quant à l’assignation des élèves aux différents groupes homogènes, le personnel de l’école détermine les opportunités qui sont fournies pour l’apprentissage des élèves (Hallinan et al., 1999).

D’ailleurs, à rendement antérieur égal et à un niveau d’effort équivalent, il a été

observé que des élèves assignés ultérieurement dans un groupe plus faible ou équivalent à leur regroupement actuel performent moins (Hallinan, 2000; Ireson et al., 2005; Ireson et al., 2001). Ainsi, assigner un élève à un groupe plus fort, indépendamment de ses capacités, ferait en sorte d’améliorer sa réponse aux défis intellectuels et d’augmenter son

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engagement intellectuel, donc d’augmenter son succès dans ses efforts scolaires et d’augmenter son rendement (Hallinan, 2000). Ceci pourrait même compenser le manque d’habiletés de l’élève à apprendre.

De plus, on a remarqué que la pédagogie utilisée dans les groupes homogènes serait

différente de celle utilisée dans les groupes hétérogènes et que ceci aurait un impact important sur les apprentissages des élèves (Boaler et al., 2000). En effet, les groupes hétérogènes semblent pouvoir contribuer à diminuer la polarisation, à bonifier les attitudes pro-scolaires et pro-sociales (Van de gaer et al., 2006) ainsi qu’à mieux assurer la stimulation et les opportunités d’accéder à des cours avancés (Rothenberg et al., 1998; Burris et al., 2006). Ceci à condition que les ressources nécessaires soient disponibles et qu’un soutien suffisant soit donné aux enseignants pour répondre aux besoins diversifiés des élèves dans ces groupes (Hallam et al., 2005).

La pratique du regroupement hétérogènes semble aussi augmenter la réussite de

tous les élèves, peu importe leurs caractéristiques (Burris et al., 2006). En effet, elle ne porterait pas de préjudice aux élèves forts (Monseur et al., 2001), tout en permettant aux élèves plus faibles ou ayant des besoins particuliers de mieux progresser (Kutnick et al., 2005). Toutefois, le regroupement à l’intérieur de la classe, peu importe le contexte de regroupement, pourrait avoir le plus grand potentiel pour augmenter les standards des élèves en personnalisant l’expérience d’apprentissage.

Outre le rendement, le regroupement homogène aurait aussi d’autres répercussions

sur les élèves. En effet, il semble que le regroupement homogène soit un aspect important du contexte scolaire qui influence le processus de comparaison sociale (Ireson et al., 2001), les attitudes, les comportements et l’estime de soi des élèves (surtout chez les garçons des groupes faibles). D’ailleurs, les élèves des groupes plus faibles auraient moins d’attachement face à l’école. Ils auraient donc des attentes et un engagement moindres envers l’école, plus de problèmes de discipline et s’absenteraient plus (Berends, 1995). Ainsi, le niveau de la classe changerait les attentes et, subséquemment, la nature des interactions qui prennent place au sein de la classe (Hallam et al., 2005). Par conséquent, un degré modéré de regroupement homogène pourrait être bénéfique pour l’estime de soi des élèves, tandis qu’un degré plus élevé de regroupement homogène serait moins avantageux (Ireson et al., 2001). Ceci pourrait avoir un lien avec le degré de mixité sociale vécue par les élèves ou avec les différences dans le climat de compétitivité dans les groupes. Toutefois, le regroupement homogène pourrait avoir un effet positif sur l’emploi obtenu une fois sur le marché du travail (Moller et al., 2003).

En ce qui a trait aux pratiques de regroupement, il semble que certaines

caractéristiques organisationnelles puissent affecter la formule de regroupement homogène adoptée par l’école (Kilgore, 1991). En effet, les croyances des enseignants et des parents vis-à vis l’intégration des élèves pourraient influencer l’assignation aux groupes (Blanksby, 1999). D’ailleurs, bien qu’il semble que ce soit des informations plus objectives (examens, tests) qui soient le plus fréquemment utilisées pour décider de l’assignation des élèves aux groupes, d’autres informations plus subjectives (ex. : sentiments, opinions, intuitions) peuvent aussi être considérées. Aussi, la structure de

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regroupement des élèves affecterait grandement les attentes et les pratiques des enseignants envers les élèves (Hallam et al., 2005). De plus, un manque de possibilité de déplacement combiné à une mauvaise assignation initiale de l’élève au groupe pourrait avoir des conséquences dommageables et cumulatives sur l’éducation d’un élève (Ireson et al., 2002).

