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FRONT POPULAIRE IVOIRIEN SECRETARIAT GENERAL ------------------------------ SECRETARIAT NATIONAL CHARGE DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE ET DES PRISONNIERS POLITIQUES RAPPORT N°1-2016 SUR LES PRISONNIERS POLITIQUES EN CÔTE D’IVOIRE 1 RAPPORT N° 1-2016 SUR LES PRISONNIERS POLITIQUES EN CÔTE D’IVOIRE 15 janvier 2016 102 personnes libérées depuis décembre 2015. Mais toujours plus de 300 détenus d’opinion. Et 228 prisonniers « fantômes » majoritairement passés par le 10e Cabinet de Koné Mamadou et dont on ne sait s’ils sont encore vivants. Les violations des droits de l’homme restent flagrantes en Côte d’Ivoire. Vers une réinstauration déguisée de la peine de mort ? Michel K. GBAGBO

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FRONT POPULAIRE IVOIRIEN

SECRETARIAT GENERAL

------------------------------SECRETARIAT NATIONAL CHARGE DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE

ET DES PRISONNIERS POLITIQUES

RAPPORT N°1-2016 SUR LES

PRISONNIERS POLITIQUES EN CÔTE

D’IVOIRE

1

RAPPORT N° 1-2016SUR LES

PRISONNIERSPOLITIQUES

EN CÔTED’IVOIRE

15 janvier

2016

102 personnes libérées depuis décembre 2015. Mais toujours plus de300 détenus d’opinion. Et 228 prisonniers « fantômes »majoritairement passés par le 10e Cabinet de Koné Mamadou et donton ne sait s’ils sont encore vivants. Les violations des droits del’homme restent flagrantes en Côte d’Ivoire.

Vers uneréinstaurationdéguisée de la

peine demort ?

Michel K. GBAGBO

INTRODUCTION

Le Front Populaire Ivoirien (FPI) à travers son Secrétariat National chargé

de l’Administration Pénitentiaire et des Prisonniers Politiques (SNAPPP)

produit chaque année quatre Rapports. Le dernier Rapport de l’année 2015 n’a

pas été produit du fait d’un mouvement de libérations de détenus politiques

d’une ampleur appréciable en cette fin d’année 2015. Le souci de ne point

entraver ce mouvement et de pouvoir procéder à une meilleure évaluation des

libérations a motivé la non-production de cet ultime Rapport 2015.

Le présent Rapport est donc le premier de l‘année 2016. (I) Il renseigne

sur l’évolution quantitative du nombre de détenus. (II) Ainsi que sur les

conditions de détention généralement mauvaises des détenus politiques en Côte

d’Ivoire, (III). Il se conclut par des propositions relatives à la possible libération

de tous les détenus politiques et à tout le moins à l’amélioration des conditions

de détention.

Le Rapport de septembre 2015 établissait déjà un diagnostic très critique

quant aux conditions d'arrestation des détenus politiques, aux motivations de

ces arrestations, aux tortures subies par les citoyens ivoiriens à la DST

(Direction de la Surveillance et du Territoire), et à la longueur des détentions

préventives s’étendant généralement sur plusieurs années.

En Côte d’Ivoire, alors même que la notion de détenu ou de prisonnier

politique n’existe pas en droit positif, les déclarations de ministres, telle celle de

2

Madame Affoussi Bamba en 2015, y font référence. Le Chef de l’Etat Alassane

D. Ouattara n’échappe pas à cette pratique. Il se réfère de manière explicite aux

prisonniers politiques dans son Discours de fin d’année 2015.

La grâce annoncée par le Chef de l’Etat ne concerne que deux personnes.

Et elle ne lève pas, même si elle était par la suite étendue aux autres détenus

politiques d’envergure non encore condamnés, l’hypothèque qui pèserait alors

sur leur casier judiciaire et leur participation aux élections en Côte d’ivoire.

Ces prisonniers sont arrêtés, torturés et séquestrés sans motif valable autre

que politique. Et le non-respect des normes, nationales et internationales,

concernant les conditions de détention des personnes incarcérées demeure la

règle.

Ce Rapport veut insister sur le non-respect des droits des prisonniers

politiques et décrit, à partir d’exemples choisis, et récents, le vécu de leur

univers carcéral.

Il se termine par des propositions au Gouvernement ivoirien.

I - EVOLUTION QUANTITATIVE DU NOMBRE DE

DETENUS.

