Rapport_Aribaud Et Vignon

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  • Jean Aribaud / Jrme Vignon RAPPORT MONSIEUR LE MINISTRE DE LINTRIEUR SUR LA SITUATION DES MIGRANTS DANS LE CALAISIS < Le pas daprs >

    Avec lappui de Xavier Doublet (rapporteur de la mission) et Patrick Lunet de lInspection gnrale de ladministration (IGA) JUIN 2015

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    Introduction La situation dramatique des migrants, qui traversent aujourdhui la Mditerrane pour tenter de trouver refuge en Europe, les images renouveles longueur dcran de ces embarcations surcharges et de ces visages encore marqus par langoisse, la rvlation des souffrances endures au cours de priples souvent terrifiants polarisent lattention des mdias et suscitent juste titre notre motion. Pour ceux qui vivent Calais, migrants, associations, pouvoirs publics ou simples citoyens, cette situation nest pas nouvelle. Elle prend, certes, depuis deux ans, une ampleur exceptionnelle. Mais depuis dix annes au moins, en particulier depuis la fermeture, en 2002, du camp de Sangatte, associations et autorits sont la peine. Les associations spuisent dispenser des secours indispensables et ncessairement insuffisants ; les pouvoirs publics nassurent, quant eux, que trs difficilement leur mission dordre public. Ce sentiment dun malheur constamment renouvel a conduit les associations, puis lEtat au plus haut niveau, prendre le temps dune rflexion conjointe : pouvons-nous mieux comprendre les causes du drame calaisien ? Comment pouvons-nous gagner en humanit sans alimenter les dsquilibres ? De ces questionnements est ne lide dune mission confie par le ministre de lIntrieur deux personnes censes reprsenter les sensibilits respectives de lEtat et de la socit civile. II nous a sembl lun et lautre impossible desquiver cette mission sans prcdent. LEtat commanditaire et les associations initiatrices ont accept, en la soutenant, de prendre des risques : celui, pour lEtat, de souvrir des opinions et des conceptions qui bousculent son approche classique - et nous remercions Bernard Cazeneuve davoir pris ce risque ; celui, pour les associations, de scarter dune simple posture de plaidoyer - et nous savons gr Mdecins du Monde comme au Secours catholique davoir pris cette distance. Nous tions tenus de rechercher le consensus le plus large quant aux solutions que nous pouvions prconiser. Il nest pas sr que nous y soyons parvenus. Au moins avons-nous pu bnficier, au travers du comit de pilotage de notre mission, install Calais, dune coute et dun dialogue rares, au point que nous recommandons que soit prennise cette instance sous la prsidence de la prfte du Pas-de-Calais. Que soient ici remercis tous ceux que nous avons pu rencontrer Calais, mais aussi en Sicile, Malte, Rome, Londres, Folkestone ou Bruxelles. Aucun de leurs tmoignages ne nous a laisss indiffrents, tant il est vrai que nul ne sort indemne dune confrontation avec la question des migrants et de lasile.

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    Nous remercions les fonctionnaires de la Direction gnrale des trangers en France, qui ont facilit de bout en bout notre tche, ainsi que les membres du corps prfectoral du Pas-de-Calais (Denis Robin, Fabienne Bruccio, Denis Gaudin) et le secrtaire gnral de la sous-prfecture de Calais, Jean-Marc Roeschert qui nous ont consacr un temps prcieux. Nous remercions aussi Juliette Delaplace, tudiante en master lInstitut dtudes politiques de Paris pour sa contribution. Nos remerciements vont particulirement aux deux membres de lInspection gnrale de ladministration (IGA) placs auprs de nous, Xavier Doublet (rapporteur de la mission) et Patrick Lunet, qui se sont engags avec cur et intelligence dans cette tche. Nous assumons pleinement ce rapport qui, lorsquil annonce sur un ton quelque peu solennel que la mission pense ou que la mission est convaincue , reflte le fruit de discussions entre nous quatre, non sans quelque vigueur parfois, mais toujours dans un souci de vrit. Ce rapport, que nous avons voulu objectif et quilibr, nest pas un rapport du monde associatif. Il nest pas non plus un rapport de lIGA et encore moins du ministre de lIntrieur. Prenant acte de tout ce qui a dj t entrepris Calais au cours de ces derniers mois, il se prsente comme le pas daprs dans une voie indite vers une rponse, humaine et digne, la situation des migrants du Calaisis et des Calaisiens. Lavenir immdiat, au seuil de lt, reste fragile alors que les conflits qui alimentent le flux des rfugis sont toujours aussi vifs. Il mobilisera la vigilance et le courage des acteurs pour faire face des situations toujours changeantes. Nous esprons que les propositions de ce rapport leur seront utiles dans la recherche de rponses justes, efficaces et prennes. Nous esprons aussi quelles pourront nourrir un dbat apais dans lopinion publique.

    Jean ARIBAUD Jrme VIGNON

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    Synthse Calais : scne de lEurope et du monde Mris depuis plusieurs mois entre lEtat et les associations, les termes de la mission invitaient : Analyser les phnomnes migratoires sur le Calaisis et leur volution, en accordant une importance particulire lapprofondissement des parcours et des motivations des populations migrantes ; valuer les rponses mises en place au fil des annes par les autorits dans le Calaisis, notamment la gestion de limmigration irrgulire, la prise en charge sanitaire et sociale des migrants et les possibilits offertes en matire dasile ; Proposer, la lumire des expriences passes et des problmatiques nationales et europennes, des solutions ralistes sur les plans budgtaire, juridique et europen.

    Le plan du rapport est calqu sur cette dmarche, qui sert aussi de trame la synthse. Analyser : Mieux connatre ces hommes, ces femmes, ces enfants qui transitent Calais Ils sont principalement Soudanais, Erythrens, Afghans. Mais ils arrivent aussi de Syrie, du Sngal, de Centre-Afrique, du Niger, du Mali, du Sri Lanka ou encore dAlbanie. Ils refltent en grande part ce que le Haut commissariat aux rfugis des Nations Unies (HCR), dans son dernier rapport sur les flux mondiaux de rfugis, nomme le prix de la guerre . Cest ainsi qu Calais se joue la scne du monde et que se laisse entendre lcho de conflits, de violences et de misres auxquels il est impossible de rester indiffrent. Calais se joue tout aussi bien la scne de lEurope. Depuis trois quatre ans, le flux migratoire qui arrive Calais vit au rythme dun flux secondaire europen, bien repr dsormais sur les cartes de Frontex et dInterpol. Ce dernier est engendr par larrive en Italie de vagues migratoires transmditerranennes, qui se dploient ensuite principalement vers le Nord de lEurope. Une proportion constante de ce flux transite par la France afin de rejoindre le Nord-Ouest europen, cest--dire les les britanniques. Vers lEurope se dirige ainsi un flux croissant de migrants venus dAfrique et dAsie, qui se traduit depuis quatre ans par un accroissement annuel moyen des demandes dasile de lordre de 20%. Les Europens ont commenc admettre son existence lors du Conseil europen spcial qui sest tenu en mai dernier, mme sils nen ont pas tir toutes les consquences. Les avis divergent sur les manires de faire face collectivement ce dfi. Mais le diagnostic, confirm par Frontex comme par le Bureau europen de soutien lasile (European asylum support office - EASO), ne laisse gure de doutes. La persistance de graves conflits au Proche-Orient et dans la Corne de lAfrique, linstabilit afghane, la surpopulation des camps de rfugis ayant servi de tampon au Liban, en Turquie ou en Jordanie, laissent prsager le maintien un niveau lev des flux de populations relevant dune protection internationale. Les ordres de grandeur trs levs atteints en 2014 (plus de 600 000 demandes dasile reues par les pays de lUnion europenne (UE) doivent servir de rfrence pour quelques annes encore. Leffort assum par lItalie lan dernier pour sauver des vies humaines et accueillir dans ses ports les migrants a t relay compter de lautomne 2014 par une opration europenne dont

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    la France a activement soutenu le lancement. Cet effort ne peut et ne pourra suffire endiguer des arrives par voie maritime, qui se sont leves plus de 170 000 lan pass, excdant les capacits denregistrement et de contrle effectif de la frontire. Ainsi, la corrlation entre ces arrives dans les ports de Sicile et les variations du nombre de migrants recenss chaque mois par la PAF dans le Calaisis est flagrante. LItalie demande aujourdhui la solidarit en acte des Europens pour faire face. Nous sommes Calais, Franais et Britanniques, solidaires de fait des Italiens. Mais qui sont prcisment ces migrants qui parviennent Calais aprs un priple que certaines tudes valuent prs de dix-huit mois ? Ce sont, pour la plupart, de jeunes hommes gs de 20 35 ans, souvent pourvus de diplmes ou exerant des professions dentrepreneurs et de commerants. Certains dentre eux sont aussi des agriculteurs pauvres chasss de leurs terres, qui connaissent les parcours les plus longs et les plus prilleux ; ils prennent aussi plus de risques pour accder aux camions qui se dirigent vers le Royaume-Uni. Cependant tous sont, peu ou prou, porteurs dun projet entre ici et l-bas : ici, o ils esprent trouver du travail - espoir qui explique en partie lattractivit britannique - et l-bas, o ils ont laiss une famille dont ils veulent assurer la survie. Le rapport sinterroge longuement sur deux aspects de la motivation des migrants : Dune part, sur la force et la nature de la dtermination qui a conduit ces migrants Calais. Selon plusieurs tudes, notamment britanniques, il semble que le projet de se rendre au Royaume-Uni, nait t que rarement conu au dpart. Ce sont des circonstances chaotiques, notamment lobligation de multiplier les tapes , proches du pays dorigine, ou les opportunits offertes par les passeurs Milan et Turin, voire Paris, qui leur font choisir lOuest plutt que le Nord. Dautre part, sur les raisons de lattractivit britannique. Bien que trs rode par la politique mene depuis plusieurs annes de restriction daccs lasile sur le sol britannique, cette attractivit reste forte pour des raisons conjoncturelles, structurelles, historiques ou culturelles : un march du travail dynamique se conjugue des dispositions qui permettent plus facilement de sinstaller temporairement en Grande-Bretagne sans pour autant tre titulaire dune autorisation de sjour. La prise en compte des consquences dstabilisantes des parcours et de lerrance sur le libre-arbitre des migrants parvenus Calais conduit penser que leurs dcisions sont rversibles et que des alternatives crdibles au passage au Royaume-Uni conservent tout leur sens. La prise en considration par les migrants de ces alternatives implique quils puissent bnficier de conditions physiques et psychiques favorables qui, dans le contexte actuel, nexistent pas toujours.

