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  • Intellectica, 2004/1, 38, pp. 247-290

    Raisonnement causal en physique qualitative

    Philippe Dague et Louise Trav-Massuys

    Rsum : La Physique Qualitative est une branche de lIntelligence Artificielle ne dans les annes soixante-dix, qui sattache prdire et expliquer le comportement des mcanismes physiques en termes qualitatifs, donc de manire symbolique. La causalit y intervient comme une thorie de comment les systmes fonctionnent qui fait le lien entre raisonnement sur la structure et raisonnement sur la fonction. Elle joue un rle dans les tches de conception, de commande, de diagnostic et dexplication des systmes physiques. Plusieurs mthodes ont t dveloppes pour infrer des explications causales partir du modle dun systme physique. Nous en dcrivons essentiellement trois : celle de la causalit mythique de de Kleer et Brown, quon peut qualifier dintuitive en ce quelle propage de proche en proche le sens dvolution des variables en rponse une perturbation ; celle de lordonnancement causal dIwasaki et Simon, quon peut qualifier de calculatoire en ce quelle assimile enchanement causal et enchanement de calcul des valeurs des variables et procde dune analyse structurelle des quations sans rfrence au systme physique sous-jacent quelles modlisent ; celle des graphes de liaisons, issue de lAutomatique, quon peut qualifier de mthodologique en ce quelle propose un langage unifi caractre graphique de modlisation des systmes physiques en sappuyant sur un formalisme trs gnral en termes de variables deffort et de flux et de transfert de puissance. Nous illustrons ces mthodes sur des exemples communs afin de les comparer et nous rapportons le vif dbat qui a oppos les tenants des deux premires mthodes propos de la dtermination de la causalit en prsence de boucles de rtroaction.

    Mots-cls : raisonnement qualitatif, relation causale, envisionnement, confluence, causalit mythique, heuristique, rtroaction, ordonnancement causal, systme complet, causalit intgrale, causalit diffrentielle, systme hybride, graphe de liaisons, effort, flux, puissance.

    Abstract: Causal reasoning in qualitative physics. Qualitative Physics is a field of Artificial Intelligence that emerged in the seventies, which aims at predicting and explaining the behaviour of physical mechanisms in qualitative terms, i.e., in a symbolic way. Causality plays a part as a theory of how systems work that links the reasoning about structure and

    LIPN-UMR 7030 LAAS-CNRS

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    about function. It plays a role in the tasks of designing, controlling, diagnosing, and explaining physical systems. Several methods have been developed to infer causal explanations from the model of a physical system. We describe mainly three of them: mythical causality of de Kleer and Brown, that can be called intuitive as it propagates step by step the direction of change of the variables in response to a perturbation; causal ordering of Iwasaki and Simon, that can be called computational as it compares a causal sequence with a computation sequence of values of variables and originates in a structural analysis of the equations without reference to the underlying physical system that they model; bond graphs, coming from Control Theory, that can be called methodological as they offer a unified graphical language for modelling physical systems, based on a quite general formalism in terms of effort and flow variables, and energy exchange. We illustrate these methods with common examples in order to compare them and we relate the animated debate that opposed the defenders of the two first methods about assigning causality in the presence of feedback loops.

    Keywords: qualitative reasoning, causal relation, envisioning, confluence, mythical causality, heuristics, feedback, causal ordering, self-contained system, integral causality, differential causality, hybrid system, bond graph, effort, flow, power.

    1. INTRODUCTION La causalit est un des concepts essentiels pour raisonner sur les

    systmes physiques. Cet article1 prsente la causalit telle qu'elle est traite en Physique Qualitative, domaine de lIntelligence Artificielle, en se focalisant sur lexplication du comportement des systmes physiques comme nous le dtaillerons en section 2. Il est noter que le raisonnement causal en IA symbolique a donn lieu de nombreux travaux, linterface en particulier des Sciences Cognitives ou de la Linguistique, qui dbordent de loin le raisonnement sur les systmes physiques et dont il ne sera pas question ici.

    Le fait de savoir si la causalit est un artefact du raisonnement humain ou recouvre une ralit physique ne sera pas dbattu. De faon plus pragmatique, il sera admis que les humains s'attendent frquemment avoir des explications en termes causals et que, dans ce qui nous occupe, la causalit joue un rle central dans le raisonnement sur les systmes physiques (on s'intressera essentiellement aux systmes artificiels conus et fabriqus par l'homme) et est couramment utilise par les ingnieurs pour apprhender comment un systme fonctionne (ou ne fonctionne plus 1 Cest une version raccourcie et assez largement remanie du chapitre 7 de louvrage Modles et raisonnements qualitatifs, 2003, des mmes auteurs.

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    comme il le devrait) dans des tches comme la conception ou le diagnostic. Bien que ces tches de comprhension requirent en gnral dtre suivies par des tches dintervention (rparation, reconfiguration, accommodation de la commande, etc.), il sera peu question de ces secondes dans cet article et donc la notion d'action (et la thorie des actions) sera peu voque. Larticle se focalise sur les divers formalismes utiliss pour reprsenter la causalit et les raisonnements infrentiels qui leur sont attachs.

    Dans les domaines de lingnieur, il existe souvent des thories fortement structures qui sous-tendent les comportements des systmes. Cest dans le sens daugmenter ces thories avec une connaissance causale supplmentaire que la communaut de Raisonnement Qualitatif a travaill, en proposant notamment des procds systmatiques pour la dcouverte des relations causales.

    Pour un systme physique donn, pour lequel on dispose dun modle dfini par un ensemble de contraintes liant un ensemble de variables, le problme de l ordonnancement causal se pose comme celui de dduire un ensemble de relations causales (encore appeles influences) entre les variables intervenant dans le modle, ayant spcifi le sous-ensemble de variables exognes (celles sur lesquelles on peut intervenir cest l un des seuls rapports que lon pourrait tablir avec la conception interventionniste de la causalit ou qui sont fixes par lenvironnement du systme). x R y est interprt comme x influence y ou encore les vnements survenant x influencent les vnements survenant y , sans que les vnements ne soient spcifis.

    Les trois principes suivants sont gnralement admis comme tant la base de toute influence causale : ordre temporel, localit et ncessit. Si ces principes, en accord avec l'intuition, fournissent des guides vidents pour ce qui est de la causalit sous-tendant une quation diffrentielle (description dun comportement dynamique), ils sont souvent peu utiles dans le cas d'quations algbriques (processus l'quilibre), en particulier lorsque ceux-ci mettent en jeu des boucles de rtroaction. Il est intressant de noter que ce dernier point dclencha une polmique entre plusieurs auteurs tenants de mthodes diffrentes, livre la communaut par plusieurs articles successifs de rponse (Iwasaki et Simon, 1986a ; de Kleer et Brown, 1986 ; Iwasaki et Simon, 1986b). Les arguments changs dans cette polmique sont rapports en section 5.

    tant donne la formulation du problme, il est important de noter que lon se positionne dans un monde clos par le modle quationnel. Le problme de lexhaustivit de lensemble des relations causales obtenues est donc renvoy au niveau de la thorie sous-tendant ce modle.

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    Cet article dcrit et compare les principales mthodes mises en uvre dans le cadre du raisonnement qualitatif :

    - la causalit mythique de de Kleer et Brown (1984 ; 1986) ; - l'ordonnancement causal d'Iwasaki et Simon (1986a ; 1986b ;

    1994 ; Iwasaki, 1988) ; - les graphes de liaison (Top et Akkermans, 1991 ; Dauphin-

    Tanguy, 2000). La causalit mythique peut tre vue comme une mthode intuitive

    qui cherche propager de proche en proche le sens dvolution des variables en rponse une perturbation. Pour ce faire, elle sappuie sur des heuristiques. Lordonnancement causal peut tre qualifi de mthode calculatoire puisque sont confondus enchanement causal et enchanement des calculs des valeurs des variables, sans rfrence particulire au systme physique sous-jacent. Enfin, nous qualifierons lapproche par graphes de liaisons dapproche mthodologique pour la physique en ce quelle propose un langage unifi caractre graphique de modlisation qui sappuie sur une catgorisation des phnomnes physiques.

    Des exemples sont fournis pour illustrer ces mthodes et les comparer sur divers systmes artificiels et pour diffrents types de tches.

    2. RAISONNEMENT QUALITATIF SUR LES SYSTMES PHYSIQUES ET CAUSALIT

    Le Raisonnement Qualitatif ou Physique Qualitative domaine de lIntelligence Artificielle dont lmergence remonte au dbut des annes soixante-dix se propose de modliser le monde physique, caractris par des quantits continment variables dans le temps, de manire symbolique. Il sagit de prdire et expliquer le comportement dun mcanisme physique en termes qualitatifs, tout comme le fait un ingnieur utilisant des ordres de grandeur ou un raisonnement sur les tendances. Ceci sous-entend de pouvoir produire une prdiction qualitative du comportement du systme physique mais aussi dtre capable de construire une explication causale du pourquoi de ce comportement qualitatif.

    Les objectifs originaux prtendaient donc apporter une nouvelle physique, plus simple que la physique classique le terme Physique Nave fut utilis lorigine mais capable de retenir les distinctions de comportement significatives dun point de vue qualitatif sans faire intervenir les mathmatiques lies aux quations diffrentielles et de produire des explications causales de comprhension aise et intuitives. Les tches principales que le raisonnement qualitatif aborde sont le diagnostic, la conception, la commande et lexplication de systmes physiques artificiels. Pour cela, des mthodes telles que lalgbre symbolique qualitative, lanalyse, la

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    modlisation, l envisionnement , la simulation qualitative et le raisonnement causal ont t dveloppes.

    Si les objectifs du raisonnement qualitatif dbordent de loin ceux du raisonnement causal, la causalit y tient donc une place de choix tout en stant avre de loin le thme le plus controvers. Nous rapporterons en section 5 la polmique laquelle se livrrent plusieurs auteurs tenants de mthodes diffrentes. La causalit intervient comme une thorie de comment les systmes fonctionnent qui fait le lien entre raisonnement sur la structure et raisonnement sur la fonction, tous deux luvre dans la plupart des tches de raisonnement sur les systmes physiques artificiels. Cest ainsi que la reconnaissance ncessite dobtenir une comprhension de la fonction partir de la structure, la conception de synthtiser une structure qui ralise une certaine fonction et le diagnostic (qui a constitu trs tt un domaine dapplication privilgi du raisonnement causal (Brown, 1976 ; Davis, 1983)) didentifier comment la structure ne ralise plus la fonction donc dinfrer quels changements fonctionnels vont rsulter dventuels changements structurels. La causalit permet de dcouvrir plus dinformation sur le comportement (par exemple en cas de rtroaction, qui est une proprit du fonctionnement, pas du comportement).