Cette section se compose de six parties. (1) La première et la seconde (2)

reprennent les tableaux de mise à jour du nombre de détenus des mois de

novembre et de décembre 2015. La troisième (3) fait le point des personnes

3

libérées entre décembre 2015 et janvier 2016 (au moment de la rédaction du

présent Rapport). La quatrième (4) présente la situation actuelle chiffrée avec

leur répartition par prison et par qualité (civil et militaire) des détenus politiques

en Côte d’Ivoire. La cinquième (5) présente la catégorie des détenus dits

« fantômes ». A la sixième il revient à l’auteur l’opportunité d'apporter des

commentaires.

1.1. Mise à jour du nombre de détenus du mois de novembre 2015

4

5

N° LIEU DE DETENTIONNOMBRE DE

DETENUS CIVILS

NOMBRE DEDETENUS

MILITAIRES TOTAL

1 MACA 234 54 288

2 MAMA 0 30 30

3 BOUNA 15 0 15

4 BOUNDIALI 10 0 10

5 MAN 1 5 6

6 SEGUELA 6 10 16

7 DIMBOKRO 8 1 9

8 DABOU 5 0 5

9 KATIOLA 5 4 9

10 TOUMODI 4 4 8

11 ECOLE DE POLICE 0 3 3

12 ECOLE DE GENDARMERIE 1 2 3

13 CAMP PENAL DE BOUAKE 7 0 7

14 BASSAM 2 0 2

15 GAGNOA 2 0 2

TOTAL GENERAL 300 113 413

1.2. Brèves mises à jour du nombre de détenus du mois de décembre 2015

N° PRISONS TOTAL1 MACA 2832 HORS MACA 112

TOTAL GENERAL 395

05 décembre 2015

N° PRISONS TOTAL1 MACA 2352 HORS MACA 108

TOTAL GENERAL 343

6

31 décembre 2015 (70 libérations)

1.3. Récapitulatif des personnes libérées au 15 janvier 2016

NB NOM ET PRENOMS1 ZOH LOUA2 BOBLAHI JEAN3 GADJA BAGNON4 KOBU DECKY J.C5 KAPHET GNAKO AIME6 MANIZAN KABRAN KESSE7 AKAFOU ELVIS8 DATTE FREDERIC9 ABI BASSE J.M

10 LAVRI GNIPOU11 MAHAN ALEXANDRE12 SEMI BI TRAN13 HONVOTO GNOMPREGOU14 N'GUESSAN OLIVIER15 DEASSE INES16 BLE MONAN KAGASSIE17 KALOU BI GOURI18 BAH J.B19 ODAGNE GBOGBA FIRMIN20 GBEULI BAHON ANNICET21 AKMEL ANDRE FRANCK22 KORE SERY EVARISTE23 GUEI PAUL24 NEAN IGBA SAMUEL25 SEGBE KOUDJI RUFIN26 ABBE KOUA27 N'GUESSAN N'GUESSAN VICTORIEN28 KESSY NIANGORAN FLAUBERT29 DIOMANDE TOKPA MARIUS30 ASSEMIAN ANDJUI31 GNATE CASIMIR32 SEMIAN TEHE LAURENT33 TAI MANNET34 SARRE GUY35 OULAI AUBIN36 DJOH YEKAZOUA PRINCE37 SOLOU DAGOUAGA ELVIS

7

38 AKE ASSE EDMOND39 ZIRI BADY LARIOS40 BAYA OLIVIER41 PEHE WABLEGNON42 KAPET HIE DESIRE43 OUELLE KOUYA FRANCK44 KESSE KODJO LEON PIERRE45 BOLOU SERY AUGUSTE46 TAHIBE DOLO NOEL47 HINE KOUYA HUBERT48 WELE YASSEROU LEOPOLD49 PEHE ALIDA50 TOH DAVID51 YORO DESIRE52 ZEAN SOH JUNIOR53 EBA ELIAHOU54 OUYABE LUDOVIC55 TAKROMA YETT56 OUYA YIE VICTOR57 ZADI GNALY APPOLINAIRE58 KASSI KASSI HERMAN59 ZOUZOUA KEIPO ARMAN60 KOUASSI KONAN YVES61 HOUEGNON HUBERT62 GUY AHO GHISLAIN63 HINO ROCHMAN64 DJAKALE ERIC65 YOH LAGO MICHAEL66 GNAZALE FABRICE67 KOUYA GUY ROGER68 LOHOURY SERGE69 GNABO KOUDOU70 DOH JEAN CHARLES71 CHINIWA LEOPOLD72 KOFFI KOUADIO KAM FABRICE73 BAH STEPHANE OREL74 LOBA KRAGBE DIDIER75 FAHAN SERGE CREPIN76 GUESSAN BI GUESSAN RAOUL77 N'GUESSAN AFFOUET THOMAS78 DOGBO DOGBO OMER79 ZAGBAI GBELI CALIXTE80 BOLOU BOLOU OLIVIER81 SEKA SEKA ELYSEE82 DANON DJEDJE SEBASTIEN83 DOGO DJEREKE RAPHAEL84 KISSI ALLOUAN VINCENT85 ALLOUAN ALLO8687888990919293949596979899

