Quelle place pour le clonazepam dans la douleur chronique ?

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Douleurs, 2006, 7, 6 314 VOTRE PRATIQUE Quelle place pour le clonazepam dans la douleur chronique ? Florentin Clère (photo), Franck Henry, Muriel Perriot Dans le cadre de la prise en charge des patients douloureux chroniques, le clonazepam est un produit couram- ment utilisé… en France ! Contraire- ment aux autres pays du monde, son utilisation est courante, enseignée, généralisée, quasi-plébiscitée. Combien de fois avons-nous entendu, au décours de discussions entre confrères ou pen- dant des journées à thème « si la douleur résiste, j’utilise le RIVOTRIL ® , ça marche pas mal… ». Pourquoi un tel engoue- ment français pour cette molécule ? Pour quels patients ? Dans quel but ? Pour quel résultat ? C’est en recueillant le témoi- gnage des patients que nous prenons en charge en consulta- tion pluridisciplinaire de la douleur que nous nous sommes posé ces questions. Nous entendons souvent de leur part « ça m’endort mais la douleur est toujours aussi forte… ». Quelle est donc la place du clonazepam dans la prise en charge glo- bale de la douleur chronique ? C’est en nous basant sur notre pratique quotidienne et sur une revue de la littérature que nous nous proposons de répondre à cette question. LE PRODUIT Le clonazepam est commercialisé en France [1] sous 3 formes : comprimés à 2 mg, solution buvable à 0,1 mg/goutte et solution injectable en ampoule d’1 mg/ 1 ml. Il a obtenu une autorisation de mise sur le marché dans l’indication « traitement de l’épilepsie ». Du fait de son appartenance à la famille des benzo- diazépines, le clonazepam possède 6 propriétés : myorelaxante, anxiolyti- que, sédative, hypnotique, amnésiante, anticonvulsivante. Ces effets sont liés à une action agoniste spécifique sur un récepteur central modulant l’ouverture du canal chlore. Sa demi-vie est de 20 à 60 heures, la molécule persiste dans l’organisme pendant une période de l’ordre de 5 demi-vies, soit 4 à 12 jours. Un flacon de 500 gouttes (50 mg), qui per- met un mois de traitement à la dose de 15 gouttes par jour, coûte 2,06 . CLONAZEPAM ET DOULEUR : QUELLES DONNÉES DANS LA LITTÉRATURE ? En associant « clonazepam » et « pain » dans la base de don- nées PUBMED, 96 références sont listées, seules 15 d’entre elles concernent l’efficacité du clonazepam pour la prise en charge de certains tableaux douloureux. Il s’agit de cas cli- niques ou d’études ouvertes dans 13 cas : névralgie faciale [2-5], stomatodynie [6-8], syndrome myofascial [9, 10], syn- drome des jambes sans repos [11, 12], algohallucinose [13], douleur cancéreuse [14]. Seuls 2 essais contrôlés de bonne qualité méthodologiques ont montré une efficacité signifi- cativement supérieure au placebo : 1 étude multicentrique française sur la stomatodynie [15] et une étude sur le SADAM [16]. Les résultats de cette recherche sont corrobo- rés par les publications de la base Cochrane (Evidence based medecine) sur l’intérêt des antiépileptiques dans la douleur [17] et sur le traitement de la stomatodynie [18]. Un traitement de la douleur neuropathique ? Si le clonazepam a pu être utilisé avec succès par quelques auteurs dans le traitement des névralgies faciales [2-5], essen- tielles ou secondaires, il ne constitue pas une molécule de pre- mière intention, celle de référence restant la carbamazépine. Pour ce qui est des douleurs neuropathiques (DN) en elles- mêmes, provoquées par une lésion ou un dysfonctionnement du système nerveux central ou périphéri- que [19], seule l’équipe universitaire de Bartusch [13] a pu décrire les cas de 2 patients amputés qui ont pu tirer béné- fice de l’utilisation du clonazepam. De ce fait la molécule est absente des recommandations anglo-saxonnes de prise en charge de la douleur neuropa- thique. Elle ne figure même pas dans les index des ouvrages édités par l’IASP sur le sujet « douleur neuropathique : physio- pathologie et traitement » [20] et « stra- tégies émergeantes pour le traitement de la douleur neuropathique » [21]. Si la revue de la littéra- ture (2000) de l’équipe de Backonja [22] laisse la porte ouverte au potentiel analgésique de 6 anti-épileptiques, dont le clonazepam, une nouvelle mise à jour de cette revue (2005) par une équipe danoise [23] exclue cette molécule d’un arbre décisionnel de traitement de la douleur neuropathique : Consultation pluridisciplinaire de la douleur, Centre Hospitalier, Chateauroux. Le clonazepam est commer- cialisé en France sous 3 formes : comprimés à 2 mg, solution buvable à 0,1 mg/ goutte et solution injectable en ampoule d’1 mg/1 ml

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V O T R E P R A T I Q U E

Quelle place pour le clonazepam dans la douleur chronique ?