Il n’est pas surprenant d’apprendre que les élèves des groupes faibles soient les plus insatisfaits du regroupement homogène et qu’ils désirent le plus changer pour un groupe plus fort (Hallam et al., 2007). Pourtant, un grand nombre d’élèves des groupes forts désirent aussi changer, mais pour un groupe plus faible (Ibid.). Ceci pourrait expliquer que les raisons évoquées quant au désir de changer de groupe semblent majoritairement liées à l’apprentissage plutôt qu’au rendement. Rappelons que les mathématiques sont la matière qui se prête le plus au regroupement homogène (Kutnick et al., 2005; Hallam et al., 2006). C’est aussi celle pour laquelle les élèves sont généralement les plus insatisfaits quant à leur regroupement (Hallam et al., 2006). À l’inverse, la matière qui se prêterait le mieux au regroupement hétérogène, l’anglais (langue maternelle), est celle où l’on retrouve le taux le plus bas d’insatisfaction quant au regroupement.

En lien avec les modèles théoriques, celui de Terwel (2005) semble avoir préséance

dans les résultats. En effet, il semble évident que les élèves ayant des facteurs génétiques limitants (élèves faibles) seraient désavantagés par rapport à ceux dont les facteurs génétiques les favoriseraient (élèves forts) (Ireson et al., 2005; Hallinan et al., 1999). Leur niveau d’habiletés étant vu comme fixe et non malléable (facteurs génétiques) (Ireson et al., 2005), ces élèves se verraient fortement restreints quant aux facteurs culturels, impliqués dans leurs choix et responsabilités individuelles, relatifs à leur éducation scolaire. Cette situation peut être influencée par les croyances et les mythes entourant leur intégration (Blanksby, 1999), la structure et les pratiques de regroupement (Hallam et al., 2005) et la rigidité dans le déplacement des élèves d’un niveau de groupe à l’autre (Ireson et al., 2002; Hallinan, 2004). Ceci provoquerait des inégalités pour ces élèves qui seraient restreints à moins d’opportunités d’apprentissage (Betts et al., 2000; Kutnick et al., 2005; Heck et al., 2004), à moins de ressources (Betts et al., 2000; Kutnick et al., 2005; Heck et al., 2004; Monseur et al., 2001; Hallam et al., 2005), à des curriculums ralentis (Ireson et al., 2005; Burris et al., 2006; Monseur et al., 2001; Heck et al., 2004; Hallam et al., 2005) et à moins d’opportunités d’accéder aux études supérieures (Heck et al., 2004) en plus d’être victimes de ségrégation (Vandenberge, 2006), de préjugés (Betts et al., 2000; Kutnick et al., 2005) et de polarisation (Kutnick et al., 2005). De surcroît, ces élèves fréquenteraient des groupes dans lesquels les élèves montrent moins d’engagement scolaire ainsi que plus de problèmes de discipline et d’absentéisme (Berends, 1995), ce qui aurait un impact sur les attentes et, subséquemment, sur la nature des interactions qui prennent place au sein de la classe (Hallam et al., 2005), leur fournissant ainsi moins de stimulation (facteurs sociaux) (Betts et al., 2000; Kutnick et al., 2005).

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6. CONCLUSION

L’école représente un acteur social important qui a tendance à reproduire la structure sociale de la communauté qu’elle dessert (Heck et al., 2004; Kutnick et al., 2005). Par conséquent, les groupes ségrégués dans la communauté le sont aussi souvent à l’école et se retrouvent plus souvent assignés aux groupes faibles (groupes minoritaires, SSE faible) (Heck et al., 2004). Une distribution inégale des ressources aux élèves amoindrit les efforts pour atteindre une éducation équitable et cet effet statique de la position qu’occupe l’élève va dans le sens contraire de la mobilité sociale et de la liberté de choix. Il repose ainsi sur les dirigeants d’écoles de faire le lien entre les demandes de la société et le changement dans les écoles. Il est donc important de se rappeler que l’offre et l’accès aux cours peuvent être des barrières structurelles significatives pour le succès des élèves à l’école et qu’augmenter les attentes envers les élèves offre une meilleure préparation pour les adultes de demain. Ainsi, il est important que l’éducation véhicule des valeurs qui prônent l’intolérance envers la discrimination, le racisme et le sexisme pour augmenter la justice sociale et pour faire pression afin que des changements surviennent dans la société.

