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www.cnrs.fr Quelle place pour la chimie dans une société durable ? Colloque du programme interdisciplinaire du CNRS Chimie pour le développement durable Retranscription des débats du Lundi 22 octobre 2007 CNRS Campus Gérard Mégie - PARIS Gravure sur bois de Flammarion (auteur inconnu), publiée dans le livre de Camille Flammarion en 1888 : “L’atmosphère: météorologie populaire“. Mise en couleur : Hugo Heikenwaelder, Vienne 1998. Image utilisée sous licence Creative Commons. Directrice du programme : Isabelle Rico-Lattes - DR CNRS Chargée de mission pour la Chimie - Département EDD Coordination scientifique du colloque : Nicolas Buclet - Directeur du CREIDD (Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable) Coordinatrice de la publication : Catherine Bastien-Ventura, Chargée des programmes interdisciplinaires au Département Environnement et Développement Durable du CNRS

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Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

Colloque du programme interdisciplinaire du CNRSChimie pour le développement durable

Retranscription des débats duLundi 22 octobre 2007CNRSCampus Gérard Mégie - PARIS

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Directrice du programme : Isabelle Rico-Lattes - DR CNRS Chargée de mission pour la Chimie - Département EDD

Coordination scientifique du colloque : Nicolas Buclet - Directeur du CREIDD (Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable)

Coordinatrice de la publication : Catherine Bastien-Ventura, Chargée des programmes interdisciplinaires au Département Environnement et Développement Durable du CNRS

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Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

Les sociétés humaines font régulièrement face à des moments, des carrefours, qui représentent autant de possibilités de bifurquer et d’infléchir les trajectoires technologiques et institutionnelles dans lesquelles elles s’inscrivent. Les enjeux liés au changement climatique, couplés aux contraintes énergétiques à venir, font du début du XXIème siècle l’un de ces carrefours à partir duquel évoluer vers une société plus durable. On parle dans ce cadre de voies à tracer vers un développement durable. Plusieurs sentiers sont envisageables. Eco-technologies et agro-ressources sont ainsi de plus en plus invoquées comme autant d’outils à empoigner pour se frayer un passage vers cette durabilité. D’autres guides manifestent un certain scepticisme quant à l’aspect suffisant, bien que nécessaire, de tels outils. Des changements de comportement individuels et collectifs, une redéfinition des objectifs poursuivis par les acteurs de la société, seraient indispensables si l’on souhaite en finir avec une fuite en avant périlleuse pour l’humanité.

Les acteurs de la chimie n’échappent pas à ce questionnement sur l’évolution souhaitable des pratiques traditionnelles. Ce séminaire se veut une réflexion sur les relations entre les multiples enjeux environnementaux, sociaux et économiques qui se présentent à nous et les modifications à induire au niveau de l’état d’esprit ainsi que des comportements, notamment dans le monde de la chimie. Les interventions prévues ont pour objet d’alimenter un va-et-vient que l’on souhaite riche et constructif entre les porte-parole d’enjeux éthiques, sociaux, environnementaux et économiques d’une part, et le monde de la recherche dans le domaine de la chimie d’autre part. Loin de servir d’alibi, comme c’est fréquemment le cas, les questions que soulève le développement durable gagnent à être perçues comme autant d’opportunités de modifier notre vision des finalités de la recherche, de l’innovation, de l’efficacité et du “vivre ensemble“. C’est là l’objet de ce séminaire.

Présentation

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Programme de la journée du 22 octobre 2007

> Introduction par Catherine Bastien-Ventura, Chargée des programmes interdisciplinaires au Département Environnement et Développement Durable du CNRS

> Gilberte Chambaud Directrice du Département Chimie

> Nicolas Buclet – Economiste, Directeur du Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable de l’Université de Technologie de Troyes (UTT). Questionnements sur la viabilité de notre système économique à l’aune des enjeux du développement durable

> Intervention de Bernard Delay Directeur du département Environnement et Développement Durable (EDD)

> Denis Grison - Ingénieur INSA et docteur en philosophie, Enseignant à l’IUT de Nancy. Le Principe de précaution face aux enjeux de la chimie

> Cyrille Harpet - Philosophe, professeur associé à l’INSA-Lyon en éthique et développement durable. Les pratiques de recherche en chimie : quelles représentations du risque technologique ?

> Sonia Desmoulin Equipe «Droit, Sciences et Techniques» CNRS UMR 8103 La nouvelle réglementation communautaire des substances chimiques au service du développement durable : avancées et lacunes du règlement REACH

> Paul-Marie Boulanger, Institut pour un Développement Durable, Ottignies, Belgique. Promesses et limites de la chimie verte

> Arthur Riedacker L’agriculture et les forêts, les biomasses alimentaires et non alimentaires dans le développement durable. Quelles interrogations pour les chimistes ?

> Conclusions : Nicolas Buclet et Pierre Matarasso, Directeur scientifique adjoint EDD

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Introduction de Catherine Bastien-Ventura, Chargée des programmes interdisciplinaires au Département Environnement et Développement Durable du CNRS

> Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à ce colloque intitulé “Quelle place pour la chimie dans une société durable ?“. Celui-ci est organisé dans le cadre du programme interdisciplinaire du CNRS, “Chimie pour le développement durable“. Ce programme a été lancé il y a tout juste un an et se terminera fin 2009. Dans le contexte actuel de changement global et en particulier de raréfaction des ressources naturelles : hydrocarbures, biodiversité et de préoccupations environnementales… il nous a semblé important d’organiser cette journée de réflexion sur l’activité et les pratiques de chimie du point de vue des sciences humaines et sociales. Nicolas Buclet, économiste et directeur du Centre de Recherches et d’Études Interdiscipli-naires sur le Développement Durable (CREIDD) à l’Université de Technologie de Troyes, a été chargé de la coordination scientifique de cette journée.

Parole à Gilberte Chambaud, Directrice Scientifique du Département Chimie du CNRS.

Gilberte Chambaud définit l’utilité qu’a la chimie dans notre société et les réactions et attentes qu’elle suscite des citoyens.

Quelle place pour la chimie dans une société durable ? Il s’agit d’une question fondamentale, voire existentielle pour les chimistes et qui se place au cœur du nouveau programme du CNRS «Chimie pour le développement durable» commencé en 2006 et dont l’ambition est de faire évoluer la chimie en s’appuyant sur l’expérience et la réflexion des autres disciplines et compétences du CNRS, en particulier les sciences humaines, sociales et économiques.

Ce programme s’articule autour de quatre grands thèmes : le premier consiste à intégrer une approche sociétale rénovée de la chimie. Cette journée se positionne au cœur de ce premier thème, en s’intéressant aux ressources renouvelables pour les

utiliser comme matières premières ou comme sources de nouveaux produits et matériaux. Le second vise à élaborer une chimie éco-compatible par la mise en pratique des douze principes de la chimie verte. Le troisième thème repose sur l’optimisation des procédés et des milieux de synthèse respectueux de l’environnement. Il s’agit d’un aspect qui met en jeu les compétences des chimistes mais aussi celles de la production et donc de l’ingénierie chimique. Enfin, le quatrième thème porte sur l’évaluation de l’impact de la chimie sur l’environnement. C’est un domaine très vaste qui va de l’analyse des produits chimiques dispersés dans l’environnement jusqu’à l’étude des cycles de vie des produits et des matériaux que les chimistes, et les autres, placent sur le marché.

Trouver la place de la chimie dans notre société, c’est tout d’abord définir et cerner le besoin d’avoir de la chimie dans notre société et dans notre économie. A quoi sert-elle ? Peut-on envisager de s’en passer ? Comme représentant de la communauté des chimistes du CNRS, j’en connais l’utilité et il est évident que je répondrai non à cette dernière question ! Nous devons améliorer la chimie en gardant toujours à l’esprit l’idée d’une “humanité durable“, expression que je préfère à “société durable“ car elle englobe les hommes et leur écosystème. Il faut donc penser la chimie autrement et la pratiquer autrement. Pour cela, inspirons-nous d’événements récents de notre Histoire et plus particulièrement des deux grands chocs pétroliers. Ils ont permis à l’humanité de prendre conscience qu’elle ne pouvait plus faire progresser son économie de façon aussi ignorante et insouciante. Les Hommes se sont rendus compte que les ressources de la planète n’étaient pas inépuisables puisque les sociétés arrivent à en venir à bout ! C’est là que la chimie peut intervenir en aidant l’humanité dans la gestion de ses ressources, mais pour cela il faut qu’elle trouve sa place dans la société. La chimie utilise les ressources naturelles de la planète pour en faire le support de notre vie quotidienne. Elle intervient dans de nombreux domaines : les vêtements, les médicaments, la cosmétique, l’habitat, les aliments et même les loisirs ! L’impact économique mondial de la chimie est réel, elle est la brique élémentaire sur laquelle s’appuient les autres industries : on ne peut pas créer de nouvelles technologies si on ne dispose pas des matériaux nécessaires pour fabriquer les éléments qui serviront à son élaboration.

Cependant, si tout est si bon dans la chimie, pourquoi nous posons-nous la question de sa place dans la société, pourquoi faut-il justifier son existence ? En fait, le problème de la chimie est qu’elle contribue à la pollution, à la détérioration de l’environnement par les systèmes, les molécules, les matériaux qu’elle disperse dans la nature. Les

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Introduction

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chimistes ne sont pas responsables de cette dispersion, c’est la société qui les utilise et les répand. On accuse la chimie parce qu’elle est là pour produire cette matière. Faut-il la rejeter pour autant ? Bien évidemment non ! Car la chimie a su montrer au cours du siècle dernier, et même avant, qu’elle était capable de s’adapter et de réagir lorsque la matière qu’elle avait produite conduisait à davantage de dégâts que de bienfaits. Prenons l’exemple du plomb tétraéthyle, additif des carburants qui améliorait leurs performances. Il a été largement utilisé jusqu’au jour où on s’est rendu compte qu’il était toxique. Il a donc été remplacé. De la même manière, les chloro-fluoro-carbones, CFC, qui étaient mis en cause dans la modification de la couche d’ozone ont été changés. On peut leur faire confiance, les chimistes savent trouver des parades.

Auparavant, dans les années que l’on peut qualifier “d’insouciantes“, il fallait que la chimie soit efficace. Aujourd’hui, on lui demande aussi de ne pas être nuisible, ce qui est légitime. L’efficacité est une propriété intéressante car elle est mesurable et ses effets sont immédiats : on développe une nouvelle technologie pour un résultat immédiat. En revanche, il est très difficile d’évaluer la tolérance et la non-toxicité des produits utilisés car il s’agit alors d’un mécanisme complexe d’interaction entre un organisme vivant et de nouvelles molécules ou de nouveaux matériaux à des concentrations qui peuvent être critiques. C’est le cas par exemple des nano-objets, pour lesquels nous sommes encore emplis d’incertitudes. L’échelle du temps nous impose la réflexion sur « l’après » d’un produit et son impact à long terme. La réglementation européenne REACH a introduit la dimension de toxicité dans l’industrie chimique, elle nous oblige à tester l’effet des produits sur des organismes complexes. Et, bien sûr, cela a un coût.

Quel est le rôle de la recherche académique dans cette problématique ? Elle se place en amont de l’exploitation et de l’utilisation des produits mais doit-elle pour autant les ignorer ? Quelle doit être son attitude ? Comment doit-elle intégrer cette demande de la société ? Une réponse peut être de mettre en œuvre des pratiques nouvelles. Dans cet esprit, douze principes de la chimie verte ont été énoncés afin de donner un nouveau cadre de comportement. De son coté, l’industrie chimique a entamé, depuis quelques années, un lourd travail de réflexion, de communication et d’éducation. Ensemble nous pourrons conjuguer nos efforts pour faire progresser la chimie en harmonie avec la société et pour améliorer son image dans la société. Trouver la place de la chimie, c’est savoir comment elle doit évoluer pour être acceptable et acceptée par la société. C’est cette réflexion que nous attendons dans les travaux qui vont être initiés aujourd’hui.

Parole à Nicolas Buclet, Economiste, Directeur du Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires de l’Université de Technologie de Troyes (UTT)

Dans cette intervention, Nicolas Buclet montre à quel point la chimie est dépendante des questions économiques et trace des pistes pour qu’elle sorte de schémas purement économiques, et devienne un enjeu sociétal et environnemental.

Le concept de développement durable créé par la commission Brundtland à l’initiative des Nations Unies a 20 ans. A l’origine, son rôle consistait à proposer des stratégies de coopération internationale sur les enjeux de l’environnement. La commission a souhaité aller plus loin en fixant deux objectifs : la pauvreté dans le monde (un problème massif qui n’a cessé de croître ces dernières années) et les forts déséquilibres et contraintes du milieu naturel.

Il y a 20 ans, on savait déjà qu’un jour ou l’autre l’humanité serait confrontée aux

problèmes de ressources pétrolières. Cependant, au-delà de la simple question du pétrole, ces dernières années ont vu apparaître une nouvelle contrainte pour l’humanité : la raréfaction des ressources naturelles en général. Par exemple, les ressources halieutiques sont dans un état assez grave de même que les matières premières comme le cuivre ou d’autres métaux que l’on se procure difficilement et pour un coût déraisonnable. Ainsi, le prix du cuivre a été multiplié par 3 ou 4 en peu de temps. Cette raréfaction de certaines matières premières a fixé un certain nombre d’objectifs pour le développement durable qui reposent sur trois piliers : l’économique, le social et l’environnemental. Ces trois piliers ne se positionnent pas, comme cela devrait être le cas, sur un même pied d’égalité, car l’économique domine les deux autres ! Cependant, notre société cherche à concilier ces trois piliers là où cela est possible. Un autre aspect est à prendre en compte : celui du contexte local. Le développement durable n’est pas censé s’élaborer seulement au niveau mondial, il est absolument nécessaire que chaque territoire s’approprie ses enjeux et les décline par rapport aux siens. Afin d’élaborer ces déclinaisons, des changements dits “structurels“ sont nécessaires. J’ai repris ce qu’il en est de ces changements de textes émanant de l’OCDE ou de la Commission Européenne. Parmi eux, on trouve par exemple “encourager une croissance économique“, mais pour que celle-ci bénéficie aux pauvres, il est nécessaire de la changer. Ou encore “réformer les politiques budgétaires“ qui favorisent les déséquilibres des trois piliers évoqués tout à l’heure. Ensuite, il faut veiller “à ce que le patrimoine net de chaque pays soit constant ou croisse“ et ceci “grâce à un système de prix qui intègre les coûts environnementaux et sociaux“. Ce dernier point montre la prédominance de la logique économique sur le fonctionnement de la société puisqu’en fait, on considère que ces changements dits “structurels“ vont rester dans le cadre du système économique global existant et que grâce à des ajustements sur les prix, on pourra modifier les comportements des agents dans un sens plus favorable à l’environnement et plus favorable au social. On reste complètement dans le même paradigme, avec les aspects économiques qui dictent la ligne de conduite en matière de >

Présentation Powerpoint en Annexe p.43

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développement durable. Le vrai changement culturel, qui s’accompagne d’une prise de conscience progressive, repose sur la nécessité de faire participer tous les acteurs de la société aux prises de décisions, par le biais notamment de la “démocratie participative“. L’enjeu n’est pas toujours bien perçu par tout le monde, mais il est effectivement fondamental, à partir du moment où il y a la nécessité de changer de comportement, d’aller à l’encontre d’un certain nombre de désirs individuels (comme par exemple celui de se déplacer en voiture, en essayant de convaincre les personnes des bienfaits des limitations du transport automobile).