    Du point de vue des sciences cognitives, le raisonnement causal est rapprocher dun type de raisonnement plus gnral sur les systmes physiques appel envisionnement . Cest de Kleer qui introduit le premier ce terme, propos dun systme de rsolution de problmes en mcanique classique (de Kleer, 1977), avec la signification dtre capable de prdire grossirement, partir dune connaissance qualitative, le comportement dun systme physique dans une situation donne, par exemple la chute dun objet sans support ou le rebond sur le sol dune balle en caoutchouc. Techniquement, lenvisionnement engendre, sous forme dun arbre, des successions d instantans dcrivant ce qui pourrait arriver. Une vision alternative celle darbre de comportements est celle de graphe de transitions, encore appel envisionnement total, dont les chemins reprsentent implicitement les comportements qualitatifs possibles. Formellement lenvisionnement total dun modle dcrit par un ensemble de contraintes qualitatives (appel usuellement Equation Diffrentielle Qualitative ou EDQ ds quy intervient la drive par rapport au temps) est constitu de tous les tats qualitatifs possibles de lEDQ et de toutes les transitions possibles entre ces tats. La valeur qualitative dune variable temporelle est ici fournie par la valeur symbolique de la variable dans son espace de dfinition fini, accompagne de son sens de variation (signe de sa drive), et un tat qualitatif est donn par les valeurs qualitatives de toutes les variables. Cest dire que deux tats qualitatifs distincts diffrent par la valeur qualitative dau moins une variable. Un tat qualitatif

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    possible de lEDQ est un tat qualitatif qui satisfait les contraintes qualitatives dfinissant cette EDQ. Une transition possible est une transition qui respecte au niveau qualitatif (en limitant les successeurs possibles dune valeur qualitative) les thormes de la valeur intermdiaire et de la valeur moyenne, dcoulant du caractre continment diffrentiable des variables en fonction du temps.

    Lenvisionnement dun systme modlis par un ensemble de contraintes qualitatives revt un caractre ambigu d la nature qualitative du modle, par essence incomplte. Cette ambigut se manifeste de deux manires. La premire est le branchement dun tat en plusieurs tats successeurs possibles dans lenvisionnement. Considrons par exemple un tube en U form de deux rservoirs A et B relis en leurs fonds par un tuyau. Partant de ltat initial o A est plein et B vide, on parvient trois tats dquilibre possibles suivant lordre temporel dans lequel surviennent les deux vnements : le flux de A vers B atteint 0, le liquide dans B atteint le niveau maximum. Ces tats sont : le rservoir B est partiellement rempli, le liquide dans B sarrte exactement au niveau maximum, le rservoir B dborde. Ici, lincompltude du modle qualitatif (on ne connat pas les tailles respectives de A et B) ne permet pas de dterminer quel comportement sera le vritable. Mais on peut aisment montrer que chacun des trois comportements arrive effectivement, pour diffrents tubes en U. Cette proprit nest hlas pas vraie en gnral. La seconde source dambigut est en effet la prsence de faux comportements, dans le sens o ils ne sont labstraction qualitative daucun comportement rel dun systme satisfaisant les contraintes qualitatives du modle et les conditions initiales.

    En rsum, lenvisionnement prdit lensemble des comportements possibles du systme, cohrents avec la reprsentation qualitative sous-jacente. Mais, comme on la soulign, le raisonnement qualitatif a pour but, non seulement de prdire, mais aussi dexpliquer. Il est tentant de sappuyer sur lenvisionnement pour la tche dexplication, par exemple de considrer que la trace dexcution de tout algorithme de prdiction fournit une explication, ou quune explication se ramne une preuve dans un systme de dduction naturelle. Mais on saperoit rapidement (notamment en cas de preuve indirecte ncessitant le recours au raisonnement par labsurde) que les tapes dune telle explication ne suivent en gnral aucune notion dordre causal. Suivant de Kleer, les difficults proviennent notamment du fait que la notion de causalit que nous utilisons pour raisonner est mythique (cf. le temps mythique introduit par de Kleer et Brown, 1984) et ressemble bien peu ce qui se passe vraiment. Ainsi les arguments causals rsultants sont souvent des rationalisations, puisque les ambiguts sont rsolues de manire empirique plutt quanalytique.

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    Il faut donc distinguer ce genre dexplication, qui explique pourquoi le systme doit se comporter de telle faon, de lexplication causale, qui explique comment le systme se comporte et qui dcrit comment les comportements des constituants contribuent au comportement global du systme. Envisionnement et explication causale restent cependant lis dans lapproche de de Kleer (de Kleer et Brown, 1986) qui, pour produire une explication causale, sappuie sur lenchanement des contraintes ralis lors de la propagation des valeurs des variables pour produire larbre denvisionnement.

    De leur ct, Iwasaki et Simon reprennent des travaux effectus dans le domaine de lconomtrie (Simon, 1952 ; 1953) pour aborder le problme de manire totalement diffrente, sans aucune rfrence un quelconque envisionnement ou prdiction qualitative du comportement. Leur but est en effet de proposer une analyse formelle, directement partir des quations structurelles du systme sans se proccuper de leur obtention, cest--dire de la modlisation, et mme sans se rfrer au dit systme, produisant un ordre causal entre les variables qui explique les rationalisations gnralement utilises par lhomme.

    Tous considrent que les modles des composants (selon de Kleer) ou mcanismes (selon Iwasaki et Simon) tiennent en gnral sous une hypothse quasi-statique, ce qui empche a priori lexpression de la faon dont la causalit rend compte des changements qui interviennent entre deux tats dquilibre du systme. Chacun rsout ce problme sa manire, comme il sera dtaill dans les sections 3.4 et 4.1.

    Tous admettent cependant que ce problme pourrait tre abord par une approche physique, en modlisant les phnomnes physiques un niveau plus fin de granularit temporelle, ce qui conduirait expliciter les comportements se droulant entre deux quilibres. Certains auteurs suivent cette ligne, notamment Rose et Kramer (1991). Leur systme QUAF (Qualitative Analysis of Causal Feedback) accepte en effet comme entre un modle du systme physique sous forme dun ensemble dquations diffrentielles (qualitatives). Ainsi, lorsque certains composants sont dcrits par des quations algbriques, ils forcent la structure du modle en les remplaant par des quations diffrentielles, devant faire appel des connaissances physiques sur les diffrentes chelles de temps des phnomnes mis en jeu. Par exemple, l'quation du dbit Q en fonction des pressions lentre Pin et la sortie Pout pour un fluide incompressible passant au travers d'un filtre ou d'un tuyau est donne par Q = k(Pin Pout)1/2. Elle sera transforme en dQ/dt = k(Pin Pout)1/2 Q, o est un petit paramtre reprsentant la compressibilit du fluide.

    Dans cet article, nous ne nous intresserons pas lapproche physique, que nous considrons tenir davantage de la physique

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    classique, pour nous focaliser sur les approches qui se proposent de produire une explication causale en prenant comme base un modle donn du systme, ventuellement quasi-statique.

    Nous ne dveloppons pas les approches nombreuses faisant usage de modles causals poss a priori. Par exemple, QPT (Qualitative Process Theory) de Forbus (1984 ; Forbus et Gentner, 1983) qui est rsolument reconnue comme une approche causale demande, ds la phase de modlisation, ce que soient rpertories les influences causales entre les diffrents processus qui sous-tendent le comportement dun composant. Mais Forbus ne propose pas de mthode automatique pour cette analyse prliminaire. Et il est vrai que ces modles causals sont en pratique dvelopps la main.

    3. LA CAUSALIT MYTHIQUE 3.1 Intuitions sous-jacentes la causalit mythique De Kleer et Brown (1986) voient la causalit comme une

    composante du raisonnement de sens commun (intuitions de la faon dont les systmes fonctionnent), qui consiste postuler que le comportement dun systme rsulte dinteractions ordonnes temporellement, de cause effet, entre composants voisins.

    Ils veulent ainsi dfinir une notion de causalit qui permette de rendre compte dun comportement dcrit en termes explicatifs (o explication est vue ici comme tapes dune preuve) de manire causale comme dans un diagramme dtats. A limage de lenvisionnement, ils construisent un tel diagramme partir des tats du systme et des transitions entre ces tats.

    Mais la notion dtat est ici diffrente de celle dtat qualitatif utilis en envisionnement et recouvre plutt celle de mode qualitatif de fonctionnement. Les modles qualitatifs sont en gnral dfinis par morceaux car il est souvent impossible de caractriser fidlement le comportement dun composant sur lensemble de sa plage de fonctionnement par un unique ensemble dquations qualitatives. Chaque morceau, que nous appellerons mode opratoire, est spcifi de faon unique par une contrainte o ne figurent que des oprateurs dgalit ou dingalit entre variables ( lexclusion doprateurs temporels comme la drive par rapport au temps). Le comportement dans chaque mode opratoire est alors dcrit par un ensemble de confluences, cest--dire dquations qualitatives combinant, laide des oprateurs arithmtiques habituels transposs aux signes, les signes des variables et de leurs drives. Le modle complet sexprime donc par un ensemble {mode opratoire : [spcification], confluences}.

    Cest ainsi que le modle dune vanne de section S, variant entre 0 et SMAX, traverse par un fluide de dbit Q avec une diffrence de

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    pression P (dont lquation analytique pour 0 < S < SMAX est Q C sgn(P)S 2 P / o est la masse volumique du fluide et C un coefficient) scrit avec trois modes opratoires (on note [X] le

    signe de X et X celui de dXdt

    ) :

    - ouverte : [S= SMAX], [P]=0, P=0 - en_fonctionnement : [0

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    cause est structurellement proche de leffet (localit) et la cause prcde leffet (temporalit). Par contre ce diagramme ne fournit pas dexplications causales du comportement intra-tat. Or ici la rsolution des confluences prdit le comportement (comme rsultant de la satisfaction des contraintes quationnelles) mais ne dit pas comment le systme fonctionne lorsquil ny a pas de changement dtat.