    valuer : lengagement des acteurs Calais a t constant mais grev de handicaps En valuant les actions dj mises en uvre Calais depuis plus dune dcennie, le rapport souligne la complexit et, parfois, le caractre contradictoire des objectifs poursuivis, principalement par lEtat, responsable au premier chef de la garantie, toute personne, des protections vitales lmentaires, et des restrictions au franchissement illgal. Il souligne combien le contexte juridique international propre Calais peut aviver ces contradictions, particulirement en matire dasile : la combinaison des accords de Schengen (scurit des

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    frontires), du Touquet (coordination franco-britannique des contrles sur le sol franais) et de Dublin (dtermination du pays responsable de linstruction des demandes dasile) aboutit une situation sans doute unique dans lUE qui attribue la France la charge des demandes dasile formules en territoire franais la frontire du Royaume-Uni, y compris celles qui sadressent ce pays . Cette complexit et ces contradictions doivent tre prises en compte pralablement tout jugement sur les actions entreprises. Le premier champ daction concerne la garantie des droits fondamentaux et la satisfaction des besoins vitaux des migrants, dues par la France toute personne prsente sur son territoire. Le rapport se penche, cet gard, sur lexprience singulire du camp de Sangatte, par lequel ont transit prs de soixante-trois mille personnes, entre 1999 et 2002. Loin davoir t lchec gnralement voqu, cette exprience humanitaire a vu la Croix-Rouge assurer la satisfaction des besoins vitaux des migrants pendant une longue priode. Suite une concentration excessive, gnratrice de dsordres multiples, ce camp a t ferm avec lassentiment de ses initiateurs et gestionnaires. Le rapport en tire deux enseignements. Dans un contexte daccroissement du flux migratoire, la garantie des besoins vitaux ne doit pas se contenter daccompagner ce flux au risque de lamplifier. Elle doit tre soumise une rgulation de celui-ci. Cette rgulation ne peut tre confie, comme ce fut le cas Sangatte, aux seules autorits locales ; les autorits nationales doivent piloter et appuyer leurs efforts tout en dveloppant leur prise en compte au niveau europen. Lexemple de Sangatte invite donc approfondir la question sensible de lappel dair . Cette notion recouvre leffet dattractivit additionnelle (effet pull), indpendant de la pousse migratoire globale (effet push), que pourrait crer sur Calais un dispositif humanitaire trop gnreux, consistant en une mise labri ft-elle prcaire. La crainte de lappel dair est sans doute ce qui a retenu les pouvoirs publics, aprs 2003 et jusquen 2014, de sengager nouveau directement dans laction humanitaire confie essentiellement aux associations et aux pouvoirs locaux. Cette rpartition des tches a cd la place un nouvel engagement de lEtat conduisant linstauration du centre Jules-Ferry, qui change heureusement la donne. Demeure la question de lappel dair qui oppose toujours lEtat et les associations. Puisquelle conditionne aussi les propositions de ce rapport, celui-ci prend ce sujet une position claire. Nier que Sangatte nait pas eu un effet dappel dair nest pas raisonnable. Mais tre ttanis par cette exprience qui na pas t que malheureuse, au point de renoncer chercher une ou des solutions pour une question aussi sensible que la mise labri nest pas plus recevable. La mission partage la conviction que laccs un toit, mme trs sommaire, est un point fondamental. Elle propose que la rponse ce besoin sensible soit, non un pralable comme lexigent les associations, mais un objectif au terme dun processus matris. Aujourdhui, les conditions nen sont pas runies. Le second champ daction des pouvoirs publics porte sur les instruments de rgulation des flux migratoires la disposition des acteurs locaux. Il recouvre laction des forces de lordre et la politique pnale mene pour assurer la scurit de la population calaisienne comme celle des migrants confronts aux agissements des passeurs et des filires. Trois domaines distincts sont abords par le rapport : lapplication des contrles coordonns sur le port de Calais et lentre du lien fixe transmanche ainsi que les actions conduites dans ce

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    contexte lencontre des migrants qui tentent de passer ; les recherches et les poursuites menes pour rprimer les passeurs et les filires ; les conditions dans lesquelles les migrants commettent des infractions ou en sont victimes. Lensemble de ces tches est considrable, mobilise un large ventail de forces de police ainsi que les ressources de linstitution judiciaire Boulogne et Douai. Le rapport a attach une grande importance ce champ daction, dans la mesure o se joue ici non seulement la rgulation des flux, mais aussi une grande partie du climat de confiance et de justice requis tant par la population calaisienne que par les associations. Il constate de faon gnrale une insuffisance de moyens en dpit des renforts importants allous par le ministre de lintrieur. Tout se passe comme si, par le pass, la pleine mesure des consquences de la prsence permanente dune population migrante de lordre de 2000 personnes en moyenne navait pas t prise. Cela concerne linstitution judiciaire, lorsque le parquet de Boulogne convoque pour un rappel la loi des contrevenants qui auront vraisemblablement quitt Calais entretemps. Cela concerne des domaines aussi varis que linterprtariat ou laccueil post-opratoire. Le rapport insiste particulirement sur quatre dimensions de laction publique : La mise en uvre des contrles juxtaposs de sret et de scurit lentre du port de Calais comme sur le site de Coquelles. Largement dlgue aux autorits concessionnaires sur la base dun cahier des charges, elle mobilise des ressources humaines trs importantes mais son efficacit restera toujours limite par la complexit et les enjeux contradictoires de ces missions. Ltanchit absolue des deux passages est donc difficile raliser puisque, au cours de l t 2014, le rythme journalier des passages irrguliers vers le Royaume-Uni peut tre estime une trentaine par jour. Laction des forces de scurit implique que des personnes interpelles dans des camions la suite dun contrle, en descendent. Cette opration se passe le plus souvent sans heurt, mais pas toujours, notamment lors de passages en force de migrants dpourvus de toute ressource. La question des violences policires nest pas lude par le rapport qui met galement en exergue la complexit de lintervention des forces de lordre dans le contexte migratoire actuel. Calais comme dans le reste de la France, les politiques dloignement sont difficiles mettre en uvre et donc, peu oprantes. Cette lacune touche cependant plus gravement le Calaisis dont les migrants appartiennent en majorit des pays vers lesquels un loignement nest pas possible et qui nont, ds lors, dautre issue que de vouloir passer au Royaume-Uni. Enfin, la rgion de Calais souffre dune insuffisance dambition de la politique pnale concernant la dtection et la poursuite des rseaux et filires. Ces dernires exercent une influence considrable sur la vie quotidienne des migrants et tentent souvent avec succs de priver les personnes les plus vulnrables, notamment les mineurs isols, des protections qui leur sont destines. La traque des filires , enjeu dsormais majeur de la politique europenne, na dans le Calaisis, ni les moyens denqute , ni les connections internationales ncessaires, notamment avec le Royaume-Uni et lItalie, pour lutter avec lefficacit souhaite contre les filires transnationales oprant Calais. .

    La complexit et le caractre contradictoire des enjeux du contrle au port de Calais comme sur le site de Coquelles rendent illusoire la perspective dune tanchit totale de la frontire. Les violences policires ne sont pas admissibles, mais la premire source de violence faite aux migrants vient de labsence de police dans les situations de non

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    droit imposes par les filires. Les moyens de la PAF comme ceux de linstance judiciaire ne permettent pas aujourdhui, malgr les efforts raliss, de contrer suffisamment les agissements des filires transnationales. Les lacunes nationales du dispositif de retour pour les migrants qui ne relvent pas dune protection internationale comme celles des procdures de radmission dans un autre pays europen psent particulirement sur le Calaisis en permettant la multiplication des tentatives de passage.

    Dernier champ de laction publique, laccs au processus de demande de lasile a connu au cours des derniers mois un essor majeur. lt 2014, constatant quun grand nombre de migrants relve dune protection internationale, le Gouvernement, a dcid de faire de loffre dasile une priorit, ouvrant ainsi une issue lgale. Laccroissement notable de lactivit daccueil de la sous-prfecture, de lOFII et de lOFPRA sest traduit par une augmentation trs sensible des primo demandeurs accueillis, des autorisations provisoires de sjour dlivres, des dhbergements proposs et des protections accordes par lOFPRA.

    Les succs de laction mene par lEtat pour dvelopper laccs effectif la demande dasile depuis octobre 2014 confirment quil est possible dinflchir les projets des migrants. Cette action se heurte toutefois aux rticences de la majorit dentre eux suscites par leur crainte dun retour obligatoire en Italie.

