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Quelques aspects de la procédure pénale française Par Jean PRADEL - - - - - Introduction Le premier véritable Code français en matière procédurale est le Code d’instruction criminelle de 1808 . Les garanties de la personne poursuivie étaient très faibles. Notamment au cours de la phase avant jugement, l’avocat n’apparaissait ni au cours de l’enquête, ni au cours de la procédure devant le juge d’instruction ; tout au plus l’inculpé pouvait-il déposer un mémoire devant la chambre d’accusation, le supérieur hiérarchique du juge d’instruction. Quant à la détention provisoire, elle était le droit commun, le législateur n’ayant prévu aucun cas où la détention serait possible et la décision prescrivant la détention n’étant pas motivée. Pendant l’audience, en revanche, la défense était présente. Au cours du XIX ème siècle, les réformes furent rares et relativement peu importantes, à l’exception de la grande loi du 8 décembre 1897 qui vint permettre à l’avocat de l’inculpé d’assister aux interrogatoires de son client et de consulter le dossier 24 heures avant l’interrogatoire. Cette loi sera étendue à la partie civile par une loi du 21 mars 1921. En 1956, le ministre de la justice envisage une réforme et, après trois ans de travaux, fut voté un nouveau Code appelé d’une expression plus moderne Cde de procédure pénale (CPP). Il entra en vigueur en 1959. Son esprit n’est pas fondamentalement différent de celui de son prédécesseur de 1808 : on retrouve la police judiciaire dirigée par le procureur de la République, le juge d’instruction et la chambre d’accusation, le tribunal correctionnel et la cour d’assises, la Cour de cassation avec les pouvoirs de cassation (pour erreur de droit) et de révision (pour erreur de fait). Cependant, les garanties de la défense sont plus fortes ; la garde à vue est réglementée (avec une durée de vingt-quatre heures et une prorogation d’égale durée à la discrétion du procureur) ; l’avocat de l’inculpé a accès au dossier quarante huit heures avant l’interrogatoire de ce dernier, l’avocat peut plaider devant la chambre d’accusation (la loi parle certes « d’observations brèves »), par exemple pour solliciter la remise en liberté de son client ou soulever la nullité d’un acte d’instruction. Quant à la détention provisoire, elle reste faiblement réglementée. A partir des années 1970, le Code de procédure pénale va subir des transformations de plus en plus profondes et à intervalle de plus en plus rapides. Les causes de cet emballement législatif sont de trois ordres : - La montée de la criminalité et notamment en sa forme organisée (terrorisme, trafic de drogues, proxénétisme, vol à main armée../ mais aussi la montée de la petite délinquance (violences, vol dans les grands magasins, outrages à agents de la force publique…) ; - Le développement des techniques d’investigation comme l’analyse ADN de suspects ou de témoins, ou les écoutes téléphoniques ou encore la sonorisation de locaux) ; - Enfin, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH),

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Quelques aspects de la procédure pénale française Par

Jean PRADEL

- - - - -

Introduction

Le premier véritable Code français en matière procédurale est le Code d’instruction criminelle de 1808. Les garanties de la personne poursuivie étaient très faibles. Notamment au cours de la phase avant jugement, l’avocat n’apparaissait ni au cours de l’enquête, ni au cours de la procédure devant le juge d’instruction ; tout au plus l’inculpé pouvait-il déposer un mémoire devant la chambre d’accusation, le supérieur hiérarchique du juge d’instruction. Quant à la détention provisoire, elle était le droit commun, le législateur n’ayant prévu aucun cas où la détention serait possible et la décision prescrivant la détention n’étant pas motivée. Pendant l’audience, en revanche, la défense était présente.

Au cours du XIXème siècle, les réformes furent rares et relativement peu importantes, à l’exception de la grande loi du 8 décembre 1897 qui vint permettre à l’avocat de l’inculpé d’assister aux interrogatoires de son client et de consulter le dossier 24 heures avant l’interrogatoire. Cette loi sera étendue à la partie civile par une loi du 21 mars 1921.

En 1956, le ministre de la justice envisage une réforme et, après trois ans de travaux, fut voté un nouveau Code appelé d’une expression plus moderne Cde de procédure pénale (CPP). Il entra en vigueur en 1959. Son esprit n’est pas fondamentalement différent de celui de son prédécesseur de 1808 : on retrouve la police judiciaire dirigée par le procureur de la République, le juge d’instruction et la chambre d’accusation, le tribunal correctionnel et la cour d’assises, la Cour de cassation avec les pouvoirs de cassation (pour erreur de droit) et de révision (pour erreur de fait). Cependant, les garanties de la défense sont plus fortes ; la garde à vue est réglementée (avec une durée de vingt-quatre heures et une prorogation d’égale durée à la discrétion du procureur) ; l’avocat de l’inculpé a accès au dossier quarante huit heures avant l’interrogatoire de ce dernier, l’avocat peut plaider devant la chambre d’accusation (la loi parle certes « d’observations brèves »), par exemple pour solliciter la remise en liberté de son client ou soulever la nullité d’un acte d’instruction. Quant à la détention provisoire, elle reste faiblement réglementée.

A partir des années 1970, le Code de procédure pénale va subir des transformations de plus en plus profondes et à intervalle de plus en plus rapides. Les causes de cet emballement législatif sont de trois ordres :

- La montée de la criminalité et notamment en sa forme organisée (terrorisme, trafic de drogues, proxénétisme, vol à main armée../ mais aussi la montée de la petite délinquance (violences, vol dans les grands magasins, outrages à agents de la force publique…) ;

- Le développement des techniques d’investigation comme l’analyse ADN de suspects ou de témoins, ou les écoutes téléphoniques ou encore la sonorisation de locaux) ;

- Enfin, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH),

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interprète officiel de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) qui fixe certains principes directeurs. Voici les principes essentiels de ce droit pénal européen :

• La liberté physique d’aller et de venir est la règle, ses exceptions étant de droit étroit (soupçons de commission d’une infraction, risque de fuite ou de commission d’une autre infraction) et le régime de ces exceptions impliquant la présence du juge (art. 5 Conv. EDH) ;

• Le procès doit être équitable (avec un juge impartial et indépendant, statuant en présence d’un avocat pouvant soulever des demandes d’investigation, et dans un délai raisonnable) (art. 6 Conv. EDH) : la vie privée ne peut être méconnue que dans des circonstances exceptionnelles comme la nécessité d’assurer la prévention des infractions (art. 8 Conv. EDH) ;

• La liberté de la presse qui présente les mêmes exceptions (art. 10 Conv. EDH).

De manière générale, la CEDH s’efforce d’assurer la conciliation entre l’intérêt général qui appelle la répression et l’intérêt de l’individu suspect qui implique l’organisation d’un système de garanties en ce qui concerne la défense et la liberté.

