Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité

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Harold Levrel Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? Les cahiers de l’IFB

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Harold Levrel

Quels indicateurs pour la gestion

de la biodiversité ?

Institut français de la biodiversité57, rue Cuvier, CP 41, 75231 PARIS CEDEX 05 - France

tél 33 (0)1 40 79 56 62 fax 33 (0)1 40 79 56 63 mail : [email protected]

Quels indicateurs pour la gestionde la biodiversité ?

En 2010, les Etats du monde entier vont devoir faire le bilan de leurs avancées concernantla conservation de la biodiversité, dans le cadre de la Convention sur la diversité biologiqueadoptée à Rio en 1992. Pour cela, il est nécessaire d’avoir recours à des outils de suivi. Lesindicateurs de biodiversité, en tant qu’outils polymorphes adaptés à des questions hybrides,concernant à la fois le scientifique et le politique, sont rapidement apparus comme le meilleur moyen pour suivre ces avancées.

Ce livre présente les principaux indicateurs de biodiversité qui existent aujourd’hui, leurhistoire et les questions techniques qu’ils soulèvent.

Il s’intéresse en particulier aux indicateurs qui cherchent à décrire les interactions entre lesdynamiques de la biodiversité et les dynamiques socio-économiques.

Enfin, il explore de nouvelles voies pour développer des indicateurs pouvant participer àl’émergence d’une co-gestion adaptative de la biodiversité, en mettant l’accent sur lesbesoins et les perceptions des usagers potentiels de ces outils ainsi que sur les processus deco-construction de ces outils.

Les Cahiers de l‘IFB visent à constituer une collection de documents synthétiques, destinésà un public de professionnels : chercheurs, gestionnaires, responsables et militants d’associations, entreprises impliquées dans la gestion de la biodiversité...

www.gis-ifb.org

Les cahiers de l’IFB

2007

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Harold Levrel* CERSP (Conservation des espèces,

restauration et suivi des populations, unité mixte de recherche du Muséum national d'histoire naturelle,

du CNRS et de l'Université de Paris VI)

Quels indicateurs pour la gestion

de la biodiversité ?

Institut français de la biodiversité57, rue Cuvier, CP 41, 75231 PARIS CEDEX 05 - France

* Actuellement à l’Ifremer Département Economie maritime (Brest)

IFB : une plateforme commune au service de la recherche scientifique française en biodiversité

Octobre 2007

Membres de l’Institut français de la biodiversité

Photographies :

© Serge AUBERT / CNRS Photothèque : page 80 (narcisses en montagnes)

©Didier BABIN / IFB : page 13 (VIIe Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique en 2004,Kuala Lumpur - Malaisie)

© Olivier BARBAROUX / Ifremer : pages 33 (bouchots/moules), 50 (bâteau de pêche)

© Nicolas BÉCU : pages 52 (Meriem Bouamrane), 70 (village mapping Huay Rin)

© Dominique Bidaubayle : page 58

INCISIF : pages 8, 9, 16, 21, 26, 28, 30, 33, 46, 48, 50, 55, 62, 68, 75-79, 80

© Hervé MICHEL-2006 : ci-contre (oiseau indicateur)

© Bernard PORTERIE / CNRS Photothèque : page 33

© Matthias ROUAN : pages 52 et 68

© Michel SIVIGNON : page 38 (Mer d'Aral en avril 2001 : rivage près de Moïnak (Ouzbekistan)

© Marc TAQUET / Ifremer : page 30 (banc de poissons)

© Hervé THÉRY / CNRS Photothèque : page 36 (Sao Paulo - Brésil)

©Pierre ZAGATTI / IFB-Inra : pages 8, 19, 20, 27, 29 (Ingénieurs ONF sur le terrain), 48, 52, 80

Indicator indicator

RemerciementsJe souhaite remercier Jacques Weber, Denis Couvet, Meriem Bouamrane etMichel Etienne pour leur soutien, leur disponibilité et leur aide précieuse dans la réalisation de mon travail de thèse qui est à l’origine de cet ouvrage.

Mes remerciements vont aussi aux personnes suivantes pour l’aide qu’elles ontpu m’apporter dans ce travail de recherche sur les indicateurs : René-Pierre Andlauer, François Chiron, Sophie Condé, Alain Desrosières, Jean-Luc Dubois, Gaëlle Durocher, Françoise Gourmelon, Christian Kerbiriou,Romain Julliard, Christophe Le Page, Marie-Jeane Levrel, Grégoire Loïs, Marie-Françoise Neveu, Flora Pelegrin, Jean-Luc Peyron, Jean-Pierre Revéret,Dominique Richard, Mathias Rouan, Virginie Serrand, Michel Trommetter.

Je tiens enfin à remercier les organismes suivants pour leur soutien: l’Institut français de la biodiversité, l'EHESS, le Muséum national d’histoire naturelle, le CNRS, le programme MAB de l’Unesco, l’Université de BretagneOccidentale, le Conseil général de Seine-et-Marne, le Gip-Ecofor, le Ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, le Centre thématique européen sur la diversité biologique.

Préface Denis Couvet

Professeur, directeur du laboratoire CERSP du Museum national d’histoire naturelle

Jacques Weber directeur de l’Institut français de la biodiversité

Le changement climatique est un phénomène certes complexe maisexplicitable avec quelques variables : les gaz à effet de serre, latempérature moyenne du globe, le niveau « moyen » des océans. Les Etats ont trouvé un facteur unique de régulation : la tonne de carbone émise, sous forme de C02.

Il est plus difficile de définir les variables en ce qui concerne la biodiversité. Est-ce que ce sont des variables patrimoniales, tellesque le nombre d’espèces, la variabilité génétique totale, la diversitédes écosystèmes, chacune de ces variables étant-elle-même difficileà définir ? Ainsi chaque espèce, qu’elle soit invasive, clé de voûte,charismatique, ou « banale » doit–elle être prise en compte de lamême manière ?

Ou bien s’agit-il plutôt de s’intéresser à des variables fonctionnelles,telles que les caractéristiques des réseaux trophiques, ou l’efficacitéou la résilience des services écosystémiques ?

Que signifie la température « moyenne », ou le niveau « moyen »des océans ? Paul Krugman remarque que si Bill Gates entre dansune pièce où se trouvent une trentaine de SDF, ceux-ci deviennentimmédiatement milliardaires « en moyenne ».

Nous avons là réunis les éléments de la question des indicateurs :des données, des moyennes, des combinaisons de grandeurs pour apprécier, suivre et comparer dans l’espace et le temps desphénomènes tels que le changement climatique ou la biodiversité,en eux-mêmes trop complexes pour donner lieu à mesure directe.Les chercheurs ont besoin de mesures directes et d’indicateursfiables. Les administrations doivent rendre des comptes, au parlement ou à la Commission européenne et, pour cela, veulent des indicateurs. Ces administrations doivent également faire face au risque permanent de critique de leur action par la société civile, notamment les ONG. Il leur faut donc disposer d’instruments qui soient agréés par toutes les parties prenantes, des indicateurs « médiateurs ».

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité

Préface

Si le changement climatique ou l’évolution de la biodiversité sontdifficiles à mesurer, que dire des interactions entre les pratiqueshumaines et les dynamiques naturelles ? Ces interactions nepeuvent être approchées qu’avec des indicateurs, souvent très indirects. Si les déterminants du cycle du carbone, donc le rôle des humains, sont assez bien identifiés et quantifiés, il n’en est pasde même des facteurs majeurs déterminant la dynamique de la diversité biologique. L’analyse des relations humains-nature est loin d’être solide scientifiquement, et souvent plutôt l’objet de jugements de valeur, par exemple en ce qui concerne la relationentre les humains et la diversité des écosystèmes. Un système de quantification sous forme d’indicateurs devrait contribuer à faireprogresser cette analyse scientifique.

Harold Levrel, économiste, est docteur de l’Ecole des hautes étudesen sciences sociales. L’auteur a fait une solide analyse des difficultéset des enjeux de définition des indicateurs de diversité biologique,et/ou d’interactions humains-nature, à la lumière des problématiquesdes disciplines concernées, que ce soient des sciences naturalistes ouhumaines.

Nous lui avons demandé de tirer le présent cahier de cette thèse,pour répondre à une forte demande d’information et de méthodo-logie relative aux indicateurs. Cette thèse a été réalisée au sein dulaboratoire CERSP (Conservation des espèces, restauration et suivi despopulations) du Muséum qui utilise l’indicateur « oiseaux communs »comme indicateur des changements de pratiques et d’usages des solsou encore d’évolution de l’habitat rural et tente d’élucider les diffé-rents types de mécanismes, et pas seulement de nature humaine,affectant sa dynamique. L’auteur, en plus que d’être un excellentéconomiste, est « une plume ». Il écrit bien de façon claire et agréable.Nous sommes convaincus que ce cahier sera bientôt sur les étagèresde tous les gestionnaires de la nature, qu’ils œuvrent dans larecherche, l’administration ou bien dans la gestion des espaces natu-rels, les associations ou les entreprises.

Sommaire

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Section 1 Les indicateurs de biodiversité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Le taux d’extinction de la biodiversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Petit historique institutionnel des indicateurs de biodiversité . . . . . . . . . . . . . 11

Des indicateurs à paramètre unique aux indicateurs composites . . . . . . . . . . 15

Les indicateurs composites : application au cas des oiseaux . . . . . . . . . . . . . . 20

Indicateurs directs et indirects : exemple des indicateurs de biodiversitéutilisés dans le cadre de la gestion durable des forêts françaises . . . . . . . . . . 24

Section 2 Les indicateurs d’interactions société-nature. . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

Quelques indicateurs synthétiques écolo-centrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Les indicateurs d’interactions utilisés dans le cadre de la comptabilité nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Les services écosystémiques et le Millennium Ecosystem Assessment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Les indicateurs de gestion des interactions société-nature . . . . . . . . . . . . . . . 45

Section 3 La démocratie technique pour développer des indicateurs de co-gestion adaptative de la biodiversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

Evaluation de la qualité des indicateurs : une question d’arbitrage . . . . . . . . 53

Partir des besoins pour construire des indicateurs de biodiversité et d’interactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

Vers une co-gestion adaptative de la biodiversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Démocratie technique et co-construction des indicateurs . . . . . . . . . . . . . . . . 70

Quelques principes fondés sur la prise en compte des perceptions pourévaluer la qualité des indicateurs de biodiversité et d’interactions . . . . . . . . . 74

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84Index des indicateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92Liste des tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93Liste des figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93Liste des encadrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

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Introduction

E n 2010, les Etats du monde entier vont devoir faire le

bilan de leurs avancées concernant la conservation de la

biodiversité, dans le cadre de la Convention sur la diver-

sité biologique adoptée à Rio en 1992. Pour cela, il est nécessaire

d’avoir recours à des outils de suivi. Les indicateurs de biodiver-

sité, en tant qu’outils polymorphes adaptés à des questions

hybrides, concernant à la fois le scientifique et le politique, sont

rapidement apparus comme le meilleur moyen pour suivre ces

avancées.

Selon Alain Desrosières (2003a, p.61), l’avantage des indicateurs

par rapport à d’autres outils d’évaluation est qu’ils ont pour

particularité de « disjoindre le signifiant et le signifié »*.

Ils représentent d’une certaine manière des « fictions utiles » et

permettent d’évaluer de manière indirecte ce qu’il est trop coûteux

de mesurer directement. Or, face à un concept complexe et

controversé comme celui de la biodiversité, le recours à des

indicateurs approximatifs qui permettent d’alimenter les débats

publics autour de cette question est une aubaine. Ils offrent en

particulier l’opportunité de créer des passerelles entre le monde

des experts et celui des profanes, entre celui de la science et celui

de la politique, en facilitant l’émergence d’un langage commun

à propos de cet objet qu’est la biodiversité.

>>> La première section de ce livre nous permet de présenter

les principaux indicateurs de biodiversité qui existent aujourd’hui,

en nous intéressant particulièrement aux conditions institution-

nelles qui les ont fait émerger et aux questions techniques qu’ils

soulèvent.

Introduction

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Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

>>> La seconde section s’intéresse aux indicateurs

qui cherchent à décrire les interactions entre les dynamiques

de la biodiversité et les dynamiques socio-économiques.

>>> La troisième et dernière section explore de nouvelles voies

pour développer des indicateurs qui puissent participer

à l’émergence d’une co-gestion adaptative de la biodiversité,

en mettant l’accent sur les besoins et les perceptions des usagers

potentiels de ces outils d’une part, sur les processus

de co-construction de ces outils, de l’autre.

* En effet, il n’existe pas de mesure du développement durable ou de la biodiversité mais il est admis qu’il existe des indi-cateurs de développement durable ou de la biodiversité. Ainsi l’indicateur respecte les espaces d’incertitude que la mesurene tolère pas.

Section 1Les indicateurs de biodiversité

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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1 Voir : http://www.biodiv.org/doc/legal/CDB-un-fr.pdf

2 Le concept d’interaction désigne en biologie le processus par lequel deux ou plusieurs éléments se déterminent mutuellement par une relation réci-proque. Les interactions engendrent des co-évolutions qui peuvent être de nature directe ou indirecte et l’on parlera alors d’interactions directes ou indirectes. Unexemple d’interaction directe est la relation proie-prédateur que vont avoir deux populations A et B. Un exemple d’interaction indirecte est la relation de concur-rence entre une population A et une population B à propos d’une ressource C dont elles dépendent toutes les deux.

3 Lors des précédentes crises, la dynamique de l’évolution a toujours permis de compenser ces extinctions massives et d’accroître, après plusieurs dizaines de millionsd’années, le nombre total de familles que compte la Terre. Ainsi, la perte de diversité liée à une vaste extinction conduit à une perte des potentialités évolutivesmais « seulement » pour 10 à 15 millions d’années, le temps de se réorganiser.

4 Il est possible de souligner que, si l’impact des espèces invasives sur la biodiversité est important, la migration – appelée ici invasion – est un des moteurs de l’évo-lution (Teyssèdre, 2004). Les espèces ont en effet toujours une origine locale et vont se disséminer en fonction de leurs capacités adaptatives, des espèces aveclesquelles elles vont entrer en interactions, des niches écologiques disponibles, etc.

Le taux d’extinction de la biodiversité Pour commencer, il est nécessaire de définir ce que l’on entend par « biodiversité ». Le concept de« biodiversité », proposé en 1985 par Walter Rozen, a bénéficié d’une grande notoriété à partir de1992, date de la Conférence de Rio et de la ratification de la Convention sur la DiversitéBiologique1 (CDB). La biodiversité est traditionnellement considérée dans son sens littéral : ladiversité du vivant. Elle est alors envisagée de l’échelle moléculaire à l’échelle de la biosphère,bien que les écologues s’intéressent plus particulièrement aux populations, communautés etécosystèmes (Krebs, 2001, p.10).La biodiversité est en effet un des objets d’étude majeurs de l’écologie. Cette discipline mesurela diversité du vivant au sein des trois niveaux fonctionnels que nous venons d’évoquer à partirde la variabilité génétique, la diversité spécifique et la complexité des réseaux trophiques.Cependant, comme le soulignent Robert Barbault et Bernard Chevassus-au-Louis (2004), leconcept de biodiversité va plus loin que la simple description de la diversité du vivant, fut-elleexhaustive. En effet, la biodiversité est une affaire d’interactions2 au sein de chaque niveau fonc-tionnel, entre les échelles fonctionnelles mais aussi avec les sociétés humaines. Le principal risque étudié par les biologistes, qui pèse sur la biodiversité, est celui de l’extinctiondes espèces. Toute espèce a une durée de vie limitée qui est de l’ordre de cinq à dix millions d’an-nées. A partir de l’espérance de vie des espèces et de leur nombre, il est possible de calculer untaux d’extinction global (Teyssèdre, 2004). Celui-ci correspond à la proportion d’espèces quidisparaît pendant un intervalle de temps donné. Il est principalement lié, dans un contexte « naturel », au nombre d’individus. Ainsi, plus le nombre d’individus au sein d’une espèce estfaible, plus les risques de disparition de cette dernière sont importants du fait de faibles capa-cités d’adaptations pour faire face aux changements environnementaux. Au cours des soixante-cinq derniers millions d’années, le taux d’extinction moyen a tournéautour d’une extinction par an pour un million d’espèces. Aujourd’hui, ce taux serait entre « 50 et 560 fois supérieur au taux d’extinction attendu pour une biodiversité stable » (Teyssèdre,2004, p.27) mais beaucoup affirment que ce taux serait en fait 100 fois plus important et qu’ilcontinue d’augmenter. Tout cela va dans le sens de l’hypothèse d’une sixième crise d’extinction(figure 1). La Terre a en effet connu plusieurs grandes crisesd’extinction3 dont la dernière est liée à l’apparition d’Homosapiens sapiens et à son extraordinaire expansion.

Les origines anthropiques de cette sixième crise d’extinctionsont à chercher dans :• La destruction ou la dégradation des écosystèmes (défores-

tation, pollution des sols et des eaux, fragmentation deshabitats…).

• L’exploitation non durable de la biodiversité (chasse, bracon-nage, pêche, cueillette…).

• Les invasions d’espèces allochtones (tels que certainesalgues ou espèces cultivées envahissantes4…).

• Le réchauffement climatique qui perturbe les cycles biogéo-chimiques.

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Ces différentes forces interagissent entre elles (Teyssèdre, 2004). Ainsi, la surexploitation desespèces situées en bout de chaîne trophique peut favoriser l’installation d’espèces invasives. Cesespèces invasives vont le plus souvent avoir un impact sur la qualité de l’habitat et conduireindirectement à une plus grande érosion de la biodiversité. La disparition des habitats favorise,par ailleurs, l’exploitation des animaux sauvages qui se concentrent sur des aires plus réduiteset rend les écosystèmes plus vulnérables aux espèces invasives…Parmi les dynamiques représentant une source de menaces pour la biodiversité, deux vontconnaître une forte augmentation au cours des cinquante prochaines années selon leMillennium Ecosystem Assessment (MEA, 2005) : les activités agricoles et le changement clima-tique. Or, ces deux phénomènes sont déjà les principales sources d’érosion de la biodiversitéaujourd’hui.Pour évaluer les taux d’extinction actuels, il est nécessaire d’utiliser des modèles dans lesquelssont représentées les forces qui influent sur cette biodiversité. Ces modèles tendent à montrerque la richesse spécifique va s’effondrer dans les années à venir. Le MEA (2005) évoque la dispa-rition de 12 % des oiseaux, 25 % des mammifères et 32 % des amphibiens d’ici à 2100. Cerapport ajoute que 20 % des récifs coralliens et 35 % des superficies de mangroves ont récem-ment disparu. Selon d’autres études, les 2/3 de l’ensemble des espèces vivant sur Terre risquentde s’éteindre d’ici cent ans simplement sous l’effet de la destruction des habitats (Raven, 2002).Si l’on ajoute les récents travaux concernant l’extinction possible de 15 % à 37 % des espèces de la planète d’ici 2050 sous l’effet du réchauffement climatique (Thomas etal., 2004), il est possible d’affirmer, même si tous ces travaux sont discutés, que l’on se trouvebel et bien dans une période d’extinction massive. C’est en partant de ce constat que la communauté internationale s’est mobilisée à partir dudébut des années quatre-vingt-dix en vue de mieux décrire, comprendre et gérer ce problèmed’extinction massive.

Nombre d’années (en millions)

Période

Cambrien

Ordovicien

Silurien

Devonien

Carbonifère

Permien

Trias

Jurassique

Tertiaire

Crétacé

Quaternaire

500

345

250

180

65

0,01

Devonien : 30% des familles d’animaux, incluant les agnathes, les poissons placodermes et beaucoup de trilobites

Groupes subissant une extinction de masse

Pléistocène :grands mammifères et oiseaux

Crétacé :dinosaures et beaucoup d’espèces marines

Trias : 35% des familles d’animaux, incluant beaucoup de reptiles et de mollusques marins

Permien : 50% des familles d’animaux, plus de 95% des espèces marines, beaucoup d’arbres, d’amphibiens, tous les trilobites…

Extinction

Extinction

Extinction

Extinction

Extinction

ExtinctionOrdovicien : 50% des familles d’animaux, incluant beaucoup de trilobites

La largeur représente le nombre relatif de groupes vivants

Source : Barbault, 2000, p.43

Figure 1 : Les grandes crises d’extinction de la biodiversité.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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5 Cela s’explique par le fait que les principales menaces pesant aujourd’hui sur la biodiversité sont localisées dans les pays du Sud et qu’il estillusoire de vouloir stopper le déclin de la biodiversité dans ces pays sur une si brève échéance.

Domaines prioritaires Indicateurs pour Indicateurs qui pourraient utilisation immédiate être testés

Maintien de la structure : Occupation des sols Etat de conservation éléments constitutifs des espèces menacées de la diversité biologique (Indicateur Liste Rouge)

Abondance et diversité de Diversité génétique des animaux groupes d’espèces domestiques, plantes cultivées,(indicateur STI) poissons exploités

Couverture des aires protégées

Utilisation durable Aires d’écosystèmes forestiers,agricoles et d’aquaculture bénéfi-ciant d’une gestion durable

Réduction des pressions Dépôts d’azote Nombres et coûts des invasions anthropiques biologiques

Intégrité de l’écosystème et Indice trophique marin Connectivité/fragmentation des des biens et services qu’il fournit écosystèmes

Qualité de l’eau des écosystèmes aquatiques

Maintien des connaissances, Diversité linguistique, innovations et pratiques populations de locuteurs traditionnelles de langues autochtones

Investissement des Etats dans Soutien financier à la CBDla préservation de la biodiversité

Source : http://www.biodiv.org/2010-target/indicators.aspx

Tableau 1 : Indicateurs adoptés par la CDB en 2004, afin d’évaluer les progrès accomplisdans la poursuite de l’objectif de diversité biologique fixé en 2010.

Petit historique institutionnel des indicateurs de biodiversitéDes programmes de mise en place d’indicateurs de biodiversité ont été développés par denombreux organismes depuis la conférence de Rio en 1992 qui a consacré ce concept. Il estpossible de distinguer ces programmes selon deux catégories. La première regroupe ceux qui ontpour principale préoccupation la biodiversité et cherchent à développer les meilleurs indicateurspour suivre les avancées concernant sa conservation. La seconde regroupe les programmes desuivi de la biodiversité qui s’insèrent dans des dispositifs plus vastes, relatifs notamment audéveloppement durable. Nous nous intéressons ici à la première catégorie de programmes. Deux objectifs cohabitent pour évaluer les politiques en matière de conservation de la biodiver-sité. D’un côté, l’Union européenne (UE) veut stopper l’érosion de la biodiversité en Europe à l’horizon 2010. Cet objectif a été repris par la France. De l’autre, la CDB veut simplement laralentir5 (http://www.biodiv.org). Nous souhaitons revenir sur les moments clés qui ont permisd’arriver à ces objectifs. La première date importante est évidemment celle de la Conférence de Rio au cours de laquellela Convention sur la diversité biologique est adoptée (CDB, 1992). Il faut ensuite attendre laConférence de Johannesburg en 2002 pour qu’un objectif et une échéance soient fixés : réduirede manière significative le taux d'érosion de la biodiversité d'ici 2010. Pour que cet engagementne reste pas lettre morte, il est nécessaire que soient évalués les efforts réalisés par les pays. C’estpour cette raison que les premiers indicateurs de la CDB sont établis en février 2004 lors de laseptième Conférence des Parties qui a lieu à Kuala Lumpur (http://www.biodiv.org, tableau 1).

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Dans le même temps, la Commission européenne a lancé une réflexion sur les indicateurs debiodiversité (2002-2004). Elle a conduit à la Conférence de Malahide (Irlande) en mai 2004 quiest la première conférence sur la biodiversité où tous les membres de l’UE sont représentés avecles Directions générales de l’environnement et de l’agriculture. Une des principales recomman-dations de la réunion est la suivante : « Develop, test and evaluate indicators, and harmonisehabitat and landscape classifications, to deliver policy-relevant information on the status andtrends of biodiversity, the drivers of biodiversity change and the success of policies designed tohalt the loss of biodiversity by 2010, and progress towards targets of the EC BiodiversityStrategy » (Commission européenne, 2004, p.42). Cette conférence va se traduire politiquementpar une prise de conscience importante de la question de la biodiversité. Ainsi, en juin 2004, lesministres de l’environnement de l’UE valident les objectifs fixés par la conférence qui a eu lieuun mois plus tôt. Cela crée une forte pression pour mettre en place des indicateurs de biodiver-sité. En France, une Stratégie nationale pour la Biodiversité est adoptée elle aussi en 2004(Ministère de l’écologie et du développement durable, 2004) et fixe comme premier objectif demettre en place des indicateurs de biodiversité permettant de suivre les avancées dans ledomaine des politiques de conservation à l’horizon 2010 (tableau 2).

Diversité génétique Nombre de variétés végétales et de races animales, enregistrées et certifiées aux fins de commer-cialisation, dans les principales catégories de plantes cultivées et d’animaux d’élevage (MAAPAR).

Diversité spécifique Indice de diversité spécifique des oiseaux communs (MNHN).

Richesse spécifique des poissons (MNHN).

Statuts des espèces des listes rouges nationales (MNHN).

Diversité des habitats Etat de conservation des habitats d’intérêt communautaire des sites Natura 2000 (MNHN).

Trame écologique Carte de la diversité des types d’occupation du sol peu artificialisée au niveau local (Ifen, CorineLandcover).

Dominance, dans le paysage, des milieux peu artificialisés (Ifen, Corine Landcover).

Fonctionnement Défoliation des arbres des écosystèmes (Département de la santé des forêts, Maapar).

Indice biologique global normalisé des cours d’eau (Réseau national des Données sur l’Eau).

Les objectifs fixés lors de la Conférence de Johannesburg, les options prises par la CDB et lesinitiatives menées par la Commission européenne, ont ainsi permis d’appuyer une réflexion surles indicateurs de biodiversité qui avait commencé quelques années plus tôt au sein d’organi-sations internationales. Un acteur institutionnel qui s’est investi fortement dans la production d’indicateurs de biodi-versité est le Centre thématique européen sur la diversité biologique (CTEDB) de l’Agenceeuropéenne de l’environnement8 (AEE). Celui-ci a été créé en 1995, un an après la création del’AEE. Il fait partie des cinq centres thématiques désignés par l’agence pour l’aider dans samission de collecte, d’analyse, d’évaluation et de synthèse d'informations en appui à la mise enœuvre de politiques communautaires et nationales pour l'environnement et le développementdurable. Ce centre a tout d’abord fourni des informations sur la biodiversité à l’AEE pour lapublication de rapports : The Dobris Assessment en 1995 puis Europe’s Environment : Thesecond assessment en 1998. La demande de l’agence pour des indicateurs de biodiversitéémerge réellement en 1999. Il s’agit au départ d’outils considérés comme complémentaires auxrapports mais, très vite, leur production va devenir un des objectifs principaux de l’AEE. En effet,cette dernière s’est rendue compte qu’elle avait besoin d’informations synthétiques pour

8 Il n’existe en effet pas d’équivalent institutionnel à l’échelle des pays européens. L’OCDE, faute de temps, a décidé de ne plus traiter la ques-tion de la biodiversité au sein de sa division environnement et Eurostat ne s’occupe pas directement de cette question. Notons par ailleurs quel’Institut français de l’environnement (Ifen) représente le point focal de l’AEE pour la France. Les informations qui vont suivre ont été collec-tées au cours d’entretiens avec les personnes qui travaillent au centre thématique.

Source : Medd, 2004

Tableau 2 : Les indicateurs de biodiversité de la Stratégie nationale pour la Biodiversité Française.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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communiquer avec les instances décisionnaires de l’Union européenne. Pour cela, l’agence meten place les indicateurs centraux (« core indicators ») qui concernent les grandes thématiquestelles que l’eau, l’air, les déchets ou la biodiversité. Cela pose un problème pour le CTEDB, qui doitfournir les indicateurs de biodiversité car il existe beaucoup moins de données sur cette ques-tion que sur les déchets, l’eau ou l’air.Pourtant, les indicateurs de biodiversité ne semblent pas manquer. Un rapport réalisé dans lacadre de la CDB en identifie ainsi 236 (United Nations Environment Programme, 2001). L’AEErecense, quant à elle, 382 indicateurs potentiels de biodiversité en 2002 (EuropeanEnvironment Agency, 2002), parmi lesquels 280 sont classés comme « utilisés ». De manièresurprenante, quelques années plus tard, le Ministère de l’écologie et du développement durable(Medd) déclare qu’il ne peut compter que sur 1 ou 2 indicateurs de biodiversité pour réaliser dessuivis9 de la biodiversité en France. Cette différence s’explique par une question d’échelle. Lesindicateurs identifiés par l’AEE et l’Unep pouvaient être appliqués à n’importe quelle échelle pourêtre considérés comme « utilisés ». Or, les suivis écologiques locaux, qui renvoient aux méthodesd’ingénierie écologique et de suivi naturaliste « traditionnels », étaient effectivement trèsnombreux. Les suivis à des échelles régionales étaient eux aussi relativement importants. Trèsnombreux aussi, étaient les indicateurs de biodiversité adaptés à des problématiques trèsprécises. Cependant, les suivis à large échelle concernant la biodiversité dans un sens générique,et réalisés à partir de données standardisées, étaient pour leur part quasi-inexistants. Par ailleurs,un autre problème est que la plupart des indicateurs de biodiversité évolue sur des pas-de-tempsqui n’ont rien à voir avec l’échelle de temps de la décision qui est celle du court terme. Celaexplique pourquoi de nombreux travaux de réflexion ont dû être menés ces dernières années àpropos des indicateurs de biodiversité (Balmford et al., 2003, 2005).

Un problème récurrent par rapport à la production des indicateurs de biodiversité – et des indi-cateurs de développement durable de manière générale – est le manque de cohérence entre lesprogrammes qui cohabitent à différents niveaux (local, régional, national, européen, pan-euro-péen et international). Dans ce contexte, il est possible d’imaginer plusieurs scénarios concer-nant l’évolution de la situation institutionnelle de production des indicateurs liés audéveloppement durable (Ayong Le Kama et al., 2004). Le premier est la poursuite de la tendanceactuelle avec une prolifération d’indicateurs très hétérogènes gérés par des programmes toutaussi hétérogènes. Le deuxième est la prédominance d’indicateurs de biodiversité nationaux quiauront pour principal objectif de justifier les avancées à propos de la CDB. Le troisième est unemise en cohérence à chaque échelle décisionnelle – parcs, collectivités locales, administrationsnationales… – du fait d’une demande politique croissante à cesdifférents niveaux. Le quatrième est la domination d’initiativesprivées avec un marché d’indicateurs au sein duquel seuls ceuxqui répondent le mieux à la demande sociale survivent –empreinte écologique ou éco-certification par exemple. Ledernier scénario est une mise en cohérence inter et intraéchelles grâce à une mutualisation des efforts. C’est pour favoriser l’émergence du dernier scénario et éviterque les décideurs politiques – ministères, administrations,organisations diverses – ne soient noyés sous la multiplicationdes indicateurs à l’échelle européenne qu’un travail d’harmoni-sation a été lancé en partant des travaux réalisés dans le cadrede la CDB et de ceux réalisés par l’AEE. Ce processus intituléSebi – Streamlining European 2010 Biodiversity Indicators –lancé en 200410 a conduit à l’identification de 26 indicateurs debiodiversité pour l’Europe11 en janvier 2007 (tableau 3).Aujourd’hui, les indicateurs de biodiversité français doivents’aligner avec les résultats du Sebi, ce qui implique une refontecomplète des indicateurs de la stratégie nationale pour labiodiversité.

9 Propos d’Olivier Laroussinie (Medd) recueillis à l’occasion du séminaire « indicateurs de biodiversité et de développement durable » organiséà l’Auditorium de la Grande Galerie de l'Évolution du Muséum national d’histoire naturelle, le 5 janvier 2006.

10 http://biodiversity-chm.eea.europa.eu/information/indicator/F1090245995/F1101800700/1090246068.

11 http://biodiversity-chm.eea.europa.eu/information/indicator/F1090245995/F1101800700/fol341646.

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Thèmes de la CDB indicateurs clés de l’AEE indicateurs proposés par le Sebi 2010

Etat et évolution Evolution de l’abondance et de 1-a) Indice paneuropéen des oiseaux communs

des éléments constitutifs la répartition de certaines espèces

de la diversité biologique 1-b) Papillons européens

Modification de l’état des espèces 2) Indice Liste rouge de l’IUCN

menacées et/ou protégées pour les espèces européennes

3) Changement de statut des espèces d’intérêt européen

Evolution de certains biomes, 4) Evolution de l’étendue et de la composition

écosystèmes et habitats de certains écosystèmes européens

5) Changement de statut d’habitats d’intérêt européen

Tendance de la diversité génétique 6) Nombre de races par pays

des animaux domestiques

Etendue des aires protégées 7) Tendances concernant la création d’aires protégées

8) Sites classés selon la directive Habitats

et de la directive Oiseaux

Menaces qui pèsent sur Dépôts d’azote 9) Dépassement de la charge critique pour l’azote

la diversité biologique

Populations et coûts des espèces 10) Nombre total d’espèces invasives en Europe

exotiques envahissantes

Incidence du changement 11) indicateurs d’abondance d’espèces

climatique sur la biodiversité

Intégrité de l’écosystème Indice trophique marin 12) Indice trophique marin des mers européennes

et biens et services

qu’il fournit

Connectivité/fragmentation 13) Evolution des couverts et de la distribution

des écosystèmes des aires naturelles

14) Statut et tendance de la fragmentation des rivières

Qualité de l’eau 15) Matières organiques dans les eaux de transition,

et des écosystèmes aquatiques côtières et marines

16) Qualité des eaux douces

Usages durables Zones forestières, agricoles, 17) Accroissement des stocks

de pêches et aquacoles 18) Bois mort

gérées durablement 19) Balance d’azote

20) Systèmes agricoles gérés durablement

21) Nombre de pêcheries sous le seuil

de renouvellement biologique

22) Qualité des eaux des effluents

Empreinte écologique 23) Empreinte écologique des pays européens

des pays européens

Accès et partage Pourcentage de brevets 24) Pourcentage de brevets européens

des bénéfices européens fondés sur fondés sur les ressources génétiques

les ressources génétiques

Transfert et usages Fonds pour la biodiversité 25) Financement pour la biodiversité

des ressources

Opinion publique Prise de conscience publique 26) Nombre de visites dans les réserves naturelles

et participation

Source : Conseil de la Stratégie paneuropéenne de la diversité biologique et paysagère, (2006, p.8)

Tableau 3 : Les indicateurs de biodiversité du Sebi.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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Des indicateurs à paramètre unique aux indicateurs compositesLa question de la biodiversité est avant tout une question d’intégration puisqu’elle est caracté-risée par la prise en compte simultanée de la variabilité génétique des populations, de la diver-sité spécifique des communautés et de la diversité fonctionnelle des écosystèmes.

La variabilité génétique va permettre de mesurer l’état de santé d’une population. En effet, unefaible diversité génétique au sein d’une population pose rapidement des problèmes de consan-guinité et une réduction de l’espérance de vie des individus, des populations et des espèces.Inversement, le bon état de santé démographique d’une population traduit une dynamique derenouvellement génétique satisfaisante et offre donc, finalement, un bon indicateur de variabilité génétique. Cette variabilité génétique est particulièrement liée à la taille de la popu-lation. Plus la population est de petite taille plus la variabilité génétique est faible. La richesse spécifique et l’équi-répartition de l’abondance pour chaque espèce, que l’on nommetraditionnellement la diversité spécifique, vont permettre de mesurer la bonne santé d’unecommunauté. La richesse spécifique et l’abondance au sein d’une communauté sont fonction denombreux paramètres – contrairement à la variabilité génétique – qui font tomber l’évaluationde la biodiversité dans la complexité. Parmi ces paramètres, il est possible d’évoquer : l’hétérogé-néité des habitats, la latitude géographique, les cycles bio-géochimiques, la résilience des écosys-tèmes… mais surtout l’histoire de la communauté qui est de nature idiosyncrasique (Krebs, 2001).La diversité fonctionnelle d’un écosystème correspond aux capacités de réponse dont se dernierdispose pour faire face à des perturbations exogènes. Elle est liée à plusieurs éléments tels quela diversité des groupes fonctionnels, la structure et l’intensité des interactions, la redondancefonctionnelle des espèces mais aussi tout simplement la diversité spécifique (McNaughton., 1985 ;McCann, 2000 ; Loreau et al., 2001). Ce sont en effet tous ces éléments qui vont permettre degarantir que l’écosystème pourra offrir les réponses les mieux adaptées aux perturbations qu’ilsubira et de maintenir un niveau élevé de résilience (Holling, 1973). Là encore, la question del’évaluation est très délicate.La première catégorie d’indicateurs permettant de mesurer la biodiversité est celle des indica-teurs à paramètre unique. Un indicateur à paramètre unique établit la valeur d’une grandeur– ici la biodiversité – à partir d’une unité de mesure unique. Cette unité peut être l’espèce, l’in-dividu, le gène ou l’interaction. Dans les faits, la variabilité génétique est très peu renseignée demanière directe car cela implique des manipulations relativement lourdes, tout comme la diver-sité des interactions qui demande une connaissance trop précise du fonctionnement des écosys-tèmes. En fait, seule l’abondance d’espèces et d’individus est utilisée.