    Proposer un plan daction dynamique et europen Les propositions de la mission dcoulent en grande partie de ces observations et de ces analyses. Elles visent un nouvel quilibre en vue dassurer la matrise des flux migratoires Calais intgrant leurs composantes europenne et mondiale. Il sagit, dabord, de faire de lasile une alternative encore plus crdible quaujourdhui. Cela ncessite un meilleur partage des responsabilits et une plus grande solidarit entre les pays responsables de linstruction au sein de lUE. Il va de soi que les propositions denvergure europenne du rapport sont subordonnes au cadre gnral des ngociations internationales ou bilatrales dans lesquelles notre pays est actuellement engag. Ce nouvel quilibre a aussi une composante nationale gnrant des droits et devoirs pour les migrants : un accs vritable la protection implique en retour la reconnaissance des lois et des accords europens en vigueur dans notre pays. Pour quun tel quilibre se mette en place, le rapport formule dabord un ensemble de quatre propositions pralables, dont lobjet est de crer un climat de confiance mutuelle entre les acteurs calaisiens, mais aussi avec les partenaires europens les plus directement concerns, cest dire lItalie et le Royaume-Uni. Changer dapproche dans les relations France / Italie Il sagit dabord, en sappuyant sur le contexte global durgence invoqu par la Commission europenne en vertu de larticle 78 du TFUE, dengager avec lItalie une nouvelle approche base, dune part, sur la solidarit et, dautre part, la rigueur. Anticipant lesprit dun accord

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    europen de relocalisation visant partager le fardeau de lItalie, la France dcide de prendre sa charge, au titre de la clause discrtionnaire du rglement de Dublin, une partie des demandeurs calaisiens susceptibles dtre radmis en Italie. En contrepartie, elle attend de lItalie quelle facilite dans la mme proportion le retour dune autre partie dentre eux. Les efforts italiens engags en termes daccueil, denregistrement et de prise dempreintes seraient ainsi encourags. Une coopration entre les cellules Dublin des deux pays jouerait un rle positif afin que profils et les opportunits des migrants concerns soient valoriss (Proposition 1). Changer dapproche dans la relation France / Royaume -Uni Dans le mme esprit, la France doit faire valoir auprs du Royaume-Uni les efforts quelle accomplit pour offrir des alternatives au passage et rduire lattractivit de Calais. Constatant la transformation radicale des circonstances dans lesquelles fut sign, en 2003, laccord du Touquet, les deux pays conviennent de cooprer non seulement pour la scurisation du passage de la Manche, mais aussi pour un partage des responsabilits dans linstruction des demandes dasile (Proposition 2). Conforter le centre Jules Ferry et ses abords dans leur vocation de premier accueil Lamlioration globale du centre Jules Ferry et de ses abords, lieu de premier accueil , doit tre poursuivie, notamment par lachvement des travaux damnagement initialement prvus, afin de faciliter la coexistence des diffrentes ethnies ou nationalits. Cette mise niveau doit prvoir des capacits compatibles avec les variations saisonnires du flux secondaire. Le centre lui-mme doit pouvoir bnficier du concours de cinq dix mdiateurs culturels indispensables la communication avec les groupes nationaux. Le rapport prconise que lamlioration progressive de la satisfaction des besoins vitaux dans ce lieu se donne terme lobjectif dun abri, le plus large possible, ft-il sommaire, sous la rserve imprative que soit aussi ralise la matrise des flux (Proposition 3). Promouvoir linterprtation et la mdiation culturelle Linstauration dun climat de confiance avec les migrants au centre Jules Ferry comme dans tous les lieux de rencontre avec des reprsentants de lEtat dpend de la qualit de linterprtariat. Mais plus largement, les relations des migrants avec lensemble des personnes qui les accompagnent ou les orientent ncessite une vritable mdiation culturelle . Les propositions de la mission ont pour objet de mutualiser, au bnfice de lensemble des services de ltat1, les ressources coteuses dune interprtation de qualit et de promouvoir, sur lexemple italien, une fonction de mdiation linguistico-culturelle (proposition 4). Instaurer une nouvelle gouvernance Calais Les conditions gnrales et le contexte migratoire du Calaisis sont et resteront volutifs. Il conviendrait donc que le prfet - actuellement la prfte - du Pas-de-Calais, responsable de lensemble des dispositifs locaux daccueil, dasile et de scurit, puisse sentourer, limage de lactuel comit de pilotage de la mission, dune nouvelle gouvernance quil (elle) a naturellement vocation prsider. Le conseil des migrants, dj institu lchelle de la municipalit par la maire de Calais, conserve dans cette perspective toute son utilit. Pour appuyer sa mission de pilotage et de communication, exerce par dlgation du ministre de lIntrieur, la prfte disposera dun tableau de bord permettant un suivi et, si possible, une anticipation de la 1 Note du rapporteur : Les membres de lIGA placs en appui auprs de Jean Aribaud et Jrme Vignon ne sassocient pas cette proposition en raison de son caractre trop tendu et de son cot budgtaire.

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    situation (proposition 5). Le rapport prconise galement de demander au HCR non seulement de demeurer au sein de la nouvelle instance de gouvernance, mais aussi dexercer une mission rgulire dcoute et denqute sur la motivation et de la situation des migrants dans le Calais. (Proposition 6). Les propositions suivantes tablissent un nouvel quilibre de droits et de devoirs prvoyant un accs effectif lasile en France, au Royaume-Uni et, ventuellement, dans dautres pays de lUE (proposition 16) mais aussi une application plus rigoureuse du principe dloignement (vers un pays dorigine ou un autre pays daccueil) ou de radmission, le cas chant, vers le pays de premire entre dans lUE. Crer dans le Pas-de-Calais un centre de mise labri (CMA) Llment clef de ces propositions rside dans la cration, une centaine de kilomtres de Calais, dun centre de mise labri dune capacit denviron 200 personnes. Sa finalit premire sera de crer les conditions psychiques et physiques ainsi quun vritable rpit permettant aux migrants qui auront manifest le dsir de considrer la possibilit dune demande dasile, de mrir ce projet au contact de mdiateurs culturels et labri des pressions en tous genres. Gr avec souplesse par lEtat en fonction de la situation, il pourra aussi accueillir transitoirement des demandeurs dasile agres par lOFPRA ainsi que des dublinables en provenance dItalie (Proposition 7). Amliorer la situation des personnes vulnrables Les personnes vulnrables, plus spcifiquement les malades et les mineurs isols (jeunes gs de moins de 18 ans non accompagns de parents) sont parmi les migrants les moins mme de prendre une dcision personnelle, objective et claire. Prenant en compte lexprience de Mdecins du Monde, de France Terre dasile et du Conseil dpartemental du Pas-de-Calais, le rapport fait en ce domaine des recommandations en vue de faciliter la tche des services de sant de Calais tout en tenant compte des besoins propres la population calaisienne (proposition 8). Limmense dfi que constituent les mineurs isols ne pouvait tre rsolu au fond par la mission. Il voque cependant la possibilit douvrir des voies de coopration avec le Royaume-Uni et EASO. Si lintrt suprieur de lenfant lexige, il envisage la possibilit dun placement en internat ou milieu semi-ferm (proposition 9). Appliquer les mesures dloignement et clarifier la situation des personnes qui ne peuvent pas tre techniquement loignes Ainsi que lindique le HCR dans son plan daction pour la Mditerrane de mars 2015, et dans lesprit du Cadre europen commun pour lasile, une politique dlibre daccs effectif lasile implique de mettre en uvre efficacement lloignement lorsquil savre que les protections ne sont pas justifies. Le rapport propose que les personnes interpelles dans les camions Calais soient dabord orientes vers le centre Jules-Ferry pour y prendre connaissance des possibilits qui leur sont offertes, en particulier laccs au centre de mise labri. En cas de rcidive, le rapport propose quun placement en Centre de rtention administrative (CRA) Coquelles ou ailleurs - soit systmatique en vue dun loignement. (Proposition 10). Lorsque cet loignement nest pas techniquement possible, le rapport prconise lmission, en application de larticle L 313-14 du mme code, dun titre de sjour temporaire, assorti de conditions restrictives, nexcluant pas sous des conditions galement strictes, la possibilit doccuper un emploi non pourvu par Ple emploi depuis 6 9 mois. (Proposition 11).

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    Exprimenter un oprateur unique Calais Les propositions de la mission visant un nouvel quilibre des droits et devoirs sinscrivent dans la perspective de la nouvelle lgislation franaise sur lasile et des initiatives rcemment prises en faveur des Erythrens. Celles-ci montrent lutilit dune plus grande intgration administrative et dune dconcentration volontariste du traitement de lasile. Le rapport recommande dexprimenter sur le territoire de larrondissement de Calais la cration dun oprateur unique auquel serait associe une antenne locale de lOFPRA (proposition 12). Le rapport met laccent sur un renforcement des capacits de lutte contre les filires et les trafics afin de prvenir des concentrations excessives dans le Calaisis Rviser la politique pnale locale, avec des moyens et des lieux de concertation appropris Sagissant de la lutte contre trafics locaux, le rapport recommande une dynamisation de la politique pnale. Il propose aussi de revitaliser linstance de veille dpartementale ddie la prvention de la dlinquance, sous la responsabilit conjointe de la prfte et de la procureure gnrale (Proposition 13). Dsorganiser les filires de passeurs Le rapport propose dtendre aux filires de passeurs les dispositions de la loi Perben sur les collaborateurs de justice. Il soutient linitiative de la Commission europenne qui tend relever le niveau de la coopration europenne entre les tats membres et les agences Frontex, Europol et Eurojust (Proposition 14). Rguler en amont le trafic des poids lourds pour empcher laccs aux camions Les passages clandestins via les camions pourraient tre fortement perturbs si lorganisation logistique du transport routier tait conue de manire assurer un coulement rgulier des camions jusquaux contrles. Le rapport propose quune mission soit mandate pour tudier avec les oprateurs des liaisons transmanche et les fdrations de transporteurs la faisabilit dune rgulation en amont du trafic routier tout en considrant limpact dune telle mesure sur la dispersion du flux secondaire des migrants en France et en Europe (Proposition 15). Les efforts daccueil, daccs lasile et de matrise du flux migratoire transitant par Calais conduits par la France dans un esprit de coresponsabilit et de solidarit avec ses deux partenaires les plus concerns impliquent en ralit tous les pays de lUE. Les dernires propositions du rapport sinscrivent dans la logique de linitiative rcente de la Commission europenne en vertu de larticle 78 du Trait de lUE et de la rponse quy a apporte la France : refus de quotas migratoires, soutien une solidarit europenne effective en faveur des demandeurs dasile. Elles sinscrivent elles aussi dans le cadre des ngociations en cours. largir un groupe pionnier dtats membres une application solidaire de Dublin III Le rapport propose donc que, sur le modle des accords suggrs avec lItalie et le Royaume-Uni (propositions 1 et 2), la France prenne linitiative de constituer un groupe pionnier dtats membres acceptant de pratiquer entre eux la mutualisation de linstruction des demandes dasile reues sur leur territoire et qui relvent du flux secondaire en provenance de lItalie . Sur la base daccords bilatraux sinspirant des propositions 1 et 2, une anticipation pragmatique dun accord europen de relocalisation en faveur de lItalie et de la Grce sera mise en place en vue dune application solidaire du rglement de Dublin III, prparant une rvision profonde de ce rglement en 2016 (proposition 16).

