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FRONT POPULAIRE IVOIRIEN
SECRETARIAT GENERAL
------------------------------SECRETARIAT NATIONAL CHARGE DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE
ET DES PRISONNIERS POLITIQUES
RAPPORT N°1-2016 SUR LES
PRISONNIERS POLITIQUES EN CÔTE
D’IVOIRE
1
RAPPORT N° 1-2016SUR LES
PRISONNIERSPOLITIQUES
EN CÔTED’IVOIRE
15 janvier
2016
102 personnes libérées depuis décembre 2015. Mais toujours plus de300 détenus d’opinion. Et 228 prisonniers « fantômes »majoritairement passés par le 10e Cabinet de Koné Mamadou et donton ne sait s’ils sont encore vivants. Les violations des droits del’homme restent flagrantes en Côte d’Ivoire.
Vers uneréinstaurationdéguisée de la
peine demort ?
Michel K. GBAGBO
INTRODUCTION
Le Front Populaire Ivoirien (FPI) à travers son Secrétariat National chargé
de l’Administration Pénitentiaire et des Prisonniers Politiques (SNAPPP)
produit chaque année quatre Rapports. Le dernier Rapport de l’année 2015 n’a
pas été produit du fait d’un mouvement de libérations de détenus politiques
d’une ampleur appréciable en cette fin d’année 2015. Le souci de ne point
entraver ce mouvement et de pouvoir procéder à une meilleure évaluation des
libérations a motivé la non-production de cet ultime Rapport 2015.
Le présent Rapport est donc le premier de l‘année 2016. (I) Il renseigne
sur l’évolution quantitative du nombre de détenus. (II) Ainsi que sur les
conditions de détention généralement mauvaises des détenus politiques en Côte
d’Ivoire, (III). Il se conclut par des propositions relatives à la possible libération
de tous les détenus politiques et à tout le moins à l’amélioration des conditions
de détention.
Le Rapport de septembre 2015 établissait déjà un diagnostic très critique
quant aux conditions d'arrestation des détenus politiques, aux motivations de
ces arrestations, aux tortures subies par les citoyens ivoiriens à la DST
(Direction de la Surveillance et du Territoire), et à la longueur des détentions
préventives s’étendant généralement sur plusieurs années.
En Côte d’Ivoire, alors même que la notion de détenu ou de prisonnier
politique n’existe pas en droit positif, les déclarations de ministres, telle celle de
2
Madame Affoussi Bamba en 2015, y font référence. Le Chef de l’Etat Alassane
D. Ouattara n’échappe pas à cette pratique. Il se réfère de manière explicite aux
prisonniers politiques dans son Discours de fin d’année 2015.
La grâce annoncée par le Chef de l’Etat ne concerne que deux personnes.
Et elle ne lève pas, même si elle était par la suite étendue aux autres détenus
politiques d’envergure non encore condamnés, l’hypothèque qui pèserait alors
sur leur casier judiciaire et leur participation aux élections en Côte d’ivoire.
Ces prisonniers sont arrêtés, torturés et séquestrés sans motif valable autre
que politique. Et le non-respect des normes, nationales et internationales,
concernant les conditions de détention des personnes incarcérées demeure la
règle.
Ce Rapport veut insister sur le non-respect des droits des prisonniers
politiques et décrit, à partir d’exemples choisis, et récents, le vécu de leur
univers carcéral.
Il se termine par des propositions au Gouvernement ivoirien.
I - EVOLUTION QUANTITATIVE DU NOMBRE DE
DETENUS.
Cette section se compose de six parties. (1) La première et la seconde (2)
reprennent les tableaux de mise à jour du nombre de détenus des mois de
novembre et de décembre 2015. La troisième (3) fait le point des personnes
3
libérées entre décembre 2015 et janvier 2016 (au moment de la rédaction du
présent Rapport). La quatrième (4) présente la situation actuelle chiffrée avec
leur répartition par prison et par qualité (civil et militaire) des détenus politiques
en Côte d’Ivoire. La cinquième (5) présente la catégorie des détenus dits
« fantômes ». A la sixième il revient à l’auteur l’opportunité d'apporter des
commentaires.