L’indicateur à paramètre unique le plus utilisé pour mesurer la biodiversité est la richesse spéci-fique qui se résume au nombre d’espèces présentes dans un écosystème, un pays ou la biosphère.Le problème est qu’il existe aujourd’hui un consensus parmi les écologues pour dire que les indi-cateurs de richesse spécifique sont peu informatifs des dynamiques qui animent les écosystèmeset la biosphère de manière générale (Balmford et al., 2005 ; Dobson, 2005). Seule une minorité d’espèces a été jusqu’à présent décrite – peut-être 10 % (Barbault, 2000). Au total, 1,7 million d’espèces ont été décrites dont 1,3 million appartenant au règne animal et350 000 au règne végétal. Le nombre d’espèces présentes sur la planète est estimé entre 10 et30 millions. « C’est ainsi qu’un million d’espèces d’insectes seulement est connu sur 8 à 15 millions au total, 70 000 espèces de champignons sur peut-être deux millions, et 80 000espèces d’algues et de protistes sur près d’un million » (Teyssèdre, 2004, p.26). Cependant, 95 %des vertébrés et 85 % des plantes vasculaires ont été décrits. 10 000 espèces supplémentaires sont identifiées chaque année. Au rythme des découvertesactuelles, on connaîtra cinq millions d’espèces en 2300, c’est-à-dire entre la moitié et 1/6ème dela totalité des espèces. Si le taux de découverte passe à 20 000 espèces par an, ce chiffre de cinqmillions sera atteint en 2170 (Chevassus-au-Louis, 2005). Le problème est qu’avant d’avoir puconnaître l’ensemble des espèces qui composent la biosphère, celles-ci auront probablementdisparu. Un autre élément qui permet de dire que la richesse spécifique ne représente pas un bon indi-cateur de biodiversité est que les taxons qui composent cette biodiversité peuvent répondre demanière très différentes à des changements environnementaux similaires (Dudley et al., 2005 ;

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Gosselin et Laroussinie, 2004, pp.221-224). Une pression pour certaines espèces peut être unesource d’opportunités pour d’autres12. Il n’y a pas de corrélation entre les évolutions de larichesse spécifique de différents taxons et il est impossible de considérer que l’évolution de labiodiversité est bonne simplement parce que l’évolution de la richesse spécifique de certainstaxons bien connus et bien renseignés l’est. Cela fait de l’indicateur de richesse spécifique unindicateur équivoque pour évaluer l’état de santé de la biodiversité.Ensuite, l’extinction d’espèces n’est pas le meilleur moyen de mesurer les risques qui pèsent surla variabilité génétique et la diversité fonctionnelle. « En bref, les espèces rares et les popula-tions isolées ont une faible diversité génétique, une courte durée de vie et ne contribuent passignificativement aux services écologiques rendus par les écosystèmes. Ainsi, la diversité géné-tique et l’impact écologique des mille à deux mille espèces d’oiseaux insulaires endémiquesdisparues du fait de la colonisation progressive des îles polynésiennes par les humains étaientcomparables à celles d’une dizaine de populations ou espèces continentales apparentées, tota-lisant le même nombre d’individus » (Teyssèdre, 2004, p.29). Enfin, la richesse spécifique est un indice peu sensible aux variations de court terme – notam-ment lorsqu’on raisonne à large échelle – car l’extinction d’une espèce prend beaucoup detemps du fait de sa résilience aux changements exogènes (Balmford et al., 2003). Ainsi parexemple, la richesse spécifique est corrélée positivement avec le degré de fragmentation et deperturbation des habitats ce qui est contre-intuitif mais s’explique par le fait que le différentielentre l’apparition d’espèces généralistes et la disparition d’espèces spécialistes est positif(Devictor et al., 2007). Les extinctions que l’on observe aujourd’hui sont ainsi liées à desprocessus qui ont commencé il y a des dizaines, voire des centaines d’années. C’est pourquoi lestaux d’extinction nous renseignent sur le déclin passé des populations plus que sur les dynami-ques actuelles (Teyssèdre, 2004) et, même si la richesse spécifique est un indicateur qui corres-pond bien aux représentations sociales de la biodiversité, il s’agit d’un bien mauvais indicateurpour suivre la dynamique de cette dernière. Il est donc possible d’utiliser un concept plus opéra-tionnel que le taux d’extinction de la biodiversité pour aborder les risques qui la touche : l’éro-sion de la biodiversité. L’érosion de la biodiversité s’intéresse aux variations d’abondance ausein des espèces (Balmford et al., 2003, 2005).L’avantage d’un indicateur d’abondance est qu’il est sensible aux dynamiques de court terme etqu’il envoie un message non équivoque pour la communication. Il permet par ailleurs deproposer des indicateurs à partir d’une liste d’espèces indicatrices correspondant à une liste dephénomènes à évaluer (Krebs, 2001 ; Lindenmayer et al., 2000). En effet, certaines espèces sontparticulièrement informatives et suivre leur abondance peut offrir un indicateur pertinent pourévaluer l’état de santé d’un écosystème. Les espèces ingénieur structurent l’environnement naturel dans lequel elles évoluent. Il s’agitpar exemple des vers de terre qui retournent une grande quantité de sol au profit des plantes.Dès lors, la « qualité » de l’habitat et le bon fonctionnement des cycles bio-géochimiques au seind’un écosystème sont dépendants de l’abondance de ce type d’espèces. Pour évaluer l’état desanté d’un écosystème, il est aussi possible de suivre des espèces parapluie qui vont avoirbesoin de grands territoires. En effet, leur évolution peut être révélatrice de l’état de santé del’écosystème et de celui de toutes les espèces qui le composent. Il peut s’agir du grizzli enAmérique du Nord ou du tigre en Inde. Il est également possible de suivre l’abondance d’uneespèce clé de voûte qui se trouve au cœur de nombreuses relations interspécifiques commec’est le cas pour l’étoile de mer, les grands prédateurs ou les espèces à la base des chaînes

trophiques. Il suffit qu’un grand prédateur disparaisse pourque des espèces autrefois régulées deviennent invasives etbouleversent le fonctionnement de l’écosystème. De lamême manière, si les espèces qui se trouvent à la base desréseaux trophiques disparaissent (algues, micro-organismesou herbacées), c’est l’ensemble de la chaîne trophique quiva s’en trouver perturbée. Il est aussi possible d’avoirrecours à des espèces indicatrices qui ne structurent pasles relations interspécifiques mais sont indirectement sensi-bles aux grandes interactions qui animent l’écosystème. Ilpeut s’agir du saumon dans les cours d’eau européens, del’alouette des champs pour les habitats agricoles français

12 On peut penser par exemple aux processus d’enfrichement qui auront un impact négatif sur les espèces inféodées aux milieux ouverts, maispositif sur les espèces inféodées aux habitats forestiers

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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ou du butor étoilé dont l’état de santé est très sensible à celui de son habitat de prédilectionque sont les roselières. Les critères à partir desquels il est possible d’identifier ces espèces sont relatifs à trois choses :les connaissances disponibles concernant leur histoire, leur biologie et leur fonction ; la facilitéavec laquelle il est possible de les suivre ; leur capacité à décrire des phénomènes structurelsprécis (Krebs, 2001, p.399). Un point qu’il est déjà possible d’évoquer est que la principale espèce ingénieur est aussi la prin-cipale espèce clé de voûte : il s’agit de l’homme. En effet, c’est l’homme qui transforme etaménage le plus les habitats de la planète. Par ailleurs, c’est aussi l’homme qui représente leprincipal prédateur de la planète. L’abondance d’Homo sapiens sapiens pourrait ainsi représenterun bon indicateur de l’état de la biodiversité. Ce n’est pourtant pas le cas (Lebras, 1994). En effet,une faible abondance13 ou une forte abondance de la population humaine peuvent être toutesdeux un indicateur de menace pour les écosystèmes et semblent montrer qu’il existe une rela-tion de type courbe en U entre ces deux phénomènes (Locatelli, 2000). L’usage d’espèces indicatrices pose en tout état de cause plusieurs problèmes. Tout d’abord, le caractère équivoque des espèces indicatrices est toujours présent. En effet, qu’ils’agisse des espèces clé de voûte, des espèces ingénieur ou des espèces parapluie, il est souventdifficile d’interpréter une explosion de leur population ? S’agit-il d’un indicateur qui montre quel’écosystème fonctionne très bien ? En fait, toutes ces espèces indicatrices sont révélatrices de la recherche d’un équilibre. Leurévolution brutale dans un sens ou dans l’autre, traduit un déséquilibre et un problème de régu-lation dans le fonctionnement de l’écosystème. Mais elle ne permet pas, le plus souvent, d’encibler la cause de manière précise. Les espèces indicatrices peuvent finalement faire office desonnette d’alarme mais c’est tout.Un deuxième problème se pose alors. L’évolution des espèces indicatrices pourra toujours êtreliée à des effets aléatoires qui créent des biais dans l’approximation du phénomène qu’elles sontcensées représenter. Ainsi, l’effondrement d’une espèce indicatrice à la suite de l’apparition d’unvirus au sein de cette espèce ne traduira pas un mauvais fonctionnement de l’écosystème maissimplement l’apparition d’une épizootie. La sonnette d’alarme ne fonctionnera donc pas à bonescient. Par ailleurs, les espèces indicatrices sont toujours reliées à un contexte fonctionnel spécifiquequi empêche souvent de réaliser des comparaisons entre différentes régions. En effet, lesespèces indicatrices peuvent ne pas être les mêmes selon ces contextes et l’évolution de leurspopulations ne pas vouloir dire la même chose.Enfin, il est difficile d’imaginer que les utilisateurs de la biodiversité acceptent d’évaluer l’état decette dernière à partir d’un indicateur fondé sur l’abondance d’une seule espèce – fut-elle patri-moniale. C’est pourquoi, au lieu de s’intéresser à l’abondance au sein de certaines espèces, il peut êtreutile d’avoir recours à un simple indicateur d’abondance globale. En effet, la variabilité géné-tique étant associée à l’abondance, celle-ci peut offrir un indicateur adéquat pour évaluer lesfutures capacités d’adaptation de la biosphère pour faire face aux changements globaux(Teyssèdre, 2004). Cependant, même si cet indicateur est relativement riche d’un point de vueinformationnel, il pose un problème car il ne correspond pas aux représentations que la grandemajorité des acteurs vont se faire de la biodiversité – largement dominée par la notion de diver-sité spécifique. Ainsi, le problème rencontré par les indicateurs à paramètre unique – espèce ou individu –est qu’il leur est difficile de bénéficier d’une « double sensibilité » : vis-à-vis des dynami-ques de la biodiversité qu’ils cherchent à approximer et vis-à-vis des représentations desacteurs qu’ils cherchent à toucher.Il faut donc s’orienter vers les indicateurs composites. L’indicateur composite est l’exact opposéde l’indicateur à paramètre unique puisqu’il implique l’utilisation d’au moins deux unités deréférence. Compte tenu du niveau de connaissances disponibles, les unités de référence retenuesaujourd’hui sont le nombre d’espèces et l’abondance au sein de chaque espèce. La combinaisonde ces deux unités permet de calculer la diversité spécifique qui peut être approchée à partir desindices de Shannon ou de Simpson14 (Krebs, 2001).

13 La faible densité favorise en effet des pratiques non durables telle que la culture sur brulis qui a un fort impact sur la biodiversité.

14 Nous n’entrons pas dans les détails du calcul de ces indices qui n’a pas d’intérêt particulier dans notre exposé.

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L’avantage de l’indicateur composite est de pouvoir prétendre à une certaine exhaustivité quilui offre une forte légitimité. Cela lui permet par ailleurs de niveler, par la moyenne, les effetsaléatoires. Les indicateurs composites sont confrontés à deux questions scientifiques récurrentes (Couvetet al., 2007) :

• le mode de regroupement des populations ou des espèces et les critères d’évaluation deces groupes ;

• les modalités de pondération de l’importance des espèces ou des groupes.

En ce qui concerne les regroupements taxonomiques, ces derniers doivent être guidés par un objectif d’intégration fort qui nécessite de développer des indicateurs permettant d’approximer (Balmford et al., 2005; tableau 4) :

1- La taille des populations et les risques d’extinction.2- L’évolution des habitats.3- Les services écosystémiques fournis à l’homme.4- Les forces qui sont à l’origine de l’érosion de la biodiversité.5- L’efficacité des mesures de conservation.

Phénomènes à évaluer Exemples d’indicateurs

Variabilité génétique au sein d’un écosystème Variation de la taille des populations composant cet écosystème

Diversité spécifique au sein d’un écosystème Variation du nombre d’espèces pondéré par leurs abondances relatives

Etat de santé d’un habitat Variation de l’abondance des populations inféodées à ce type d’habitat

Originalité d’un écosystème Variation de la taille des populations des groupes « spécialistes » /groupes « généralistes »

Fonction culturelle Variation de l’abondance des populations patrimoniales ou utilisées pourles activités récréatives

Fonctions de régulation Variation de l’abondance au sein de groupes fonctionnels et des niveauxtrophiques

Fonctions d’approvisionnement Variation de l’abondance des populations utilisées par l’homme pour senourrir, se soigner, se chauffer…

Pressions sur la biodiversité Variation de l’abondance des populations sensibles aux principales forcesde changements (climat, agriculture, destruction des habitats…)

Efficacité des mesures de conservation Variation de l’abondance des populations ciblées par des mesures deconservation

Tableau 4 : Exemple d’indicateurs de biodiversité fonctionnelle

Ces indicateurs doivent par ailleurs concerner aussi bien des aires « naturelles » que des airesanthropisées, et prendre en compte les espèces domestiques. Le problème est que, même lorsque l’indicateur est construit à partir d’un simple regroupementtaxonomique, il est possible d’observer des variations opposées entre les différentes unités dontil est composé. En effet, la richesse spécifique peut augmenter pendant que l’abondance totalebaisse. C’est pourquoi il est nécessaire de pouvoir désagréger un indicateur composite et deconsidérer ce dernier comme un indicateur « tête d’affiche » qui doit être articulé avec les indi-cateurs à paramètre unique qui le composent, de manière à pouvoir avoir une lecture claire desévolutions de la biodiversité. Un indicateur taxonomique composite devrait ainsi toujours êtreaccompagné d’un indicateur de richesse spécifique, d’un indicateur d’abondance et d’un indi-cateur d’équi-répartition des espèces, auxquels il sera possible de se référer lorsqu’on chercheraà interpréter son évolution (Buckland et al. 2005 ; Couvet et al., sous presse).

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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15 En effet, s’il existe un effort important de suivi, les petits organismes, plus nombreux, seront très fortement représentés. En revanche, si ceteffort est faible, seules les espèces les plus faciles à détecter seront biens décrites.

La pondération des groupes fonctionnels est une question à la fois scientifique et politiquecomme la plupart des questions relatives aux indicateurs. Elle sera particulièrement importantepour les indicateurs fortement agrégés tels que l’indicateur planète vivante (IPV) que nousdétaillerons dans notre prochaine sous-section. Ces pondérations peuvent être fonction duniveau de connaissance, de la qualité des données, de la richesse spécifique représentée au seinde chaque sous-groupe, de l’importance des espèces pour le bon fonctionnement de la bios-phère… Dans les faits, il existe trois choix possibles concernant la pondération, qui correspondent à troisreprésentations distinctes de la conservation. – La première solution est d’accorder le même poids à chaque espèce. L’idée étant que chaque

espèce a la même valeur. Cela soulève cependant la question de la sur-représentation desespèces situées à la base des réseaux trophiques (dans les zones où il existe un suivi impor-tant de la biodiversité) ou, a contrario, celle des espèces situées en bout de chaîne trophique(dans les zones où les suivis sont faibles)15. Cela pose aussi une question éthique importante.En effet, est-ce que la valeur accordée au panda ou à l’éléphant d’Afrique peut être la mêmeque celle accordée à un insecte ? D’un point de vue écologique peut-être mais d’un point devue social vraisemblablement pas. Un autre problème que pose un système de pondérationneutre est que cela ne permet pas de traduire les niveaux de réponses fonctionnelles desécosystèmes. En effet, il peut sembler logique d’accorder un poids plus important à uneespèce pour laquelle il n’existe aucun équivalent fonctionnel.

– Une deuxième approche en ce qui concerne la question de la pondération peut être qualifiéede « conservationniste ». Dans cette perspective, il est important de pondérer le poids desespèces en fonction de leur rareté, des menaces d’extinction qui pèsent sur elles ou de leurcaractère emblématique. En effet, il peut sembler logique de disposer d’indicateurs de biodi-versité synthétiques qui soulignent les risques d’extinction de certaines espèces phares et lesenjeux sociaux liés à leur rareté croissante (Butchart et al. 2005).

– Une dernière approche, qu’il est possible de qualifier d’ « écologique », est d’accorder unpoids supérieur aux espèces qui remplissent des fonctions écologiques essentielles. Or,les fonctions écologiques sont majoritairement assurées par les espèces les plus abondantes.Il deviendrait dès lors plus intéressant d’opérer une pondération en fonction des abondancesrelatives des différentes espèces prises en compte dans l’indicateur, notamment celles situéesà la base de la chaîne trophique dont dépend l’ensemble des espèces de l’écosystème ou cellessituées en bout de chaîne trophique qui sont indirectement sensibles à l’ensemble des chan-gements qui touchent l’écosystème (Couvet et al., 2007).

Un autre élément important à prendre en compte pour la mise en place d’un indicateur compo-site est son adéquation avec les échelles symboliques et les questions sociales auxquels ilrenvoie. Ainsi, les décideurs à l’échelle nationale ontpour objectif de montrer que le taux d’érosionde la biodiversité aura été réduit en 2010,compte tenu des objectifs fixés par la CDB. A l’échelle locale en revanche, les indicateursde biodiversité valorisés par les gestionnairessont différents car les objectifs sont eux aussidifférents. Ce que souhaitent montrer lesdécideurs locaux – gestionnaires et politiques– c’est l’originalité et la singularité de leurterritoire, le caractère exceptionnel de leurécosystème. Enfin, si l’on s’intéresse au grand public, il estnécessaire de pouvoir utiliser des espèces quimobilisent fortement les représentationsd’une part (ours, loups, cerfs, lynx… pour l’étatde la biodiversité forestière par exemple) et/ouqui sont facilement observables (oiseaux etpapillons communs par exemple).

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16 http://www.iucnredlist.org/info/categories_criteria2001#definitions

17 Ces classifications sont établies à partir de nombreux critères (Butchart et al., 2005) : taille des populations ; vitesse de l’érosion des popu-lations ; niveau de réversibilité des causes de cette érosion ; surface du territoire occupée ; évaluation quantitative de la viabilité des popu-lations.

18 http://www.iucnredlist.org/info/tables/table5

19 http://inpn.mnhn.fr/inpn/fr/inpn/esp_menacees.htm

Les indicateurs composites : application au cas des oiseauxDans le domaine de la biodiversité, les risques concernent avant tout ceux qui sont liés à l’ex-tinction des espèces comme nous l’avons expliqué. Les plus fameux indicateurs de biodiversitéconcernant les risques d’extinction sont les listes rouges de l’Union Internationale sur laConservation de la Nature. Elles permettent de suivre l’évolution du nombre d’espèces mena-cées, c’est-à-dire « en danger critique », « en danger » ou « vulnérable »16. Ces listes rouges sontdonc utilisées pour qualifier l’état de santé de la biodiversité d’un pays, d’une région ou d’unécosystème17 (Butchart et al., 2005). Elles ont permis de développer des « indicateurs du statut » des espèces et, parallèlement, des «indicateurs de connaissance » sur ces espèces, des « indicateurs de tendance », des « indicateurs depressions » (correspondant aux causes de déclin des espèces) et des « indicateurs de réponses »(correspondant aux mesures de conservation possibles). Le suivi de la biodiversité est envisagé à partir du changement de statuts des espèces. Ainsi, siune espèce passe du statut de « en danger » à celui de « en danger critique », il est possible deconsidérer que cela traduit une dégradation de la biodiversité.Selon ces classifications, 12 % de l’ensemble des espèces d’oiseaux de la planète ont un risquede s’éteindre d’ici une centaine d’années, 182 espèces sont en danger critique et ont 50 % dechance de survivre au-delà des 10 ans à venir (Heath et Rayment, 2001). Par ailleurs, 351espèces d’oiseaux sont en danger et 674 sont vulnérables18. Parmi les espèces vulnérables,235 le sont dans les pays de l’OCDE. 170 espèces sont vulnérables aux changements de prati-ques agricoles. La France compte pour sa part 17 espèces d’oiseaux menacées (catégorie prenanten compte les espèces en danger, en danger critique et vulnérables). Il est intéressant de noterqu’il existe, parallèlement aux classifications de l’UICN, d’autres catégories dont l’usage peutêtre une source de confusion. Ainsi, l’Inventaire national du patrimoine naturel décompte pourla France 20 espèces d’oiseaux « en danger », 52 espèces « vulnérables » et 37 espèces « rares »19.Il existe un indicateur composite fondé sur les listes rouges de l’UICN, calculé à partir de lamoyenne des statuts de conservation des espèces. Il s’agit de l’Indicateur Liste Rouge (ILR). Ilpeut être calculé pour n’importe quel groupe d’espèces sur lequel il existe au moins deuxdonnées temporelles. Il est construit à partir du nombre d’espèces au sein de chaque catégoriede l’UICN et à partir du nombre d’espèces ayant changé de catégorie, ce qui traduit une amélio-ration ou une détérioration de l’état de la biodiversité. En ce qui concerne l’avifaune mondialepar exemple, son statut global s’est régulièrement dégradé au cours des vingt dernières années,quel que soit le contexte bio-géographique (Butchart et al., 2005). Bien que de nombreux biais aient été corrigés, il reste un problème de fond pour ces indicateurs :ils évoluent sur le long terme (Balmford et al., 2003). En effet, ils s’intéressent en priorité auxdisparitions irréversibles d’espèces et aux changements de statut qui ont lieu sur des pas-de-temps relativement longs. Or, les objectifs de la CDB, de l’UE et de la France, ont été fixés à l’horizon 2010 comme nous l’avons déjà souligné, ce qui nécessite le recours à des indicateursévoluant à court terme. On retrouve par ailleurs, dans ces indicateurs, les limites que nous avonsévoquées à propos des indicateurs de richesse spécifique, notamment le peu d’informationofferte sur la variabilité génétique et la diversité fonctionnelle des écosystèmes. Les indicateurs de l’UICN sont cependant souvent valorisés par les gestionnaires des zonesprotégées. Tout d’abord car ces espaces ont souvent été créés pour protéger une faune et uneflore emblématiques menacées. Ensuite car il existe une forte incitation – financière et politique– de la part des programmes de conservation nationaux et internationaux à suivre et à « produire » des populations d’espèces en danger. L’autre type d’indicateurs, qui se focalise sur l’érosion de la biodiversité et non pas sur lesniveaux d’extinction, est la variation relative des populations animales ou végétales. Les indi-cateurs concernant les populations d’oiseaux communs ont, en particulier, été bien déve-loppés ces dernières années.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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L’enjeu est ici d’avoir des informations quantitatives sur la distribution et l’évolution numériquedes populations des espèces d’oiseaux les plus communes (environ 120 espèces en France). Cesindicateurs ont de nombreux intérêts pour le suivi de la biodiversité (Heath et Rayment, 2001 ;Sekercioglu et al., 2004 ; Balmford et al., 2003, 2005 ; Gregory et al., 2005).Tout d’abord, les oiseaux communs occupent une large gamme d’écosystèmes, y compris lesécosystèmes urbains. Les indicateurs ont donc pour intérêt d’être construits à partir d’une sourced’information facilement accessible et répartie de manière relativement homogène sur le terri-toire. C’est pourquoi il a été possible de construire un réseau d’observateurs sur les oiseauxcommuns générant un grand nombre de données (Levrel, 2006). Les populations issues de la biodiversité « ordinaire » fournissent par ailleurs de grandes quan-tités d’individus – à l’inverse des espèces rares caractérisées par une faible abondance – et sontdonc les populations qui contribuent le plus au fonctionnement des écosystèmes et à leursévolutions. Des indicateurs fondés sur les oiseaux communs offrent donc des outils efficacespour évaluer le fonctionnement des écosystèmes. D’autre part, en étant situées à un niveau élevé dans la chaîne alimentaire, les populations d’oiseaux communs sont indirectement sensibles aux perturbations que subit l’ensemble descomposants de l’écosystème. L’évolution de ces populations offre donc un indicateur qui permetde mesurer l’état de santé des écosystèmes. Par ailleurs, l’interprétation qu’il est possible d’avoirdes tendances concernant ces populations repose sur une base conceptuelle solide – la biologiedes populations et des métapopulations (Couvet et al., 2007). Enfin, la biologie des oiseaux communs, le rôle de ces derniers dans le fonctionnement desécosystèmes et les causes de leur déclin sont relativement bien connus, à la différence de laplupart des autres éléments de la biodiversité. C’est pourquoi l’évolution des indicateurs oiseauxcommuns est relativement facile à interpréter. Mais l’avantage décisif de ces indicateurs est qu’ils sont fondés sur le suivi de populations dontla taille est très sensible aux changements environnementaux ayant lieu à court terme, ce quipermet de produire des indicateurs dont l’évolution d’une année sur l’autre a un sens non équi-voque. Ceci explique pourquoi ils peuvent fournir des outils d’évaluation politique efficaces pourmesurer les avancées liées aux objectifs de 2010.D’un point de vue « social », les indicateurs oiseaux communs offrent aussi de nombreux avan-tages. Ils représentent tout d’abord une « faune de proximité » souvent bien connue du grandpublic. Ils mobilisent ainsi fortement les représentations sociales comme en témoignent lesclassifications traditionnelles concernant les oiseaux nuisibles – la corneille ou la pie –, lesoiseaux de malheur – la chouette effraie ou le grand corbeau –, les oiseaux parasites – lecoucou ou le labbe –, sans parler de toutes les expressions qui se rattachent aux noms d’oiseaux communs – « tête de linotte » ou« faute de grive... ».

C’est pourquoi la variation d’abondancedes oiseaux communs représente quelquechose de concret pour de nombreuxacteurs, mobilise fortement les représenta-tions et peut servir d’objet intermédiairepour des débats à propos de la biodiversité.Ceci est d’autant plus le cas que la fauneaviaire fournit d’importants servicesécosystémiques dont la plupart descommunautés de pratique ont bienconscience (Sekercioglu et al., 2004) :- Services de régulation avec la prédation

des espèces nuisibles dans les champs ;- Services de prélèvement avec les

espèces chassées et consommées parl’homme (qui est aussi un serviceculturel) ;

- Services d’auto-entretien avec la disper-sion des graines ;

- Services culturels avec le « bird-watching ».

5

5

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20 Ces indicateurs sont consultables sur http://www.mnhn.fr/mnhn/crbpo/index.html

Sur quoi les indicateurs oiseaux communs peuvent-ils renseigner ?

Les premiers indicateurs qu’il est véritablement possible de tirer des oiseaux communs sont desindicateurs de diversité spécifique traditionnels qui permettent de suivre l’évolution de l’état dela biodiversité pour un écosystème ou un pays. Ces évolutions sont principalement caractériséespar les variations d’abondance puisque la richesse spécifique évolue lentement.Au niveau des variations d’abondance relative nationales – qui correspondent à la moyenne dela variation d’abondance des espèces communes – les calculs réalisés montrent qu’entre 1989et 2001, les populations d’oiseaux communs (89 espèces prises en compte) auraient globa-lement régressées de 14 % en France. Ces données montrent que 27 espèces sont en déclin,14 espèces sont à surveiller, 40 espèces sont stables et 8 espèces augmentent20. Pour interpréter et expliquer ce déclin de manière plus fine, de nombreux paramètres explica-tifs ont été statistiquement testés. Il s’avère que ni la chasse, ni les stratégies de migration, nila masse corporelle des oiseaux, ne permettent d’expliquer le déclin actuel (Julliard et al., 2004).Ces évolutions sont liées au changement climatique et à l’évolution des pratiques agricolesc’est-à-dire aux deux principales sources de risques qui pèsent sur la biodiversité aujourd’hui(MEA, 2005). Les indicateurs oiseaux communs permettent d’évaluer l’impact du réchauffement climatiquesur la biodiversité en mesurant l’évolution des aires de répartition des oiseaux communs (glis-sement vers le nord) et la phénologie de la reproduction (période de ponte plus tôt dans l’année)qui offrent des approximations très intéressantes sur la réalité du réchauffement climatique, seseffets sur la biodiversité, et les réponses fonctionnelles que les espèces peuvent adopter (Julliardet al., 2004).

Les indicateurs oiseaux communs ont aussi été utilisés pour évaluer les changements globauxconcernant l’évolution de l’état de santé des habitats (Julliard et al., 2006). Pour produire detels indicateurs, les espèces communes ont été regroupées en fonction de leur degré de spécia-lisation vis-à-vis de certains habitats – milieux forestiers, agricoles et bâtis. L’évolution del’abondance au sein de ces groupes doit permettre de mesurer les réponses de la biodiversitéaux pressions spécifiques que subissent ces différents types d’habitats. La pertinence de cesindicateurs composites dépend de la manière dont sont sélectionnées les espèces spécialistesqui les forment. Ce niveau de spécialisation est mesuré par l’abondance des différentes espècesdans les différents habitats. Le critère retenu, pour qualifier une espèce commune de « spécia-liste », est que son abondance dans un habitat spécifique est au moins deux fois supérieure àson abondance moyenne dans les autres habitats. A l’inverse, les espèces généralistes sontcelles dont l’abondance varie peu d’un habitat à l’autre.

Ces indicateurs permettent de fournir une information sur la réalité de l’évolution des habitats,l’impact de cette évolution sur l’avifaune et la vulnérabilité de certaines espèces vis-à-vis deschangements actuels ou passés tels que l’intensification agricole (Heath et Rayment, 2001 ;Julliard et al., 2004). En caractérisant précisément l’état d’un groupe d’espèces situées en hautde chaînes trophiques inféodées à un milieu particulier, les indicateurs d’espèces spécialistesrenseignent sur la santé fonctionnelle des écosystèmes terrestres. L’état d’autres niveaux trophi-ques, selon des méthodes similaires, permettrait une appréciation beaucoup plus complète dela fonctionnalité de l’écosystème (Couvet et al., 2007). Ces indicateurs de spécialisation permet-tent par ailleurs d’évacuer un biais lié au problème des espèces invasives. En effet, l’arrivée d’unepopulation invasive dans un écosystème se traduirait par une augmentation de l’abondancesans pour autant pouvoir en conclure que l’état du milieu s’améliore. L’approche par espècesspécialistes et généralistes a, enfin, pour avantage d’être appuyée par une théorie scientifiquedes niches écologiques bien documentée. Ainsi, plus la diversité des niches environnementalesliées aux habitats spécifiques est importante, plus la diversité du vivant est, elle aussi, impor-tante (Krebs, 2001). Les résultats (figure 2) pour la période 1989-2003 montrent que les espèces spécialistes subis-sent un déclin plus important que les espèces généralistes (seulement 3 % de baisse entre 1989et 2003). Ils soulignent plus particulièrement le déclin des espèces agricoles (- 25 %) et desespèces forestières (- 18 %) d’une part et la relative stabilité des espèces spécialistes des milieuxanthropisés (- 9 %) de l’autre.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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1 9 8 8 1 9 9 0 1 9 9 2 1 9 9 4 1 9 9 6 1 9 9 8 2 0 0 0 2 0 0 2 2 0 0 4

Généraliste -3 %Bâti -9 %Forêt -18 %Agricole - 25 %

Source : Couvet et al., 2004

Figure 2 : Variation d’abondance des populations d’oiseaux spécialistes en France.

L’origine de la réduction des populations d’espèces agricoles est à chercher dans le processusd’intensification qu’a connu le secteur agricole, la disparition d’exploitations non spécialisées,des bosquets et des haies, l’usage d’intrants – pesticides, herbicides, engrais… – ou l’irrigationintensive (Krebs et al., 1999). Il est également important d’évoquer la déprise agricole dans leszones où l’intensification n’a pas eu lieu, qui conduit à la fermeture des milieux par des dyna-miques d’enfrichement et à la disparition des espèces inféodées à des habitats agricoles ouverts(Bignal et McCracken, 1996). En ce qui concerne le déclin des espèces inféodées au milieu forestier, les explications sontmoins claires et ce d’autant plus que les superficies forestières n’ont fait qu’augmenter cesdernières années et que la grande faune inféodée à ce milieu semble bien se porter (Gosselin etLaroussinie, 2004). Pour approfondir cette question des changements globaux concernant les habitats, un indica-teur de spécialisation communautaire (ISC) a été développé (Devictor et al., 2007). Il permetde lier l’évolution du degré de spécialisation des communautés d’oiseaux communs avec ledegré de fragmentation et de perturbation des habitats. Il offre un ratio du nombre d’individusissus d’espèces dites spécialistes par rapport au nombre d’individus issus d’espèces dites géné-ralistes. Si ce ratio décroît, il est probable que l’on se trouve dans une situation d’homogénéisa-tion fonctionnelle de la communauté (Olden et al. 2004), ce qui peut avoir de forts impacts surla biodiversité dans son ensemble, sur les fonctions qu’elle assure dans les grands cycles bio-géochimiques et sur les services écosystémiques de manière générale. Les tests statistiquesmontrent qu’il existe bien une tendance de ce type (Devictor et al., 2007).A un niveau d’agrégation supérieur, il existe un indicateur composite qui regroupe l’ensembledes espèces communes vertébrées de la planète. Il s’agit de l’indicateur planète vivante (IPV).L’IPV a été créé en 1997 dans le cadre d’un programme du World Wild Fund (WWF). Il a été misen place pour mesurer l’évolution de l’ensemble de la biodiversité sur la planète. Il est construit à partir d’un ensemble de 3 000 populations animales vertébrées représentantplus de 1 100 espèces (Loh et al., 2005) vivant sur terre, en eau douce ou en eau salée. Les oiseaux et les mammifères sont sur-représentés par rapport aux autres taxons tout commeles espèces des zones tempérées par rapport aux espèces tropicales. En revanche, les espècescommunes et menacées sont à peu près également représentées dans l’indicateur.

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L’indicateur intègre chaque année de nouvelles données, de nouvelles populations et denouvelles espèces. Il existe deux méthodes pour le construire qui conduisent à peu près auxmêmes résultats (Loh et al., 2005) : une baisse d’un quart des effectifs entre 1970 et 2000.L’indicateur est utilisé pour comparer des tendances selon différentes éco-régions – australo-asiatique, afro-tropicale, indo-malaise, néo-arctique, néo-tropicale, paléo-arctique – et enfonction de catégories – espèces terrestres, marines ou d’eau douce. Un des résultats marquant est la différence d’érosion entre la zone paléo-arctique, qui a subiune réduction de 1 % de sa biodiversité terrestre entre 1970 et 2000, et la zone afro-tropi-cale qui a perdu 60 % de sa biodiversité terrestre. Un problème lié à cet indicateur est que son usage est limité pour deux raisons : les popu-lations suivies sont choisies de manière arbitraire à partir d’une approche fondamentale-ment pragmatique ; le nombre d’espèces par milieu et groupe fonctionnel donné est faible(Couvet et al., 2007).