100101102

8

Non parvenu

1.4. Nombre, répartition et qualité des détenus au 15 janvier 2016

N° LIEU DE DETENTIONNOMBRE DE

DETENUSCIVILS

NOMBREDE

DETENUSMILITAIRES

TOTAL

1 MACA 2222 MAMA 01 17 183 BOUNA 11 00 114 BOUNDIALI 03 00 35 MAN 01 05 66 SEGUELA 02 08 107 DIMBOKRO 08 01 98 DABOU 04 00 49 KATIOLA 7

10 TOUMODI 711 ECOLE DE POLICE O0 03 312 ECOLE DE GENDARMERIE 01 02 313 CAMP PENAL DE BOUAKE 06 00 6 15 GAGNOA 02 00 2

TOTAL GENERAL 311

9

1.5. Cas spéciaux : Les prisonniers « fantômes » (ghost detainees)

Il s’agit de personnes emprisonnées dans des centres de détention de

manière anonyme et clandestine. Ils sont enregistrés par l’administration

judiciaire. Ils ont été présentés à un juge qui les a inculpés. Leur statut est

cependant extrajudiciaire. Ils sont dans des centres de détention clandestins ou

dans des centres administratifs (tel que la DST) mais dont la vocation n’est pas

de garder des prisonniers. Ils ne bénéficient d’aucune protection en matière de

respect de leurs droits. Ils subissent des tortures. Quelques-uns réapparaissent

parfois après des mois ou des années de séquestration.

Exemple n° 1 : Monsieur Samba David. Ce Président de la « Coalition

des Indignés de Côte d’Ivoire » a été arrêté le 13 septembre 2015. Puis transféré

à la DST. Il n’a été inculpé de « troubles à l’ordre public » que le 30 septembre

2015. Il avait critiqué le régime sur les réseaux sociaux et des médias étrangers

peu avant les élections présidentielles.

10

Ce membre de la société civile a été ensuite ramené à la DST où il a

enduré trois mois de séquestration illégale. Et n’a été officiellement mis en

détention à la MACA que le 16 décembre 2015.

L’Administration pénitentiaire l’a enregistré pour « Atteinte à la Sûreté de

l’Etat » et « Complicité de meurtre » alors qu’il n’a été inculpé par un juge que

de « Troubles à l’ordre public », un délit de beaucoup moindre gravité qui aurait

pu lui permettre de retrouver rapidement la liberté.

Ces prisonniers « spéciaux » portent souvent des séquelles physiques ou

mentales visibles quand ils réapparaissent. Certains en meurent. Le dernier cas

tragique en date est celui de Monsieur Kouya Gnepa Eric, décédé faute de soins

le 05 décembre au matin à la MACA (Maison d’Arrêt et de Correction

d’Abidjan).

Il ne s’agit pas d’un état d’exception en droit puisqu’une telle situation

est supposée reposer sur un socle procédural dûment défini. Mais d’un état

d’exception de fait, distinct de la détention administrative, et qui s’applique à

des détenus d’opinion dont on ne sait plus s’ils sont encore vivants au regard de

la situation générale délétère en Côte d’Ivoire en matière de respect des droits de

l’homme. Ces prisonniers illustrent l’existence en Côte d’Ivoire d’un état

d’exception à l’intérieur du cadre spécial de l’état d’exception. La DST et le

camp d’Adjamé pour Abidjan constituent les principaux lieux de ce type de

11

rétention extrajudiciaire selon plusieurs sources. Depuis le 11 avril 2011, le

nombre de « détenus fantômes » est estimé à 228 prisonniers.