    Les auteurs paraphrasent cette situation en disant quelle incorpore le principe pistmologique il y a une raison pour toute chose aux dpens du principe ontologique toute chose a une cause .

    Deux problmes rendent difficile la dfinition dune causalit intra-tat : le temps et lutilisation du raisonnement par labsurde (ce dernier est frquemment utilis en prdiction lorsquon peut rfuter toutes les valeurs qualitatives dune variable lexception dune, mais il viole le principe de localit car les valeurs ne sont pas obtenues par une propagation de proche en proche mais dcoulent dune rsolution globale).

    Concernant le temps, reprenons lexemple de la vanne, dont lquation analytique repose sur lhypothse que tout changement de la pression P saccompagne dun changement simultan du dbit Q. Or ceci nest quune approximation. Dans le mode en_fonctionnement_+, la confluence reliant le signe des variations des quantits scrit : P + S Q = 0, qui se simplifie en : P Q = 0 lorsquon suppose S constant. Ceci traduit le fait que P et Q ont le mme sens de variation. On peut donc infrer Q = + de P = +, mais pas que Q = + a t caus par P = + (il ny a pas de succession temporelle dans lquation).

    Lintuition de la causalit de de Kleer et Brown est que le comportement est produit par des processeurs individuels (un par composant) qui interagissent entre voisins, chacun ne contribuant quune seule fois ltablissement dun comportement en rponse une perturbation. Un processeur est conu pour assurer que la confluence modlisant le composant est satisfaite. Les interactions de transmission de linformation sont interprtes comme des interactions cause-effet. Ces interactions reviennent donc de la propagation de valeurs de variables entre composants connects. videmment, ds quau moins deux variables dune confluence sont inconnues, ce procd est inoprant et cest l quintervient le raisonnement par labsurde.

    Considrons lexemple de deux tuyaux troits connects traverss par un mme flux :

    Q

    P1 P2 P3 Q

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    Q = P1 P2 Q = P2 P3

    Si lon sait que P1 = + et P3 = 0, on ne peut rien dduire directement par propagation. Mais si lon utilise le raisonnement par labsurde, on en dduit que P2 = + car les quations ne peuvent tre satisfaites avec P2 = ou P2 = 0.

    Pousser lanalyse des niveaux de dtail plus fin, en termes quantitatifs et/ou de modlisation, napporte rien. Les quations diffrentielles quantitatives dont le modle ci-dessus est une abstraction qualitative ncessitent de la rsolution symbolique (systme de deux quations deux inconnues). Descendre un niveau plus fin de modlisation (faisant intervenir la capacit de stockage des tuyaux et le moment cintique du fluide) conduit en numrique une quation diffrentielle dordre 4 avec un comportement oscillatoire amorti, correspondant des oscillations rptes dans un sens puis dans lautre, violant le principe dune seule interaction par processeur. En qualitatif, cela conduit un diagramme dtats avec 81 tats o les ambiguts ne peuvent tre rsolues. Do lide de changer linterprtation des lois physiques plutt que le niveau danalyse pour obtenir la causalit.

    3.2 Principes de la causalit mythique Les modles des composants reposent en gnral sur lhypothse

    que le systme est quasi-statique, ce qui empche a priori lexpression de la faon dont la causalit rend compte des changements qui interviennent entre deux tats dquilibre du systme. Cest pour rsoudre ce problme que de Kleer et Brown introduisent ce quils appellent causalit et temps mythiques, en termes de ngociations sur la transmission dinformations entre processeurs de composants voisins. La causalit mythique dcrit la trajectoire entre deux tats o les modles quasi-statiques sont valables, sous forme d tats de non-quilibre . Il y est associ le concept de temps mythique, qui nimpose quun ordre partiel entre vnements, et qui se droule instantanment en terme de temps conventionnel. La transition entre les deux tats se traduit donc par une succession dinstants mythiques, auxquels les lois (modles quasi-statiques des composants) peuvent tre violes, la dure conventionnelle associe tant nulle. videmment, ceci ne suffit pas spcifier de faon non ambigu ce qui se passe aux instants mythiques et il faut introduire un ensemble de critres pour restreindre les options. Leur choix est guid par le fait quon veut quils aident reconstruire ce que devrait avoir t le comportement au niveau dynamique si le monde tait causal.

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    Le premier critre est de prsumer que la causalit mythique respecte les mmes principes que la causalit, except en termes temporels, le temps mythique scoulant avec une dure nulle.

    Le second critre est que, quel que soit le comportement rel dynamique, partant dun tat dquilibre, on atteint en un nombre fini dtapes un tat dquilibre. Par un principe de parcimonie, on suppose ce comportement dynamique le plus simple possible.

    En rsum, on part dun tat dquilibre du systme (confluences de tous les processeurs composants satisfaites), une perturbation cre un dsquilibre, le systme se rquilibre en temps mythique jusqu ce quun tat dquilibre soit nouveau atteint. Laction causale est prcisment le rsultat de la violation des confluences aux instants mythiques. Chaque processeur composant, sil est associ une confluence n variables, calcule la nouvelle valeur dquilibre dune quelconque dentre elles ds que celles des n 1 autres sont connues, et lon impose que chaque variable ne puisse changer de valeur quune seule fois, pour une perturbation donne. Lensemble des variables avec leurs nouvelles valeurs dquilibre crot donc de faon monotone en temps mythique et reste topologiquement connexe vis--vis de la structure du systme : tout instant mythique, la frontire de processeurs entre anciennes et nouvelles valeurs dquilibre est bien dfinie.

    Bien entendu, comme on la vu dans lexemple des deux tuyaux, les processeurs (en fait les variables) peuvent se retrouver bloqus faute de propagation possible. Le raisonnement par labsurde, ou plus gnralement lnumration des valeurs dune variable, devient ncessaire. On obtient alors en gnral plusieurs interprtations causales possibles rendant compte du comportement, puisque le choix du processeur, de sa variable bloque et de la valeur qualitative assigne est arbitraire, sans avoir de mthode pour les distinguer ou les slectionner. Afin de contourner cet obstacle, de Kleer et Brown introduisent trois heuristiques de choix. Il ny a pas de justification de ces heuristiques en dehors du fait quelles fonctionnent dans la plupart des cas, sans que lon comprenne pourquoi (proprit du monde physique, de la comprhension humaine ?). De plus, de lambigut peut persister dans certains cas et mme des rsultats incorrects si le retour arrire nest pas autoris. Ces insuffisances rendent impossible une prdiction causale du comportement. Cest pourquoi le systme ENVISION de de Kleer construit tous les comportements qualitatifs possibles et toutes les causalits correspondantes qui satisfont les principes de la causalit mythique. Ceci esquive les insuffisances ci-dessus, mais le prix payer est que les causalits obtenues nont pas la force contraignante dune explication partir de preuve.

    Lincapacit de produire causalement une justification causale du comportement dun systme nest pas pour les auteurs un dfaut

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    rdhibitoire ni du point de vue de lIA ni dun point de vue psychologique. Ils soulignent quil ny a en effet aucune raison, dun point de vue psychologique, de penser que le type de rsolution de problmes mettre en uvre pour construire une telle justification causale soit en lui-mme de nature causale, cest--dire nait jamais besoin davoir accs une information globale, revenir sur une dcision, etc. Il se peut que la rsolution sous-jacente la construction dune justification causale nait rien voir avec le problme quasi trivial dexcuter une prdiction causale, cest--dire de propager des valeurs le long dun rseau dinfluences causales.

    3.3 Les trois heuristiques Les trois heuristiques sappliquent tout domaine de la physique

    et sexpriment en termes deffort et de flux. Les auteurs pensent (mais ne peuvent le prouver) que ces heuristiques sont valables pour une large catgorie de systmes, soumis une seule perturbation.

    Heuristique composant : si un composant est soumis un changement de valeur dune variable deffort lun de ses terminaux et quaucune autre action sur ce composant nest connue jusqu prsent, alors le composant rpond comme si les actions inconnues taient ngligeables.

    La loi de Kirchhoff sur les tensions est une instance de cette heuristique. Dans le cas dune vanne, cette heuristique scrit : un changement de la pression (par rapport une rfrence absolue) au terminal #1 cause un changement correspondant de la pression entre les terminaux #1 et #2. Remarquons que la confluence pour la vanne P + S Q = 0 ntait pas directement utilisable suite une augmentation de la pression dentre Pe (P = Pe Ps). Lheuristique composant dit par exemple que Pe = + cause P = +, ce qui rendra la confluence utilisable. Le mme raisonnement sappliquerait partir dune augmentation de la pression de sortie Ps, avec cette fois un changement de signe oppos.

    Heuristique conduit : si un conduit est soumis un changement de valeur dune variable de flux lun de ses terminaux, alors la variable deffort du conduit (par rapport une rfrence commune) subit le mme changement.

    Cette heuristique est la seule qui relie variables deffort et de flux dans un conduit. La loi de Kirchhoff sur les courants en est une instance. Applique au conduit de sortie de la vanne, elle scrit : un changement du flux volumique au travers de la vanne cause un changement correspondant de la pression (par rapport la rfrence) en sortie. Par exemple, Q = + cause Ps = +.

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    Heuristique confluence : soit la confluence dun composant n > 2 variables ; si m < n 1 variables sont connues, les propager comme si toutes les variables inconnues lexception dune seule (donc n m 1) taient nulles.

    Cette heuristique est une gnralisation des deux prcdentes. Il y a n m faons de lappliquer. Certaines peuvent tre incorrectes, mais une au moins doit tre vraie. Applique la vanne, cette heuristique donne : un changement de la pression entre les terminaux #1 et #2 dune vanne rgie par la confluence P + S Q = 0 cause un changement correspondant du flux volumique. Par exemple, P = + cause Q = +. Cet exemple de la vanne est simple car la seconde infrence que pourrait fournir lheuristique, cest--dire un changement de signe oppos de la surface S, est impossible, laire tant une variable dentre uniquement.

    Enchanons les trois heuristiques dans le cas dune vanne soumise une perturbation initiale sous forme dune augmentation de pression lentre (Pe = +). Par lheuristique composant, ceci se traduit par une augmentation de la pression travers la vanne (P = +). Par lheuristique confluence applique la confluence de la vanne P + S Q = 0, il en rsulte une augmentation du flux travers la vanne (Q = +). Par lheuristique conduit, applique au conduit de sortie de la vanne (ou encore par la confluence de la charge en sortie : Ps Q = 0), ceci produit une augmentation de pression en sortie (Ps = +).