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    Soutenir la mise en place dun processus europen prenne de rinstallation avec le HCR Dans le mme esprit, le rapport soutient la participation de la France la mise en place dun processus prenne de rinstallation de migrants avec le concours du HCR, du type de celui propos par la Commission europenne le 13 mai 2015. Parmi les nationalits des rfugis, identifis par le HCR et ligibles cet accord, devraient figurer non seulement les ressortissants syriens et irakiens, mais aussi ceux qui sont originaires de la Corne de lAfrique, trs prsents Calais. Outre quil pargne des vies humaines, ce dispositif a le mrite de soulager les pays daccueil proximit des zones de conflit et de prserver leurs capacits daccueil. De plus, un processus prenne de rinstallation, mme modeste, constitue un lment de levier politique majeur dans les ngociations conduites avec les pays de dpart, comme le Soudan, dans le cadre de processus tels que celui de Khartoum. Le rapport recommande que la France sengage plus concrtement dans ce processus (Proposition 17). En conclusion, le rapport reconnat les limites temporelles et gographiques de ses propositions. Le flux migratoire trs puissant pouss de lAfrique vers lUE par les conflits en cours se situe dans la perspective beaucoup plus large dchanges migratoires entre les deux continents mus par un diffrentiel de dmographie et de richesse. La rponse vritable aux conflits comme aux situations de misre urbaine qui nourrissent lexode procde dun autre regard sur les chances de dveloppement de lAfrique - qui sont immenses - et les bnfices que lEurope trouverait des migrations rciproques. Il convient de ne jamais oublier les espoirs et le courage des migrants qui resteront toujours dchirs entre ici et l-bas, entre les lieux daccueil et leur terre natale. La solidarit que nous serons capables dorganiser aujourdhui leur gard est lun de nos meilleurs investissements pour lavenir de nos enfants.

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    Introduction 2

    Synthse 7

    1. Analyser : le phnomne migratoire dans le monde, lEurope, la France et Calais 18 1.1. Un phnomne mondial impactant lEurope et facilit par les filires 18

    1.1.1. Lvolution des migrations et de la demande dasile au niveau mondial 18 1.1.2. Lattractivit de lEurope, lvolution de la pression migratoire sur sa frontire mditerranenne et la demande dasile 20 1.1.3. Les parcours, les conditions de traverse et le rle central des filires 27 1.1.4. Lvolution de limmigration et de la demande dasile en France 33 1.1.5. Un systme europen de lasile sous forte tension 34

    1.2. Une situation singulire et proccupante dans le Calaisis 37 1.2.1. La singularit du Calaisis 37 1.2.2. La gravit de la situation calaisienne 41

    1.3. Les motivations des migrants et lattractivit du Royaume-Uni 43 1.3.1. Diversit des motivations 43 1.3.2. Attractivit du Royaume-Uni 44

    Attractivit du Royaume-Uni : Conviction de la mission 48 2. valuer : Un engagement constant, handicap par de lourdes lacunes 50

    2.1. Un dfi majeur : la prise en charge sanitaire et sociale des migrants 50 2.1.1. Une rgion de tradition solidaire 50 2.1.2. Sangatte et le syndrome de lappel dair 53

    Syndrome de lappel dair : Conviction de la mission 54 2.1.3. Des conditions dexistence trs prcaires 55 2.1.4. Des services publics trs sollicits, mais qui font face la situation 57

    2.2. Lexercice ambigu des contrles et la lutte contre les filires 59 2.2.1. Des contrles complexes qui rpondent des objectifs contradictoires 59 2.2.2. Une action policire limite par la complexit et le caractre international des filires61

    Violences policires : Conviction de la mission 63 2.2.3. Les moyens de la justice ne sont plus la hauteur du dfi reprsent par les filires 64

    2.3. Une politique dloignement peu efficace 65 2.3.1. Une volution la hausse de lloignement 65 2.3.2. Un loignement difficile 66 2.3.3. Un sujet bien identifi 66

    2.4. Une offre dasile en France prometteuse 67 2.4.1. Lorganisation actuelle du traitement de la demande dasile 67 2.4.2. Les rsultats obtenus avant le dveloppement de la permanence daccueil (jusquen septembre 2014) 67 2.4.3. Les rsultats obtenus depuis octobre 2014 68

    2.5. valuation des dispositifs nationaux et locaux : Forces, faiblesses, opportunits et menaces 71 Forces 72 Faiblesses 72 Opportunits 72 Menaces 72

    3. Proposer : Un plan daction dynamique et europen 73 3.1. D'abord, mettre en place les conditions d'un nouvel quilibre 73

    Confiance : Conviction de la mission 73 3.1.1. Mieux partager les responsabilits de l'asile 73

    Proposition 1 : Changer de mthode dans les relations France / Italie : solidarit vs rigueur 74 Proposition 2 : Changer de mthode dans les relations France / Royaume-Uni : responsabilit vs rigueur 76

    3.1.2. Amliorer l'accueil dans le Calaisis 76

  • 17

    Proposition 3 : Conforter le centre Jules-Ferry et ses abords dans leur vocation de premier accueil 78 Proposition 4 : Promouvoir linterprtariat et la mdiation culturelle 78 Proposition 5 : Instaurer une nouvelle gouvernance 79

    3.2. Ensuite, tablir un nouvel quilibre des droits et des devoirs 80 3.2.1. Promouvoir laccs linstruction de lasile en France et en Europe 80 Proposition 6 : Confier au HCR une mission rgulire de comprhension des motivations et des parcours des migrants 80 Proposition 7 : Crer dans le dpartement du Pas-de-Calais un centre de mise labri 81

    3.2.2. Mieux considrer les personnes vulnrables 82 Proposition 8 : Amliorer la prise en charge des migrants malades 82 Proposition 9 : Adopter des mesures spcifiques pour les mineurs isols 83

    3.2.3. Mettre en uvre un dispositif adapt aux personnes ne relevant pas de lasile ou ne pouvant pas bnficier dun titre de sjour 84

    Proposition 10 : Appliquer les mesures d'loignement et de retour 84 Proposition 11 : Clarifier la situation des personnes qui ne peuvent pas tre loignes 85

    3.2.4. Se donner les moyens de mettre en uvre une politique innovante et complexe 85 Proposition 12 : Exprimenter un oprateur unique Calais 85

    3.3. Paralllement, faire de la lutte contre les filires une priorit nationale et europenne et dissuader lutilisation clandestine des camions par les migrants 85

    3.3.1. Mettre en chec les filires, Calais, en France et en Europe 86 Proposition 13 : Rviser la politique pnale locale, lui donner les moyens appropris et revitaliser les lieux de concertation 86 Proposition 14 : Mettre en chec les filires de passeurs en ayant recours la procdure de collaborateur de justice 87

    3.3.2. Rguler le trafic marchandises en amont pour dissuader lentre clandestine dans les camions 88

    Proposition 15 : Rguler laccs aux vecteurs de transport afin dempcher la pntration dans les camions 88

    3.4. Inscrire Calais dans la perspective d'un vritable espace commun europen de l'asile 88 3.4.1. Anticiper un accord de relocalisation avec un groupe pionnier dtats 89

    Proposition 16 : largir un groupe pionnier lapplication solidaire de Dublin III 89 3.4.2. Soutenir une dmarche de rinstallation prenne avec lappui du HCR 90

    Proposition 17 : mettre en place avec le HCR un processus prenne de rinstallation 90

    Conclusion 91 ANNEXE 1 Remerciements 92 ANNEXE 2 - Personnes rencontres 93 ANNEXE 3 - Composition du Comit de pilotage 97 ANNEXE 4 - Tableau de bord pour le Calaisis et le flux secondaire europen 98

  • 18

    1. Analyser : le phnomne migratoire dans le monde, lEurope, la France et Calais

    1.1. Un phnomne mondial impactant lEurope et facilit par les filires

    1.1.1. Lvolution des migrations et de la demande dasile au niveau mondial En 2013, le nombre de migrants2 internationaux tait estim 230 millions soit 3,2% de la population mondiale. Depuis 1990, le flux net total stablit 77 millions et sexplique principalement par laccroissement de la population mondiale, laugmentation des changes conomiques et lenvole des pays mergents. Le flux annuel moyen atteint deux millions dans les annes 90 et plus du double (4,6 millions) pendant la priode 2000-2010. Depuis 2010, il est retomb 3,6 millions3. Les parcours migratoires tendent se diversifier. Selon lIOM (Organisation Mondiale des Migrations)4, de 2009 2011, 40% des migrants se dirigent du Sud vers le Nord5, 33% dun pays du Sud vers un autre pays du Sud, alors que 22% des migrations sont Nord-Nord et, pour seulement, 5%, Nord-Sud6. En 2013, les migrations Sud-Sud ont mme dpass les migrations Sud-Nord, puisque 82,3 millions de migrants (contre 81,9) ont migr lintrieur du Sud. LOrganisation de coopration et dveloppement conomique (OCDE) souligne que plus de 80% des immigrs proviennent de pays ayant un Indice de dveloppement humain (IDH) plus lev que la moyenne7. Les flux migratoires impactent diffremment le profil dmographique8 des pays concerns. En 2013, 59% des migrants (136 millions) vivent dans des pays du Nord et 41% (96 millions) dans des pays du Sud. Ces donnes rvlent un gain net annuel moyen de 3 millions de migrants dans les pays dvelopps entre 1990 et 2010, mais surtout une perte de 2,9 millions dans les pays en dveloppement. 2 Dans son rapport (E/CN.4/2000/82), lONU propose dinclure dans la catgorie des migrants : a) Les personnes qui se trouvent hors du territoire de ltat dont elles possdent la nationalit ou la citoyennet, mais qui ne relvent pas de la protection juridique de cet tat, et qui se trouvent sur le territoire dun autre tat ; b) Les personnes qui ne jouissent pas du rgime juridique gnral inhrent au statut de rfugi, de rsident permanent, de naturalis ou dun autre statut octroy par ltat daccueil ; c) Les personnes qui ne jouissent pas non plus dune protection juridique gnrale de leurs droits fondamentaux en vertu daccords diplomatiques, de visas ou dautres accords. Cette large dfinition des migrants reflte la difficult actuelle distinguer entre migrants qui quittent leurs pays cause de perscutions politiques, conflits, problmes conomiques, dgradation environnementale ou une combinaison de toutes ces raisons et les migrants qui recherchent du travail ou une meilleur qualit de vie qui nexiste pas dans leur pays dorigine. 3 United Nations Department of Economic and Social Affairs/ Population Division, International Migration Report 2013. 4 Organisation Mondiale des Migrations, Etat de la migration dans le monde 2013 : le bien tre des migrants et le dveloppementhttp://www.iom.int/files/live/sites/iom/files/What-WeDo/wmr2013/fr/ WMR2013_FactSheet_FR_ final. pdf 5 Les expressions Nord et Sud sont utilises pour faciliter la lecture et nexpriment pas la varit des niveaux de dveloppement. Sous lexpression Nord sont runis les pays dEurope, dAmrique du Nord, lAustralie, la Nouvelle-Zlande et le Japon. Par Sud, on se rfre gnralement aux pays dAfrique, dAsie, dAmrique latine et des Carabes, ainsi qu la Mlansie, la Micronsie et la Polynsie. 6 Voir Annexe XXX : Reprsentation graphique de lvolution des migrations par rgions dorigine et darrive. 7 European Commission Eurostat, Statistique sur la migration et la population migrante. http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Migration_and_migrant_population_statistics/fr 8 Les flux correspondent aux entres (immigrations) et sorties (migrations) de personnes des frontires dun pays durant une priode minimum. Les stocks correspondent aux migrants prsents dans un pays une date prcise.