7. RECOMMANDATIONS Les différentes études recensées sur les types de regroupement laissent entrevoir

deux paradigmes. D’un côté, les partisans du regroupement homogène soutiennent que l’enseignement dans ce type de classe s’avère plus facile, que ce type de regroupement permet de mieux répondre aux besoins des élèves qui partagent le même niveau d’habiletés (Hallam et Ireson, 2005) et que le rendement des élèves y est plus grand (Moller, Blau et Stearns, 2003). De l’autre côté, les tenants du regroupement hétérogène mettent de l’avant les effets positifs de cette pratique sur le rendement des élèves (Burris et al., 2006) et recommandent l’abolition du regroupement homogène (Burris et al., 2006) ou du moins, des groupes faibles (Rothenberg et al., 1998).

Nos recommandations sur le sujet sont plus nuancées. Bien que le regroupement

hétérogène ait été identifié par plusieurs auteurs comme étant une pratique prometteuse pour la réussite de tous les élèves et ce, quelles que soient leurs caractéristiques (Burris et al., 2006; Monseur et al., 2001; Kutnick et al., 2005), il apparaît que cette forme de regroupement demande beaucoup plus de ressources pour son application. Par ailleurs, il semble que ce ne soit pas le regroupement homogène à lui seul qui porte préjudice à l’élève, mais plutôt les pratiques qui l’entourent. Il nous semble également pertinent de mentionner qu’à l’intérieur même des groupes homogènes une certaine hétérogénéité subsiste.

C’est pourquoi nos recommandations se centrent davantage sur un changement des

pratiques au sein de l’école :

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1. Soutenir l’élève dans l’accomplissement de son potentiel (Hallam et al., 2006) Il importe de soutenir chaque élève dans l’accomplissement de son potentiel et de

considérer ce qu’il peut atteindre, pas seulement au plan académique (Hallam et al., 2006). Plusieurs auteurs ont mis en relief l’importance de maintenir des attentes élevées envers les élèves, qu’ils éprouvent des difficultés scolaires ou non. Certaines pratiques observées dans les groupes homogènes faibles telles que l’attribution de leçons trop faciles ou l’obligation d’attendre la fin du cours sans tâche supplémentaire à effectuer lorsque les exercices sont terminés à l’avance ne permettent pas aux élèves de mettre à profit leur potentiel et de repousser leurs limites. Par exemple, Boaler, William et Brown (2000) ont montré que ces élèves avaient conscience que leurs opportunités d’apprentissage étaient amoindries et que leurs enseignants ne leur fournissaient pas les chances de se développer. 2. Fournir des opportunités d’apprentissage et une stimulation équitables et avoir

des attentes élevées pour tous les élèves Il faut s’assurer de l’égalité au plan de la répartition des ressources, des

opportunités d’apprentissage et de la stimulation pour les élèves des groupes faibles (Betts et al., 2000; Kutnick et al., 2005). Aussi, il faut réaliser que le niveau d’habiletés des élèves n’est pas fixe et est malléable (Ireson et al., 2005), ce qui amènerait les enseignants à avoir des attentes plus élevées et de meilleurs pratiques pédagogiques envers les élèves (Hallam et al., 2005). Ceci aurait un impact positif sur la motivation des élèves (Ireson et al., 2005) et leur rendement scolaire. Il faut donc garder en tête qu’il est beaucoup plus probable que les enseignants découragent les élèves en ne leur donnant pas assez de défis plutôt qu’en leur donnant du travail trop difficile (Hallinan, 2000). Ainsi, il est donc important de fournir des opportunités d’apprentissage équitables pour tous les élèves (Hallam et al., 2005, 2006; Ireson et al., 2005) afin d’éviter de désavantager les élèves faibles (Van Houtte, 2005; Slavin, 1993) et de mettre une trop grande pression sur les élèves forts (Boaler et al., 2000). Il faut se souvenir que les élèves répondent à la mesure de ce qu’on attend d’eux. Ainsi, leur motivation quant à leur rendement est proportionnelle aux attentes de leurs enseignants et de leurs parents (Ellison et al., 2004). D’ailleurs, des attentes plus élevées de l’enseignant auraient pour effet d’augmenter la réussite scolaire même chez les élèves faibles en agissant comme stimulant auprès d’eux (Ansalone, 2003).