Ce sont ces données criminologiques, scientifiques et juridiques, qui vont conduire le législateur à décider plusieurs réformes essentielles dont les principales sont les suivantes :

a) la loi du 17 juillet 1970 réforme la détention provisoire en l’enserrant dans des conditions strictes (prise d’une ordonnance motivée en droit, fondée sur des cas énumérés par la loi, et en fait) et en offrant au juge d’instruction une alternative à la détention, le contrôle judiciaire, sorte d’intermédiaire entre la liberté et l’incarcération ;

b) Une loi du 5 août 1975 développe pour les affaires simples les procédures accélérées (comparution immédiate et convocation du prévenu sur procès-verbal) qui évitent le recours au juge d’instruction, source de lenteur sans avantage appréciable pour la recherche de la preuve ;

c) les lois des 4 janvier et 24 août 1993 qui confèrent à l’avocat le droit d’apparaître au cours de la garde à vue et le droit de consulter à peu près en permanence le dossier d’instruction ;

d) la loi du 15 juin 2000 qui crée à côté du juge d’instruction le juge des libertés et de la détention (JLD), seul compétent pour placer une personne en détention et pour prolonger la détention, ce magistrat étant saisi par le juge d’instruction. La loi a entendu priver le juge d’instruction de moyens de pression à l’égard des personnes mises en examen (inculpées comme on disait avant 1993). Il s’agit donc de réduire les cas de mise et de maintien en détention provisoire. Cette loi généralise en outre le droit pour les parties (mis en examen et victime constituée partie civile) de solliciter auprès du juge d’instruction toutes investigations (audition, interrogatoires, expertises, écoutes téléphoniques, perquisitions etc…). Enfin, pour éviter des erreurs judiciaires, la loi de 2000 institue un recours contre les arrêts des cours d’assises.

e) Enfin, la loi du 9 mars 2004 développe les alternatives à la poursuite (comme la comparution pénale et la médiation ), crée des règles particulières pour la criminalité organisée (modes de preuve spéciaux comme la sonorisation d’un local, garde à vue de 4 jours au lieu de 2, juridictions spécialisées interrégionales, c'est-à-dire communes à plusieurs cours d’appel) et institue la procédure de plaider coupable, évoquant le play bargaining anglo saxon, mais sans négociation à la différence de ce dernier.

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Ce rappel historique de la procédure pénale française paraît nécessaire pour comprendre le sens des arrêts (et des textes afférents) choisis et que l’on va étudier maintenant. Ces arrêts se répartissent en deux groupes : les uns concernent les garanties accordées à la personne poursuivie et les autres sont relatifs à l’encadrement de la détention provisoire.

I – Garanties accordées à la personne poursuivie (avant jugement et au cours du jugement)

A – Personne en garde à vue, Droits accordés

- Textes :

• Art. 63-1 CPP : « Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire… de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63 ».

L’article 63-2 permet à la personne gardée à vue de faire prévenir un proche. L’article 63-3 lui permet de se faire examiner par un médecin. L’article 63-4 lui permet « dès le début de la garde à vue de demander de s’entretenir avec un avocat », l’entretien ne pouvant excéder 30 minutes. Enfin, l’article 63 indique que la garde à vue peut durer 24 heures avec une prolongation possible d’une durée égale.

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 30 avril 1996, H. M.

1. Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme que H. M. a été interpellé le 11 juillet 1994 vers 23h35 en flagrant délit de vol ; que, conduit au commissariat, il a été entendu par un agent de police judiciaire, puis, le 12 juillet 1994 à 2h15, s’est vu notifier, par un officier de police judiciaire, son placement en garde à vue ainsi que les droits découlant de cette mesure ;

Attendu que, pour annuler la procédure diligentée contre lui, la cour d’appel retient qu’en différant sans nécessité, au-delà du temps, que justifiaient le transfert et l’accomplissement des diligences normales de mise à disposition de l’officier de police judiciaire, le placement en garde à vue de H. M. et son information immédiate sur les droits , les services de police ont méconnu l’obligation définie par l’article 63-1 du Code de procédure pénale ; qu’ils ajoutent que ce retard a porté atteinte aux intérêts du prévenu dont l’état de santé n’a pas été jugé compatible avec la mesure de garde à vue et qui a dû être hospitalisé ;

Attendu qu’en cet état, les juges ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu’en effet, selon l’article 63-1 du Code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l’agent de police judiciaire, a le devoir de notifier les droits attachés au placement en garde à vue dès que la personne retenue se trouve en état d’en être informée ; de tout retard injustifié dans la mise en œuvre de cette obligation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. D’où il suit que le moyen ne peut être admis.

- Observations :

Cet arrêt décide que dès la notification de sa mise en garde à vue par l’enquêteur, la personne a droit à ce que celui-ci lui notifie ses droits indiqués aux articles 63-1 et suivants. Parmi ces droits, figure notamment le droit de s’entretenir avec un avocat.

Que décider si l’enquêteur tarde à notifier les droits ? L’arrêt ci-dessus, en date du 30 avril 1996, répond très nettement que « tout retard injustifié dans la mise en œuvre de cette obligation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ». Un grand

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nombre d’arrêts postérieurs reprendront fidèlement ou presque fidèlement cette formule.

Cette obligation pesant sur l’enquêteur se justifie car la garde à vue est non seulement une contrainte imposée au citoyen, mais aussi un droit puisque le suspect peu dès le début de la mesure consulter un avocat. Et comme le gardé à vue est nécessairement suspect, il est logique qu’il puisse consulter immédiatement un avocat.

Le domaine de l’entretien immédiat avec un avocat doit cependant être bien circonscrit à trois égards :

- il faut qu’il y ait garde à vue, c'est-à-dire contrainte ordonnée par l’enquêteur de sorte que si l’intéressé se présente spontanément au poste de police et s’il accepte de s’expliquer, le droit à l’avocat n’existe pas, et d’ailleurs l’intéressé aurait pu le voir avant de se rendre à la convocation du policier.

- Il importe peu que la notification soit consignée sur procès-verbal postérieurement à la notification elle-même. Ce qui doit être fait dès le début de la garde à vue, c’est la notification verbale.

- Enfin, il y a des cas où la notification elle-même peut ne pas être faite immédiatement. L’arrêt du 30 avril 1996 parle d’un « retard injustifié », ce qui veut dire que le retard peut être justifié, par exemple en cas d’ivresse du gardé à vue (il faut attendre son dégrisement) ou s’il est nécessaire de quérir un interprète.

Un mot encore sur la sanction : si la notification n’a pas été faite immédiatement alors qu’elle aurait pu l’être, la nullité de la garde à vue est automatique et donc – c’est le plus important – également le procès-verbal d’interrogatoire réalisé au cours de cette garde à vue.

B – Transcription de la conversation téléphonique entre un avocat et son client. Conditions.

- Textes :

• Art. 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 sur les avocats : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

• Art. 100-5 al. 3 CPP : « A peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 18 janvier 2006. S. et V.X.