Indicateurs directs et indirects : exemple des indicateurs de biodiversité utilisés dans le cadre de la gestion durable des forêts françaisesEn France, la loi d’orientation sur la forêt de juillet 2001 affirme qu’il faut développer une poli-tique de gestion durable et multifonctionnelle des forêts mais aussi qu’il est nécessaire derenforcer la protection de ces écosystèmes. Pour évaluer les avancées dans ce domaine, il estnécessaire de disposer d’outils de suivi parmi lesquels les indicateurs de biodiversité occupentune place importante.Nous proposons ici de mettre en perspective les indicateurs de biodiversité issus des indicateursde gestion durable des forêts françaises vis-à-vis de ceux issus de la stratégie nationale pourla biodiversité, de manière à identifier les particularités des premiers et tenter d’en tirer desenseignements.

Spécificité des indicateurs de biodiversité en milieu forestier.Les indicateurs de biodiversité forestière appartiennent au critère 4 – « Maintien, conservationet amélioration appropriée de la diversité biologique dans les écosystèmes forestiers »21– desindicateurs de gestion durable des forêts françaises (tableau 5).La stratégie nationale pour la biodiversité qui a été adoptée en France en 2004 (Ministère del’écologie et du développement durable, 2004) liste quant à elle un certain nombre d’indicateursà suivre pour évaluer les avancées réalisées dans le domaine de la conservation de la biodiver-sité (tableau 2).Au regard de ces dispositifs, nous identifions trois particularités pour les indicateurs de biodi-versité en milieu forestier.

1) Spécificités d’un point de vue institutionnel. Une première particularité concerne le processus institutionnel qui a permis de faire émergerles indicateurs de biodiversité. En effet, un des points forts des indicateurs de biodiversité dansle cadre de la gestion durable des forêts est qu’ils ont été pensés à partir d’une échelle euro-péenne et qu’il existe donc une forte cohérence entre ces derniers et les indicateurs développésaux échelles nationales. C’est cette absence de mise en cohérence ex-ante, dans le domaine desindicateurs de biodiversité, qui a conduit à lancer le programme Sebi que nous avons évoquéplus haut. Une autre particularité institutionnelle est la très forte représentation de l’Inventaire forestiernational (IFN) dans les sources d’information utilisées pour développer des indicateurs de biodi-versité pour la gestion durable des forêts françaises (12 indicateurs sur 15).

21 Il existe 5 autres critères de gestion durable des forêts : « Conservation et amélioration appropriée des ressources forestières et de leur contri-bution aux cycles mondiaux du carbone » ; « Maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers » ; « Maintien et encouragementdes fonctions de production des forêts (bois et non bois) » ; « Maintien et amélioration appropriée des fonctions de protection dans la gestiondes forêts (notamment sol et eau) » ; « Maintien d’autres bénéfices et conditions socio-économiques ».

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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2) Spécificités d’un point de vue technique. Une particularité des indicateurs de l’IFN est l’influence de l’écologie du paysage dans la sélec-tion des indicateurs de biodiversité. Ce courant de pensée postule que c’est la structure spatialedes habitats qui détermine en grande partie la dynamique de la biodiversité (Burel et Baudry,1999). Ici l’habitat est la forêt et sa structure peut être décrite à partir des indicateurs de compo-sition en essences (mélange, pureté, présence d’espèces allochtones), de quantité de bois mort,de longueur de lisière, de présence de coupes rases, de surfaces en régénération, de naturalitédes forêts (semi-naturelles ou exploitées). Même la composition en essence, qui pourrait êtreconsidérée comme un indicateur spécifique, apparaît ici plutôt comme un indicateur structureldans le sens où il permet de caractériser un habitat favorable à la biodiversité dans sonensemble. Dans un sens plus large, il est possible de dire que certains indicateurs structurelsconcernent aussi l’environnement institutionnel (surface de forêts protégées). Cette approche à partir des indicateurs « structurels » (encadré) – ou « indirects » – bénéficied’un fort consensus, y compris parmi la communauté scientifique. Il est ainsi notable quelorsque des propositions d’indicateurs de biodiversité pour les milieux forestiers sont faites dansla littérature scientifique, celles-ci concernent toujours la dimension structurelle, avec parexemple la prise en compte des mares, des grottes, des éboulis, des clairières (Deconchat etBalent, 2004), l’utilisation d’indicateurs génériques renvoyant à l’hétérogénéité, la complexité etla connectivité des habitats forestiers (Lindenmayer et al., 2000) et même, tout simplement, lessurfaces forestières gérées durablement (Dudley et al., 2005). Les indicateurs de gestion fores-tière concernant la biodiversité sont ainsi largement dominés par la dimension habitat. Les indi-cateurs dits « taxonomiques » (encadré 1) – ou « directs –, tels que les espèces indicatrices ou lesindicateurs composites fondés sur des regroupements d’espèces sont presque absents22.

Tableau 5 : indicateurs de biodiversité français et paneuropéens pour la gestion durable des forêts (indicateurs spécifiquement français en italique, sources entre parenthèses).

Composition en essence Surface de forêts et autres terres boisées, classées par nombre d’essences présentes etpar type de forêts (IFN) ;

Pureté en surface terrière des peuplements par essence principale (IFN).

Régénération Surface en régénération dans les peuplements forestiers équiennes et inéquiennes,classés par type de régénération (IFN).

Caractère naturel Surface de forêts et autres terres boisées, classées en « non perturbées par l’homme », « semi-naturelles » ou « plantations », chacune par type de forêts (IFN) ;

Surface de futaies régulières très âgées constituant des habitats spécifiques (IFN).

Essences introduites Surface de forêts et autres terres boisées composées principalement d’essences intro-duites (IFN).

Bois mort Volume de bois mort sur pied et de bois mort au sol dans les forêts et autres terresboisées classé par type de forêts (IFN).

Ressources génétiques Surface gérée pour la conservation et l’utilisation des ressources génétiques forestières(conservation génétique in situ et ex situ) et surface gérée pour la production desemences forestières (Cemagref).

Organisation du paysage Organisation spatiale du couvert forestier du point de vue paysager (IFN) ;

Longueur de lisière à l’ha (IFN) ;

Longueur de lisière à l’ha par type de peuplement national IFN (IFN) ;Coupes fortes etrases (IFN).

Espèces forestières menacées Proportion d’espèces forestières menacées, classées conformément aux catégories de laListe Rouge de l’UICN (MNHN).

Forêts protégées Surface de forêts et autres terres boisées protégées pour conserver la biodiversité, lepaysage et des éléments naturels spécifiques, conformément aux recommandationsd’inventaire de la CMPFE (IFN) ;

Densité de cervidés aux 100 hectares (ONCFS).

22 Par ailleurs, ceux qui sont retenus sont faiblement informatifs. Ainsi, la « proportion d’espèces forestières menacées » n’est pas un indicateurqui évolue à court terme (même si les comparaisons spatiales que cet indicateur permet offrent une information précieuse). Quant à la «densité de cervidés », il est équivoque. En effet, s’agit-il d’un indicateur du bon état de la biodiversité, de son mauvais état ou même d’unepression sur la biodiversité ?

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Indicateur structurel (ou indirects) : les indicateurs structurels de biodiversité sont àmettre en relation avec l’idée qu’il existe des structures paysagères – biologiques, physi-ques et sociales – qui ont un effet important sur la biodiversité et qui permettent doncde renseigner sur l’état de cette dernière de manière indirecte. Ceci explique pourquoi ilest aussi possible de parler d’indicateurs indirects de la biodiversité.

Indicateur taxonomique (ou direct) : les indicateurs taxonomiques de biodiversitésont des indicateurs qui se focalisent sur le suivi de certains taxons – plantes, oiseaux,insectes, mammifères, etc. Ils cherchent à renseigner l’état de santé de la biodiversité demanière directe en s’intéressant aux différentes entités du vivant. Ceci explique pourquoion peut parler d’indicateurs directs.

Cette position se justifie par trois arguments que nous avons détaillés plus haut (Lindenmayeret al., 2000 ; Dudley et al., 2005). Premièrement, l’utilisation d’espèces indicatrices est délicatecar leur évolution peut être due à des phénomènes aléatoires et indépendants de ceux que l’in-dicateur est censé renseigner, ce qui pose un problème d’interprétation. Ensuite, les indicateurscomposites prenant en compte des échantillons de plusieurs espèces sont problématiques carces dernières ne répondent pas de manière homogène aux changements environnementaux, cequi crée là encore des problèmes d’interprétation. Enfin, il semble plus intéressant de disposerd’indicateurs qui vont être directement liés à des pratiques de gestion. Ce point est à l’originede la troisième particularité des indicateurs de biodiversité en milieu forestier.

3) Spécificités d’un point de vue décisionnel. Une dernière particularité des indicateurs de biodiversité en milieu forestier est qu’ils sont « pensés » pour les gestionnaires. En effet, tous les indicateurs structurels évoqués sont censésenvoyer des messages clairs aux gestionnaires qui exploitent les forêts. C’est une caractéristiqueforte et constante des indicateurs de biodiversité qui sont pensés pour des exploitations agri-coles. La sylviculture n’échappe donc pas à la règle. A ce titre, et si l’on prend la classificationpression-état-réponse que nous détaillerons dans la prochaine section (cf. page 44), les indica-teurs de biodiversité forestière fournissent plutôt des indicateurs de pressions et de réponses,qui auraient respectivement pour objectifs de souligner les menaces et d’offrir des normes de « bonne gestion », que des indicateurs d’état de la biodiversité à proprement parler. Ce particu-larisme est lié à l’histoire des forêts européennes qui sont gérées depuis plusieurs siècles et dontle bon état renvoit à une bonne exploitation. Cette démarche est par ailleurs assez logique dansun cadre institutionnel où 74 % des forêts appartiennent à des propriétaires privés auxquels il est nécessaire de fournir des indicateurs simples et parlants, adaptés à des pratiques d’exploitation. Si l’on met de côté la première spécificité qui est de nature institutionnelle, il est intéressant desouligner que la caractéristique principale des indicateurs de biodiversité forestière est leurfocalisation sur les paramètres paysagers les plus « parlants » pour les gestionnaires. Dansla suite de notre exposé, nous souhaitons souligner pourquoi il est important d’élargir cettequestion des indicateurs de biodiversité forestière aux indicateurs taxonomiques mais aussipourquoi il est important de cibler d’autres catégories d’usagers de la forêt.

Pourquoi compléter les indicateurs de biodiversité des forêts ?Si l’usage d’indicateurs structurels pour le suivi de la biodiversité en milieu forestier offre denombreux avantages, il semble malgré tout intéressant de pouvoir les compléter par des indica-teurs taxonomiques. Ce besoin s’explique par une simple illustration. La première impression que l’on a, à la lecture du rapport sur les indicateurs de gestiondurable des forêts, est que la biodiversité semble plutôt bien se porter (IFN, 2005). En effet,le seul indicateur qui apparaît comme véritablement négatif est l’indicateur de fragmentation23.

Encadré 1 : Différences entre les indicateurs structurels (indirects) et taxonomiques (directs).

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

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Pour le reste, les peuplements mono-spécifiques ont tendance à régresser au profit des peuple-ments mélangés depuis une vingtaine d’année ; les forêts semi-naturelles sont celles qui profi-tent le plus de l’expansion forestière (plus que les plantations) ; on observe une stabilité desfutaies régulières très âgées ; le taux de croissance des surfaces occupées par les espèces accli-matées est plus rapide que celui des espèces indigènes mais ces dernières augmentent toujoursen valeur absolue et dominent largement les forêts françaises (93,7 % des peuplements) ; lesespèces exotiques ne couvrent que 1 % des forêts et ce taux reste stable ; la quantité de boismort est en forte augmentation, tout comme les surfaces d’espaces protégés. Pourtant, il semblerait que certains indicateurs taxonomiques, concernant aussi l’ensemble duterritoire français mais non pris en compte dans les indicateurs de biodiversité forestière, puis-sent traduire des tendances moins positives. Ainsi, les populations d’oiseaux communs inféodéesaux milieux forestiers marquent un recul de - 18 % entre 1989 et 2003 (Couvet et al., 2004,2007). Cette tendance est d’autant plus surprenante que ce taux est supérieur à l’ensemble despopulations d’oiseaux communs (- 14 %), ce qui laisserait penser qu’il s’agit là d’un « effethabitat24»Il s’agit d’une information qui souligne que, même si les indicateurs structurels de la biodiver-sité montrent une tendance positive, celle-ci n’est pas forcément corrélée avec l’évolution desindicateurs taxonomiques. Ou alors cela reviendrait à admettre que le déclin des populationsd’oiseaux communs inféodées aux milieux forestiers est uniquement dû à la fragmentation dece type d’habitat – il s’agirait dans ce cas d’un paramètre explicatif écrasant tous les autres.Certes, cette observation concerne un unique taxon et demande donc à être approfondie. Maiscela révèle une chose : il existe de nombreuses incertitudes sur les liens qui existent réelle-ment entre les indicateurs directs et indirects. Cette incertitude est confirmée par la littéra-ture (Balmford et al., 2005 ; Dudley et al., 2005 ; Gosselin et Laroussinie, 2004 ; Redford, 1992).Ainsi, même un indicateur aussi consensuel que l’abondance de bois mort apparaît, dans la litté-rature, comme un élément structurel controversé puisqu’une trop grande abondance de boismort peut être à l’origine d’une nouvelle source de pression, du fait de la fréquence accrue desfeux de forêts – en particulierdans les milieux méditerra-néens (Thompson et al., 2007).

Au-delà de ce point technique,il existe d’autres arguments quiplaident en faveur de la priseen compte d’indicateurs directs. Le premier est qu’en se conten-tant d’indicateurs structurelspour suivre l’état de la biodiver-sité, on en vient à inverser laquestion des fins et des moyensdans le domaine de la conser-vation. Les indicateurs indirectspeuvent ainsi participer à unenormalisation des pratiques degestion forestière alors qu’ilexiste de grosses incertitudessur l’effet réel de ces dernièrespour ce qui concerne la biodi-versité. L’usage exclusif d’indi-cateurs structurels peut ainsiconduire à substituer l’opinionde l’expert à la préférence du gestionnaire qui a pourtant, lui aussi, ses intuitions sur les bonscritères de gestion durable (Trannoy et Van Der Straeten, 2001), critères qui peuvent apparaîtretout aussi valables dans des contextes écologiques et sociaux spécifiques que les gestionnaireslocaux connaissent bien.

23 Il existe cependant de nombreuses controverses sur son mode de calcul et ce dernier peut traduire un accroissement de l’hétérogénéité dupaysage favorable à une biodiversité inféodée aux espaces ouverts ou ayant besoin d’un habitat hétérogène.

24 Ce qui semble confirmé par la littérature (Julliard et al., 2004).

28

Le second argument est qu’il n’est pas possible d’orienter les indicateurs de biodiversité en fonc-tion d’un seul public, en l’occurrence celui des gestionnaires. En effet, la question de la biodi-versité en milieu forestier est une question sociale qui intéresse de nombreux autres acteurs. Cesderniers doivent donc pouvoir, eux aussi, avoir accès à des indicateurs qui leur permettent departiciper aux débats publics. Il faut donc que les indicateurs de biodiversité soient parlants pourtoutes les communautés de pratique qui portent un intérêt à cette question et pas uniquementpour les gestionnaires.

Comment articuler les indicateurs directs et indirects ?Un premier point à clarifier pour traiter la question des indicateurs de biodiversité en milieuforestier est de savoir de quelle biodiversité on parle. En effet, comme nous l’avons soulignédans l’introduction, ce concept pluriel, polymorphe et controversé renvoie à une grande diver-sité d’objectifs de conservation portés par une grande diversité d’acteurs (Aubertin et Vivien,1998 ; Barbault et Chevassus-au-Louis, 2004 ; Bouamrane, 2006). Ainsi, conserver la biodiver-sité peut vouloir dire beaucoup de choses. Mettre en place des indicateurs liés à la résilience desécosystèmes, à la richesse spécifique, à la variabilité génétique ou à la quantité de servicesécosystémiques, c’est fixer des objectifs de conservation qui peuvent ne pas être conciliables.C’est pourquoi il est nécessaire de lier les indicateurs de biodiversité avec les composantesprécises que l’on cherche à conserver – si possible en les hiérarchisant (Failing et Gregory, 2003).Cette perspective doit conduire à l’élaboration d’indicateurs qui permettent de suivre les évolu-tions de chacune des composantes de la biodiversité et de souligner les contradictions quipeuvent apparaître entre différentes mesures de conservation. Les indicateurs, envisagés souscet angle, doivent participer à la clarification des enjeux de la conservation de la biodiversité enmilieu forestier et nourrir les débats à son propos. Un autre point important est la nécessité de recadrer la portée des indicateurs de biodiversité.En effet, il n’est pas possible de considérer que le suivi de la biodiversité puisse se résumer à unnombre limité d’indicateurs taxonomiques (oiseaux communs par exemple) ou structurels(composition en essences par exemple) dont le principal avantage est d’être facile à documenter.Il est ainsi essentiel, tant que le nombre de taxons renseignés restera limité, de prendre encompte les opinions des spécialistes et des profanes pour compléter ces sources d’informationquantifiée. Les expériences et les connaissances spécifiques de « terrain » peuvent en effet

compléter utilement les indica-teurs de suivi sur la biodiversitési elles sont exprimées dans uncadre collectif transparentimpliquant de nombreuxacteurs, comme le suggèrent lesprincipes de la démocratie tech-nique (principes sur lesquelsnous reviendrons dans la troi-sième section) (Callon et al.,2001).Par ailleurs, dans ce contexte oùil existe encore beaucoup d’in-certitudes, il faut privilégier desapproches modestes etprudentes à propos de laconceptualisation et de l’usagedes indicateurs de biodiversité.Ces derniers doivent représenterdes outils d’expérimentationplutôt que de normalisation dansune perspective de gestion adap-tative de la biodiversité où lesconnaissances et les pratiquesco-évoluent25 (Arrow et al., 2000 ;

25 Nous reviendrons aussi de manière plus approfondie sur cette question de la gestion adaptative dans la troisième section.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs de biodiversité

29

Gunderson et Holling, 2002 ; Olsson et al., 2004 ; Weber, 1996). Les pratiques de gestion doiventainsi pouvoir rester hétérogènes et adaptées à des contextes écologiques et institutionnels spéci-fiques, tout comme les indicateurs. Ainsi, un même indicateur de biodiversité pourra fournir deuxinformations différentes – traduire une évolution positive ou négative – selon les contextes (ladensité de cervidés par exemple). Il peut aussi être contre-productif de vouloir utiliser exactementla même batterie d’indicateurs pour des forêts situées au sein de réserves naturelles et des forêtsprivées exploitées à des fins commerciales. Certes, des indicateurs communs – tels que ceux del’IFN – doivent permettre de réaliser des comparaisons mais il est tout autant nécessaire de déve-lopper des indicateurs qui soient adaptés à des contextes spécifiques. Il semble donc exister aujourd’hui deux priorités dans le domaine du développement des indi-cateurs de biodiversité en milieu forestier.Il apparaît tout d’abord important de mettre en place des indicateurs de biodiversité taxonomi-ques directs, complémentaires aux indicateurs structurels existants, pour limiter le niveau decontroverse et améliorer les débats à propos de la gestion de la biodiversité. Ainsi, comme nous l’avons souligné plus haut, des avancées importantes ont été réalisées dansla conception d’indicateurs composites en proposant des regroupements à partir des caractéris-tiques fonctionnelles des espèces et non plus simplement de leur appartenance à un mêmetaxon (Julliard et al., 2006 ; Couvet et al., sous presse). De tels regroupements permettent d’ob-tenir des indicateurs non équivoques, ciblés, et dans lesquels les problèmes de phénomènesaléatoires sont réduits par un effet de moyenne. Cela nécessite cependant de mettre un accentparticulier sur les méthodes de sélection des groupes taxonomiques suivis. Parallèlement, il est nécessaire d’évaluer de manière approfondie la qualité des indicateursindirects, en discriminant les liens de causalité entre les dynamiques des structures paysa-gères des forêts d’une part et les dynamiques des groupes taxonomiques de l’autre. Destravaux à large échelle visant à mettre en relation des indicateurs structurels et des indicateurstaxonomiques ont déjà donné des résultats intéressants dans le cadre des milieux agricoles (parexemple en articulant des indicateurs issus de la base de données Teruti – structure du paysageagricole français – et de la base Stoc – suivi temporel des oiseaux communs-) et permis de relierdes questions de conservation avec des questions d’aménagement du territoire (Devictor et al.,2007). Ce type d’expériences doit pouvoir être multiplié pour mieux comprendre les liens entreles évolutions structurelles et fonctionnelles des écosystèmes forestiers.

Section 2 : Les indicateurs d’interactions société-nature

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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Les indicateurs d’interactions société-nature sur lesquels nous allons nous attarder dans cettesection renvoient à ce que l’on entend traditionnellement par « indicateur de développementdurable ». Nous tenons cependant à cette dénomination d’ « indicateurs d’interactions » car nousnous attachons à analyser leurs capacités à décrire les interactions qui existent entre les dyna-miques de la biodiversité et les dynamiques socio-économiques.

Quelques indicateurs synthétiques écolo-centrésUn domaine de recherche très dynamique autour de la biodiversité est celui de la productiond’indicateurs synthétiques. Nous avons déjà décrit l’indicateur liste rouge, l’indicateur de spécia-lisation communautaire et l’indicateur planète vivante qui ont pour objectif de réaliser desregroupements taxonomiques permettant de mieux décrire les évolutions de la biodiversité et lesrisques qu’elle subit. Une autre catégorie d’indicateurs synthétiques concerne les interactionssociété-nature qui ont pour fonction de mieux appréhender les dynamiques socio-économiquesà l’origine de ces risques.

L’indicateur trophique marin.Un premier indicateur synthétique qu’il est possible d’évoquer est l’indicateur trophique marin del’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il s’agit d’un indicateurdéveloppé depuis 1998 à partir des données concernant les prises de pêches depuis 1950. Cet indicateur est fondé sur les niveaux trophiques auxquels les prises sont réalisées. Sachantqu’un niveau trophique correspond au rang qu’occupe un être vivant dans la chaîne alimentaire,il est possible de classifier les niveaux trophiques de manière très simple : « producteurs primaires »(réalisant le processus de photosynthèse), « consommateurs primaires » (micro-organismes,invertébrés), « consommateurs secondaires » (petits vertébrés), « grands prédateurs » (mammi-fères), « super-prédateurs » (hommes) et « décomposeurs » (consommateurs des déchets desprécédents). Il est aussi possible d’identifier de nombreuses catégories et sous-catégories beau-coup plus fines impliquant un grand nombre de niveaux (Barbault, 2000). Plus on se situe à unniveau élevé dans la chaîne, plus le nombre d’espèces est réduit.Le travail de la FAO a pu prendre en compte plus de 200 espèces ou groupes d’espèces répartiesselon leurs niveaux trophiques. A partir de ces informations, un indicateur de niveau trophiquemoyen des prises a pu être calculé (Pauly et Watson, 2005). Ce dernier décroît tout au long dela seconde moitié du XXème siècle (figure 3).

3.60

3.55

3.50

3.45

3.40

3.35

3.30

3.25

3.20

Trop

hic

leve

l

1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000year

y = -0.0025x + 3.4533

y = -0.0049x + 3.551 coastalN. Atlanticlinear (N. Atlantic)linear (coastal)

Source : Pauly et Watson, 2005, p.419

Figure 3 : Evolution de l’indice trophique marin selon les aires d’exploitation.

32

Cette tendance traduit une baisse des prises dans les niveaux trophiques élevés et un épuise-ment des pêcheries mondiales. Cette érosion touche tous les océans et serait caractérisée parune raréfaction des échelons supérieurs – les plus recherchés – qui pousserait les pêcheurs às’orienter vers des poissons de plus petites tailles. Cette interprétation est corroborée par lesrésultats liés à deux autres indicateurs – la profondeur des prélèvements qui est en augmenta-tion et la quantité pêchée par chalutage qui est en diminution (Couvet et al., 2007). Une dessources de légitimité de l’ITM (indicateur trophique marin) est qu’il est fondé sur une théorieécologique solide qui est celle des réseaux trophiques (Krebs, 2001). Du point de vue de la biodi-versité, l’ITM peut ainsi être considéré comme un indicateur de fonctionnalité des écosystèmeset de variation des services écosystémiques. Il permet en effet de s’intéresser, de manière indi-recte, à l’évolution des services de prélèvement offerts par la biodiversité marine. Pour aller plus loin dans l’utilisation de cet indicateur, il serait intéressant de le calculer à partirdes pays d’origine de l’exploitation de manière à faire ressortir les responsabilités de certainspays dans l’évolution de cet index26 et pas uniquement en fonction des aires d’exploitationcomme le propose l’ITM aujourd’hui.

L’empreinte écologique.L’empreinte écologique (EF27) a été créée par William Rees (Rees, 1992 ; Ecological Economics,2000, vol.32) pour évaluer des politiques d’urbanisme. L’ONG Redefining Progress (créée en1994) l’a ensuite développée et le WWF en a fait un de ses indicateurs phares. L’EF s’intéresseuniquement aux ressources naturelles renouvelables et donc à la biodiversité (sols, forêts,espèces vivantes…). Il est censé faire le rapport entre les flux de ressources utilisées par l’homme et les capacités derenouvellement de celles-ci pour un mode de consommation et une technologie donnés(Gadrey et Jany-Catrice, 2005). Le calcul n’est pas fait à partir des capacités de renouvellementdes ressources d’un pays mais à partir d’une capacité mondiale nommée l’hectare bio-productif moyen. L’EF est construit à partir de la consommation finale d’un pays et utilise unematrice de conversion qui permet de calculer l’équivalent de ressources naturelles renouvelablesconsommées. L’unité d’équivalence utilisée pour réaliser ce rapport est l’hectare d’écosystèmeconsommé par un individu28, une ville, une entreprise ou un pays. Il est possible de calculer cinqtypes d’EF (Gadrey et Jany-Catrice, 2005, p.73) :

- L’empreinte terres cultivées qui représente les surfaces mises en exploitation pourproduire les matières premières nécessaires à l’alimentation ou à la production indus-trielle.

- L’empreinte terres pâturées qui permet de disposer de bétails pour la viande, le cuir, lalaine, le lait… Pour être comptabilisé dans cette empreinte, le bétail doit occuper lesterres de manière permanente et ne pas être nourri de manière industrielle.

- L’empreinte forêts qui correspond aux exploitations forestières qui permettent derépondre aux besoins en bois et en produits non ligneux forestiers. Le bois énergie n’estpas pris en compte dans l’empreinte forêts.

- L’empreinte zone de pêche qui correspond aux besoins en poissons et en fruits de merd’une population. La diversité spécifique est prise en compte de manière à pondérer labiomasse halieutique.

- L’empreinte énergie qui correspond à la superficie nécessaire pour répondre auxbesoins en énergie. Cette empreinte se subdivise en quatre : l’énergie issue de combus-tibles fossiles, de la biomasse, des centrales nucléaires et des centrales hydrauliques.

Le concept de capacité de renouvellement pour l’EF est proche du concept de capacité de chargeen permettant de savoir si l’homme consomme plus que la nature ne peut produire et d’établirainsi une dette ou un crédit en terme de consommation d’écosystèmes.

26 Précisons que la mise en place d’un tel indicateur serait aisée car les données de bases sur lesquelles est fondé l’ITM sont organisées en fonc-tion des pays exploitants (Pauly et Watson, 2005).

27 Nous utilisons l’acronyme anglais (d’ »Ecological Footprint ») pour ne pas le confondre avec l’éco-efficience que nous évoquerons plus loin.

28 Le calcul à l’échelle individuelle est d’autant plus aisée qu’il est possible de le faire en ligne (http://www.earthday.net/footprint/index.asp) enrépondant à une liste de questions simples.

On peut donc savoir combien de planètes seraient nécessaires si l’ensemble de l’humanitéconsommait comme tel ou tel pays, tel ou tel individu, etc. La force de cet indicateur est doncd’être très parlant et de permettre des comparaisons à différentes échelles à partir des modesde consommation. L’EF établit que, pour respecter les capacités de régénération de la biosphère,l’homme ne doit pas consommer – dans le cas où la population resterait stable – plus de 1,4 hectares de superficie terrestre. Or, un Américain moyen en consomme 9,6 hectares, unCanadien 7,2 et un Européen 4,5. En comparaison, l’EF d’un habitant du Pakistan ou de l’Indese situe autour de 0,8. A l’échelle d’une ville, il est possible de prendre l’exemple de Londres quicompte 12 % de la population du Royaume-Uni et couvre 170 000 hectares mais qui consommel’équivalent de 21 millions d’hectares (Programme des Nations unies pour l’environnement,2002). La conclusion du calcul de l’empreinte écologique est que le mode de consommationmoderne n’est pas soutenable.L’EF représente l’indicateur d’interactions société-nature le plus emblématique et le plus média-tisé aujourd’hui. Il a ainsi donné lieu à une émission en « prime time » sur France 2 pendantlaquelle diverses personnalités du monde des médias devaient calculer leurs empreintes écolo-giques. Cette émission intitulée ClimAction (3 juin 2003) était organisée autour de 43 questionsauxquelles les invités répondaient les uns après les autres pour calculer petit à petit leurs EF.Parsemée d’interventions de scientifiques et d’explications concernant l’impact des activitéshumaines sur l’environnement, cette émission représente un exemple unique de l’utilisation d’unindicateur dans un cadre pédagogique à très large échelle. L’EF a par ailleurs été le seul indica-teur évoqué par le président Jacques Chirac lors de son intervention au sommet deJohannesburg en 2002 (Gadrey et Jany-Catrice, 2005, p.69).

L’empreinte écologique souffre pourtant de plusieurs défauts majeurs.

Tout d’abord, les conventions d’équivalence concernant l’empreinte énergie sont très discutables(Gadrey et Jany-Catrice, 2005, p.73). Ainsi, l’empreinte énergies fossiles correspond à la surfaceforestière nécessaire à l’absorption du dioxyde de carbone émis par les combustibles fossiles etl’empreinte énergies biomasses correspond à la surface forestière nécessaire à la production del’énergie biomasse. Or, il existe de nombreuses incertitudes sur ces deux calculs. Mais c’est pourl’empreinte énergie nucléaire que le principal problème se pose. Elle est en effet calculée selonla même méthode que l’énergie fossile. Or, il s’agit là d’une hypothèse scientifiquement fausse.En effet, l’émission de gaz à effet de serre est moins élevée pour le nucléaire que pour lescombustibles fossiles. Ce choix est sans doute motivé par le fait qu’il est délicat d’intégrer laquestion des risques nucléaires (notamment en ce qui concerne les déchets radioactifs) dans l’EF,mais la solution adoptée apparaît discutable. La controverse sur ces conventions d’équivalence pose un problème d’autant plus grand quel’empreinte écologique dépend à 70 % de l’empreinte énergie (Ayong-Le-Kama, 2006). Un second problème est que, si l’empreinte écologique est théoriquement calculable de l’échelleindividuelle à l’échelle internationale il apparaît que, dans les faits, il n’existe pas de données surla consommation finale à des échelles intermédiaires telles que la région ou le département(Rousseau, 2006).Un troisième problème concerne l’hypothèse du niveau de technologie et de population donné,qui permet de calculer le rapport entre les quantités consommées et les capacités de régénéra-tion de la biosphère – mais aussi la capacité de charge de 1,4 hectare par habitant. En effet,toute l’histoire humaine est caractérisée par une augmentation de la population et des innova-tions technologiques – entre lesquels il existe de nombreuses interdépendances (Lebras, 1994).L’EF propose uniquement de réaliser des simulations en fonction des niveaux de consommation

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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alors qu’il apparaît tout aussi intéressant de pouvoir réaliser des calculs en partant de différentsniveaux de technologie et/ou de population. A titre d’exemple, le développement des énergiesrenouvelables, le recyclage ou la révolution doublement verte sont autant de pistes pour décou-pler la consommation finale de la consommation en ressources naturelles renouvelables. Le véritable point fort de l’EF est sa vertu pédagogique. Cet indicateur permet en effet de réaliserdes comparaisons de manière ludique, en liant des pratiques quotidiennes avec des change-ments globaux. Cette qualité essentielle et sans équivalent sur le marché des indicateurs a faitoublier ses défauts conceptuels majeurs.

L’indicateur de capital naturel (ICN) et l’indicateur d’intégrité de la biodiversité (IIB)L’ICN a été développé aux Pays-Bas et l’IIB en Afrique du Sud. Ces deux indicateurs sont fondéssur une démarche très pragmatique qui a pour objectif d’évaluer l’érosion de la biodiversité àpartir de l’impact des activités humaines sur les habitats naturels. L’ICN s’intéresse à deux éléments qui permettent de caractériser l’évolution des habitats (RIVM,2002) : leur quantité et leur qualité. L’évolution quantitative des habitats est liée à la conver-sion d’espaces « naturels » en espaces agricoles et à l’urbanisation. L’évolution qualitative est liéeà la pollution, au réchauffement climatique, à l’introduction d’espèces invasives et à la fragmen-tation des habitats qui se traduit par la diminution de l’abondance d’un certain nombre d’es-pèces clés appartenant aux vertébrés et aux plantes. L’évolution de la qualité et de la quantité est calculée à partir d’un ratio qui représente un chan-gement par rapport à un état de référence initial :ICN = évolution de la quantité des écosystèmes (en %) * évolution de la qualité des écosys-tèmes (en %).Les résultats obtenus pour les Pays-Bas sont un niveau de 40 % de la quantité et de 44 % de laqualité des écosystèmes naturels par rapport à un état de référence pré-industriel, c’est-à-direque l’ICN est égal à 0,40 * 0,44 = 0,176 (17,6 % par rapport à l’état de référence). Il est possible de faire ce calcul pour différents types d’habitats et à différentes échelles spatialespour souligner ainsi la distribution des pressions anthropiques sur la biodiversité. Un autre indicateur de biodiversité, fondé sur la même approche et qui a bénéficié d’un bienplus grand succès scientifique, est l’indicateur d’intégrité de la biodiversité. Il s’agit en effet duseul indicateur de biodiversité composite – présenté comme tel – qui a donné lieu à une publi-cation dans la prestigieuse revue Nature (Scholes et Biggs, 2005). L’IIB est un indicateur indirectd’abondance moyenne concernant un ensemble d’organismes (vertébrés et plantes) vivant dansune aire géographique donnée. Il a pour objectif (non déclaré) de compléter l’indicateur planète vivante que nous avons évoquéplus haut en permettant une évaluation de l’évolution de la biodiversité dans les pays où iln’existe pas d’informations suffisantes pour faire des calculs d’abondance relative des popula-tions. Cet indicateur propose en effet une approximation de l’évolution de la biodiversité à partirde l’impact des activités humaines29 sur des populations animales et végétales de référence etde généraliser cet impact sur l’ensemble des populations appartenant aux mêmes groupes fonc-tionnels. Chaque taxon est ainsi divisé en plusieurs groupes fonctionnels (entre 5 et 10)composés d’espèces répondant de manière similaire aux pressions exercées par les activitéshumaines. Les regroupements fonctionnels sont réalisés à partir de trois critères clés : la taillecorporelle des organismes, les niches trophiques utilisées et les stratégies de reproduction adop-tées. L’impact est estimé par avis d’experts. Il est suggéré d’utiliser au minimum trois spécialistes pourchaque groupe taxonomique (plantes, mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens). Cesderniers doivent évaluer l’impact des activités sur les populations des différents taxons et selonles écosystèmes types (forêts, savanes, prairies, zones humides et friches). Cette approche paravis d’experts pose un problème de légitimité car l’expert est porteur de valeur qu’il va exprimerà travers ses critères d’évaluation et les conventions d’équivalences retenues (Couvet et al.,2007). Ce problème peut cependant être atténué par le recours à plusieurs experts comme celaest suggéré par les auteurs.

29 Les activités en question sont les suivantes : « protection », « usages modérés », « activités source d’érosion pour la biodiversité », « agricul-ture », « plantations », « urbanisation ».