1.1. Mise à jour du nombre de détenus du mois de novembre 2015
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5
N° LIEU DE DETENTIONNOMBRE DE
DETENUS CIVILS
NOMBRE DEDETENUS
MILITAIRES TOTAL
1 MACA 234 54 288
2 MAMA 0 30 30
3 BOUNA 15 0 15
4 BOUNDIALI 10 0 10
5 MAN 1 5 6
6 SEGUELA 6 10 16
7 DIMBOKRO 8 1 9
8 DABOU 5 0 5
9 KATIOLA 5 4 9
10 TOUMODI 4 4 8
11 ECOLE DE POLICE 0 3 3
12 ECOLE DE GENDARMERIE 1 2 3
13 CAMP PENAL DE BOUAKE 7 0 7
14 BASSAM 2 0 2
15 GAGNOA 2 0 2
TOTAL GENERAL 300 113 413
1.2. Brèves mises à jour du nombre de détenus du mois de décembre 2015
N° PRISONS TOTAL1 MACA 2832 HORS MACA 112
TOTAL GENERAL 395
05 décembre 2015
N° PRISONS TOTAL1 MACA 2352 HORS MACA 108
TOTAL GENERAL 343
6
31 décembre 2015 (70 libérations)
1.3. Récapitulatif des personnes libérées au 15 janvier 2016
NB NOM ET PRENOMS1 ZOH LOUA2 BOBLAHI JEAN3 GADJA BAGNON4 KOBU DECKY J.C5 KAPHET GNAKO AIME6 MANIZAN KABRAN KESSE7 AKAFOU ELVIS8 DATTE FREDERIC9 ABI BASSE J.M
10 LAVRI GNIPOU11 MAHAN ALEXANDRE12 SEMI BI TRAN13 HONVOTO GNOMPREGOU14 N'GUESSAN OLIVIER15 DEASSE INES16 BLE MONAN KAGASSIE17 KALOU BI GOURI18 BAH J.B19 ODAGNE GBOGBA FIRMIN20 GBEULI BAHON ANNICET21 AKMEL ANDRE FRANCK22 KORE SERY EVARISTE23 GUEI PAUL24 NEAN IGBA SAMUEL25 SEGBE KOUDJI RUFIN26 ABBE KOUA27 N'GUESSAN N'GUESSAN VICTORIEN28 KESSY NIANGORAN FLAUBERT29 DIOMANDE TOKPA MARIUS30 ASSEMIAN ANDJUI31 GNATE CASIMIR32 SEMIAN TEHE LAURENT33 TAI MANNET34 SARRE GUY35 OULAI AUBIN36 DJOH YEKAZOUA PRINCE37 SOLOU DAGOUAGA ELVIS
7
38 AKE ASSE EDMOND39 ZIRI BADY LARIOS40 BAYA OLIVIER41 PEHE WABLEGNON42 KAPET HIE DESIRE43 OUELLE KOUYA FRANCK44 KESSE KODJO LEON PIERRE45 BOLOU SERY AUGUSTE46 TAHIBE DOLO NOEL47 HINE KOUYA HUBERT48 WELE YASSEROU LEOPOLD49 PEHE ALIDA50 TOH DAVID51 YORO DESIRE52 ZEAN SOH JUNIOR53 EBA ELIAHOU54 OUYABE LUDOVIC55 TAKROMA YETT56 OUYA YIE VICTOR57 ZADI GNALY APPOLINAIRE58 KASSI KASSI HERMAN59 ZOUZOUA KEIPO ARMAN60 KOUASSI KONAN YVES61 HOUEGNON HUBERT62 GUY AHO GHISLAIN63 HINO ROCHMAN64 DJAKALE ERIC65 YOH LAGO MICHAEL66 GNAZALE FABRICE67 KOUYA GUY ROGER68 LOHOURY SERGE69 GNABO KOUDOU70 DOH JEAN CHARLES71 CHINIWA LEOPOLD72 KOFFI KOUADIO KAM FABRICE73 BAH STEPHANE OREL74 LOBA KRAGBE DIDIER75 FAHAN SERGE CREPIN76 GUESSAN BI GUESSAN RAOUL77 N'GUESSAN AFFOUET THOMAS78 DOGBO DOGBO OMER79 ZAGBAI GBELI CALIXTE80 BOLOU BOLOU OLIVIER81 SEKA SEKA ELYSEE82 DANON DJEDJE SEBASTIEN83 DOGO DJEREKE RAPHAEL84 KISSI ALLOUAN VINCENT85 ALLOUAN ALLO8687888990919293949596979899
100101102
8
Non parvenu
1.4. Nombre, répartition et qualité des détenus au 15 janvier 2016
N° LIEU DE DETENTIONNOMBRE DE
DETENUSCIVILS
NOMBREDE
DETENUSMILITAIRES
TOTAL
1 MACA 2222 MAMA 01 17 183 BOUNA 11 00 114 BOUNDIALI 03 00 35 MAN 01 05 66 SEGUELA 02 08 107 DIMBOKRO 08 01 98 DABOU 04 00 49 KATIOLA 7
10 TOUMODI 711 ECOLE DE POLICE O0 03 312 ECOLE DE GENDARMERIE 01 02 313 CAMP PENAL DE BOUAKE 06 00 6 15 GAGNOA 02 00 2
TOTAL GENERAL 311
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1.5. Cas spéciaux : Les prisonniers « fantômes » (ghost detainees)
Il s’agit de personnes emprisonnées dans des centres de détention de