Florentin Clère (photo), Franck Henry, Muriel Perriot

Dans le cadre de la prise en charge despatients douloureux chroniques, leclonazepam est un produit couram-ment utilisé… en France ! Contraire-ment aux autres pays du monde, sonutilisation est courante, enseignée,généralisée, quasi-plébiscitée. Combiende fois avons-nous entendu, au décoursde discussions entre confrères ou pen-

dant des journées à thème « si la douleur résiste, j’utilise leRIVOTRIL

®

, ça marche pas mal… ». Pourquoi un tel engoue-ment français pour cette molécule ? Pour quels patients ? Dansquel but ? Pour quel résultat ? C’est en recueillant le témoi-gnage des patients que nous prenons en charge en consulta-tion pluridisciplinaire de la douleur que nous nous sommesposé ces questions. Nous entendons souvent de leur part « çam’endort mais la douleur est toujours aussi forte… ». Quelleest donc la place du clonazepam dans la prise en charge glo-bale de la douleur chronique ? C’est en nous basant sur notrepratique quotidienne et sur une revue de la littérature quenous nous proposons de répondre à cette question.

LE PRODUIT

Le clonazepam est commercialisé en France [1] sous 3 formes :comprimés à 2 mg, solution buvable à 0,1 mg/goutte etsolution injectable en ampoule d’1 mg/1 ml. Il a obtenu une autorisation demise sur le marché dans l’indication« traitement de l’épilepsie ». Du fait deson appartenance à la famille des benzo-diazépines, le clonazepam possède6 propriétés : myorelaxante, anxiolyti-que, sédative, hypnotique, amnésiante,anticonvulsivante. Ces effets sont liés àune action agoniste spécifique sur unrécepteur central modulant l’ouverturedu canal chlore. Sa demi-vie est de 20 à60 heures, la molécule persiste dansl’organisme pendant une période de l’ordre de 5 demi-vies,soit 4 à 12 jours. Un flacon de 500 gouttes (50 mg), qui per-met un mois de traitement à la dose de 15 gouttes par jour,coûte 2,06

.

CLONAZEPAM ET DOULEUR : QUELLES DONNÉES DANS LA LITTÉRATURE ?

En associant « clonazepam » et « pain » dans la base de don-nées PUBMED, 96 références sont listées, seules 15 d’entreelles concernent l’efficacité du clonazepam pour la prise encharge de certains tableaux douloureux. Il s’agit de cas cli-niques ou d’études ouvertes dans 13 cas : névralgie faciale[2-5], stomatodynie [6-8], syndrome myofascial [9, 10], syn-drome des jambes sans repos [11, 12], algohallucinose [13],douleur cancéreuse [14]. Seuls 2 essais contrôlés de bonnequalité méthodologiques ont montré une efficacité signifi-cativement supérieure au placebo : 1 étude multicentriquefrançaise sur la stomatodynie [15] et une étude sur leSADAM [16]. Les résultats de cette recherche sont corrobo-rés par les publications de la base Cochrane (

Evidencebased medecine

) sur l’intérêt des antiépileptiques dans ladouleur [17] et sur le traitement de la stomatodynie [18].

Un traitement de la douleur neuropathique ?

Si le clonazepam a pu être utilisé avec succès par quelquesauteurs dans le traitement des névralgies faciales [2-5], essen-tielles ou secondaires, il ne constitue pas une molécule de pre-mière intention, celle de référence restant la carbamazépine.Pour ce qui est des douleurs neuropathiques (DN) en elles-mêmes, provoquées par une lésion ou un dysfonctionnement

du système nerveux central ou périphéri-que [19], seule l’équipe universitaire deBartusch [13] a pu décrire les cas de2 patients amputés qui ont pu tirer béné-fice de l’utilisation du clonazepam.De ce fait la molécule est absente desrecommandations anglo-saxonnes deprise en charge de la douleur neuropa-thique. Elle ne figure même pas dans lesindex des ouvrages édités par l’IASP surle sujet « douleur neuropathique : physio-pathologie et traitement » [20] et « stra-tégies émergeantes pour le traitement

de la douleur neuropathique » [21]. Si la revue de la littéra-ture (2000) de l’équipe de Backonja [22] laisse la porteouverte au potentiel analgésique de 6 anti-épileptiques,dont le clonazepam, une nouvelle mise à jour de cetterevue (2005) par une équipe danoise [23] exclue cettemolécule d’un arbre décisionnel de traitement de la douleurneuropathique :

Consultation pluridisciplinaire de la douleur, Centre Hospitalier,Chateauroux.