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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L’agrégation des données obtenues pour chaque groupe fonctionnel est pondérée par la surfacede chacun des écosystèmes pris en compte dans l’indicateur et par la diversité spécifiqueestimée au sein de chaque type d’écosystème (Scholes et Biggs, 2005). L’indicateur est repré-senté à partir d’un ratio comme pour l’ICN. Les résultats obtenus pour l’Afrique du Sud sont quela totalité des espèces a une abondance moyenne qui correspond à 84 % de celle qui existait àla période pré-moderne (71 % pour les mammifères). Cet indicateur permet de réaliser des suivis à partir d’échelles écosystémiques, à partir d’acti-vités ayant un impact sur les habitats ou à partir de groupes fonctionnels. L’IIB garde cependantle même sens quelle que soit son échelle d’utilisation. Ainsi, pour l’Afrique du Sud, l’IIB a étéutilisé à une échelle nationale (1,2 * 106 km2), une échelle provinciale (1,35 * 105 km2) et uneéchelle administrative locale (4,6 * 104 km2). Les résultats obtenus grâce à l’IIB ont été testés (notamment à partir de cartes de répartitionconcernant les mammifères) et ont permis de souligner la robustesse de cet indicateur. L’intérêt majeur de l’ICN et de l’IIB est de permettre une évaluation des taux d’érosion absolusde la biodiversité dans les pays occidentaux et les PED, en partant d’une échelle de référencecommune qui est la période pré-industrielle. Ces indicateurs offrent ainsi l’opportunité de souli-gner que les pays du nord ont depuis longtemps érodé la plus grande part de leurs ressourcesnaturelles renouvelables30. La force de l’ICN et de l’IIB est ce qui fait leur faiblesse. En effet, le recours à un état de réfé-rence pré-industriel, implicitement considéré comme « désirable », est socialement inacceptable.Les concepteurs défendent cette approche en précisant qu’il ne s’agit pas d’un état désirablemais d’un état de référence permettant de se positionner et de fixer des objectifs politiques enfonction des états passés. Malgré tout, cela pose un problème pour son appropriation par lesusagers potentiels.

Les indicateurs d’interactions utilisés dans le cadre de la comptabilité nationale Il existe deux manières d’envisager la question des indicateurs concernant les interactions entreles activités humaines et la dynamique de la biodiversité dans le cadre de la comptabilité natio-nale (Vanoli, 2002). La première option est de mettre en place des indicateurs qui pourront êtreintégrés dans les systèmes de comptes nationaux (SCN) grâce au développement de comptessatellites. La seconde option est d’utiliser des agrégats de la comptabilité nationale pour lesajuster en vue de produire des indicateurs de développement durable. L’objectif de la comptabilité nationale est de mesurer l’évolution de la richesse monétaire (valeurajoutée) créée par différentes branches d’activités dans un pays. La somme de ces valeurs ajou-tées représente le PIB. Les limites du PIB en tant qu’indicateur de développement – et a fortioride développement durable – sont nombreuses (Viveret, 2003 ; Gadrey et Jany-Catrice, 2005). Lescomptes satellites ont pour objectif de compenser ces limites en fournissant des informationscomptables sur des phénomènes sociaux et écologiques qu’il est difficile de prendre en comptedans le cadre central de la comptabilité nationale. L’élaboration de comptes satellites sur l’environnement a été possible grâce à la mise en placedu système de comptabilité économique et environnementale (SCEE) par l’ONU en 1994 (Vanoli,2002, p.434). Ils correspondent à des comptes physiques qui enregistrent des stocks deressources naturelles d’ouverture et de clôture pour une période donnée. L’objectif de cesystème comptable est de prendre en compte les coûts environnementaux liés aux activitéshumaines, qui ne sont pas intégrés dans le SCN31. La biodiversité apparaît très clairement dans le SCEE à travers les « actifs naturels non produits ».Les coûts associés à l’épuisement des actifs naturels renouvelables sont calculés seulementlorsque les activités de prélèvement ne respectent pas les taux de renouvellement de cesressources. En ce qui concerne les terres, les paysages et les écosystèmes, ces coûts sont liés à

30 Ce qui permet de souligner l’hypocrisie de certaines organisations internationales lorsqu’elles pointent du doigt les taux d’érosion annuelsde la biodiversité dans les PED à travers des indicateurs comme l’épargne véritable – auquel nous nous intéresserons dans la sous-sectionsuivante.

31 Le SCEE est actuellement en cours de transformation et ce qui est présenté ici ne tient pas nécessairement compte de certaines avancéesrécentes.

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l’érosion des sols, à la mise en culture ou à la destruction d’écosystèmes non cultivés. Ces actifsnaturels ne sont pas forcément dans les frontières du pays (exemple des stocks de poissons) etil peut par ailleurs s’agir de ressources produites par l’homme (forêts exploitées par exemple).Un autre élément intéressant est que l’épuisement des actifs naturels peut être calculé en fonc-tion de son origine – intérieure ou extérieure – ce qui est très important pour les PED,puisqu’une part importante de l’érosion de la biodiversité dans ces pays peut être imputée à desentreprises étrangères. La prise en compte des coûts de restauration des actifs naturels pour lacollectivité est aussi un point fort du SCEE. Pour construire les matrices d’équivalence, il est nécessaire d’utiliser des modèles qui vontdécrire les impacts des activités humaines sur les actifs naturels et de réaliser ensuite desconversions monétaires. Les modèles utilisés sont des modèles de dynamique des systèmes(input-output) qui relient des stocks – abondance des populations – avec des flux – prélè-vement d’un nombre d’individus. Une fois ces stocks et ces flux déterminés, il faut procéder àune conversion monétaire de ces derniers.Le premier problème que pose la construction de ces modèles à une échelle nationale est qu’ilfaut pouvoir disposer de données sur les interactions entre les activités humaines et les dyna-miques des actifs naturels. Or, les systèmes de suivi standardisé concernant ces interactions sontencore rares32. Par ailleurs, la conversion monétaire pose de nombreux problèmes de naturetechnique et éthique (O’Connor et Spash, 1999 ; Vanoli, 2002). Enfin, il faut ajouter que les comptes satellites ne sont pas véritablement utilisés dans les débatspublics car ce qui n’entre pas dans le cadre central de la comptabilité nationale est finalementvite oublié par les décideurs (Gadrey et Jany-Catrice, 2005).C’est pourquoi une autre piste a été de travailler directement sur les agrégats du cadre centraldu SCN. L’ajustement des agrégats de la comptabilité nationale a pour objectif de créer unesorte de « PIB vert » qui permette de mieux mesurer les avancées des pays dans le domaine du développement durable (Vanoli, 2002). Plusieurs indicateurs revendiquent le titre de« PIB vert » aujourd’hui : l’indicateur de bien-être durable (IBED), l’indicateur de progrès véritable (GPI33) et l’épargne véritable (EV).L’IBED a été créé par l’ONG Les Amis de la Terre (Friends of the Earth) associée pour cela à laNew Economic Foundation (think tank) et au Centre de stratégie environnementaledel’Université de Surrey (Cobb et Cobb, 1994). Il se calcule de la manière suivante (Gadrey et Jany-Catrice, 2005, p.62-64) : IBED = consommation marchande des ménages + services du travaildomestique + dépenses publiques non-défensives – dépenses privées défensives – coût desdégradations de l’environnement – dépréciation du capital naturel + formation du capitalproductif. Les coûts liés à l’érosion de la biodiversité peuvent apparaître dans les dépenses privées défen-sives, les coûts de dégradation de l’environnement et la dépréciation du capital naturel. Les dépenses privées défensives correspondent aux dépenses réalisées pour compenser lespertes de bien-être liées à la dégradation de l’environnement. Dans l’IBED, ces dépenses sontassociées aux dépenses privées de santé et d’éducation et au coût de déplacement domicile-lieude travail. Pas de biodiversité ni d’environnement naturel à ce niveau.

32 Le seul secteur d’activité pour lequel les flux sont biens décrits par le SCEE est celui de la foresterie.

33 Nous utilisons son acronyme anglais pour ne pas le confondre avec l’indicateur planète vivante que nous avons évoqué plus haut.

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Les indicateurs d’interactions société-nature

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Les coûts de dégradation de l’environnement sont représentés par : les coûts de pollution del’eau calculés à partir des données sur les niveaux de pollution des rivières ; les coûts de pollu-tion de l’air estimés à partir des données sur les émissions de monoxyde de carbone, de dioxydede carbone et d’oxyde d’azote ; les coûts de pollution sonore liés à la circulation automobile. Labiodiversité n’est donc pas prise en compte ici non plus, si ce n’est de manière très indirecte avecles niveaux de pollution qui créent des pressions sur celle-ci.La dépréciation du capital naturel est quant à elle calculée à partir : des surfaces de terreshumides perdues par drainage ; des surfaces de terres agricoles perdues du fait de l’urbanisa-tion ou d’une diminution non naturelle de la qualité des terres ; des coûts de remplacement desressources énergétiques non renouvelables ; d’une dette environnementale liée aux consomma-tions énergétiques (en équivalent baril de pétrole) ; du coût de l’usage des chloro-fluoro-carbones. La biodiversité n’est toujours pas prise en compte si ce n’est de manière indirecte àtravers notamment la réduction des surfaces de terres humides. En bref, il est difficile de dire que l’IBED a un intérêt en tant qu’indicateur permettant d’ap-proximer les interactions entre les dynamiques de développement et les dynamiques de la biodi-versité. Le GPI a été construit par l’ONG Redefining Progress qui a aussi participé au développement del’EF (Lawn, 2003). Le GPI est calculé à partir de la consommation des ménages comme pourl’IBED. Cette consommation est ensuite ajustée (Gadrey et Jany-Catrice, 2005, p.66-68) à partird’une grande quantité de variables (24). Ces ajustements concernent les données économiques,sociales et environnementales. Dans le domaine environnemental, on retrouve exactement lesmêmes paramètres que ceux qui figurent dans les coûts de dégradation de l’environnement etde dépréciation du capital naturel de l’IBED, à quoi s’ajoutent les coûts de réduction de la pollu-tion domestique et les coûts liés à la destruction des forêts anciennes. Les conclusions sont doncles mêmes que pour l’IBED.L’EV a été développé par la Banque mondiale et des chercheurs américains au cours des années90 (Atkinson et Pearce, 1993 ; Banque mondiale, 1997 ; Dasgupta, 2001). Cet indicateur est, deloin, le plus renommé des trois « PIB vert ». Il a pour objectif d’évaluer l’évolution des capitauxhumain, physique et naturel utiles à la société34 (Dasgupta, 2001). Le capital humain est lié aux niveaux d’éducation, de santé, de formation professionnelle d’unepopulation. Le capital physique correspond aux moyens de production de biens et services dontun pays dispose. Le capital naturel renvoie aux ressources naturelles de manière générale. Lasomme de ces trois capitaux est appelée richesse réelle. L’évaluation de l’évolution de la richesseréelle d’une nation consiste à mesurer l’évolution de l’EV. Il s’agit, selon la Banque mondiale, du« vrai taux d’épargne d’une nation après prise en compte de la dépréciation des actifs produits,de l’épuisement des ressources naturelles, des investissements dans le capital humain et de lavaleur des dommages globaux résultant des émissions de carbone » (Banque mondiale, 1997,p.1-2, cité par Vanoli, 2002, p.431). Son calcul est le suivant (Boulanger, 2004 ; Gadrey et Jany-Catrice, 2005) : EV = Formation brutede capital fixe (FBCF) + dépense d’éducation + dépense de santé – dette extérieure – déprécia-tion du capital physique – épuisement des ressources énergétiques – épuisement desressources minérales – épuisement des forêts – dommages liés aux émissions de CO2. L’évaluation monétaire de l’épuisement des ressources est calculée à partir de la « rente » desressources, c’est-à-dire l’écart entre le prix de vente après extraction et le coût d’exploitation(prospection, développement et extraction) de ces ressources (Vanoli, 2002). En ce qui concerneles forêts, le calcul ne concerne que les niveaux d’exploitation qui dépassent les dynamiques derenouvellement des forêts. La valeur des dommages environnementaux se limite à l’émission dedioxyde de carbone (effets sur le climat) à partir d’un coût de traitement marginal de la tonneémise. Aucune estimation n’a pu être réalisée pour les services écosystémiques liés à la biodiversité. Ladégradation des sols, la valeur de l’eau ou l’épuisement des pêcheries n’ont pas non plus étéintégrés. Au-delà de la faible prise en compte de la biodiversité, les résultats qu’offre cet indicateurposent des problèmes importants en termes d’interprétation (Banque mondiale, 2000). Selon lescalculs de la Banque mondiale, ce sont majoritairement les PED (Brésil, Inde, Mexique, Afrique

34 Le capital social (Putman et al., 1993 ; Pretty, 2003) n’a pas été pris en compte dans cet indicateur car il ne représente pas un capital à propre-ment parler selon les tenants de cette approche (Dasgupta et Serageldin, 1999).

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du Sud et Turquie) qui sont à l’origine de la dégradation des ressources naturelles renouvelablesdans le monde, du fait d’un taux d’EV par habitant négatif (respectivement : - 157 $ ; - 24 $ ;- 89 $ ; - 172 $ et - 115 $) tandis que les pays du Nord auraient une gestion précautionneusede leurs ressources : + 156 $ pour les Etats-Unis ; + 2 166 $ pour le Royaume-Uni ; + 2 939 $pour la France ; + 4 224 $ pour les Pays-Bas ; + 4 333 $ pour l’Allemagne. Ces résultats sont àla fois triviaux et peu explicatifs des dynamiques en cours. Tout d’abord, comme le montrent l’IIBet l’ICN, les pays occidentaux ont gaspillé leur capital naturel il y a déjà bien longtemps et c’estpourquoi leurs taux d’érosion actuels sont faibles. Ensuite, parce que cet indicateur évacue lecontexte économique et politique international. En effet, si les PED ont des usages non durablesde leurs ressources naturelles renouvelables, c’est parce qu’ils subissent la plupart du temps unedépendance totale vis-à-vis d’un secteur primaire connaissant depuis 50 ans une baisse tendan-cielle des prix sur les marchés internationaux, mais aussi du fait de règles commerciales qui neprennent pas suffisamment en compte les questions de développement et de conservation àl’échelle internationale (Levrel, 2003). Un autre problème est que l’épargne véritable constitue un indicateur d’équité inter-généra-tionnel puisque l’idée sous-jacente est que le capital qui est consommé aujourd’hui ne pourrapas l’être demain. Or, la question de l’équité intra-générationnelle – qui pose la question de larépartition des ressources – reste tout aussi essentielle pour évaluer la durabilité du développe-ment et pour comprendre les causes des dégradations des ressources naturelles renouvelables. Une autre limite concernant cet indicateur est qu’il admet une substituabilité parfaite entre lestrois formes de capital (Boulanger, 2004). La position de la Banque mondiale est à cet égarddiscutable puisque son indicateur permet de justifier une politique fondée sur une durabilitéfaible (Atkinson et Pierce, 1993). Un développement pourra en effet être considéré commedurable si la diminution du capital naturel peut être entièrement compensée par un accroisse-ment du capital physique. La climatisation permettra ainsi de produire la fraîcheur que l’arbrecoupé ne produit plus et l’usine de traitement des eaux polluées de continuer à consommer uneeau potable même si les nappes phréatiques sont totalement souillées par les industries envi-ronnantes. Le capital naturel critique (CNC) a été développé pour offrir une réponse aux indicateurs écono-miques envisagés à partir d’un critère de faible durabilité (Ecological Economics, 2003, Vol.44,Issues 2-3). La notion de CNC est en effet fondée sur un principe de durabilité forte quiimplique qu’une part de la nature n’est pas substituable par du capital physique (Ekins, 2003).Le CNC correspond ainsi à l’ensemble des fonctions écologiques indispensables au développe-ment et au maintien de la qualité de vie sur Terre. L’idée sous-jacente est que la disparition dece CNC engendrerait des déséquilibres écologiques qui conduiraient ensuite à des crises socialeset économiques relativement irréversibles. C’est pourquoi le caractère critique de ce capital està relier avec la notion de résilience (Holling, 1973). Le niveau critique de capital naturel estatteint lorsque l’utilisation d’une unité supplémentaire de ressource naturelle renouvelableconduit à l’érosion de la résilience de l’écosystème.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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Les trois critères qui peuvent être retenus pour caractériser le CNC sont l’absence de substituts,l’importance vitale ou stratégique pour les activités humaines et le risque de disparition de laressource ou de l’écosystème (Ifen, 2001b). Dans une perspective plus économique, unepremière voie explorée, et vite abandonnée, a été d’évaluer monétairement les fonctions écosys-témiques pour les hiérarchiser et déterminer ainsi les fonctions les plus importantes (Heal, 1998 ;Ekins, 2003). Les problèmes que pose l’évaluation économique des fonctions écologiques(O’Connor et Spash, 1999) ont conduit les scientifiques qui travaillent sur cette question àadopter une approche plus pragmatique en considérant le CNC du point de vue de l’utilité desécosystèmes pour la santé humaine (physique et psychologique), des niveaux de risques quitouchent les évolutions fonctionnelles liées aux activités humaines et des principes de durabi-lité économique qui doivent être respectés dans toutes les activités (Ekins, 2003). Pour cela, ilfaut identifier : les fonctions fournies par les écosystèmes ; les bénéfices que l’homme en tiredirectement ou indirectement pour son bien-être ; les pressions socio-économiques que cecapital naturel subit ; les standards de soutenabilité qu’il est nécessaire de respecter ; les consé-quences socio-économiques liées aux politiques de développement durable adoptées. Un problème du CNC est qu’il renvoie plus à une méthode qu’à un indicateur à proprementparler35, ce qui est intéressant d’un point de vue scientifique et décisionnel mais ne permet pasd’avoir un outil de communication efficace. C’est pourquoi il n’a pas bénéficié d’un grandsuccès. L’approche par les services écosystémiques a repris une part importante des idées clés du CNC(Daily, 1997 ; MEA, 2003, 2005). Pourtant, de manière assez surprenante, les économistes ayanttravaillé sur le CNC ne sont pas bien représentés dans le MEA et même absents du comité derédaction alors qu’il est clair que ce sont ces économistes qui étaient les mieux armés pour s’in-téresser aux services écosystémiques et à leurs contributions au bien-être humain. Toujours est-il que les services écosystémiques ont volé la vedette aux CNC du fait d’une grande mobilisationinstitutionnelle et d’un cadre conceptuel plus clair.

Les services écosystémiques et le Millennium Ecosystem Assessment Pour illustrer la complexité de l’approche par les services écosystémiques et la distinguer d’unevision simpliste de ce qu’est le capital naturel, Gretchen Daily (1997) part d’une fiction.Imaginons qu’il y ait une atmosphère respirable sur la Lune et que l’homme ait ainsi la possibi-lité de s’y installer. Quelles espèces devrait-il emporter pour pouvoir manger, se soigner, s’ha-biller… ? Daily conclut qu’il faudrait entre 100 et 10 000 espèces nécessaires au support de lavie humaine sur la Lune. Mais le problème vient du fait qu’il faut ensuite emmener les espècesqui permettent de supporter ces espèces utiles. Or, si l’homme connait assez bien les quelquesmilliers d’espèces qui lui sont directement utiles, ce n’est pas le cas des espèces dont dépendentces espèces utiles et des interactions qui existent entre elles. Il serait donc probablement inca-pable de recréer les conditions écologiques nécessaires à sa survie sur la Lune. L’échec de l’ex-périence Biosphère 2, qui se fixait cet objectif36, a permis de faire comprendre deux chosesessentielles à l’homme : il est pour l’instant incapable de recréer la complexité des interactionsécosystémiques qui sont à la base de la dynamique du vivant ; l’hypothèse de substituabilité

35 Il est cependant intéressant d’évoquer la tentative de l’Ifen qui a proposé une liste de variables correspondant au capital naturel critique dela France (Ifen, 2001a, p.26) : la variation du nombre d’individus d’espèces menacées / variation des dépenses directement engagées pour laconservation de ces espèces ; la variation du nombre d’espèces endémiques ; la variation du nombre de cultivars ; la variation du nombred’animaux d’élevage ; l’évolution du budget des politiques de conservation des espèces ; la variation des espaces remarquables en superficie/ la variation des dépenses engagées pour leur gestion et conservation ; la représentation cartographique de la diversité des paysages et deson évolution ; l’évolution de la part de forêts monospécifiques / peuplements mélangés ; l’évolution de la qualité agronomique des sols(érosion) / l’évolution des dépenses engagées pour la protection de cette ressource ; l’évolution de l’indice de qualité de l’eau (carte) / l’évo-lution des dépenses engagées pour la protection de cette ressource.

36 Biosphère 2 est une serre géante construite à la fin des années 80 dont l’objectif est de reproduire une biosphère miniature dans laquelle lesprincipaux types d’écosystèmes sont présents : une forêt humide tropicale, un océan, un désert, une zone semi-désertique, des marais et unesavane. Biosphère 2 devait, grâce à une maîtrise des interactions écologiques, offrir une situation d’autosuffisance en produisant de manièreendogène tous les services écosystémiques nécessaires à une petite communauté humaine : eau, nourriture et air. C’est pourquoi, enseptembre 1991, on annonça qu'une équipe de 8 chercheurs s'étaient volontairement enfermée dans la serre pour une durée de 4 ans.Cependant, après 2 ans, on observa une chute régulière du taux d'oxygène qui finit par devenir dangereuse pour les scientifiques. Ils durentsortir. Une nouvelle expérience eut lieu en 1994 mais le résultat fut encore pire. Après seulement 6 mois, le taux d’oxygène s’effondra et laconcentration de gaz carbonique s'éleva pour atteindre une valeur de 571 ppm. Parallèlement à ces phénomènes, on observa la disparitionde la plupart des espèces (la majeure partie des insectes et 19 des 25 espèces de vertébrés). Les fourmis, les blattes ou les sauterelles vertessont devenues des espèces invasives et sont aujourd'hui disséminées à travers l’ensemble des biomes de Biosphère 2.

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parfaite entre le capital naturel et le capital physique, défendue par certains économistes, estintenable. C’est pourquoi, plutôt que de chercher à créer des écosystèmes artificiels, il vaut mieux chercherà comprendre leur fonctionnement et les interdépendances qui existent avec le bien-êtrehumain. Ainsi, même si l’homme a une longue expérience de crises humanitaires ayant pourorigine des dynamiques écosystémiques, il a les plus grandes difficultés à anticiper ces crises, ycompris lorsqu’il en est le principal moteur. Il se contente le plus souvent d’adopter une stra-tégie réactive après avoir fait le constat de l’existence d’une crise écologique et sociale.

Un exemple intéressant est celui de la mer d’Aral (Barbault, 2000, p.249 ; Courrier internationaln°782, 2005, p. 28). La mer d’Aral, deuxième mer d’eau douce au monde, est située au cœur deszones arides de l’Asie Centrale, à cheval sur le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Elle est alimentée pardeux fleuves : l’Amou Darya et la Syr Darya. Pendant la période soviétique, les planificateursmoscovites voulaient faire de cette zone la réserve de coton de l’URSS. Etant donné que laculture du coton nécessite beaucoup d’eau, plusieurs barrages ont été construits et un systèmed’irrigation très puissant a été mis en place pour détourner les eaux des fleuves au profit decette nouvelle culture intensive.Cela s’est accompagné d’une forte utilisation d’intrants chimiques nécessaires à la productionde coton dans cette zone. Cette double innovation technique, caractéristique des révolutionsvertes réalisées à travers le monde à cette époque, a créé l’une des plus grandes catastrophesécologiques d’origine humaine et, par rétroaction, l’une des plus grandes catastropheshumaines liée à une dégradation de l’environnement naturel. Avant 1960, les deux fleuves apportaient 55 milliards de m3 par an à la mer d’Aral. En 1980, cetapport est tombé à 7 milliards (Barbault, 2000, p.249). Ce changement a bouleversé la dyna-mique écologique et sociale de la mer d’Aral. Pendant qu’elle perdait les trois-quart de sasurface et 90 % de son volume, le nombre d’espèces d’oiseaux nicheurs est passé de 173 à 38,le nombre d’espèces de poissons de 24 à 4 et la salinité de l’eau de 10g/l à 30g/l. Parallèlement,l’eau potable a disparu tout comme la pêche qui fournissait 50 000 tonnes de poissons par anet 60 000 emplois. L’agriculture traditionnelle n’a pu se maintenir, les villages de pêcheurs ontété abandonnés et la société qui y était attachée a disparu. Au niveau sanitaire, la catastropheest tout aussi impressionnante. Le taux de mortalité infantile est devenu le plus élevé du mondeet 9 % des nouveaux-nés qui survivent sont atteints de débilité. Dans les zones les plus polluées,près de 80 % de la population souffrent d’un cancer de l’estomac. On voit bien, à travers cetexemple, que la biodiversité, les services écosystémiques et le bien-être humain se sont éteintsde manière synchronisée. En fait, les autorités soviétiques avaient axé toutes leurs innovations sur l’accroissement de laproductivité, et donc les services de prélèvement, en négligeant tous les autres services écosys-témiques, ce qui s’est traduit sur le long terme par un effondrement du système société-nature.Aujourd’hui, ironie de l’histoire, les pétrodollars générés par l’accroissement du prix du brutpermettent au Kazakhstan de proposer le plus grand projet de reconstitution d’un écosystèmepour un coût de 120 millions de dollars (Courrier international n°782, p. 28).

C’est pour mieux comprendre ces interdépendances que le Millennium Ecosystem Assessmenta été lancé par Kofi Annan en juin 2001. Composé de 1 360 scientifiques issus de 95 pays etd’un conseil indépendant de 80 personnes chargées de valider les résultats du programme, sonobjectif est de donner des informations aux gouvernements, ONG, scientifiques et citoyens surles changements écosystémiques et leurs conséquences sur le bien-être humain (MEA, 2003 ;figure 4). Il a duré 4 ans. Il représente à ce titre le premier programme à large échelle ayant pourobjectif d’intégrer les enjeux économiques, écologiques et sociaux de la conservation de labiodiversité. Pour réaliser cette évaluation intégrée, le MEA a fait le bilan de l’évolution des services écologi-ques au cours des cinquante dernières années. Les seuls services qui ont augmenté sont lesservices de prélèvement. En effet, entre 1960 et 2000, la population mondiale a doublé, passant de 3 à 6 milliards d’habitants. Pour répondre à cette explosion des besoins, l’homme a fortement artificialisé lesécosystèmes en vue de les orienter vers la production intensive de services de prélèvement telsque la nourriture, l’eau douce, l’énergie, le bois ou les fibres. Et cela a été couronné de succès.Ainsi, sur la période 1960-2000 : la production de nourriture a été multipliée par deux pour l’en-

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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semble de la planète ; la coupe de bois pour la production de pâte à papier et de papier a triplé ;les capacités hydro-électriques ont doublé ; la production de bois de construction a augmentéde plus de 50 % ; l’usage de l’eau a doublé (MEA, 2005).Les résultats sont là : le nombre de calories consommées par personne et par jour en moyennedans le monde est passé de 2 290 en 1962 à 2 805 en 2002 (http://faostat.fao.org/faostat/) ;l’espérance de vie est passée de 46 ans en 1955 à 65 ans en 2005 ; le taux de mortalité infan-tile est passé de 157 enfants sur 1 000 à 57 (http://esa.un.org/unpp/index.asp). Cependant, les bénéfices issus de cette intensification ont été répartis de manière très inéga-litaire37 et accompagnés d’une forte érosion de 15 des 24 services inventoriés par le MEA(tableau 6).Le rapport de 2005 souligne en effet que 60 % des services écosystémiques se détériorent. Parmiceux-ci, le renouvellement des réserves halieutiques et la production d’eau douce semblent lesplus menacés. Cette dégradation a été plus importante au cours des cinquante dernières annéesqu’au cours de toute l’histoire de l’humanité, et elle sera encore plus importante dans lescinquante années à venir. Les risques liés à l’érosion des services écosystémiques sont principa-lement supportés par les habitants des PED qui en sont directement dépendants38.A partir de ce bilan, le MEA a souhaité proposer un tableau des risques à venir pour les centprochaines années sous forme de quatre scénarios. Ces scénarios ont été construits à partir dela mise en commun d’opinions d’experts concernant les « futurs possibles » des écosystèmes, desservices écologiques et du bien-être humain, ainsi que par le recours à des modèles globauxprenant en compte les principales forces de changements ayant un impact sur les servicesécosystémiques39.

BIODIVERSITE

Global

RégionalLocal

Bien être :– élément minimum pour une vie agréable– santé– bonnes relations sociales– sécurité– liberté et choix d'action

Services écosystémiques :– prélèvement (nourriture, eau, fibre, combustible)– régulation (climat, eau, maladie)– culturels (spirituel, éducation loisir, esthétique)– auto-production (production primaire et constitution des sols)

Forces indirectes de changement :– démographique– économiques (mondialisation, marché, commerce)– socio-politique (gouvernance)– scientifique et technologique– culturel (choix de consommation)

Forces directes de changement :– occupation des sols– introduction ou soustraction d'espèces– adaptation et utilisation de la technologie– exploitation des ressources– changement climatique

Source : MEA, 2005, p.13-14

Figure 4 : Liens entre biodiversité, services écologiques, facteurs de changement et bien-être.

37 Le nombre de calories consommées par jour en Afrique est de 2 100 contre 3 400 en Europe (FAO) ; 800 millions de personnes souffrenttoujours de la faim dans le monde (MEA) ; l’espérance de vie en Afrique est passée de 51,5 ans en 1985 à 49 ans aujourd’hui (WPP) ; un enfantné en Afrique sub-saharienne a 20 fois plus de chances de mourir avant l’âge de cinq ans qu’un enfant né dans un pays industrialisé (MEA).

38 Ainsi, comme l’affirme Carl Folke (2003, p.233) : « in rich regions the resulting crisis have led to spasmodic lurches of learning with expen-sive actions directed to reverse the worst consequences of past mistakes. In poor regions the results has been dislocation of people, increa-sing uncertainty, impoverishment and a poverty trap ».

39 Ces scénarios ont été construits autour de la question de la mondialisation et de la gestion des écosystèmes. Pour la mondialisation, deuxhypothèses ont été retenues : régionalisation des dynamiques vs globalisation. Pour la gestion : gestion pro-active vs gestion réactive. Danstous les scénarios, les pressions humaines sur les écosystèmes s’accroissent au moins pendant les cinquante premières années. Les forces dechangement prises en compte sont : évolution des habitats (changement dans l'utilisation du sol, modification physique des fleuves ou prélè-vement d’eau des fleuves) ; surexploitation ; espèces invasives ; pollution ; changement climatique.

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Les quatre scénarios types proposés sont : - L’ « ordre par la force » qui considère que dans un monde où les risques vont croissant,

la solution sera sécuritaire et protectionniste. Sous cette hypothèse, la planète est frag-mentée, organisée en grandes régions entre lesquelles de nombreux conflits existent.Les problèmes environnementaux sont traités de manière réactive, en fonction descrises. Les risques humains et écologiques s’accroissent de manière globale. La crois-sance économique est la plus faible des quatre scénarios tandis que la croissancedémographique est elle la plus importante.

- L’ « orchestration mondiale » qui prévoit un accroissement de la libéralisation ducommerce. A cela s’ajoute une interconnexion mondiale plus forte et, en même temps,l’émergence d’une gouvernance mondiale qui va permettre une meilleure lutte contrela pauvreté. La logique de gestion des crises environnementales est là encore réactive.Cela fait courir de grands risques à une large part de la population du fait des catas-trophes naturelles. Ce scénario conduit à la plus forte croissance économique et à laplus faible croissance démographique, avec un accroissement des risques environne-mentaux subis par les populations humaines.

- La « mosaïque appropriée » qui renvoie à une vision du monde où la gouvernance s’estdéplacée non pas vers le global mais vers le local. Une grande diversité de trajectoireslocales de gestion des écosystèmes cohabite. Un accent tout particulier est mis surl’éducation et la santé. Ces dynamiques correspondent à des processus de « learning-by-doing » locaux et différenciés, aux succès variables. Les échelles de décisions politi-ques et économiques privilégiées sont les écosystèmes et les grands bassins versants. Apartir de ces expériences locales, des réseaux se forment pour améliorer de manièregénérale la gestion des écosystèmes. Il existe cependant un manque de gouvernance àl’échelle globale. La croissance économique est relativement faible au départ maisaugmente à partir d’un certain temps. La croissance démographique est importante.

Source : MEA, 2005, p.46

Tableau 6 : Evolution des services écosystémiques

Catégorie de services Services Evolutions

Services de prélèvement Culture +Élevage +Pêche -Aquaculture +Nourritures sauvages -Bois de construction +/-Coton, chanvre, soie +/-Bois de feu -Ressources génétiques -Produits biochimiques, médecines naturelles, produits pharmaceutiques -Eau douce -

Services de régulation Régulation de la qualité de l’air -Régulation du climat mondial +Régulation du climat régional et local -Régulation du cycle de l'eau +/-Régulation de l'érosion -Purification de l'eau et traitement des déchets -Régulation des maladies +/-Régulation des parasites -Pollinisation -Régulation des risques naturels -

Services culturel Valeurs spirituelles et religieuses -Valeurs esthétiques -Récréation et écotourisme +/-

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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- Le « jardin planétaire » qui fait la part belle à l’ingénierie écologique et à l’intégrationdes services écosystémiques dans la sphère marchande, dans une logique de révolutiontechnique privilégiant la dématérialisation et la gestion optimale des fonctions écolo-giques. L’agriculture devient multi-fonctionnelle. Une grande dépendance vis-à-vis desnouvelles techniques se met en place. La croissance économique est importante et lapopulation suit une croissance moyenne.

On peut souligner qu’aucun des scénarios ne conduit à une décroissance économique ou mêmeà une situation stationnaire. Par contre, tous les scénarios du MEA, même celui de la mosaïqueappropriée, qui imagine un accroissement de tous les services écosystémiques, anticipent uneérosion de la diversité spécifique. Il n’y a donc pas de lien direct entre l’évolution des fonction-nements écologiques et celle de la biodiversité telle qu’elle est envisagée traditionnellement. Trois des scénarios – orchestration mondiale, mosaïque appropriée et jardin planétaire – arri-vent à la conclusion qu’au moins une des quatre catégories de services écosystémiques s’accroîtentre 2000 et 2050. Ces trois scénarios impliquent des réponses sociales qui renvoient à desinnovations majeures pour la mise en place de politiques de développement durable. Dans l’ « orchestration mondiale », il s’agit d’une révolution libérale qui se traduit par la dispa-rition des subventions agricoles. Elle s’articule avec une politique active de lutte contre lapauvreté. Cela conduit à un développement durable du point de vue social mais pas forcémentécologique. Dans la « mosaïque appropriée », la plupart des pays augmente de manière consé-quente la part de leur produit national brut (PNB) consacrée à l’éducation (de 3,5 % du PIB en2000 à 13 % en 2050). Par ailleurs, des arrangements institutionnels se multiplient pour favo-riser les échanges de savoir-faire et de connaissances à propos de la gestion écosystémique.Dans le « jardin planétaire », des mesures techniques et économiques permettent d’améliorerl’ingénierie écologique et de rémunérer les individus et les entreprises qui fournissent et main-tiennent les services écologiques. Selon le MEA, il n’y a donc pas un modèle mais trois modèles de développement durable(tableau 7) et un modèle véritablement non durable (celui de l’ordre par la force).En conclusion, il peut être intéressant de souligner les principales forces et faiblesses du MEA.

Orchestration mondiale

Amélioration

Evolution

des services

écologiques

en

pourcentage

80

60

40

20

0

-20

-40

-60

-80

Dégradation

Ordrepar la force

Mosaïqueappropriée

Jardinplanétaire

PEDPays OCDEServices de prélèvementServices de régulationServices culturels

1

123

2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3

Source : MEA, 2005, p.139

Tableau 7 : Evolution des services écologiques selon les différents scénarios.

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Les points forts du MEA sont les suivants (Levrel et al., 2007) : - Un cadre d’analyse intégré qui est le résultat de compromis entre de nombreux scien-

tifiques et qui offre une base à partir de laquelle il est possible de se référer pouranalyser les interactions entre les questions de conservation et de développement.

- Une description des interactions société-nature à partir de la notion de services écosys-témiques qui est parlante aussi bien pour les sciences sociales que pour les sciences duvivant.

- Une clarification sémantique du concept de « service écosystémique » et la propositiond’une liste précise de services écosystémiques organisée à partir de quatre catégories.