CABINET ET JUGE CIVILS MILITAIRES STATUT

INDETERMINE

TOTAL

10e CAB KONE MAMADOU 92 11 04 1079e CAB CISSE LOCENI 01 018e CAB COULIBALY OUSMANE 27 02 01 305e CAB KONE BRAHAMANE 01 013e CAB YOPOUGON 01 01TRIBUNAL SEGUELA 06 06TRIBUNAL MILITAIRE 61 61CAB KOFFI ROGER 09 02 11CAB INDETERMINE 04 05 01 10TOTAL 132 88 8 228

Prisonniers "fantômes" - janvier 2016

1.6. Commentaires

Il faut regretter l’existence de difficultés dans le recueil des données

chiffrées. Les Tribunaux ivoiriens ont pour habitude en ce qui concerne les

détenus politiques de procéder à leur extraction des lieux d’incarcération et à

leur comparution sans en informer les avocats.

Il en découle que se produisent dans un désert procédural alarmant : des

libérations provisoires parfois sans aucun document signé par le prévenu ou ses

12

avocats, l’établissement de non-lieux, voire de non-lieux suivis de nouvelles

inculpations immédiates sans présence de conseils, des libertés provisoires

accordées à des personnes incarcérées mais non inculpées voire des transferts de

prisonniers d’une prison à l’autre, etc. On ne sait pas exactement en Côte

d’Ivoire, au vu de ces pratiques, si les détenus politiques dépendent du Ministère

de la Justice ou de celui de l’Intérieur.

Il n’est donc pas toujours aisé de disposer prorata temporis de données

exactement fiables concernant la nomenclature et la répartition des détenus.

Cette situation a pu avoir un impact sur l’exactitude des chiffres fournis dans ce

Rapport.

De nouvelles perspectives de recherche sont en cours d’examen afin de

contourner ces difficultés liées à l’institution judiciaire.

Les données disponibles à ce jour permettent néanmoins de constater que

du fait du Prince existe un affaissement du nombre de détenus politiques en cette

fin d’année 2015. Cela est consacré par la mise en liberté provisoire de 1O2

prisonniers selon certaines données, soit environ 23 % de la totalité des

personnes incarcérées en novembre 2015.

Si ce pourcentage est intéressant, et très encourageant, il reste à savoir si

le Gouvernement ivoirien nouvellement formé après les élections présidentielles

de 2015 opérera un véritable virage dans la politique de répression jusque-là en

13

vigueur. L’on devra observer s’il procédera à une libération exhaustive des

détenus d’opinion.

Les périodes électorales sont généralement concomitantes aux entraves à

la liberté de la presse et d’opinion. La Côte d’Ivoire connaitra cette année 2016

une période d’échéances législatives et municipales. Il est à craindre une montée

de violences et de nouveaux actes répressifs.

Il est donc plus qu’urgent qu’un dialogue républicain s’engage en Côte

d’Ivoire. Cela afin que l’Institution judiciaire et les forces de police et de

gendarmerie ainsi que les FRCI deviennent républicaines. Qu’elles s’auréolent

de crédibilité. Et qu’elles ne constituent plus des instruments de mise en œuvre

d’une politique gouvernementale apparemment tribale de vengeance envers les

communautés supposées proches de l’opposition.

En outre, la presse nationale et internationale s’est fait écho d’un message

encourageant du chef de l’Etat annonçant avoir gracié un peu plus de 3000

détenus de la crise postélectorale de 2011.

Malgré le large écho dont a bénéficié ce message de fin d’année du Chef

de l’Etat, seulement deux prisonniers politiques ont pu bénéficier des effets de la

grâce présidentielle. Tous les autres étaient des détenus de droit commun.

En tout état de cause cette grâce annoncée pose question. Non seulement

du fait de l’impact insignifiant de sa mise en œuvre sur la situation individuelle

14

de centaines de détenus politiques. Mais aussi parce qu’en cas d’exécution

ultérieure, elle s’apparenterait à un déni de justice. Cela pourrait se traduire par

une extension abusive du pouvoir exécutif dans la matière judiciaire. Elle sonne

en effet comme une mise en demeure aux Tribunaux « spéciaux » de condamner

afin que l’exécutif puisse - éventuellement - gracier.