manière anonyme et clandestine. Ils sont enregistrés par l’administration
judiciaire. Ils ont été présentés à un juge qui les a inculpés. Leur statut est
cependant extrajudiciaire. Ils sont dans des centres de détention clandestins ou
dans des centres administratifs (tel que la DST) mais dont la vocation n’est pas
de garder des prisonniers. Ils ne bénéficient d’aucune protection en matière de
respect de leurs droits. Ils subissent des tortures. Quelques-uns réapparaissent
parfois après des mois ou des années de séquestration.
Exemple n° 1 : Monsieur Samba David. Ce Président de la « Coalition
des Indignés de Côte d’Ivoire » a été arrêté le 13 septembre 2015. Puis transféré
à la DST. Il n’a été inculpé de « troubles à l’ordre public » que le 30 septembre
2015. Il avait critiqué le régime sur les réseaux sociaux et des médias étrangers
peu avant les élections présidentielles.
10
Ce membre de la société civile a été ensuite ramené à la DST où il a
enduré trois mois de séquestration illégale. Et n’a été officiellement mis en
détention à la MACA que le 16 décembre 2015.
L’Administration pénitentiaire l’a enregistré pour « Atteinte à la Sûreté de
l’Etat » et « Complicité de meurtre » alors qu’il n’a été inculpé par un juge que
de « Troubles à l’ordre public », un délit de beaucoup moindre gravité qui aurait
pu lui permettre de retrouver rapidement la liberté.
Ces prisonniers « spéciaux » portent souvent des séquelles physiques ou
mentales visibles quand ils réapparaissent. Certains en meurent. Le dernier cas
tragique en date est celui de Monsieur Kouya Gnepa Eric, décédé faute de soins
le 05 décembre au matin à la MACA (Maison d’Arrêt et de Correction
d’Abidjan).
Il ne s’agit pas d’un état d’exception en droit puisqu’une telle situation
est supposée reposer sur un socle procédural dûment défini. Mais d’un état
d’exception de fait, distinct de la détention administrative, et qui s’applique à
des détenus d’opinion dont on ne sait plus s’ils sont encore vivants au regard de
la situation générale délétère en Côte d’Ivoire en matière de respect des droits de
l’homme. Ces prisonniers illustrent l’existence en Côte d’Ivoire d’un état
d’exception à l’intérieur du cadre spécial de l’état d’exception. La DST et le
camp d’Adjamé pour Abidjan constituent les principaux lieux de ce type de
11
rétention extrajudiciaire selon plusieurs sources. Depuis le 11 avril 2011, le
nombre de « détenus fantômes » est estimé à 228 prisonniers.
CABINET ET JUGE CIVILS MILITAIRES STATUT
INDETERMINE
TOTAL
10e CAB KONE MAMADOU 92 11 04 1079e CAB CISSE LOCENI 01 018e CAB COULIBALY OUSMANE 27 02 01 305e CAB KONE BRAHAMANE 01 013e CAB YOPOUGON 01 01TRIBUNAL SEGUELA 06 06TRIBUNAL MILITAIRE 61 61CAB KOFFI ROGER 09 02 11CAB INDETERMINE 04 05 01 10TOTAL 132 88 8 228
Prisonniers "fantômes" - janvier 2016
1.6. Commentaires
Il faut regretter l’existence de difficultés dans le recueil des données
chiffrées. Les Tribunaux ivoiriens ont pour habitude en ce qui concerne les
détenus politiques de procéder à leur extraction des lieux d’incarcération et à
leur comparution sans en informer les avocats.