Comment cela se concrétise-t-il aujourd’hui ? On développe tous azimuts les technologies propres, on généralise le management environnemental, on pratique le recyclage des déchets. Tout cela va dans le sens des objectifs fixés par la Commission Européenne ainsi que dans celui du développement durable. Nous nous retrouvons donc avec l’accroissement de l’efficacité énergétique, la protection de zones naturelles et d’espèces menacées, l’aide au développement des pays défavorisés et le traitement social de l’inégalité. Toutes ces actions sont a priori positives, néanmoins, malheureusement, il s’agit quand même de modifications marginales de comportement. On améliore l’existant, mais est-ce que l’ensemble des actions humaines réduit son impact sur l’environnement ? Etre plus efficace dans chaque action individuelle ne signifie pas que par une sorte de main invisible -pour paraphraser la fameuse référence à Adam Smith- tout à coup, on irait vers un monde merveilleux. Prise séparément, chaque unité d’un bien produit tend à réduire son impact sur l’environnement. Il est probable que vous améliorez quotidiennement un certain nombre de facteurs qui peuvent avoir un impact sur l’environnement, néanmoins cela est largement compensé par le fait que les biens mis à disposition de la société augmentent plus que proportionnellement en nombre ! De plus, les nouveaux biens mis sur le marché requièrent davantage de ressources : les objets les plus simples disposent d’une forte technologie, nombre d’entre eux ont des puces électroniques… qui ont un impact non négligeable sur l’environnement ! D’une manière générale, et en regard de toutes les actions évoquées précédemment, on peut avancer qu’il n’y a pas de vision systémique pour coordonner les différentes politiques sectorielles. Prenons l’exemple des déchets : effectivement, on augmente leur recyclage, mais la production de déchets ménagers est en évolution constante depuis les années 60 (1 à 2% par an). Les conséquences ne se font pas attendre : augmentation sensible du coût, gaspillage des ressources et accroissement des nuisances liées à leur gestion (transport, traitement...). On ne parvient plus à installer le moindre incinérateur ou la moindre décharge car les gens n’en veulent plus. Je voudrais illustrer cela par un exemple qui me paraît tout à fait emblématique : le DVD jetable dont la durée de vie est limitée à 8 heures à compter de son ouverture ! La recherche a permis de créer un objet qui se détruit rapidement, et que l’on va jusqu’à proclamer d’écologique car recyclable. Cela montre que l’on peut très bien considérer que tout est recyclable, ce n’est pas pour autant que l’humanité va aller vers une société plus durable d’un point de vue environnemental.

Revenons sur le système économique de façon générale. Il repose sur une série d’évi-dences qui paraissent vraiment indiscutables. L’accroissement de la consommation est source d’accroissement de bien-être. Tout bien qui trouve une demande solvable est légitime. Les questions de société, qu’elles soient sociales ou environnementales,

trouvent leurs réponses par l’introduction d’instruments économiques. Une fois de plus, on arrive à réintroduire le social et l’environnemental comme une question économique. C’est pour corriger les défaillances du marché qu’il faut intervenir par le biais de taxes, de permis négociables, etc. Une croissance préalable est indispensable à toute politique visant à résoudre les problèmes. L’inno-vation est aujourd’hui essentiellement guidée par le marketing, lui-même guidé par des opportunités de trouver des nouveaux marchés et donc de la croissance. Nous confondons peut-être les moyens et les fins. On peut s’interroger sur les fins d’une société : est-ce le développement d’une société qui est la fin, ou la croissance ? Aujourd’hui, il semble que l’on poursuit la croissance pour la croissance, sans se soucier véritablement de savoir où elle nous mène et ce qu’elle nous apporte. Est-ce le bien-être qui nous intéresse ou est-ce la consommation ? Est-ce la valeur d’usage d’un bien qui nous intéresse ou est-ce sa valeur d’échange ? Doit-on produire des biens pour subvenir à des besoins ou doit-on consommer pour soutenir la croissance ? Aujourd’hui, dès que le moral des consommateurs est au plus bas, c’est la catastrophe, car cela va peser en négatif sur la croissance. Et de l’autre côté, on dit qu’il faudrait peut-être avoir un impact moindre sur l’environnement… Tout cela engendre une situation schizophrénique dans laquelle on doit à la fois consommer plus et moins ! Le cadre systémique dans lequel nous vivons –j’ai emprunté cette notion à Christian Coméliau qui s’est beaucoup intéressé aux problèmes de développement dans le cadre de son parcours professionnel à l’OCDE et à la Banque Mondiale, peut être défini par une équation : accroissement de production = accroissement de consommation = accroissement d’échanges profitables = accroissement de profit = accroissement de richesse = développement, progrès social, civilisation. C’est une série d’évidences que peu de personnes remettent en cause. Est-ce que ce système est viable ? Je vous rappelle que ce modèle est quand même à l’origine des Trente Glorieuses qu’ont connues les sociétés occidentales. Elles ont eu lieu à une

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période où les prix de l’énergie étaient historiquement bas. Cela s’est fait au détriment des pays où se trouvait cette énergie, qui n’ont pas connu le même développement que les pays riches. Tout ce qui favorise l’accroissement du PIB est évalué positivement. Plus récemment, une autre évidence a été mise en avant : tout marché libéralisé profite forcément au consommateur et donc à la société. Tout cela serait viable s’il n’y avait pas un changement d’échelle qui complique véritablement les choses par rapport à la planète. Nous sommes en présence de l’accroissement continu d’un trinôme : production/consommation/profit. Cette équation capitaliste a besoin d’espace, aussi la sphère marchande est en extension progressive. Cette extension se fait au détriment des autres sphères, la sphère privée, c’est-à-dire que tout ce qui n’était pas com-mercialisable le devient, et la sphère étatique, tout ce qui n’était pas forcément du domaine marchand le devient (la recherche par exemple). Cela suppose également une extension géographique et donc une mondialisation du système. C’est inhérent au fonctionnement du capitalisme marchand d’aller dans ce sens-là.

Qu’est-ce que la mondialisation ? Nous sommes dans une logique à la fois de croissance et d’accélération. C’est le binôme qui devient moins soutenable. Donc la mondialisation est avant tout une progression exponentielle de la sphère marchande. A terme, il n’y a aucune région du monde qui y échappera. Tout doit être exploité par la société marchande. Les politiques sociales et environnementales n’ont de légitimité qu’à partir du moment où elles permettent d’éviter des coûts économiques supérieurs. Dans cette analyse coûts/avantages, on ne peut envisager d’autres politiques pour l’environnement si l’on n’arrive pas à en identifier les avantages purement économiques.

Les agrocarburants mondialisés Les projets aujourd’hui suivent le fonctionnement des marchés pétroliers, tout sim-plement parce que les acteurs sont identiques. Cela signifie que l’on va chercher les ressources là où elles se trouvent au niveau mondial. Prenons l’exemple de l’huile de palme. La demande de pays riches qui, au nom du développement durable cher-chent à développer les agrocarburants, a induit une production en plein essor dans despays comme l’Indonésie ou certains états d’Afrique. Beaucoup de cultures ont été remplacées par la plantation de palmiers à huile, ce qui a eu pour conséquence la destruction de forêts équatoriales, donc de l’écosystème favorable aux orang-outans par exemple. Les pesticides continuent à polluer les rivières et les sols. Par ailleurs, relevons que les agrocarburants ne se font pas du tout au bénéfice du développement des pays producteurs. Finalement, l’OCDE a récemment fait le constat suivant : “nous investissons beaucoup dans ces agrocarburants qui ne pourront jamais répondre à plus de 13% des besoins en carburant. Ne pourrait-on pas investir notre argent en termes de recherche et d’innovation dans d’autres domaines ?“. La FAO, quant à elle, s’inquiète des conséquences possibles en termes d’accès à l’alimentation des populations défavorisées. Toutes les instances internationales sont en train de s’inquiéter de cet essor non contrôlé des agrocarburants mondialisés.

Finalement, la plupart des questions qui nous préoccupent aujourd’hui n’ont pas pour origine la mondialisation mais plutôt l’hégémonie d’une économie marchande sur tout autre principe sociétal. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas d’économie marchande, mais ce que je voudrais envoyer comme message, c’est qu’il n’y a pas de raison qu’un principe ne soit même pas discuté et qu’il soit hégémonique par rapport à tous les autres principes susceptibles de guider la société. La mondialisation ne fait qu’amplifier un mouvement qui est en marche depuis environ deux siècles. Nous assistons à une croissance spectaculaire des déplacements des hommes et des biens et cela a un impact sur la biosphère, d’autant plus que ces déplacements doivent toujours être plus rapides. Par ce biais, nous revenons à la définition de la mondialisation qui suit une logique d’accroissement de la vitesse des phénomènes économiques.

Voici quelques chiffres pour vous donner l’impact que représente le transport. Au niveau mondial, les transports représentent uniquement 16% des impacts sur l’effet de serre. En 2004, aux Etats-Unis, l’impact était de 31% et en France de 28%. Donc plus un pays est développé et plus l’impact du transport devient important par rapport aux autres secteurs d’activité. Le transport mondialisé tel qu’il est de plus en plus en vigueur, véhicule tout un tas d’hôtes indésirables : le moustique tigre par exemple, vecteur potentiel du chikungunya, de la fièvre jaune, de la dengue. On assiste à une invasion dans nos régions occidentales de tout un tas de sympathiques animaux susceptibles de remettre en cause notre sentiment de sécurité sanitaire.

Dans notre société, il y a un certain nombre de mythes qui ne sont pas contestés et qu’il me semble inté-ressant de déconstruire, au moins intellectuellement, afin de se poser des questions. Il y a le mythe de la croissance infinie qui se traduit par l’équation plus = mieux. Il y a le mythe de la maîtrise de l’espace que l’on couple au mythe de la maîtrise du temps et qui nous fait considérer comme complètement naturel (voire une entrave à la liberté, si ça ne se passe pas comme ça) d’aller toujours plus vite, toujours plus loin, idéalement de se “télétransporter“. Il y a également le mythe de la maîtrise de la nature qui a pour conséquence de ne plus du tout tenir compte des contraintes physiques et climatiques. Ainsi nous adoptons le même rythme de vie en été comme en hiver : les horaires de vie ne respectent plus aucun rythme naturel. Cela place l’être humain dans un schéma où il a du mal à prendre en compte les contraintes liées à l’environnement. Finalement, la réalisation de l’ensemble de ces mythes (où il manque celui de l’immortalité) fait de nous des surhommes. Le problème est que ces mythes se heurtent à l’entropie systémique, et notamment, au niveau énergétique, à des principes de la thermody-namique qui sont malheureusement impitoyables. Cet accroissement indéfini de la production, couplé à la volonté de maîtriser l’espace-temps mais aussi de ne plus tenir compte des contraintes climatiques, nous pousse fondamentalement à l’encontre du développement durable.

On continue à invoquer la croissance économique, >

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et quand on réfléchit à ce qu’il faut faire, on reste dans ce carcan idéologique du “tout économique“. Une véritable stratégie de développement durable doit être au moins capable de questionner le système existant. Je ne dis pas qu’ensuite on dira qu’on ne veut plus du tout de système marchand, ce n’est pas forcément la réponse d’ailleurs, néanmoins il pourrait être légitime de s’interroger sur sa place. Par où passe le changement ? Notre façon de voir la société est à revoir pour y intégrer de manière globale les contraintes de notre environnement. C’est un principe qu’il va falloir intégrer à un niveau beaucoup plus global par exemple qu’avec des systèmes de prix ou en corrigeant les défaillances du marché. Il faut redéfinir collectivement les objectifs de développement de la société en fonction de ces contraintes. J’insiste sur mon absence d’hostilité complète envers le marché, car si on redéfinit collectivement les objectifs de développement, peut-être sera-t-il possible de dire, en toute connaissance de cause, que l’on préfère l’économie de marché. Un choix de société s’impose et, en tout cas, cette question des limites de la marchandisation et du règne du tout économique mérite pour le moins d’être posée collectivement

Question Vous parlez du monde économique, de la société et de l’environnement. Mais vous ne parlez pas du politique. Alors comment le placez-vous là-dedans ?

Réponse Exact. C’est vrai que le politique est très absent, pour deux raisons. D’abord parce qu’on peut se demander jusqu’à quel point le monde politique lui-même dispose des leviers qui permettent d’agir. Nous-mêmes, dans notre travail de recherche, nous travaillons beaucoup plus avec les entreprises. Nous aboutissons à des choses souvent très positives. Pourquoi les politiques sont souvent absents de mes réflexions ? Car ils sont les premiers à se réfugier derrière l’économique. L’économie vient justifier toutes leurs actions et finalement ils ne se posent eux-mêmes pas la question en termes politiques, c’est-à-dire en terme de choix de société. Cet aspect est effectivement fondamental. Les politiques devraient être au cœur de cette réflexion mais ne souhaitent pas y être. Il est beaucoup plus confortable de se réfugier derrière des experts en économie qui dictent ce qu’il faut faire.

Question Je suis chimiste et on nous dit qu’il faut s’intéresser à la biomasse comme source de carbone et d’énergie. Mais on se rend compte finalement que le fait de s’intéresser à la biomasse pour des causes alimentaires conduit à une aug-mentation des prix pour cette biomasse, et les pays en voie de développement commencent à élever la voix car ils ne peuvent plus acheter leurs matières premières et leur nourriture de base. Cela ne conduit pas non plus à une amélioration du niveau de vie des pays en voie de développement. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette analyse ?

Réponse En fait, c’est toujours une question d’échelle, c’est-à-dire qu’il y a tout un tas de cho-ses qui sont intéressantes au niveau des molécules que l’on peut retirer de la biomas-se. A partir du moment où on rentre dans un process industriel qui se situe à l’échelle d’un marché mondialisé, on ne cherche plus à faire le lien avec cette biomasse : où est-elle produite ? Dans quelles conditions de durabilité ? Est-ce que les producteurs eux-mêmes ont les moyens de subsister par rapport à cette production ? Est-ce que ce que l’on retire comme biomasse n’entrave pas la capacité du sol à garder sa fertilité ? Un des inconvénients du marché mondialisé -qui est finalement inévitable- est la perte du lien avec le territoire. Il y a un problème de “traçabilité“. Il y a une biomasse, qui vient de quelque part, mais on ne sait plus trop D’où et dans quelles conditions elle a été produite. La biomasse, en tant que telle, est très intéressante, mais il est vrai que l’on ne cherche pas systématiquement à se poser la question “d’où vient-elle ? Dans quelles conditions a-t-elle été produite ? Ne sommes-nous pas en train de pousser trop loin son exploitation ?“. On peut dire que nous ne sommes pas en train d’améliorer

les choses. Dans chaque secteur on peut se poser des questions pour mettre en place un principe beaucoup plus durable.

Question Je vois mal comment, au niveau français, on peut diminuer par 4 nos besoins, c’est-à-dire 500 kg de carbone divisés par 4, c’est 600 l de carburant par an et par habitant. Je crois que si on n’explique pas aux populations qui sont tou-chées par ce besoin toujours grandissant d’avoir des produits manufacturés, on va avoir du mal à changer les choses. J’aimerais avoir votre avis sur cette question éthique.

Réponse Effectivement la France doit réduire par 4 ses émissions de CO

2, mais je ne vois pas en quoi cela

correspond à une réduction par 4 de nos besoins. C’est la façon de répondre à nos besoins qui peut être modifiée radicalement. Il existe tout un tas de choses pour lesquelles on crée des besoins qui font naître des habitudes de consommation. Certaines choses, qui aujourd’hui ne nous paraissent pas essentielles, le deviennent petit à petit. Il est très facile de s’habituer au confort ! Je peux donner plusieurs exemples. Je lisais dans Le Monde l’autre fois, au moment où on parle de faire des économies d’énergie, qu’actuellement il y avait un véritable engouement pour les appareils qui permettent de chauffer les terrasses des particuliers, ce qui leur permet d’en profiter en plein hiver ! A Paris, il est devenu normal de s’asseoir à la terrasse des cafés sans avoir froid ! Il y a en effet un gros travail d’éducation à faire pour que les gens essaient d’avoir du recul par rapport aux différentes façons de répondre à leurs besoins.

Question J’ai beaucoup apprécié cet exposé parce qu’il met en perspective un certain nombre de concepts. Cela dit, il y a des constats, il y a une analyse, après bien sûr c’est le rôle de la politique de voir comment on peut remédier et démythifier un certain nombre de choses, pour avoir une nouvelle approche sociétale. Actuellement, il y a en France le Grenelle de l’Environnement.

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Tous les problèmes soulevés ici le sont en regard de la mondialisation. Nous savons très bien que tous les remèdes et toutes les remises en causes ne peuvent se faire aussi qu’à l’échelle mondiale en matière d’environnement. Quelles que soient les intentions et les dispositions qu’on prendra au niveau local, cela n’aura qu’un impact tout à fait limité. Alors, est-ce qu’au-delà de l’analyse, vous avez aussi réfléchi à des pistes pour changer l’approche à une échelle autre que locale ?