  • 19

    Les plus grands pays dimmigration nette sont les tats-Unis, les mirats Arabes Unis et lEspagne, tandis que les pays dmigration nette sont le Bangladesh, le Mexique et lInde9. Les rfugis reprsentent une part modeste10 (7%) de lensemble des migrants internationaux. Fin 2013, 16,7 millions de personnes vivaient en dehors des frontires de leur pays dorigine en raison de perscutions ou de conflits. Selon le HCR, il sagit du niveau le plus lev enregistr depuis fin 2001, lorsque prs de 17,1 millions de personnes taient considres comme rfugies. Ce statut a t accord 2 millions de personnes en 2011 et 2012 et 2,5 millions en 2013. ce nombre, sajoute 1,3 million de demandes dasile en cours dexamen dont plus dun million ont t dposes en 2013 auprs de gouvernements ou du HCR, soit le nombre le plus lev de ces dix dernires annes. Le taux de reconnaissance total moyen dune protection internationale pour lanne 2013 tait de 44%11. Le nombre de rfugis est intrinsquement li aux zones de conflits arms, de violations des droits de lhomme ou de perscutions. Les guerres dAfghanistan ont produit depuis 1979 le contingent le plus important de rfugis. En juin 2014, le HCR comptabilisait 2,7 millions de rfugis originaires de ce pays. Les autres groupes les plus importants proviennent de Somalie (1,1 million), du Soudan (670 300), du Sud-Soudan (508 600), du Congo (493 500) et de Birmanie (479 700). Carte 1 : Carte des zones de conflit dans le monde

    9 United Nations Department of Economic and Social Affairs/ Population Division, International Migration Report 2013, op.cit . 10 Un rfugi est un individu auquel a t reconnue une protection internationale de la part dun Etat ou du HCR (art 6 et 7 du statut du 14 dcembre 1950). Ce statut est accord selon la Convention de Genve du 28 juillet 1951, complte par le Protocole de New York du 31 janvier 1967, toute personne qui, craignant avec raison dtre perscute du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalit, de son appartenance un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalit et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se rclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalit et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa rsidence habituelle la suite de tels vnements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. Un demandeur dasile est un individu qui sollicite une protection internationale et dont la demande de statut de rfugi na pas encore fait lobjet dune dcision. 11 United Nations High Commissioner for Refugees, Global trends 2013: wars human cost, Genve, Join 2014.

  • 20

    Dans ce contexte, la guerre en Syrie a des consquences dramatiques (215 000 morts et 11,4 millions de personnes qui ont fui leur domicile). Ce pays, qui ne figurait pas parmi les 30 pays lorigine des plus gros contingents de rfugis il y a deux ans, comptabilisait en juin 2014 prs de 4 millions de rfugis, ce qui le situe dsormais en tte de ce triste palmars. Depuis les dbuts du conflit en 2011, il aura perdu prs de 15% de sa population. Les pays voisins en ont accueilli la majeure partie : le Liban (1,1 million de rfugis et 257 rfugis pour 1000 habitants), la Turquie (798 000), la Jordanie (645 600) et lIrak (220 400)12. En mars dernier, le HCR relevait que les demandes dasile dans les pays riches ont bondi en 2014 de 45%, portes par les conflits en Syrie et en Irak, avoisinant le record (900 000) enregistr au dbut de la guerre en Bosnie-Herzgovine. Au total, 866.000 demandes dasile ont t dposes lan dernier dans 44 pays industrialiss, dont 60% dans seulement 5 dentre eux : Allemagne (173 100), tats-Unis (121 200), Turquie (87 800), Sude (75 100) et Italie (63 700)13. La France occupe dornavant la 6me position aprs avoir occup le 2me rang en 2010. Les principaux demandeurs sont originaires de Syrie (149.600), Irak (68.700), Afghanistan (59.500), Serbie et Kosovo (55.700), rythre (48.400). 1.1.2. Lattractivit de lEurope, lvolution de la pression migratoire sur sa frontire

    mditerranenne et la demande dasile LEurope accueille le plus grand nombre de migrants internationaux (72 millions), suivie de prs par lAsie (71 millions) et lAmrique du Nord (53 millions). Elle reste attractive, puisque 1,7 million de migrants lont choisie en 2012 pour des raisons diverses14 : tout dabord pour la scurit et la stabilit politique du continent, ensuite pour les valeurs de libert dexpression, de tolrance et dgalit quil dfend, enfin pour les opportunits demploi - notamment pour les jeunes - cres par le vieillissement de sa population. Elle attire de nombreux migrants en raison de limage vhicule par les chanes de tlvision et de radio reues dans les pays de dpart, par les marchs locaux approvisionns en produits manufacturs occidentaux et les transferts de fonds de migrants (14 milliards en 2005)15. Bien que les nationalits prsentes en Europe se renouvlent (Pakistanais, Vietnamiens, Iraniens, Sri-Lankais, Chinois), linfluence des hritages coloniaux, des changes commerciaux ou de la proximit gographique perdure. En 2014, prs de 220 000 migrants ont tent de traverser la Mditerrane pour rejoindre lEurope16. Ce chiffre est trois fois plus lev quen 2011, lorsque 70 000 migrants, principalement pousss par les Printemps arabes , avaient fait de mme17. La situation en Libye, Syrie/Irak et, plus rcemment, Ukraine explique cette volution et sa probable prolongation.

    12 Ibid. 13 Les statistiques dlivres par le HCR et Eurostat sur les demandes dasile prsentent de notables diffrences. 14 European Commission Eurostat, Statistiques sur la migration et la population migrante, op. cit. 15 Brian Blackstone, Remittances from Europe sink amid recession, in The Wall Street Journal, 26 juillet 2010. 16 Frontex Annual risk analysis 2015. 17 Haut Commissariat aux Rfugis, Avec prs de 350 000 boat people en 2014, le HCR appelle sauver des vies, [en ligne], 10 dcembre 2014. http://www.unhcr.fr/54871a45c.html

  • 21

    Graphique 1 : Tentatives de traverses en Mditerrane

    Source: Frontex Annual risk analysis 2015 Les tats sud-europens ont tent, selon des modes diffrents, dendiguer cet afflux humain tout en secourant les naufrags. LItalie, en particulier lle de Lampedusa et les ports de Sicile, est le pays le plus expos.

    Graphique 2 : Cumul annuel des arrives maritimes en Italie (2013/2014)

    Source : HCR

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    2009 2010 2011 2012 2013 2014

    Nombre de passages

  • 22

    Graphique 3 : Principales nationalits des arrives maritimes en Italie en 2014

    Source : HCR LUE a cre lagence Frontex en 2004. Celle-ci a pilot plusieurs missions (Hra, Posidon, Herms, Aera, Indalo, Nautilus, Triton) pour tenter de matriser ce flux et dviter les drames dont les mdias se sont faits lcho ces dernires semaines. LEASO, cr en 2010, offre un soutien oprationnel aux pays soumis une pression disproportionne. En 2013, 435 760 personnes ont sollicit une protection internationale auprs dun des 28 tats membres.18 Ce chiffre est le plus lev depuis que des statistiques suivent ce phnomne en Europe ; il reprsente une hausse de 33% par rapport lanne prcdente. Il sest encore accru en 2014 pour atteindre 598 755, soit une augmentation de 37% en un an. Nanmoins, lEurope avait dj connu une augmentation du nombre de demandes dasile dans les annes 1990, au cours desquelles une moyenne de prs de 500 00 demandes taient introduites chaque anne19. Le tableau suivant dtaille les dernires donnes issues dEurostat.