Un tel procédé contribuerait à enfermer d’éminentes personnalités

politiques de l’opposition de premier plan dans l’étau de casiers judiciaires

inexploitables. Libres, elles n’en demeureraient pas moins inéligibles. Une telle

situation traduirait une tentative de musèlement de l’opposition significative et

de réinstauration d’un Parti Unique de fait en Côte d’Ivoire.

De telles pratiques confirmant l’existence d’une dérive autoritaire du

pouvoir ivoirien ne devraient pas perdurer. La Côte d’Ivoire devrait en référer en

matière politique et judiciaire aux valeurs républicaines et citoyennes

universelles d’égalité et de liberté, de respect de la propriété privé, de la vie

humaine, de la dignité attachée à la vie humaine et bien sûr de séparation des

pouvoirs.

Il ne devrait pas exister dans un Etat de droit de prisonniers « fantômes ».

Toute personne inculpée par un juge d’instruction devrait soit jouir de liberté

provisoire dans l’attente de son procès, soit être mise sous mandat de dépôt. Et

rejoindre une Maison d’Arrêt.

15

La disparition de 228 personnes inculpées notamment par le Juge Koné

Mamadou, est très préoccupante et laisse planer des doutes sur ce qui leur est

arrivé depuis lors.

II – LES DROITS FONDAMENTAUX DES DETENUS

2.1. Le droit à la sécurité

La prison est en soi un lieu de privation et de limitation des libertés. Les

prisonniers n’en demeurent pas moins détenteurs de droits. L'autorité

administrative pénitentiaire doit œuvrer contre les mauvais traitements, les

agressions et les tortures que pourraient subir les détenus. Or, force est de

constater que tel n’est pas le cas en Côte d’Ivoire. Notamment en ce qui

concerne les détenus politiques.

Exemple n°2 : Monsieur Simon Pierre Ehivet. Le 12 janvier 2015 à la

MACA, le célèbre prisonnier de droit commun « Yacou le Chinois » passe

devant Monsieur Simon-Pierre Ehivet, frère de l’ex-première dame ivoirienne.

Ce dernier ne s’étant pas levé à son passage, le nommé « Yacou le Chinois »

s’en prend violemment à lui, lui reprochant un « manque de respect ». Souffrant

de nombreuses contusions, Monsieur Ehivet Simon-Pierre est conduit plus tard

par d’autres détenus à l’Infirmerie de la MACA. Aucune sanction disciplinaire à

l’encontre du nommé « Yacou le Chinois » n’a été prise par la Direction de la

16

Prison. Monsieur Simon-Pierre Ehivet est malvoyant et souffre d’une autre

pathologie chronique et handicapante.

A la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), les détenus

politiques ne sont pas gérés directement par l’Administration pénitentiaire.

Celle-ci « sous-traite » sa mission régalienne à « Yacou le Chinois », un ancien

FRCI1. Ce dernier y joue le rôle de « Kapo » et de supplétif de l’Administration.

A la tête d’une organisation criminelle, laquelle sévit à l’intérieur même

de la prison, celui-ci régente la vie carcérale et prélève des taxes journalières et

hebdomadaires sur la mobilité des détenus.

Si un détenu doit répondre à une convocation du greffe du fait d’une visite

au parloir, il est tenu de verser une taxe avant de rencontrer son visiteur.

Toute personne qui par ses propos, son attitude ou pour toute autre raison

tendrait à apparaitre comme une menace à l’ordre public interne instauré par

« Yacou le Chinois » courrait en retour le risque de subir un acte de répression.

Exemple n°3: Monsieur Oula Anselme. Pour avoir refusé de manière

explicite de poser sa signature en bas d’une pétition de demande de pardon au

Chef de l’Etat, Alassane D. Ouattara, ce membre du COJEP2 s’est retrouvé

1 Forces Républicaines de Côte d’Ivoire2 Congrès de la Jeunesse Panafricaine

17

durant près de dix jours enfermé au « Blindé »3 – la cellule d’isolement – par des

« gardes du cops » de « Yacou le Chinois ».

Malgré de nombreux incidents de ce genre et la quasi-institutionnalisation

du racket et de la violence, et en dépit de l’écho de ce phénomène alarmant dans

la presse nationale d’opposition, « Yakou le Chinois » ne fut jamais

significativement inquiété par l’Administration pénitentiaire. Cela laisse

supposer l’existence de passerelles inquiétantes d’intérêts pécuniaires et

politiques convergents.