Réponse Vous avez raison, une grande partie des problèmes se heurte à la mondialisation. Néanmoins, à mon avis, la réponse peut se situer au niveau local et au niveau mondial. Au niveau mondial, nous travaillons, avec d’autres économistes, sur la manière de faire changer le comportement des entreprises. Ce travail porte notamment sur l’économie de fonctionnalité, c’est-à-dire le fait que l’entreprise ne vende plus un bien mais l’usa-ge du bien. Quelques expériences menées chez Michelin ou Xerox ont démontré que “moins je produis et plus je gagne d’argent“. Cela crée une économie de ressources et d’énergie pour des entreprises qui gagnent dès lors davantage d’argent ! L’entre-prise ne vend plus un pneumatique, mais son usage au kilomètre. Dans le schéma actuel, une entreprise a intérêt à pratiquer une sorte d’obsolescence programmée. Pour renouveler le marché, il faut que la durée de vie d’un produit soit courte, sinon il n’y a plus de débouchés. Ce principe nous paraît une bonne piste. Je ne vois pas d’autres pistes aussi intéressantes pour rester dans le système marchand et trouver des solutions pertinentes. En revanche, au niveau local, je pense qu’il existe une possibilité de développer des choses, ne serait-ce qu’en termes d’exemplarité. Certains territoires changent leur comportement. C’est le cas d’une commune du Sud-Ouest où la population a adhéré à un comportement d’achat différent. Si de plus en plus de territoires modifient leur comportement au niveau local, cela aura nécessairement une répercussion sur les entreprises. On le voit d’ailleurs très bien avec le marché du bio qui trouve aujourd’hui tout un tas de preneurs ! Tout le monde essaie de se placer sur le marché de l’agriculture biologique… qui rencontre des contradictions, par exemple lorsqu’il s’agit d’acheter du raisin provenant de l’autre bout du monde… Cela ne présente aucun intérêt en terme de développement durable. Autant acheter du raisin traité vendu à côté de chez soi !

Il existe des solutions qui peuvent être trouvées au niveau local, mais elles sont plus difficiles et mettront plus de temps à être mises en place. Des entreprises comme Gaz de France ou EDF se sont dit “nous n’allons plus vendre du kw/h, mais un niveau de confort“. Le raisonnement est le suivant : si je gagne plus et que j’obtiens le niveau de confort désiré en utilisant moins d’énergie, je gagne plus d’argent. L’intérêt de ces entreprises va être de vendre du confort avec le moins d’énergie consommée

possible. Il est donc possible de rentrer dans une logique différente tout en restant dans l’économie de marché.

L’essentiel du développement durable est lié à des changements de comportements radicaux qu’il faut mettre en place. Ceux-ci peuvent émerger de la base, c’est-à-dire de la demande. Or, dans une économie de marché, les entreprises cherchent à répondre à la demande. Si un grand nombre de personnes expriment une demande différente, cela peut jouer différemment. Evidemment, la réponse ne peut pas se suffire à elle-même car il existe toutes sortes de situations : par exemple, certains terri-toires cherchent à faire du développement durable et puis patatras, tout est remis en cause parce que tel marché vient tout bousculer. Néanmoins, faire essaimer un changement de comportement beau-coup plus radical sur la façon de percevoir et d’être satisfait dans la société -où est mon bonheur ? car les économistes se targuent de dire qu’ils calculent le bien-être, plutôt que le bonheur- peut aboutir à des résultats. Le fait de considérer que son bien-être ne passe par forcément par le fait de se déplacer à l’autre bout du monde, peut avoir des conséquences lourdes. Si on arrive à ce que les marchés changent la donne, on aura beaucoup gagné ! Cela signifie également qu’à l’autre bout de la chaîne, au niveau individuel, il y ait une prise de conscience qui essaime ensuite collectivement à plusieurs niveaux : territorial, familial, communal, etc. qui permettra de reconsidérer notre mode de consommation. Cette analyse pose le problème de la publicité. Pour une publicité qui pousse les gens à consommer différemment, dix autres les encourageront à faire exactement le contraire ! Il faut donc peut-être ex-plorer la piste de la communication publicitaire qui, pour l’heure, génère des comportements d’achat qui vont dans le sens opposé au développement durable.

Question De quelle manière la chimie pourrait-elle être un moteur dans les opérations de ce type de développement ?

Réponse Il est probable que l’industrie chimique peut avoir un rôle moteur, car elle a été la première mise sur >

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le banc des accusés de la pollution environnementale, et de fait, elle a été obligée de réagir. En guise de conclusion, je parlerai de The Natural Step, dont la démarche cherche à établir des grands principes qui permettent une projection dans ce que pourrait être une société durable dans le futur. Pour ce faire, il faut adhérer à quelques grands principes fondateurs auxquels il convient de déroger le moins possible. En suivant cette ligne directrice, on peut être capable dans le présent de juger telle ou telle action en regard d’une société durable future, et donc de trouver des substituts. Cette démarche, développée en Suède par TNS, a permis de mettre en place des cours spéciaux destinés aux salariés de l’industrie chimique. Plusieurs sociétés chimiques, telle que Norsk, adhèrent aujourd’hui à ces grands principes qui leur permettent d’avoir une autre vision. Manifestement, on assiste à une vraie prise de conscience de la part de l’industrie chimique sur les nécessités d’un développement durable. L’industrie chimique a un rôle beaucoup plus important à jouer par rapport à d’autres secteurs car c’est elle la base des autres industries et elle peut influencer les autres secteurs, de manière positive.

Intervention de Bernard Delay, Directeur du département Environnement et Développement Durable (EDD)

Le département Environnement et Développement Durable, que j’ai le plaisir de diriger, a une fonction importante qui est l’animation d’une agence interne pour la mise en œuvre de la priorité environnement et développement durable du CNRS. Cette agence s’appelle le “Groupe de disciplines des sciences pour l’environnement“. Dès la création de cette agence interne en Janvier 2006, les animateurs de ce “groupe de disciplines“ se sont mis au travail pour monter le programme interdisciplinaire “Chimie pour le développement durable“. Il a été officialisé par un colloque le 2 octobre 2006. Ce programme a deux objectifs : la création d’une dynamique interdisciplinaire, et l’identification ou la création d’équipes chargées de la mise en œuvre des pro-grammes financés par des organismes externes, comme l’ANR. Ces deux objectifs expliquent l’organisation en quatre réseaux de recherche qui sont coordonnés mais avec leur dynamique propre et un co-animateur extérieur au CNRS. De part l’existence de l’ANR, notre rôle est de préparer les communautés pour qu’elles puissent à la fois questionner l’ANR et répondre à ses appels d’offre. Notre démarche est claire : pour nous, l’interdisciplinarité repose sur le fait que chacun doit être au meilleur niveau de sa discipline mais avec une culture scientifique et le respect des autres disciplines indispensables pour les comprendre et travailler avec elles. Pour ce faire, des phases de réflexion commune sont nécessaires. Ce colloque, axé sur des questions de société, va dans ce sens. Ensemble, spécialistes du développement durable mais aussi chimistes “à la paillasse“, nous devons réfléchir sur les actions à mener.

Intervention de Denis Grison, Ingénieur INSA et docteur en philosophie, Enseignant à l’IUT de Nancy

Denis Grison dresse tout d’abord un historique du principe de précaution, puis il en définit les objectifs et surtout les applica-tions en suivant 3 axes : l’évaluation des risques, les mesures à prendre et la communication. Il expose les enjeux du principe de précaution et les différents modèles d’expertise possibles. Enfin il montre comment le principe de précaution s’applique au domaine de la chimie et quelles conséquences cela entraîne.

Je vais réfléchir avec vous autour du principe de précaution et son application en chimie. Depuis son origine, celui-ci a suscité beaucoup de controverses et ce n’est pas fini car le rapport Attali vient de relancer le débat de manière spectaculaire ! Je

voudrais essayer de défendre ce principe et montrer tout l’intérêt qu’il présente. Mon exposé comportera trois grandes parties : “Le principe de précaution“, “Le principe de précaution : quelle application en chimie ?“ Et “Du principe de précaution à la précaution“.

Dans les années 70 en Allemagne, le Vorsorgeprinzip est le précurseur et l’ancêtre du principe de précaution. En fait, on y trouve à la fois une dimension du principe de précaution, c’est-à-dire la prise en compte anticipée rapide de risques incertains et du développement durable, à travers la bonne gestion des ressources naturelles. A partir de 1984, une série de conférences qui ont lieu à propos de la mer du Nord, ont eu pour incidence d’admettre l’interdiction de certaines substances dans cette mer, avant même d’avoir apporté la preuve scientifique que ces substances étaient toxiques. Lors de la première conférence, l’appellation “approche de précaution“ est prononcée pour la première fois, mais ce n’est qu’en 1987 que le “principe de précaution“ sera énoncé. En 1992, le Sommet de la Terre à Rio proclame une déclaration dont un des points recommande et définit “l’approche de précaution“, les Etats-Unis acceptant mal le terme de “principe“, trop impératif selon eux.

Avec Rio, le principe de précaution arrive en première ligne dans l’actualité internationale. A l’occasion de ce sommet, les agendas 21 ont été lancés de même que trois conventions portant sur le climat, la biodiversité et les forêts. 1992 est une date importante aussi pour l’Europe car le Sommet de Maastricht va placer le principe de précaution comme un des principes directeurs de la politique européenne. Donc en 1992, par le biais de l’Europe, le principe de précaution rentre dans le “droit dur“, ce n’est plus seulement un principe qui inspire mais c’est un principe qui oblige. En 1995, ce principe rentre en France d’une façon plus précise par le biais de la loi Barnier, qui ne sera pas très bien appliquée car pas assez bien construite disent les spécialistes. 1997 est également une date importante grâce au Protocole de Kyoto, qui est une application du principe de précaution et une suite de la convention sur le climat de Rio. Il faut attendre 2005 pour qu’il soit ratifié. 2005 est également à marquer d’une pierre blanche, car le principe de précaution s’inscrit dans

Présentation Powerpoint en Annexe p. 55

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la charte de l’environnement qui est ajoutée au préambule de la Constitution Fran-çaise, donc au sommet des lois.

Le principe de précaution dans les textes : il n’y a aucune définition qui soit complète, il est plutôt défini par ses applications que de façon formelle. Il faut avant tout distinguer la précaution de la prévention. La nouveauté de la précaution est de se distinguer de la prévention. Pour cela il faut bien distinguer trois formes d’incertitudes que les assureurs appellent le risque, l’incertain et l’indéterminé. Pour nous éclairer, on pourrait prendre la métaphore du tirage dans une urne : dans le premier cas on connaît à la fois les éléments qui se trouvent dans l’urne, par exemple la couleur des boules et les proportions, ce qui permet de calculer des probabilités : là, il s’agit du domaine de la prévention. Deuxième possibilité, on connaît le contenu de l’urne mais pas les proportions. On ne peut pas calculer de probabilités dites “objectives“, seulement des probabilités dites “subjectives“ (des estimations), qui peuvent s’affiner au fur et à mesure de la répétition des tirages : nous sommes dans le domaine de la précaution, c’est de cette sorte d’incertitude qu’il est question dans les définitions du principe de précaution. Enfin troisième possibilité, dans l’urne on ajoute encore un joker inconnu, donc possibilité de surprise… Nous sommes toujours dans le domaine de la précaution, mais là c’est peut-être encore plus inquiétant.

L’objectif du principe de précaution est doubleL’objectif principal est de parer les risques nouveaux, les risques liés aux innovations technologiques et peut-être aussi à l’augmentation de la “pression démographique“ qui change beaucoup l’échelle et les choses. Mais très vite, le principe de précaution a aussi eu pour fonction de gérer la perception des nouveaux risques et leur acceptabilité. Bien sûr, l’environnement est son domaine de départ. Les domaines de la santé et de l’alimentation s’y sont ajoutés. En 1993 en France, un arrêt du Conseil d’Etat sur l’affaire du sang contaminé se base implicitement sur le principe de précaution. En 1998, un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes, face à une protestation des Anglais contre l’embargo du boeuf britannique, donne raison aux Européens au nom du principe de précaution. Celui-ci est donc directement mobilisable et peut avoir des conséquences juridiques fortes. En 2002, un règlement très important de la Communauté Européenne donne une vision très précise du principe de précaution pour les questions alimentaires. Un règlement, contrairement à une directive, est directement applicable dans tous les pays.

Le déclenchement du principe de précaution est soumis aux conditions qui se trouvent dans sa définition, c’est-à-dire qu’il doit être question de risques graves et irréversibles (le plus souvent des risques collectifs, cumulatifs et différés, et c’est ce qui fait la difficulté de leur appréhension). Ces risques doivent être également incertains, et c’est d’ailleurs ce qui sépare la précaution de la prévention. C’est-à-dire qu’il doit y avoir une incertitude qui porte sur l’existence même du risque, sur sa gravité, ou sur les causes précises qui pourraient conduire à la réalisation du dommage. Il s’agit d’une incertitude liée à un manque de connaissances du phénomène.

Le contenu du principe de précaution s’articule autour de trois grands axes. Premier axe : l’évaluation des risques. Pour ce faire, on fait appel à des scientifiques et des experts. Deuxième axe : les prises de mesures qui doivent être à la fois proportionnées et provisoires. Le terme provisoire est peut-être mal adapté : Olivier Godard, un des principaux protagonistes du débat autour du principe de précaution, préfère le terme “révisable“, parce que provisoire donne l’impression que l’on va pouvoir échapper à l’incertitude, alors que parfois l’incertitude ne diminue pas, elle augmente même avec les recherches. Révisable signifie que le principe est adapté, qu’il est évolutif, ce qui est très important pour l’équation. Troisième axe : la communication. Information, transparence, mais aussi association de la société civile. Il s’agit de comprendre la communication dans le sens plein du terme, qui n’est pas seulement la communication de haut en bas mais un échange, une mise en relation de circulation entre tous les ac-

teurs. Je disais que “proportionné“ méritait d’être un peu approfondi parce qu’on dit “proportionné“ mais par rapport à quoi, puisque le risque que l’on veut éviter est environné d’incertitude ? Cependant nous ne sommes pas dans le vide et conduits à faire n’importe quoi. On peut estimer la gravité du dommage, on peut surtout choisir le niveau de sûreté qui est recherché, peut-être plus important dans le domaine de la santé que dans un autre domaine. On peut mesurer les coûts directs engagés par les mesures qu’on choisit et les coûts d’ opportunités, c’est-à-dire ce que l’on va perdre parce qu’on a fait ce choix et pas un autre, et donc procéder à un comparatif entre agir et ne pas agir. L’économie n’est pas non plus complètement oubliée. Enfin, on peut caractériser les hypothèses : sont-elles observables, réductibles ? C’est-à-dire, est-ce qu’en lançant des recherches on pourra assez rapidement faire reculer l’incertitude et en attendant peut-être un an ou deux, prendre des mesures bien plus appropriées ? Ou est-ce que l’incertitude n’apparaît pas réductible, et à ce moment-là le fait de reculer la prise de mesures ne sert à rien ? Et enfin il faut proportionner à la “plausibilité“ des hypothèses pour laquelle Olivier Godard nous propose une échelle qui est la suivante : depuis la simple conjecture d’un scientifique ou d’une personne, l’hypothèse non-étayée, l’hypothèse étayée, l’hypothèse validée de façon isolée, jusqu’à l’hypothèse majoritairement acceptée. Nous restons là toujours dans le domaine du principe de précaution.

Ce qui est en jeu avec le principe de précaution, c’est l’articulation de l’expertise et de la participation citoyenne : où placer le curseur ? On voit bien que ce n’est plus l’expert qui va avoir le premier et le dernier mot mais on ne peut pas non plus tout renvoyer simplement à des questions citoyennes. Donc la question de l’expertise apparaît comme une question centrale pour le principe de précaution. Tout d’abord il faut prendre au sérieux les controverses. Bernard Chevassus-au-Louis dit qu’il y a quatre attitudes possibles par rapport aux controverses. La négationniste, qui consiste à dire “non il n’y a pas de controverse, simplement on voit les choses d’un point de vue différent“. La deuxième attitude, dénonciatrice, repose sur “les autres sont nuls, >

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c’est nous qui avons raison“. La troisième a recours à l’arbitrage extérieur : “on ne pourra pas s’en sortir donc on va demander à une instance extérieure (politique ?) de trancher pour nous“. Et la quatrième qui est la bonne, est de reconnaître la valeur de la controverse, qu’elle est productive, qu’elle signifie quelque chose d’important, qu’il faut en tenir compte, qu’il faut la placer au centre de la procédure d’expertise. Le principe de précaution consiste à reconnaître l’importance de la controverse. En France, l’expertise marchait très mal. Depuis 1998, avec la création des agences l’AFSSA et l’AFSSAPS, un gros travail a été effectué, mais il n’est pas terminé et tout l’enjeu est de l’achever afin de trouver les bonnes formes d’expertise.