Par exemple, un curriculum accéléré et enrichi est plus bénéfique pour les élèves des groupes homogènes faibles qu’un curriculum plus traditionnel qui ralentit les apprentissages (Buris et al., 2006). En effet, avoir des attentes plus élevées de la part de l’enseignant aura pour effet d’améliorer le rendement et la réussite scolaire chez les élèves des groupes homogènes faibles. Au contraire, avoir des attentes faibles provoquera un ancrage chez ces élèves par rapport à leur croyance quant à leur capacité de réussir, les laissant ainsi stagner dans la croyance que la réussite scolaire ne leur est pas accessible (Ansalone, 2003).

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3. Sensibiliser le personnel aux conséquences de ses actions et de ses décisions sur les élèves (Hallam et al., 2006) De manière à promouvoir une philosophie de soutien, le personnel doit être

sensible à l’impact de ses pratiques sur les élèves. Ainsi, il est important que les enseignants portent une attention constante aux messages qu’ils véhiculent auprès de leurs élèves, car, à travers leurs interactions quotidiennes, ils les informent des comportements et des attitudes qui sont valorisés au sein de leur classe (Hallam et al., 2006).

Par ailleurs, il est important que l’école anticipe les effets de ses pratiques de regroupement sur les élèves et ne tolère pas le déplacement d’un élève dans un groupe plus faible pour des raisons reliées à son comportement (Ireson et al., 2005). 4. Trouver des moyens justes et équitables d’assigner les élèves dans les groupes

Il serait important de trouver des moyens justes et équitables d’assigner les élèves aux groupes et de se questionner sur nos mythes et croyances quant à l’assignation des élèves aux groupes (Rothenberg et al., 1998) et au poids à donner aux facteurs comportementaux et motivationnels dans ces décisions (Ireson et al., 2002). 5. Favoriser des politiques de regroupement flexibles

Les politiques de regroupement flexibles qui ne condamnent pas les élèves à rester au même niveau, mais qui leur permettent de se déplacer d’un niveau de groupe à l’autre, selon leurs besoins et au fur et à mesure de leur cheminement scolaire, seraient à privilégier (Kutnick et al., 2005; Ireson et al., 2002, 2005) et ce, à plus d’une ou deux occasions durant la même année scolaire (Ireson et al., 2002). De plus, en repensant l’organisation des classes, l’option ne devrait pas seulement être le regroupement homogène ou non, mais plutôt ce qui apporterait le plus de bénéfices aux élèves : le regroupement à certaines conditions, le regroupement pour seulement certaines matières ou encore la combinaison de certains aspects des classes hétérogènes et des classes homogènes (Catsambis et al., 2001). 6. Offrir du soutien à l’enseignant (Rothenberg et al., 1998)

Le soutien offert aux enseignants est également un élément très important à considérer (Rothenberg et al., 1998). Pour qu’ils puissent répondre aux besoins diversifiés des élèves et se rapprocher de la pédagogie observée dans les regroupements hétérogènes, les ressources nécessaires doivent être à la disposition des enseignants (Hallam et al., 2005).

Aussi, un des aspects positifs du regroupement hétérogène lorsque l’enseignant est bien soutenu est qu’il permet un enseignement plus adapté selon les besoins des élèves (Hallam et Ireson, 2005). Il importe donc d’envisager dans quelle mesure les enseignants peuvent diversifier leurs méthodes pédagogiques dans le contexte scolaire actuel, pour s’adapter aux besoins des différents types d’élèves, et dans quelle mesure l’école offre du soutien à l’enseignant à cet égard.