2.2. Le droit à la santé

Plus que les autres, les détenus politiques éprouvent toutes les difficultés à

avoir accès aux soins lorsque cela s’avère nécessaire. Parfois ces difficultés sont

telles que le prisonnier décède.

Exemple n° 4 : Monsieur Kouya Gnepa Eric. Ce détenu d’opinion

militant de l’UNG (Union des Nouvelles Générations) est décédé le 04

décembre 2015 à 7H 30 environ à la MACA (Maison d’Arrêt et de Correction

d’Abidjan). Après son arrestation début avril 2015 peu avant les élections

présidentielles, il a subi d’atroces tortures à la DST. Trois orteils lui ont été

arrachés.

3 Le « Blindé » ou « Cachot » joue le rôle de QHS (Quartier de Haute Sécurité).

18

L'ayant mis finalement sous mandat de dépôt le 14 avril 2015,

l’Administration pénitentiaire l’a laissé sans soin médical malgré toutes ses

suppliques. Atteint de fièvre, d’infection, de malnutrition, de troubles cardiaques

et neurologiques, de beriberi et d’un ulcère gastrique aigu, il a finalement

succombé le 05 décembre au matin dans l’indifférence générale.

La Morgue de la MACA, non fonctionnelle, a invoqué des difficultés

administratives pour ne pas livrer le corps du défunt à sa famille. Cela aurait

pourtant permis le transfert de la dépouille dans une morgue capable de

conserver la sépulture dans de meilleures conditions de dignité. Le corps de

Monsieur Kouya Gnepa Eric a finalement été rendu à sa famille dans un état de

putréfaction avancée interdisant en principe toute possibilité d’examen post-

mortem. Il a été enterré sans permis d’inhumer.

Pour rappel, trois autres détenus d’opinion ont également rendu l’âme

dans des conditions similaires au sein des prisons ivoiriennes. Il s’agit de

Messieurs Koffi N'Dri Boniface et Pekoula Joel décédés en 2013 et d’Assemian

Maturin le 15 novembre 2014.

De la prison à l'hôpital le chemin est souvent long à l’excès : la lourdeur

administrative, la mauvaise volonté des autorités pénitentiaire de porter secours

aux opposants politiques et la peur de prendre une quelconque responsabilité

dans le transfert éventuel de détenus politiques expliquent cela.

19

Exemple n°5 : Monsieur le Ministre Danon Djedje. A l’article de la

mort suite à une crise cardiaque majeure à la prison de Toumodi, cet ancien

Ministre (chargé de la Réconciliation nationale) du Président Laurent Gbagbo

doit la vie à la prompte intervention d’un agent d’encadrement pénitentiaire qui

fit son travail. Après l’évacuation sanitaire du Ministre Danon Djédjé à l’Institut

de Cardiologie d’Abidjan, les trois agents d’encadrement pénitentiaire en poste

cette nuit-là ont été sanctionnés par leur hiérarchie pour « faute lourde ». On leur

reproche d’avoir permis l’extraction sanitaire du prisonnier malade. Ces trois

fonctionnaires, agents de l’Administration pénitentiaire, sont actuellement

détenus à la MACA sous le Mandat de dépôt n° 16.10.2015. Il s’agit de

Messieurs Kombo Kouassi Pierre, Ouattara Ali et Monpotchain Aristide.

Ces sanctions disproportionnées visent à décourager toute tentative

d’évacuation sanitaire de détenu politique même à l’article de la mort. Le droit à

la santé demeure pourtant un droit inaliénable de toute personne incarcérée.

Faute d'avoir un nombre suffisant de médecins et de spécialistes

intervenant directement en milieu carcéral, (médecin généraliste,

ophtalmologue, dentiste, psychologue, psychiatre, rhumatologue etc.), de

nombreux détenus vivent de longues années avec leur mal. Une fois libérés, il

n’est pas rare qu’ils décèdent peu après de leurs pathologies (infection

pulmonaire, tuberculose, hypertension artérielle…).

20

Exemple n° 6 : Monsieur Tierou Eder. Monsieur Tiédou Eder est

décédé le 31 décembre 2015 à Guiglo un peu plus d’un an après sa libération.

Les quelques exemples cités sont clairement récents. Ils illustrent de

manière précise la situation d’atteinte généralisée aux droits fondamentaux des

détenus lors de leur incarcération pour des motifs politiques en Côte d’Ivoire.

Du fait de la surpopulation dans les prisons, la promiscuité a un impact

négatif sur l’hygiène et l’état de santé des détenus.