Différents modèles d’expertise sont proposés. Premier modèle : celui du citoyen témoin. Les experts discutent entre eux mais il y a un citoyen ou plusieurs qui observent. Deuxième position, celle qui est proposée par Kourilsky-Viney, le modèle d’expertise à deux cercles. Un premier temps d’expertise réunit les scientifiques et, une fois qu’ils ont trouvé un consensus, ils ouvrent un deuxième cercle en faisant intervenir des personnalités de la société civile. Cela démontre une grande frilosité, la peur qu’au cœur de l’expertise viennent se placer des questions sociologiques ou philosophiques qui viendraient ennuyer les scientifiques. Il me semble que ce n’est pas la bonne solution, même si certains partisans du principe de précaution adoptent ce choix. Troisième modèle : le modèle du juge. Nous revenons ici à l’arbitrage que l’on donnait précédemment, c’est-à-dire des experts qui ne sont pas d’accord viennent exposer devant des juges qui vont trancher. Mais en même temps c’est ne pas com-prendre que la controverse peut être productive et pas simplement “blanche ou noire“. J’opterai plutôt pour le modèle du citoyen membre du comité d’expertise dès l’origine. Pour avoir participé pendant très longtemps à des comités (consacrés à la protection des personnes dans les recherches biomédicales) qui ont adopté ce modèle, je pense pouvoir dire qu’il fonctionne bien, il ne faut pas avoir peur, bien au contraire, du travail pluridisciplinaire, en particulier de l’association des représentants des sciences dites “dures“ et de ceux des SHS (Sciences Humaines et Sociales).

Ce qui est fait en jeu, c’est un nouveau regard sur les risques, les experts ne peuvent plus trancher seuls. Alors, quelle analyse des risques ? Car c’est bien elle qui est en jeu. L’ancien regard, qu’on appelle le “modèle standard d’analyse des risques“, est positiviste, quantitatif, réductionniste, technocratique. Si on renvoie ce concept à la philosophie, c’est un petit peu la vision positiviste du 19e siècle d’Auguste Comte ou du positivisme du Cercle de Vienne au début du 20e siècle. Seule la science peut dire des choses, et sinon “c’est du vent“. Il faudrait, comme disait Saint-Simon, “une gestion technocratique des affaires humaines“. Mais ce modèle standard est en train d’exploser, il est en crise. D’une part le rythme de la recherche est inférieur à celui de l’innovation ; par ailleurs, il y a une confusion entre le laboratoire et le monde : tous les problèmes qui se posent, ce ne sont plus des problèmes qui sont en laboratoire mais dans le monde ; il ne faut donc pas sous-estimer l’insertion du monde et donc il est nécessaire de faire venir des gens du monde si on veut éclairer les laboratoires. On sous-estime souvent les facteurs humains. De plus ce modèle standard néglige les effets d’interactions et pourtant ils sont au cœur des problématiques, particulièrement en chimie. Et enfin il n’y a pas de prise en compte des temps longs, des changements d’organisation et d’échelle.

Face à ce modèle standard, il va falloir adopter un nouveau modèle du risque. Il apparaît en particulier nécessaire de prendre en compte les traits qualitatifs du risque –il s’agit de dire que le risque n’est pas seulement quelque chose de quantitatif, de positif, de mesurable, car la dimension qualitative est aussi importante. Le caractère volontaire ou involontaire, connu ou inconnu, les conséquences immédiates ou différées, l’aspect juste ou injuste donnent une di-mension morale. Le potentiel catastrophique ou non, la confiance ou non dans les experts sont intrinsèquement liés à la question de l’appréhension du risque. Ainsi, le principe de précaution est largement ouvert à la délibération, à des expertises qui font intervenir les personnes de la société civile. On voit apparaître ceci dans la mise en place d’un certain nombre de structures délibératives, comme les conférences de citoyens, les CLI, les CLIS, qui sont des applications directes du principe de précaution pour des problèmes comme ceux des OGM, de l’enfouissement des déchets nucléaires, des inciné-rateurs et des effets de la dioxine sur les riverains, etc. Le principe de précaution appelle cette vision participative de la politique.

On peut conclure cette première partie. Ce qui est acquis pour le principe de précaution, c’est un cadre solide pour son application : il existe de nombreux textes, en particulier européens, qui sont très clairs à ce sujet et qui peuvent servir de guides sûrs à son application. Ce qui reste à débattre, c’est la prise en compte de la participation citoyenne. Je voudrais en-fin insister là-dessus : la précaution ce n’est pas plus de prudence, ce n’est pas être toujours plus à l’affût des risques, c’est surtout se situer par rapport à de nouveaux risques qu’auparavant on n’envisageait pas. Il s’agit donc d’une démarche complètement nouvelle, et pas simplement accentuée par rapport à une ancienne.

Quelle application du principe de précaution en

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chimie ? Il faut bien distinguer deux catégories de risques pour la chimie : les risques avérés et les risques suspectés. Pour les risques avérés, il peut y avoir débat sur la nature des mesures à prendre, mais ce débat n’est pas lié à une incertitude de la connaissance scientifique (débat en particulier sur le déménagement de zones industrielles classées Seveso loin des villes). Mais il y a aussi des risques suspectés, et là il y a une controverse, et cette controverse est de nature scientifique : c’est le cas à propos des éthers de glycol. Enfin, il ne faut pas négliger ce que j’appelle “le potentiel imaginaire de la chimie“, en particulier l’image d’une société cancérogène, ennemie de la nature, symbolisée par l’entrée dans l’âge du plastique non dégradable.

Alors quels sont les points d’application possibles pour le principe de précaution en chimie ? Pour les risques avérés, il s’agit de la prévention. La précaution n’a rien à voir : pour éviter la répétition d’une catastrophe industrielle comme celle d’AZF, nous sommes dans la prévention et non dans le domaine de la précaution. En revanche, pour le problème des risques liés aux éthers de glycol (ou ceux des risques à long terme liés à l’enfouissement des déchets nucléaires), il faut choisir le principe de précaution car il y a là une incertitude scientifique sur le risque lui-même. Quant à l’imaginaire du risque, c’est l’application du principe de précaution qui peut montrer au public que “la donne a changé“, et cela devrait permettre d’améliorer l’acceptabilité des risques résiduels qui existent toujours. Il n’y a pas de vie sans risque. En résumé, les risques visés par REACH, ce sont des risques graves et irréversibles, invisibles et cumulatifs, dans un contexte d’incertitude scientifique sur les effets ; par rapport à ces risques, des mesures proportionnées sont prises, des demandes raisonnables sont faites, c’est donc une bonne application du principe de précaution.

Maintenant, pour ce qui concerne l’imaginaire de la chimie, sommes-nous aujourd’hui dans la chimie pasteurienne ou dans la chimie faustienne ? La science en général était perçue comme entièrement “pasteurienne“ au 19e siècle : il n’y avait que du bon pour la société, on pensait que la civilisation avait fait un pas décisif avec les progrès de la science en général. Mais progressivement son image a changé, comme celle de la science en général : elle est devenue également “faustienne“ au 20e siècle avec toutes les catastrophes qu’on a pu connaître. Il en résulte aujourd’hui une image très ambivalente de la science et de la chimie en particulier. Le risque de divorce entre la science et les citoyens –dans l’hypothèse où la dimension faustienne de la science l’emporterait- serait une catastrophe. Pour la chimie, son image est ambivalente (mais peut-être moins cependant que celle de la biologie moléculaire, avec d’un côté le clone et de l’autre le téléthon ; il n’existe pas de téléthon de la chimie, de la même manière qu’il n’y a peut-être pas non plus de clone chimique). L’enjeu est de restau-rer l’ image de la chimie. Je pense que l’application du principe de précaution est une bonne manière de le faire, et en général une bonne réponse pour réconcilier les citoyens et la chimie. Mais je crois qu’il faut élargir la réflexion : mon hypothèse est que Reach, qui est très important, ne suffit pas, qu’il faudra aller plus loin et ce “plus loin“ passe par ce que j’appelle la précaution. Je fais une différence entre le principe de précaution et la précaution. Les problèmes qui se posent à nous aujourd’hui (Quel est notre rapport à la nature ? Comment construire la société et gouverner le monde au temps des technosciences ?) sont des questions fondamentales pour l’avenir de notre société. Le principe de précaution constitue une première étape -mais une étape seulement- vers la réponse à ces questions.

D’où la troisième partie de mon exposé dont le thème est “du principe de précaution à la précaution“ que je commencerai par l’évocation de la chimie pour ensuite essayer de déterminer quelle pourrait être la place de la chimie dans une société durable, et cela à partir d’une distinction cardinale, entre les risques et les effets.

Ce que nous apprend l’Histoire est très important : j’ai découvert que la chimie, à ses origines, était à la fois un rapport à la nature mais aussi un rapport à soi. C’est-à-dire que le chimiste cherchait à la fois à purifier la nature mais aussi à se purifier lui-même. En cherchant à purifier la nature, il ne cherchait pas à créer une super nature

mais à achever la nature : il ne sortait donc pas d’un modèle naturel. La chimie n’est pas initialement quelque chose de prométhéen : la chimie est plutôt une avancée, une recherche de connaissances, qui est vraiment complète car elle engage à la fois la nature et l’Homme. Et l’Homme est conçu comme un microcosme qui récapitule à la fois les aspects les plus matériels et les plus spirituels. L’ère moderne est marquée par la rupture de Descartes et Galilée à la fin du 16e siècle. La perception de la nature change complètement, elle devient une substance étendue justiciable simplement de la mécanique et de la loi des chocs : on peut dire qu’elle a perdu toute épaisseur et tout mystère, elle est réduite à un cadavre. En même temps, cela donne un pouvoir considérable à la science - même si la chimie devra, pour devenir effectivement une science et accomplir des applications, attendre Lavoisier. Le 19e siècle est marqué par la naissance de l’industrie chimique, le 20e siècle par le nylon, le 21e par la nanochimie et puis… On voit comment les choses s’accélèrent et les questions qui peuvent en découler : désirons-nous vraiment vivre dans une “techno-nature“, en portant des nanovêtements, en mangeant des nanoéléments, dans un environnement qui serait esthétiquement et sanitairement dégradé ?

Quel est notre rapport à la nature aujourd’hui ? Il existe une forte tension entre une vision hyper réductionniste de la nature et la contestation holiste de la deep écologie. D’un côté ceux qui veulent tout refaire à partir des gènes et des molécules élémen-taires (les nanotechnologies), de l’autre ceux qui ont une vision holiste de la nature (la grande mère nature) en avançant qu’il faut la réintégrer. D’un côté, nous avons la rationalité très agressive et de l’autre une sensibilité probablement exacerbée. En plus de cette tension, notre rapport à la nature est aujourd’hui dominé par la crise écologique et environnementale qui est absolument majeure, d’où la nécessité de passer un nouveau pacte avec la nature.

Je voudrais introduire ici cette distinction essentielle entre les risques et les effets. Par exemple, pour les OGM, la question des risques est ouverte et j’espère que les recherches seront approfondies, notamment pour ce qui concerne les risques envi- >

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ronnementaux et sanitaires. Mais il existe à côté des risques proprement dits d’autres effets, qui ne sont pas de prime abord des risques, mais qui sont pourtant de très grande conséquence, comme par exemple la transformation complète du système agricole avec l’introduction des biotechnologies. Ces effets sont de différentes sortes, comme l’a montré Jean-Pierre Dupuy : les effets ontologiques, épistémiques, métaphysiques et moraux.

- Les effets ontologiques : c’est le triomphe de l’artefact et du virtuel apporté par les technologies et qui met en question notre expérience de l’être. Qu’est-ce que l’être ? Sans doute de plus en plus ce que nous allons fabriquer, et de moins en moins le résultat d’une nature qui nous échappe. Des effets métaphysiques également, avec le déplacement des grandes catégories : le naturel non-vivant, le vivant et l’artefact qui tendent à fusionner avec les nanotechnologies. Le passif effacé par l’actif, la nature est ce que je veux, il n’y a plus de limites.

- Les effets épistémiques : ils nous conduisent à une vérité sans transcendance, je cite Vico, “Verum et factum convertuntur“ : le vrai c’est ce que nous faisons. Secon-dairement, ils sont le mépris des sciences de l’observation, les sciences naturelles ont été négligées et mises à l’écart.

- Il existe également des effets normatifs et moraux, la technique n’est pas neutre, elle apporte des normes avec elle. Ces normes sont ses passagers clandestins (par exemple pour le téléphone portable, la norme “être joignable à tout instant“, pour les OGM, la norme “adopter un mode de travail industriel“). Il existe enfin des menaces d’effacement des fins par les moyens. La fascination des moyens fait oublier la fin. Cela est très net en médecine avec l’approche clinique qui tend à être effacée par de plus en plus d’examens réalisés avec des appareils super sophistiqués. La question morale elle-même tend à s’effacer.

Une société durable doit considérer l’ensemble des effets de nos innovations –et pas seulement les risques- et doit conjoindre une bonne expertise et une bonne délibération et plus largement, inventer une démocratie technique fondée sur la précaution. Cette précaution a trois composantes : une métaphysique, une philosophie de la nature et une philosophie de l’action. Il s’agit de ce que j’appelle la métaphysique du monde incertain. Nous avons quitté le monde certain où il y avait de l’incertitude mais dans un horizon qui était stable, maintenant l’horizon lui-même bouge. Qu’est-ce que l’Homme ? Qu’est-ce que la nature ? L’incertitude s’est radicalisée. Par conséquent, le monde incertain est un monde voué à l’incertitude. Nous sommes obligés de vivre avec elle donc de faire renaître un nouveau “socratisme“. Pour Socrate dans la philosophie ce sont les questions qui comptent. Nous nous posons également beaucoup de ques-tions, et avons de moins en moins de réponses. Nous sommes en présence d’une métaphysique très inconfortable. On voit que même les gens qui défendent ces nouvelles perspectives se rabattent sur des certitudes qui sont opposées, catastrophistes, etc. et qui ne sont pas mieux établies que la croyance que le progrès nous mènera à des jours toujours meilleurs. Nous avons besoin aussi d’ une philosophie de la nature qui associe la dimension scientifique, cognitive, et les sentiments de la nature. Je crois qu’il faut cultiver aussi la poésie, l’esthétique. Mais on ne peut pas non plus se perdre simplement dans l’esthétisme. Il est également nécessaire de connaître cette nature

et de situer l‘Homme dans la nature. Et enfin voilà peut-être ce qui est le plus important pour nous : nous avons besoin d’une philosophie de l’action, car il faut repenser l’action. Ce peut être à travers ce que j’appelle le “triangle de l’action“. L’action aujourd’hui est essentiellement la “poiéisis“, c’est-à-dire la production d’objets, de choses, de biens matériels. Et bien non : l’action c’est aussi la “théo-ria“. Produire des idées, penser, inventer quelque chose de nouveau, sortir des ornières. Et puis enfin la “praxis“, c’est-à-dire l’agir politique, l’agir commun, l’agir de la société citoyenne. Il faut réhabiliter la praxis qui s’est trouvée écartée parce que l’écono-mie a fini par l’écarter : “Ce n’est pas la peine de faire de la politique, la main invisible (de l’économie de marché) va tout régler “ (Adam Smith). Donc il faut que nous allions vers une nouvelle pratique scientifique et technique de mise en délibération, un esprit d’ouverture et de décloisonnement des disciplines, vers l’apprentissage de la pluri et de l’interdisciplinarité. Il serait bien que dans les laboratoires de recherche scientifique il y ait des gens des SHS qui viennent travailler et s’associer. J’ai l’impression que les labos travaillent chacun avec une vision beaucoup trop étroite, alors qu’il faudrait s’ouvrir au public et aux usagers. Il est nécessaire de se diriger vers une science ouverte mais aussi plus modeste.

En conséquence, la place de la chimie dans une société durable est centrale par rapport à tous ces enjeux. On ne peut pas se passer de chimie mais il est nécessaire de faire un virage résolu vers une chimie verte qui ne soit pas simplement un habillage. Nous devons rompre avec l’idéologie du progrès et inventer une nouvelle culture, la précaution. La précaution est le nouveau paradigme du progrès. Pourquoi introduire la précaution en chimie ? Parce qu’il est nécessaire d’introduire une attitude plus modeste et responsable, de rétablir la confiance et participer à la mise en œuvre d’une science citoyenne. Un magnifique livre incarne cet appel à la responsabilité, le Principe responsabilité, écrit par Hans Jonas en 1992, lequel a été le premier à comprendre que la technologie avait changé le monde, notre manière de penser et notre éthique.

Question Quelle est la place du chimiste ? Je participe à de nombreuses associations, dans lesquelles il n’y a quasiment jamais de chimistes. En fait, ce que vous venez de dire au sujet de notre travail de citoyen, nous ne le faisons pas. Nous ne faisons pas notre travail d’expert même lorsqu’on nous le demande. Donc je suis très content que vous ayez rappelé cela.