    3.4 Rtroaction La causalit mythique permet de dterminer la prsence et leffet

    dune rtroaction, sans traitement additionnel. En fait celle-ci est une caractristique de comment le systme fonctionne et nest donc dtectable que par lanalyse causale. Notons quon ne parlera de rtroaction que dans le cas o il existe une boucle structurelle, i.e. existant en termes de composants matriels, et pas dans le cas dune boucle cause-effet comportementale, qui traduit physiquement une sorte de rflexion, comme le phnomne dune onde rflchie.

    En parallle avec les premiers travaux de de Kleer et Brown (1984) citons le travail de Williams (1984 ; 1990) qui, avec lanalyse qualitative temporelle, dveloppe une technique indpendante du domaine pour analyser le comportement qualitatif des systmes physiques incluant des rtroactions, technique prsentant de nombreuses similarits avec la causalit mythique.

    Exemple 3.1 Illustrons ces ides avec lexemple du rgulateur de pression,

    dont le mcanisme est illustr par la Figure 3.1 (de Kleer et Brown, 1984 ; Iwasaki et Simon, 1986a).

  • Raisonnement causal en physique qualitative 261

    Intellectica, 2004/1, 38

    QP Pe sS

    Figure 3.1 Le rgulateur de pression Le comportement de ce systme peut tre dcrit par les quations

    suivantes : (q.1) S = Ps (q.2) Ps = Q (q.3) Q = (Pe Ps) + S (q.4) Pe = P*

    Q est le dbit de fluide dans le conduit, Pe et Ps sont respectivement la pression lentre et la sortie du rgulateur, S est la section de louverture ragissant la pression de sortie. (q.3) est lquation de la vanne dorifice S ; (q.2) est lquation de charge en sortie ; (q.1) est lquation de rgulation de la section par la pression en sortie. Pe est considre comme une variable exogne dont la valeur est fixe P* (q.4). , , , et sont des paramtres positifs.

    Les confluences associes sont : (q.5) Ps + S = 0 (q.6) Ps Q = 0 (q.7) Pe Ps + S Q = 0 (q.8) Pe P* = 0

    Considrons la perturbation exogne P* = +. Il en rsulte par (q.8) que Pe = +. partir de l, aucune propagation nest possible travers (q.5)(q.6)(q.7). Seul le raisonnement par labsurde, en rfutant toutes les autres possibilits, ou la rsolution symbolique fournirait la solution unique ces confluences : Q = +, Ps = +, S = . Lutilisation des heuristiques de propagation permet dobtenir ce rsultat. On a vu en effet au paragraphe prcdent, en appliquant les heuristiques sur les quations (q.7) et (q.6), quune augmentation de pression en entre cause une augmentation du dbit, Q = +, et une augmentation de pression en sortie, soit Ps = +. Celle-ci est dtecte par le capteur, produisant une diminution de la surface (S = ) par la confluence (q.5). On dtecte donc une rtroaction puisque la perturbation a atteint S, qui tait suppos

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    Intellectica, 2004/1, 38

    ngligeable lors de lapplication de lheuristique confluence un antcdent, en loccurrence (q.7). Si lon calcule leffet quaurait S = si Pe Ps tait suppos ngligeable, on trouve, partir de la confluence simplifie S Q = 0, que Q = , ce qui montre que la rtroaction est ngative (bien sr, S = ne peut dominer dans la confluence de la vanne, puisque S = ne peut avoir lieu que si Q = +). Cette analyse causale fournit donc le graphe suivant :

    Pe Pe Ps Q Ps S +

    +

    + +

    Figure 3.2 Propagation dune perturbation dans le rgulateur de pression par la causalit mythique

    4. LORDONNANCEMENT CAUSAL 4.1 Systmes un seul mode de fonctionnement Contrairement de Kleer et Brown, Iwasaki et Simon (1986a ;

    1986b ; 1994) dduisent l'ordre causal d'une analyse purement structurelle des quations du systme. Leur approche ne ncessite pas la rsolution des quations et diffre totalement du processus de recherche de la causalit mythique qui dtermine le chemin de propagation suivi par une perturbation donne en entre. Iwasaki et Simon considrent que dterminer la structure causale peut tre vu comme un problme plus gnral que celui de dterminer les effets d'une perturbation, qui peut se rsoudre par les techniques standard du raisonnement qualitatif une fois que le graphe causal est tabli.

    Lordonnancement causal est introduit comme une relation asymtrique au sein des variables et quations dun systme dquations simultanes reprsentant le modle de comportement du systme considr, sans tablir un lien avec les constituants physiques sous-jacents (puisque Iwasaki et Simon sinspirent du domaine conomique). Ils parlent plutt de mcanismes, comme des entits conceptuelles dfinissant les fonctions partir desquelles le systme global doit tre expliqu. Les quations correspondant ces mcanismes sont appeles quations structurelles par opposition des quations qui ne reprsenteraient pas sparment les mcanismes.

    4.1.1. Systmes statiques Le systme d'quations reprsentant le comportement d'un

    systme physique doit tre non dgnr , c'est--dire qu'il doit contenir autant d'quations que de variables. L'ordre causal tablit un ensemble de relations causales entre les variables. C'est un ordre partiel : il est rflexif, antisymtrique et transitif.

  • Raisonnement causal en physique qualitative 263

    Intellectica, 2004/1, 38

    Dfinition 4.1 Un systme (qualitatif) statique de n quations algbriques n

    variables est dit complet (self-contained en anglais) si tout sous-ensemble de k quations (k n) contient au moins k variables.

    Dfinition 4.2 tant donn un systme complet S, un sous-systme s de S qui est

    aussi complet et qui ne contient pas de sous-ensemble strict complet est appel Sous-systme Complet Minimal (SCM). Notons que deux SCMs dun systme complet sont disjoints : aucune variable napparat dans les deux la fois. Ainsi, chaque SCM peut tre rsolu indpendamment.

    4.1.1.1. Ordre causal Iwasaki et Simon (1986a ; 1986b ; 1994) dfinissent l'ordre

    causal de la faon suivante : tant donn un systme complet S, considrons S0 comme lunion de ses SCM, appels dordre zro. Comme S0 est complet, les variables de S0 peuvent tre dtermines en rsolvant les quations de S0. En substituant toutes les occurrences de ces variables dans S\S0, on obtient un nouveau systme complet, appel systme driv dordre 1. Considrons S1 lunion de ses SCM, appels dordre 1. La procdure prcdente est rpte jusqu ce que le dernier systme complet driv ne contienne aucun sous-systme propre complet.

    Pour chaque quation ei de S, appelons Vi lensemble des variables apparaissant dans ei et Wi le sous-ensemble de Vi contenant les variables qui appartiennent aux SCM dordre le plus lev. Alors, les variables de Wi sont dfinies comme causalement dpendantes de celles de Vi\ Wi.

    La dtermination de l'ordre causal est donc quivalente la recherche des sous-systmes complets minimaux des structures drives successives. Cet ordre causal est unique.

    Une boucle de retour correspond l'existence d'un SCM ayant plus d'une variable. Ainsi, toutes les variables dun mme SCM sont considres comme mutuellement dpendantes et appartiennent au mme niveau causal.

    4.1.1.2. Implmentation l'aide de la thorie des graphes Port et al. (1988) ont montr comment mettre en uvre les

    concepts prcdents pour la dtermination dun ordre causal dans le cadre de la thorie des graphes. tant donn un systme complet S = (E, X) constitu d'un ensemble E de n quations et d'un ensemble X de n variables, le problme de l'ordre causal se ramne la recherche

  • 264 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    dun couplage parfait2 dans le graphe biparti associ S (Gondran et Minoux, 1979), entre lensemble E d'quations et lensemble X de variables. Il sagit donc d'associer de manire bi-univoque une variable une quation.

    Le graphe biparti associ S est donn par G = (E X, A) : chaque quation est reprsente par un nud ei et chaque variable par un nud xj et il existe un arc non orient a(j,i) entre les nuds xj et ei si la variable xj apparat dans l'quation ei.

    Une fois qu'un couplage parfait C a t trouv, chaque quation ei peut tre interprte comme un mcanisme qui dtermine la valeur de la variable couple xi comme une fonction des autres variables apparaissant dans l'quation. xi est alors vue comme causalement dpendante des autres variables de l'quation ei. Un graphe causal GC = (X, Ac) peut tre driv partir de G en orientant les arcs de A de xi vers ej si a(i,j) C et de ej vers xi dans le cas contraire et en agrgeant pour chaque variable couple le nud reprsentant l'quation et celui reprsentant la variable.

    Mais cela n'est pas suffisant pour dterminer l'ordre causal selon Iwasaki et Simon. En effet, le couplage parfait par lui-mme ne fournit pas les SCM explicitement.

    Port et al. (1988) dmontrent que chaque SCM correspond une Composante Fortement Connexe (CFC) dans le graphe orient GC.

    Les rsultats prcdents montrent que les CFCs de GC correspondent aux SCMs de S. Le graphe causal rsultant GC0 est construit partir de GC en agrgeant tous les nuds l'intrieur des CFCs de GC. Cet ordre causal ne dpend pas du choix du couplage parfait et est unique. Les variables appartenant la mme CFC de GC, cest--dire le mme SCM de S, sont mutuellement dpendantes et il ny a pas dordre causal stipul pour ces variables, i.e. il sagit dune boucle.

    Par contre, l'ordre causal obtenu directement partir de GC fournit une interprtation de la causalit entre les variables l'intrieur des CFCs (boucles), qui dpend du couplage parfait utilis. Dans ce cas, lordre causal nest pas unique, contrairement celui dIwasaki et Simon.

    Remarque 4.1 Notons que certains auteurs ayant effectu des travaux ultrieurs

    utilisent lordre causal directement obtenu partir de GC. Cest le cas de Trav-Massuys et Pons (1997) et de Bandekar (1990) qui

    2 Etant donn un graphe G=(S, A), un couplage dans G est un sous-ensemble dartes A A qui sont deux deux non adjacentes. Un couplage est dit parfait sil couvre tous les sommets S de G.