Il en découle que se produisent dans un désert procédural alarmant : des
libérations provisoires parfois sans aucun document signé par le prévenu ou ses
12
avocats, l’établissement de non-lieux, voire de non-lieux suivis de nouvelles
inculpations immédiates sans présence de conseils, des libertés provisoires
accordées à des personnes incarcérées mais non inculpées voire des transferts de
prisonniers d’une prison à l’autre, etc. On ne sait pas exactement en Côte
d’Ivoire, au vu de ces pratiques, si les détenus politiques dépendent du Ministère
de la Justice ou de celui de l’Intérieur.
Il n’est donc pas toujours aisé de disposer prorata temporis de données
exactement fiables concernant la nomenclature et la répartition des détenus.
Cette situation a pu avoir un impact sur l’exactitude des chiffres fournis dans ce
Rapport.
De nouvelles perspectives de recherche sont en cours d’examen afin de
contourner ces difficultés liées à l’institution judiciaire.
Les données disponibles à ce jour permettent néanmoins de constater que
du fait du Prince existe un affaissement du nombre de détenus politiques en cette
fin d’année 2015. Cela est consacré par la mise en liberté provisoire de 1O2
prisonniers selon certaines données, soit environ 23 % de la totalité des
personnes incarcérées en novembre 2015.
Si ce pourcentage est intéressant, et très encourageant, il reste à savoir si
le Gouvernement ivoirien nouvellement formé après les élections présidentielles
de 2015 opérera un véritable virage dans la politique de répression jusque-là en
13
vigueur. L’on devra observer s’il procédera à une libération exhaustive des
détenus d’opinion.
Les périodes électorales sont généralement concomitantes aux entraves à
la liberté de la presse et d’opinion. La Côte d’Ivoire connaitra cette année 2016
une période d’échéances législatives et municipales. Il est à craindre une montée
de violences et de nouveaux actes répressifs.
Il est donc plus qu’urgent qu’un dialogue républicain s’engage en Côte
d’Ivoire. Cela afin que l’Institution judiciaire et les forces de police et de
gendarmerie ainsi que les FRCI deviennent républicaines. Qu’elles s’auréolent
de crédibilité. Et qu’elles ne constituent plus des instruments de mise en œuvre
d’une politique gouvernementale apparemment tribale de vengeance envers les
communautés supposées proches de l’opposition.
En outre, la presse nationale et internationale s’est fait écho d’un message
encourageant du chef de l’Etat annonçant avoir gracié un peu plus de 3000
détenus de la crise postélectorale de 2011.
Malgré le large écho dont a bénéficié ce message de fin d’année du Chef
de l’Etat, seulement deux prisonniers politiques ont pu bénéficier des effets de la
grâce présidentielle. Tous les autres étaient des détenus de droit commun.
En tout état de cause cette grâce annoncée pose question. Non seulement
du fait de l’impact insignifiant de sa mise en œuvre sur la situation individuelle
14
de centaines de détenus politiques. Mais aussi parce qu’en cas d’exécution
ultérieure, elle s’apparenterait à un déni de justice. Cela pourrait se traduire par
une extension abusive du pouvoir exécutif dans la matière judiciaire. Elle sonne
en effet comme une mise en demeure aux Tribunaux « spéciaux » de condamner
afin que l’exécutif puisse - éventuellement - gracier.
Un tel procédé contribuerait à enfermer d’éminentes personnalités
politiques de l’opposition de premier plan dans l’étau de casiers judiciaires
inexploitables. Libres, elles n’en demeureraient pas moins inéligibles. Une telle
situation traduirait une tentative de musèlement de l’opposition significative et
de réinstauration d’un Parti Unique de fait en Côte d’Ivoire.