Réponse

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En effet, il faut travailler ensemble, main dans la main : les experts, les scientifiques et les citoyens pour éviter que le balancier aille complètement d’un côté ou complè-tement de l’autre. On trouve plusieurs écoles pour ce qui est du principe de précaution : l’école prudentielle de Kourilsky et Viney, qui veut bien des citoyens mais en les tenant quand même le plus possible à distance et l’école dialogique, qui au contraire, a tendance à noyer la science et à la présenter comme un discours parmi d’autres. Les scientifiques ont leur place dans les débats sur la société, cependant, leur point de vue ne revêt pas une importance particulière. L’immense difficulté est de mettre en place les structures délibératives. Je crois qu’il y a un principe qui doit être absolu-ment respecté pour que ça fonctionne bien, c’est celui de compétences. C’est-à-dire que chacun s’exprime par rapport à son strict domaine de compétences. Le scientifi-que a des choses très importantes à apporter mais il ne faut pas que sa compétence entraîne une autorité qu’il imposera par la suite (comme ce fut le cas pour le débat sur les OGM). Lorsque les contestataires prennent la parole dans les sociétés civiles, il faut que leur opinion soit vraiment entendue par les scientifiques.

Remarque Quand on parle de la mauvaise image de la chimie, on a beaucoup trop tendance à mélanger l’industrie chimique et la recherche fondamentale en chimie. Je crois que la mauvaise image de la chimie vient beaucoup de la mauvaise image de l’industrie chimique, car la chimie comme science n’est pas plus mal vue qu’une autre science. Il y aurait à prolonger la réflexion sur ce point.

Question Dans une société tellement mondialisée, pour un pays comme la France, est-ce que ce principe de précaution ne signifie pas qu’on va se retrouver derrière les autres et ainsi, à terme, dépendre d’industries comme Monsanto qui ont développé les OGM ?

Réponse Pour répondre à cette question, je citerai à nouveau Jean-Pierre Dupuy, qui a introduit cette distinction que je trouve très importante entre savoir et croire. A propos de la catastrophe, il cite des propos de personnes avant la Première Guerre mondiale : “nous savons tous que nous allons dans le mur mais nous n’y croyons pas“. Et c’est là le problème. Jean-Pierre Dupuy avance que le principe de précaution ne va pas marcher car nous allons dans le mur mais nous n’y croyons pas. Entre savoir et croire il y a une adhésion extrêmement difficile à conquérir. Votre question me fait exactement penser à ça. C’est-à-dire que quand vous dites “nous allons être en retard sur les autres“, oui, mais si l’avenir s’annonce plus radieux ? Je pense que le principe de précaution va nous mettre en avance puisque nous serons suivis par tous ceux qui, progressivement, vont se rendre compte que nous allons dans le mur. En particulier la Chine, et tous les pays qui se développent à grande vitesse, en ayant en même temps la conscience que cela est risqué. Je pense que ces pays sont preneurs d’une réflexion et d’une avancée de propositions émanant d’un pays comme le nôtre. Je crois donc que le principe de précaution est le ferment le plus fort pour aller vers une recherche novatrice et être en avance sur les autres. Je pense au contraire que ce principe fera de nous des modèles, à condition bien sûr qu’on l’applique !

Intervention de Nicolas Buclet Je me permettrai juste un exemple pour aller dans le sens de Denis Grison par rapport à votre question. L’entreprise suédoise Electrolux, s’est justement posée des questions depuis un certain nombre d’années et notamment comment remplacer les CFC des réfrigérateurs. Elle a travaillé avec The Natural Step, dont la réflexion est basée sur l’application de grands principes aboutissant à une situation durable, cela lui a ouvert les possibilités des HCFC, eux-mêmes remis en cause depuis quelques mois. Le fabricant suédois a refusé sciemment de prendre la solution des HCFC, qui semblait la plus évidente, en se tournant vers une technologie reposant sur une autre molécule. Aujourd’hui Electrolux a une longueur d’avance sur les autres.

Denis Grison reprend la parole Le principe de précaution est méconnu, galvaudé, trahi et beaucoup trop souvent employé à tort et à travers par les médias et les responsables politiques. On arrive à une caricature épouvantable, alors qu’il s’agit d’un outil absolument précieux et bien balisé, qui s’appuie sur des textes, le risque n’est pas nul, >

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et en aucun cas le résultat d’une attitude frileuse. Il faut que chacun s’informe, fasse passer l’information parce que c’est fondamental, sinon le principe de précaution sera noyé sous les interprétations abusives. Notre société se distingue par son aspiration sécuritaire forte. Or, le principe de précaution est un formidable étendard qui ne revêt pas une garantie sécuritaire. Il est nécessaire de rester lucide et attentif aux nouveaux risques, à la nouvelle situation, à la nouvelle donne. Il faut donc se battre pour donner une image juste du principe de précaution.

Exposé de Cyrille Harpet, Philosophe, professeur associé à l’INSA-Lyon en éthique et développement durable

Cyrille Harpet pose son regard de philosophe sur la chimie et les notions de risques et de principe de précaution. Il analyse ensuite les réponses d’un questionnaire qu’il a soumis à dix chimistes et qui révèlent leur vision concernant les risques liés à leur discipline. Une petite évocation des risques écologiques est abordée en fin d’exposé.

J’ai estimé que ce colloque était l’occasion de me réinterroger sur la perception sociale des risques parmi cette catégorie d’acteurs que sont principalement les ingénieurs chimis-tes. Mon exposé se développera en trois temps. Dans un premier temps j’aborderai la chimie en tant que science, langage et pratiques. Un deuxième temps sera consacré à un petit sondage réalisé auprès de quelques chimistes, ingénieurs, enseignants afin d’avoir leur propre retour sur cette question des risques et de la précaution. Le troisième et dernier temps pour une réflexion plus générale des risques et précautions même si Denis Grison l’a déjà largement abordé.

La chimie est avant tout une science de la structure de la matière, de son organisation, de ses états, des comportements de la matière lors des réactions, donc elle a une vocation expérimentale. Elle a pour modèle dans la pensée classique une approche déterministe des phénomènes puisque par l’observation répétée des réactions, elle envisage de reconduire, reproduire les mêmes réactions dans les mêmes conditions grâce à la structure des espèces chimiques qu’elle met en présence. Or, de plus en plus, les chimistes admettent le caractère aléatoire de certaines procédures et de certains phénomènes. Donc il y a une remise en question de la chimie comme science déterministe et cela conduit à s’interpeller sur la question de la précaution puisqu’on sort d’un schéma classique déterministe. Prenons l’exemple de l’éthanol, pour lequel on peut faire une prévision statistique à l’échelle macro, en revanche, nous avons des incertitudes pour ce qui est de son échelle micro, puisqu’on ne peut pas le suivre de façon systématique, ni en tout temps, ni en tout lieu, ni dans toutes les conditions. Ce qui veut dire qu’on va rendre statistiquement probable l’incertain. Nous allons donc procéder à de multiples répétitions des mêmes expériences, surdimensionner les échantillons, y apporter plus d’éléments jusqu’à augmenter les chances de réalisation

pour que le résultat attendu se produise.

La science de la chimie côté langage : la difficulté que soulevait Denis Grison à propos de cette citoyenneté technique est rendue d’autant plus difficile que l’on a un langage très spécifique et très codé qui suit un langage ésotérique -on sait bien que les alchimistes recouraient à un langage ésotérique, je ne suis pas sûr qu’on en soit toujours sorti- et on y ajoutera un langage combinatoire puisque c’est par un jeu de molécules que l’on va développer des formules, des équations, des calculs et des modèles. Ainsi, la science de la chimie n’est pas toujours “entendable“ ou pas toujours entendue, en dehors de son champ d’application. Je crois qu’il faut le prendre en compte quand on parle aujourd’hui de démocratie technique ou d’interpellation de la société civile sur ces débats autour de la chimie : quelle culture chimique a-t-on ? A quel défaut culturel cela nous renvoie lorsqu’on ne fait pas partie de l’entité “chimie“ ?

C’est une sphère qui a tendance à devenir hermétique parce qu’elle est plongée dans une recherche qui peut être fondamentale, avec des investigations sub-moléculaires et une certaine culture du secret ou de la discrétion, en même temps qu’elle se trouve au carrefour d’autres disciplines : de la biologie, de la physique, de la biochimie, etc. Tout ceci caractérise un domaine scientifique qui ne rend pas facile son ancrage pour les questions liées au développement durable. Les pratiques, on en connaît quelques-unes, ont d’abord été empiriques, puis les manipulations sont devenues de plus en plus fines avec les découvertes de lois fondamentales et des principes, pour aboutir à un programme de recherche véritablement finalisé. Depuis Lavoisier, si on devait décliner comme le font les auteurs de “l’Histoire de la chimie“ (Bensaude-Vincent et Stengers) on trouverait d’abord une lecture historique de l’évolution de la chimie en tant que science. Ces deux auteurs considèrent qu’il y a eu trois étapes essentielles dans le programme de recherche finalisé engagé depuis le 18e siècle. Ces trois étapes reprennent les trois gestes du chimiste. Dans un premier temps on décompose et analyse. Dans un deuxième temps, on substitue des éléments les uns aux autres. Enfin, on synthétise. Ces trois étapes ne sont pas forcément dans une continuité historique puisqu’il va y avoir des recoupements mais cela donne un schéma de l’évolution de la science et notamment de sa recherche. La chimie porte sur un objet assez particulier, pas toujours facile à saisir pour celui qui n’est pas de la partie, il s’agit d’un objet “concret-abstrait“ . Nous sommes dans le concret parce que nous sommes dans la matière : on touche de près la matérialité surtout dans ses structures fondamentales qui nous renvoient à une dimension, celle de l’imperceptible,

Présentation Powerpoint en Annexe p.73

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de l’impalpable, de l’invisible. Nous parlons des moyens de médiation, nous sommes toujours dans la médiateté avec des appareillages pour identifier, capter, définir et en plus nous sommes dans et de la matière qui est ubiquitaire, qui circule, nous enveloppe, est polymorphe en fonction de ses états et que l’on va signifier. Nous allons l’exprimer à travers des formules développées, symboliques, un tableau des signes comme celui de Mendeleïev. Il va s’agir de modéliser les comportements, donc on est bien sur une approche ambivalente entre le concret et l’abstrait, ce qui n’est pas toujours facile pour engager des dialogues interdisciplinaires ou pluri- disciplinaires. C’est intéressant de savoir que cette chimie, si elle a sa raison d’être, c’est d’abord parce qu’elle a un objet qui est en profusion dans la nature -Dieu merci, la nature nous environne d’éléments et de composés en grande profusion- mais la chimie a aussi pour projet d’aller plus loin que cette profusion naturelle et disponible puisqu’elle est rentrée dans un processus de production exponentielle. Cela rejoint les thématiques de la croissance déjà évoquées : on a toujours démultiplié les réalisations techniques et scientifiques, notamment autour de la chimie, avec cette fameuse combinatoire. Plus on a d’éléments en main, plus on va les faire réagir entre eux pour démultiplier le potentiel de la matérialité. On est bien dans les potentialités d’expression de la matière. Avec un manichéisme qui reste persistant, comme si la matière était ou toute noire ou toute blanche, ce que l’on observe souvent dans les débats. Le chlore est devenu l’élément ennemi numéro 1 sur lequel il faut tirer au premier passage. L’ambivalence dont on parlait tout à l’heure avec Denis Grison touche aussi les molécules, tout dépendra de la situation dans laquelle on place le chlore, du milieu et de l’environnement qu’il occupe, en fonction de ces différents paramètres, il peut avoir des effets tout à fait bénéfiques ou au contraire se révéler un vrai ennemi. Donc cette approche manichéenne binaire ne contribue pas, à mon avis, à une meilleure compréhension entre chimistes et non chimistes.

Cette “chimiosphère“, je me suis permis de l’appeler ainsi, a constitué une véritable sphère à part entière, car en 150 ans nous sommes passés de 12 000 à 10 000 000 molécules de la chimie organique. C’est quand même impressionnant de voir la démultiplication exponentielle de la science et notamment l’industrie de la chimie pour produire des molécules, certes pas toujours reconnaissables dans la nature, ou qui ne trouvent pas nécessairement leurs équivalents, ou qui ne sont pas toujours assimi-lables. Cette chimie organique repose sur ces fameuses longues chaînes carbonées facilement modifiables par des additions, des substitutions, en regard de la plasticité de la matière et des combinaisons possibles. Une plasticité que certains philosophes nomment “matériologique“. Dagognet, philosophe et médecin, avait fait tout un travail sur “Tableaux et langages de la chimie“ où il vante cette plasticité de la matière avec laquelle l’Homme va pouvoir développer, produire des carburants jusqu’aux explosifs, en passant par les médicaments, les pesticides, les colorants, etc.

Il y a une vision un peu moléculariste du chimiste, son investigation est microscopique : il voit le monde à travers la lunette de son microscope, même si c’est un microscope à effet tunnel. Il peut toucher une matérialité infime et imperceptible, travailler sur des tableaux de signes avec un protocole et une combinatoire virtuelle, qui va se développer en stratégie réactionnelle, c’est-à-dire qu’à un moment donné il va fixer des objectifs d’une molécule à réaliser en fonction de sa propriété, et de l’usage qu’on

va en faire. Mais autant il connaît les propriétés de cette matière lorsque celle-ci est dans son laboratoire, autant il a souvent tendance à occulter les voies de migration, les chemins qui vont au-delà de la sphère, de la chimiosphère ou de la sphère technologique. Les interfaces que l’on voit aujourd’hui, et sur lesquelles les pouvoirs publics, les institutions, les entreprises commencent à débattre et à avoir des frictions, portent sur cette rencontre entre une écosphère ou une biosphère et puis une chimiosphère qui occupe un terrain considérable : les molécules de synthèse se retrouvent aussi bien dans les milieux aériens, aquatiques, dans les sols, dans tous les organismes. Quelles réactions nouvelles vont être observables d’ici 10, 15, 20 ans voire au-delà par rapport à ces nouvelles interactions, alors qu’elles n’avaient pas été néces-sairement expertisées dans la chimiosphère ?

Il existe bien une complexité de la matière et de ses processus mais elle est souvent écartée ou occultée de la complexité des éco-systèmes. Parce que si on devait prendre effectivement en compte les deux complexités, à ces deux niveaux, on tomberait sur de la surcomplexité. Donc l’approche combina-toire des éléments et des composés est souvent réduite à un modèle du mécano où on procède par additions, soustractions, substitutions et réarran-gements. Cet angle élémentariste a un angle mort, ce sont les éco-systèmes et les interfaces avec les molécules que l’on insère, que l’on produit, que l’on développe (autrement dit les interactions entre produits de synthèse et l’environnement). Il a un angle utilitariste et l’angle mort de celui-ci sera le défaut de culture, plus largement éco-toxicologique. L’autre angle mort repose sur la focalisation des produits et des procédés. L’avenir de la chimie n’est t-il pas dans une vision des propriétés nouvelles à partir d’éléments existants ? Puisque nous sommes dans un processus où l’on démultiplie des molécules que l’on veut créer, que l’on veut innover, est-ce qu’on s’interroge véritablement sur les propriétés des éléments existants que l’on ne connaît pas toujours suffisamment ?