    Tableau 1 : Les demandes d'asile dans les principaux pays de l'UE de 2008 2014

    Source : Eurostat

    Ce tableau dtaille les efforts respectifs des principaux tats membres de lUE, ainsi que lvolution dans le temps des demandes dasile dont ils sont lobjet. Ils sont dtaills pour les principaux pays dans les cartes et graphiques suivants. 18 European Asylum Support Office, Rapport annuel 2013 sur la situation en matire dasile dans lUnion europenne en ligne], Luxembourg : Office des Publications de lUnion europenne, 2014. http://easo.europa.eu/wp-content/uploads/BZAB14001FRC_PDF.Web_.pdf 19 Haut Commissariat aux Rfugis, Les rfugis dans le monde : cinquante ans daction humanitaire, [en ligne], 1er janvier 2000, chapitre 7. http://www.unhcr.fr/4b66d4fb9.html

  • Graphiques 4 16 : Demandes d'asile et part dans le total europen pour les principaux tats

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    France

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    200 000

    2008 2010 2012 2014

    Espagne

  • Source : Eurostat et Infographie Mission

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    Italie

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    Grce

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    Hongrie

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    Pologne

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    2008 2010 2012 2014

    Royaume-Uni

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    Sude

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    2008 2010 2012 2014

    Pays-Bas

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    Les cartes 2 et 3 font apparatre laccroissement des demandes dasile entre 2008 et 2014 (seul le Royaume-Uni fait exception), ainsi que la plus grande slectivit dont ont fait preuve les tats de lUnion. Carte 2 : Les demandes dasile et les protections internationales accordes dans lUE en 2008

    Source : Eurostat et infographie mission

    Carte 3 : Les demandes d'asile et les protections internationales accordes dans lUE en 2014

    Source : Eurostat et infographie mission

  • 26

    Les cartes 4 et 5 rvlent, notamment, la place particulire de la Sude (4,4 o/oo de la population en moyenne annuelle contre 0,86 pour la France et 0,47 pour le Royaume-Uni), ainsi que le quadruplement des demandes dposes en Allemagne entre 2011 et 2014 (progression de moins de 10% pour la France et de 20% pour le Royaume-Uni sur la mme priode). Carte 4 : Demandes d'asile auprs de l'UE, part des demandes par rapport la population et octrois

    dune protection internationale en 2008

    Source : Eurostat et infographie mission

    Carte 5 : Demandes d'asile auprs de l'UE, part des demandes par rapport la population et octrois dune protection internationale en 2014

    Source : Eurostat et infographie mission

  • 27

    Les pays de l'UE ont accord l'asile 185 000 personnes en 2014, dont prs de 70 000 Syriens, mais cet effort est trs diversement partag. Six pays ont assum l'essentiel de l'effort : Allemagne (47 555), Sude (33 025), France (20 640), Italie (20 630), Royaume-Uni (14 065) et Pays-Bas (13 250). L'effort consenti par les vingt-deux autres pays varie de vingt rfugis pour l'Estonie 8 515 pour la Belgique. Les principaux bnficiaires de la protection accorde par l'UE sont les Syriens (68 400, soit 37% du total), les rythrens (14 600) et les Afghans (14 100). Plus de 60% des Syriens qui se sont vu accorder le statut de rfugi ont t pris en charge par deux tats : Allemagne (25 700) et Sude (16 800). 1.1.3. Les parcours, les conditions de traverse et le rle central des filires Entre octobre 2013 et septembre 2014, plus de 230 000 immigrs ont pntr illgalement dans l'UE. Les migrants en provenance de Syrie sont les plus nombreux : 37 533 au troisime trimestre de l'an dernier, contre 16 429 au trimestre prcdent et 4 714 au 1er trimestre 2014. Ils passent par la Turquie, par les pays dAfrique du Nord, principalement lgypte et la Libye, pour rejoindre lEurope. Le nombre dErythrens - deuxime groupe le plus important - a, en revanche, diminu, passant de 16 994 au deuxime trimestre 13 672 au troisime trimestre de l'anne. Ceux-ci, notamment les plus jeunes, cherchent fuir le rgime issu de lindpendance en 1993 et lenrlement systmatique dans larme. Le gouvernement rythren tend faciliter le dpart des membres des groupes contestataires et monnaie directement ou indirectement certaines procdures de dpart ; il bnficie en outre de la taxation des transferts financiers dont les migrants sont ensuite lobjet. Comme les Somaliens et les Ethiopiens, les Erythrens transitent par le Soudan et les environs de Khartoum, avant de rejoindre lEurope par la Libye ou lgypte. Les migrants irrguliers peuvent accder au territoire europen par voie arienne, terrestre ou maritime. Durant les trois premiers trimestres 2014, la voie maritime a t largement privilgie, reprsentant prs de 85% des franchissements irrguliers de frontires. La route la plus emprunte est la route du centre de la Mditerrane, allant de la Libye ou de lgypte lItalie, et dans une moindre mesure Malte. En 2013, cette route reprsentait 38% des arrives de migrants irrguliers. La deuxime route la plus emprunte est celle de lEst de la Mditerrane passant par la Turquie, la Bulgarie et la Grce. Sur lanne 2014, plus de 170 000 immigrs clandestins sont arrivs par la mer en Italie, via le centre de la Mditerrane, et plus de 50 000 en Grce, via lEst de la Mditerrane. La route des Balkans, et principalement la frontire entre la Serbie et la Hongrie, est de plus en plus frquente, tandis que les routes du Maroc vers lEspagne et ses enclaves (Ceuta et Melilla), et celles de la cte ouest de lAfrique vers les les Canaries, continuent d'tre empruntes dans une moindre mesure20. 20 Frontex, Risk Analysis Unit, Fran Quaterly July-September 2014, Varsovie, fvrier 2015.

  • 28

    Carte 6 : Les routes en provenance de lAfrique subsaharienne et de la Corne de l'Afrique

    Source : UNODC The global initiative

    Carte 7 : Les routes empruntes par les migrants irrguliers vers lEurope

    Source: Frontex, Annual Risk Analysis, 2015

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    Le nombre de migrants empruntant ces routes en direction de lEurope a augment de faon spectaculaire entre 2013 et 2014 (cf. carte 7 et graphique 16). Ainsi, 75 267 migrants irrguliers ont t dtects sur la route du centre Mditerrane au troisime trimestre 2014, contre 24 000 au mme trimestre de lanne prcdente. De mme, 22 339 migrants ont t dnombrs sur la route rejoignant la Bulgarie, la Turquie et la Grce au troisime trimestre 2014, soit plus du double de lanne prcdente la mme poque. Graphique 16 : Dtection de passages illgaux aux frontires selon lorigine du flux

    Source Frontex Pourtant, les conditions de traverse vers lEurope sont extrmement prcaires et les dangers encourus par les migrants venant par bateau de Libye ou dgypte sont particulirement levs. Dans son rapport 201421, Frontex remarque, que contrairement aux annes prcdentes, la baisse saisonnire des traverses en hiver a t moindre en 2013 et 2014, augmentant le risque de noyade et dhypothermie pour les passagers. En outre, une augmentation de lusage dembarcations frles, notamment de bateaux gonflables, a t remarque depuis 2013. Certains rseaux de passeurs semblent avoir modifi leurs pratiques depuis dcembre 2014, nhsitant pas utiliser des cargos poubelles de 500 800 places, abandonns par les passeurs sur leur route vers lEurope. Les migrants ayant voyag dans ces embarcations ont fait tat du manque deau et de nourriture, du froid et de la violence des passeurs. De fait, 3 419 migrants ont trouv la mort en Mditerrane en 2014. LOrganisation Mondiale des Migrations la rcemment qualifie de destination la plus dangereuse au monde pour la migration irrgulire 22. Dautres parlent de cimetire marin .

    21 Frontex, Risk Analysis Unit, Fran Quaterly January-March 2014, Varsovie, Juillet 2014. 22 Organisation Internationale pour les Migrations, lOIM publie de nouvelles donnes sur les dcs de migrants dans le monde entier : prs de 40 000 depuis 2000, 29 septembre 2014. http://www.iom.int/cms/fr/sites/iom/home/news-and-views/press-briefing-notes/pbn-2014b/pbn-listing/iom-releases-new-data-on-migrant.html

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    Carte 8 : Dcs migrants recenss de 1993 2015

    Doctobre 2013 octobre 2014, lItalie a pourtant dpens 114 millions et a mobilis sa marine militaire dans le cadre de lopration de sauvetage Mare Nostrum. Celle-ci a permis de secourir plus de 150 000 personnes en un an, soit environ 400 par jour. Nanmoins, lopration semble avoir eu des effets pervers, puisque les passeurs, conscients de la prsence de navires de sauvetage dans les eaux libyennes, en ont profit pour imposer des conditions de navigation plus sommaires, voire plus dangereuses (embarcations surcharges, moteurs moins puissants, carburant insuffisant), dans la mesure o il ntait plus ncessaire datteindre les ctes italiennes. En octobre 2014, lopration Triton a remplac Mare Nostrum avec des moyens plus restreints (2,9 M mensuels contre 9) et des objectifs plus limits (opration de sauvegarde des frontires par des patrouilles dans les eaux territoriales europennes)23. Elle a fait lobjet dun triplement de son budget lors du Conseil europen extraordinaire du 23 avril dernier. La majorit des migrants poursuivent leur parcours, composant ainsi des flux secondaires dfinis par Frontex comme les mouvements de migrants non europens au sein de lUE (non limite Schengen), par opposition aux flux primaires se portant sur les frontires de lEurope24. Il apparat que la route centre Mditerrane, dont la destination finale est lItalie, est lorigine de deux flux secondaires importants : le principal, dirig vers le nord, rejoint la Suisse, lAllemagne, lAutriche, la Sude, et lautre, minoritaire, traverse la France afin de rejoindre le Royaume-Uni. 23 Marion Garreau, Triton, la nouvelle opration de surveillance des frontires europennes , in Le Monde, 31 octobre 2014. 24 Frontex, Annual Risk Analysis 2014, Varsovie, Mai 2014.