  • Raisonnement causal en physique qualitative 265

    Intellectica, 2004/1, 38

    prfrent expliciter les boucles des fins de diagnostic. Cest le cas galement de Lee et Compton (1994).

    On peut sinterroger comme le fait Skorstad (1990 ; 1992) sur linstabilit contextuelle de lordonnancement causal, cest--dire sa dpendance par rapport aux variables exognes ou, de manire quivalente, par rapport lenvironnement (ou contexte) dans lequel est plac le systme. Mais ceci dpasse la porte de cet article.

    Exemple 4.1 Reprenons lexemple du rgulateur de pression donn par la

    Figure 3.1. La matrice doccurrence M du modle donn par les quations (q.1) (q.4) est la suivante :

    Q Ps S Pe

    (q.1) X X

    (q.2) X X

    (q.3) X X X X

    (q.4) X

    X dans une cellule mi,j signifie que la variable en position j intervient dans lquation en position i.

    On constate que (q.4) forme un SCM dordre 0, dont Pe est la seule variable, et que (q.1) (q.3), o lon a remplac Pe par P*, forment un SCM dordre 1, dont les variables Q, Ps et S sont donc mutuellement dpendantes. Pour Iwasaki et Simon, il ny a pas dordonnancement causal des variables Q, Ps et S : Ps et S influencent Q ; Ps contrle S ; et Q influence aussi Ps. La structure causale est donc donne par la Figure 4.1 :

  • 266 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    Pe

    {Q,Ps,S}

    Figure 4.1 Structure causale du rgulateur de pression suivant Iwasaki et Simon (1986a)

    4.1.1.3 Utilisation de la statique comparative On constate que cet ordre causal seul ne permet pas de dterminer

    le comportement du systme suite une perturbation, telle quun accroissement de la pression en entre, contrairement la causalit mythique (Figure 3.2). Le recours la mthode de la statique comparative ( comparative statics ) permet Iwasaki et Simon (1986a) dobtenir ce rsultat. Il sagit dintroduire explicitement la dynamique des processus. On peut ici, de faon raliste, supposer que lajustement de louverture de la vanne dune part et celui du dbit dautre part prennent du temps, alors que leffet du dbit sur la pression de sortie est rapide compar ces deux processus et peut tre considr comme instantan. Ceci revient donc remplacer (q.1) et (q.3) par des quations diffrentielles et garder (q.2) inchange. On obtient, en premire approximation (en supposant que les retours de S et Q leurs valeurs dquilibre suite une perturbation se font des vitesses proportionnelles leurs dviations par rapport ces valeurs) le systme suivant (o c1 et c2 sont positifs) :

    (q.9) dSdt

    = c1( Ps S)

    (q.10) Ps = Q

    (q.11) dQdt

    = c2( (Pe Ps) + S Q)

    (q.12) Pe = P* La statique comparative dtermine la rponse nette une

    perturbation entre deux tats dquilibre. Il faut donc au pralable sassurer de la stabilit dynamique du systme en analysant les quations ci-dessus. On peut alors perturber le systme par P* = + et en rsolvant symboliquement le systme de confluences (q.5)-

  • Raisonnement causal en physique qualitative 267

    Intellectica, 2004/1, 38

    (q.8), on peut dduire que Ps = + et S = . Contrairement la causalit mythique, qui se contente de propagation, mais a besoin dheuristiques pour la guider, cest ici de la rsolution symbolique qui doit tre applique. Enfin, si on obtient les mmes rsultats pour les dviations lors du retour lquilibre, il ny a pas de chemin causal comme dans la Figure 3.2. Voyons prsent comment Iwasaki et Simon ont gnralis lordonnancement causal aux systmes dynamiques.

    4.1.2 Systmes dynamiques Les systmes dynamiques sont modliss par des quations

    diffrentielles. On peut supposer, sans perte de gnralit, quil sagit dquations du premier ordre, puisque toute quation diffrentielle dordre quelconque se rcrit en un systme dquations diffrentielles du premier ordre.

    Dfinition 4.3 Un systme (qualitatif) dynamique de n quations diffrentielles

    du premier ordre n variables est dit complet si tout sous-ensemble de k quations (k n) contient au moins les drives premires de k variables.

    Iwasaki et Simon distinguent deux types de relations causales dans les systmes dynamiques : la causalit intgrale et la causalit diffrentielle. La causalit intgrale signifie que chaque variable

    dpend de sa drive : t, x(t) x(t dt) dxdt

    dt . Cest ainsi que

    (q.9) et (q.11) fournissent les causalits intgrales suivantes : dQdt

    Q dSdt

    S+ +II

    Figure 4.2 Causalit intgrale (le I signifie intgrale )

    La causalit diffrentielle suppose que le systme a pralablement t mis sous forme canonique quivalente (ce qui est possible par une manipulation algbrique des quations), o une quation diffrentielle est dite sous forme canonique s'il y a une seule drive dans l'quation et que cette drive est le seul terme apparaissant

    dans le membre de gauche de l'quation : dxidt

    f (x1,..., xi ,..., xn ).

    Toute quation diffrentielle sous forme canonique peut alors tre interprte comme un mcanisme dterminant la valeur de la drive comme une fonction des variables apparaissant dans le membre de droite. Cest cette interprtation causale naturelle exprimant la

  • 268 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    dpendance de chaque drive par rapport toutes les variables apparaissant dans son expression qui est appele causalit diffrentielle. Cest ainsi que (q.9) et (q.11) fournissent les causalits diffrentielles suivantes :

    PedQdt

    Q PsdSdt

    S

    +

    +

    Figure 4.3 Causalit diffrentielle (traits pleins) et intgrale (traits pointills)

    L'ordre causal d'un systme dynamique complet sous la forme canonique est donn, pour chaque quation, par :

    le lien intgral liant une drive et sa primitive ; les liens diffrentiels entre une drive et les autres

    variables de l'quation. La superposition des liens de causalit diffrentielle et intgrale

    illustre en Figure 4.3 fournit quasiment lordonnancement causal pour le rgulateur de pression. Seule (q.10), reliant Q et Ps, na pas t traite, car cette quation est statique. Il faut donc tendre cette technique au cas des systmes mixtes.

    4.1.3 Systmes mixtes Les structures mixtes sont composes d'quations diffrentielles

    et d'quations algbriques. C'est le type de systme le plus frquemment rencontr ; les modles mixtes sont souvent utiliss la place de modles dynamiques purs quand la dynamique de certaines variables peut tre considre comme instantane par rapport aux autres.

    4.1.3.1 Instanciation des systmes mixtes

    tant donne l'quation suivante : t, x(t) x(t dt) dxdt

    dt ,

    Iwasaki et Simon considrent x(t dt) comme une variable exogne pour l'instanciation du systme l'instant t. L'ordre causal pour un systme S l'instant t est obtenu partir d'un nouveau systme

    Inst(S) incluant toutes les quations de S et, pour chaque drive dxidt

    apparaissant dans S, une quation constante xi = c pour reprsenter le fait que xi est une variable exogne dans Inst(S).

  • Raisonnement causal en physique qualitative 269

    Intellectica, 2004/1, 38

    Dfinition 4.4 Un systme mixte S de n quations n variables est complet si et

    seulement si : S est compos dquations diffrentielles du premier

    ordre et dquations algbriques ; Inst(S) est un systme statique complet lorsque les

    drives des variables sont considres comme de nouvelles variables distinctes.

    Notons que, si S est statique, on retrouve la dfinition prcdente, mais que si S est purement dynamique, cette nouvelle dfinition est plus gnrale que la prcdente : en particulier, elle nimpose pas la mise sous forme canonique et donc pas non plus la causalit diffrentielle.

    4.1.3.2 Ordre causal L'ordre causal d'un systme mixte est dtermin par :

    L'application des rgles d'ordonnancement des systmes statiques Inst(S) ;

    L'ajout des liens intgrateurs entre chaque drive et sa primitive (causalit intgrale).

    Illustrons ceci sur le rgulateur de pression, en partant des quations (q.9)-(q.12), qui forment un systme mixte. Son instanciation est obtenue en y ajoutant les deux quations suivantes : (q.13) S = s (q.14) Q = q o s et q sont des constantes. On obtient donc un systme statique de

    6 quations 6 variables ( dSdt

    et dQdt

    tant des variables

    indpendantes), dont il est facile de voir quil est complet. Le systme mixte est donc complet. Les quations (q.12)-(q.14)

    forment 3 SCM dordre 0, mettant en jeu les variables S, Q et Pe. Lquation (q.10), o Q a t remplac par q, forme un SCM dordre 1, mettant en jeu la variable Ps. Enfin, (q.9) et (q.11), dans lesquelles S, Q, Pe et Ps ont t respectivement remplaces par s, q,

    P* et q forment 2 SCM dordre 2, mettant en jeu les variables dSdt

    et

    dQdt

    . Lordonnancement causal de ce systme statique instanci,

  • 270 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    auquel on ajoute les deux causalits intgrales entre dSdt

    et S et entre

    dQdt

    et Q, fournit lordre causal suivant :

    PedQdt

    Q PsdSdt

    S I I

    + + +

    +

    +

    Figure 4.4 Ordonnancement causal du modle mixte du rgulateur de pression On remarque que, si lon ne considre pas les 2 variables

    drives, on retrouve comme approximation de cet ordonnancement causal la structure causale obtenue par la causalit mythique laide dheuristiques (Figure 3.2).

    4.2 Systmes plusieurs modes de fonctionnement ou hybrides

    La majorit des systmes ont plusieurs modes opratoires, ce qui leur procure un caractre hybride (Tomlin et Greenstreet, 2002). En effet, ils sont le sige de processus continus, mais incluent cependant des commutateurs (lectriques, hydrauliques, etc.) ou sont boucls sur des contrleurs de nature discrte. Ils peuvent aussi avoir un comportement hautement non linaire quil est plus ais de reprsenter en associant diffrents comportements des plages de fonctionnement distinctes. Le modle quationnel d'un tel systme est modal dans le sens o des conditions logiques sont associes ses quations. Ces conditions se retrouvent associes aux influences de la structure causale, leur validit spcifiant ltat actif ou inactif des influences.

    Trav-Massuys et Pons (1997) proposrent une extension de la mthode dordonnancement causal dIwasaki et Simon pour de tels systmes. Lors dun changement de mode, la structure causale correspondant au nouveau mode est gnre de manire incrmentale, cest--dire en partant de celle dans le mode prcdent plutt que dtre recalcule entirement. On parle dordre causal incrmental.