Aucune règle nationale en matière d’hygiène et de séparation n’est

respectée. Aucun magistrat ne s’enquiert jamais des conditions de la détention.

Pour des motifs variés, politiques, administratifs et disciplinaires, les

évacuations sanitaires constituent des exceptions réservées à quelques rares

autorités politiques de l’opposition.

2.3. Le droit à la nourriture

Quel que soit le lieu de détention, la santé des détenus reste déplorable. Il

existe un lien entre manque de nourriture et santé.

L’Etat refuse se montre incapable la nourriture suffisante et les soins

médicaux nécessaires aux détenus politiques dont il a en principe la charge.

La présence de quelques médecins et infirmiers à la MACA et dans les

centres régionaux de santé pour les prisons situées au Nord du pays ne

s’accompagne pas d’une mise à disposition de médicaments.

21

La malnutrition aidant, les maladies opportunistes se développent

aisément sur les organismes affaiblis mettant en évidence le lien existant entre

mauvaise hygiène, manque de soins et sous-alimentation.

Les nombreux cas de Béribéri enregistrés chez les détenus et les ex-

prisonniers politiques provoqués par la famine et le manque de nourriture

équilibrée témoignent de la situation dramatique prévalant dans tous les lieux de

détention.

Les conditions de détention dans les prisons ivoiriennes restent

inacceptables cinq années après la prise de pouvoir par Alassane D. Ouattara.

Les grèves entamées par les prisonniers politiques en 2014 quant à

l’absence de véritable procédure judicaire et à l’insuffisance de l’accès à une

nourriture suffisante et équilibrée ainsi qu’aux soins médicaux n’ont pas entrainé

d’amélioration de la situation.

Les déficiences graves dans l’alimentation, le manque d’hygiène et de

soin approprié et la surpopulation continuent à engendrer chez les centaines de

détenus politiques des maux tels que des insuffisances cardiaques, des troubles

neurologiques, une fatigue généralisée, des troubles de la vision, de la nervosité

et une grande variabilité de l’humeur tous liés à la malnutrition et à la

destruction des vitamines B dans l’organisme.

La resocialisation de ces sujets risque, à terme, de devenir un défi majeur

pour la cohésion sociale en Côte d’Ivoire. Aucun citoyen ne devrait subir de la

22

part d’un Etat, pareil traitement, visant à le détruire à petit feu du fait de ses

opinions supposées ou de son appartenance ethnique.

Il est logique d’affirmer que dans ces conditions, être détenu politique en

Côte d’Ivoire équivaut à être condamné à mort.

III – RECOMMANDATIONS

Ce rapport formule quelques recommandations au Gouvernement ivoirien.

Elles visent à (1) améliorer la situation politique nationale et (2) à normaliser les

conditions de détention.

3.1. Améliorer la situation politique nationale

Le Gouvernement a procédé à la mise en liberté provisoire d’une centaine

de détenus politiques dits « pro-Gbagbo » à la fin de l’année 2015. Cette action

positive a soulagé de nombreuses familles ivoiriennes. Et elle a sans nul doute

contribué à amorcer cinq années après la crise militaro-politique un début

symbolique du processus de réconciliation nationale.

Elle reste cependant insuffisante. Ce sont tous les détenus politiques

ivoiriens, civiles comme militaires, qui devraient recouvrer la liberté.

La liberté d’aller et venir, d’exprimer une opinion politique, le « fait de

Dieu » de posséder telle ou telle ethnie ne devraient pas constituer de motif

suffisant pour subir des arrestations arbitraires, des tortures et un

emprisonnement de longue durée sans jugement.

23

Pour amorcer véritablement un début de processus de réconciliation

nationale consensuel, il faudrait le plus tôt possible procéder :

- A la libération de tous les prisonniers politiques. La loi ivoirienne ne

reconnait pas de prisonnier politique.

- A l’adoption d’une loi d’amnistie pour tous les délits liés à la crise

politique ivoirienne.

- A la transformation des FRCI en une armée républicaine qui ne travaille

ni pour un clan ni pour un groupe tribal et religieux mais pour la Nation.

- A l’instauration d’une Institution judiciaire véritablement indépendante

du pouvoir exécutif et présidentiel.

- A une reprise totale du processus d’écoute, de recensement et

d’accompagnement des victimes de la crise postélectorale en y incluant - plutôt

que de les contraindre à l’exil ou de les emprisonner- les citoyens ivoiriens

réputés être des « pro-Gbagbo ».