- Une approche par scénarios originale qui a permis de souligner les interdépendancesentre des choix politiques et les changements globaux (même si ces scénarios apparais-sent assez limités dans leurs contenus et dans leurs formes).

- Une initiative à l’origine de dynamiques de recherches communes à l’échelle interna-tionale (par exemple, le lancement de plusieurs « Ecosystem Assessment » dans les payseuropéens depuis la parution des rapports du MEA).

Cependant, l’expérience du MEA nous montre que les résultats présentés en 2005 sont bien endeçà des objectifs attendus en 2001 pour plusieurs raisons :

- Le manque de dynamisme de la plupart des programmes sub-globaux qui n’ont toutsimplement pas rendu leurs rapports et pas permis une analyse comparative, ce qui acontraint le MEA a avoir un discours presque exclusivement global (alors qu’il défendune perspective multi-échelle).

- Le manque de données longitudinales standardisées concernant les interactions aconduit le MEA à adopter une démarche focalisée sur les services écosytémiques (sansfaire le lien avec les trois autres « composantes » du cadre logique) et à avoir recours àl’avis d’experts pour paramétrer les liens entre les forces directes de changement etl’évolution des services écosystémiques.

- La faiblesse des cinq volumes du rapport sur la dimension « bien-être » et le manque deprise en compte des interactions entre les quatre catégories de capitaux (physique,naturel, humain et social) sources de développement humain.

- Un cadre logique bien adapté pour souligner les interdépendances entre le bien-être etl’état des ressources naturelles renouvelables dans les pays en développement (où lespopulations dépendent directement des services écosystémiques environnants) maismoins pertinent pour les pays de l’OCDE.

Les indicateurs de gestion des interactions société-natureIndicateurs pression-état-réponse.Les indicateurs pression-état-réponse (PER) permettent d’évaluer les pressions que les activitéshumaines génèrent sur l’état de la biodiversité et d’identifier les réponses sociales qui permettront de compenser les effets négatifs des pressions40 (figure 5). Ces indicateurs ont été créés par l’Organisation de coopération et de développement économique au cours des années 90 (OCDE, 1994 ; Lehtonen, 2002). Les indicateurs PER occu-pent une place centrale dans le domaine des indicateurs d’interactions aujourd’hui. Ils ont inspiré les indicateurs force motrice-pression-état-impact-réponse de l’Agence euro-péenne de l’environnement (EEA, 2003), les indicateurs force motrice-état-réponse de laCommission pour le développement durable (CSD, 2001) et les indicateurs usage-pression-état-

40 « The pressure-state-response framework is based on a concept of causality : human activities exert pressure on the environment and changeits quality and the quantity of natural resources (the « state » box). Society responds to these changes through environmental, generaleconomic and sectoral policies » (the « societal responses ») (OECD, 1994, p.10).

41 « While the PSR framework has the advantage of highlighting these links – pressures and responses –, its tends to suggest linear relations-hips in the human activity-environment interactions. This should not obstruct the view of more complex relationships in ecosystems andenvironment-economy interactions » (OECD, 1994, p.10).

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

45

réponse de la Convention sur la diversité biologique (Unep, 2003, figure 6). Ces indicateursreprésentent le cadre de référence dominant pour illustrer les interactions société-nature.Le caractère intuitif de ce cadre d’analyse lui a permis de bénéficier d’une grande notoriété,notamment auprès des économistes et des écologues qui y voient un outil relativement efficacepour un usage pédagogique. L’OCDE reconnaît cependant que ce cadre d’analyse a pour défautde suggérer des relations linéaires entre les activités humaines et l’état de la biodiversité et deréduire ainsi la dimension complexe des interactions41. En particulier, la biodiversité doit être caractérisée par rapport à un état dans lequel les interac-tions écologiques ne sont pas prises en compte. Seul l’homme représente une source de dyna-miques dans ce cadre d’analyse, à travers les pressions qu’il génère et les réponses qu’il fournit.

Source : OCDE (2001)

Source : UNEP, 2003, p.34

Figure 6 : Les indicateurs usage-pression-état-réponse de la Convention sur la diversité biologique.

Pressions liéesaux activitéshumaines– énergie– transports– industrie– agriculture– autres

Etat de l’environnementet des ressourcesnaturelles– air, eau– terre et sols– faune et flore– ressources naturelles

Réponses des agentséconomiques etenvironnementaux– administrations– ménages– entreprises– national– international

informations

décisions/actions

production de polluants et de déchets

informations

décisionsactions

utilisation de ressources

Use*provisioning

ResponseState

Stateindicators

Useindicators

Pressureindicators

Responseindicators

Effectivenessmeasure

Importancepressure

Sustainabilityuse

Pressure

Figure 5 : Indicateurs PER.

46

Ce modèle est, par ailleurs, source de plusieurs ambiguïtés (Couvet et al., 2007). La première estque les indicateurs de réponse concernent les mesures que la société peut mettre en œuvre pourralentir l’érosion de la biodiversité et non pas les réponses adaptatives que la biodiversité adoptepour faire face aux pressions anthropiques. La nature n’est pas dynamique dans ce système d’in-formation.Une autre ambiguïté concerne la classification PER. A titre d’exemple, les dynamiques d’enfri-chement liées à la déprise agricole et qui concernent des milieux « traditionnellement » ouvertssont considérées par certains comme une source de pression pour la biodiversité et par d’autrescomme un état de la biodiversité. Il en va de même pour la densité de cervidés en milieu fores-tier. Les acteurs n’évaluent pas selon les mêmes critères « un bon état » de la biodiversité ou cequi représente une pression. Or, l’approche proposée par les indicateurs PER ne laisse pas deplace à cette diversité de point de vue.La question des indicateurs de réponse pose par ailleurs un problème de fond. Si ces indicateurscorrespondent aux meilleures réponses, du point de vue des experts, on se trouve en présenced’un outil normatif qui conduit à substituer l’opinion du spécialiste à la préférence du citoyen.Or, les indicateurs de réponse sociale proposés par les organisations de conservation n’ontjamais été soumis au débat public et il s’avère que les réponses à adopter pour contrebalancerl’érosion de la biodiversité varient grandement lorsque l’on interroge les acteurs locauxconcernés par cette question (Levrel et al., 2006).Cette diversité de réponses permet de mettre en relief le caractère politique de cette catégoried’indicateurs. Les indicateurs de réponse ne pourront être utiles aux gestionnaires que s’ils sontarticulés avec des indicateurs renseignant sur les capacités individuelles et collectives deréponses mais aussi sur l’effectivité de ces réponses. Les capacités de réponses individuelles sontliées pour une part importante à la dépendance des populations vis-à-vis des ressources dontelles ont l’usage. Les capacités de réponses collectives renvoient pour leur part aux capacitésinstitutionnelles et organisationnelles qui permettent aux populations locales de prendre enmain la gestion des ressources dont elles dépendent. Enfin, l’effectivité des réponses sera large-

ment fonction de la légitimité du processus qui aconduit à l’adoption des réponses. Ces différentséléments dépendent d’un grand nombre de para-mètres économiques – moyens financiers,humains, techniques et organisationnels – etsociaux – volontés politiques en amont, nature desrelations sociales locales, divergences d’intérêts,statuts des parties prenantes, institutions d’accèset d’usages existantes – qui rendent l’identificationd’indicateurs de réponse extrêmement délicate àmettre en œuvre.

Par ailleurs, les indicateurs PER semblent offrir desoutils de discussion et de négociation assezpauvres. Cela est dû, en particulier, au fait quel’identification des pressions et des réponsesimplique de désigner des responsables d’une partet de prendre des mesures qui seront adoptées audétriment de certains acteurs locaux de l’autre.Certes, ces diagnostics sont reconnus comme

nécessaires par les acteurs locaux, mais les indicateurs PER déformeraient plus qu’ils n’explique-raient la réalité des interactions société-nature à cette échelle (Levrel et al., 2006). Ainsi, ilsemble par exemple tout aussi important de souligner les usages des ressources qui sont favo-rables à la biodiversité ou les capacités dont disposent les populations locales pour changerleurs pratiques. Un autre problème majeur des indicateurs PER est qu’ils n’offrent pas un véritable outil intégrécar ils restent sectoriels et cloisonnés (CSD, 2001) (les « états » et les « pressions » étant évaluéssphère par sphère – économique, sociale et environnementale). Ainsi, le modèle PER ne permetpas de souligner les interdépendances qui existent entre les niveaux de bien-être et l’état de labiodiversité. Or, c’est par ce biais qu’il est possible de toucher un grand nombre de personnesdirectement ou indirectement dépendantes de la biodiversité (Levrel et al., 2006). A partir de ces diverses critiques, un cadre d’identification d’indicateurs d’interactions prenanten compte les indicateurs PER et le cadre du MEA peut être proposé (figure 7).

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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Indicateur d’éco-efficience.Un autre indicateur qui bénéficie d’un grand succès aujourd’hui est l’éco-efficience (OCDE,1998). Il s’inspire de l’approche énergétique de Georgescu-Roegen (1979). Cet indicateur a pourobjectif de mesurer l’intensité de matière utilisée – en équivalent énergie – par unité de serviceou de bien produit – en équivalent monétaire. Il repose sur des modèles éco-énergétiques input-output (Beaumais, 2002) qui permettent de mesurer l’efficacité avec laquelle les ressourcesécologiques sont utilisées pour produire des biens et des services. Cette éco-efficience exprimele ratio de la valeur monétaire des ressources par rapport au poids des ressources utilisées et setraduit par la formule EE = V/RC où EE est l’éco-efficience, V la valeur produite et RC lesressources naturelles consommées. Cet indicateur est construit sur deux concepts : le niveaud’entropie d’un système et la capacité de charge de ce système (Hukkinen, 2003). Concrètement, l’EE permet de réaliser des mesures à l’échelle de l’entreprise ou du pays, à traversnotamment un PIB découplé de sa consommation énergétique. Il doit permettre de comparerdes produits, filières ou techniques alternatives à partir d’un écobilan consistant à évaluer leursimpacts respectifs sur l’environnement naturel (Ceneco, 1995). Dans le domaine de la biodiver-sité, l’ingénierie écologique devrait être une source d’éco-efficience importante dans l’avenir.La conclusion des tenants de cette approche est qu’une réduction de la quantité de matière etd’énergie consommée pour la production permettrait de maintenir une dynamique de crois-sance sans que cela soit préjudiciable à l’environnement naturel. Il suffit de mettre en place desinnovations qui permettent de substituer des techniques fortement consommatrices de matièreet d’énergie par des techniques non polluantes pour que la croissance du PIB devienne durable.L’indicateur d’éco-efficience traduit ainsi une grande foi dans les capacités du progrès tech-nique et du développement à fournir des réponses aux nouvelles contraintes de durabilité.Un problème, cependant, est que l’objectif visé par l’éco-efficience est une réduction de l’inten-sité des quantités d’énergie et de matière incorporées dans les processus de production, maispas forcément celle des prélèvements en valeur absolue.Or, une baisse de la consommation relative peut en fait se traduire par une augmentation totalede la consommation de matières premières (Hukkinen, 2003). Ainsi, les effets positifs liés auxbaisses de pollution et de prélèvement par unité de marchandise se trouvent annihilés par l’aug-

Evolution des pratiques individuelles

ACTIVITÉS HUMAINES

ETAT DE LA BIODIVERSITÉ SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES CAPACITÉS

INSTITUTIONS RÉPONSES

Impact des changements institutionnels sur les usages

Impact (+, - or 0) des activités humainessur l'état de la biodiversité

Impact (+, - or 0) de l'évolution de la biodiversité sur les servicesécosystémiques

Capacité dechangements

des usages

Processus sociauxconduisantaux changementsinstitutionnels

Contributiondes servicesécosystèmesaux niveaux de bien-être

– occupation des sols– introduction ou soustraction d'espèces– adaptation et utilisation de la technologie– exploitation des ressources

– taille des populations– diversité spécifique– diversité des habitats– variabilité génétique

– démographique– économique– socio-politique– scientifique et technologique– culturel

– choix et actions des ONG– choix et actions des acteurs locaux– choix et actions des scientifiques– choix et actions des administrations– choix et actions des gestionnaires

– prélèvement– régulation– culturel– auto-production

– élément minimum pour une vie agréable– santé– bonnes relations sociales– sécurité– liberté de choix et d'action

Figure 7 : Cadre alternatif pour l’identification d’indicateurs d’interactions.

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mentation du nombre d’unités produites. On nomme ce phénomène « l’effet rebond ». Cettecritique est confirmée par les faits. Si les technologies développées ces vingt dernières annéessont belles et bien moins consommatrices d’énergie, cela n’a pas empêché un accroissement,dans l’absolu, de la consommation totale d’énergie (Medd, 2003). Par ailleurs, améliorer l’éco-efficience ne veut pas forcément dire améliorer les méthodes deproduction pour qu’elles soient moins consommatrices d’énergie. En effet, l’éco-efficience peuts’améliorer du simple fait que de nouveaux secteurs moins « matériels » émergent comme c’estle cas avec les services et les nouvelles technologies de l’information par exemple. Enfin, la question de l’entropie ne reflète pas les dimensions qualitatives de l’évolution dusystème – la diversité du vivant par exemple – et cet indicateur fournit un modèle d’interactionssociété-nature très limité en considérant ces dernières à travers un tableau input-outputlinéaire (Hukkinen, 2003). Un problème technique se pose par ailleurs. En effet, mesurer l’éco-efficience est souvent untravail délicat. Si l’on s’intéresse à l’éco-efficience de la production d’un fromage, doit-onprendre en compte la consommation énergétique liée à l’utilisation des engrais qui ont permisde produire l’herbe que la vache a mangée ? D’autre part, la question de la transformation desunités d’input en équivalent énergie n’est pas forcément aisée.

Principes-critères-indicateursUn des modèles d’indicateurs de gestion les plus utilisés dans le domaine des interactions entreles activités humaines et les dynamiques de la biodiversité est le modèle principes-critères-indi-cateurs (PCI) (Buttoud et Karsenty, 2001). Les « principes » permettent de fixer les grands objec-tifs de la gestion. Les « critères » traduisent ces objectifs en termes d’états et de dynamiquesconcernant le système à gérer. Les « indicateurs », enfin, vont permettre de mesurer concrète-ment les avancées réalisées. Ces PCI ont surtout été utilisés dans le domaine de la gestiondurable des forêts (Center for International Forestry Research, 2000 ; Inventaire forestiernational, 2005).

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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L’objectif des PCI est de relier des pratiques de gestion avec des outils d’évaluation de l’impactde ces pratiques. Ces outils sont donc à destination des gestionnaires et des filières d’éco-certi-fication. En effet, un des gros enjeux actuels dans le domaine de la filière bois est de pouvoirjustifier des pratiques éthiques et de gestion durable. Dans le cas de la biodiversité par exemple,les principes doivent fixer des grands objectifs de conservation qui sont reliés à des critèresprécis tels que le maintien d’une certaine diversité d’essences ou la préservation de la fauneinféodée aux habitats forestiers. A ces critères sont adjoints des indicateurs qui permettent demesurer les avancées réalisées dans ce domaine. L’objectif est de normaliser les pratiques etd’avoir des indicateurs qui offrent de la transparence à ce processus. Cette normalisation vise àassocier des minima écologiques et sociaux aux pratiques d’exploitation forestière. Un premier problème concerne la légitimité de la source des PCI et la signification d’une « gestion durable de la forêt » (Dudley et al., 2005). Il existe ainsi trois ensembles de PCI(Lescuyer, 2002) renvoyant à trois approches de la durabilité. Le premier concerne les forêtsboréales et tempérées. Il est caractérisé par une prise en compte importante de la question dela conservation de la biodiversité. Le second concerne les forêts tropicales dont l’objectif premierest de consolider la dimension institutionnelle de la gestion forestière dans les PED, et notam-ment la prise en compte des populations locales riveraines qui sont dépendantes pour une largepart des ressources forestières. Enfin, il existe un système mondial de PCI qui cherche à créerune certaine harmonisation entre les PCI du Nord et ceux du Sud. Ce dernier bénéficie d’un fortappui des ONG et du secteur industriel car il permettrait de créer de la cohérence à l’échelle desmarchés internationaux (tableau 8).Un autre problème est que la normalisation soulève un risque d’uniformisation des usages quipourrait conduire à une homogénéisation de la biodiversité, dans un contexte où il existe encorebeaucoup d’incertitudes sur les effets réels des pratiques de gestion sur la biodiversité desmilieux forestiers (Dudley et al., 2005 ; Gosselin et Laroussinie, 2004 ; Lindenmayer et al., 2000).Par ailleurs, la normalisation a principalement pour origine une demande des consommateursdes pays occidentaux. C’est pourquoi la mise en place de ces PCI peut être une source de risquespour les PED. En effet, il y a un risque de double discrimination vis-à-vis des marchés de boisoccidentaux pour ces pays (Lescuyer, 2002). La première forme d’exclusion concerne les forêtstropicales – plus vulnérables – qui pourraient être délaissées par les grandes filières de bois auprofit des forêts boréales et tempérées. La seconde concerne les firmes des PED qui n’ont pas lesmoyens de se payer les procédures d’audit extérieur qui permettent de produire les PCI. Dès lors,cela crée un avantage décisif pour les multinationales du bois qui sont seules à pouvoir assumerce coût fixe important dans l’optique d’en tirer un avantage comparatif à moyen et long terme.

Système régionalisé de PCI Système mondial de PCI

Forêts tempérées/boréales Forêts tropicales Toutes forêts

Écologie Santé et vitalité de l’écosystème Maintien des principales Impact environnementalforestier fonctions écologiques PlantationsMaintien des fonctions de la forêtde protection

Production Une forêt productrice La forêt est gérée durablement Bénéfices procurés par la forêtde biens et services en vue de la fourniture Programme de gestion

de biens et de services Suivi et évaluation

Socio-économie Maintien des autres fonctions La gestion forestière doit Relations communautairessocio-économiques contribuer, pour l’ensemble des et droits des travailleurs

parties impliquées, à l’amélioration du bien-être desgénérations présentes et futures

Aspects L’utilisation durable de la forêt Respect des loisinstitutionnels et le maintien de ses multiples Droits des peuples indigènes

fonctions font l’objet d’une Tenure foncière, droitshaute priorité politique d’usage et responsabilités

Biodiversité Conservation de la Maintien des forêts à haute diversité biologique valeur de conservation

Source : Lescuyer, 2002, p.109

Tableau 8 : Trois systèmes majeurs de PCI.

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Indicateurs de résultats Une autre catégorie d’indicateurs de gestion est celle des indicateurs de résultats. Ces indica-teurs sont très inspirés du milieu de l’entreprise et des systèmes d’audit. Ils doivent permettred’offrir des informations sur la bonne gouvernance des espaces protégés. Les indicateurs derésultats ont pour principale fonction de veiller à ce que des objectifs planifiés ont bien étéatteints et qu’il est possible de passer à une étape suivante. L’évolution de la mise en place d’unplan est donc relative à la validation de ces indicateurs de résultats. Ces indicateurs sont prin-cipalement utilisés par les bailleurs de fonds pour contrôler le niveau d’avancement d’unprogramme. L’idée est que les financements de projets puissent se faire par étape, en fonction de l’évolution deces indicateurs de résultats. Les gestionnaires doivent ainsi atteindre des objectifs de productiond’espèces, d’écosystèmes ou de fonctions écologiques. En bref, ils doivent être efficaces. En effet, il est apparu que les espaces naturels créés dans le monde ne remplissaient pas forcé-ment bien leurs fonctions de conservation, pour des questions de moyens le plus souvent.L’objectif prioritaire pour les organisations de conservation est donc de sécuriser ces espacesprotégés grâce à la mise en place d’une gestion effective de la biodiversité.

C’est dans cette optique qu’a été créée la World Bank/WWF Alliance for Forest Conservation andSustainable Use. L’objectif de cette « alliance » est de faire face au problème d’érosion continuede la biodiversité forestière et des ressources naturelles renouvelables nécessaires au dévelop-pement durable des pays du Sud. C’est dans ce cadre que le WWF et la Banque mondiale (2003)ont mis en place des indicateurs de résultats permettant de juger de la bonne gestion desespaces naturels.

Ces indicateurs sont fondés sur un cadre d’analyse réalisé par la Commission mondiale sur lesaires protégées (Hockings et al., 2000) ayant pour objectif de standardiser les systèmes d’éva-luation de la gestion des espaces protégés. Ce cadre d’analyse est fondé sur l’idée qu’une bonnegestion des espaces protégés doit suivre une suite d’étapes obligatoires : un diagnostic local quidoit permettre d’avoir une bonne compréhension du contexte (context) ; la mise en place d’unplan de gestion (planning) ; l’allocation de ressources financières, humaines et organisation-nelles pour pouvoir réaliser ce plan (input) ; la réalisation d’actions de conservation (processes); la production éventuelle de produits et services (output) ; l’évaluation des résultats vis-à-visdu plan de gestion (outcomes). Pour évaluer concrètement ces différentes étapes à partir d’indicateurs simples, la Banquemondiale et le WWF ont mis en place des indicateurs de suivi de l’efficacité des modes degestion (Management Effectiveness Tracking Tool). Le développement de ces derniers a été guidépar un souci de simplicité et de lisibilité. Ils doivent en effet pouvoir être remplis par des non-spécialistes et cela de manière très rapide. Il ne vise pas à faire des comparaisons spatiales carla diversité des contextes – moyens, infrastructures, situation politique… – ne permet pas deréaliser un tel travail selon ces organisations.Ces indicateurs sont séparés en deux parties. La première sert à contextualiser l’espace protégégrâce à des indicateurs sur les informations clés du site (taille de la réserve, menaces, objectifsprioritaires pour la conservation, autorité responsable de la gestion…). La seconde concerne

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Les indicateurs d’interactions société-nature

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l’évaluation à proprement parler de la gestion de l’espace protégé. Nous laissons la premièrepartie de côté pour nous concentrer sur la seconde.Les indicateurs sont organisés autour de 30 questions simples concernant la gestion de la zoneprotégée. Les indicateurs correspondent à des scores qui permettent de répondre à la questionposée. Les scores vont de 0 (pauvre) à 3 (excellent). Pour chaque score, est associée une défini-tion de la situation. Il est aussi possible d’adjoindre des commentaires pour pouvoir prendre encompte les avis des gestionnaires et les précisions nécessaires. Les scores doivent être addi-tionnés pour obtenir une note finale (tableau 9). La note finale doit alors être pondérée en fonc-tion du nombre de réponses qui ont été données.

Le gros – et le seul – avantage de ces indicateurs est qu’ils sont extrêmement simples et rapidesà renseigner grâce à ce système de scores. Le gros problème de ces indicateurs est qu’ils sont remplis par les gestionnaires eux-mêmes(souvent une seule personne), ce qui va à l’encontre des principes d’audit. Il est donc impossiblede considérer que les scores soient neutres et ce d’autant plus que les organisations qui lescommanditent représentent de gros bailleurs de fonds pour les espaces protégés. Ils auraient,en revanche, un grand intérêt à être remplis par une même personne, ou un même groupe depersonnes, qui pourrait se déplacer de parc en parc et réaliser alors un véritable audit externe.En effet, puisque ces indicateurs sont extrêmement subjectifs, le seul moyen pour qu’il existeune certaine standardisation est que ce soit les mêmes personnes qui fassent les évaluations –personnes qui ne devraient, évidemment, avoir aucun intérêt dans ces questions de gestion.Cette démarche est celle qui est adoptée de plus en plus par la plupart des bailleurs de fondslors de la clôture des programmes, de manière à en évaluer les résultats. Le problème est que lesévaluateurs en question ont le plus souvent une très faible connaissance des contextes et selimitent donc à des appréciations fondées sur un cahier des charges qu’il est bien souventdélicat de remplir de manière standardisée. Un autre problème avec les indicateurs de résultats dans le domaine de la biodiversité est queles programmes de conservation cherchent souvent à protéger des espèces emblématiques telsque les grands mammifères et c’est pourquoi ils fixent des indicateurs de résultats à partir del’abondance de ces espèces. Pourtant, considérer que les résultats d’un programme de conser-vation, qui s’étale sur quelques années, va pouvoir être évalué à l’aune d’indicateurs concernantl’évolution des populations de grands mammifères n’est pas réaliste. La dynamique démogra-phique de ces populations ne peut être sensible à des politiques de conservation sur une sipetite échelle de temps. Ce point est souvent pas ou mal pris en compte.

Critères Scores

Les gestionnaires n’ont pas la capacité d’appliquer les règlesd’accès et d’usages 0

Les gestionnaires souffrent d’un manque de ressources pour appliquer les règles d’accès et d’usages 1

Les gestionnaires ont les capacités d’appliquer les règles d’accès et d’usages mais il existe des déficiences 2

Les gestionnaires disposent des capacités nécessaires pour appliquer les règles d’accès et d’usages 3

Il n’existe pas de plan de gestion 0

Un plan de gestion est en préparation ou existe mais il n’est pas appliqué 1

Il existe un plan de gestion mais il est partiellement appliqué du fait d’un manque de moyens 2

Il existe un plan de gestion qui est appliqué 3

Questions

Capacités des gestionnaires àappliquer les règles d’accèset d’usages (question 3)

Existence et application duplan de gestion (question 7)

Source : Banque mondiale/WWF, 2003

Tableau 9 : Exemple de questions, critères et scores de suivi de l’efficacité des modes de gestion des espacesprotégés.

Section 3 : La démocratie techniquepour développer des indicateurs de co-gestion adaptativede la biodiversité

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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Evaluation de la qualité des indicateurs : une question d’arbitrageLes critères retenus par l’OCDE – qui est l’organisation ayant le plus travaillé sur les indicateurs– pour évaluer la qualité des indicateurs sont : leur pertinence politique, leur solidité analytiqueet leur caractère quantifiable. Ces points peuvent être étayés grâce à six critères édictés officiel-lement par le Comité du programme statistique42 (Desrosières, 2003a) :

1) La pertinence qui implique une adéquation entre l’outil et les besoins de l’utilisateur.2) La précision qui nécessite une proximité entre la valeur estimée et la vraie valeur.3) L’actualité et la ponctualité qui renvoient aux échéances décisionnelles.4) L’accessibilité des données statistiques et la clarté de leurs formes pour les instances

décisionnaires.5) La comparabilité des données.6) La cohérence qui est relative à la méthode de standardisation des données et aux

interprétations que ces données entraînent.

Cette approche est celle que l’on retrouve dans la plupart des rapports institutionnels et formele cahier des charges permettant de standardiser les outils que représentent les indicateurs. Leproblème est qu’il existe de nombreuses tensions entre ces différents critères d’évaluation.Prenons un exemple issu des sciences sociales.La construction d’un indicateur à une échelle internationale implique de respecter les critères dequalité à cette échelle. C’est ce que cherche à faire l’indicateur de pauvreté extrême utilisé parla Banque mondiale, lequel est la proportion de la population vivant avec moins de 1 $ PPA43

par jour. Cet indicateur répond à une demande sociale très générale des organisations interna-tionales de développement qui souhaitent disposer d’un indicateur pour évaluer les résultats deleur politique de lutte contre la pauvreté et comparer les situations dans les PED. Pourtant, enrépondant à une contrainte de réalisme à une échelle planétaire, on en arrive à un irréalismetotal à une échelle locale que ce soit en ce qui concerne des questions de disponibilité endonnées ou les critères d’équivalence retenus (principe de pauvreté monétaire peu pertinentpour décrire la pauvreté dans des zones où les échanges monétaires sont très faibles). Il semblequ’il existe une forte tension entre plusieurs échelles de réalisme qui implique que les critèresde qualité concernant les indicateurs ne sont pas les mêmes à une échelle nationale, internatio-nale ou locale. Ceci explique pourquoi la majorité des indicateurs ne tiennent pas compte descontextes et pourquoi les indicateurs sont souvent perçus, à juste titre, comme des instrumentstechnico-administratifs peu utiles.Ce problème d’échelle concerne aussi la dimension temporelle des décisions. Les décideurs neraisonnent en effet pas tous sur le même pas-de-temps. Certains ont besoin d’indicateurs pourcommuniquer, d’autres pour gérer des phénomènes sur différentes périodes, ce qui implique descontraintes temporelles différentes. Ce problème d’échelle temporelle prend toute son ampleurlorsque l’on souhaite adopter une approche multi-dimensionnelle d’un phénomène complexe.Dans le cas de la pauvreté, passer d’une description monétaire de ce phénomène à une approchemulti-dimensionnelle, telle que celle proposée par le Programme des Nations unies pour ledéveloppement (Pnud), a conduit cette organisation à produire un indicateur de développementhumain (IDH) dont l’évolution est délicate à interpréter. En effet, l’IDH est composé de l’espé-rance de vie, du PIB / habitant et du taux d’analphabétisme (Pnud, 1990). Or, l’évolution de l’es-pérance de vie d’un pays ne peut être envisagée qu’à l’échelle d’une génération tandis quel’évolution du PIB peut être très rapide. C’est pourquoi l’évolution de l’IDH est très délicate àinterpréter, compte tenu de l’incompatibilité des temps caractéristiques auxquels renvoient lestrois variables qui le composent. Il est par ailleurs particulièrement tentant de mettre en placedes politiques de développement ayant un effet sur les variables évoluant à court terme, demanière à justifier des résultats rapides sur l’état de la pauvreté, même si la politique en ques-tion n’a pas réglé le problème des paramètres évoluant à moyen ou long terme. Les mêmesproblèmes se posent pour de nombreux indicateurs de biodiversité composites. Ainsi, l’IPV prenden compte l’évolution des tailles de 3000 populations de vertébrés dont les cycles de vie sont

42 Le Comité du programme statistique est composé des directeurs généraux des Instituts nationaux de statistique des pays de l’Union euro-péenne ainsi que du directeur général d’Eurostat.

43 Parité de pouvoir d’achat.

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très différents. Dès lors, d’un point de vue politique, il peut être rationnel de chercher à protégeren priorité les populations dont les cycles de vie sont les plus courts, de manière à observer uneamélioration rapide de l’indicateur. Pour résumer, les tensions entre les critères de qualité des indicateurs peuvent être décritescomme suit :– Une première source de tension est l’échelle de réalisme – d’application – de l’indicateur. En

effet, la réalité d’un phénomène n’est pas la même selon les échelles, comme nous venons dele souligner. En ce qui concerne la biodiversité, la réalité à laquelle elle renvoie n’est pas lamême à une échelle locale ou globale, à court terme ou à long terme, pour un écologue ouun chasseur. Ainsi, chercher à développer un indicateur de biodiversité réaliste – applicable –à l’échelle de la biosphère et à destination d’organisations internationales, c’est admettre quecet indicateur sera vraisemblablement irréaliste à une échelle locale puisqu’il ne sera pasreprésentatif de la biodiversité locale, ni sensible aux évolutions qu’elle subit ou en adéqua-tion avec les représentations des acteurs qui l’utilisent. Inversement, un indicateur adapté àune réalité locale sera difficilement transposable à une échelle globale. Or, un indicateurrenvoie toujours à une dimension universelle lui permettant de comparer différentes situa-tions – spatiales, temporelles ou symboliques – et à une dimension contextuelle liée au faitque l’indicateur a été « pensé » à des échelles spatiales, temporelles et symboliques spécifi-ques.

– Une deuxième source de tension est que les indicateurs ont toujours une double dimensionpolitique et scientifique. La dimension politique implique une grande lisibilité pour un largepublic, c’est-à-dire de pouvoir tirer une information simple d’un indicateur simple. La dimen-sion scientifique implique que l’indicateur produit pourra fournir un outil de preuve et que l’in-terprétation des informations transmises par les indicateurs sera réalisée avec prudence. Celase traduit notamment par l’utilisation des méta-données qui permettent de savoir sur quellesconventions repose l’indicateur et comment ces conventions ont été adoptées. Mais les ques-tions scientifiques liées à tout indicateur limitent la simplicité et l’efficacité du discours quipeut être tiré de l’indicateur si les utilisateurs en tiennent réellement compte. C’est pourquoiles faiblesses « scientifiques » des indicateurs sont souvent vite oubliées.

– La dernière source de tension – qui découle de la précédente – provient du caractèreconventionnel (ou subjectif) et réel (ou objectif) des indicateurs (Desrosières, 2003b). Lesindicateurs sont des instruments approximatifs qui en font des outils d’information partiauxet partiels. Cela explique pourquoi ils sont souvent vivement critiqués, en particulier par lesscientifiques. Pourtant, les indicateurs fournissent aussi des objets frontières44 – ou intermé-diaires – qui permettent à des acteurs hétérogènes de discuter sur un sujet donné45. S’enpriver, c’est se priver d’outils qui favorisent les débats publics. Les remettre en cause est utilemais à trop vouloir en souligner le caractère arbitraire, des risques apparaissent de voir laconfiance en ces derniers s’écrouler, et finalement de perdre un outil d’argumentation. Ainsi,comme le disait Paul Valéry « tout ce qui est simple est faux et tout ce qui est compliqué estinutilisable46».

C’est pourquoi la construction d’un indicateur nécessite avant tout de réaliser des arbitrages àpropos de ces tensions intrinsèques.

Ces arbitrages concernent trois dimensions de l’indicateur :- L’aspect fonctionnel : comme n’importe quel autre outil, un indicateur a une fonction

première, associée à un usage spécifique. Ainsi, des données statistiques de suivi d’un phéno-mène ne représentent un indicateur que si elles sont utilisées, c’est-à-dire, au minimum, inter-prétées. Un indicateur fournit une information synthétique sur un objet précis via un signalafin de pouvoir se représenter un phénomène, agir ou communiquer sur celui-ci. Ces troisfonctions sont toujours présentes dans un indicateur même s’il a nécessairement une fonc-

44 « Les objets frontières sont des objets qui « habitent » plusieurs communautés de pratique et satisfont les besoins informationnels de chacuned’entre elles. Ils sont ainsi assez plastiques pour s’adapter aux besoins locaux et aux contraintes des différentes parties qui les utilisent, etcependant assez robustes pour maintenir une identité commune à travers ces différents sites. Ils sont faiblement structurés pour ce qui estde leur usage commun, mais deviennent fortement structurés quand ils sont utilisés dans un site particulier. Ils peuvent être aussi bienabstraits que concrets » (Bowker et Star, 1999, p.297, cité par Desrosières, 2003b, p.6).

45 Les indicateurs liés au chômage offrent par exemple, malgré leurs défauts, des outils de discussion essentiels pour lancer et stimuler lesdébats publics autour de la question de l’emploi. Ils donnent un langage commun pour parler de cette question.

46 Je tiens à remercier Laurent Mermet pour avoir utilisé en ma présence cette citation qui me semble si bien résumer les contraintes auxquellestout concepteur d’indicateur doit faire face.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

La démocratie technique pour développer des indicateurs de co-gestion adaptative de la biodiversité

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tion prioritaire. L’usage de l’indicateur ainsi que ses utilisateurs doivent être précisés préala-blement à tout processus de construction. En effet, la fonction de l’indicateur est liée à l’iden-tification de besoins et les arbitrages qui vont présider à sa conception doivent être guidés parl’expression de ces besoins47. Ainsi, un indicateur ayant pour fonction première de communi-quer sur un sujet à court terme à une échelle internationale ne devra pas respecter les mêmescontraintes qu’un indicateur ayant pour fonction principale de fournir un outil de gestion d’unécosystème à long terme.

- L’aspect instrumental : un indicateur est un instrument composé d’un méca-nisme de synthétisation – agrégation, moyenne, pondération… – permettant derésumer un grand nombre d’informations, et d’une interface – indice, carte,couleur... – permettant l’émission de signaux, au sein desquels se trouve l’infor-mation synthétisée. Le mécanisme a vocation à être précis et l’interface à êtrela plus lisible possible. Le signal doit être adapté aux représentations des futursusagers de manière à être facilement appropriable. L’indicateur est donc uninstrument qui peut revêtir diverses formes. Pour être un outil efficace, il doitavoir une forme adaptée à sa fonction, comme n’importe quel autre outil.Celle-ci doit par ailleurs être ajustée aux capacités et aux représentations desutilisateurs potentiels, de manière à ce que l’information synthétique contenuedans le signal puisse être facilement extraite.