    Dfinition 4.5 (Cohrence dun mode opratoire) Un mode opratoire est dit cohrent si et seulement sil est

    logiquement et physiquement cohrent, cest--dire que l'ensemble des conditions logiques dfinissant ce mode est satisfiable et qu'elles sont toutes simultanment ralisables (d'un point de vue physique).

  • Raisonnement causal en physique qualitative 271

    Intellectica, 2004/1, 38

    Dfinition 4.6 (Compltude) Un systme S modes multiples est complet si et seulement si ses

    parties statiques et dynamiques sont compltes pour tous les modes opratoires.

    Le nombre de modes opratoires diffrents du systme est obtenu en multipliant le nombre de modes diffrents pour chaque composant physique. On doit cependant noter que parmi ces modes, certains peuvent tre incohrents (voir dfinition 4.5). On dfinit un mode cohrent comme une configuration.

    Considrons le systme S dans une configuration donne prise comme la configuration initiale sans perte de gnralit dont le modle est constitu par un ensemble dquations et de variables. Pour cette configuration, la mthode dIwasaki et Simon (1993) permet de gnrer un graphe causal initial GC0. Un changement de configuration est dfini par le changement des valeurs de vrit d'un ensemble de conditions. On dfinit les macro-conditions C et C* comme l'union des conditions dont la valeur de vrit passe de 1 0, et de 0 1 respectivement. Ceci revient remplacer les quations conditionnes par les conditions de C par celles soumises aux conditions de C*. Alors, les rsultats de Trav-Massuys et Pons (1997) permettent de dterminer le sous-graphe causal minimal de GC0 devant tre rvalu (i.e. non applicable la configuration courante) et le sous-graphe venant le remplacer.

    Exemple 4.2 Reprenons lexemple du rgulateur de pression intgr dans un

    systme dalimentation. Le rgulateur alimente un rservoir ayant, suivant le mode, une ou deux extractions de fluide, comme illustr sur la Figure 4.5. La premire est constamment ouverte alors que la seconde inclut un composant (hachur sur la figure) procurant un caractre hybride au systme global. Les dbits dans les deux extractions 1 et 2 sont nots Q1 et Q2 et leurs pressions de sortie Ps1 et Ps2 sont considres constantes, gales la pression atmosphrique Patm.

  • 272 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    Q

    Figure 4.5 Le rgulateur de pression intgr un systme dalimentation

    Le niveau de fluide dans le rservoir est not H et la pression en son fond PR. Le composant hachur est une vanne tout ou rien seuil. Elle est ferme tant que la diffrence de pression ses bornes (PR-Ps2) reste infrieure un seuil au-del duquel elle souvre. On dfinit la condition C comme tant vraie lorsque PR-Ps2< , fausse dans le cas contraire et lon note C*= C.

    Les quations de ce systme sont donnes par lensemble des quations (q.9)-(q.14) du rgulateur (modle mixte) dj utilises auxquelles on ajoute les quations (q.15), avec son quation quasi-exogne (q.16), et (q.17) pour le rservoir, une quation pour chaque mode de comportement de la vanne seuil (q.18) (conditionne par C) et (q.19) (conditionne par C*), une quation (q.20) pour la 1re extraction et une quation (q.21) pour la 2me extraction (conditionne par C* car cette branche est ferme dans le cas contraire) ainsi que deux quations exognes (q.22) et (q.23).

    , kd, 1 et 2 sont des coefficients constants qui dpendent des caractristiques du fluide, du rservoir, de la vanne seuil et des extractions.

    Rservoir :

    (q.15) dHdt

    =Q Q1 Q2

    (q.16) H=h (q.17) PR= H

    Vanne seuil :

    (q.18) Q2=0 sous C (q.19) PR-Ps2=kd sous C*

    1re extraction :

  • Raisonnement causal en physique qualitative 273

    Intellectica, 2004/1, 38

    (q.20) Q1= 1(PR-Ps1)

    2me extraction :

    (q.21) Q2= 2(Ps2-Ps2) sous C* (q.22) Ps1=Patm (q.23) Ps2=Patm sous C*

    Considrons la configuration initiale comme correspondant la condition C. Dans cette configuration, les quations (q.19), (q.21) et (q.23) ne font pas partie du modle. La structure causale obtenue, donne par la Figure 4.6, inclut celle du rgulateur seul (Figure 4.4) qui influence de manire positive le rservoir.

    Pe dQdt

    Q Ps dSdt

    S

    dHdt

    Q2

    H Q1 Ps1

    +

    +

    +

    +

    I

    I I + + +

    +

    +

    PR

    Rgulateur de pression

    Rservoir en modeextraction 1

    Figure 4.6 Structure causale pour la configuration initiale (condition C)

    Passons la nouvelle configuration correspondant la condition C*. Les quations (q.19), (q.21) et (q.23) viennent remplacer lquation (q.18). Les rsultats de Trav-Massuys et Pons (1997) permettent de dterminer le sous-graphe qui doit tre rvalu, indiqu par les arcs en pointills sur la Figure 4.6, ainsi que le sous-graphe qui vient le remplacer dans la nouvelle configuration. Il sagit des arcs en pointills sur la Figure 4.7. La structure causale concernant le rgulateur de pression nest pas concerne par le changement de configuration et seule la partie concernant le rservoir et les extractions est remise en cause.

  • 274 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    dHdt

    Q2 Ps2

    Ps2

    H Q1 Ps1

    +

    +

    +

    I +

    + + PR

    Rgulateur de pression

    Rservoir en modeextraction 1 & 2

    Figure 4.7 Structure causale pour la configuration finale (condition C*)

    5. LES BOUCLES DE RTROACTION : CAUSALIT FICTIVE OU RALIT ?

    La plupart des systmes physiques incluent des boucles de rtroaction (feedback loops en anglais). Lorsque de tels systmes sont modliss un niveau dabstraction lev, ces boucles correspondent des boucles algbriques, cest--dire un ensemble de n quations algbriques n variables inconnues. Les chercheurs saccordent pour dire que la signification de la causalit nest pas bien claire dans ce cas. Certains, qui refusent dabandonner la proprit de ncessit, dclarent, comme Iwasaki et Simon (1994), quelle na alors aucun sens. Dautres, comme de Kleer et Brown (1984 ; 1986) et Williams (1990), relchent la proprit de ncessit et disent quil peut alors exister plusieurs interprtations causales. Cependant, ces derniers constatent que les ingnieurs ont une interprtation causale prfre qui peut sapprhender par des heuristiques. Par exemple, sauf argument contraire, on peut prfrer que le changement de pression cause le changement de dbit plutt que le contraire (les heuristiques KCL et KVL de de Kleer, 1979). Williams (1990) propose quant lui une thorie pour dterminer la direction dominante du flux causal dans les boucles en exploitant les proprits mathmatiques des lments capacitifs.

    Le problme pos par les boucles provient du fait quune explication causale dcrit le comportement dun systme comme une squence deffets locaux, alors que lanalyse des boucles doit se faire suivant une perspective globale. Ainsi ce problme fut lobjet dun dbat entre Iwasaki et Simon (1986a ; 1986b) dun ct, et de Kleer et Brown (1984 ; 1986) de lautre, livr la communaut par plusieurs articles successifs dans AI Journal en 1986.

  • Raisonnement causal en physique qualitative 275

    Intellectica, 2004/1, 38

    Les sections 3.4 et 4.1 ont prsent les deux approches concurrentes. Dans lapproche de causalit mythique, la recherche de la causalit sous-jacente seffectue de manire dynamique lors de la propagation dune perturbation dans le jeu de contraintes. Au contraire, lapproche de lordonnancement causal seffectue hors-ligne en analysant la structure des quations et sans ncessiter des signaux d'entre.

    Il est important de remarquer que, partant du mme jeu dquations, les deux approches tablissent le mme ordre causal lorsque le systme ne contient pas de boucles. Dans ce cas, la propagation physique dune perturbation dune variable exogne trouve sa correspondance dans les substitutions calculatoires de variables induites par lanalyse structurelle des quations. Quand une boucle existe, lenvisionnement dtermine toutes les interprtations et la causalit mythique slectionne, grce des heuristiques, une interprtation causale prfrentielle le long de la boucle, alors que lordonnancement causal sinterdit de donner une telle interprtation causale, tout en proposant de faire une analyse complmentaire inspire de la mthode de statique comparative des conomistes pour dterminer leffet dune perturbation (cf. section 4.1.1.3).

    Dans leur rponse, de Kleer et Brown (1986) expliquent la source des diffrences des deux approches dans les diffrences entre les domaines techniques et le domaine conomique et le fait quils rattachent la causalit directement la structure physique du systme, alors quIwasaki et Simon la rattachent la structure des quations qui dcrivent le systme. Ils dveloppent plusieurs consquences de ce fait, en particulier en ce qui concerne leur capacit produire une interprtation causale pour les boucles. Dans leur rponse, Iwasaki et Simon (1986b) rejettent cet argument, affirmant quils partent des quations structurelles, chacune reprsentant bien un mcanisme distinct, les mcanismes tant dfinis comme des entits conceptuelles dfinissant les fonctions partir desquelles le systme global doit tre expliqu. Il ny a donc aucune diffrence entre les deux approches suivant ce point de vue. Ils appuient cet argument en remarquant que de Kleer et Brown utilisent aussi bien des quations dfinitionnelles dans leurs modles, quations qui ne se rapportent donc pas des composants ou connexions.

    Ainsi Iwasaki et Simon rfutent la plupart des arguments de de Kleer et Brown consquence de cette (fausse) diffrence. A part pour le cas des boucles, quils considrent sans objet, ils saccordent pour dire que les rsultats produits sont identiques mais considrent que la mthode de causalit mythique est moins gnrale et que la mthode plus formelle dordonnancement causal explique pourquoi cette premire marche.