- A la libération immédiate et à l’inclusion dans ce processus de tous les

Ivoiriens incarcérés dans les « prisons fantômes » et dont ni les familles ni les

avocats n’ont de nouvelles depuis plusieurs années.

3.2. Normaliser les conditions de détention

Concernant la situation de mort lente à laquelle sont soumis les détenus

politiques, il importe que des mesures urgentes soient prises afin de renforcer au

plan national et international la haute crédibilité de l’appareil pénitentiaire

ivoirien. Et afin également que soient respectés tous les engagements nationaux

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et internationaux en matière de respect des droits humains et de droit

pénitentiaire national.

Il s’agit notamment :

- De ne plus procéder aux arrestations systématiques, aux tortures et aux

incarcérations de nature politique.

- De diminuer significativement la durée des incarcérations préventives et

de juger les détenus politiques dans des délais raisonnables.

- De prendre d’urgence les mesures nécessaires afin de remédier à la

situation de malnutrition dans les prisons.

- De prendre des mesures courageuses visant à un amoindrissement de la

surpopulation carcérale.

- De faciliter les extractions pour raisons médicales et de faire respecter

par les membres de l’Administration pénitentiaire le secret médical des détenus

politiques en souffrance.

- De mettre à la disposition des détenus politiques des médecins, des

spécialistes et des médicaments permettant d’offrir un système de prise en

charge adapté aux pathologies bénignes comme graves (rhume, céphalées

cancer, insuffisance rénale…) afin d’éviter des situations d’urgence auxquelles

l’Administration pénitentiaire se montre incapable de faire face.

- D’assurer une meilleure organisation et efficience des politiques

d’hygiène à l’intérieur des prisons.

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- De fournir aux détenus politiques une nourriture variée, équilibrée et

régulière (au moins deux repas par jour).

CONCLUSION

En Côte d’Ivoire, bien que non reconnu par le droit positif, le concept de

prisonnier politique recouvre une réalité affligeante, inquiétante et variée. Il est

malheureux de constater la banalisation de ce concept dans le discours politique

officiel et administratif. Pour notre part, des réflexions sont en cours qui

envisagent d’y inclure la centaine d’ex-FRCI incarcérés suite à des

revendications salariales.

Les motifs de telles arrestations politiques d’opposants, de fonctionnaires,

de membres de la société civile, de citoyens innocents, de personnes

handicapées ainsi que les conditions dans lesquelles s’opèrent celles-ci

s’exonèrent de tout fondement juridique. Ces procédés inqualifiables constituent

avec flagrance un déni de droit et un abus récurrent d’autorité.

Les opinions exprimées ou supposées et l’appartenance communautaire

ou religieuse ne devraient pas constituer dans un Etat de droit un motif suffisant

pour justifier des préjudices extrêmes comme la torture, l’enfermement et la

spoliation des biens ou de la vie.

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Il ne devrait pas non plus exister de prisonnier « fantôme ». Tout

prisonnier incarcéré devrait l’être dans une Maison d’Arrêt et de Correction

placée sous le contrôle exclusif et direct de l’Administration pénitentiaire. Une

enquête approfondie devra être menée afin de situer les familles sur le sort de

228 citoyens ivoiriens disparus.

Près d’une centaine de « prisonniers politiques » se sont retrouvés en

liberté provisoire en cette fin d’année 2015. Ce signe encourageant de

décrispation devra se poursuivre afin d’amorcer, cinq année après l’arrivée au

pouvoir d’Alassane D. Ouattara, un début symbolique du processus de

réconciliation nationale.

Un débat républicain et citoyen devrait également être amorcé. Car les

échéances électorales locales à venir en 2016 constituent un facteur élevé de

risque de violence, de répression et de nouvelles incarcérations.

Il importe d’insister sue la nécessité pour le Gouvernement de Côte

d’Ivoire d’accorder une attention particulière à la situation des détenus

politiques ivoiriens. Les conditions générales exécrables de détention appellent

une réponse rapide ; elles s’apparentent sinon à une forme déguisée de

réinstauration de la peine de mort en Côte d’Ivoire.

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Tous les citoyens ivoiriens, de toute communauté et de tout horizon

politique, devraient pouvoir participer à un processus de réconciliation inclusif

qui reste à amorcer.

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