Le clonazepam est commer-cialisé en France sous 3

formes : comprimés à 2 mg, solution buvable à 0,1 mg/

goutte et solution injectable en ampoule d’1 mg/1 ml

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– en cas de douleurs post-zostériennes ou de territoire dou-loureux limité : utiliser en priorité la lidocaïne en tissugel ;– dans les autres cas, utiliser en première intention les antidé-presseurs tricycliques et/ou les anti-épileptiques (gabapentineou prégabaline) en fonction de leurscontre-indications respectives et de leurtolérance ;– en seconde ligne l’utilisation du trama-dol ou de l’oxycodone est recommandée.Pour les auteurs, les antiépileptiques dechoix sont donc la gabapentine et laprégabaline, molécules qui possèdenten France une A.M.M. spécifique, sanslaisser de place au clonazepam, mêmeen seconde ligne.Absence d’études ou absence d’efficacité spécifique ? Mêmele mécanisme d’action du produit pose question : son effet estlié à une action agoniste spécifique sur un récepteur centralmodulant l’ouverture du canal chlore [1]. Aucun rapport avecles cibles thérapeutiques des autres anticonvulsivants : lescanaux sodiques et/ou calciques…Et pourtant l’utilisation du clonazepam est, en France, couram-ment enseignée dans les diplômes universitaires, figure enbonne place dans les ouvrages de référence sur le sujet[24, 25], contrairement aux données du

Textbook of Pain

deWall et Melzack [26].

Un rôle à jouer dans la douleur cancéreuse ?

Là encore aucune étude ne permet de conclure à un effetantalgique du clonazepam dans un contexte de douleurcancéreuse, même en cas de douleur neuropathique liée aucancer [27-30]. Il peut être intéressant en cas de myoclo-nies liées à l’utilisation de fortes doses d’opioïdes [31], oucomme adjuvant pour la prise en charge de l’anxiété [32].Il est pourtant largement utilisé et cité comme recours parles structures ressources en soins palliatifs françaises…

Pour les douleurs musculaires ?

Comme toute benzodiazépine, le clonazepam est myore-laxant. Cette propriété peut expliquer son action dans les syn-dromes myofasciaux [9, 10], et probablement dans le SADAM[16] au cours duquel les contractures faciales peuvent s’avérermajeures. De même les contractures et rétractions des musclesspinaux, pelvi-trochantériens et sous-pelviens jouent un rôleimportant dans la genèse et la pérennisation de la lombalgiechronique. Aucune étude n’est venue jusqu’alors étudier lebénéfice du clonazepam dans cette indication, alors qu’il estutilisé quotidiennement par les rhumatologues.

Un médicament des syndromes douloureux mal connus ?

Le syndrome des jambes sans repos, la stomatodynie et lafibromyalgie sont des tableaux douloureux dont la physio-

pathologie est encore peu ou pas connue, pour lesquels iln’existe pas de traitement étiologique. Leur prise en charges’avère difficile, pousse souvent le somaticien à utiliser denombreux produits, au fur et à mesure des échecs successifs.

Dans ce panel de produits, le clonazepama insidieusement pris une place impor-tante, son utilisation est presque devenueun réflexe français. Mais là encore la litté-rature internationale reste pauvre. L’utilisa-tion de comprimés d’1 mg de clonazepam,à sucer 3 fois par jour pendant 14 jours, apermis une diminution de la douleur,supérieure au placebo, chez 48 patientsprésentant une stomatodynie [15]. Cepen-dant les auteurs (français cette fois) de

cette étude ne peuvent qu’évoquer l’hypothétique action péri-phérique du produit, sur des mécanismes physiologiquesencore inconnus.

POURQUOI UNE TELLE EXCEPTION FRANÇAISE ?

Lorsqu’elle devient chronique, de symptôme la douleurdevient syndrome : sa prise en charge s’avère alors complexe,du fait de l’intrication de facteurs physiques, psychologiqueset sociaux. Le parcours du patient douloureux chronique estsouvent long, marqué par de multiples échecs thérapeutiques.Patients et soignants se demandent alors : « quelle est donccette douleur qui résiste aux antalgiques ? ». Tout semble alorsbon d’être tenté : des produits ayant démontré leur effica-cité lors d’études cliniques, et d’autres utilisés plus empirique-ment. Dans cette seconde catégorie se classe le clonazepam :la littérature internationale est là pour le prouver. Au cours denotre pratique, nous nous sommes souvent interrogés sur cetteexception française. En effet les témoignages de nos patientss’avèrent souvent en décalage avec le vécu des prescripteurssur l’efficacité du produit dans le contexte d’une douleur chro-nique. C’est le fruit de notre réflexion que nous livrons danscette partie : pour quelles raisons prescrire le clonazepam ?