  • 276 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    Avec le recul ncessaire, ce dbat semble assez vain, puisque bien trop fond sur les intuitions respectives sur la causalit des auteurs en prsence. Comme le fait remarquer lintroduction de la partie sur la causalit des Readings in QR (Weld et de Kleer, 1990) on peut lui trouver nanmoins une utilit dans le fait quil met en vidence la complexit du concept de causalit. Les diffrences des deux approches ne reposent vraisemblablement pas tant sur le fait dtre un ingnieur ou un conomiste, mais sur la classe de tches pour laquelle la causalit est utilise. Assigner une causalit dans les boucles pour des tches typiques dconomie peut tre sans intrt. Assigner une causalit dans les boucles est au contraire de premire importance en ingnierie car la plupart des tches ncessitent de modifier dune certaine faon la boucle. Que les notions de causalit quingnieurs et conomistes utilisent pour raliser leurs tches respectives soient diffrentes ou non est une question dordre pragmatique et pas ncessairement dun intrt central la physique qualitative.

    6. LAPPROCHE PAR GRAPHES DE LIAISONS ( BOND GRAPHS )

    Les graphes de liaisons (Dauphin-Tanguy, 2000) sont proposs pour reprsenter les systmes physiques comme un intermdiaire entre la reprsentation physique et le modle mathmatique. Imagins par Paynter (1961), formaliss par Karnopp et Rosenberg (1975 ; 1983), arrivs en Europe la fin des annes 1970 par les Pays-Bas et la France, ils sont utiliss depuis longtemps en automatique systmique et sont apparus plus rcemment en IA. Ils sappuient sur la reprsentation des transferts de puissance au sein du systme et sur un formalisme trs gnral de modlisation en termes de variables deffort et de flux (la puissance tant le produit dun effort par un flux). La causalit y est reprsente localement par limpossibilit dimposer simultanment un effort et un flux. Cest un modle graphique partir duquel on va pouvoir dune part, engendrer de manire systmatique les modles mathmatiques classiques qui sous-tendent le comportement du systme physique et dautre part, exhiber les relations de cause effet existantes.

    Cest souvent pour ce dernier point que certains chercheurs de la communaut du Raisonnement Qualitatif se sont intresss cette mthode de reprsentation (Top et Akkermans, 1991 ; Mosterman, 1997 ; Mosterman et Biswas, 1997 ; Mosterman et al. 2000).

    6.1 Les principes de base Les variables gnralises utilises permettent dassurer une

    analogie entre les diffrents principaux domaines de la physique. Il sagit des variables deffort e et de flux f, qui sont des variables de

  • Raisonnement causal en physique qualitative 277

    Intellectica, 2004/1, 38

    puissance, et de leurs intgrales par rapport au temps, les variables de moment p et de dplacement q respectivement, qui sont des variables dnergie. Le transfert de puissance entre deux sous-systmes est reprsent par une demi-flche qui correspond au bond (liaison) du graphe. Le sens de la demi-flche correspond au sens positif de la puissance. Ce lien porte les variables deffort et de flux, dont le produit gale la puissance P = e.f (le flux est reprsent du ct de la demi-flche).

    e

    f f

    efe fe

    Le tableau 6.1 indique la signification de ces variables

    gnralises pour les principaux domaines de la physique.

    Domaine Effort e Flux f Moment p Dplacement q

    mcanique

    translation

    rotation

    force F

    couple

    vitesse v

    vitesse angulaire

    impulsion p

    impulsion angulaire h

    longation x

    angle

    lectrique tension u courant i flux magntique

    charge q

    hydraulique pression P dbit volumique

    Q

    impulsion pression

    volume V

    thermique temprature flux dentropie

    entropie

    magntique force magnto-motrice

    drive flux magntique

    flux magntique

    chimique potentiel chimique

    flux molaire

    masse molaire

    Tableau 6.1Variables gnralises pour diffrents domaines de la physique

  • 278 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    Les composants physiques sont catgoriss en lments passifs (au nombre de trois), lments actifs (au nombre de deux) et lments de jonction (au nombre de quatre).

    Les trois lments passifs 1-port (qui reoivent la puissance par un lien unique ; il est parfois ncessaire dutiliser des lments passifs multiports) sont : llment rsistif R, llment capacitif C et llment inductif I. Ils transforment la puissance fournie en nergie dissipe sous forme de chaleur (R) ou stocke (C et I).

    Llment R modlise tout phnomne physique liant les variables deffort et de flux.

    f e

    R

    La loi gnrique R(e,f) = 0 est linaire dans les cas de la loi dOhm en lectricit (u = R1i) ou de la loi de frottement en mcanique (F = bv) par exemple. Llment C modlise tout phnomne physique liant les

    variables deffort et de dplacement.

    f = dq/dt

    e C

    La loi gnrique C(e,q) = 0 est linaire dans les cas de la loi dun condensateur en lectricit (u = q/C1) ou de la loi dun ressort en mcanique (F = kx) par exemple. Llment I modlise tout phnomne physique liant les

    variables de flux et de moment.

    e = dp/dt I f

    La loi gnrique I(p,f) = 0 est linaire dans les cas de la loi dune bobine en lectricit ( = Li) ou de la loi dune masse inertielle en mcanique (p = Mv) par exemple.

    Les deux lments actifs, qui fournissent de la puissance au systme, sont les sources deffort Se (par exemple, un gnrateur de tension lectrique) et de flux Sf (par exemple, un gnrateur de dbit volumique hydraulique) qui imposent respectivement les variables deffort et de flux, indpendamment de la variable complmentaire.

    Se

    Sf

  • Raisonnement causal en physique qualitative 279

    Intellectica, 2004/1, 38

    Les quatre lments de jonction, 0, 1, TF, GY, servent coupler les lments passifs et actifs et sont conservatifs de puissance.

    La jonction 0 sert coupler des lments soumis au mme effort (galit des efforts, nullit de la somme algbrique des puissances, donc des flux). Cest une gnralisation tout domaine physique de la loi de Kirchhoff sur les courants en lectricit.

    e1 = e2 = = en aifi = 0 (ai = +1 si la demi-flche est dirige vers

    la jonction et 1 sinon). 0

    e

    f1

    e

    f3

    e f2

    La jonction 1 sert coupler des lments parcourus par

    le mme flux (galit des flux, nullit de la somme algbrique des puissances, donc des efforts). Cest une gnralisation tout domaine physique de la loi de Kirchhoff sur les tensions en lectricit.

    f1 = f2 = = fn aiei = 0 1

    e1

    f

    e3

    f

    e2 f

    Le transformateur TF et le gyrateur GY sont des

    lments 2-port modlisant les phnomnes physiques qui transforment la puissance, tels les transformateurs lectriques et les gyroscopes respectivement.

  • 280 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    TF e1 e2 f1 f2 m

    GY e1 e2 f1 f2 r

    Les relations qui caractrisent TF et dfinissent m sont : e1 = me2, f2 = mf1. Les relations qui caractrisent GY et dfinissent r sont : e1 = rf2, e2 = rf1. TF et GY sont en particulier utiliss pour modliser les changements de domaines physiques qui se font sans perte de puissance, comme le couplage hydraulique-mcanique dans un vrin hydraulique (S tant laire du piston) et le couplage lectrique-mcanique dans un moteur courant continu.

    TF e1=P e2=F f1=Q f2=v

    1/S

    GYe1=u e2=f1=i f2= k

    Il existe enfin des liens puissance nulle, qui correspondent une liaison transfrant de linformation et non pas de la puissance, symbolise par une flche entire. Elle peut servir par exemple reprsenter des coefficients modulables. Cest le cas dans le rgulateur de pression o la valeur de la rsistance hydraulique dpend de la valeur de la section de louverture, cest--dire de la valeur du dplacement du piston.

    S R :1/S

    6.2 Expression de la causalit Un modle par graphe de liaisons permet de faire apparatre

    explicitement les relations de cause effet. Lorsque deux sous-systmes A et B sont coupls et changent de la puissance, deux

  • Raisonnement causal en physique qualitative 281

    Intellectica, 2004/1, 38

    situations sont en effet possibles : A applique un effort e B, qui ragit en envoyant A un flux f fonction de e ; A envoie un flux f B, qui ragit par un effort e fonction de f. Pour reprsenter graphiquement ces relations, un trait causal est plac perpendiculairement chaque liaison, lextrmit voisine de llment auquel leffort est impos.

    A B e

    f

    A B e f

    Laffectation de la causalit est soumise des rgles regroupes dans Tableau 6.2 et Tableau 6.3.

    Causalit Elment Loi caractristique

    (en gnral)

    Cas linaire

    obligatoire Se

    Sf

    e impos par Se

    f impos par Sf

    intgrale C

    I

    eC = C(fCdt)

    fI = I(eIdt)

    eC = qC/C

    fI = pI/I

    drive C I

    fC = ddt

    ( C-1(eC))

    eI = ddt

    ( I-1(fI))

    qC= CeC

    pI = IfI

    arbitraire R

    R

    eR = RfR

    fR = eR /R

  • 282 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    non arbitraire R

    R

    eR = R(fR)

    fR = R-1(eR)

    Tableau 6.2Rgles daffectation de la causalit sur les lments actifs et passifs

    Elment Rgle Loi

    0

    1 n

    2 i

    1 seul lien avec

    trait causal prs du 0

    e1 = ei, e2 = ei, , en = ei

    aifi = (a1f1 + a2f2 + + anfn)

    1

    1 n

    2 i

    1 seul lien sans

    trait causal prs du 1

    f1 = fi, f2 = fi, , fn = fi

    aiei = (a1e1 + a2e2 ++ anen)

    TF

    1 2

    TF

    1 2

    affectation symtrique

    de la causalit

    e1 = me2 f2 = mf1

    e2 =1/m e1 f1 = 1/m f2

    GY

    1 2

    GY

    1 2

    affectation anti-

    symtrique de la

    causalit

    e1 = rf2 e2 = rf1

    f1 =1/r e2 f2 = 1/r e1

    Tableau 6.3Rgles daffectation de la causalit sur les lments de jonction

    On voit que les lments actifs ont une causalit fixe, les sources deffort (resp. de flux) imposant de faon externe un effort (resp. un flux). Les lments rsistifs non linaires ont aussi une causalit fixe. Les processus de stockage dnergie ont quant eux une

  • Raisonnement causal en physique qualitative 283

    Intellectica, 2004/1, 38

    causalit prfrentielle : un lment capacitif produit de prfrence un effort et un lment inductif engendre de prfrence un flux. Comme les lois de ces lments relient respectivement la drive dun effort un flux et la drive dun flux un effort, on reconnat l la causalit intgrale adopte par ailleurs tant par de Kleer et Brown que par Iwasaki et Simon (nanmoins, cette causalit intgrale nest pas contingente mais seulement prfrentielle ; la causalit inverse, dite causalit drive, o la drive dune variable dpend de cette variable, peut aussi exister). La causalit des lments rsistifs linaires est par contre en principe dpendante du contexte, cest--dire dtermine par la causalit des autres lments du systme (sources et processus de stockage dnergie). Si ce nest pas le cas, elle peut tre assigne arbitrairement.