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ANNEXE 1

Le regroupement par intérêts pratiqué par l’École secondaire d’Anjou

(provenant d’une entrevue téléphonique conduite par Mélanie Filiault auprès du directeur

de l’école)

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LE REGROUPEMENT PAR INTÉRÊTS PRATIQUÉ PAR L’ÉCOLE SECONDAIRE D’ANJOU

De manière à contrer la baisse du taux de fréquentation des élèves dans son

établissement, l’École secondaire d’Anjou, située sur l’île de Montréal dans le territoire de la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île, a décidé de miser sur les intérêts des élèves de manière à créer des profils à leur mesure. Lors de cette décision, prise en 1998, deux profils existaient déjà : le profil musique et le profil arts. C’est à partir d’une enquête auprès des élèves du primaire d’Anjou pour connaître leurs intérêts que le profil sciences est venu s’ajouter comme troisième profil. Depuis ce temps, un profil informatique et un profil sport se sont ajoutés. Ainsi, cinq profils sont maintenant offerts aux élèves de l’école.

De manière à gérer cette nouvelle pratique de regroupement des élèves, il a été

décidé de décloisonner les horaires des élèves. Ainsi, une période d’une matière principale (français, mathématique ou anglais) par cycle de neuf jours est utilisée pour ajouter des cours du profil choisi par l’élève. Aussi, la notion de libre choix pour l’élève quant à son profil est très importante pour l’école. Ainsi, aucun regroupement par habiletés n’est présent au sein de cette école et il n’y a aucune limite quant au nombre d’élèves qui peuvent intégrer chacun des profils. C’est l’école qui s’ajuste à la demande des élèves. Par exemple, pour l’année 2008-2009, un groupe de 42 élèves a été formé pour le profil musique. Une entente a donc été prise avec l’enseignant quant à sa rémunération en lien avec le surnombre d’élèves dans son groupe.

Les ressources de l’école ne sont pas une contrainte pour répondre aux intérêts des

élèves. L’objectif est de s’assurer que le profil réponde aux intérêts de l’élève et que l’élève corresponde aux intérêts du profil. Pour s’en assurer, des mesures sont prises pour voir à ce que l’élève choisisse le profil qui correspond le mieux à ses intérêts. Par exemple, les enseignants sont formés pour dépister le profil qui conviendrait le mieux à l’élève et à le conseiller en ce sens. De plus, on rencontre régulièrement des parents qui font pression sur leur enfant pour qu’il choisisse un profil en particulier, surtout pour les sciences. Pour éviter qu’un élève soit assigné à un profil qui ne correspond pas véritablement à ses intérêts mais plutôt à l’intérêt de ses parents, un élève qui désire choisir le profil sciences doit obtenir une lettre de référence de son enseignant, à la suite de quoi une discussion aura lieu entre l’école et les parents pour s’assurer du véritable intérêt de l’élève pour ces matières.

Il importe ici de préciser que le profil choisi n’empêche pas l’élève de pouvoir se

préparer à faire son entrée au Cégep avec une autre concentration que celle qu’il a choisie au secondaire. Par exemple, un élève du profil musique peut prendre les cours de sciences nécessaires afin de pouvoir faire son entrée au Cégep en concentration sciences pures.

De plus, l’école a prévu une flexibilité pour permettre à l’élève de pouvoir changer

de profil au cours de son parcours secondaire. Ainsi, l’élève a la possibilité de changer de profil à la fin de chaque cycle, soit à la fin du secondaire 2 puis à la fin du secondaire 3, 4 et 5. En secondaire 1 et 2, les groupes sont homogènes par profil, c’est-à-dire que l’élève

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suit toujours le même groupe dans chaque matière. Toutefois, pour le secondaire 3 à 5, les groupes sont éclatés de manière à répondre à l’exigence du ministère de permettre à l’élève d’avoir des cours dans différents niveaux et d’avoir des cours à option. Ainsi, ces groupes sont hétérogènes et composés au hasard par le système informatique.

Depuis l’instauration de cette pratique de regroupement des élèves par habiletés,

monsieur Cacchione, directeur de l’école, remarque une augmentation de la réussite des élèves et une fréquentation accrue d’élèves provenant d’autres commissions scolaires, soit environ 300 cette année.