De telles pratiques confirmant l’existence d’une dérive autoritaire du
pouvoir ivoirien ne devraient pas perdurer. La Côte d’Ivoire devrait en référer en
matière politique et judiciaire aux valeurs républicaines et citoyennes
universelles d’égalité et de liberté, de respect de la propriété privé, de la vie
humaine, de la dignité attachée à la vie humaine et bien sûr de séparation des
pouvoirs.
Il ne devrait pas exister dans un Etat de droit de prisonniers « fantômes ».
Toute personne inculpée par un juge d’instruction devrait soit jouir de liberté
provisoire dans l’attente de son procès, soit être mise sous mandat de dépôt. Et
rejoindre une Maison d’Arrêt.
15
La disparition de 228 personnes inculpées notamment par le Juge Koné
Mamadou, est très préoccupante et laisse planer des doutes sur ce qui leur est
arrivé depuis lors.
II – LES DROITS FONDAMENTAUX DES DETENUS
2.1. Le droit à la sécurité
La prison est en soi un lieu de privation et de limitation des libertés. Les
prisonniers n’en demeurent pas moins détenteurs de droits. L'autorité
administrative pénitentiaire doit œuvrer contre les mauvais traitements, les
agressions et les tortures que pourraient subir les détenus. Or, force est de
constater que tel n’est pas le cas en Côte d’Ivoire. Notamment en ce qui
concerne les détenus politiques.
Exemple n°2 : Monsieur Simon Pierre Ehivet. Le 12 janvier 2015 à la
MACA, le célèbre prisonnier de droit commun « Yacou le Chinois » passe
devant Monsieur Simon-Pierre Ehivet, frère de l’ex-première dame ivoirienne.
Ce dernier ne s’étant pas levé à son passage, le nommé « Yacou le Chinois »
s’en prend violemment à lui, lui reprochant un « manque de respect ». Souffrant
de nombreuses contusions, Monsieur Ehivet Simon-Pierre est conduit plus tard
par d’autres détenus à l’Infirmerie de la MACA. Aucune sanction disciplinaire à
l’encontre du nommé « Yacou le Chinois » n’a été prise par la Direction de la
16
Prison. Monsieur Simon-Pierre Ehivet est malvoyant et souffre d’une autre
pathologie chronique et handicapante.
A la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), les détenus
politiques ne sont pas gérés directement par l’Administration pénitentiaire.
Celle-ci « sous-traite » sa mission régalienne à « Yacou le Chinois », un ancien
FRCI1. Ce dernier y joue le rôle de « Kapo » et de supplétif de l’Administration.
A la tête d’une organisation criminelle, laquelle sévit à l’intérieur même
de la prison, celui-ci régente la vie carcérale et prélève des taxes journalières et
hebdomadaires sur la mobilité des détenus.
Si un détenu doit répondre à une convocation du greffe du fait d’une visite
au parloir, il est tenu de verser une taxe avant de rencontrer son visiteur.
Toute personne qui par ses propos, son attitude ou pour toute autre raison
tendrait à apparaitre comme une menace à l’ordre public interne instauré par
« Yacou le Chinois » courrait en retour le risque de subir un acte de répression.
Exemple n°3: Monsieur Oula Anselme. Pour avoir refusé de manière
explicite de poser sa signature en bas d’une pétition de demande de pardon au
Chef de l’Etat, Alassane D. Ouattara, ce membre du COJEP2 s’est retrouvé
1 Forces Républicaines de Côte d’Ivoire2 Congrès de la Jeunesse Panafricaine
17
durant près de dix jours enfermé au « Blindé »3 – la cellule d’isolement – par des
« gardes du cops » de « Yacou le Chinois ».
Malgré de nombreux incidents de ce genre et la quasi-institutionnalisation
du racket et de la violence, et en dépit de l’écho de ce phénomène alarmant dans
la presse nationale d’opposition, « Yakou le Chinois » ne fut jamais
significativement inquiété par l’Administration pénitentiaire. Cela laisse
supposer l’existence de passerelles inquiétantes d’intérêts pécuniaires et
politiques convergents.
2.2. Le droit à la santé
Plus que les autres, les détenus politiques éprouvent toutes les difficultés à
avoir accès aux soins lorsque cela s’avère nécessaire. Parfois ces difficultés sont
telles que le prisonnier décède.