    La procdure dassignation de la causalit (connue sous le nom de SCAP comme Sequential Causality Assignment Procedure ) comprend les tapes suivantes :

    1. Affecter la causalit obligatoire aux sources et aux lments rsistifs R non linaires et rpercuter sur lenvironnement en respectant les restrictions de causalit aux jonctions ;

    2. Affecter une causalit intgrale prfrentielle aux lments I et C et rpercuter sur lenvironnement en respectant les restrictions de causalit aux jonctions ;

    3. Complter la causalit sur les lments R linaires en respectant les restrictions de causalit aux jonctions ;

    4. En cas de conflit une jonction, rechercher llment I ou C cause de conflit et lui affecter une causalit drive. Boucler ltape prcdente.

    Donnons quelques exemples de cette procdure. Exemple 6.5 Appliquons cette procdure lexemple du rgulateur de

    pression. Partons dune modlisation statique (cest--dire en rgime

    stationnaire, dbit constant) simple, analogue celle de lexemple 3.1. Le conduit principal (vanne dorifice S) se modlise comme un composant rsistif dont la valeur de la rsistance est inversement proportionnelle S (cette dpendance est indique par une liaison informationnelle), qui donne lieu une quation de perte de charge : Q cS Pe Ps , analogue (q.3), au sens o lquation qualitative associe est identique, soit (q.7). Ce conduit rsistif est reli par une jonction 1 (mme dbit) dune part une source deffort

  • 284 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    imposant la pression exogne dentre Pe, dont lquation est (q.4), dautre part un autre composant rsistif pour modliser la charge en sortie, dont lquation est (q.2). En labsence dune modlisation dynamique du piston, lquation de rgulation (q.1) est directement traduite par une liaison de Ps vers S. On suppose, en accord avec lanalyse de lexemple 3.1, que, dans la charge en sortie, le dbit impose la pression de sortie (on peut montrer que cest une consquence du modle dynamique complet).

    Se 1Pe Ps

    Q QR

    S

    Pe-Ps

    R :1/S

    Q

    Figure 6.1Graphe de liaisons du rgulateur de pression (modle statique)

    La causalit est alors entirement dtermine et lon obtient le graphe de liaisons de la Figure 6.1.

    De ce graphe, on dduit la structure causale suivante (Figure 6.2), dont on remarque quelle concide avec celle tablie par la causalit mythique partir de la propagation dune perturbation exogne de la pression dentre (Figure 3.2), alors mme que lordonnancement causal dIwasaki et Simon nordonnait pas causalement les variables Q, Ps et S (Figure 4.1).

    Pe Pe Ps Q Ps S

    +

    +

    + +

    Figure 6.2Structure causale du rgulateur de pression drive du graphe de liaisons de la

    Figure 6.1

    6.3 Comparaison avec lordonnancement causal Les concepts de causalit issus de la thorie de lordonnancement

    causal et de la mthode des graphes de liaisons savrent tre semblables : les ordres causals obtenus sont identiques si les modles mathmatiques sous-jacents sont les mmes. En effet, du point de vue mathmatique, un graphe de liaisons peut tre considr comme un cadre organisationnel qui arrange les quations et les variables de

  • Raisonnement causal en physique qualitative 285

    Intellectica, 2004/1, 38

    faon que les substitutions soient reprsentes par des liens graphiques, savoir les liaisons nergtiques. La diffrence fondamentale entre les deux mthodes est que lordonnancement causal est fond sur des relations mathmatiques abstraites et la mthode des graphes de liaisons sur des principes physiques formels. Le premier peut donc avoir une porte plus gnrale que les systmes physiques, mais, lorsquon a affaire ceux-ci, la seconde constitue une reprsentation plus riche de la connaissance, se prte mieux lexplication physique et engendre plus dinformation causale.

    Rsolution de la causalit Les graphes de liaisons tant fonds sur un ensemble exhaustif de

    mcanismes physiques primitifs, ils garantissent que, pour un modle donn (dont la granularit de dtail est fixe), la causalit obtenue aura une rsolution maximale, en termes dexplication causale. Cette rsolution est automatiquement engendre, alors quelle est laisse au savoir-faire de celui qui crit les quations du modle dans le cas de lordonnancement causal. Par exemple, dans le cas dune conservation de flux dnergie, les graphes de liaisons la dcomposent en les mcanismes primitifs qui la crent, dcomposition qui peut tre aisment omise dans le cas de lordonnancement causal car elle ne dcoule pas de faon vidente de la structure mathmatique du systme.

    Exognit La dtermination de lexognit est une question de

    modlisation (hypothses sur les interactions possibles entre le systme considr et le reste du monde) et pas de syntaxe. Dans la thorie de lordonnancement causal, les variables considres comme exognes sont les variables du systme qui ne sont pas influences par le systme. Les graphes de liaisons distinguent exognits directe et indirecte mais cette distinction ne tient qu la distinction entre variables et paramtres (constants) et peut tout aussi bien tre faite avec lordonnancemment causal.

    Compltude La thorie de lordonnancement causal requiert que le modle

    mathmatique (statique, dynamique ou mixte) soit complet. Mais la vrification de la compltude et la rparation du modle en cas dincompltude revient la personne qui modlise le systme. Par contre, si le modle est exprim sous forme dun graphe de liaisons, lassignation de la causalit vrifie automatiquement la compltude. En effet, elle assure que chaque variable deffort ou de flux est le rsultat dune unique expression dans laquelle cette variable nintervient pas. En phase de modlisation, il est toujours possible de construire un systme qui ne soit pas complet. Mais la procdure SCAP dtectera immdiatement le problme et le localisera en termes derreurs causales.

  • 286 P. DAGUE , L. TRAVE-MASSUYES

    Intellectica, 2004/1, 38

    Rtroaction Dans la thorie de lordonnancement causal, une rtroaction est

    dtecte quand lanalyse aboutit un systme dquations qui ne peuvent tre rsolues que simultanment. Aucune information nest fournie sur le type ou le signe de la rtroaction. Avec les graphes de liaisons, le type et le signe dcoulent automatiquement du graphe causalement augment. De plus la prsence dune rtroaction algbrique est dtecte ds lapplication de SCAP qui ne prconise pas dans ce cas dorientation causale prfre dans la boucle. De faon similaire la causalit mythique qui produit toutes les directions causales, une direction causale arbitraire est assigne lintrieur de la boucle de rtroaction, au contraire de lordonnancement causal.

    7. CONCLUSION Le domaine du Raisonnement Qualitatif sattache prdire et

    expliquer le comportement des mcanismes physiques en termes qualitatifs. Ceci sous-entend de pouvoir produire une prdiction qualitative du comportement dun systme physique mais aussi dtre capable de construire une explication causale du pourquoi de ce comportement qualitatif. Cest pourquoi la causalit et les modles causals tiennent une place importante dans ce domaine. La causalit est vue comme une composante du raisonnement de sens commun et les modles causals permettent dexploiter une causalit oprationnelle des fins dexplication ou de prdiction.

    Cet article a prsent comment la causalit est aborde dun point de vue conceptuel ainsi que les diffrentes approches oprationnelles permettant de produire la structure causale (ou graphe dinfluences) dun systme partir dune connaissance issue des principes premiers rgissant le comportement des composants (ou mcanismes) du systme, i.e. un modle quationnel. Les trois principales approches (causalit mythique, ordonnancement causal, procdure SCAP des graphes de liaisons) ont t prsentes3 et produisent des structures causales identiques qui refltent bien la faon dont lingnieur apprhende les relations de cause effet. Elles se basent pourtant sur des concepts trs loigns, ce qui les conduit

    3 A ct de ces trois approches, dautres approches moins connues ont t proposes. Mentionnons lordonnancement causal fond sur une analyse dimensionnelle des quantits physiques (Shen et al., 1999) et le Graphe Informationnel Causal (GIC) qui est propos par Hautier et Faucher (1996) comme un modle de connaissance mettant en uvre les lois de la physique dans le strict respect du principe de causalit. Il est rapprocher du concept de Graphe de Liaisons mais lide de causalit drive y est exclue puisquallant, selon les auteurs, lencontre des systmes physiquement ralisables.

  • Raisonnement causal en physique qualitative 287

    Intellectica, 2004/1, 38

    une interprtation des rtroactions trs diffrente qui a fait lobjet dune forte controverse rapporte en section 5.

    Les arguments avancs par les auteurs nous amnent conclure que les diffrences apparentes refltent en ralit des diffrences dans les points de vue de modlisation. Ceci met en relief limportance de la modlisation. En effet, les structures causales produites souffrent dinstabilit contextuelle, comme le remarque Skorstad (1990 ; 1992), cest--dire quelles dpendent de lensemble de variables considres comme exognes et du niveau dabstraction temporelle adopt. Cest lenvironnement dans lequel le modlisateur place le systme qui dfinit les variables exognes. Il ne faut donc pas ngliger la connaissance de cet environnement, mettre en vis--vis avec la connaissance du systme lui-mme et notamment des diffrentes chelles de temps auxquelles se droulent les diffrents processus. Ces processus dfinissent quant eux lensemble des variables quasi-exognes qui jouent un rle tout aussi dterminant dans la causalit que les variables exognes.

    Le niveau dapproximation du modle joue de mme un rle primordial. Il faut noter que lcriture dun graphe de liaisons peut savrer dlicate pour un modlisateur peu pntr des lois physiques du domaine considr. Ceci pourrait paratre surpass par lapproche de lordonnancement causal qui est totalement automatique. Il ne faut cependant pas sy tromper : cette approche demande ce que les quations partir desquelles la mthode sapplique soient structurelles, cest--dire que chacune delles doit effectivement reprsenter le comportement dun mcanisme de base. Le principe de localit est donc dans les quations, et lobtention dun tel modle demande sans aucun doute des connaissances certaines sur les lois physiques rgissant les phnomnes.

    Rfrences

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