- L’aspect constructiviste : un indicateur est un outil construit à partir d’uneméthode impliquant une division sociale du travail – collecteurs de données,spécialistes de la biodiversité, statisticiens... – et d’un processus de décision –négociation, médiation, concertation, validation… C’est la combinaison de cesdeux éléments qui conduit à l’adoption de conventions concernant l’indicateur– unité de mesure, échelle spatiale de référence, mécanisme de synthétisation.

Les critères de qualité des indicateurs doivent donc en premier lieu concerner lamanière dont les arbitrages sont réalisés. Les arbitrages concernant les tensions doivent être guidés par une contrainte de cohérence. Eneffet, mettre en place un « bon » indicateur nécessite avant tout une certaine cohérence entrela fonction, la forme de l’instrument et sa méthode de construction. Il est en particulier néces-saire d’adapter les échelles d’équivalence et l’interface de l’indicateur à l’échelle de réalisme àlaquelle se situent les besoins des usagers. Pour rendre notre exposé plus clair, prenons unexemple. L’indicateur de biodiversité le plus emblématique et le plus controversé aujourd’hui estle taux d’extinction global des espèces que compte la Terre (Balmford et al., 2003 ; Thomas et al.,2004). Cet indicateur est très imparfait pour suivre ou gérer la biodiversité, comme nous l’avonssouligné dans la première section, mais il s’agit d’un bon indicateur pour communiquer sur lesrisques qui touchent la biodiversité aujourd’hui. Il répondait à un besoin spécifique : tirer lasonnette d’alarme à propos de l’évolution de l’état de la biodiversité. Il n’a pas pour objectif defournir un outil de suivi efficace sur la biodiversité mais de mobiliser l’opinion publique. Sa fonc-tion première est d’informer un large public sur les menaces que subit la biodiversité. Les arbi-trages concernant l’indicateur ont donc pesé en faveur de sa dimension universelle, objective(l’extinction) et politique (Levrel, 2006). La forme est en adéquation avec sa fonction puisqu’ils’agit de taux et de courbes qui sont de compréhension simple. De tels arbitrages ont été réalisés, de manière plus ou moins implicite, par les concepteurs desindicateurs d’interactions que nous avons mentionnés dans la seconde section, comme lemontre, de manière simplifiée, la figure 8. Dans cette figure, les indicateurs verts sont fondéssur une approche écolo-centrée, les indicateurs bleus traduisent une approche économico-centrée, les indicateurs rouges une perspective plus transdisciplinaire. Ce qui ressort de cette sous-section, c’est qu’il est nécessaire de partir de la fonction de l’indi-cateur pour pouvoir respecter une certaine contrainte de cohérence. Cela nécessite, commenous l’avons expliqué, d’identifier en premier lieu les besoins des utilisateurs potentiels.L’adaptation des indicateurs aux besoins des utilisateurs renvoie au critère de « pertinence » duComité du programme statistique européen. Compte tenu du flou entourant ce critère, il existe

47 Il en va de même pour la construction de n’importe quel outil. On identifie en premier lieu les besoins des usagers potentiels de cet outilpour définir quelles sont les fonctions exactes qu’il doit remplir. On réalise des arbitrages du fait de l’existence de tensions entre les carac-téristiques de l’outil de manière à ce qu’il réponde au mieux aux attentes – légèreté vs solidité, précision vs facilité d’usage, diversité desfonctions vs adaptabilité de la forme à des fonctions précises…

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des groupes de travail qui définissent les critères d’évaluation de la pertinence des indicateursconcernant des phénomènes principalement socio-économiques – pauvreté, chômage, richesse,etc. Le problème est que ces groupes de travail européens sont composés majoritairement demétrologues, pour la plupart statisticiens, ayant une vision étroite des problèmes de pertinence(Desrosières, 2003a). Ceci explique pourquoi les débats à ce propos renvoient le plus souvent àdes questions techniques et se résument à des discussions sur les conventions statistiquesd’agrégation, de pondération ou de marge d’erreur acceptable.La question de la pertinence des indicateurs et des systèmes d’information de manière généraleapparaît finalement peu traitée. En effet, il n’existe pas de travail d’enquêtes permettant d’éva-luer l’adéquation entre les outils produits et les besoins des usagers – décideurs politiques ouacteurs de la société civile (Desrosières, 2003a).

Partir des besoins pour construire des indicateurs de biodiversité et d’interactionsLa question des besoins est souvent peu traitée dans les rapports des organisations en chargede la production d’indicateurs de biodiversité.En effet, les indicateurs de biodiversité sont souvent envisagés à partir de la métaphore dutableau de bord qui permettrait à un « gestionnaire rationnel » de piloter un système société-nature de manière à suivre un objectif désirable – durable. Or la réalité est tout autre. Si l’on reprend l’exemple de la gestion des forêts françaises que nous avons évoqué dans lapremière section, le nombre d’acteurs intervenants dans les processus de décision est pour lemoins important : l’Etat propriétaire de forêts domaniales, les communes forestières et laFédération nationale des communes forestières de France (FNCOFOR) qui les représentent,l’Office national des forêts (ONF) qui gère les forêts de l’Etat et des communes, les propriétairesforestiers sylviculteurs représentés par leur fédération nationale (principaux représentants despropriétaires privés qui possèdent 74% des forêts françaises), les gestionnaires privés au servicede ces derniers, les coopératives et leur union nationale, les chasseurs, les associations deprotection de l’environnement, les experts forestiers, la Société forestière de la Caisse des

Contextuel

Scientifique

Universel

Politique

Espècesindicatrices

Indicateurd'intégrité dela biodiversité

Indicateur decapital naturel

Indice trophiquemarin

Indicateurliste rouge

Indicateurplanète vivante

Taux d'extinctionglobal

Indice despécialisation

des communautésServices

écosystémiques

Pression-Etat-Réponse

Empreinteécologique

Indicateursde résultat

Indicateurs de progrès véritable

Indicateurs de bien-être durable

Epargnevéritable

Système de comptabilité

économique etenvironnementale

Eco-efficience

Capital naturelcritique

Figure 8 : Positionnement d’indicateurs d’interactions vis-à-vis des tensions existant entre les dimensionsscientifique et politique d’une part, universelle et contextuelle de l’autre.

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dépôts, les responsables politiques locaux, la Fédération nationale du bois (FNB), les administra-tion du Medd et du Map, pour ne citer que les principaux. Dès lors, poser la question de la conservation de la biodiversité en milieu forestier requiert deprendre en compte les besoins de toutes ces parties prenantes. Il y a de nombreux acteurs hété-rogènes entre lesquels existent de multiples relations – qui se nouent rarement sur un piedd’égalité –, et pour lesquels les objectifs et les moyens à mettre en œuvre ne sont pas les mêmes,y compris lorsqu’on restreint ces objectifs à la question de la conservation de la biodiversité(Westley et al., 2002 ; Weber et Revéret, 1993). Un premier point pour questionner la qualité desindicateurs du point de vue des besoins des usagers est donc d’admettre qu’il n’existe pas unplanificateur rationnel qui pourrait piloter un système d’interactions société-nature en vue delui faire adopter une trajectoire optimale, grâce à l’usage d’une liste d’indicateurs scientifique-ment validés et organisés sous forme de tableau de bord.

La question des besoins doit donc être reposée dans d’autres termes que ceux adoptés jusqu’àprésent. En fait, le besoin pour des indicateurs de biodiversité apparaît en même temps que cetobjet devient une question sociale (Boulanger, 2006 ; Dewey, 1927). Une question sociale existelorsqu’émerge une arène publique à son sujet. Ces arènes publiques concernent par exemplel’emploi, l’économie, l’immigration, la culture, l’environnement… Existe-t-il une arène publiqueà propos de la biodiversité ? Le concept de biodiversité est récent et recouvre une réalité complexe. Récent car il s’estconstruit entre 1985, date à laquelle Rozen propose ce terme, et 1992, date de la Conférence deRio. Complexe car il renvoie, comme nous l’avons dit, à différentes échelles interconnectées.L’appropriation d’un tel concept n’est donc pas aisée et l’existence d’une « question sociale »autour du concept de biodiversité n’a rien d’évidente.Pour éclaircir ce point, nous proposons de nous intéresser à l’évolution du volume de publica-tions traitant de la biodiversité afin d’avoir une approximation concernant l’évolution de lademande d’informations écrites sur la biodiversité, qui peut être considérée comme un préalableà une demande formalisée et quantifiée de cet objet. Pour cela, nous avons inventorié le nombred’articles publiés par le journal Le Monde dans lesquels le mot « biodiversité » apparaît48, pour lapériode 1988-2005 (figure 9).

0

20

40

60

80

100

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1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

48 http://www.lemonde.fr/web/recherche/1,13-0,1-0,0.html

Source : http://www.lemonde.fr

Figure 9 : Nombre d’articles parus dans Le Monde dans lesquels le mot « biodiversité » apparaît.

En devenant une question sociale, le concept de biodiversité a créé de l’intérêt et suivi unesuccession d’étapes de mise en cohérence au sein desquelles des représentations alternativessont entrées en interaction. Ces étapes peuvent être décrites comme suit (Seca, 2002) :

1) La complexité de l’objet à mesurer et la pluralité des perceptions auxquelles il peutdonner lieu engendre une grande dispersion des représentations et des informations leconcernant – écologues, taxinomistes, chasseurs, naturalistes locaux, gestionnaires,généticiens, économistes… disposent d’informations et de représentations spécifiquessur la biodiversité.

2) L’impossibilité d’avoir une vision exhaustive de la biodiversité implique la sélection et lafocalisation sur certaines caractéristiques symboliques de l’objet, directement fonc-tions des représentations des acteurs – population, diversité, paysage, gène, abondance,taxon, espèce, interaction, service, représentent autant de caractéristiques symboliquesrenvoyant au concept de biodiversité.

3) L’impératif de l’action, de la communication et de la justification sur cet objet complexecrée une pression à l’inférence qui se traduit par des discussions, des descriptions, desévaluations, des validations, dont le but final est de parvenir à une convention sur lecontenu de l’objet et le meilleur moyen de le qualifier – richesse spécifique, listesrouges, viabilité des populations, hétérogénéité du paysage, longueur du réseautrophique, variabilité génétique, services écologiques peuvent ainsi être entenduscomme des indicateurs de biodiversité.

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Le « baromètre d’intérêt social » que peut représenter cet inventaire fait ressortir plusieurschoses. En premier lieu, cette demande sociale émerge réellement à partir de 1992 (27 publica-tions en 1992 contre 1 en 1990 et 2 en 1991), date de la première conférence sur le développe-ment durable qui se tient à Rio et dans laquelle le concept de biodiversité tient une placeimportante. La demande sociale augmente les années suivantes et atteint son maximum en2002 et 2005 avec respectivement 102 et 108 articles parus dans Le Monde. 2002 correspond àl’année du second grand sommet onusien sur le développement durable – qui s’est tenu àJohannesburg. Pour 2005, il s’agit de l’année où a eu lieu à Paris un Sommet international surla biodiversité.Cette évolution du nombre de publications permet d’affirmer que le concept de biodiversité asuscité un engouement médiatique et politique au cours de ces quinze dernières années etimplique l’existence d’une question sociale à son égard.

Conférence internationale Biodiversité, science et gouvernance, Paris, janvier 2005

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49 Il est même possible d’espérer qu’une Loi sur le développement durable soit votée comme ce fut le cas au Québec par exemple.

Il existe par ailleurs trois moments forts qui permettent de caractériser les arènes publiques dansune perspective politique où s’exprime des besoins (Dewey, 1927) : la problématisation (discus-sion et construction d’un discours), l’institutionnalisation (consensus autour des questionsimportantes relatives à cette arène) et la dissolution (lorsque l’arène publique disparaît pourpermettre l’émergence de nouvelles arènes).Paul-Marie Boulanger (2006) propose une théorie des indicateurs en partant de ces troismoments. Durant la phase de problématisation, de nombreux indicateurs cohabitent et iln’existe pas de légitimité claire à en utiliser un plutôt qu’un autre. Pendant la phase d’institu-tionnalisation, l’usage d’un nombre restreint d’indicateurs par des décideurs politiques diversest une composante forte de la structuration de l’arène. Enfin, pendant la période de dissolu-tion, les indicateurs sont utilisés comme des outils permettant de résister à cette dissolution.Pendant la phase de problématisation, les indicateurs représentent des outils de justification dedifférents points de vue souvent réservés à un usage qui peut être qualifié de « militant ». A cetitre, les indicateurs fournissent, pendant cette phase, des outils de négociation entre différentesparties pour faire prévaloir une représentation spécifique d’un objet. Pour les indicateurs d’in-teractions société-nature par exemple, il s’agira de mettre en concurrence des indicateurs dedéveloppement durable permettant d’appuyer une durabilité forte (empreinte écologique) oufaible (épargne véritable). La plus grande partie de la population n’a pas connaissance de l’exis-tence de ces indicateurs et n’y accorde pas d’importance.Il est possible de dire aujourd’hui que les indicateurs de biodiversité appartiennent à une arènequi est encore en cours de problématisation. Nous sommes dans une phase où les critiquesconstructivistes dominent largement. La concurrence entre différents indicateurs de biodiversitérenvoie à une concurrence entre différentes représentations de ce phénomène et participe parlà même à en définir les contours de manière de plus en plus précise. Cette phase de probléma-tisation correspond, en effet, à la période de mise en cohérence qui se traduit par les troisétapes que nous venons de décrire : dispersion de l’information, focalisation sur un nombrelimité de paramètres, pression à l’inférence. Au cours de ces différentes étapes, les indicateursco-évoluent avec les représentations et les informations disponibles. Représentations, informa-tions et indicateurs s’influencent ainsi réciproquement pour construire l’arène publique de labiodiversité.

C’est lorsque la phase de pression à l’inférence est terminée qu’il est possible de dire qu’unenouvelle phase a lieu : celle de l’institutionnalisation. Pendant la phase d’institutionnalisation,les représentations et les indicateurs concernant l’objet de l’arène publique sont en accord. Lesindicateurs représentent alors des outils de politique publique dans le sens où ils permettent defournir des signaux d’aide à la décision, de réaliser des suivis concernant le résultat de mesurespolitiques, mais aussi de justifier des résultats au regard de ces indicateurs. Ils sont donc trèsutilisés. Ils sont sujets à de nombreuses critiques scientifiques mais ils bénéficient d’une largenotoriété. Il s’agit par exemple aujourd’hui des indicateurs de chômage ou de croissance du PIB(Desrosières, 2003b). Le processus d’institutionnalisation peut cependant prendre du tempscomme le souligne Paul-Marie Boulanger (2006). Ainsi, le taux de chômage a mis une soixan-taine d’années à s’imposer comme un indicateur important pour les politiques. Ce dernier a eneffet commencé à être élaboré sous diverses formes dans les années 1880 et n’a été véritable-ment utilisé qu’en 1946 aux Etats-Unis avec l’Employment Act qui fixe des objectifs politiquesà partir d’une réduction du taux de chômage.Cet exemple nous permet de souligner un point important : il est peut-être trop tôt pour mettreen place des indicateurs de biodiversité qui vont être effectivement utilisés. Pour appuyer cette hypothèse, il est possible d’évoquer les expériences menées dans le domainedu développement durable. En effet, la mise en place d’indicateurs de développement durable(IDD) en France, en Belgique ou en Suisse s’est traduite par des échecs (Boulanger, 2004 ; DeMontmollin, 2006 ; Ifen, 2001a, 2003 ; Lavoux, 2006) : ils n’ont créé aucun engouement publicou politique lors de leur sortie ; les IDD mis en ligne ne sont pas ou peu consultés ; il n’existeaucun relais médiatique lors de leur parution. Pourtant, plusieurs arguments laissent penser que les choses sont en train de changer.Tout d’abord la question du développement durable est devenue une question de sociétémajeure qui a donné lieu à une Stratégie nationale pour le développement durable en France49

Ensuite, il faut noter que même si la publication des IDD n’a pas créé d’engouement, des indicateurs thématiques concernant l’agriculture, la biodiversité ou la consommationd’énergie ont tout de même été repris par les médias (Lavoux, 2006). A chaque fois, une réalité« palpable » est présente derrière ces concepts. Certes, les frontières de ces réalités sont souventdélicates à établir et sujettes à discussion mais il n’en reste pas moins qu’elles parlent aux gens.Ainsi, la publication en 2002 par le Muséum national d’histoire naturelle d’indicateurs sur l’évo-lution des populations d’oiseaux communs en France a été largement reprise par les médias(Levrel, 2006). Par ailleurs, il existe une demande claire pour des indicateurs pendant les périodes de crises(Mirault et al., 2006). Or, ce qui nous intéresse dans le cadre de la gestion de la biodiversité, c’estla crise d’extinction que connaît la planète aujourd’hui et celle qu’elle risque de connaîtredemain, avec les conséquences que cela pourrait engendrer sur les services écosystémiquesutiles à l’homme. L’important est donc que les indicateurs permettent d’appréhender au mieuxles crises futures.

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(Medd, 2003a). C’est pourquoi il semble que le contexte institutionnel évolue très vite et que lademande pour des outils de suivi des politiques menées se fait de plus en plus pressante. Ainsi,le Centre d’analyse stratégique (ex-Commissariat au Plan50) a demandé à un groupe de travailinterministériel (groupe « Equilibres ») de réfléchir au « rôle de l’Etat stratège face aux enjeux dudéveloppement durable ». Une des priorités de ce groupe a été de travailler sur les IDD (AyongLe Kama et al., 2004). Ce travail traduit un véritable changement dans le rapport des politiquesà la question des IDD. En effet, les IDD développés par l’Institut français de l’environnement(Ifen) entre 1996 et 2003 répondaient à une commande du Ministère de l’écologie et du déve-loppement durable dans le cadre de la mise en place des IDD par la Commission sur le dévelop-pement durable de l’ONU. Aujourd’hui, les IDD sont commandés dans un cadre politiquebeaucoup plus large et beaucoup plus concret grâce à la Stratégie nationale sur le développe-ment durable.Dans le domaine de la biodiversité, le constat est identique. En effet, la mise en place d’uneStratégie nationale pour la biodiversité doit permettre de traduire en actes concrets l’objectif dela CDB, c’est-à-dire de stopper l’érosion de la biodiversité d’ici 2010. Or, pour évaluer périodi-quement les avancées réalisées, il est avant tout essentiel de disposer d’indicateurs de suivi dela biodiversité (Medd, 2004).

50 La mission du Commissariat Général au Plan est d’indiquer les problématiques dans lesquelles l’Etat, garant de l’intérêt général et du BienPublic, devra jouer un rôle important dans les 10 à 15 ans.

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Un autre élément essentiel est que les acteurs utilisent une grande diversité d’indicateurs infor-mels pour prendre leurs décisions pendant leurs activités quotidiennes (Levrel et al., 2006). Dèslors, la demande pour des indicateurs de biodiversité peut émerger si ces derniers concernentdirectement ou indirectement leurs activités quotidiennes.Enfin, au lieu d’attendre que cette demande pour des indicateurs de biodiversité émerge d’elle-même, il est possible de chercher à la faire émerger à partir d’un processus interactif de co-construction impliquant les scientifiques et les communautés de pratique concernées par lagestion de la biodiversité. En effet, c’est en travaillant collectivement et en discutant que lesbesoins se précisent et que les demandes s’expriment.

Vers une co-gestion adaptative de la biodiversité Une raison pour laquelle les politiques de développement ont souvent conduit à des catastro-phes naturelles (exemple de la mer d’Aral évoqué plus haut) et pour laquelle les politiques deconservation de la biodiversité ont souvent abouti à des résultats mitigés est une mauvaise priseen compte de l’incertitude et de la complexité par les scientifiques et les décideurs (Holling etGunderson, 2002 ; Ludwig et al., 1993 ; Passet, 1996). La posture visant à ne pas prendre en compte l’incertitude est justifiée, d’un point de vue scien-tifique, par le fait que la grande complexité des dynamiques n’est pas intelligible et qu’il ne sertdonc à rien de vouloir adopter une perspective systémique (Kinzig et al., 2003). Mieux vautcontinuer à développer des savoirs partiels mais « vrais » que de chercher à intégrer de nombreuxparamètres dynamiques qui ne seront de toute façon pas explicitables. Les politiques veulentquant à eux pouvoir avoir un discours clair, ce qui est difficile lorsqu’il doit être fondé sur desinformations complexes. C’est pourquoi la science est souvent encore aujourd’hui de natureréductionniste, analytique, mécaniste et rationaliste alors que ses objets d’étude sont polymor-phes, systémiques, complexes et controversés (Passet, 1979 ; Morin, 1996 ; Benkirane, 2002) :

- Le réductionnisme, visant à établir des frontières strictes entre disciplines, est issud’une tradition philosophique censée apporter objectivité et neutralité à la science vis-à-vis du reste de la société. Avoir une démarche scientifique implique donc d’avoir unedémarche disciplinaire.

- La méthode analytique consiste à séparer et à isoler les éléments du tout afin de mieuxpouvoir les étudier. Le postulat sous-jacent est que la somme des éléments forme le tout,que l’agrégation des dynamiques micro permet de comprendre la dynamique macro.

- La dimension mécaniste de la science tient à une vision du monde issue de la physiquenewtonienne qui implique une compréhension parfaite des dynamiques à partir d’unnombre de lois limitées et connues. Dans cette perspective, le monde fonctionne commeune horloge et l’irréversibilité n’existe pas.

- L’approche rationaliste est fondée sur l’idée que toutes les informations concernantl’état du monde sont accessibles et que tous les phénomènes sont probabilisables, ce quipermet d’anticiper les évènements à venir en vue d’adopter les réponses sociales opti-males (selon les critères du moindre coût ou du maximum d’utilité pour les écono-mistes).

Ces éléments conduisent à traiter la question des risques globaux – qui touchent notamment labiodiversité – à partir d’un processus de « mise en risque ». Ce processus nécessite d’identifierles sources des dangers, leur probabilité d’occurrence, les liens de causalité auxquels ilsrenvoient, les évaluations des conséquences possibles et les procédures de compensation ou deréparation qu’elles impliquent (Gilbert, 2001, 2004), de manière à avoir un traitement rationneldes dangers. Or, chacune de ces étapes soulève des problèmes extrêmement délicats dans lechamp de la biodiversité. En effet, s’il est possible de calculer les risques pour certains dangersenvironnementaux comme les tremblements de terre qui répondent à une dynamique quasi-linéaire, les menaces sur la biodiversité concernent des systèmes vivants au sein desquels existeune infinité d’interactions non linéaires générant des dynamiques adaptatives et complexes àdifférents niveaux organisationnels.

62

C’st pourquoi ces méthodes scientifiques sont souvent à l’origine d’une gestion pathologiquedes ressources naturelles renouvelables – « the pathology of natural resource management »(Holling et Gunderson, 2002 ; Berkes et al., 2003) – caractérisée par :

- La recherche d’une maîtrise toujours plus grande des variabilités – « command andcontrol strategy » – et une myopie des systèmes de gestion des ressources naturellesrenouvelables – focalisée notamment sur les rendements et les bénéfices économiquesen général.

- La mise en place d’agences spécialisées initialement flexibles mais qui deviennent trèsrapidement myopes, rigides et dont la stratégie est guidée par une quête de survie. Eneffet, la captation de fonds, de moyens, de postes, devient souvent l’objectif final de cetype d’agences.

- La mise en place de subventions permettant d’inciter à un accroissement des rende-ments et qui rendent les usagers des ressources naturelles renouvelables de plus en plusdépendants de ces revenus « artificiels ». La double conséquence est une absence d’in-ternalisation des coûts liés à l’érosion de la biodiversité et la mise en place d’un lobbyingayant pour unique objectif de conserver ce système de rentes, ce qui conduit toutevelléité de changement à une situation de crise.

- La perte de résilience des écosystèmes qui peut conduire à l’effondrement de systèmessociété-nature, comme nous l’avons vu dans la sous-section sur les services écosysté-miques avec l’exemple de la mer d’Aral.

- La multiplication des crises et un accroissement général de la vulnérabilité des popula-tions qui dépendent de la biodiversité, accompagnés d’une perte générale de confiancedans les systèmes de gouvernance et de gestion en place.

C’est en partant du constat de l’inefficacité des modes de gestion traditionnels pour gérer lesressources naturelles renouvelables et des difficultés qu’avait la science à appréhender les dyna-miques complexes, que de nombreux écologues et économistes se sont orientés vers la gestionadaptative des ressources naturelles renouvelables (Arrow et al., 2000 ; Dasgupta, 2001 ; Hollinget Gunderson, 2002 ; Weber, 1996). La gestion adaptative est une approche plus opérationnelleque la gestion « command and control » classique selon ces auteurs car elle met au cœur de sadémarche l’incertitude soulevée par la gestion d’écosystèmes complexes dont les mécanismesde fonctionnement restent peu connus. Pour faire face à cette incertitude, la gestion adaptativeprône une démarche modeste privilégiant les processus d’apprentissage à propos des interac-tions entre les dynamiques sociales et les dynamiques écologiques (Olsson et al., 2004). Il s’agitd’une gestion interactive fondée sur l’idée que toute pratique de gestion doit être envisagéecomme participant à un processus d’expérimentation itératif et continu dans lequel les déci-

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

La démocratie technique pour développer des indicateurs de co-gestion adaptative de la biodiversité

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deurs et les scientifiques doivent collaborer (figure 10). Cette démarche doit permettre de faireévoluer à court terme les mesures de gestion, en fonction des réponses du système société-nature à ces dernières, et d’éviter ainsi des crises écologiques et sociales de grande ampleurcomme celle de la mer d’Aral. La gestion adaptative s’articule avec une démarche scientifique de nature systémique qui laissesa place aux interactions, à la complexité et aux incertitudes des mécanismes en jeu (Passet,1996, p.XVI). L’analyse systémique « propose une méthode d’étude de la complexité s’appuyantà la fois sur la connaissance des différents éléments du système (approche analytique) et surcelle des liens existant entre ces éléments » (Ceneco, 1995, p.12). D’une physique mécanique, ellepropose de passer à une physique thermodynamicienne acceptant les irréversibilités, sans pourautant se référer à l’approche thermodynamique qui voit en l’évolution un simple processus dedestruction mais à celle, plus biologique, qui voit en tous ces processus de formidables mouve-ments de destruction créatrice. A une perspective réductionniste et disciplinaire, l’approchesystémique oppose une démarche impliquant différentes disciplines autour de questions oud’objets communs. Au concept de rationalité centré sur une définition économique, se substitueun concept de rationalité impliquant un minimum de cohérence entre les fins et, autant quepossible, une cohérence entre les fins et les moyens.La gestion adaptative de la biodiversité implique donc en premier lieu que des scientifiques issusde différentes disciplines puissent travailler ensemble de manière à instituer ce que l’on peutappeler une « science de la conservation » (ou « biologie de la conservation »). Ce travail collectifpeut être envisagé sous deux angles principaux : la pluridisciplinarité ou l’interdisciplinarité(Morin, 1994).

La première approche est de considérer que chaque scientifique travaille sur une questioncommune – la conservation de la biodiversité – mais dans son domaine de compétence. C’est ladémarche adoptée par la plupart des livres et des programmes de recherche qui souhaitentproposer des approches transversales sur la biodiversité (Kinzig et al., 2003) Chaque scientifiqueutilise ses concepts et ses méthodes sans se soucier du point de vue des autres disciplines impli-quées dans le programme transversal. Une fois ses travaux réalisés, il les présente au collectifde chercheurs investis dans le projet. Cette perspective est la perspective pluridisciplinaire. On

Anthropologie de la natureBiologie des populationsSociologieEthologieGénétiqueEcologieEconomie de l’environnementDroit de l’environnementGéographiePsychologie

Touristes

Associations naturalistes

Agriculteurs

Citoyens

Chasseurs

Pêcheurs

Administrations

Collectivités locales

Parcs et réserves

BIOLOGIE DE LA CONSERVATION

GESTION DE LA BIODIVERSITE

Expériences dégagées du

terrain et besoins en informations

Nouvelles approches pour la gestion de la

biodiversité

Source : Barbault, 2000, p. 308

Figure 10 : La gestion adaptative de la biodiversité.

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découpe le programme de manière analytique, discipline par discipline, sous-question par sous-question, et on met tout en commun à la fin du programme de manière à donner un tableaud’ensemble concernant la question initiale. Il n’y a pas réellement besoin de se comprendrepuisque chacun reste dans son domaine de compétence et travaille de manière parallèle. Lessphères disciplinaires sont respectées et les représentants des différentes disciplines n’ont pasde véritable légitimité à intervenir dans celles de leurs voisins. Il n’est pas nécessaire de créer unlangage commun puisqu’il y a très peu d’interactions entre les participants. Il y a très peu de coûts de transaction51 entre les différentes parties prenantes puisque l’en-semble des disciplines – qui représentent autant de communautés de pratique – ne travaillentensemble que lors des restitutions et n’entretiennent pas d’interactions entre elles. Il n’y a pasbesoin dans ce cas de créer une communauté d’intérêt et le travail collectif est assez simple àréaliser.Le problème est que cette démarche engendre de nombreuses difficultés. Tout d’abord, lesspécialistes des différentes disciplines ne s’intéressent pas vraiment aux autres recherchesmenées dans le projet, ou alors de manière superficielle lorsque celles-ci auront un intérêt pourleurs propres recherches. Ce désintérêt est souvent lié à un manque de connaissances sur ladiscipline, sur le vocabulaire utilisé, sur la méthode adoptée, mais surtout sur la portée de cesrecherches. Plus les présentations des autres disciplines seront « spécialisées » et « verbeuses »,plus le désintérêt risquera d’être grand car les résultats seront difficilement appropriables parles autres disciplines. Un deuxième problème engendré par cette démarche est qu’il est souventtrès difficile de fournir, à partir d’un tel programme, une synthèse ayant une portée opération-nelle pour les décideurs. Il lui sera souvent préféré un rapport exhaustif et volumineux permet-tant de respecter la richesse des travaux menés. Cette tendance encyclopédique n’est pas enaccord avec les besoins de signaux simples pour les décideurs. Enfin, et c’est peut-être là le prin-cipal problème, il existe un manque d’intégration dans ce type de projet. En effet, les résultatsdes travaux réalisés par les différentes disciplines risquent, s’ils ne sont pas articulés de manièrecohérente, d’être une source de confusion pour les utilisateurs des rapports du fait d’échellestemporelles, spatiales et mêmes symboliques hétérogènes (concernant les unités d’équivalenceet les paramètres clés). Cela peut être une source de tensions et même de contradictions entreles résultats, en particulier dans les grandes organisations internationales qui ont segmentéleurs divisions ou leurs départements dans un objectif de rationalisation du traitement desproblèmes. A titre d’exemple, comme le souligne les travaux de l’Institution inter-américaine decoopération agricole à propos des recommandations de la Banque mondiale (Reed, 1999, p.19) :« alors qu’on crée d’un côté des incitations au développement des exportations et à l’exploita-tion plus intensive des ressources naturelles, on prône d’autre part des nouvelles politiques enfaveur de la conservation de l’environnement et de ces mêmes ressources naturelles ». Cela estsimplement dû à un manque de mise en cohérence préalable des expertises réalisées dans lesdivisions du développement et de l’environnement de cette organisation.En fait, ces travaux menés parallèlement nécessitent un lourd travail de mise en cohérence expost. Ce dernier est parfois impossible tant les travaux ont été menés à des échelles différentes.L’approche pluridisciplinaire offre ainsi un outil méthodologique assez pauvre pour réaliser destravaux transversaux intégratifs et ne permet pas de mettre en commun des savoirs dispersés.

Ceci explique pourquoi de nombreux scientifiques insistent sur la nécessité de l’émergenced’une théorie de l’intégration – « inclusive theory » (Yorque et al., 2002). La « science de la soute-nabilité » est une référence directe à cette théorie de l’intégration. Elle abandonne toute réfé-rence disciplinaire au profit d’un domaine d’étude qui est la soutenabilité ou la durabilité. Le terme de « science de la soutenabilité52» a été créé par le Conseil de la recherche nationalaméricain (National Research Council, 1999) dans l’objectif spécifique d’imaginer un espace deréflexion concernant les interactions entre les dynamiques sociales et les dynamiques écologi-ques. Elle souhaite accorder une importance égale à la manière dont les dynamiques écologi-ques ont un impact sur les questions sociales et à la manière dont les dynamiques sociales ontun impact sur les questions écologiques (Clark et Dickson, 2003).

51 Les coûts de transaction sont liés à la diversité des systèmes de valeur, à l’intégration des connaissances dispersées, à la mise en ?uvre d’ac-cords et au contrôle de leur application, à l’établissement de droits (North, 1999). Il s’agit des coûts qu’il est nécessaire de surmonter pourréaliser un travail collectif et rendre une organisation efficace, que celle-ci ait pour objectif de générer des profits, de diriger une nation oude conserver une biodiversité commune.

52 Voir : http://sustainabilityscience.org

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Mettre en place une science de la soutenabilité nécessite d’adopter une approche interdiscipli-naire. Dans ce cadre, les scientifiques travaillent ensemble pour résoudre un problème commun.Les interactions entre les représentants des différentes disciplines sont obligatoires puisqu’ilsdoivent définir collectivement les objectifs du programme, les échelles de référence, les proto-coles, les paramètres clés à étudier, les différentes étapes à suivre, etc. Il est donc nécessaire deconstruire une communauté d’intérêt concernant une question ou un problème, pour parvenirà réaliser un tel travail, c’est-à-dire commencer par réduire les coûts de transaction entre lesparticipants. En effet, dans un tel processus, les représentations, intérêts et préférences vontentrer en conflit et chaque participant va devoir accepter de perdre une partie de ses espacesde liberté. Ainsi, mettre en place des travaux véritablement interdisciplinaires, qui permettent dedévelopper des informations intégrées, synthétiques et parlantes, nécessite pour les participantsde relâcher leurs hypothèses de scientificité issues de leurs disciplines respectives. Les représen-tants des différentes disciplines doivent aussi accepter que leurs savoirs et leurs études nesoient pas totalement représentés dans les travaux interdisciplinaires qui n’auront retenu que lestrict minimum nécessaire au traitement de la problématique. Il s’agit là du prix à payer pour avoir un véritable processus interactif permettant de développerun outil réellement intégré. C’est pourquoi les participants à de tels projets doivent faire preuved’une volonté d’ouverture sur les autres disciplines, d’une disposition pour la discussion etl’échange, de capacités pédagogiques importantes, dans la perspective de créer une atmosphèrepropice à un travail collectif nécessitant un investissement argumentaire important. Eluder cesquestions « humaines » qui peuvent apparaître « non scientifiques », c’est prendre le risque d’en-gager le processus dans une succession de conflits qui conduira inexorablement à des blocages. C’est pourquoi il faut considérer les travaux interdisciplinaires comme de véritables processussociaux impliquant (Callon et al., 2001 ; Rouwette et al., 2002 ; Vennix, 1996, 1999) : l’usage derègles permettant à la fois d’animer le travail collectif et de réguler les rapports de forces fondéssur des statuts spécifiques et des asymétries d’information53; le recours à des outils de média-tion qui facilitent les négociations et permettent de créer un langage commun autour de laproblématique traitée ; l’existence d’un animateur-médiateur, légitime aux yeux des partiesprenantes, qui va donner aux travaux interdisciplinaires leurs caractères « efficace » et « juste »en veillant à ce que les règles du jeu à la base du processus soient respectées. L’approche interdisciplinaire n’empêche cependant pas l’existence de domaines de compétence.Ainsi, en ce qui concerne la question de la conservation de la biodiversité, de nombreux pointsne peuvent être traités que par des biologistes : l’évaluation des crises d’extinction, la viabilitédes dynamiques de population, les réponses adaptatives des populations aux pressions, lesfonctions écologiques fournies par les écosystèmes... D’autres seront traités par les sciencessociales : la création de revenus, la répartition des bénéfices liés à la conservation des écosys-tèmes, les problèmes fonciers, les services auxquels renvoient les fonctions écologiques, la ques-tion des représentations et des conflits... Cependant, toutes les questions doivent donner lieu,dans ce contexte, à des mises en commun et permettre de souligner les interdépendances quiexistent entre les dynamiques sociales et les dynamiques écologiques.