« Vu les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, 100-5 CPP…

Attendu qu’il résulte de ces textes que, même si elle est surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière, la conversation entre un avocat et l’un de ses clients ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure que s’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction ; que la violation de ce principe doit être relevée même d’office par la chambre de l’instruction, chargée d’examiner la régularité de la procédure qui lui a été soumise… »

- Observations :

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Les conversations impliquant des avocats sont en principe à l’abri des écoutes téléphoniques. Cette règle se fonde sur le respect dû aux droits de la défense et sur le secret professionnel. Elle est affirmée par un très grand nombre de décisions.

La règle n’est cependant pas absolue. Elle ne vaut en effet que si l’avocat se conduit comme tel et l’on comprend alors que les écoutes téléphoniques ne soient pas possibles.

Cependant, il arrive en fait que certains avocats – très rares au demeurant – se conduisent non pas comme avocat, mais comme complice de leur client. C’est pourquoi l’article 100-5 CPP permet a contrario la transcription de la conversation entre avocat et client lorsque les droits de la défense ne sont pas en jeu. En le disant, l’arrêt du 18 janvier 2006 ne fait que reprendre des arrêts plus anciens (par exemple un arrêt du 8 novembre 2000). En somme, le bouclier des droits de la défense doit se mériter.

On notera que la situation est la même pour les perquisitions et saisies effectuées au cabinet d’un avocat. Ces opérations peuvent certes être opérées sous la condition qu’elles soient menées par un magistrat et en présence d’un bâtonnier de l’ordre local des avocats (art. 56-1 CPP). Mais une saisie de pièce n’est possible que si elle est de nature à établir la preuve de la participation de l’avocat à une infraction.

C – Témoignage du médecin en justice. Secret professionnel

- Textes :

• Art. 226-13 CP : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende ».

• Art. 434-15 CP : « Le fait de ne pas comparaître, de ne pas prêter serment sans excuse ni justification devant le juge d’instruction ou devant un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire par une personne qui a été citée par lui pour y être entendue comme témoin est puni de 3.750 euros d’amende ».

• Art. 326 CPP (audience de la cour d’assises) et 438 CPP (audience du tribunal correctionnel) : « Le témoin qui ne comparaît pas ou qui refuse soit de prêter serment, soit de faire sa déposition peut, sur réquisition du ministère public être condamné par la juridiction à une amende de 3.750 euros ».

- Jurisprudence

(Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 22 décembre 1966, Bordier.

Attendu qu’il résulte du procès-verbal des débats que la doctoresse T…témoin cité et dénoncé à la requête de la défense devant la Cour d’assises de la Seine, s’est retranchée, pour refuser de déposer, derrière le secret professionnel, bien que l’accusée eût déclaré qu’elle l’en relevait ; qu’en réponse aux conclusions déposées au nom de l’accusée, tendant à ce que la doctoresse T…soit relevée par la Cour du secret professionnel et entendue sur les faits au sujet desquels elle a déclaré ne pouvoir déposer, la Cour a dit, par arrêt incident, n’y avoir lieu d’y faire droit, au motif que l’obligation au secret professionnel, établie et sanctionnée par l’article 378 du Code pénal pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux médecins comme un devoir de leur état qu’elle est générale et absolue et qu’il n’appartient à personne de les en affranchir ; Attendu qu’en statuant ainsi, la Cour, loin d’avoir violé les textes visés au moyen (art. 378 C. pén.

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notamment), a fait, au contraire, une exacte application de l’article 378 du Code pénal (aujourd’hui art. 226-13 C. pén.) ; d’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli…

- Observations :

Une femme avait tué de plusieurs coups de couteau son amant, puis en avait dépecé le corps. Poursuivie pour assassinat, elle sollicita devant la cour d’assises le témoignage d’un médecin, qui, dans le passé, l’avait soignée pour troubles mentaux. Le médecin s’y refusa en invoquant le secret professionnel et la cour l’approuva. Sur pourvoi, la chambre criminelle décida pareillement. Elle considéra dans son arrêt du 12 décembre 1966 que le contrat médical implique la confiance et donc que le secret « s’impose aux médecins comme un devoir de leur état, qu’il est général et absolu et qu’il n’appartient à personne de les en affranchir » : « à personne » et donc pas même à l’accusé qui en l’espère avait supplié le médecin de parler. La Cour de cassation fait donc prévaloir l’obligation au secret sur l’obligation de témoigner en justice.

La Cour de cassation n’a jamais changé de position depuis, reprenant même plusieurs fois cette formule à propos de médecins.

Pourtant la doctrine actuelle n’est pas toujours favorable à cette conception très stricte qui ne facilite pas la recherche de la vérité. On peut même dire qu’elle gêne la défense de l’accusé.

Cet arrêt Bordier, relatif au médecin, invite à s’interroger sur le témoignage en justice réclamé à d’autres personnes tenues elles aussi au secret professionnel. La jurisprudence fait une distinction.

- Il y a des personnes pour lesquelles le secret est absolu, et donc opposable même à la justice (on parle de « confidents nécessaires ») : ce sont les avocats, avoués et notaires. On y ajoute les membres d’un culte religieux et les policiers pour le nom de leurs indicateurs ;

- Il y a d’autres personnes pour lesquelles le secret est relatif : tenues ordinairement au secret, ces personnes doivent en revanche déposer devant la justice. On citera les fonctionnaires des postes ou des douanes, les banquiers, les assureurs et même les juges d’instruction qui sont parfois appelés à déposer en justice.

D – Communication du dossier d’instruction à l’avocat – Dossier complet

- Textes :

Art. 114 al 3 CPP : « La procédure est mise à la disposition des avocats quatre jours ouvrables au plus tard avant chaque interrogatoire de la personne mise en examens ou chaque audition de la partie civile. Après la première comparution de la personne mise en examen ou de la première audition de la partie civile, la procédure est également mise à tout moment à la disposition des avocats durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du cabinet d’instruction ».

- Jurisprudence :

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Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 9 février 1982. Perier.

« L’obligation faite au juge d’instruction par l’article 114 al 3 CPP de mettre le dossier de la procédure à la disposition du conseil du mis en examen…impose la communication de toutes les pièces figurant au dossier…

« Le juge d’instruction procédant à un interrogatoire sur commission rogatoire ne saurait se borner à recueillir les explications de mis en examen sur les seules pièces transmises par le juge mandant et régulièrement communiquées au conseil de l’intéressé alors que ce conseil a préalablement à l’interrogatoire de fond, sollicité expressément la mise à sa disposition de l’ensemble des pièces de la procédure… »

- Observations :

Il est courant qu’un juge d’instruction délègue à un collègue, par voie de commission rogatoire, l’accomplissement d’un acte précis, comme l’audition d’un témoin, la mise en examen d’une personne suspecte ou son interrogatoire. La question se pose alors de savoir si ce juge d’instruction (appelé juge mandant) doit en adressant la commission rogatoire à son collègue (dit juge mandataire) joindre à cette commission rogatoire tout le dossier ou s’il peut se contenter de joindre les pièces les plus importantes, celles seules dont il est à présumer que le juge mandataire aura besoin pour conduire les investigations réclamées.