Je passe maintenant au deuxième temps de mon exposé, c’est-à-dire à une petite enquête auprès de dix témoins de la chimie afin de ne pas rester à une lecture uniquement bibliographique ou dans une réflexion subjective. Les quelques chimistes que j’ai consultés ont entre 5 et 50 ans d’expérience. Sept questions leur ont été soumises. Nous allons les passer en revue. Il s’agit d’un panel restreint, donc je ne prétends pas à la représentativité. J’ai essayé de chercher la parité, cinq hommes, cinq femmes, pour avoir deux visions. Evoquons en premier lieu les qualités d’un chimiste, parmi lesquelles certaines sont méconnues : précision, rigueur, >

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minutie. Cela va avec l’exercice même du praticien en laboratoire ou en situation de pilote industriel. Apparaissent déjà des notions comme prévoir, anticiper, avoir le sens de la patience et de l’observation, ainsi que l’esprit critique qui est apparu, ce qui est intéressant. On peut -on doit même- exercer son esprit critique de même qu’il est important d’avoir une certaine réactivité par rapport à des phénomènes pour lesquels il est nécessaire d’avoir effectivement un sens aigu de ce qui peut se produire. Pour certains c’est le goût de la matière et de l’expérimentation, voire même au-delà de la communication, un aspect qui n’est pas le mieux partagé dans le domaine de la chimie. La deuxième question était :“Y a-t-il des risques spécifiques dans votre discipline ?’’. J’ai fait une distinction entre chimie organique et minérale, sachant que pour la chimie des matériaux les chimistes seraient moins exposés à des produits,à des risques liés à la manipulation de certains d’entre eux ou à certaines réactions. Ensuite, la question des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques a été abordée, notamment en termes d’exposition continue, chronique ou ponctuelle face à des risques sub-aigus ou chroniques. Les conditions de réaction sont abordées, notamment dans cette question des risques particuliers auxquels sont exposés les chimistes. Donc il s’agit des conditions physiques dans lesquelles s’opèrent ces réactions (régulation de température, pression...). Les appareillages : et bien oui, on use des appareillages qui, au-delà de la substance chimique elle-même, que ce soit le recours à des micro-ondes, à des champs magnétiques, nous exposent à d’autres phénomènes. Ensuite il faut faire le distinguo entre le laboratoire, le pilote industriel et l’unité de production elle-même. Et puis enfin a été soulevé l’état de la personne : par exemple, certaines femmes enceintes aujourd’hui prennent des dispositions pour ne pas être en situation de travail, ou alors les susceptibilités et les sensibilités de certaines personne à certaines vapeurs, produits, substances. Cela fait partie de cette culture du risque qui commence à émerger au travers de cette question. Il y a aussi les expositions chroniques, accidentelles et les dommages corporels. La quatrième question : «Considérez-vous qu’il y a des sphères du risque ?», se voulait assez générale, car en labo, entre le pilote et l’unité, il y a bien sûr aussi l’étendue du risque. Effectivement en laboratoire, on aura plutôt un risque local qui peut donc être contenu. En revanche en industrie, on se place dans un périmètre beaucoup plus large. L’autre aspect à prendre en compte concerne la quantité du produit : en laboratoire il s’agit d’un échantillon, ce qui n’a rien à voir avec les quantités manipulées sur un pilote ou en unité industrielle. Ce qui fait dire à certains dans l’absolu, qu’on prend moins de risques en laboratoire que dans l’industrie. Si ce n’est que dans l’industrie les infrastructures de sécurité et les dispositifs mis en oeuvre sont beaucoup plus lourds et les investissements beaucoup plus conséquents que dans certains laboratoires où l’on constate un manque de capacités et de moyens d’adopter les mesures préventives par rapport à des pratiques de chimiste. Le cas des salles, par exemple, est intéressant dans un laboratoire, où celles-ci sont identifiées en fonction des risques potentiels, avec une signalétique des départements, des risques encourus, etc. Chaque salle devient une sphère de risques à part entière. Il existe une précision sur les salles de stockage qui sont les plus contrôlées avec un accès plus restreint, de même que des salles blanches où on voit des identifiants sur le danger électrique, électromagnétique, le risque biologique ou la présence de matières dangereuses. Autre élément important : la prise en compte des symboles sur les produits, en fonction des caractéristiques physiques et toxicologiques. Et puis la question des compétences, la qualité de la formation donnée ou reçue, la connaissance des

produits et les pratiques collectives. Je fais un petit focus là-dessus : on se représente facilement le laborantin ou le technicien travaillant seul derrière sa paillasse. Pourtant, certains chimistes ont insisté sur l’importance du collectif. Je pense que l’on néglige trop souvent en laboratoire le fait de communiquer, et cela contribue à cette culture du risque. D’abord on s’accorde sur l’idée que l’on peut être défaillant et ensuite on peut surtout profiter de l’expérience de l’autre qui nous avertit, qui nous rend d’autant plus précautionneux, car lui-même a peut-être plus d’expérience ou un regard plus critique. Ce qui veut dire qu’on parle dans certains laboratoires d’un management de la sécurité, de la qualité, de l’hygiène voire de l’environnement. Dernier point : le laboratoire peut être une sphère de risque à part entière, c’est un lieu de recherche et donc de dé-couverte de nouveaux produits. On revient à ce que disait tout à l’heure Denis Grison, la découverte de nouveaux produits, l’innovation, dont on ne connaît pas les risques ni les caractéristiques. La cinquième question portait sur les dispositions face aux risques. C’est intéressant sur le plan com-portemental : pratiquer au quotidien des ma nipulations, connaître les substances, donne une tendance à les banaliser, à minimiser le risque et donc à prendre moins de précautions. On sécurise alors par des équipements voire des suréquipe-ments et enfin par des procédures comme les fameuses procédures de management de la qualité. Mais il y a des obligations réglementaires, notamment sur l’évaluation du risque individuel au poste de travail, les analyses préliminaires du risque qui sont là pour aussi accompagner cette culture du risque en interne, même si cela ne suffit pas pour faire de quelqu’un, une personne qui soit consciente des niveaux de risque qu’elle peut courir ou faire encourir. J’ai également posé une question sur la formation : “Etes-vous, de par votre formation, préparé à mieux intégrer cette question de la culture du risque et au mieux de la précaution ?“. Il apparaît que pour la prévention, tout le monde soit “à peu près formé“, en revanche, il semble que tout le monde soit sensibilisé.Parmi les personnes interrogées, une partie d’entre elles n’a pas été formée, et a découvert ces aspects sur le tard, soit par le biais de formations soit par

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des incidents ou même des accidents survenus au cours de leur carrière. “Sensibilisé mais pas formé“, voilà ce qui est ressorti des entretiens, mais également le peu de moyens pour former et accompagner les personnes à connaître, prendre conscience et adopter des comportements plus précautionneux. Par exemple, il existe assez peu de documents individuels sur les accidents, cela reste comme une sorte de tabou, un interdit, on n’en parle pas ou on ne le montre pas. Deuxième élément, on ne pratique pas de mise en situation, de simulation, d’exercices, apprendre les bons gestes, comme on le ferait pour les premiers secours. L’expérience seule, bien sûr, compte, mais elle ne se transmet pas.

La solitude en labo ? Comme dirait l’un de mes intervenants, “c’est la complice du risque“. Ensuite, les pratiques à risque sont assez régulières, notamment par manque de moyens, de matériel et le peu de sensibilisation par rapport au risque encouru, le manque de formation également. Voilà pour les retours sur les six premières questions.

La question sept portait sur le principe de précaution. Nous revenons sur les molécules suspectées d’être cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques, pour lesquelles il n’y a pas de preuves avérées à ce jour. Malgré tout, on procède comme s’il y avait des risques cancérigènes. Le problème est qu’il y a des produits mis sur le marché malgré ces risques. On peut parfois se trouver dans un milieu de travail qui peut paraître plus protégé que l’usage qu’on pourrait en faire à domicile. C’est-à-dire qu’il y a peut-être moins de prévention ou d’information sur l’usage qu’on pourrait faire de certaines colles ou de certains colorants pour les cheveux par exemple hors du laboratoire. Le principe de précaution se pose souvent pour la question de la recherche en laboratoire. Par exemple une toute nouvelle réaction ne sera jamais directement effectuée à l’échelle industrielle, mais à la petite échelle d’un laboratoire avec des quantités suffisamment faibles pour que tout danger soit facilement maîtrisé. Dans ce cas nous sommes bien sur la question du laboratoire, de son échelle, la prise de

risque à laquelle peut accéder le chercheur. Cela dit, le principe de précaution ne s’applique pas de la même manière puisqu’on n’est plus dans une échelle collective du risque, mais dans une échelle microtechnique, liée au laboratoire. En revanche, la question du développement de cette molécule au-delà de sa sphère de recherche pose question et notamment par rapport à ses risques, car on n’en maîtrise pas toutes les caractéristiques de toxicologie sur le long terme, ni les effets globaux auxquels ils sont susceptibles de contribuer, ni les micro-polluants ni les solvants halogénés.

Voilà donc le retour des quelques échanges passés avec ces dix chercheurs ou ingénieurs chimistes. J’ai retenu cette phrase sur la vigilance face au risque : “Dans les années 70, l’éveil au risque est venu de l’extérieur, par la communication, par les médias, par les catastrophes, par les accidents rapportés par les collègues dans l’industrie.“

L’utilisation de certaines molécules pose toujours question. On leur a attribué une utilité très particulière, que ce soit pour le pyralène, par exemple pour éviter l’inflammabilité des installations électriques. On cherchait une huile qui ne soit pas conductrice. Donc, le premier objectif visé pour constituer une molécule comme le pyralène, était la protection. Le pyralène a eu d’autres usages car cette propriété qui lui était reconnue dans un équipement électrique l’a également été pour d’autres utilisations. Et là se pose la question du devenir de la molécule au-delà de sa sphère d’usage prévue à l’origine. Cela pose vraiment la question en termes de risque et de précaution, à savoir que lorsqu’on table sur une molécule dont on va définir les caractéristiques, les propriétés et l’usage, il faut savoir qu’à un moment donné, celle-ci va sortir de son champ premier d’usage. Ce point touche du doigt la question de la recherche et de son développement puis ensuite de son industrialisation, puis ensuite de sa diffusion et de sa promotion. Il est bien connu que le DDT, depuis les années 70, a créé pas mal de polémi-ques par le biais notamment de l’affaire “Carson“. Souvenez-vous en 1961, l’ouvrage de Rachel Carson paraît aux Etats-Unis et pointe du doigt les risques de contamination de l’environnement. Un livre au titre très polémique “Printemps silencieux“ mais dans lequel on ne trouve pas moins de 500 références scientifiques. Une première polémique qui est même remontée jusqu’aux politiques, puis-qu’une commission de JF Kennedy sur la place de l’industrie agroalimentaire et de l’usage intensif et extensif du DDT dans les cultures fut mise en place.

Je reviens un petit peu en arrière, sur ma fameuse molécule. Aujourd’hui on vous parlera du PCB, le polychlorobiphényle, et autres. Il s’agit bien des >

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extensions d’usage hors champ et surtout des migrations de ses molécules hors de leur compartiment initial avec des liaisons, des réactions imprévues, voire imprévisibles.

Je vais avancer un peu sur le principe de précaution. Si le chimiste devait respecter uniquement ce que les lois lui préconisent, il n’innoverait plus, car il se trouverait alors dans une situation de transgression. La vraie question n’est-elle pas la suivante ? : “Peut-on développer systématiquement le résultat de certaines recherches si le chercheur a tenté l’impossible ou a transgressé certaines lois ?“.

Je vais terminer sur quelques éléments que l’on a assez peu abordés : les risques écologiques. Les premières ruptures à voir le jour ont été d’ordre écologique, et portaient sur les risques collectifs ou susceptibles d’avoir des impacts collectifs. La question de la chimie et de son fort développement industriel depuis 200 ans est au coeur des débats avec la directive Reach. Elle repose sur la propagation de ces molécules et les phénomènes de bioaccumulation et de bioconcentration dans les milieux, mais aussi sur les effets locaux et globaux. On change d’échelle et de temps en termes de prise de position dans la durée. De la même manière, on modifie le niveau de complexité puisque cette fois nous allons vers des complicités qui sont à l’interface du naturel et de l’artificiel où une chimiosphère est extensive et très souvent au service des industries qui développent et démultiplient les artefacts avec des manipulations micro voire nano mais dont les effets deviennent macro. Cette dérive des produits et sous-produits par dissémination, voie de migration, bio-accumulation, nous plonge dans un certain niveau d’incertitude face à des nouvelles complexités. Là, la question pour le chimiste est : “Peut-il intégrer cette approche systémique et globale pour sortir de l’angle de vue microscopique, quand ce n’est pas nanoscopique ?“ Une révolution de la chimie ? Le développement durable y participe probablement, en tout cas il faut le souhaiter car on est encore dans l’ordre des probabilités

Question Entre les sciences humaines et sociales et la chimie, qui fait le premier pas ?

Réponse Pour ce qui concerne la philosophie, je n’ai pas vu de chimiste venir nous rejoindre dans les années 80-90 alors que j’ai quand même pratiqué la philosophie pendant dix ans ! Du coup j’avais décidé en ce temps-là d’aller moi-même du côté des chimistes. Bien m’en a pris puisque j’ai eu la chance d’avoir pour enseignant et encadrant de thèse un chimiste, un philosophe, un anthropologue qui m’ont permis d’avoir une approche multidisciplinaire et une lecture croisée sur ces questions. Un dialogue s’est installé avec un chimiste ouvert aux SHS et qui m’a accueilli les bras ouverts. Malheureusement j’ai trop peu vu de chimistes se présenter en philo alors qu’ils auraient pu être aussi bien accueillis.

Question Nous sommes entrés dans une chimiosphère dans le sens où on a développé des molécules synthétiques, c’est-à-dire qu’on a su se faire exprimer les potentialités de la matière. Je trouve ça assez remarquable dans l’Histoire, on le voit pour la chimie organique, la chimie des minéraux ou la chimie des métaux, on a su

exprimer les potentialités des propriétés de la matière. La question qu’on peut se poser aujourd’hui pour parler de développement durable, est qu’on n’a peut-être pas été voir la potentialité des matières existantes, des molécules existantes. Alors si je prends par exemple les ressources disponibles, l’industrie pharmaceutique le sait bien, les substances naturelles constituent 40% des prescriptions médicales, ce qui est intéressant, si ce n’est que de nombreuses autres sont à découvrir. En revanche, 5% des végétaux sont étudiés pour leurs vocations pharmacologiques : il y a peut-être un effort à faire pour la meilleure prise de connaissances de l’existant et de ses propriétés plutôt que de démultiplier parfois les molécules en y ajoutant deux bras, en y enlevant deux mains, en faisant de la manipulation de molécules qui peut-être n’auront pas tous les usages. Mais la question est vraiment : “Au-delà de la spécificité de l’ob-jectif visé pour une molécule, que devient-elle lorsque je la change de champ d’usage ?“

Je m’étonne que vous n’ayez pas parlé de l’éco-conception, c’est un concept qui se développe, je pense que les chimistes y adhèrent. Et c’est justement le moyen de tenir compte à la fois de l’amont et de l’aval d’une molécule, et cela me semble la voie choisie par les chimistes.

Réponse C’est juste, l’éco-conception commence à avoir des intérêts forts. La petite expérience que j’ai dans l’industrie chimique -qui remonte à une dizaine d’années- m’a permis pendant cinq ans de travailler au sein de grands groupes pour lesquels le concept de «éco-conception » n’était pas encore adopté. On parlait de «chimie responsable» mais on n’allait pas au-delà et lorsque je parlais d’éco-conception, d’écologie industrielle et même de chimie verte et de chimie durable, cela ne trouvait aucun écho. Nous étions en 1997. En 1987, c’était le rapport Brundtland, 1992, Rio. Je trouve que la chimie met du temps. Je suis un peu dur avec elle mais en même temps je l’aime beaucoup. Autant les chimistes

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sont très forts pour la réactivité et la connaissance des réactions chimiques, autant eux-mêmes ne sont pas toujours dans la réactivité face aux enjeux globaux. C’est vrai que cela nous dépasse ; on change d’échelle de temps, d’espace. Mais en même temps on change d’échelle dans la compréhension que l’on a du monde et de ses constituants. Alors que j’ai eu peu d’échos en 1997, en revanche en 2007, je vois qu’il y a un effet rebond. Mais il s’agit aussi d’un effet retard de l’industrie chimique sur ces questions. Je m’en félicite mais il a fallu attendre Johannesburg en 2002, puis les Grenelles de l’environnement : je trouve que nous sommes un peu lents à la détente

Exposé de Sonia Desmoulin, Equipe “Droit, Sciences et Techniques“ CNRS UMR 8103

Sonia Desmoulin présente la réglementation Reach qui concerne les substances chimiques. Elle en donne les objectifs et les principes fondateurs, mais également les limites et insuffisances.

La nouvelle réglementation communautaire des substances chimiques au service du développement durable communément dénommée REACH organise l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions en matière de substances chimiques. Il s’agit d’un “gros morceau“ : neuf ans de discussions, un livre blanc de la Commission européenne intitulé “Stratégie pour une future politique chimique“, mais aussi 6000 réactions lors de la consultation publique organisée par la Commission, qui n’a duré que quelques semaines. Cela montre combien les gens étaient mobilisés pour réagir en force à ce moment-là. Le système REACH recouvre à la fois un règlement et une directive (auxquels d’autres textes pourront s’ajouter à l’avenir). J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas la même chose : il existe un règlement REACH et une directive REACH. L’essentiel se trouve dans le règlement de 850 pages et qui a abouti à la création d’une nouvelle agence européenne des produits chimiques appelée ECHA. La directive se distingue du règlement en ce qu’elle appelle un travail de transposition dans le cadre national, ce qui n’est pas le cas du règlement qui s’applique directement. Ce qui ne veut pas nécessairement dire, surtout quand on parle d’une réglementation technique comme celle-ci, que le texte réglementaire se suffit à lui-même. C’est surtout du règlement dont je veux parler puisque la directive avait essentiellement vocation à en modifier une autre ayant trait à la classification et à l’étiquetage des substances chimiques pour l’adapter au nouveau règlement.