Pour sa galénique ?

L’adaptation personnalisée des traitements médicamenteux estune règle d’or : l’existence d’une forme buvable, en gouttes, duclonazepam est un élément important de choix du prescrip-teur. Elle permet en effet une augmentation progressive afind’atteindre la dose cible : la plus efficace avec le moins d’effetssecondaires possibles. De plus la forme buvable est adaptée àla personne fragilisée, notamment en cas de déglutition diffi-cile. L’argument économique est également non négligeable :2,06

le flacon de 500 gouttes, soit un coût journalier demoins de 7 centimes d’euros à la dose de 15 gouttes par jour.Ceci explique probablement l’absence de réaction négativedes Caisses Primaires d’Assurance-maladie à la prescription

Le parcours du patient douloureux chronique est

souvent long, marqué par de multiples échecs thérapeuti-

ques.

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large d’un produit hors AMM. Le clonazepam en solutionbuvable serait-il encore commercialisé en France s’il n’était uti-lisé que dans le cadre de l’épilepsie ? Sa survie n’est-elle pasuniquement assurée par une utilisation pour laquelle le labora-toire n’a entrepris aucune étude : la douleur ?

Pour une hypothétique action antalgique ?

Le clonazepam est-il un antalgique ? La réponse est non si l’onse réfère aux fameux paliers de l’O.M.S., mais son utilisationcomme traitement de référence des DN a été largement ensei-gnée en France [24, 25]. Pour quelle raison ? La recherche cli-nique e rapidement évolué depuis ces 30 dernières années :description du concept de douleur neuropathique, théorie dugate control, mise en évidence de la physiopathologie desDN. L’action des anti-épileptiques sur les canaux sodiques et/ou calciques ou encore de type GABAergi-que a poussé à leur utilisation pour le trai-tement des DN [26]. Le clonazepam s’estretrouvé dans le lot, même si son actionanticonvulsivante est liée à des mécanis-mes très différents [1]. Même en l’absenced’études sérieuses, son utilisation s’estimposée comme une évidence, principa-lement du fait de sa maniabilité. Cettehabitude a tendance à se restreindredepuis la commercialisation d’anti-épileptiques de nouvelle génération, avecune A.M.M. spécifique (douleurs post-zostériennes pour la gabapentine et DN périphériques pourla prégabaline). Cependant le clonazepam reste encore en2006 la molécule la plus prescrite en cas de DN dans uneétude que nous avons menée [33].

Pour son action myorelaxante ?

Comme toute benzodiazépine le clonazepam est myore-laxant ; les contractures musculaires localisées (lombalgies,syndromes myofasciaux) ou généralisées (fibromyalgie etéquivalents) sont fréquentes en cas de douleurs chroniques.Les résultats préliminaires d’une étude prospective encours de publication montrent que plus de 80 % des fibro-myalgiques et plus de 60 % des lombalgiques chroniquesque nous recevons pour une première évaluation médico-psycho-sociale ont utilisé ou utilisent toujours le clonazepam.S’agit-il pour autant du meilleur myorelaxant commercialiséde cette famille ? Aucune étude n’est venue prouver cettehypothèse, la clonazepam étant uniquement décrit comme« un adjuvant antalgique utilisable » [32].

Pour son action psychotrope ?

La fréquence de la comorbidité, voire du cercle vicieux dou-leur/anxiété n’est plus à démontrer. Utiliser un anxiolytiquecomme co-analgésique est donc une piste fréquente pournos patients douloureux chroniques. Mais qu’en est-il de l’uti-

lisation à long terme d’une benzodiazépine dans un contextede chronicité ? En effet cette classe médicamenteuse ne doitêtre utilisée que sur une période courte, afin notamment delimiter le risque de pharmacodépendance. Du fait de sa demi-vie longue (30 heures), il existe également un risque d’accu-mulation du produit chez les patients fragiles : sujets âgés,dénutris, déshydratés et/ou en phase avancée d’une maladiegrave. Le risque iatrogène peut alors s’avérer majeur, surtouten cas d’association à d’autres molécules sédatives.De plus prescrire un anxiolytique à un patient douloureuxchronique risque de renforcer l’idée que sa douleur est uni-quement d’ordre psychique : « tu as pris tes gouttes ? ».Cependant l’effet hypnotique à court terme est clairementun des buts du praticien confronté à ce type de patient[32, 34, 35]. Quel est alors l’objectif (conscient ou incons-