Dans son arrêt du 9 février 1982, la Cour de cassation opte pour la première thèse : le juge mandant doit adresser le dossier en intégralité à son collègue. Deux raisons expliquent la solution : la lettre de l’article 114 al 3 qui en décidant que la procédure est mise à la disposition des avocats » implique implicitement qu’elle le soit en intégralité ; le principe général des droits de la défense, une bonne défense supposant que l’avocat ait une connaissance complète du dossier.

On peut cependant admettre une exception à cette règle : il s’agit des commissions rogatoires en cours prescrivant une écoute téléphonique. Il est bien évident que le juge, en communiquant le dossier à l’avocat, en retirera le double de la commission rogatoire, (l’original ayant été adressé à l’autorité chargée de l’instruction). Sinon, l’avocat pourrait informer son client de l’existence d’une écoute. Cette possibilité de dissimulation d’une partie du dossier est admise implicitement par l’article 114 al 3 in fine qui rappelle que la communication a lieu « sous réserve des exigences du bon fondement du cabinet du juge d’instruction ».

E – Prévenu cité à personne devant le tribunal. Absence à l’audience. Avocat présent et mandaté. Obligation pour le tribunal de l’entendre.

- Textes :

Art. 6 § 1 Conv. EDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement… »

Art. 6 § 3 Conv. EDH : « Tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur.. »

Art. 410 CPP : « Le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction…Le prévenu a la même obligation lorsqu’il est établi que, bien que n’ayant pas été cité à personne, il a eu connaissance

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de la citation régulière le concernant…

Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est jugé par jugement réputé contradictoire à signifier sauf s’il est fait application des dispositions de l’article 411.

Si un avocat se présente pour assurer la défense du prévenu, il doit être entendu s’il en fait la demande ».

Art. 411 CPP : « Quelle que soit la peine encourue, le prévenu peut, par lettre adressée au président du tribunal…demander à être jugé en son absence en étant représenté…par son avocat…L’avocat…est entendu et le prévenu est alors jugé contradictoirement.

- Jurisprudence :

Cour de cassation, Assemblée plénière, arrêt du 2 mars 2001, Dentico.

« Vu l’article 6 § 1 et 6 § 3. Conv. EDH, et les articles 410 et 411…CPP,

« Attendu que le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l’assistance d’un défenseur s’oppose à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense ».

« Attendu que, selon l’arrêt attaqué (Cour d’appel d’Aix, 17 novembre 1999), poursuivi pour…et régulièrement cité à sa personne, M. Dentico n’a pas comparu, qu’il a invoqué une excuse et donné mandat à son avocat de le représenter, que la juridiction d’appel décidant que le prévenu n’avait aucun motif sérieux de ne pas comparaître l’a jugé…sans entendre son avocat ;

« Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a vidé les textes susvisés… ».

- Obervations :

Le message de cet arrêt - qui renverse une jurisprudence bien assise – est qu’une juridiction doit entendre l’avocat d’un prévenu absent quoique cité à personne, dès lors que l’avocat est mandaté. Le principe nouveau appelle trois observations.

D’abord, il se fonde sur l’idée d’un respect systématique des droits de la défense. Il faut ainsi écho à la Cour de Strasbourg qui décide que la défense par un avocat « figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable » (par exemple CEDH 23 novembre 1993, Poitrimol c. France).

Ensuite, en cas d’absence physique du prévenu, le tribunal peut toujours renvoyer l’affaire s’il estime nécessaire la comparution du prévenu.

Enfin, il faut s’interroger sur la nature de la décision rendue en l’absence du prévenu. Une distinction doit être faite. Si l’avocat a bénéficié d’un mandat express de son client, la décision sera contradictoire et n’aura donc pas à être signifiée au prévenu. Si l’avocat n’a pas de mandat, mais s’il se présente pour assurer la défense du prévenu, la décision sera réputée contradictoire de sorte que le ministère public devra la signifier au prévenu.

F – Droit de l’accusé de connaître exactement le contenu de la prévention

- Textes :

Art. 593 CPP : texte général qui énumère les cas du pourvoi en cassation (absence de

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motifs, silence sur la demande d’une partie…)

Art. 6 Conv. EDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement…Tout accusé a droit…à être informé…d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle…

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 4 mars 1998, Dumez,

« Sur le moyen relevé d’office et pris de la violation des articles 593 CPP et 6…Conv. EDH,

« Attendu que tout prévenu a droit à être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont il est l’objet et doit, par suite, être mis en mesure de se défendre, tant sur les divers chefs d’infraction qui lui sont reprochés que sur chacune des circonstances aggravantes susceptibles d’être retenues à sa charge.

« Attendu que G. Dumez, professeur de collège auquel il était reproché de s’être livré entre 1992 et 1995, sur onze de ses jeunes élèves, âgés de 12 à 15 ans, à des attouchements sur les seins et les cuisses, a été poursuivi pour avoir exercé sans violence, contrainte, menace ni sévices des atteintes sexuelles sur des mineurs, délit prévu et réprimé par les articles 221-25 et 227-29 CP ; que par l’arrêt attaqué, la cour d’appel l’a déclaré coupable d’atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans ou de plus de 15 ans par personne ayant autorité, délit prévu et puni par les articles 227-26 et 227-27 CP ;

« Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la circonstance que le prévenu avait autorité sur les victimes n’était pas visé dans le titre de poursuite et qu’aucune mention de la décision attaquée n’indique que l’intéressé ait été préalablement informé de cet élément modificatif de la prévention, lequel constitue, pour les faits commis à l’égard des mineurs de moins de 15 ans, une circonstance aggravante et, pour les mineurs de plus de 15 ans, un élément constitutif de l’infraction, la cour d’appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ; d’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ».

- Observations :

Le principe de la contradiction, élément du concept plus vaste des droits de la défense, implique que l’accusé ait pu consulter le dossier, savoir exactement ce qui lui est reproché et répondre en conséquence, notamment en discutant la prévention. On ne peut en effet se défendre que si l’on sait de manière précise ce qui vous est reproché.

En l’espèce, un enseignant est traduit devant le tribunal pour atteintes sexuelles sans que soit visée dans la citation le concernant le fait qu’il avait autorité sur les victimes. Or, les juges le condamnent en visant cette circonstance sans qu’il ait pu s’expliquer là-dessus. La cassation était inévitable. Le caractère nécessairement détaillé de la nature et de la cause de la prévention visant le prévenu est donc une garantie essentielle en procédure pénale.

On précisera que la « cause » de la prévention, ce sont les faits eux-mêmes (avec date de commission et lieu). Quant à la « nature », elle concerne la qualification pénale des faits.

Plusieurs décisions antérieures à l’arrêt du 4 mars 1998 impliquaient déjà la même formule, ce qui démontre le caractère indiscuté de la règle, d’autant plus qu’elle sera reprise encore, avec la même formule, après 1998.

G – Devoir d’impartialité. Devoir du président de la juridiction de jugement.

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- Texte :

Art. 328 al 2 CPP : « Le président (de la cour d’assises) a le devoir de ne pas manifester son opinion sur la culpabilité ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 14 juin 1989, Gardechaux.