Si l’on reprend la figure 10, nous pouvons noter que l’émergence d’une science de la conserva-tion fondée sur l’intégration disciplinaire n’est cependant pas un élément suffisant pour insti-tuer une gestion adaptative de la biodiversité. En effet, il est aussi nécessaire d’instaurer unprocessus d’interactions entre cette science de la conservation et les acteurs de la gestion de labiodiversité à proprement parler. Dès lors, la question de la diversité des acteurs qui cohabitentdans un même écosystème devient centrale et c’est pourquoi certains auteurs préfèrent auconcept de gestion adaptative ceux de co-gestion adaptative (adaptive co-management) (Lalet al., 2002), de gouvernance adaptative (adaptive governance) (Dietz et al., 2003) ou de gestioncommunautaire (community-based natural resource management) (www.cbnrm.net) que nousnommerons de manière générique co-gestion adaptative. La co-gestion veut dire « partage des savoirs et des pouvoirs ». La seule différence entre lagestion adaptative et la co-gestion adaptative est que le principal problème d’incertitude àtraiter pour ce deuxième courant ne concerne pas les interactions écologiques mais les interac-tions sociales. Dans cette perspective, gérer la biodiversité nécessite avant tout de gérer lesinteractions entre les hommes à propos de la biodiversité en vue de coordonner leurs actionssur celle-ci (Lal et al. 2002).

53 En effet, l’interdisciplinarité n’a aucun sens si elle se traduit par la domination de l’opinion d’une discipline sur les autres.

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Elle postule que « la gestion est passée de : « gérer en s’appuyant sur des experts, une entitébien cernée pour la conserver proche de son état existant », à : « gérer en prenant compte et enassociant la diversité des acteurs et de leurs attentes, une entité très partiellement connue etintrinsèquement évolutive, pour lui préserver ses capacités d’évolution à long terme » […].L’enjeu n’est donc pas de substituer cette réalité par une autre et de rêver à une sorte denouvelle technocratie (écologiquement) éclairée, mais de "gérer la gestion", c’est-à-dire d’inter-venir dans un réseau d’intelligence répartie54 pour en améliorer le fonctionnement global »(Chevassus-au-Louis, 2002).Il est à cet égard important de souligner que « le problème posé par les risques globaux entermes de choix sociaux est bien celui de la nature précise de l’articulation entre expertise, déci-deurs publics et opinion publique » (Trannoy et Van Der Straeten, 2001, p.83). En particulier, ilexiste souvent des relations privilégiées entre les experts et les décideurs, les premiers propo-sant des « recommandations d’actions publiques » aux seconds (Trannoy et Van Der Straeten,2001). Dans ces conditions, les décisions politiques apparaissent comme le résultat d’avis d’ex-perts, qui se substituent dès lors aux préférences des citoyens. Le processus d’expertise devientun processus normatif grâce auquel « l’expert fait passer, en toute impunité, une idéologie,l’idéologie de l’expert : la validité absolue de son savoir parcellaire, énoncé comme une véritéinfaillible » (Morin, 1996, p.256). Cela ne pose pas réellement de problème si les préférencescollectives des décideurs et des experts correspondent aux préférences collectives des citoyens.Mais cela suppose alors un monde sans incertitude où les préférences des citoyens sont homo-gènes. La co-gestion adaptative postule justement que ces préférences sont hétérogènes et qu’ils’agit là du principal problème à traiter si l’on veut appréhender correctement la complexité descontextes décisionnels et des choix collectifs relatifs à la biodiversité.Dès lors, il est nécessaire de s’intéresser aux institutions qui contribuent à organiser de manièrejuste les interactions sociales qui seront à l’origine des compromis sociaux nécessaires aux choixcollectifs concernant la conservation de la biodiversité. La démocratie représente la premièrede ces institutions. La démocratie représente un « régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l’intermédiaire d’un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentantsinterposés (démocratie représentative) » (Petit Larousse, 1995, p.322). Dans les faits, c’est ladémocratie représentative qui est le système institutionnel dominant. « La démocratie représen-tative est en principe une démocratie parlementaire : les Parlements sont des assembléesd’hommes et de femmes, plus souvent d’hommes, choisis pour leur sagesse et dont les délibé-rations sont supposées déboucher sur la meilleure décision possible » (Delacampagne, 2000,p.19, cité par Callon et al., 2001, p.327).

Au-delà de ces définitions formelles, la démocratie est une institution très flexible qui évolue àpartir d’un processus continu d’apprentissage car elle admet (North, 1999) :

- Que les choix politiques et les opinions sont construits sur des conjectures faillibles.- Que l’opinion se construit à partir d’un processus interactif d’apprentissages et de

découvertes.- Que l’élément central de ces processus n’est pas la suprématie d’une opinion mais les

capacités qui existent à contester cette opinion majoritaire.C’est pourquoi la démocratie est, selon Jacques Sapir (1998, p.215), « la combinaison de la libertéde controverse et de la responsabilité du décideur devant les exécutants ».

La démocratie implique un certain nombre de principes supérieurs communs : – un principe de tolérance qui offre à chaque citoyen la liberté de pouvoir exprimer ses

croyances et ses idées ; – un principe de séparation des pouvoirs qui permet l’instauration d’un Etat de droit et

de protéger les citoyens de tout abus ; – un principe de justice sociale qui vise à réduire les inégalités (Acheson, 1994 ; North,

1999 ; Delacampagne, 2000).

54 « Capacités de perception et de compréhension de l’environnement et d’adaptation à ces évolutions ».

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En plus d’être juste, la démocratie est un système institutionnel efficace. Ainsi, la démocratiereprésente le seul contexte institutionnel dans lequel aucune famine n’a pu être historiquementidentifiée55 (Sen, 1981). Par ailleurs, son apparition s’accompagne, à court ou moyen terme, d’unensemble d’innovations institutionnelles (clarification des droits de propriété…), organisation-nelles (développement d’une presse indépendante…) et techniques (mise en place d’un systèmede mesure objectif…) qui sont une source importante de réduction des coûts de transactiondans une société (North, 1999). Tous ces éléments expliquent pourquoi la démocratie offre le contexte nécessaire à toute tenta-tive de mise en place d’une co-gestion adaptative. Ce contexte peut être envisagé à troiséchelles spatiales. L’échelle de référence de la démocratie est l’Etat. En effet, les Parlements nationaux sont la basedes systèmes démocratiques. Cependant, cette échelle a perdu de son importance avec la mondialisation. Les décisions natio-nales sont aujourd’hui largement dépendantes de décisions qui ont lieu à une échelle supé-rieure. Or, il n’existe pas d’institutions démocratiques à l’échelle internationale. Il existe certesdes organisations internationales censées gérer les relations existant à cette échelle mais cesorganisations ne fonctionnent pas sur un mode démocratique : la Banque mondiale et le Fondsmonétaire international fonctionnent à partir d’un système de vote censitaire dont les quotes-parts sont proportionnelles aux sommes versées à l’organisation (les Etats-Unis ont ainsi prèsde 17 % des voix tandis que les 47 pays d’Afrique sub-saharienne disposent au total de 2,5 %des voix dans ces deux organisations). L’Organisation mondiale du commerce fonctionne enthéorie sur le principe « d’un pays égale une voix », mais comme les Etats-Unis et l’Union euro-péenne ne peuvent admettre d’être mis en minorité, le système de vote n’a jamais été utilisépour prendre des décisions au sein de l’organisation qui fonctionne finalement à partir d’unprincipe de consensus dont les règles ne sont pas définies. Seule l’ONU applique la règle « d’unpays égale une voix » mais elle est rendue caduque par le Conseil de sécurité qui donne lepouvoir de décision à ses cinq pays membres. Ceci explique pourquoi la mise en place d’une co-gestion adaptative de la biodiversité va être rendue difficile à l’échelle d’un pays structurelle-ment dépendant de relations internationales (Trommetter et Weber, 2005). Dans ce cas defigure, les règles du jeu ne sont en effet pas celles de la démocratie mais d’un marché très peuréglementé. La troisième échelle (après l’Etat et le monde) est l’écosystème et le territoire, c’est-à-direl’échelle locale. La démocratie, à ce niveau, est devenue un enjeu de plus en plus fort, au fur età mesure que des critères de bonne gouvernance locale étaient mis en place par les organisa-tions internationales en charge du développement et de la conservation. Ceci explique pourquoila participation, la consultation, la concertation, la délibération, la négociation, la médiation…sont devenues au cours des dernières années autant de concepts « opportuns » pour répondreau besoin d’une démocratie locale renouvelée et, in fine, aux problèmes de conservation et dedéveloppement.

Au delà de cette vision « idéalisée » défendue par les organisations internationales, plusieursraisons poussent cependant à adopter l’échelle écosystémique locale comme échelle spatiale deréférence pour la co-gestion adaptative de la biodiversité. Des raisons théoriques tout d’abord, car l’écosystème représente une entité géographique rela-tivement homogène – même si elle peut être de taille très variable – définie à partir des inter-actions existant entre les êtres vivants – parmi lesquels l’être humain a aujourd’hui une placecentrale – et leur environnement. Ainsi, la gestion de la biodiversité nécessite de connaître et decomprendre, au moins partiellement, les interactions écologiques ainsi que les interactionssociété-nature pour pouvoir les gérer. L’identification de ces interactions ne peut être réaliséequ’à partir d’une perception locale – ou écosystémique – des dynamiques en jeu, c’est-à-dire àl’échelle de la perception humaine. En effet, même si le traitement des grands nombres permetd’identifier des corrélations statistiques entre différents paramètres à de larges échellesspatiales, la réalité des interactions décrites est locale.

55 Les liens entre démocratie et développement humain sont cependant difficiles à établir. Partha Dasgupta (2001, p.57) trouve ainsi des corré-lations positives pour l’année 1980 entre le développement humain et les droits civils et politiques (sur un échantillon de 46 PED), puis néga-tives pour les années 1995-96 (sur un échantillon de 36 PED). Il propose ensuite une troisième évaluation, dynamique celle-là, cherchantdes corrélations sur les évolutions ayant eu lieu entre 1970 et 1980. Il trouve dès lors une corrélation positive entre les droits civils et poli-tiques d’une part, l’espérance de vie et le PNB d’autre part, mais une corrélation négative entre ces droits et le taux d’alphabétisme.

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Des raisons pratiques ensuite. La co-gestion adaptative a en effet un ancrage local car il s’agitde l’échelle spatiale à laquelle les asymétries d’information sont les moins importantes et oùles comportements opportunistes peuvent être rapidement identifiés et sanctionnés. C’estégalement à cette échelle qu’il est possible de décrire les contextes qui permettent d’identifier :les services offerts par la biodiversité à l’homme ; les forces directes et indirectes de change-ments de l’état de la biodiversité ; les acteurs à l’origine de ces changements ; les réponses poli-tiques adaptées au contexte écologique et social. Il s’agit, par ailleurs, de l’échelle à laquelle lesinteractions sociales sont les plus intenses, et où il est donc possible de mobiliser un fort capitalsocial et d’imaginer des systèmes institutionnels de coopération entre acteurs locaux à proposde problèmes communs – telle que la conservation de la biodiversité (Ostrom, 1990 ; Pretty,2003). Il s’agit donc d’une échelle privilégiée pour lancer des processus de discussion et de négo-ciation qui permettront d’imaginer et de tester des innovations institutionnelles, techniques ouorganisationnelles concernant la gestion de la biodiversité. Il existe enfin une raison institutionnelle pour adopter une approche écosystèmique : il s’agit del’échelle spatiale retenue par le Millennium Ecosystem Assessment, la Convention sur la diver-sité biologique et le programme Man and Biosphere de l’Unesco56.

Au-delà de la démocratie, l’identification des institutions permettant de faciliter les échangesentre acteurs et de faire émerger des comportements innovants pour la mise en place d’une co-gestion adaptative de la biodiversité efficace est délicate. En effet, la plupart des institutionssont de nature informelle et ont une dimension contextuelle (North, 1999). Ainsi, les origines dusuccès d’une règle locale pour la gestion de la biodiversité ne sont pas forcément bien connues.Le « savoir comment » et le « savoir pourquoi » vont de pair mais ils sont souvent difficiles àappréhender de concert (Sapir, 1998). On constate souvent qu’une règle a permis une bonnegestion de la biodiversité, et on postule que ce succès est lié à un certain nombre d’interactionsentre un certain nombre de paramètres. Pourtant, il existe le plus souvent beaucoup d’incerti-tude sur les origines réelles du succès de cette règle. Rappelons qu’Arun Agrawal (2001) iden-

56 Il apparaît cependant que la demande pour des outils de gestion de la biodiversité, tels que des indicateurs, ne peut être créée artificielle-ment à une échelle locale en partant d’un processus top-down (d’Aquino, Seck et Camara., 2002) et que les indicateurs de développementdurable ne survivent jamais au départ des programmes participatifs qui les ont initiés à cette échelle (Garcia et Lescuyer, 2006). Le problème,en effet, est que les organisations internationales confondent souvent leurs besoins avec ceux des populations. Ainsi, le développementdurable ou la conservation de la biodiversité sont des concepts technocratiques qui ne renvoient le plus souvent à rien de concret pour lespopulations locales.

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tifie ainsi trente-trois paramètres importants pour envisager une bonne gouvernance locale desressources naturelles renouvelables en propriété commune, entre lesquels il existe denombreuses interactions. C’est pourquoi les règles locales « gagnantes » ne sont pas forcémentgénéralisables et ce d’autant moins que l’environnement dans lequel elles ont été construitesest un environnement complexe et partiellement intelligible. Carl Folke (2003) identifie cependant quatre conditions premières pour que des systèmes de co-gestion adaptative puissent émerger :

1) Apprendre à vivre dans l’incertitude et le changement. Cette manière de vivre étaitcelle de nos aïeux et il est nécessaire de réhabiliter certaines pratiques : comportementséconomes, gestion des risques à partir d’une gestion de la diversité, décision impliquantun principe élémentaire de précaution. Tous ces traits comportementaux ont pourobjectif commun de minimiser les risques encourrus.

2) Que la diversité devienne un maître-mot dans un contexte international d’uniformi-sation des modes de consommation et de production. La diversité sociale et écologiquereprésente une source de créativité, une forme d’assurance contre les mauvaisessurprises, la mémoire écologique et sociale de la planète.

3) Construire de nouveaux systèmes de connaissance. En effet, les comportementsadaptatifs sont toujours fonctions des niveaux de connaissance, des expériencespassées et de la compréhension des dynamiques en jeu. Il est donc nécessaire qu’ilexiste des échanges entre les savoirs experts concernant les dynamiques complexes dessystèmes et les savoirs profanes fondés sur la gestion locale des systèmes. Il faut queles informations relatives aux dynamiques adaptatives soient intégrées dans les insti-tutions sociales de gestion de la biodiversité puis relayées par des réseaux sociaux,mieux adaptés que les organisations d’expertise rigides.

4) Créer des opportunités d’auto-organisation. Il est en effet nécessaire de laisser lacréativité et les variabilités s’exprimer, de manière à pouvoir faire co-évoluer lessystèmes sociaux et écologiques.

Démocratie technique et co-construction des indicateursLa co-construction des outils de gestion de la biodiversité est une première étape vers la co-gestion adaptative de cette dernière. Cette co-construction est fondée sur les principes de la« démocratie technique ». La démocratie technique se manifeste aujourd’hui dans les controverses socio-techniques àtravers l’émergence des forums hybrides57 qui permettent aux minorités d’exprimer leursopinions tout autant que leurs préférences sur des questions jusque là réservées aux experts(Callon et al., 2001). Elle repose sur les même principes de tolérance, de séparation des pouvoirset de justice sociale que la démocratie.La démocratie technique met l’accent sur le partage des savoirs qui est le pendant du partagedes pouvoirs. Pour cela, elle défend deux postulats. Il existe une symétrie d’ignorance entre tousles acteurs concernés par un problème commun (Arias et Fischer, 2000). Cette hypothèseimplique qu’aucun acteur – individuel ou collectif – ne dispose de suffisamment de connais-sance et de légitimité pour résoudre un problème de nature collective : « Most of what any indi-vidual “ knows » today is not in her or his head, but is out in the world (e.g., in other humanheads or embedded in media » (Arias et Fischer, 2000, p.1). Les connaissances sont disperséesdans des rapports, des pratiques, des institutions, des savoirs, des mémoires. Dès lors, et c’est le second postulat, il est nécessaire de mettre en place des procédures qui : faci-litent un désenclavement des savoirs ; impliquent la participation de toutes les parties prenantes

57 « Forums, parce qu’il s’agit d’espaces ouverts ou des groupes peuvent se mobiliser pour débattre de choix techniques qui engagent le collectif.Hybrides, parce que ces groupes engagés et les porte-parole qui prétendent les représenter sont hétérogènes : on y trouve à la fois desexperts, des hommes politiques, des techniciens et des profanes qui s’estiment concernés. Hybrides également, parce que les questions abor-dées et les problèmes soulevés s’inscrivent dans des registres variés » (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001, p.36).

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concernées par un problème commun ; permettent des échanges d’information pour qu’unmaximum de personnes puissent bénéficier des savoirs dispersés (Dietz et al., 2003). Deux éléments, en particulier, doivent permettre de mieux faire face à l’incertitude et de mettreen place des processus d’apprentissage collectif dynamiques (Callon, Lascoumes et Barthe,2001) : l’exploration des mondes possibles et l’exploration du collectif. Ces deux formes d’ex-ploration ont pour objectif de compléter la double délégation démocratique traditionnelle, celleofferte aux décideurs politiques et celle offerte aux experts, en vue de réaliser un véritablepartage des pouvoirs et des savoirs. L’exploration des mondes possibles se caractérise par le passage d’une logique d’expertise àune logique de coopération entre différentes sources de savoirs. Cela ne veut pas dire uneremise en question des connaissances spécifiques des experts et de leurs compétences maissimplement qu’il est nécessaire de les partager et de les soumettre à la controverse. Cettecoopération est fondée sur l’idée que les savoirs scientifiques et les savoirs profanes doivent secompléter et se nourrir les uns les autres pour améliorer l’information collective sur unproblème complexe tel que celui de la gestion de la biodiversité58. Cet enrichissement mutuels’explique facilement si l’on reprend les hypothèses liées au théorème du jury de Condorcet(Trannoy et Van Der Straeten, 2001). En effet, les scientifiques et les profanes concernés par unequestion commune sont respectivement plus « experts » et plus « proches du terrain » que lamoyenne. Or, ces deux éléments sont des facteurs essentiels de réduction du risque d’erreur lorsde la formulation de l’opinion. Dans cette perspective, la diversité des perceptions et des expé-riences, liée à la diversité des communautés de pratique concernées par la question de la biodi-versité, est avant tout une source d’apprentissage collectif et d’information, et pas seulementde conflits de représentations. En effet, ces communautés disposent de savoirs spécifiques surla biodiversité qu’il est intéressant de pouvoir mutualiser.Pour mettre en commun les savoirs profanes et les savoirs experts, il est nécessaire de tenircompte en premier lieu des différences qui existent entre eux.

58 Il existe différents niveaux de coopération (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001, p. 175). Le simple retour sur le terrain des recherches menéesen laboratoire en est le premier niveau. Il y a ensuite le travail collectif des scientifiques et des profanes autour d’une problématique scien-tifique. Il s’agit d’une coopération plus importante, mais les savoirs profanes restent instrumentaux. C’est pourquoi il existe une troisièmeforme de coopération, correspondant à la démocratie technique, qui commence dès la formulation de la problématique et permet ainsi decroiser des questions scientifiques et sociales. Cette formulation en passe par des discussions et des négociations pour savoir laquelle est laplus intéressante à traiter pour les différentes parties.

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La principale différence entre les savoirs profanes et les savoirs experts concerne leur origine :des connaissances tacites59 pour les premiers et des connaissances explicites pour les seconds(Cowan et Foray, 1998). La différence entre ces deux formes de connaissances est liée au niveaude codification sur lequel elles reposent. Les connaissances explicites sont basées sur un niveaude codification important – livres, données statistiques, modèles mathématiques – qui permet-tent de les formaliser. Les connaissances tacites appartiennent souvent au monde des représen-tations sociales, du savoir-faire et de l'expérience. Elles sont donc difficiles à formaliser etconsidérées comme « subjectives60» .

La différence entre savoirs profanes et savoirs experts est aussi relative à trois autres éléments(Adams et al., 2003) :

- La manière d’appréhender empiriquement la réalité d’un phénomène. Elle sera en effetfonction d’expériences personnelles pour les acteurs locaux et d’études standardisées –suivis, enquêtes, traitements statistiques – pour les scientifiques.

- Les institutions de référence auxquelles les individus se réfèrent pour justifier la perti-nence d’un savoir. Il s’agira des institutions nationales et internationales pour les scien-tifiques tandis que les acteurs locaux se focaliseront principalement sur les institutionscoutumières et les conventions sociales.

- Les croyances qui vont permettre de considérer une information comme intéressanteou non. Les experts ont une grande foi dans les données formelles tandis que les popu-lations locales se réfèrent plus au « bon sens ».

L’exploration des collectifs nécessite le passage d’une logique d’agrégation des individus àune logique de composition d’un collectif. On ne cherche pas à avoir une somme d’agentsreprésentatifs mais à créer des processus d’interactions sociales, de discussions, de négociations,entre des identités émergentes. Dans cette perspective, « les intérêts sont plastiques, les iden-tités négociables, les revendications discutables : non seulement aucune tradition solide etcontraignante ne peut être invoquée, mais de plus les problèmes apparaissent contingents etleur résolution ne semble pas insurmontable. Dans les forums hybrides, les minorités posent desquestions auxquelles des réponses peuvent être trouvées sans trop de difficulté, à condition quel’on accepte de tout mettre en œuvre pour les rechercher » (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001,p.329-330). Ainsi, les participants ne sont pas là pour défendre un groupe d’action constitué,traditionnellement représenté par les syndicats, les élus, les ONG, mais pour travailler sur unequestion commune à une échelle locale. Les acteurs impliqués ne sont pas des porte-parole maisdes porte-expérience, ce qui permet de dépasser les conflits de principe et de s’attacher auxquestions locales concrètes. Dans la perspective de la démocratie technique, l’offre et la demande d’outils socio-techniques– comme les indicateurs – se confondent. En effet, la distinction entre une offre contrôlée pardes experts et une demande contrôlée par des décideurs n’a plus cours. Il s’agit maintenant dedévelopper collectivement un outil en partant d’une expression collective des besoins. Concrètement, la co-construction des outils représente un travail interactif au cours duquelchaque partie prenante fait des propositions, formule des critiques, émet des doutes, affine sesdescriptions, en fonction de ses représentations propres. La co-construction correspond ainsi àune mise en interactions de modèles cognitifs et de représentations sociales hétérogènes. Cettemise en interactions conduit à construire des représentations collectives de questionscommunes. Le processus n’est pas figé, il évolue en fonction des remarques, des expériences, desdiscussions, etc. Il est possible de proposer une classification des processus de co-construction en identifiantdifférents niveaux de démarches scientifiques qui vont de l’approche la plus « confinée » jusqu’àl’approche la plus « terrain » (Callon et al., 2001 ; Mirault et al., 2006) : la compilation bibliogra-phique et la modélisation écologique standard qui ne prennent pas du tout en compte la

59 Les connaissances tacites sont définies comme « ce que nous savons » mais que « nous ne pouvons pas toujours dire ». Ce sont des connais-sances difficiles à exprimer ou qui peuvent apparaître d’un prime abord comme inutiles car les individus en ignorent la valeur.

60 Ces savoirs tacites, qu’il est difficile de traduire quantitativement, sont donc la plupart du temps négligés lors de la mise en place de systèmesd’information. Pourtant, ils sont souvent riches en informations lorsque les populations porteuses de ces savoirs interagissent depuis long-temps avec leurs écosystèmes. En particulier, les populations locales utilisent souvent des indicateurs tacites concernant les dynamiques decet environnement (Levrel et al., 2006).

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demande ; l’observation disciplinaire de terrain la prenant peu ou pas en compte ; les dires d’ex-perts en réponse à une demande potentielle ; les observations et/ou dires d’experts en réponseà une demande exprimée ; la co-construction avec les acteurs de la demande sociale.Cette classification de la prise en compte de la demande est à articuler avec celle des travauxtransdisciplinaires que nous avons proposés plus haut : l’approche disciplinaire ; l’approchepluridisciplinaire qui propose un traitement discipline par discipline ne nécessitant pas de créerune communauté d’intérêt autour d’un problème commun ; l’approche interdisciplinaire quipropose de définir collectivement les questions scientifiques et de créer une communauté d’in-térêt à partir de la co-construction d’une problématique commune. Plus l’approche tend versl’interdisciplinarité et l’implication des acteurs, plus l’offre et la demande ne feront qu’un(tableau 10).

Le Processus de décision adaptative – Adaptive Decision-Making Process – propose une versionopérationnelle de la démocratie technique, dans le domaine de la gestion des ressources natu-relles, à partir d’une méthode fondée sur un certain nombre d’étapes qui permettent de co-construire un système société-nature, une problématique et des outils qui vont aider à sontraitement dans un contexte collectif complexe (Lal et al., 2002) :1) Identification d’un sous-système impliquant :

- L’identification des acteurs clés.- L’identification des ressources clés pour ces acteurs.- L’identification des institutions clés pour ces acteurs.- L’identification des usages.

2) Lancement d’une réflexion fondée sur :- La construction d’une vision commune des dynamiques en jeu.- Des chercheurs qui jouent le rôle de médiateur.- Une intégration des connaissances dispersées.- La mise en place d’un processus d’apprentissage itératif.

3) Propositions d’actions collectives à partir de :- Proposition de stratégies qui permettent de respecter les contraintes écologiques et

sociales définies collectivement.- L’usage d’outils d’aide à la décision qui permettent :

> D’intégrer les données écologiques, économiques et sociales.> De réaliser des simulations fondées sur des scénarios « what if » et intéressant toutes

les disciplines.

Demande Offre Contraintes

Scénario 1 Construction à dire d’experts Elaboration d’une offre Bonne connaissance du terrain d’une demande potentielle à dire d’experts par les scientifiques « experts » ;

formes de restitution des indicateurs dans des forums institutionnels à prévoir

Scénario 2 Co-construction Elaboration d’une offre Bonne connaissance du terrain d’une demande à dire d’experts par les scientifiques « experts » ; analyse

de l’usage des indicateurs produits à prévoir

Scénario 3 Expression d’une demande Co-construction d’une offre Relation de confiance sociale par les acteurs d’indicateurs entre acteurs de terrain et scientifiques

Scénario 4 Co-construction Co-construction d’une offre Méthodes permettant cette d’une demande d’indicateurs construction dans des délais raisonnables

Source : Mirault et al., 2006, p.71

Tableau 10 : Les différents niveaux de co-construction.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

La démocratie technique pour développer des indicateurs de co-gestion adaptative de la biodiversité

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> De proposer des interfaces qui font sens pour toutes les parties.> D’offrir une meilleure compréhension aux acteurs locaux des interconnexions qui

existent entre les dynamiques sociales, écologiques et économiques.> De mettre en perspective les différents systèmes de valeur qui cohabitent dans le

système société-nature.> De favoriser l’émergence d’un monde commun.

- Processus de négociation, de conciliation et de médiation concernant les conflits d’in-térêt.

4) Apprentissage :- Instrumental, concernant la pertinence des outils utilisés.- Social, concernant la construction des problèmes et leur résolution.- Collectif, concernant les négociations et le partage des informations.

Le but de la démocratie technique est, in fine, de réconcilier les objectifs d’efficacité et dejustice en recherchant les synergies. La démocratie technique représente donc une fin et unmoyen. Une fin, car elle offre l’opportunité aux profanes d’avoir un accès aux informationsauparavant détenues par les « experts », de pouvoir discuter des problèmes qui les intéressentle plus, de confronter des représentations divergentes sur des problèmes communs et denégocier des accords éventuels. La démocratie technique offre aussi un moyen car l’ouverturedes processus d’expertise aux savoirs profanes permet d’améliorer les systèmes d’informationà partir d’une réduction des coûts de transaction et de lancer des dynamiques d’apprentis-sage collectif. Cette dynamique d’apprentissage est fondée sur la liberté de controverse qui est à la basede tout système démocratique. « La controverse permet de concevoir et d’éprouver des projetset des solutions qui intègrent une pluralité de points de vue, de demandes et d’attentes. Cetteprise en compte qui passe par des négociations et des compromis successifs, enclenche unprocessus d’apprentissage » (Callon et al., 2001, p.56). La démocratie technique est par ailleursune méthode efficace d’un point de vue scientifique car elle fonctionne comme un processuscontinu de réfutation et de justification qui doit permettre de faire avancer les discussions etd’affiner le traitement des questions collectives.

La contrainte principale pour initier de tels processus est de mettre en place les procédurespropres à tout système démocratique, c’est-à-dire de permettre aux négociations d’être lesplus justes possibles. Les débats doivent donc être transparents et fondés sur des principesd’équité concernant la représentativité, le temps de parole et la libre expression des opinions,de manière à permettre un certain équilibre des rapports de force. Il n’est en effet possible de passer des savoirs individuels aux connaissances collectives qu’àpartir d’un principe d’équité. C’est la croyance dans une réciprocité d’apport en informationqui incitera les agents à partager leurs expériences particulières et leurs connaissances spéci-fiques. Cette croyance est fonction des représentations que les agents ont du collectif danslequel ils s’insèrent et en particulier de la confiance dans la procédure qui permet d’organiserles débats (Favereau, 1994 ; Biencourt et al., 2001). Le fait que les participants aux forums hybrides jouent le jeu de l’échange est aussi lié auxcontraintes que fait peser sur les participants tout processus de discussion collectif ayant lieudans une arène publique. En effet, la dynamique de controverse qu’implique ce type deprocessus incite les participants à mobiliser de nombreux arguments et contre-arguments, àéclaircir les points qui ne le sont pas, à justifier et à réfuter toutes les affirmations. Dans cecontexte, les parties prenantes qui refusent le débat – en ne participant pas aux discussionsou en ne répondant pas aux questions – sont desservies par ces stratégies de blocage. Lesrésultats obtenus représenteront en effet mal leur point de vue. L’objectif final de la démocratie technique est que ces échanges permettent l’émergence d’unecommunauté d’intérêt autour d’une question commune telle que la gestion de la biodiversité.Comme nous venons de le dire, cela nécessite de faire converger des perceptions hétérogènesconcernant un problème commun. Il semble donc important d’aller plus loin dans la compré-hension des processus cognitifs sous-jacents à la construction des croyances et des représen-tations.

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Quelques principes fondés sur la prise en compte des perceptions pour évaluer la qualité des indicateurs de biodiversité et d’interactionsPour mieux appréhender les besoins des acteurs concernant les indicateurs de biodiversité, il estnécessaire de s’attarder sur leurs perceptions de la biodiversité et sur les capacités cognitivesdont ils disposent pour utiliser des indicateurs. Un problème de fond, comme nous l’avons souligné plus haut, est que les organismes en chargede la construction des indicateurs imaginent que ces derniers doivent permettre de piloter unsystème d’interactions société-nature. Les indicateurs traditionnels sont ainsi souvent envi-sagés à partir d’une hypothèse de rationalité illimitée et d’un processus de décision fondé surle calcul. Il existerait donc un pilote – appelé usuellement gestionnaire ou décideur – qui vapouvoir grâce à un tableau de bord d’indicateurs maîtriser le système d’interactions société-nature en vue d’en maintenir l’équilibre (Levrel et al., en révision ; Bouleau, 2006). Selon cettehypothèse, un système d’indicateurs économiques, écologiques et sociaux pourrait permettre decontrôler les interactions entre ces différentes sphères sans pour autant avoir besoin de perce-voir directement l’environnement auquel il renvoie comme le fait le pilote d’avion lorsqu’il vole« aux instruments ». L’altimètre, l’anémomètre, le variomètre et le GPS lui offrent les signauxnécessaires à l’adoption d’une trajectoire optimale qui consiste à aller d’un point A à un pointB. Le problème est que :

- Les indicateurs liés au développement durable et à la gestion de la biodiversité sont desindicateurs qui admettent des espaces d’incertitude très importants.

- Les indicateurs ne sont pas d’une grande utilité si on ne sait pas traiter l’informationcontenue dans les signaux envoyés par les indicateurs.

- Les indicateurs ne contiennent pas, le plus souvent, un sens univoque. Ils doivent êtreinterprétés pour permettre la prise de décision.

- Il n’y a pas un décideur rationnel pour piloter l’avion mais une multitude d’acteurshétérogènes qui ne veulent pas aller au même endroit et ne souhaitent pas piloterl’avion de la même manière.

C’est pourquoi dans les faits, la réalité est tout autre. Les décideurs ou les gestionnaires ne seconsidèrent jamais comme en situation de piloter un système (Mirault, 2006) mais plutôtcomme des acteurs parmi d’autres qui essaient d’influer sur les dynamiques. En fait, il existe denombreux acteurs hétérogènes qui utilisent tous des signaux différents – sans jamais appelerça des « indicateurs » – adaptés à leurs besoins spécifiques (Levrel et al., 2006). Seuls lesconstructeurs d’indicateurs arrivent à imaginer une situation de tableau de bord permettant depiloter un système. Nous proposons dans cette sous-section de reposer la question de la qualité des indicateurs enpartant des modèles cognitifs et des processus d’apprentissage, en vue d’identifier des principescomplémentaires aux critères utilisés par les organisations statistiques (tableau 11) : un principede contextualisation, un principe de hiérarchisation, un principe de rétroaction, un principed’exploration et un principe d’interaction.

Un principe de contextualisationIl est primordial de considérer que la rationalité des acteurs est procédurale et que les signauxémis par les indicateurs transportent toujours une information dont le sens doit être extrait àtravers une interprétation et complété par des connaissances spécifiques. Pour comprendre lesliens qui existent entre les connaissances des acteurs et les connaissances véhiculées par lesindicateurs, il est possible d’avoir recours aux notions de connaissance codifiée et de connais-sance tacite, comme nous l’avons déjà fait plus haut (Cowan et Foray, 1998). Il existe en effetune relation de complémentarité entre ces dernières : sans connaissances tacites, il est impos-sible d’utiliser les connaissances codifiées qui ne transportent qu’une information incomplète.C’est pourquoi les différences de connaissances tacites des acteurs conduisent à des interpré-tations différentes des signaux émis par les indicateurs (Batifoulier et Thévenon, 2001). Parailleurs, l’utilisation de connaissances codifiées va avoir une influence sur les connaissancestacites qu’ont les individus du monde et, inversement, ces représentations mentales vont jouer

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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un rôle sur les représentations simplifiées du monde qu’offrent lesindicateurs. Les « décideurs » auxquels s’adressent les indicateurs,leurs capacités de traitement de l’information et leurs représenta-tions doivent donc être sérieusement pris en compte lorsqu’oncherche à évaluer la pertinence des indicateurs de biodiversité etd’interactions.Tous les individus se sont construits un véritable monde virtuel danslequel des représentations interagissent. Les indicateurs doiventpouvoir être situés par rapport à ces représentations du monde. Ilfaut qu’il existe une adéquation entre les « mondes » créés par lesindicateurs et les « mondes communs » auxquels font référence lescommunautés de pratique lorsqu’elles agissent.Un élément qui nous intéresse ici tout particulièrement est la capacité dont disposent les individus à traiter les signaux émis parles indicateurs. En fait, ces capacités sont beaucoup plus faibles quene l’imaginent les concepteurs de systèmes d’information (North,1999) et elles le seront d’autant plus que les informations transmises sont éloignées de laculture, de la connaissance et des habitudes de l’individu. Pour améliorer ces capacités de trai-tement, il est possible de contextualiser l’indicateur. Cela permettra de rendre les modèles cogni-tifs plus à-même de traiter rapidement l’information contenue dans les signaux. En effet, c’estle contexte qui crée une situation dans laquelle les indicateurs sont parlants, de compléter lesconnaissances codifiées transmises par le signal et de donner un caractère pertinent à l’indica-teur. Ce contexte renvoie à plusieurs choses.Tout d’abord à l’interface. En effet, pour que les indicateurs atteignent leurs cibles et soientpertinents, il faut que l’interface utilisée soit adaptée au public visé (Levrel et al., 2006). Il serapar exemple totalement inefficace de vouloir communiquer avec des chasseurs africains anal-phabètes à partir d’indicateurs représentant des taux de croissance d’évolution des populationsanimales d’une réserve. En revanche, des indicateurs spatialisés concernant l’évolution del’abondance de gibiers seront vraisemblablement bien accueillis par ces communautés depratique. Inversement, un scientifique veut voir des courbes, des ratios et des indices qui concer-nent des objets précis. Un deuxième élément important pour contextualiser les indicateurs est que les informationstransmises par ces derniers puissent se traduire en évènements concrets sur la vie des personnes(North, 1999). Ainsi, « le développement des connaissances dépend de leurs incidences atten-dues sur la vie de tous les jours » (Douglas, 1999, p.70). Cela veut dire, notamment, que les indi-cateurs puissent évoluer sur des pas-de-temps relativement courts tout en traduisant destendances de long terme, mais aussi que ces tendances soient reliées à des paramètres quitouchent le quotidien des communautés de pratique concernées61. Un troisième élément est relatif à la présentation du système dans lequel l’indicateur s’inscrit. Ilfaut pouvoir souligner la portée réelle de l’indicateur et ses limites sans quoi son sens risquerad’être équivoque. Un exemple d’indicateur d’interactions société-nature qui répond bien à ce critère est l’indica-teur d’éco-efficience que nous avons décrit dans la seconde section. Il permet de mesurer l’ef-ficacité avec laquelle les ressources sont utilisées pour produire des biens et des services. Cetindicateur de développement durable est très parlant pour le « monde industriel » qui utilisecomme principe supérieur commun l’ « efficacité » (Boltanski et Thévenot, 1991) et se fixe desobjectifs de « performance ». Il renvoie à des méthodes de production concrètes, et le calcul descoûts et des bénéfices liés au changement technique est aisé. L’usage de cet outil doit cepen-dant être réalisé avec précaution car, comme tous les outils qui mobilisent fortement les repré-sentations, il peut être une source de manipulation importante (Hukkinen, 2003).