cient) du prescripteur : diminuer la dou-leur ou faire taire la plainte ? Utiliser uneffet co-antalgique ou faire en sorte quela douleur ne soit plus exprimée ? Desorte que « plus de plainte, plus de pro-blème… ». Nos patients témoignent fré-quemment de l’apparition d’uneasthénie, de troubles cognitifs qui modi-fient leur expression douloureuse maispeu leur perception.Par ailleurs faut-il attendre un bénéficeen termes de qualité de sommeil ? Lecercle vicieux douleur/trouble du som-

meil/asthénie est très fréquent chez les patients douloureuxchroniques, particulièrement dans la fibromyalgie [36].Nous avons constaté que les trois quarts des patients fibro-myalgiques qui nous ont été adressés ont gardé un troublemajeur du sommeil sous clonazepam. Au-delà de la pharma-codépendance d’installation progressive, les benzodiazépi-nes ont toutes une action néfaste sur les phases profondesdu sommeil, qui n’est alors plus réparateur. Sommeil nonrécupérateur, absence de relâchement musculaire, persis-tance de contractures : la molécule ne devient-elle pas alorsun véritable facteur de chronicisation de la douleur [36] ?

Pour son action « multimodale » ?

Myorelaxant, anxiolytique, sédatif, hypnotique, anticonvul-sivant : le clonazepam est une molécule aux multiples facettes ;par définition la douleur chronique est multifactorielle,complexe, nécessite un abord global. Douleur chronique etclonazepam n’étaient-ils pas faits pour se rencontrer ? Unemolécule multi-usage peut-elle être la réponse à une problé-matique bio-psycho-sociale ? Aux vues de la littérature etdes témoignages de nos patients la réponse est non. Il n’ya pas une mais des réponses à apporter à nos patients dou-loureux chroniques, et aucune molécule ne pourra rempla-cer un abord global de chaque situation clinique.

Quel est alors l’objectif (conscient ou inconscient) du prescripteur : diminuer

la douleur ou faire taire la plainte ? Utiliser un effet

co-antalgique ou faire en sorte que la douleur ne soit plus exprimée ?

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317CONCLUSION

Faut-il cultiver, à l’image de notre patrimoine culturel natio-nal, l’exception française pour l’utilisation du clonazepamdans la douleur chronique ? Ou faut-il se rallier aux paysanglo-saxons qui l’excluent quasiment de leurs pratiques ?À l’époque de la médecine basée sur les preuves, les don-nées de la littérature vont à l’encontre d’une pratique large-ment répandue en France. En effet, le clonazepam n’est nil’antiépileptique de référence pour les douleurs neuro-pathiques, ni le myorelaxant de référence pour la douleurmusculaire, ni le meilleur hypnotique dans un contexte dechronicité, ni la molécule miracle multi-tâches tant espéréepar les patients douloureux chroniques.

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Résumé

Le clonazepam, benzodiazépine indiquée dans le traitement del’épilepsie, a surfé sur la vague de l’utilisation des antiépileptiquesdans la douleur chronique. Alors qu’il n’est pas utilisé à l’étranger,il est largement prescrit en France. Au-delà des douleurs neuropa-thiques, son spectre s’est progressivement élargi à l’ensemble desdouleurs chroniques. Pourquoi un tel phénomène et surtout pour-quoi une telle exception française ? C’est en nous basant sur lesdonnées de la littérature et sur notre expérience clinique que nousprésentons dans ce travail le fruit de notre réflexion de cliniciens.

Mots-clés :

clonazepam, douleur, douleur neuropathique.

Summary: Contribution of clonazepam for the treat-ment of chronic pain

Clonazepam, a benzodiazepine indicated for the treatment of epi-lepsy has surfed over the wave of enthusiasm about the use of anti-epileptic drugs for chronic pain. Not used elsewhere, it is largely em-ployed in France. Beyond neuropathic pain, the spectrum of use hasprogressively widened to all types of chronic pain. What is the rea-son for such popularity, and particularly in France? We present hereour thoughts on this subject, taking into consideration both data re-ported in the literature and our own clinical experience.

Key-words:

clonazepam, pain, neuropathic pain.

Correspondance : F. CLÈRE,Consultation pluridisciplinaire de la douleur,

Centre Hospitalier,216 avenue de Verdun,

36000 Chateauroux.e-mail : [email protected]