Exemple n° 4 : Monsieur Kouya Gnepa Eric. Ce détenu d’opinion
militant de l’UNG (Union des Nouvelles Générations) est décédé le 04
décembre 2015 à 7H 30 environ à la MACA (Maison d’Arrêt et de Correction
d’Abidjan). Après son arrestation début avril 2015 peu avant les élections
présidentielles, il a subi d’atroces tortures à la DST. Trois orteils lui ont été
arrachés.
3 Le « Blindé » ou « Cachot » joue le rôle de QHS (Quartier de Haute Sécurité).
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L'ayant mis finalement sous mandat de dépôt le 14 avril 2015,
l’Administration pénitentiaire l’a laissé sans soin médical malgré toutes ses
suppliques. Atteint de fièvre, d’infection, de malnutrition, de troubles cardiaques
et neurologiques, de beriberi et d’un ulcère gastrique aigu, il a finalement
succombé le 05 décembre au matin dans l’indifférence générale.
La Morgue de la MACA, non fonctionnelle, a invoqué des difficultés
administratives pour ne pas livrer le corps du défunt à sa famille. Cela aurait
pourtant permis le transfert de la dépouille dans une morgue capable de
conserver la sépulture dans de meilleures conditions de dignité. Le corps de
Monsieur Kouya Gnepa Eric a finalement été rendu à sa famille dans un état de
putréfaction avancée interdisant en principe toute possibilité d’examen post-
mortem. Il a été enterré sans permis d’inhumer.
Pour rappel, trois autres détenus d’opinion ont également rendu l’âme
dans des conditions similaires au sein des prisons ivoiriennes. Il s’agit de
Messieurs Koffi N'Dri Boniface et Pekoula Joel décédés en 2013 et d’Assemian
Maturin le 15 novembre 2014.
De la prison à l'hôpital le chemin est souvent long à l’excès : la lourdeur
administrative, la mauvaise volonté des autorités pénitentiaire de porter secours
aux opposants politiques et la peur de prendre une quelconque responsabilité
dans le transfert éventuel de détenus politiques expliquent cela.
19
Exemple n°5 : Monsieur le Ministre Danon Djedje. A l’article de la
mort suite à une crise cardiaque majeure à la prison de Toumodi, cet ancien
Ministre (chargé de la Réconciliation nationale) du Président Laurent Gbagbo
doit la vie à la prompte intervention d’un agent d’encadrement pénitentiaire qui
fit son travail. Après l’évacuation sanitaire du Ministre Danon Djédjé à l’Institut
de Cardiologie d’Abidjan, les trois agents d’encadrement pénitentiaire en poste
cette nuit-là ont été sanctionnés par leur hiérarchie pour « faute lourde ». On leur
reproche d’avoir permis l’extraction sanitaire du prisonnier malade. Ces trois
fonctionnaires, agents de l’Administration pénitentiaire, sont actuellement
détenus à la MACA sous le Mandat de dépôt n° 16.10.2015. Il s’agit de
Messieurs Kombo Kouassi Pierre, Ouattara Ali et Monpotchain Aristide.
Ces sanctions disproportionnées visent à décourager toute tentative
d’évacuation sanitaire de détenu politique même à l’article de la mort. Le droit à
la santé demeure pourtant un droit inaliénable de toute personne incarcérée.
Faute d'avoir un nombre suffisant de médecins et de spécialistes
intervenant directement en milieu carcéral, (médecin généraliste,
ophtalmologue, dentiste, psychologue, psychiatre, rhumatologue etc.), de
nombreux détenus vivent de longues années avec leur mal. Une fois libérés, il
n’est pas rare qu’ils décèdent peu après de leurs pathologies (infection
pulmonaire, tuberculose, hypertension artérielle…).
20
Exemple n° 6 : Monsieur Tierou Eder. Monsieur Tiédou Eder est
décédé le 31 décembre 2015 à Guiglo un peu plus d’un an après sa libération.
Les quelques exemples cités sont clairement récents. Ils illustrent de
manière précise la situation d’atteinte généralisée aux droits fondamentaux des
détenus lors de leur incarcération pour des motifs politiques en Côte d’Ivoire.
Du fait de la surpopulation dans les prisons, la promiscuité a un impact
négatif sur l’hygiène et l’état de santé des détenus.