Quels sont les objectifs et les principes fondateurs du règlement REACH ? J’ai reproduit ici deux points de l’article premier (voir diapositive n°3) qui me semblent résumer assez bien les objectifs et les principes fondateurs. J’y ajoute le développement durable. D’une part, évidemment, parce que c’est l’objet du colloque d’aujourd’hui, mais également parce que le développement durable était présenté comme la finalité de la nouvelle réglementation des substances chimiques dans le livre blanc de la Commission européenne en 2001. Le développement durable est aussi présent dans les considérants du règlement REACH : considérant 3 et considérant 4 qui expriment clairement l’idée qu’il s’agit d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement dans le but de parvenir à un développement durable. Si on se tourne maintenant vers le premier article du règlement REACH, on retrouve cette idée d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris par la promotion de méthodes alternatives, pour l’évaluation des dangers liés aux substances. Toutefois, assurer la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation figure aussi parmi les objectifs du texte selon l’article 1er. Donc cet article illustre assez bien la

prouesse que se voulait être REACH : la première phrase annonce une ambition forte sur le registre sanitaire et environnemental, mais immédiatement après viennent les idées de compromis avec les impératifs de libre circulation et surtout de com-pétitivité et d’innovation. Il apparaît donc que le règlement REACH est un règlement de compromis. Dans le point 3 (voir diapositive n°3), on retrouve le principe de précaution auquel il était fait largement allusion ce matin. Simplement, je reviens sur quelques points pour montrer que le principe de précaution et le développement durable ont des liens évidents. Des liens textuels d’abord, puisque que souvent on les trouve dans les mêmes textes ; des liens définitionnels ensuite même si l’on trouve des définitions qui varient légèrement d’un texte à l’autre, et qui varient encore plus si on prend en considération les décisions jurisprudentielles. Si on retient du principe de précaution une définition qui voudrait que l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles (définition inspirée de l’article 5 de la charte de l’environnement française), on voit bien dans l’irréversibilité et la gravité le point commun avec l’objectif du développement durable. Celui-ci vise, en effet, à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. L’idée d’irréversibilité est donc toute à la fois centrale et évidemment problématique : comment fait-on pour savoir que quelque chose est irréversible ou pas ? >

Présentation Powerpoint en Annexe p. 93

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On doit garder ces éléments en tête lorsqu’on s’intéresse aux avancées et aux limites du règlement REACH à l’aune des ambitions annoncées en termes de développement durable et en termes de précaution.

Le premier point de ma présentation concerna donc les avancées. J’essaierai ensuite de dégager un certain nombre de limites au regard tant du principe de précaution que de l’objectif de développement durable.

La première avancée qui apparaît très clairement dès que l’on s’intéresse un peu à REACH avec un regard extérieur, c’est la simplification du droit des substances chimiques. Auparavant, on devait compter avec de nombreux textes. On peut lister ici au moins quatre textes : directive 67/548 sur le classement et l’étiquetage des produits chimiques qui est amendé mais maintenu, directive 76/769, directive 79/831 et directive 93/793. Je ne compte pas tout détailler mais dire que REACH instaure une rupture avec le droit antérieur qui discriminait les produits en fonction de leur date de mise sur le marché. Avant que REACH n’entre en vigueur, et d’ailleurs en réalité jusqu’en juin 2008, on devait distinguer les substances dites existantes et des substances dites nouvelles. Les substances existantes correspondaient aux substances listées comme ayant été mises sur le marché avant septembre 1981, pour lesquelles il n’y avait pas de procédures d’enregistrement ni de notification et pour lesquelles les Etats procé-daient à des recherches de toxicité et d’éco-toxicité, parfois avec les informations four-nies par les industriels mais parfois aussi sans l’aide des industriels. Le résultat était qu’on avait des listes noires, mais ces listes et ces évaluations étaient très limitées par rapport aux nombreuses substances sur le marché. Seulement 140 évaluations de substances réalisées en application du règlement 93-793 auraient conduit à des res-trictions. A côté des substances existantes, les substances dites nouvelles, c’est-à-dire mises sur le marché après septembre 1981 et qui relevaient de la directive 79-831, relevaient d’une procédure de notification, ce qui supposait déjà un travail de produc-tion de données et d’évaluation par les producteurs en plus d’une possible évaluation par les Etats. Sur les plus de 100 000 produits chimiques dits existants, c’est-à-dire recensés en 1981, au final 1200 seulement auraient été effectivement testés et 3000 substances nouvelles auraient été notifiées en 2002. Ce constat a conduit certains Etats, notamment les Etats du Nord comme le Danemark, les Pays-Bas, la Suède mais aussi la Grande-Bretagne et l’Autriche à tirer la sonnette d’alarme en avril 1998 lors d’une réunion du conseil de l’environnement à Chester en soumettant un document soulignant la paralysie du système de contrôle des substances chimiques et suggérant de réfléchir sérieusement à une réforme. C’est ce qui a conduit la Commission Européenne à rédiger le livre blanc publié en février 2001 puis, après réception des réactions, à rédiger un projet de règlement en 2003. C’est ce projet qui a abouti à REACH. REACH remplace les différents textes anciennement applicables. Voilà une première avancée en termes de simplification.

La simplification va au-delà puisque pour les substances existantes qui étaient très majoritaires, la donne change clairement. En effet désormais, toutes les substances chimiques, quelle que soit leur date de mise sur le marché, dès lors qu’elles sont produites à plus d’une tonne par an et par producteur ou importateur, sauf certaines exceptions, doivent être enregistrées. C’est là un changement clair, qui constitue la deuxième avancée caractéristique de REACH. On traite également les substances contenues dans les «articles» à partir d’une tonne dès lors qu’elles sont destinées à être rejetées. Les substances très préoccupantes ne relèvent pas de ce seuil, mais

je reviendrai là-dessus après. A l’occasion de cet enregistrement, la production d’un dossier contenant des informations standards, parfois une première évaluation, est nécessaire. C’est le producteur lui-même, ou en tout cas le demandeur, qui fournit cette évaluation et parfois des propositions d’essais, sachant que la demande en informations augmente avec le tonnage de production, c’est-à-dire que l’on va être de plus en plus exigeant en fonction du volume produit. J’insiste sur le fait que les importateurs sont concernés : c’est important, non seulement en termes de concurrence, pour les entreprises internes à la communauté, mais aussi si l’on considère que REACH améliore la situation en ce qu’elle nivelle le niveau d’exigence pour les produits existants par rapport aux produits nouveaux, en ce qu’elle oblige à fournir des informations et même dans une certaine mesure à rendre ces informations disponibles au public. Au regard de l’objectif de développement durable, le fait de viser les importateurs, permet d’accroître d’autant les destinataires des nouvelles exigences réglementaires. Ne sont pas seulement visés les producteurs dans la Communauté, mais indirectement les producteurs qui auront partie liée avec des importateurs sur le territoire communautaire.

En ce qui concerne les substances produites à plus de dix tonnes par an, la demande d’informations va être plus importante. Non seulement elle sera plus significative, mais en plus on va demander au producteur ou à l’importateur, de fournir un rapport sur la sécurité chimique. Ce rapport sur la sécurité chimique inclut une évaluation des dangers pour la santé humaine et pour l’environnement intégrant une analyse du risque physico-chimique et un scénario d’exposition qui va comprendre la problématique du cycle de vie du produit, ainsi que des propositions de mesure de réduction du risque. Il intègre divers éléments du type mesure de gestion des risques, informations sur les conditions d’exploitation par le fabricant ou l’importateur, mesures à mettre en œuvre, etc. Ce dossier dépasse donc la simple demande d’informations standards qui existe pour les substances produites entre une et dix tonnes. En sus, les utilisateurs en aval sont concernés. Cet élément est très important pour traiter de l’usage des substances chimiques, surtout lorsque ces usages diffèrent de l’usage initial. Le fait, d’une

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part, de promouvoir une circulation de l’information entre les différents maillons de la chaîne qui va de la production jusqu’à l’utilisation, et d’autre part d’obliger réglemen-tairement les utilisateurs en aval à participer à l’évaluation des risques et à proposer des mesures de maîtrise des risques pour les utilisations nouvelles, non-décrites et déconseillées, constitue une indéniable nouveauté et une avancée notable. Cette participation à l’évaluation des risques va se faire via le rapport sur la sécurité chimique lorsqu’il y en a un ou via l’élaboration des fiches de données de sécurité en ce qui concerne les produits les plus préoccupants. Toujours dans le domaine de l’évaluation, mais il ne s’agit plus véritablement d’évaluation de la substance, le règlement a instauré via l’Agence européenne des produits chimiques un contrôle des dossiers d’enregistrement et des rapports de sécurité. Certes, il s’agit d’un contrôle minimal. Malgré tout, on a déjà là un premier niveau de contrôle, et centralisé. De plus, cette Agence européenne des produits chimiques va élaborer un plan d’action continue communautaire d’évaluation des substances en collaboration avec les Etats, de manière à, en quelque sorte, «distribuer» aux différents Etats membres le soin d’effectuer une deuxième évaluation des substances qui nécessitent une évaluation approfondie. En résumé, non seulement il est demandé aux producteurs d’évaluer leurs substances et de divulguer leurs conclusions à une agence centrale, mais en sus, pour certaines substances qui seront listées dans ce plan d’action continu, on demande aux Etats de faire réaliser des tests et d’évaluer de nouveau.

J’en viens au troisième point, le régime le plus dur dans le cadre REACH, et certainement celui qui suscite le plus de controverses et de réactions : la procé-dure d’autorisation et la procédure de restriction qui vont de pair avec l’objectif de substitution. En parallèle et en complément du système qui traite les substances en fonction de leur tonnage, a été mis en place un système qui prend en considération la dangerosité des substances. Ceci concerne les substances qui faisaient déjà l’objet de préoccupations dans le cadre de la directive 67/548, c’est-à-dire les substances cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, mais aussi, et voilà une autre grande avancée de REACH, les substances persistantes, bio-accumulables et toxiques, ou les substances très persistantes et très bio-accumulables. Pour ces substances-là, le seuil d’une tonne ne vaut plus et une procédure d’autorisation qui n’existait pas auparavant a été instaurée. Dans la mesure où l’on considère que ces substances très préoccupantes (voire extrêmement préoccupantes) justifient une plus grande attention, on a prévu une évaluation approfondie, la création de fiches de données de sécurité qui doivent circuler entre le producteur et l’utilisateur final, qui doivent être enrichies par l’utilisateur final en fonction des utilisations qu’il en fait et des possibilités de restrictions voire des refus d’autorisation lorsqu’il existe une alter-native plus sûre ou lorsque le producteur ou l’importateur ne prouve pas qu’il est en situation de maîtriser de manière adéquate les dangers liés à sa substance. En sus, on instaure une incitation à la substitution par des produits plus sûrs en demandant au producteur ou à l’importateur des substances très préoccupantes, voire extrêmement préoccupantes, d’analyser les solutions de remplacement, de suggérer des mesures de restriction ou d’utilisation, par exemple “il ne faut utiliser cette substance que dans tel contexte de sécurité“ ou “les femmes enceintes ne doivent pas être mises au contact de la substance“.

Tous ces éléments constituent de réelles avancées, qui ne reviennent pas sur les avancées précédentes. En effet, le règlement REACH n’enlève rien à l’application des directives relatives à la protection des travailleurs ou à la protection de l’environnement. Par exemple, les directives relatives à la protection des travailleurs font obligation aux employeurs d’éliminer les substances dangereuses lorsque cela est techniquement possible ou de les remplacer par des substances moins dangereuses. REACH ne remet pas en question cette obligation de substitution, mais il ajoute une incitation à la charge du producteur de trouver des substances de substitution.

Je termine sur un petit point mais qui n’a rien d’anodin : REACH prévoit un régime spécial pour la recherche scientifique et pour la recherche-développement. Le but de

ce traitement juridique spécifique est l’innovation. Dans le domaine de la recherche et de la recherche-développement, les procédures d’enregistrement, d’autorisation et les restrictions ne s’appliquent pas. Pourquoi ? Parce que le but est de trouver des substances alternatives aux substances préoccupantes actuellement sur le marché et d’élaborer de nouveaux produits chimiques plus en adéquation avec les perspectives du développement durable. Pour cela , il faut permettre à la recherche et à la recherche-développement d’avoir lieu avec le moins de contraintes possibles.

Au terme de cette première partie de la présentation, il faut donc conclure que la nouvelle réglemen-tation communautaire en matière de substances chimiques apporte beaucoup d’avancées, et je ne voudrais surtout pas qu’en m’intéressant à présent aux limites, vous oubliiez ces avancées car elles sont de première importance.

Les premières limites étaient implicitement présentes dans les diapositives consacrées aux avancées. Elles découlent, en effet, du champ d’application de REACH. Je passe rapidement sur les exclusions et les exemptions. Le fait, par exemple, que les médicaments ne soient pas concernés par REACH, n’est pas un problème, car il y a des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments depuis beaucoup plus longtemps. Cela pourrait, peut être, être plus problématique pour les dispositifs médicaux. Mais revenons-en aux dispositions générales du règlement. On remarque que le seuil fixé pour l’en-registrement est d’une tonne alors que dans le droit intérieur les nouvelles substances devaient être notifiées à partir de dix kilos. Certes, l’enregistrement concerne toutes les substances, alors que la notification ne concernait que les substances nouvelles, mais pour celles-ci c’est plutôt une forme de régression. Désormais, le règlement n’exige des informations >

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standards qu’à partir d’une tonne et une évaluation approfondie à partir de dix, voire 100 tonnes (cela dépend de votre critère de l’évaluation approfondie). De plus, cet enregistrement ne concernera, selon les analyses prospectives réalisées, que 30 000 substances sur les 100 000 sur le marché. Or, REACH a été adopté sur le fondement de l’article 95 du traité instituant la Communauté européenne, et non sur le fondement de l’article 175 du traité CE. Cela signifie que REACH a été adopté non pas sur le fon-dement de la politique communautaire environnementale, bien que ce soit l’article qui comprenne le principe de précaution, mais sur le fondement de l’article relatif à la libre circulation des biens et au marché commun. Dès lors, le règlement harmonise le droit des Etats membres de manière contraignante : il ne constitue pas une base à laquelle un Etat peut déroger en ayant des objectifs plus ambitieux de protection de l’environnement ou de la santé. Une Etat membre ne pourra donc pas décider de maintenir le seuil de 10 kilos pour les substances nouvelles. Au final on estime qu’environ 40% des substances seront concernées par le rapport sur la sécurité chimique soit environ 12 000. De plus, le calendrier s’étalera sur plus de dix ans avec un certain nombre de discussions sur les critères à retenir.