« Attendu qu’aux termes de l’article 328 al 2 CPP, le président a le devoir de ne pas manifester son opinion sur la culpabilité ;

« Attendu qu’en demandant à l’accusé, comme le constate le procès-verbal, des débats « ne pensez-vous pas que vous niez l’évidence et que vous avez une position insoutenable ? », le président de la cour d’assises qui a ainsi manifesté sans équivoque son opinion sur la culpabilité de Gardechaux, a méconnu la disposition précitée et porté atteinte aux droits de la défense.

« Que la cassation est dès lors encourue… »

- Observations :

L’article 328 al 2 CPP se comprend aisément : il ne faut pas que le président de la cour d’assises, par l’ascendant qu’il peut avoir par ses collègues et sur les jurés, porte atteinte, fût-ce involontairement, à l’impartialité de ces derniers. Cette impartialité du président est d’autant plus nécessaire qu’il mène les débats en interrogeant l’accusé.

De là, une grande rigueur de la Cour de cassation. Elle n’hésite pas à casser toute décision rendue alors que le président avait manifesté son opinion par des réflexions d’où l’on pouvait déduire qu’il avait une idée préconçue sur la culpabilité : ainsi en était-il dans l’affaire Gardechaux. Il y a d’autres affaires identiques comme celle dans laquelle le président avait dit à l’accusé : « Vous méritez le dernier des châtiments » ou « vous avez commis deux crimes odieux et abominables ». Inversement, tout propos ou tout geste qui ne permet pas de penser que le président avait une idée préconçue sur la culpabilité n’aura aucun effet sur la décision de condamnation qui sera maintenue ; le président peut lire à l’audience le casier judiciaire de l’accusé en faisant apparaître une multitude de condamnations précédentes ; le président peut demander à un policier appelé à la barre comme témoin s’il est persuadé de la culpabilité de l’accusé…

La règle de l’article 328 prévue par la cour d’assises s’applique à tout tribunal, même si le Code de procédure pénale ne la consacre qu’à propos de la cour d’assises.

H – Audition à la demande de l’accusé d’un témoin à charge qui n’a pas été entendu avant l’audience. Audition en principe obligatoire pour le tribunal.

- Textes :

Article 6 § 3d Conv. EDH : « Tout accusé a droit notamment…, d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

Art. 315 CPP : « L’accusé, la partie civile et leurs avocats peuvent déposer des

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conclusions sur lesquelles la cour est tenue de statuer ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 6 mars 1991, Dobbertin.

« Attendu d’une part qu’il résulte de l’article 315 CPP que tenue de statuer sur les condamnations régulièrement déposées devant elle, la cour d’assises est dans l’obligation de répondre aux chefs péremptoires qu’elles comportent ;

« Attendu d’autre part qu’aux termes de l’article 6 § 3 Conv. EDH, tout accusé a droit notamment à interroger ou faire interroger les témoins à charge ; qu’il s’ensuit que, sauf impossibilité, dont il leur appartient de préciser les causes, les juges sont tenus, lorsqu’ils en sont légalement requis, d’ordonner l’audition contradictoire des témoins à charge qui n’ont à aucun stade de la procédure été confrontés avec l’accusé .

« Attendu qu’il apparaît du procès-verbal des débats que, dès l’ouverture de ceux-ci, la défense a déposé des conclusions tendant à ce que soit ordonnée la comparution du témoin Stiller, régulièrement cité et dénoncé par le ministère public mais absent, et à «surseoir au déroulement de la présente audience » jusqu’à ce qu’il ait pu être entendu ;

« Qu’au soutien de cette demande, le conseil de Dobbertin faisait valoir que les déclarations de Stiller constituent « les éléments essentiels de l’accusation » et que l’accusé, qui a constamment demandé à être confronté avec lui, n’a jamais pu obtenir cette confrontation ;

« Attendu que la cour, qui avait rendu un premier arrêt de sursis à statuer sur ces conclusions jusqu’à ce que l’instruction à l’audience fût achevé a, après l’audition de tous les témoins présents, décider de passer outre aux débats aux seuls motifs que l’audition du témoin Stiller « n’apparaît pas utile à la manifestation de la vérité ;

« Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et sans notamment rechercher s’il était ou non possible d’assurer la comparution du témoin, la cour d’assises a méconnu les principes ci-dessus rappelés ;

« D’où il suit que, manquant de base légale, l’arrêt attaqué encourt la cassation… »

- Observations :

Un témoin n’a jamais été confronté au cours de l’enquête et de l’instruction avec l’accusé. Ce témoin apparaît être un témoin de l’accusation. Cité à l’audience par le ministère public, il est absent. C’est alors que l’accusé sollicite sa venue aux fins d’audition. Mais la cour ne donne pas suite à cette demande au motif que ce témoin n’apporterait rien. La chambre criminelle casse une telle décision.

Dès lors apparaît un principe, celui que la cour (ou le tribunal aussi bien) doit entendre les témoins à la demande d’une partie, surtout si ces témoins n’ont jamais été confrontés avec l’accusé. On se trouve ici encore au cœur du principe du contradictoire en vertu duquel notamment les parties doivent pouvoir répondre à une accusation. C’est pourquoi cette prérogative des parties, notamment de la personne poursuivie, vaut à la fois devant la cour d’assises et devant toutes les autres juridictions.

Toutefois, l’obligation pour la juridiction d’entendre un témoin à la demande d’une partie n’est pas absolue. La jurisprudence a dégagé plusieurs exceptions, toutes frappées au coin du bon sens :

- le témoin a déjà été entendu lors de l’instruction ;

- l’audition du témoin est manifestement inutile, la démonstration en étant faite ;

- l’audition du témoin est manifestement introuvable malgré de sérieuses recherches ou il

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est sans domicile connu ;

- la demande de la partie est fantaisiste ou n’indique aucun fait de nature à caractériser l’importance du témoignage réclamé ;

- il y a un risque sérieux d’intimidation, de pression ou de représailles ;

- l’audition du témoin n’a pas été requise dans les formes prévues par la loi, les articles 315 et 459 CPP exigeant le dépôt de conclusions.

J – La preuve obtenue par provocation policière porte atteinte au principe de loyauté des preuves de sorte que la condamnation du prévenu est impossible.