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    Sattachant comprendre lorigine des flux migratoires secondaires destination de Calais, la mission a souhait valuer le lien entre les entres illgales correspondant la route du centre Mditerrane et le nombre de migrants prsents Calais. Il rsulte de ses travaux que le nombre de migrants prsents Calais est corrl 96,6% au nombre de migrants entrs en Italie au trimestre prcdent25. Graphique 17 : Rapprochement des courbes du flux d'entres illgales en Italie et du nombre de

    migrants dans le Calaisis au trimestre suivant

    Source : Mission sur la base des donnes de Frontex et de la DCPAF Cette corrlation issue dune comparaison des donnes de la priode 2012 2014 suggre quune arrive de 10 000 migrants en Italie se traduit, avec un dcalage dun trimestre, par une augmentation de 130 du nombre de migrants du Calaisis. Ce territoire constitue donc un point daccumulation du flux secondaire provenant principalement dItalie. A lavenir, cette corrlation pourra voluer en fonction de la composition du flux Centre-Mditerrane. La mission en dduit que leur nombre nest pas appel dcrotre, bien au contraire, compte tenu de la persistance du flux centre-mditerranen et des situations gopolitiques qui lalimentent. Ainsi que le notait Frontex 26 en mars dernier, l'anne 2015 a commenc, toute Union europenne confondue, avec une hausse de 250% des franchissements irrguliers de la frontire extrieure en janvier et fvrier par rapport la mme priode de 2014. Elle succde un triplement des arrives en 2014 par rapport 2013. Frontex redoute que le mouvement se poursuive au printemps, qui malheureusement marque le pic de l'immigration irrgulire . 25 Cf. Annexe 4. 26 Confrence de presse de Fabrice Leggeri.

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    Nanmoins, il ne semble pas que le flux secondaire en provenance de lItalie explique les parcours de lensemble des migrants prsents Calais. Les principales nationalits recenses parmi les migrants arrivs en Italie en 2014 sont les nationalits syrienne, rythrenne, nigriane, palestinienne, bangladaise et dAfrique subsaharienne, prenant le pas sur les Somaliens et les gyptiens, trs nombreux en 2013. Graphique 18 : Nationalits des migrants du flux Centre-Mditerrane

    Source Frontex A Calais, se retrouvent un grand nombre dErythrens, de Soudanais et, dans une moindre mesure, de Syriens et dgyptiens. La prsence dAfghans, dIraniens et dAlbanais27 indique que les routes maritimes et terrestres de lEst de lUE y aboutissent galement. En termes relatifs, les Syriens sont moins nombreux Calais tandis que les Soudanais sont beaucoup plus reprsents. Selon le Secours catholique28, moins de 20% des migrants ont quitt leur pays dorigine depuis plus de 5 ans, alors que plus de la moiti dentre eux ont voyag pendant moins dun an avant darriver Calais. Enfin, il convient de remarquer que les filires de passeurs conditionnent et organisent le voyage des migrants vers lEurope. Elles disposent des informations et des moyens matriels ncessaires au franchissement des frontires. Selon Frontex29, leur nombre et leur professionnalisme se sont accrus. Elles profitent de linstabilit dans les pays dorigine et du dsespoir des migrants pour mener un commerce extrmement lucratif. Le responsable de lOffice des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNOCD) a rcemment voqu un chiffre daffaires annuel de 5,7 milliards 30. 27 Recensement de la Prfecture du Pas-de-Calais au 20 aot 2014, de la PAF et rapport du Secours catholique issu de 54 interviews au 4me trimestre 2014. 28 Cf. 2me partie et notes 41 et 42. 29 Frontex, Annual Risk Analysis 2014, Varsovie, Mai 2014. 30 Laetitia Mchaly, Limmigration rapporte plus de 7 milliards de dollars par an aux rseaux de passeurs in Le Figaro, 7 octobre 2014.

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    Par exemple, la traverse de la Mditerrane cote entre 1 500 et 2 000 sur une embarcation frle, et jusqu 6 000 sur un cargo comme le Blue-Sky-M. En moyenne, une traverse avec 450 migrants reprsente un gain de 1 million $. 6 902 passeurs ont t arrts en Europe en 2013 : des secondes mains qui montent dans les bateaux et exercent cette activit pour payer leur propre passage, dautres plus impliqus qui grent ce march dans les pays dorigine, ainsi que des citoyens europens. Frontex souligne cet gard quau premier trimestre 2014, 137 italiens, 117 espagnols et 100 franais ont t arrts. 1.1.4. Lvolution de limmigration et de la demande dasile en France La France est un vieux pays dimmigration et accueille aujourdhui sur son sol 5,5 millions dimmigrs. En 2012, la France a dlivr 191 000 titres de sjour, soit 0,8% de moins que lanne prcdente. Cest moins quau Royaume-Uni (248 500), en Italie (203 000) ou en Espagne (200 000). Limmigration rgulire31 en France se structure, en premier lieu, autour des migrations familiales : 45% (86 572) des titres de sjour dlivrs en 2012 lont t pour des raisons familiales. Les mobilits tudiantes sont galement importantes : la France a mis 58 400 titres de sjour tudiants en 2012 et se place au 5me rang des pays attirant le plus dtudiants trangers. Limmigration professionnelle ne reprsente que 8% des titres de sjour mis. Cette proportion est en baisse depuis la crise conomique, except pour les professions librales et scientifiques, ainsi que pour les migrations temporaires de travail, dites migrations circulaires32. En 2011, les ressortissants hors UE admis au sjour sont majoritairement originaires dAfrique (60%) : Algrie, Maroc, Tunisie et Mali. Les Chinois et les Turcs reprsentent galement une part importante des immigrs en France. Les demandes dasile introduites en France fluctuent en fonction du contexte international et du profil des migrants. Dans les annes 90, prs de 40 000 demandes annuelles ont t introduites. Ce chiffre est descendu 20 000 en 1997 et remont 57 616 en 2004. En 2014, 64 500 ont t prsentes, soit 2,6% de moins quen 2013, et ce malgr de nombreux conflits dans le monde. La France, qui tait le premier pays europen en nombre de rfugis accueillis entre 2007 2011, est aujourdhui devance par lAllemagne, la Sude et lItalie. Ce changement est principalement d aux choix des migrants, notamment syriens, de se rendre en Sude ou au Royaume-Uni, o se trouve dj une communaut importante et o les perspectives dintgration sont perues comme meilleures. En 2014, 22% des demandes dasile ont trouv une issue positive33.

    31 Selon la dfinition adopte par le Haut Conseil l'Intgration, un immigr est une personne ne trangre l'tranger et rsidant en France. Les personnes nes franaises l'tranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilises. l'inverse, certains immigrs ont pu devenir franais, les autres restant trangers. Les populations trangre et immigre ne se confondent pas totalement : un immigr n'est pas ncessairement tranger et rciproquement, certains trangers sont ns en France (essentiellement des mineurs). La qualit d'immigr est permanente : un individu continue appartenir la population immigre mme s'il devient franais par acquisition. C'est le pays de naissance, et non la nationalit la naissance, qui dfinit l'origine gographique d'un immigr. 32 Ministre de lIntrieur, Les trangers en France, Anne 2012. 33 Ministre de lIntrieur, Les demandes dasile, en ligne] http://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Statistiques/Tableaux-statistiques/Les-demandes-d-asile

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    3 150 demandes d'asile de Syriens ont t enregistres en 2014, soit quasiment le double de l'anne prcdente. En outre, 500 Syriens ont t rinstalls34 de pays voisins de la Syrie vers la France en 2014 et le Gouvernement sest engag reproduire cette action en 2015. Ces demandes bnficient dun traitement prioritaire et sont accueillies favorablement 96%35. Sur longue priode (1970 / 2015), le graphique 18 fait clairement apparatre, partir du dbut des annes 80, un dcrochage significatif entre les demandes et les admissions lasile, rvlateur dune forte sollicitation de cette procdure au-del des demandes lgitimes de protection internationale. Cela est particulirement vrai au seuil des annes 90, la moiti des annes 2000 et lpoque actuelle. Graphique 19 : Asile en France : demandes, admissions et rexamens - de 1970 2014

    Source : lemonde.fr mai 2015 : Les dcodeurs 1.1.5. Un systme europen de lasile sous forte tension Depuis les accords de Schengen de 1985, qui dfinissent un espace de libre circulation lintrieur de lEurope et un renforcement des frontires extrieures, les tats membres ont travaill ltablissement dun Rgime dasile europen commun (REAC). Celui-ci repose, sur deux piliers majeurs : dune part, luniformisation des conditions daccueil, des procdures dasile et des statuts de protection entre les diffrents membres ; dautre part, la dtermination de lEtat responsable de linstruction de la demande dasile dans le cadre du rglement Dublin III. Ce dernier a pour objectif de limiter l asylum shopping et les demandes dasile multiples, en dfinissant un Etat membre unique. 34 La rinstallation (resettlement en anglais) fait lobjet dun manuel dit par le HCR consultable en ligne http://www.unhcr.fr/5162d20b6.html 35 Catherine Goueset, Rfugis syriens : la France en fait le moins possible , in LExpress, 19 fvrier 2015.