Aucune règle nationale en matière d’hygiène et de séparation n’est
respectée. Aucun magistrat ne s’enquiert jamais des conditions de la détention.
Pour des motifs variés, politiques, administratifs et disciplinaires, les
évacuations sanitaires constituent des exceptions réservées à quelques rares
autorités politiques de l’opposition.
2.3. Le droit à la nourriture
Quel que soit le lieu de détention, la santé des détenus reste déplorable. Il
existe un lien entre manque de nourriture et santé.
L’Etat refuse se montre incapable la nourriture suffisante et les soins
médicaux nécessaires aux détenus politiques dont il a en principe la charge.
La présence de quelques médecins et infirmiers à la MACA et dans les
centres régionaux de santé pour les prisons situées au Nord du pays ne
s’accompagne pas d’une mise à disposition de médicaments.
21
La malnutrition aidant, les maladies opportunistes se développent
aisément sur les organismes affaiblis mettant en évidence le lien existant entre
mauvaise hygiène, manque de soins et sous-alimentation.
Les nombreux cas de Béribéri enregistrés chez les détenus et les ex-
prisonniers politiques provoqués par la famine et le manque de nourriture
équilibrée témoignent de la situation dramatique prévalant dans tous les lieux de
détention.
Les conditions de détention dans les prisons ivoiriennes restent
inacceptables cinq années après la prise de pouvoir par Alassane D. Ouattara.
Les grèves entamées par les prisonniers politiques en 2014 quant à
l’absence de véritable procédure judicaire et à l’insuffisance de l’accès à une
nourriture suffisante et équilibrée ainsi qu’aux soins médicaux n’ont pas entrainé
d’amélioration de la situation.
Les déficiences graves dans l’alimentation, le manque d’hygiène et de
soin approprié et la surpopulation continuent à engendrer chez les centaines de
détenus politiques des maux tels que des insuffisances cardiaques, des troubles
neurologiques, une fatigue généralisée, des troubles de la vision, de la nervosité
et une grande variabilité de l’humeur tous liés à la malnutrition et à la
destruction des vitamines B dans l’organisme.
La resocialisation de ces sujets risque, à terme, de devenir un défi majeur
pour la cohésion sociale en Côte d’Ivoire. Aucun citoyen ne devrait subir de la
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part d’un Etat, pareil traitement, visant à le détruire à petit feu du fait de ses
opinions supposées ou de son appartenance ethnique.
Il est logique d’affirmer que dans ces conditions, être détenu politique en
Côte d’Ivoire équivaut à être condamné à mort.
III – RECOMMANDATIONS
Ce rapport formule quelques recommandations au Gouvernement ivoirien.
Elles visent à (1) améliorer la situation politique nationale et (2) à normaliser les
conditions de détention.
3.1. Améliorer la situation politique nationale
Le Gouvernement a procédé à la mise en liberté provisoire d’une centaine
de détenus politiques dits « pro-Gbagbo » à la fin de l’année 2015. Cette action
positive a soulagé de nombreuses familles ivoiriennes. Et elle a sans nul doute
contribué à amorcer cinq années après la crise militaro-politique un début
symbolique du processus de réconciliation nationale.
Elle reste cependant insuffisante. Ce sont tous les détenus politiques
ivoiriens, civiles comme militaires, qui devraient recouvrer la liberté.
La liberté d’aller et venir, d’exprimer une opinion politique, le « fait de
Dieu » de posséder telle ou telle ethnie ne devraient pas constituer de motif
suffisant pour subir des arrestations arbitraires, des tortures et un
emprisonnement de longue durée sans jugement.
23
Pour amorcer véritablement un début de processus de réconciliation
nationale consensuel, il faudrait le plus tôt possible procéder :
- A la libération de tous les prisonniers politiques. La loi ivoirienne ne
reconnait pas de prisonnier politique.
- A l’adoption d’une loi d’amnistie pour tous les délits liés à la crise
politique ivoirienne.
- A la transformation des FRCI en une armée républicaine qui ne travaille
ni pour un clan ni pour un groupe tribal et religieux mais pour la Nation.
- A l’instauration d’une Institution judiciaire véritablement indépendante
du pouvoir exécutif et présidentiel.