- Textes :

Art. 6 § 1 Conv. EDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement… »

Article préliminaire du CPP : « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire… »

- Jurisprudence : Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 9 août 2006

Vu l 'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves ;

Attendu que porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d'une infraction par un agent de l'autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d'un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 1er février 2005, dans le quatorzième arrondissement de Paris, X... et Y..., tous deux mineurs, ont été interpellés par des policiers alors qu'ils venaient de commettre un vol dans une automobile Renault Twingo garée sur la voie publique ; que, depuis le mois de novembre 2004, de nombreux vols à la roulotte avaient été constatés dans le même quartier de l'arrondissement ; queY... avait été interpellé en flagrant délit, à deux reprises, le 22 janvier et le 1er février, à 3 heures, le jour même de son interpellation, à 18 heures 30, en même temps que X... ; qu'il est apparu, à la suite de déclarations d' Y... au juge d'instruction, confirmées pour l'essentiel par le principal enquêteur, que l'interpellation des deux mineurs en flagrant délit, le 1er février 2005, à 18 heures 30, avait été provoquée par une mise en scène policière ; que l'officier de police judiciaire, qui avait interrogé Y... le 22 janvier puis dans la matinée du 1er février, lui avait proposé de faire stationner, près de l'endroit où les jeunes gens se réunissaient, une Renault Twingo, dans laquelle seraient disposés en évidence un téléphone portable et une sacoche d'ordinateur ; que Y... a précisé que l'officier de police judiciaire lui avait remis 7 euros pour qu'il puisse offrir une pizza à ses camarades, afin de les attirer à proximité du véhicule, et que lui-même, censé faire le guet, savait que les policiers observaient X... occupé à forcer la portière de la Renault Twingo ;

Attendu que l'arrêt, faisant droit à la requête présentée par Y..., annule les procès-verbaux relatifs à son interpellation du 1er février, à 18 heures 30, et à son placement en garde à vue, en relevant qu'il avait été incité par un fonctionnaire de police à commettre l’infraction ;

Attendu qu'en revanche, pour rejeter la requête en annulation présentée par Mohamed X..., l'arrêt, par les motifs reproduits au moyen, retient qu'il a commis le vol de sa propre initiative et que le but de la mise en scène policière n'était pas de le provoquer à l'infraction mais seulement d'établir la preuve de son implication dans les faits préalablement dénoncés par Y... ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, tout en relevant que X... et Y... avaient été interpellés alors qu'ils perpétraient de concert un délit que le second avait été provoqué à commettre par un fonctionnaire de police, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

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- Observations :

Une infraction commise par la voie d’une provocation de la part d’un policier ne peut fonder des poursuites. En l’espèce, un policier avait proposé à l’un des prévenus de faire stationner, près d’un lieu où des jeunes se réunissaient, un véhicule dans lequel seraient mis en évidence un téléphone portable et une sacoche d’ordinateur. Les policiers avaient même remis à ce prévenu 7 euros pour qu’il puisse offrir une pizza à ses camarades pour les attirer près du véhicule. Les policiers, non loin, observaient les jeunes en train de forcer une portière du véhicule. La provocation était manifeste, renforcée par le don au prévenu d’une somme d’argent.

La nullité de la procédure était inévitable :

- car le prévenu n’avait plus totalement sa liberté de passer à l’acte ;

- car l’article 6 Conv. EDH en exigeant que le procès soit équitable proscrit l’usage de preuves obtenues à la suite de provocations policières comme le dit d’ailleurs la CEDH (affaire Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998) ;

- car l’article préliminaire du CPP français exige lui aussi que la procédure soit équitable, cet adjectif devant avoir le même sens qu’en droit européen.

On rappellera cependant que dans certains cas particuliers, comme le trafic de drogue, les policiers peuvent monter une provocation à l’égard d’individus qu’ils soupçonnent déjà et qu’ils ne pourraient pas démasquer sans une telle opération (art. 706-82 CPP permettant aux policiers d’acquérir de la drogue de trafiquants qu’il ont infiltrés).

K. Liberté de la preuve et appréciation par le tribunal selon son intime conviction après discussion contradictoire.

- Texte :

Art. 427 al 1. CPP : « Hors, les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ».

Art. 427 al 2 CPP : « Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 11 juin 2002

Vu l’article 427 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu'il leur appartient seulement, en application du texte susvisé, d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que plusieurs membres ou sympathisants de l'association SOS Racisme ont organisé une opération, dite « testing », destinée à établir d'éventuelles pratiques discriminatoires à l'entrée de discothèques ; qu’à cet effet, les intéressés se sont répartis en trois groupes, l'un constitué par une femme et deux hommes d'origine maghrébine et les autres, par une femme et un homme d'origine européenne ; qu'ainsi regroupés, ils se sont présentés à l'entrée de chaque discothèque ; que, les personnes d'origine maghrébine s'étant vu refuser l 'entrée, une enquête a été effectuée par les gendarmes appelés sur place ; qu'à la suite de cette enquête, le procureur

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de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel Jean-Daniel Labradero, exploitant des établissements concernés, ainsi que leurs portiers, Jean-Louis Dhaisne et Laurent Jacinto, pour discrimination dans la fourniture d'un service à raison de l'origine raciale ou ethnique, sur le fondement des articles 225-1 et 225-2 du Code pénal ; que plusieurs personnes, dont l'association SOS Racisme, se sont constituées partie civile ; que le tribunal a relaxé les prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes ;

Attendu que, pour confirmer ce jugement, la cour d'appel retient, substituant ses motifs à ceux des premiers juges, que le procédé dit « testing » est illicite ; qu'elle énonce qu'il n'offre « aucune transparence », ne respecte pas « la loyauté nécessaire dans la recherche des preuves et porte atteinte aux droits de la défense ainsi qu'au droit à un procès équitable » ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

- Observations :

Pour faire apparaître un délit de discrimination en raison de la race ou de l’ethnie, à l’entrée des discothèques, des associations ont eu recours au procédé dit du « testing » ou échantillonnage. Celui-ci consiste à constituer des groupes constitués les uns de maghrébins et les autres d’européens, ces groupes se présentant à l’entrée des discothèques. Si tel groupe se voit refuser l’accès à l’établissement, en raison de son ethnie, il peut y avoir délit de discrimination.

Dans une espèce, ayant donné lieu à l’arrêt ci-dessus, les juges du fond avaient décidé que la preuve était illicite et déloyale et en conséquence refusé de condamner le tenancier de l’établissement. Mais la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel.

Elle considère que même si un procédé de preuve est illégal ou illicite, la loi ne permet pas de l’écarter ; il suffit, pour qu’il soit recevable, qu’il ait été soumis à la discussion contradictoire et alors le juge se décidera selon son intime conviction, c’est à dire selon ce qu’il pense profondément dans son for intérieur.

La solution de l’arrêt du 11 juin 2002 s’explique en réalité par les arguments suivants :

- Aucun texte de loi n’exclut la preuve obtenue implicitement ;

- La preuve en l’espèce n’a pas été établie sur la base d’une provocation, ce qui aurait invalidé la preuve selon la jurisprudence ;

- Il n’y a pas d’autre moyen de prouver le délit de discrimination ;

- La preuve par « testing » ou échantillonnage doit avoir été discutée contradictoirement à l’audience, ce qui traduit le souci de respecter les droits de la défense du prévenu :

- Enfin, le tribunal garde toute liberté d’appréciation et il ne condamnera que s’il est normalement certain de la culpabilité du prévenu.

L – Communication aux autres parties de pièces remises par le prévenu au cours du débat d’audience.