  • 35

    Le Rglement (UE) N604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 dit Dublin III Le rglement Dublin III apporte les amliorations ncessaires () lefficacit du systme de Dublin et la protection octroye aux demandeurs au titre dudit systme (prambule). Il succde au Rglement Dublin II appliqu en Europe depuis 2003, lui-mme hritier de la Convention de Dublin de 1990. Il dfinit les critres permettant de dterminer lEtat membre responsable de lexamen de la demande dasile (chapitre III) et consacre, dans sa nouvelle version, la primaut de lintrt suprieur de lenfant (art. 8) et le maintien de lunit familiale (art. 9 et 10). Il souligne, par ailleurs, la ncessit de permettre aux personnes dpendantes (grossesse, maladie grave, vieillesse) de se rapprocher des membres de leur famille (art. 16). Ensuite, la possession dun visa ou dun titre de sjour mis par lun des tats membres constitue le second lment permettant de dterminer lEtat responsable. Pourtant, le critre le plus commun utilis pour dfinir lEtat en charge de la demande dasile reste le critre dentre et/ou de sjour (art. 13), selon lequel lexamen dune demande dasile incombe au premier Etat membre dans lequel sest prsent le demandeur, lment gnralement attest par lexistence dempreintes digitales dans la base Eurodac. Au-del de cette hirarchie de critres, il favorise une interprtation dynamique de celle-ci. En effet, il offre la possibilit aux tats membres, leur discrtion et au nom de leur souverainet, de droger ces critres en prenant en charge une demande qui ne leur incomberait pas (art. 17.1). Selon cette logique, un Etat peut galement demander un autre tat membre de prendre un demandeur en charge () pour des raisons humanitaires fondes, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, mme si cet autre tat membre nest pas responsable au titre des critres dfinis aux articles 8 11 et 16. (art. 17.2) Enfin, concernant les procdures de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs dasile, ce rglement prcise les dlais de transferts et les garanties procdurales qui sy attachent. Au sujet de la prise en charge, lEtat de rsidence dispose de trois mois pour saisir lEtat responsable qui dispose, quant lui, de deux mois pour sexprimer. Dans le cas dune acceptation, lEtat de rsidence doit renvoyer le demandeur dans un dlai de six mois (art. 21- 25). Par ailleurs, il consacre le droit dintroduire un recours suspensif la dcision de renvoi (art. 27) et limite trois mois la dtention dans le cadre dun transfert (art. 28 et 29). Le rglement Dublin fait porter un poids important de la demande dasile aux pays ayant une frontire extrieure (Bulgarie, Italie, Grce, Espagne) au dtriment du systme lui-mme. Sous la pression migratoire, la Grce et lItalie semblent navoir enregistr les migrants entrant sur leur territoire dans le systme Eurodac que de manire discontinue. Aussi lItalie na-t-elle enregistr que 64 625 demandes dasile en 2014, alors que 170 000 migrants sont arrivs sur ses ctes. Pendant la priode 2008-2012, environ 35 000 demandes sortantes au titre de Dublin ont t effectues en moyenne chaque anne. 80 % des demandes sortantes ont t acceptes, mais seules 25 % dentre elles ont dbouch sur le transfert physique, soit environ 8 500 personnes en moyenne chaque anne36. Par ailleurs, certains pays et notamment ceux qui soumis une pression migratoire forte, ne sont plus en mesure de respecter les rgles daccueil et de procdures de demande dasile37. 36 EASO, Annual Report Situation of Asylum in the European Union 2013. 37 Marion Garreau, Triton : la nouvelle opration de surveillance des frontires europennes , [en ligne] in Le Monde, 31 octobre 2014. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/10/31/triton-la-nouvelle-operation-de-surveillance-des-frontieres-europeennes_4515022_4355770.html

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    En ce sens, la Cour europenne des droits de lhomme (CEDH) a condamn la Grce et la Belgique en 201138 pour violation de linterdiction de traitements dgradants (art. 3). En effet, la Belgique souhaitait renvoyer un ressortissant afghan en Grce mais, au vu des conditions daccueil et de dtention, la CEDH a suspendu ce renvoi. La suspension des renvois vers la Bulgarie en 2014, la Hongrie en 2012, et la Grce en 2015, a galement t demande par le HCR ou les ONG de dfense des droits de lhomme. La jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme M.S.S c. Belgique et Grce (n30696/09)- CEDH - 21 janvier 2011 (arrt de Grande Chambre) Le requrant, M.S.S., est un ressortissant afghan admis en Grce suite une saisine de la Belgique dans le cadre du Rglement Dublin II, et ce, malgr un recours dans lequel il affirmait que dans ce pays Grce, il risquerait dtre dtenu dans des conditions dplorables, que le systme dasile y tait dfaillant, et quil craignait de faire lobjet dun refoulement en Afghanistan sans examen de fond. En Grce, il est plac en dtention puis relch avec une carte de demandeur dasile sans aucun accompagnement. Il dnonce ses conditions de dtention et dexistence, ainsi que labsence en droit grec de recours effectif. Il se plaint, en outre, que la Belgique lait expos aux dfaillances de la procdure dasile et des conditions dexistence des demandeurs dasile. La CEDH conclut la violation par la Grce de larticle 3 de la Convention europenne des droits de lhomme (interdiction des traitements inhumains ou dgradants), en raison des conditions de dtention et dexistence du requrant. Elle dclare ce titre quelle ne sous-estime pas le poids que fait actuellement peser sur les tats situs aux frontires extrieures de lUE lafflux croissant de migrants et de demandeurs dasile (...). Nanmoins, cette situation ne saurait exonrer la Grce de ses obligations au regard de larticle 3, vu le caractre absolu de cette disposition. La Grce est galement condamne pour violation de larticle 13 (droit un recours effectif), en raison des dfaillances de la procdure dasile. La Cour condamne la Belgique, selon le principe de violation par ricochets , pour violation de larticle 3 et de larticle 13. Tarakhel c. Suisse - 4 novembre 2014 (arrt de Grande Chambre) Dans cette affaire, un couple afghan accompagn de ses 6 enfants mineurs, estime quils seraient victimes de traitements inhumains sils devaient tre renvoys de la Suisse vers lItalie, en application du Rglement Dublin II, ce pays ne garantissant ni une prise en charge adapte lge des enfants ni le maintien de lunit familiale. La Cour a conclu quil y aurait violation de larticle 3 si la Suisse renvoyait cette famille sans avoir obtenu de garantie de la part des autorits italiennes sur ces deux points. Or, compte tenu de la situation actuelle du systme daccueil en Italie, les autorits suisses ne disposent pas dlments suffisants pour tre assures quen cas de renvoi en Italie, les requrants seraient pris en charge dune manire adapte lge des enfants et la structure familiale. Pourtant, dans les dcisions Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie (2 avril 2013), Halimi c. Autriche et Italie (18 juin 2013) ; Abubeker c. Autriche et Italie (18 juin 2013) ; A.M.E. c. Pays-Bas (13 janvier 2015), la Cour dclare irrecevables les griefs formuls par les requrants contre un renvoi en Italie au titre dune violation de larticle 3 de la CEDH. De mme, lors des affaires K.R.S. c. Royaume-Uni (2 dcembre 2008), Sharifi c. Autriche (5 dcembre 2013) et Safaii c. Autriche (7 mai 2014), la Cour juge irrecevables les griefs formuls contre un renvoi en Grce. 38 CEDH : M.S.S c. Belgique et Grce - 21 janvier 2011.

  • 37

    1.2. Une situation singulire et proccupante dans le Calaisis La prsence de nombreux migrants dans le Calaisis caractrise ce territoire depuis prs de quinze ans. Les principaux jalons de cette priode sont les suivants : - 1999 : rquisition dun hangar Sangatte, afin dhberger 200 migrants principalement dorigine kosovare. Gr par la Croix-Rouge, ce centre accueillera jusqu 2 000 personnes (Afghans, Irakiens, Iraniens, Kurdes mais aussi Albanais, Roumains, Turcs et Soudanais) avec une moyenne de 1 500 en 2002 ; - 2002 : fermeture du centre de Sangatte, qui aura accueilli plus de 65 000 migrants. Le Royaume-Uni accepte sur son sol plus dun millier dentre eux, principalement afghans et irakiens. Commencera alors se constituer la jungle , camp(s) improvis(s) dans les dunes ; - 2009 : vacuation de la jungle , qui se traduira notamment par loccupation de squats urbains ou de camps sauvages ; - 2014 : vacuation de plus de 600 migrants installs proximit de la zone de distribution des repas, accord franco-britannique sur la scurisation du port assorti dune contribution de 15 M et mise en place progressive par lEtat dun accueil de jour dans un btiment municipal, le centre Jules Ferry. Les causes de la problmatique calaisienne sont multiples et ses consquences trs importantes. 1.2.1. La singularit du Calaisis La distance entre Calais et Douvres nest que de 25 kms, chemin le plus court entre la France et le Royaume-Uni. Lorsque le temps est dgag, les ctes anglaises sont visibles de Calais, entretenant ainsi lillusion de la proximit de leldorado britannique.

    Carte 9 : Le Pas-de-Calais

    Source : Google Maps

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    Cette proximit gographique exceptionnelle constitue un atout majeur pour les activits de transport entre le Royaume-Uni et le continent. Calais est ainsi dot de deux vecteurs majeurs de trafic de marchandises et de voyageurs : le port et le lien fixe transmanche. Le port est spcialis dans le trafic de rouliers - roll-on roll-off -, vhicules embarqus sur les navires. En 2014, 1,8 million de poids lourds ont ainsi transit par le port de Calais, soit une augmentation de 15,6% par rapport 2011. Entre 2004 et 2014, le transport de marchandises a augment de 14,2%, passant denviron 38 millions de tonnes en 2004 plus de 43. Si, depuis 2004, le nombre de navires de commerce et le nombre de passagers ont respectivement diminu de 28,1% et 19%, une reprise la hausse se manifeste depuis 2013. De fait, avec 10,7 millions de passagers en 2014, Calais est le premier port de voyageurs de France et le deuxime dEurope, derrire Douvres, son port partenaire. Tableau 2 : volution du trafic du port de Calais de 2004 2014

    Annes Tonnes de

    marchandises en milliers

    Nombre de poids lourds en milliers

    Nombre de navires de commerce

    Nombre de passagers en milliers

    2004 37902

    43545 13258 2005 38301

    38937 11695

    2006 41504

    36446 11459 2007 41506

    36176 11519

    2008 40386

    34210 11001 2009 40784

    33236 10204

    2010 37798

    30370 10236 2011 38460 1575 27661 10067 2012 34136 1370 26521 9345 2013 41168 1658 31288 10371 2014 43273 1821

    10734

    Evolution 14,2% 15,6% (2014/2011) -28,1% -19,0%

    Source : CCI de la Cte dOpale

    Graphique 20 : volution du trafic dans le port de Calais (2004 / 2014)

    Source : Medde-DGITM, Trafic des principaux ports maritimes franais mtropolitains et d'outre-mer de 2000 2013

    0 5000

    10000 15000 20000 25000 30000 35000 40000 45000 50000

    2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

    Tonnes de marchandise en milliers

    Nombre de navires de commerce

    Nombre de passagers en milliers

  • 39

    La Chambre de commerce et dindustrie (CCI) de la Cte dOpale estime quun tiers du PIB britannique transite par Calais. Le directeur du port de Douvres estime que plus de 80% du trafic de son port provient de Calais, trafic qui a augment de 20% entre 2012 et 201439. Malgr la crise conomique de 2009, le trafic de marchandises et de personnes via le tunnel sous la Manche, enregistre une volution positive sur les dix dernires annes. Entre 2005 et 2014, le nombre de camions empruntant le l