- A une reprise totale du processus d’écoute, de recensement et
d’accompagnement des victimes de la crise postélectorale en y incluant - plutôt
que de les contraindre à l’exil ou de les emprisonner- les citoyens ivoiriens
réputés être des « pro-Gbagbo ».
- A la libération immédiate et à l’inclusion dans ce processus de tous les
Ivoiriens incarcérés dans les « prisons fantômes » et dont ni les familles ni les
avocats n’ont de nouvelles depuis plusieurs années.
3.2. Normaliser les conditions de détention
Concernant la situation de mort lente à laquelle sont soumis les détenus
politiques, il importe que des mesures urgentes soient prises afin de renforcer au
plan national et international la haute crédibilité de l’appareil pénitentiaire
ivoirien. Et afin également que soient respectés tous les engagements nationaux
24
et internationaux en matière de respect des droits humains et de droit
pénitentiaire national.
Il s’agit notamment :
- De ne plus procéder aux arrestations systématiques, aux tortures et aux
incarcérations de nature politique.
- De diminuer significativement la durée des incarcérations préventives et
de juger les détenus politiques dans des délais raisonnables.
- De prendre d’urgence les mesures nécessaires afin de remédier à la
situation de malnutrition dans les prisons.
- De prendre des mesures courageuses visant à un amoindrissement de la
surpopulation carcérale.
- De faciliter les extractions pour raisons médicales et de faire respecter
par les membres de l’Administration pénitentiaire le secret médical des détenus
politiques en souffrance.
- De mettre à la disposition des détenus politiques des médecins, des
spécialistes et des médicaments permettant d’offrir un système de prise en
charge adapté aux pathologies bénignes comme graves (rhume, céphalées
cancer, insuffisance rénale…) afin d’éviter des situations d’urgence auxquelles
l’Administration pénitentiaire se montre incapable de faire face.
- D’assurer une meilleure organisation et efficience des politiques
d’hygiène à l’intérieur des prisons.
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- De fournir aux détenus politiques une nourriture variée, équilibrée et
régulière (au moins deux repas par jour).
CONCLUSION
En Côte d’Ivoire, bien que non reconnu par le droit positif, le concept de
prisonnier politique recouvre une réalité affligeante, inquiétante et variée. Il est
malheureux de constater la banalisation de ce concept dans le discours politique
officiel et administratif. Pour notre part, des réflexions sont en cours qui
envisagent d’y inclure la centaine d’ex-FRCI incarcérés suite à des
revendications salariales.
Les motifs de telles arrestations politiques d’opposants, de fonctionnaires,
de membres de la société civile, de citoyens innocents, de personnes
handicapées ainsi que les conditions dans lesquelles s’opèrent celles-ci
s’exonèrent de tout fondement juridique. Ces procédés inqualifiables constituent
avec flagrance un déni de droit et un abus récurrent d’autorité.
Les opinions exprimées ou supposées et l’appartenance communautaire
ou religieuse ne devraient pas constituer dans un Etat de droit un motif suffisant
pour justifier des préjudices extrêmes comme la torture, l’enfermement et la
spoliation des biens ou de la vie.
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Il ne devrait pas non plus exister de prisonnier « fantôme ». Tout
prisonnier incarcéré devrait l’être dans une Maison d’Arrêt et de Correction
placée sous le contrôle exclusif et direct de l’Administration pénitentiaire. Une
enquête approfondie devra être menée afin de situer les familles sur le sort de
228 citoyens ivoiriens disparus.
Près d’une centaine de « prisonniers politiques » se sont retrouvés en
liberté provisoire en cette fin d’année 2015. Ce signe encourageant de
décrispation devra se poursuivre afin d’amorcer, cinq année après l’arrivée au
pouvoir d’Alassane D. Ouattara, un début symbolique du processus de
réconciliation nationale.
Un débat républicain et citoyen devrait également être amorcé. Car les
échéances électorales locales à venir en 2016 constituent un facteur élevé de
risque de violence, de répression et de nouvelles incarcérations.
Il importe d’insister sue la nécessité pour le Gouvernement de Côte
d’Ivoire d’accorder une attention particulière à la situation des détenus
politiques ivoiriens. Les conditions générales exécrables de détention appellent
une réponse rapide ; elles s’apparentent sinon à une forme déguisée de
réinstauration de la peine de mort en Côte d’Ivoire.
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