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- Texte :

Art. 427 al 2 CPP : « Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 12 janvier 2005. JL. X

Vu l’article 427 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d’examiner les preuves qui lui sont apportées lors des débats, au motif qu’elles n’auraient pas été préalablement communiquées à la partie adverse ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que Jean-Louis X…prévenu d’abus de confiance, a produit divers documents lors des débats d’appel ; que, pour faire droit à la demande du ministère public tendant à ce que ces pièces soient écartées des débats, les juges du second degré énoncent que « ne peuvent être pris en considération par la Cour des documents non soumis à la libre discussion des parties, notamment lorsqu’ils n’ont pas, préalablement, été remis au ministère public » ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi alors qu’il lui appartenait d’assurer le débat contradictoire en ordonnant la communication des documents susvisés au ministère public, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

- Observations :

Au cours de l’audience de jugement, le prévenu produit divers documents pour sa défense. Le ministère public demande que ces pièces soient écartées des débats, leur remise au tribunal étant trop tardive. Les juges suivent le ministère public en indiquant qu’ils ne peuvent pas prendre en considération ces documents « qui n’ont pas été soumis à la libre discussion des parties, notamment lorsqu’ils n’ont pas, préalablement, été remis au ministère public . Mais l’arrêt affirmant cela est cassé car les juges auraient dû « assurer le débat contradictoire en ordonnant la communication des documents au ministère public », en application de l’article 427 CPP.

Plusieurs enseignements se dégagent de cet arrêt du 12 janvier 2005 :

- D’abord les parties peuvent produire des pièces pour leur défense jusqu’à l’audience incluse, et pourrait-on ajouter, jusqu’à la fin du débat d’audience (ce qu’on appelle l’instruction définitive) ;

- Ensuite le principe du contradictoire – qui permet à toute partie, y compris le ministère public, de connaître tous les éléments du dossier, même les plus récents, pour pouvoir y répondre – impose au tribunal de les communiquer aux autres parties ; le tribunal ne peut donc rejeter les débats des pièces pour cause de remise tardive ;

- De cela, on déduira – encore que l’arrêt ne le dise pas – que la partie découvrant des pièces au cours du débat d’audience puisse solliciter un renvoi de l’affaire pour qu’elle ait le temps de les lire et d’y répondre. Mais c’est le tribunal qui décidera s’il y a lieu d’ordonner le renvoi.

II – Encadrement de la détention provisoire

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Quatre questions sont examinées.

A – Ordonnance de mise en détention provisoire ou de prolongation de la détention provisoire. Motivation indispensable

- Textes :

Art. 5 § 1 Conv. EDH : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté : Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales…c) S’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci.. ».

Art. 6 § 1 Conv. EDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement… ».

Art. 137 CPP : « La personne mise en examen, présumée innocente reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire ». Art. 137-3 CPP : « Le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance motivée. Lorsqu’il ordonne ou prolonge une détention provisoire ou qu’il rejette une demande de mise en liberté, l’ordonnance doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait sur le caractère insuffisant du contrôle judiciaire et le motif de la détention par référence aux dispositions des articles…144 ».

Art. 137-3 CPP : « Le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance motivée ».

Art. 144 CPP : « La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l’unique moyen :

1° - De conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;

2° - De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement ;

3° - De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causées.

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 15 mars 2005, H. X.

« Vu les articles 5 et 6 Conv. EDH, 137 et 144 CPP,

« Attendu que pour confirmer l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire de la personne mise en examen, l’arrêt énonce que H. X. a été interpellé en compagnie d’A.Y. qui s’était évadé de prison à la faveur d’une action menée par un commando d’une dizaine de personnes ayant utilisé des explosifs et des armes de guerre, que les juges relèvent que H. X entretenait des contacts réguliers avec A. Y. pendant la fuite de ce dernier à qui il a reconnu avoir fourni de faux documents administratifs et à qui il devait en procurer d’autres ; qu’ils ajoutent que H. X. avait été en relation avec A. Y. avant son évasion et qu’il connaissait deux autres personnes poursuivies dans la même procédure ».

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« Attendu qu’en l’état de ces motifs d’où il résulte que…c’est après avoir examiné les circonstances de la cause et analysé les charges pesant sur H. X. d’avoir participé aux faits pour lesquels il est mis en examen que la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire… »

« Et attendu que l’arrêt est régulier tant en la forme qu’au regard des articles 137-3 et suivants CPP, rejette le pourvoi.. »

- Observations :

Il résulte d’une combinaison des articles 137-3 et 144 que les magistrats doivent motiver les décisions impliquant la détention d’une triple façon : 1° Ils doivent d’abord indiquer que le contrôle judiciaire (mesure impliquant des obligations, mais non privative de liberté) est insuffisant car la détention provisoire est la mesure extrême à laquelle il est recouru quand il est impossible de faire autrement ; 2° Ils doivent trouver des éléments concrets justifiant la détention ; 3° Ils doivent enfin rattacher les données concrètes à l’un des trois cas énumérés à l’article 144 CPP. D’où il résulte que les magistrats ne sauraient se contenter de dire abstraitement que la détention est nécessaire parce qu’il y a par exemple un risque de fuite. En revanche, si les magistrats indiquent que le risque de fuite est réel parce que par exemple l’intéressé a déjà pris la fuite ou est sans domicile fixe, leur décision est régulière.

La conséquence de tout cela est que la Cour de cassation devient un peu juge du fait.

Enfin, bien que le Code de procédure pénale ne le dise pas, il faut que toute décision de mise ou maintien en détention se fonde sur des indices sérieux de culpabilité. L’arrêt du 15 mars 2005 y fait d’ailleurs allusion.

B – Détention provisoire. Libération. Circonstances nouvelles. Remise en détention possible.

- Textes :

Art. 5 Conv. EDH : Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté. Sauf dans les cas suivants et selon les voies légales….c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après la commission de celle-ci… ».

Art. 6 § 1 Conv. EDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement… ».

Art. 144 CPP : « La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l’unique moyen .

1° De conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;

2° De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement ;

3° De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice

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qu’elle a causé ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 30 avril 2002, X. Gilles.

« Vu les articles 5 et 6 Conv. EDH, 144 CPP ;

« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, mis en examen pour viols et agressions sexuelles aggravés, Gilles X. a été placé sous mandat de dépôt le 8 décembre 2000 ; que sa détention a été prolongée pour une durée de 6 mois par ordonnance du 5 décembre 2001 ; que cependant par arrêt du 20 décembre suivant, la chambre de l’instruction a annulé l’ordonnance déférée et prononcé la mise en liberté d’office de l’intéressé, qu’une ordonnance rendue le 21 décembre suivant par le juge des libertés et de la détention l’ayant placé à nouveau en détention provisoire, Gilles X. a été libéré en exécution d’un arrêt de la chambre de l’instruction du 30 janvier 2002 infirmant l’ordonnance précitée ; que par ordonnance du 17 janvier 2002, l’intéressé a fait l’objet d’un nouveau placement en détention provisoire ;

« Attendu que pour confirmer, sur l’appel de Gilles X, l’ordonnance entreprise, la chambre de l’instruction, après avoir analysé le contenu des actes d’instruction intervenus postérieurement au 21 décembre 20001, retient l’existence de circonstances nouvelles qui nécessitent d’autres investigations ; qu’elle relève que seule la détention provisoire est de nature à permettre la poursuite de l’information dans un contexte où des pressions sur les victimes et les témoins sont à craindre de la part de Gilles X. qui conteste une partie des faits les plus graves ; qu’elle ajoute qu’un contrôle judiciaire est manifestement insuffisant pour éviter de telles pressions ainsi que le renouvellement des faits imputés à la personne mise en examen, compte tenu de sa personnalité ;

« Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ;

« Qu’en effet, aucune disposition de la loi n’interdit au juge des libertés et de la détention de délivrer, au cours d’une même information, un autre titre de détention à raison des mêmes faits lorsque des circonstances nouvelles entrant dans les prévisions de l’article 144 CPP justifient eu égard aux nécessités actuelles de l’instruction, la délivrance d’un nouveau titre d’incarcération ;

« Que tel étant le cas en l’espèce, le moyen ne peut qu’être écarté ».

« Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme, rejette le pourvoi ».

- Observations :

Poursuivi pour infraction sexuelle, un individu est placé en détention provisoire, puis remis en liberté. Mais c’est alors qu’apparaissent des circonstances nouvelles à propos des mêmes faits. Les circonstances nouvelles qui consistent en risques de pressions sur les victimes nécessitent un retour en détention. Donc pour les mêmes faits, une nouvelle détention, après une période de liberté, est possible. Cette règle découle directement de l’article 144 CPP qui précise en son 1° que la détention provisoire est possible en cas de risques de pressions sur un témoin ou une victime.

Un nouveau titre de détention pour les mêmes faits est également possible lorsque le premier a été annulé pour vice de forme. Et cette fois, il n’est pas nécessaire que des circonstances nouvelles se soient révélées (en ce sens, chambre criminelle, arrêt du 3 septembre 2003).

La règle commune aux deux situations est que la détention est possible (et n’est possible que) si l’on se trouve dans l’un des cas énumérés à l’article 144 CPP.

C – Détention provisoire. Durée raisonnable. Question de fait et donc non contrôlée par la Cour de cassation.

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- Textes :

Art. 144-1 al 1 CPP : «La détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ».

Art. 5 § 3 Conv. EDH : « Toute personne arrêtée ou détenue…a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure… »

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 3 juin 2003. X.

« Attendu que le demandeur ne saurait être admis à critiquer les motifs…pour lesquels la chambre de l’instruction a estimé que la durée de la détention provisoire n’exédait pas le délai raisonnable, prévu tant par l’article 144-1 CPP que par l’article 5 § 3 Conv. EDH, une telle appréciation échappant au contrôle de la Cour de cassation. « D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; rejette le pourvoi .

- Observations :

La durée de la détention provisoire doit être aussi réduite que possible. De là deux séries de règles. D’abord, le CPP prévoit des limites (ou plafonds) chiffrées. Ensuite, le CPP prévoit une règle plus souple, celle du délai raisonnable, en vertu de laquelle la détention doit cesser, même avant épuisement des temps limites, dès lors que la gravité des faits et l’avancement des investigations ne la justifient plus.

Cependant – et c’est l’apport de l’arrêt ci-dessus – ce sont les juridictions du fond qui déterminent quand le maintien de la détention devient déraisonnable. Pas de contrôle de la Cour de cassation donc, s’agissant d’une question de fait.

D – Ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. Motivation indispensable

- Texte :

Art. 137 CPP : « La personne mise en examen présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel être placée en détention provisoire ».

- Jurisprudence :

Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 8 août 1995, Romero.

« Attendu que selon l’article 137 CPP, le contrôle judiciaire auquel peut être soumise la personne mise en examen ne peut être ordonné qu’en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté ;

« Attendu que Gérald Romero, président de la Société Sicopas, a été mis en examen du chef de corruption active et placé sous contrôle judiciaire comportant notamment, l’obligation de fournir, en cinq versements échelonnés, du 30 octobre 1994 au 28 février 1995, un cautionnement de 500.000 francs garantissant à concurrence, respectivement, de 50.000 francs, sa représentation à tous les actes de la procédure et pour l’exécution du jugement et, de 450.000 francs, le paiement de la réparation des dommages causés par l’infraction ;

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« Attendu que, pour confirmer, sur l’appel de l’intéressé, l’ordonnance entreprise, les juges du second degré, après avoir rappelé les faits de la cause, énoncent que le montant du cautionnement n’est pas excessif en l’état, notamment, des ressources alléguées de Romero, d’un montant mensuel de 29.000 francs, mais « en réalité bien supérieur », et qu’en déterminant les sommes affectées à chacune des deux parties du cautionnement, le juge d’instruction n’a fait que se conformer aux dispositions de l’article 142 CPP ; qu’ils ajoutent que « divers documents découverts, et plus spécialement les accords passés par la Sicopar avec la CGE révèlent que Romero a joué « un rôle actif dans le processus de financement fictif » résultant du versement prétendu par cette dernière société à la société Sicopar d’une somme de 1.000.000 francs, laquelle correspondrait à des commissions occultes pour un contrat concernant une autre commune ».

« Mais attendu qu’en statuant ainsi sans s’expliquer sur les circonstances justifiant, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, le placement de Romero sous contrôle judiciaire, la chambre d’accusation a méconnu le texte et le principe ci-dessus rappelé ;

« D’où il suit que la cassation est encourue ».

- Observations :

A l’instar de la détention provisoire, le contrôle judiciaire doit être motivé. On pourrait à première vue s’en étonner. Pourtant, cette motivation est raisonnable d’abord car le contrôle judiciaire, cette demi-mesure réduit malgré tout la liberté du mois en examen en l’astreignant à certaines obligations, ensuite car l’article 137 CPP entend qu’il fasse l’objet d’une motivation.

Comme pour la détention provisoire, le juge décidant la mise sous contrôle judiciaire doit faire apparaître dans sa décision de faits concrets, entrant dans ces catégories juridiques que sont les nécessités de l’instruction ou la nécessité de prendre une mesure de sûreté. Par exemple, dans une affaire sexuelle, le juge obligera – s’il estime pouvoir éviter la détention provisoire – la personne mise en examen à ne pas rencontrer la victime, ce qui est l’une des modalités du contrôle judiciaire (art. 137, 9ème CPP). Il faut en effet éviter la réitération des faits, ce qui fait apparaître le contrôle judiciaire comme une mesure de sûreté ou de précaution.

Si le juge d’instruction modifie le contrôle judiciaire en ajoutant une nouvelle obligation, il devra également motiver sa décision. Il en irait de même du refus par le juge de supprimer à la demande du mis en examen le contrôle judiciaire.

Jean PRADEL

Professeur émérite de l’Université de Poitiers Ancien juge d’instruction

Abréviations :

CPP : Code de procédure pénale français (de 1959 modifié) CP : Code pénal français (de 1991 modifié) Conv. EDH : Convention européenne des droits de l’homme

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CEDH : Cour européenne des droits de l’homme (à Strasbourg, France)