61 Cela ne veut pas dire que les évènements qu’il est difficile de renseigner à partir d’indicateurs touchant le quotidien des acteurs ne doiventpas être pris en compte – ces questions devant être gérées en premier lieu par les décideurs politiques qui peuvent adopter des stratégiesde long terme – mais que l’appropriation des problématiques globales sera d’autant plus forte qu’elle pourra être reliée avec des élémentsdu quotidien auxquels les individus sont d’ores et déjà sensibilisés.

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Un principe de hiérarchisationLes expériences menées dans la mise en place d’indicateurs de développement durable depuisune quinzaine d’année par les organismes nationaux et internationaux ont permis d’identifierune constante : un effet de liste relatif aux batteries d’indicateurs d’interactions société-nature(Lavoux, 2006). En effet, la plupart des rapports sur les indicateurs de développement durablesouhaitent offrir une vision relativement exhaustive de la question du développement durable,de manière à bien souligner le caractère multidimensionnel de cet objet mais aussi à prendre encompte la grande diversité de représentations le concernant. C’est à partir d’un tel objectif quel’Institut français de l’environnement en était arrivé en 2001 à identifier 307 indicateurs dedéveloppement durable (Ifen, 2001a). Cet effet de liste est aussi lié, comme nous l’avonssouligné dans la seconde section, à la multiplication des programmes de construction d’indica-

teurs d’interactions société-nature au sein de nombreux organismes cesdernières années.La grande quantité d’indicateurs créent trois problèmes majeurs(Lavoux, 2006). En premier lieu, elle est à l’origine d’un phénomène desaturation informationnelle. En effet, les indicateurs envoient dessignaux qui doivent permettre de prendre des décisions. Si le manque designaux accroît les espaces d’incertitude pour la prise de décision, l’excèsde signaux pose aussi un problème car il nécessite des capacités de trai-tement de l’information dont l’homme ne dispose pas. Ainsi, la mise enplace d’un trop grand nombre d’indicateurs peut devenir une sourced’accroissement de l’incertitude plus que de réduction de celle-ci. Ceciest d’autant plus vrai que les indicateurs n’évoluent pas de concert dansles tableaux de bord et que le sens de ces évolutions est souvent équi-voque pour les indicateurs synthétiques. Ainsi, l’interprétation de cessystèmes d’indicateurs est malaisée. A cette saturation, se joint unproblème de hiérarchisation. Les indicateurs sont en effet présentés

sous forme de batteries non hiérarchisées. Or, la coexistence de plusieurs indicateurs non hiérar-chisés peut déstabiliser l’environnement informationnel de l’individu, créer de l’incertitude et del’incohérence. C’est pourquoi, il est bien souvent difficile de tirer des signaux clairs destendances décrites par les indicateurs de développement durable. Un dernier problème est queces batteries d’indicateurs créent un effet de répulsion. Il faut beaucoup de temps pour lire,comprendre et interpréter de telles batteries d’indicateurs qui sont souvent peu parlantes. Toutceci ne peut pas inciter les acteurs à utiliser des indicateurs.Les systèmes symboliques créent des hiérarchies abstraites en donnant du sens aux choses eten les classifiant à travers des ordres de grandeur (Boltanski et Thévenot, 1991). Tout comme lesreprésentations sont hiérarchisées au sein d’un système symbolique, les indicateurs doivent êtrehiérarchisés pour qu’ils puissent être utilisés efficacement. Cette question de la hiérarchisationconcerne les systèmes de préférences des individus, des communautés de pratique, des sociétés. On peut noter que de nombreuses organisations tiennent de plus en plus compte de l’effet deliste et des contraintes de hiérarchisation dans leurs tableaux de bord d’indicateurs de dévelop-pement durable. Plusieurs exemples peuvent être évoqués. En premier lieu le Programme desNations unies pour le développement (Pnud) qui utilise un indicateur « tête d’affiche » emblé-matique – l’indicateur de développement humain – pour inciter les usagers à consulter, dans unsecond temps, les autres indicateurs de développement humain présents dans le Rapportmondial sur le développement humain publié tous les ans : indicateurs concernant l’éducation,les inégalités de genre, l’accès aux ressources naturelles… A l’IDH vient généralement s’ajouterdes indicateurs synthétiques qui ont été développés à partir de la thématique d’un rapportannuel (l’IDH genre en 1995 ou l’indicateur de pauvreté humaine en 1997). La stratégie du Pnudest de créer de l’intérêt auprès du grand public et d’inciter les utilisateurs potentiels à découvrirleurs autres indicateurs thématiques moins médiatisés mais plus précis. Un autre exemple estcelui de l’Agence européenne de l’environnement qui propose des indicateurs clés (3 indicateurs)destinés au grand public, des indicateurs têtes d’affiche (entre 10 et 15) destinés aux décideurspolitiques et des indicateurs thématiques (30 indicateurs) destinés aux usagers directs de l’en-vironnement. Un dernier exemple concerne deux indicateurs emblématiques du réchauffementclimatique : l’évolution de la date des vendanges depuis une centaine d’année et l’évolution dela distribution des vignobles dans les cent ans à venir (Bovar et Pennequin, 2006). Il s’agit là d’in-dicateurs qui sont bien relayés par les médias et qui sont très parlants car ils renvoient à uncritère de hiérarchisation des préférences de l’opinion publique. Il existe cependant beaucoupd’autres indicateurs sur le réchauffement climatique qu’il est possible de mobiliser lorsqu’on

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

La démocratie technique pour développer des indicateurs de co-gestion adaptative de la biodiversité

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cherche à disposer d’une information plus fine sur la réalité du réchauffement climatique(évolution des températures, bilan de masse des glaciers, composition des bulles d’air emprison-nées dans la glace…).

Un principe de rétroaction Les changements de comportements individuels apparaissent aujourd’hui souvent comme lacondition nécessaire à l’avènement d’un développement durable. Il est donc possible de consi-dérer qu’un bon indicateur de développement durable, lorsqu’il évolue, crée des rétroactions surles comportements des individus. C’est en effet uniquement sous cette condition qu’il existeraune interaction entre l’évolution de l’indicateur et l’évolution ducomportement des utilisateurs. L’un des ressorts du changement decomportement est l’apprentissage et en particulier l’apprentissagefondé sur « l’expérience – learning-by-doing ». Il est donc possible deconsidérer qu’une des fonctions centrales des indicateurs de développe-ment durable est de fournir un outil didactique d’apprentissage, basésur l’expérimentation, et qui a le gros avantage de faire l’économie descoûts de l’expérience réelle. L’empreinte écologique offre à cet égard un indicateur d’interactionssociété-nature particulièrement pertinent. Ainsi, comme nous l’avonssouligné dans la seconde section, la dimension interactive de cet indi-cateur a été l’une des sources majeures de son succès auprès d’un largepublic. Mais il s’agit aussi d’un outil efficace pour lancer des processusréflexifs concernant son comportement. Ainsi, les systèmes symboliques créent des possibilités de réflexivité enpermettant aux individus de réorganiser en permanence leurs représen-tations grâce au processus continu d’apprentissage. Le degré de réflexivité est fonction desdissonances cognitives qui représentent le moteur de l’apprentissage62. Il semble donc impor-tant que les indicateurs soient à l’origine de surprises, de manière à créer les dissonances cogni-tives qui engendrent des processus d’apprentissage individuels et collectifs à propos desquestions de développement durable. Les surprises seront avant tout liées à des changements d’échelles spatiales, temporelles etsymboliques. C’est ainsi le fait de passer d’un indicateur de consommation finale à un indica-teur de consommation d’unités de biosphère – représentant un changement d’échelle spatialeet symbolique – qui fait réagir l’utilisateur de l’empreinte écologique. Une autre source desurprise est de pouvoir passer d’indicateurs intéressant une communauté de pratique spécifiqueà ceux intéressant d’autres communautés de pratique concernées par la durabilité du mêmesystème. Cela offre en effet l’opportunité de mieux comprendre les contraintes et les objectifsde son « voisin ». Ainsi, c’est le fait de passer d’indicateurs liés à la parcelle agricole – échellespatiale fine – à des indicateurs concernant l’ensemble de l’écosystème qui crée une surprisepour l’agriculteur. Pour le gestionnaire d’une zone protégée, c’est l’inverse : c’est le fait de passerd’une échelle spatiale de référence qui est la zone protégée, à celle de la parcelle agricole, quilui fera prendre conscience de l’impact de certains aménagements sur d’autres acteurs (Etienneet al., 2003). Cela pose la question des outils qui permettent de proposer une image multi-échelles de ladurabilité d’un système et d’articuler ainsi des indicateurs de différentes natures fonctionnantà différentes échelles spatiales. Il semble en particulier important de pouvoir mobiliser desmodèles de durabilité spatialement explicites qui soient flexibles dans leur forme et didactiquesdans leur usage, de manière à articuler entre eux des indicateurs fonctionnant à des échellesspatiales et symboliques hétérogènes (Boulanger et Bréchet, 2005).

62 Ainsi, lorsqu’un agent fait un choix, il mobilise un modèle cognitif qui lui permet d’anticiper un lien de causalité entre une action menée etun évènement espéré. Si l’événement qui se réalise est en accord avec celui espéré, il se produit un processus de renforcement du modèlecognitif. En revanche, si l’événement n’a pas lieu ou si un événement inattendu apparaît, en bref si les conséquences de son action ne sontpas en rapport avec ce qu’il espérait, alors il y a une dissonance cognitive qui se traduit par une surprise et peut nécessiter une réorganisa-tion du modèle sans quoi la même action risquera de conduire à la même erreur.

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Un principe d’explorationL’être humain, en plus de se représenter le monde, a pour particularité de pouvoir anticiper lesévolutions de ce dernier. Ainsi, il adopte des comportements aujourd’hui en fonction d’anticipa-tion sur les événements de demain, ce qui représente un élément important pour le développe-ment durable.

La question des capacités réelles dont disposent les individus àpercevoir des signaux sur les évènements à venir est cependantrarement posée. En fait, l’homme a de grandes difficultés à inter-préter des signaux qui concernent des paramètres à évolutionlente telle que la résilience des systèmes par exemple (Westley etal., 2002). Ils sont même très difficiles à imaginer tant certainschangements apparaissent irréalistes pour le public tout en étantprobables pour les scientifiques. Cette dimension irréaliste estjustifiée par un argumentaire sur l’incertitude des connaissancesactuelles. Par ailleurs, il est difficile de lier les dynamiques micro et macroentre elles parce qu’elles n’ont pas lieu aux mêmes échelles tempo-relles, ce qui permet d’éluder le problème des changements decomportement ou d’en minimiser l’impact. Or, ce sont les change-ments micro à court terme qui sont à l’origine de la perte de rési-lience macro des systèmes société-nature (Gunderson et Holling,2002).

Les indicateurs d’interactions société-nature doivent donc permettre de projeter les individusdans différents futurs possibles de manière à articuler les pratiques de court terme avec leschangements globaux de long terme. Il faut pouvoir explorer des futurs pour appréhender lesrisques dont sont porteurs les dynamiques actuelles (Callon et al., 2001). En particulier, les indi-cateurs doivent permettre d’articuler les paramètres à évolution lente avec ceux à évolutionrapide, et de souligner ainsi les risques d’effondrement que ces évolutions font peser sur lesystème lorsque sa résilience est trop érodée. Le concept de « capital naturel critique » répond bien au principe d’exploration que nous venonsde détailler. Le Capital Naturel Critique (CNC) est en effet fondée sur un principe de durabilitéforte qui implique qu’une part de la nature n’est pas substituable par du capital physiquecomme nous l’avons souligné dans la seconde section (Ekins, 2003). Le CNC permet d’articulerentre eux des indicateurs fonctionnant à des échelles temporelles hétérogènes, et de lancer desscénarios prospectifs – « what if scenarios ».

Un principe d’interactionLes indicateurs économiques, écologiques et sociaux doivent pouvoir être interconnectés demanière à pouvoir représenter les dynamiques qui animent les systèmes société-nature. C’estuniquement sous cette condition qu’il sera possible de disposer d’indicateurs intégrés souli-gnant les interdépendances entre des paramètres appartenant aux sphères économiques,sociales et écologiques. Du point de vue cognitif, il existe des liens entre les représentations qui impliquent des logiquesde causalité. Les réponses individuelles adoptées pour faire face à des questions de développe-ment durable sont fonctions des liens de causalité que les systèmes symboliques des individusétablissent entre différents paramètres. Ainsi, même si des liens de causalité sont avérés d’unpoint de vue scientifique, ce n’est pas pour autant qu’il va être possible d’observer une meilleureprise en compte de ces interactions par les décideurs politiques. Il suffit de prendre l’exemple dela crise de l’amiante pour voir qu’une connaissance scientifique établie à propos de certains liensde causalité peut mettre beaucoup de temps à être appropriée socialement, y compris lorsqu’ils’agit d’un élément qui concerne la santé de millions de personnes63. Un enseignement important des crises environnementales et sanitaires qu’ont connues les paysde l’OCDE depuis une vingtaine d’année est qu’il faut éviter de considérer les liens de causalité

63 Classée cancérigène depuis 1976 par les médecins, et depuis 1978 par une résolution du parlement européen, son usage n’a été interdit enFrance qu’en 1997.

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La démocratie technique pour développer des indicateurs de co-gestion adaptative de la biodiversité

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comme univoques (Beck, 1986). En effet, dans les systèmescomplexes, les dynamiques sont fonction de multiples interactionsnon linéaires et c’est pourquoi il est important de privilégier unegestion adaptative des dynamiques fondée sur l’apprentissage(Arrow et al., 2000 ; Kinzig et al., 2003). Le problème, là encore, est que l’homme a des capacités limitéespour pouvoir appréhender les dynamiques complexes générées parles interactions société-nature (Gunderson et Holling, 2002). En fait,le système cognitif humain a de grandes difficultés à gérer plusieursobjectifs simultanément et à tenir compte des interactions qui ysont liées. Ces difficultés à appréhender les liens de causalitésmultiples conduisent les individus à imaginer des relations univo-ques entre les phénomènes observés et à ne pas prendre en compteles effets indirects que pourraient engendrer leurs choix. Celaexplique en grande partie le succès de l’approche de « command andcontrol » qui se focalise sur un paramètre comme le rendementéconomique ou la conservation d’une espèce, créant par-là mêmedes problèmes de myopie. Les indicateurs doivent donc permettre d’accroître l’aptitude qu’ont les individus à interpréterles interactions qui animent le système société-nature auquel ils appartiennent. Cela nécessitede recourir à des modèles systémiques prenant en compte un grand nombre d’interactions(Boulanger et Bréchet, 2005). Le développement des capacités de traitement des modèles infor-matiques offre à cet égard un moyen intéressant pour appréhender les dynamiques complexes.

Principe Problèmes / capacités Enjeux pour la Objectif des IDD Exemple d’IDDcognitives conception des IDD

Contextualisation Manque de contex- Situer les IDD Fournir un ou des Éco-efficiencetualisation des IDD crée vis-à-vis de langages communs (renvoie audes problèmes mondes communs qui facilitent les débats « monde industriel ») d’interprétation spécifiques

Hiérarchisation Effet de liste lié à la Prendre en compte Offrir des signaux Indicateur degrande quantité d’IDD : les systèmes de parlants développementsaturation, confusion, préférences et classés par ordre humain (indicateur répulsion des usagers de grandeur tête d’affiche

mobilisateur)

Rétroaction IDD envisagé comme Identification des Être une source de Empreinte écologiqueoutils de planification signaux à partir surprises pour engendrer (outil didactique plutôt que desquels les agents des dissonances cognitives fondé sur des d’apprentissage révisent leurs et des processus changementspréférences d’apprentissage d’apprentisage) d’échelles

Exploration Des capacités limitées Informations pour Articuler les usages Capital naturel critiquepour appréhender articuler les micro à court terme (prend en compte,les échelles dynamiques de avec les changements la résilience, les effets de temps long court terme et de globaux à long terme de seuil et permet de

long terme réaliser des simulations)

Interaction Des capacités limitées Informations pour Aider à appréhender Système mutli-agents pour appréhender renseigner les la complexité ou modèles de les interactions interactions des dynamiques dynamique des systèmesnon linéaires société-nature société-nature (prise en compte de

nombreuses interactions)

Tableau 11 : Synthèse sur les critères de qualités des indicateurs de développement durable (IDD).

Conclusion

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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Les indicateurs de biodiversité posent deuxquestions techniques premières : le degré decomposition et les critères de pondération à

adopter. Ces questions créent, pour le concepteur d’indicateurs, un problèmeimportant. En effet, plus l’indicateur sera composé d’un grand nombre deparamètres, plus il offrira une information intégrée sur la biodiversité (indi-cateur planète vivante), mais plus son évolution sera difficile à interpréter etplus il sera nécessaire d’établir des pondérations entre les paramètres pris encompte. Inversement, le développement d’indicateurs à paramètre unique(espèces indicatrices) fournit une information ciblée mais peu intégrée etsensible à des phénomènes aléatoires.

Même s’il n’existe pas de solution miracle, il est possible de considérer quel’indicateur composite offrant un bon compromis, d’un point de vue tech-nique, est celui qui se concentre sur la diversité spécifique et l’abondance ausein d’un taxon.

Cette approche a en effet trois avantages. Premièrement, elle réduit le problème de stochasticité par un effetde moyenne. Deuxièmement, elle permet d’avoir une information ciblée en réali-sant les regroupements d’espèces à partir de critères fonctionnelstels que leur sensibilité à des activités humaines ou à l’évolution decertains habitats. Troisièmement, elle offre une unité de référence commune (exempledes oiseaux communs) qui facilite l’interprétation et permet d’éluderpartiellement le problème de la pondération.

En ce qui concerne les indicateurs d’interactions, la question de l’interpréta-tion est encore plus délicate pour deux raisons. Tout d’abord, car le niveaud’intégration est supérieur. Ensuite, parce que les matrices de conversionnécessaires au paramétrage des interactions sont souvent peu transparentes(empreinte écologique), peu rigoureuses (indicateur de bien-être durable) etfondées sur des avis d’experts (indicateur d’intégrité de la biodiversité ouindicateur de capital naturel) du fait d’un manque chronique d’informationsur ces interactions.

Ceci explique pourquoi les indicateurs pression-état-réponse et leurs dérivés,ont bénéficié d’un grand succès auprès des organisations en charge de lamise en place d’indicateurs d’interactions. En effet, ces derniers articulententre eux des indicateurs hétérogènes concernant les interactions société-nature, sans avoir à traiter la question de l’agrégation. Cependant, commenous l’avons souligné dans la deuxième section, cette catégorie d’indicateurssoulève d’autres problèmes qui en font des outils de communication peuefficaces.

Il est enfin intéressant de souligner une tendance forte dans le domaine desindicateurs d’interactions qui est le passage d’une situation où cette caté-gorie d’indicateurs avait pour principal objectif de mettre l’accent soit sur lesmenaces que les activités humaines faisaient peser sur la biodiversité (du

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point de vue écolo-centré), soit sur le stock de ressources que pouvait offrirà l’espèce humaine la biodiversité (du point de vue économico-centré), à unesituation où ces indicateurs ont pour principale fonction de souligner lesinterdépendances entre l’état de la biodiversité et les niveaux de bien-être. Ils’agit de l’approche retenue par le Millennium Ecosystem Assessment (MEA,2005). Elle témoigne de l’émergence d’une science de la conservation quienvisage de manière intégrée la co-évolution des dynamiques socio-écono-miques et écologiques.

Au-delà de ces constats, il est important de ne pas limiter l’évaluation desindicateurs de biodiversité et d’interactions à des questions techniques. Eneffet, les indicateurs de biodiversité représentent des outils sociaux en plusd’être des outils techniques. Ils doivent permettre d’alimenter les débatspublics autour de la question sociale que représente la conservation de labiodiversité. Ainsi, un « bon » indicateur doit toujours répondre à une doublecontrainte de sensibilité, vis-à-vis des dynamiques que l’indicateur chercheà décrire et vis-à-vis du public qu’il cherche à toucher. Or, si le premierpoint, de nature technique, est bien étudié par les spécialistes de la biodiver-sité et les statisticiens qui s’intéressent aux indicateurs, il s’avère que laquestion du sens que les indicateurs doivent créer auprès des usagers poten-tiels n’est pas véritablement traitée. Ceci se mesure, comme nous l’avonsmontré, à l’aune des critères de qualité utilisés pour évaluer les indicateurs.

Un élément important pour traiter la question des indicateurs de biodiversitéet d’interactions est donc d’identifier les besoins des usagers potentiels deces outils. Ce questionnement ne peut se limiter aux gestionnaires car celasupposerait que ces derniers puissent piloter les systèmes d’interactionssociété-nature de manière indépendante, sans avoir à se soucier des autresacteurs de ces systèmes. Or, les gestionnaires – et plus largement ceux quel’on nomme « décideurs » – font partie d’une société sur laquelle ils n’ont quepeu d’influence. Ils doivent composer avec un collectif dans lequel ils nereprésentent qu’un agent parmi d’autres. En adoptant une telle perspective,nous nous écartons de la représentation traditionnelle de l’indicateur en tantqu’outil permettant de piloter un système d’interactions société-nature etnous nous orientons vers une approche dans laquelle l’indicateur est envi-sagé comme un outil de concertation facilitant la gestion collective desinteractions société-nature – ce que nous avons appelé la co-gestion adap-tative.

Pour identifier plus précisément les fonctions que doivent remplir les indica-teurs d’interactions, du point de vue des tenants de la co-gestion adaptative,il est possible de partir des deux objectifs prioritaires fixés par ce courant depensée. Le premier est de faire évoluer les comportements individuels pourfaire émerger des pratiques durables et agir concrètement sur les change-ments globaux qui menacent aujourd’hui la plupart des espèces de laplanète. Le second est de coordonner des acteurs hétérogènes à propos de laconservation de la biodiversité, en vue de réaliser des choix collectifs permet-tant d’instituer des systèmes de régulation qui incitent les individus àadopter des pratiques durables.

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

Conclusion

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Les indicateurs de biodiversité et d’interactions, envisagés sous cet angle,doivent répondre à deux fonctions :

Ils doivent tout d’abord produire du sens auprès des utilisateurspotentiels et faciliter les processus d’apprentissage individuel. C’esten effet uniquement à cette condition qu’il existera une interactionentre l’évolution de l’indicateur et l’évolution des comportements.

Ils doivent ensuite participer à la clarification des enjeux liés à laconservation de la biodiversité et nourrir les débats à son propos. Ilsdoivent en particulier permettre d’articuler des représentations hété-rogènes de problèmes communs et d’explorer des futurs possibles envue de faire converger les perceptions concernant les questions deconservation et de développement durable.

Les indicateurs pourront d’autant mieux répondre à ces fonctions qu’ilsprendront en compte les cinq principes que nous avons détaillés dans la troi-sième section (tableau 11) :

un principe de contextualisation qui nécessite de penser les indica-teurs à partir de systèmes symboliques spécifiques ;

un principe de hiérarchisation qui doit permettre de limiter lesrisques de saturation informationnelle liée au trop grand nombred’indicateurs ;

un principe de rétroaction qui conduit à envisager les indicateurssous l’angle des dynamiques d’apprentissage qu’il peuvent faireémerger pour leurs utilisateurs potentiels ;

un principe d’exploration qui souligne que les indicateurs ont pourfonction d’anticiper des futurs possibles de manière à pouvoiradopter des principes de précaution ;

un principe d’interaction qui insiste sur le fait que les indicateursdoivent permettre de mieux appréhender la complexité des dynami-ques société-nature.

Il faut souligner que les principes de contextualisation et de hiérarchisationsont étroitement liés. Ils représentent en effet les contraintes à respecterpour développer des indicateurs « parlants », c’est-à-dire des indicateursadaptés aux systèmes symboliques des usagers potentiels. De la mêmemanière, les principes de rétroaction, d’interaction et d’exploration sontcomplémentaires car ces trois propriétés se nourrissent mutuellement pourproduire des indicateurs dynamiques qui favorisent l’apprentissage à proposdes systèmes société-nature.

Cette liste de « principes » ne doit pas être envisagée comme une liste decritères de qualité que devraient respecter tous les indicateurs de biodiver-sité, mais comme une liste complémentaire aux principes « techniques »proposés par les instituts statistiques, dont l’intérêt est de souligner le besoind’une meilleure prise en compte des perceptions individuelles.

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Index des indicateurs

Abondance globale, …………………………………………………………………………………………………………17Bien-être durable, ………………………………………………………………………………………………………36, 81Capital naturel critique, ……………………………………………………………………………………38, 39 78, 89Diversité fonctionnelle, ……………………………………………………………………………………15, 16, 18, 20Diversité spécifique, …………………………………………………………9, 12, 15, 17, 18, 22, 32, 35, 43, 81Éco-certification, ………………………………………………………………………………………………………13, 49Éco-efficience, …………………………………………………………………………………………32, 47-48, 75, 79Empreinte écologique, ………………………………………………………………13-14, 32-33, 59, 77, 79, 81Épargne véritable, …………………………………………………………………………………………35, 36, 38, 59Érosion de la biodiversité, ……………………………………………10-11, 16, 18 à 20, 34, 36, 46, 60, 62Espèces clé de voûte, …………………………………………………………………………………………………16-17Espèces indicatrices, …………………………………………………………………………………16-17, 25-26, 81Espèces ingénieur, ………………………………………………………………………………………………………16-17Espèces parapluie, ………………………………………………………………………………………………………16-17Force motrice-état-réponse, ……………………………………………………………………………………………44Force motrice-pression-état-impact-réponse, …………………………………………………………………45Indicateur de capital naturel, ………………………………………………………………………………………34, 81Indicateur de développement humain, ………………………………………………………………………53, 76Indicateur de spécialisation communautaire, ………………………………………………………………23, 31Indicateur structurel, …………………………………………………………………………………………………25-26Indicateur taxonomique, ……………………………………………………………………………………………18, 26Indicateurs à paramètre unique, ………………………………………………………………………15, 17-18, 81Indicateurs composites, ……………………………………………………………15, 17-18, 20, 22, 25-26, 29Indicateurs de résultats, ……………………………………………………………………………………………50-51Indice trophique marin, …………………………………………………………………………………………11, 14, 31Intégrité de la biodiversité, …………………………………………………………………………………………34, 81Listes rouges, …………………………………………………………………………………………………11, 12, 20, 58Oiseaux communs, ……………………………………………………………………………12, 14, 20 à 28, 60, 81Planète vivante, ……………………………………………………………………………………19, 23, 31, 34, 36, 81Pression-état-réponse, …………………………………………………………………………………………26, 45, 81Principes-critères-indicateurs, …………………………………………………………………………………………48Progrès véritable, …………………………………………………………………………………………………………… 36Résilience, ………………………………………………………………………………………15-16, 28, 38, 62, 78-79Richesse spécifique, …………………………………………………………10, 12, 15-16, 18 à 20, 22, 28, 58Services écosystémiques, ………………………………………………18, 21, 23, 28, 32, 37, 39 à 44, 60, 62Système de comptabilité économique et environnementale, ………………………………………………35Taux d’extinction, ……………………………………………………………………………………………9, 10, 16, 55Usage-pression-état-réponse, ……………………………………………………………………………………44-45Variabilité génétique, …………………………………………………………………………………9, 15 à 20, 28, 58

Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ?

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Indicateurs adoptés par la CDB en 2004, afin d’évaluer les progrès accomplis dans la poursuite de l’objectif de diversité biologique fixé en 2010. … … … … … … … … … … … … … … … … …11

Tableau 2 : Les indicateurs de biodiversité de la Stratégie nationale pour la Biodiversité Française (sources entre parenthèses). … … … … … … … … … …12

Tableau 3 : Les indicateurs de biodiversité du Sebi. … … … … … … … … … … … … … … … …14Tableau 4 : Exemple d’indicateurs de biodiversité fonctionnelle … … … … … … … … … … …18Tableau 5 : Indicateurs de biodiversité français et paneuropéens

pour la gestion durable des forêts (indicateurs spécifiquement français en italique, sources entre parenthèses). … … … … … … … … … … … … … … … … … … … …25

Tableau 6 : Evolution des services écosystémiques … … … … … … … … … … … … … … … …42Tableau 7 : Evolution des services écologiques selon les différents scénarios. … … … … …43Tableau 8 : Trois systèmes majeurs de PCI. … … … … … … … … … … … … … … … … … … …49Tableau 9 : Exemple de questions, critères et scores de suivi

de l’efficacité des modes de gestion des espaces protégés. … … … … … … … …51Tableau 10 : Les différents niveaux de co-construction. … … … … … … … … … … … … … …72Tableau 11 : Synthèse sur les critères de qualités des indicateurs

de développement durable (IDD). … … … … … … … … … … … … … … … … … …79

Liste des figures

Figure 1: Les grandes crises d’extinction de la biodiversité. … … … … … … … … … … … …10Figure 2: Variation d’abondance des populations d’oiseaux spécialistes en France. … …23Figure 3 : Evolution de l’indice trophique marin selon les aires d’exploitation. … … … …31Figure 4 : Liens entre biodiversité, services écologiques, facteurs de changement

et bien-être. … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … …41Figure 5 : Indicateurs PER. … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … …45Figure 6 : Les indicateurs usage-pression-état-réponse de la Convention

sur la diversité biologique. … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … …45Figure 7 : Cadre alternatif pour l’identification d’indicateurs d’interactions. … … … … …47Figure 8 : Positionnement d’indicateurs d’interactions vis-à-vis des tensions

existant antre les dimensions scientifique et politique d’une part, universel et contextuel de l’autre. … … … … … … … … … … … … … … … … … …56

Figure 9 : Nombre d’articles parus dans Le Monde dans lesquels le mot « biodiversité » apparaît. … … … … … … … … … … … … … … … … … … …57

Figure 10 : La gestion adaptative de la biodiversité. … … … … … … … … … … … … … … …63

Liste des encadrés

Encadré 1 : Différences entre les indicateurs structurels (indirects) et taxonomiques (directs). … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … …26

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Liste des acronymes

AEE : Agence Européenne del’Environnement

CDB : Convention sur la DiversitéBiologique

CBD : Convention on Biological DiversityCNC : Capital Naturel CritiqueCNRS : Centre National de la Recherche

ScientifiqueCRBPO : Centre de Recherche sur la Biologie

des Populations d’OiseauxCSD : Commission on Sustainable

DevelopmentCTEDB : Centre Thématique Européen sur la

Diversité BiologiqueEE : Eco-EfficienceEEA : European Environment AgencyEF : Ecological Footprint – Empreinte

EcologiqueEV : Epargne VéritableFAO : Food and Agriculture OrganisationGPI : Indicateur de Progrès VéritableIBED : Indicateur de Bien-Etre DurableICN : Indicateur de Capital NaturelIDD : Indicateur de Développement

DurableIFEN : Institut français de l’environnementIFB : Institut français de la biodiversitéIIB : Indicateur d’Intégrité de la

BiodiversitéILR : Indicateur Liste RougeIPV : Indicateur Planète VivanteISC : Indicateur de Spécialisation

CommunautaireITM : Indicateur Trophique MarinGIRN : Gestion Intégrée des Ressources

NaturellesGPS : Guide Par SatelliteMAB : programme ManAndBiosphereMEA : Millennium Ecosystem AssessmentMEDD : Ministère de l’Ecologie et du

Développement DurableMNHN : Muséum National d’Histoire

NaturelleOCDE : Organisation de Coopération et de

Développement EconomiqueONF : Office National des Forêts

ONCFS : Office National de la Chasse et dela Faune Sauvage

ONG : Organisation NonGouvernementale

ONU : Organisation des Nations-UniesPED : Pays En DéveloppementPER : Pression-Etat-RéponsePCI : Principes-Critères-IndicateursPIB : Produit Intérieur BrutPNB : Produit National BrutPNUD : Programme des Nations-Unies pour

le DéveloppementPNUE : Programme des Nations-Unies pour

l’EnvironnementRLI : Red List IndexSCN : Systèmes de Comptes NationauxSCEE : Système de Comptabilité

Economique et EnvironnementaleSEBI : Streamlining European 2010

Biodiversity IndicatorsSMA : Système Multi-agentsSTOC : Suivi Temporel des Oiseaux

CommunsTERUTI : Enquête sur l’Utilisation du

TerritoireUE : Union EuropéenneUICN : Union Internationale pour la

Conservation de la NatureUNEP : United Nations Environment

ProgrammeUNESCO :Organisation des Nations-Unies

pour l’Education, la Science et laculture

WWF : World Wild Fund

Les Cahiers de l’IFBDirection de la publication : Jacques Weber

Coordination : Maryvonne TissierCouverture et Maquette : Incisif

Impression: C. Print - Octobre 2007(35-Cesson-Sévigné: L'usine dans laquelle est imprimée cette brochure est certifiée Imprim'vert)

Papier de couverture : Cyclus, 100 % recyclé (certifié Ange bleu, Cygne nordique, Fleur européenne)

Papier intérieur : V Green (papier recyclé, prix Ecoproduit 2003 du Ministère de l’écologie et du développement durable, récompensé également en 2004 par la Communauté européenne)

Harold Levrel

Quels indicateurs pour la gestion

de la biodiversité ?

Institut français de la biodiversité57, rue Cuvier, CP 41, 75231 PARIS CEDEX 05 - France

tél 33 (0)1 40 79 56 62 fax 33 (0)1 40 79 56 63 mail : [email protected]

Quels indicateurs pour la gestionde la biodiversité ?

En 2010, les Etats du monde entier vont devoir faire le bilan de leurs avancées concernantla conservation de la biodiversité, dans le cadre de la Convention sur la diversité biologiqueadoptée à Rio en 1992. Pour cela, il est nécessaire d’avoir recours à des outils de suivi. Lesindicateurs de biodiversité, en tant qu’outils polymorphes adaptés à des questions hybrides,concernant à la fois le scientifique et le politique, sont rapidement apparus comme le meilleur moyen pour suivre ces avancées.

Ce livre présente les principaux indicateurs de biodiversité qui existent aujourd’hui, leurhistoire et les questions techniques qu’ils soulèvent.

Il s’intéresse en particulier aux indicateurs qui cherchent à décrire les interactions entre lesdynamiques de la biodiversité et les dynamiques socio-économiques.

Enfin, il explore de nouvelles voies pour développer des indicateurs pouvant participer àl’émergence d’une co-gestion adaptative de la biodiversité, en mettant l’accent sur lesbesoins et les perceptions des usagers potentiels de ces outils ainsi que sur les processus deco-construction de ces outils.

Les Cahiers de l‘IFB visent à constituer une collection de documents synthétiques, destinésà un public de professionnels : chercheurs, gestionnaires, responsables et militants d’associations, entreprises impliquées dans la gestion de la biodiversité...

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