Au-delà de ces questions de seuil, qu’en est-il des insuffisances de REACH ? Un certain nombre de personnes et d’organisations ont pointé l’insuffisance des exigen-ces de REACH au stade de l’enregistrement (qui concerne le plus grand nombre de substances) au regard des informations à fournir. Ces informations seront utilisées pour lister les substances très -voire extrêmement- préoccupantes, mais elles ne sont pas toujours suffisantes (surtout pour les plus faibles tonnages). On demande certes aux producteurs et aux importateurs de fournir des données mais pour ce qui est de la procédure la plus exigeante, donc la plus sécurisante, les Etats devront encore faire du travail pour récupérer les données nécessaires à la création d’une liste recensant les substances très préoccupantes voire extrêmement préoccupantes. Or justement on avait estimé que si le système antérieur ne marchait pas, c’était parce que la charge de travail reposait sur les Etats, que ceux-ci n’avaient pas les moyens matériels et humains, et qu’il fallait donc demander aux producteurs de donner les informations. Cependant c’est peut-être justement là que réside le problème de base de REACH, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse : le rôle premier de l’industriel. Je l’ai évoqué dans la diapositive (voir diapositive n° 12) à propos de la recherche d’une alternative techniquement et économiquement viable à une substance très/extrêmement préoccupante. Mais de manière générale, le producteur, l’importateur ou l’utilisateur, c’est-à-dire le premier intéressé dans REACH, est le premier évaluateur. Une évaluation véritablement indépendante n’interviendra que si les Etats sont amenés à évaluer ensuite. L’indépendance de ce point de vue n’est pas totalement assurée et le conflit d’intérêt n’est pas nécessairement évacué. Mais en même temps c’est la force de REACH, dans le sens où on demande aux premiers intéressés de donner les informations qu’éventuellement ils avaient déjà ou qu’ils sont les mieux à même d’obtenir. On peut toutefois craindre que les informations qu’on arrivera à recueillir seront les informations que voudront bien donner les personnes pour qui cela revêt un intérêt. Quelque chose sur lequel je n’insiste pas mais qui doit être évoqué est le rôle clé des industriels au sein des comités, des instances d’expertise, etc. Les industriels sont très présents parce qu’ils savent très bien que le guide

technique ou le guide de bonne pratique est ce qui va être connu, ce qui va être suivi, bien davantage sans doute que le règlement de 850 pages. Il y a là un rôle important conféré à l’Agence européenne des produits chimiques : de la politique qu’adop-tera celle-ci va dépendre de beaucoup de choses. D’abord parce que c’est elle qui établit les priorités via notamment le plan d’action continue d’évalua-tion mais également parce qu’elle va pouvoir avoir un rôle incitatif sur l’interprétation de notions clefs, comme par exemple l’alternative techniquement et économiquement viable pour un produit considéré comme très préoccupant. Ensuite parce qu’elle a également un rôle important dans l’élaboration des outils techniques pour la mise en œuvre de REACH. L’élaboration de ces documents est longue et diffi-cile : parfois on me dit qu’ils sont manquants, parfois on me dit qu’ils ne le sont pas. En tout état de cause dans le domaine éco-toxicologique, nombreux sont les gens qui pointent les insuffisances de REACH en l’état. Enfin je terminerai avec une question qui m’intéresse particulièrement : quid des nouveaux produits liés aux innovations technologiques ? Je prendrai simplement l’exemple des nanoparticules manufacturées qui apparaissent ou sont déjà pré-sentes aujourd’hui sur le marché. Plusieurs rapports publiés récemment (Comité de la prévention et de la précaution, AFSSET… : voir diapositive n° 15) avancent que certaines nanoparticules pourraient présenter des risques pour la santé ou pour l’envi-ronnement. Nous n’avons cependant pas suffi-samment de données et nous sommes dans une situation où le principe de précaution semble devoir s’appliquer. Un bref rappel sur ce principe : ainsi que cela a été dit, l’absence de certitudes scientifiques sur le risque ne justifie pas nécessairement qu’on ne prenne pas de décisions. Le principe de précaution est juridiquement reconnu en droit français et en droit communautaire. Les deux textes reproduits sur la diapositive relèvent du droit français (voir diapo-sitive n° 16) et concernent l’environnement, mais la jurisprudence communautaire est très claire : le principe de précaution s’applique aussi à la santé (sur un registre collectif, nous sommes bien d’accord sur le fait que cela ne concerne pas le droit médical). Au regard des principes de précaution et de développement durable qui sont présentés comme étant au

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fondement de REACH, on pouvait donc espérer pouvoir utiliser REACH pour accroître les connaissances sur les propriétés et le comportement des substances produites sous forme de nanoparticules ou de nanomatériaux. Or, lorsqu’on s’intéresse à la question de l’application de REACH aux nanoparticules, que trouve-t-on sur le site de l’Agence Européenne des produits chimiques ? Ce formulaire de questions/réponses. Je ne l’ai pas traduit mais on peut le faire ensemble (voir diapositive n°17 présen-tation de la réponse disponible en octobre 2007, la position de l’ECHA ayant évolué depuis) :“ Est-ce que REACH s’applique aux nanoparticules ?“ Oui. Les substances produites à l’échelle nanométrique tombent dans le champ d’application de REACH et leurs propriétés sanitaires et environnementales doivent être évaluées en application des dispositions du règlement. La forme nano d’une substance peut être enregis-trée comme une partie de l’enregistrement de la forme non-nano de la substance. Comment interpréter cette position ? Certes, REACH s’applique, mais les discussions autour des nanoparticules tiennent justement à ce que, en raison de leur taille, de leur forme, de leur réactivité de surface… elles peuvent présenter des propriétés parti-culières. Dès lors, on peut sérieusement se demander dans quelle mesure ce type de réponse est adapté. Encore une fois c’est un travail d’interprétation. Tout cela vous montre que si le texte a été adopté, les enjeux d’interprétation, de signification, de ce que l’on place derrière les mots, sont très présents, complètement d’actualité et que les discussions à leur propos sont en cours. On m’a par exemple expliqué, et ça je veux bien le croire, qu’en réalité, les nanoparticules tomberont dans le champ d’application de REACH parce qu’elles susciteront de nouveaux usages : si elles suscitent de nouveaux usages, les utilisateurs en aval mais aussi les producteurs devront les prendre en considération. Très bien. Mais qu’en est-il des nanoparticules qui ne sont pas juste des prolongements de substances existantes avec des nouveaux usages ? Peut-on d’ailleurs se contenter de remettre un formulaire pour la forme nano et la forme non nano ? Un producteur pourrait-il enregistrer les deux formes sans données toxicologiques et éco-toxicologiques spécifiquement adressées à la forme nano. Je pense que cela fait partie des vraies questions qui sont au cœur de la précaution, du développement durable et de l’application de REACH.

Question Concernant les produits à haut tonnage, persistants, bio-accumulables et CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique), vous avez souligné qu’il n’y aurait pas d’exemptions pour ces substances CMR pour lesquelles il va même y avoir des réductions, on ne va pas accepter des tonnages très faibles. Comment va-t-on identifier des substances CMR pour des substances nouvelles ? Tout va dépendre aussi des essais qui vont être demandés, qui vont être réalisés,

et la nature des essais qui seront demandés va dépendre aussi des tonnages. Alors là la boucle n’est pas bouclée, il y a un problème. Certes ce sera intéressant pour des substances existan-tes, qui vont sans doute être réduites d’usage mais pour les nouvelles je ne vois pas vraiment comment on va les identifier. Jusqu’à maintenant, les essais de très long terme n’étaient pas sys-tématiquement réalisés.

Réponse Autant pour les CMR je suis d’accord avec vous, autant pour les substances bio-accumulables, persistantes et toxiques, ou les vPvB (very Persistant very Bioaccu-mulable) c’est un peu plus problématique.

Il faut distinguer les médicaments des produits chimiques car la réglementation n’est pas la même. Pour les médicaments, vous allez faire les essais long terme systématiquement et allez identifier si un produit est cancérogène. Vous n’avez aucune obligation de faire des essais long terme pour des produits chimiques, surtout s’ils sont produits à 10 ou 100 tonnes.

Question Qui dans la procédure -et je pense que ce n’est pas encore réglé- va faire l’étude avantages contre inconvénients ? Parce qu’à un moment donné, on peut être en présence d’une molécule qui implique des conséquences sur l’environnement et des avantages gigantesques sur une application. Qui va décider au final si l’on prend le risque ? Si l’avantage est supérieur à l’inconvénient, qui va faire cette analyse et qui va prendre cette décision finale ?

Réponse Je pense que la question est double car il y a aussi la question du comment. La question du “qui“ n’est tranchée que sur le papier : d’une part, en principe, c’est l’Agence européenne des produits chimiques, via son comité d’analyse socio-économique, qui est en situation de donner l’interprétation de ce qui demeure, d’un point de vue juridique, un concept réglementaire. Par exemple le concept d’alternative économiquement et techniquement viable, c’est un >

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concept juridique, qui suppose une interprétation. Qu’est-ce qu’on appelle économi-quement viable ? Qu’est-ce qu’on appelle techniquement viable ? En réalité, c’est effectivement un choix. D’autre part, c’est la Commission européenne qui prend la décision finale d’autoriser la substance ou non. A mon sens, ce qui se joue en ce moment, c’est la façon dont on établit les critères que l’on va prendre en considération et c’est là, je pense, que « le comment » rejoint « le qui ». Il est évident que l’Agence ne va pas arriver avec une clé toute prête dans sa poche. On sait très bien qu’en réalité cela fonctionne par cycle ou par réseau. Donc effectivement, ce sont des propositions qui vont être faites par les Etats après avoir consulté leurs agences, leurs instances d’expertise, les industriels etc. A ma connaissance, ces questions sont à l’ordre du jour.

Question Question sur les études toxicologiques des nano-particules et la position de l’Agence Européenne des produits chimiques.

Réponse Tout d’abord, je suis d’accord avec le fait que la situation était beaucoup moins claire en janvier. Ensuite, cette question n’est pas tranchée. Ce que j’ai restitué dans mes diapositives, c’est la FAQ mise en ligne sur le site de l’Agence Européenne des produits chimiques. Ce n’est donc pas quelque chose de l’ordre d’une prise de position actée de l’Agence. Par exemple, je serai bien incapable de vous dire qui a rédigé les questions/réponses. Comment fait-on pour mettre en relation les expertises, les évaluations relatives à la toxicité et à l’éco-toxicité ? C’est ce que j’essaie un petit peu de faire en allant rencontrer les gens à l’AFSSET, à l’INERIS, au BERPC par exemple, c’est le début d’une quête.

Question Une question pour rebondir sur l’aspect économique. REACH est une merveilleuse machine mise en oeuvre par la Communauté Européenne qui n’a, semble-t-il, pas d’équivalent sur les autres continents. Ne pensez-vous pas que l’industrie chimique européenne et le citoyen européen au sens large va payer pour le reste du monde ?

Réponse Les Etats-Unis fonctionnent encore effectivement avec un système distinguant les nouvelles substances des substances déjà sur le marché. Mais cet état du droit est extrêmement critiqué et une réflexion est en cours pour faire évoluer les choses. De ce point de vue, REACH est plutôt montré pour l’instant comme un bel effort et un modèle fourni par l’Union européenne. D’ailleurs, un travail est en train d’aboutir pour coordonner la classification et la symbolisation des produits chimiques entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Cela ne signifie pas que le droit américain va changer mais enfin, à mon sens, cela révèle davantage une volonté de trouver un accord et d’harmoniser les exigences qu’une stigmatisation du droit communautaire sur le registre de «ils sont fous de vouloir faire ça». Pour ce qui est des autres continents, je ne connais pas le droit indien ni le droit chinois. Mais il semble qu’apparemment il y ait une moindre préoccupation de la santé des chinois et des indiens. Est-ce à dire que nous avons tort de nous préoccuper de la santé des européens ? Je n’en suis pas sûre. Est-ce que l’industrie chimique va payer ? Oui, il est évident que cela a un coût. Maintenant il faut certainement aussi prendre en considération le fait que d’autres industries, comme l’industrie pharmaceutique, connaissent des procédures d’autorisation depuis un certain nombre d’années et qu’elles sont toujours compétitives.

Question Justement sur ce domaine de la compétitivité, pas directement économique, on s’apercevait déjà que dans d’anciennes procédures avec l’Europe, l’enregistrement d’autres molécules, pour d’autres applications, que ce soit alimentaires ou cosmétiques, prenait deux ans là où aux Etats-Unis elles n’en réclamaient qu’un seul, ce qui poussait un certain nombre d’entreprises à déposer les dossiers dans d’autres pays et à conduire les recherches à l’étranger. Ne pensez-vous

pas qu’avec REACH on va encore en rajouter une couche, de même que des délais supplémentaires par rapport à d’autres régions du monde où finalement toutes les entreprises ont intérêt à faire leurs recherches et à développer leurs produits là-bas ?

Réponse Je suis désolée, mais je n’ai pas de réponse toute prête. Je ne suis pas économiste, mais je vous accorde qu’il s’agit d’une vraie question, et d’ailleurs, pour ce qui est du développement durable, il y a un élément qu’on ne peut pas négliger qui est celui de l’emploi. Les réglemen-tations juridiques ne sont que l’expression de valeurs et de choix faits à un moment donné par les représentants des citoyens. Effectivement on peut discuter de la perti-nence de ces choix, et s’interroger sur la manière dont ils vont s’appliquer. Cela va certainement poser des problè-mes, mais aussi peut-être apporter beaucoup de bonnes choses pour les générations présentes et futures.

Intervention de Denis Grison Je crois que la question très générale que vous posez est celle des réglementations de précaution. Il y a des réglementations de précaution pour les établissements classés, pour les automobiles, il y en a un nombre considérable, vous les acceptez.

Exposé de Paul-Marie Boulanger, Institut pour un développement durable, Ottignies, Belgique

Paul-Marie Boulanger s’intéresse à la chimie verte. Il évoque les problèmes des substances chimiques pour l’environnement et traite des différents secteurs de l’économie qui y recourent. La dématérialisation est abordée au travers de tableaux et d’équations.

Avant de passer à mon exposé, je voudrais apporter des informations complémentaires dont je dispose et qui ont un certain intérêt en regard des questions qui ont été posées. On estimait à 477 milliards de dollars le coût d’exécution de tous les tests de toxicité de base sur la part des produits qui n’ont pas encore fait l’objet de tests aux Etats-Unis. 477 milliards de dollars, cela représente 0,2% de l’ensemble des ventes des produits des 100 plus grandes entreprises de l’industrie chimique des Etats-Unis. Donc 0,2% du total du chiffre d’affaires des 100 premières entreprises chimiques des Etats-Unis permettrait de

Présentation Powerpoint en Annexe p.101

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réaliser tous les tests de toxicité de base sur les produits parmi les 45 000 recensés par l’Agence américaine pour l’environnement qui n’ont pas encore fait l’objet de ces tests. Il faut d’ailleurs savoir que sur les 3000 substances produites en plus grande quantité aux Etats-Unis, 43% n’ont pas fait l’objet de tests élémentaires et seuls 7% ont fait l’objet de tous les tests. Vous voyez donc que les Etats-Unis ne sont pas plus avancés que l’Union Européenne et il semble que la réalisation des tests élémentaires -et je ne suis pas chimiste- ne soit pas si coûteuse qu’elle n’y paraît.

Je vais essayer simplement de vous donner quelques éléments d’information et d’appréciation dont je dispose sur ce mouvement de chimie verte en essayant de le replacer dans le contexte de l’ensemble du processus de dématérialisation qui constitue un des aspects environnementaux les plus cruciaux dans le cadre du développement durable.

L’industrie chimique dans le monde. Quelques chiffres pour en montrer l’importance pour le développement durable : 7% du PIB mondial, mais 80% de ce chiffre d’affaires est réalisé dans seulement 16 pays. Ce qui d’ailleurs répond aussi à une question précédente : il est clair que ces pays ont une responsabilité plus grande que les autres dans la réalisation des tests et dans l’application des principes de précaution. L’industrie chimique représente 9% du commerce mondial et on s’attend à ce qu’elle croisse de 85% entre 1995 et 2020. Les champions de la croissance en volume, ce sont toutes les substances plastiques dérivées du pétrole et en valeur ce sont évidem-ment les produits pharmaceutiques.

Cette croissance n’est pas sans poser quelques problèmes, on l’a évoqué ici en parlant de REACH. Les chiffres que je possède portent essentiellement sur les Etat-Unis, car les sources sur lesquelles je m’appuie sont américaines. Il y a environ 75 000 produits chimiques en usage aux Etats-Unis pour lesquels on ne connaît pas les effets sur la santé et l’environnement. 3,5 millions de tonnes comportant plus de 650 substances toxiques ont été libérées dans l’environnement aux USA en 2000. Ce chiffre ne représente que la partie émergée de l’iceberg car il correspond aux données quantifiables de l’Agence américaine de l’environnement. Les industries chimiques dépensent chaque année 10 milliards de dollars en recherche et développement pour mesurer et limiter les impacts environnementaux de leur production. Alors, quel est le problème de la dématérialisation ? Vous avez ici l’exemple d’un produit (diapositive 4 de Chimie DD_PMB.pdf), il s’agit d’une analyse de cycle de vie d’une voiture. En abscisse se trouve la valeur ajoutée cumulée sur l’ensemble du cycle de vie depuis la production du produit jusqu’à son rejet dans l’environnement et en ordonnée la charge environ-nementale liée à chacune des étapes du cycle. La production de voitures entraîne

une forte charge environnementale, en revanche les intérêts/assurances sont très faibles, etc... Si on ajoute les unes aux autres ces différentes flèches, on obtient la charge environnementale totale d’un produit ou, si l’on veut son empreinte écologi-que. Tout le problème est de ramener ce vecteur vers l’axe des abscisses. Les différents secteurs américains ont réalisé une analyse de la charge environnementale globale de chacun par rapport à sa contribution au PIB, à la valeur ajoutée nationale. L’industrie chimique a la charge environnementale la plus élevée par valeur ajoutée. En valeur absolue il s’agit de l’agriculture, mais on parle des Pays-Bas ici. L’agriculture des Pays-Bas est une agriculture particulièrement intensive en produits phytosanitaires. Donc le problème de l’industrie chimique c’est de réduire cette intensité en pression environnementale. Une réponse à ce problème est le mouvement de la chimie verte. C’est un mouvement qui a été créé dans les années 90 à la National Science Foundation et au Council for chemical research, c’est-à-dire à l’initiative de chimistes, à la différence de “Responsible Care“ dont l’initiative revient aux industries. Les chimistes eux-mêmes ont dit que c’était à eux de prendre en charge ce problème et ont alors développé ce mouvement de la chimie verte. Il a été adopté par l’Environment Protection Agency en 1995. Depuis 1996, en association avec l’American Chemical Society, se tient une confé-rence annuelle sur la chimie et l’ingénierie verte. En 1998, Anastas et Warner ont énoncé les douze principes de la chimie verte tels que je vais vous les rappeler dans quelques instants. En 1999 est apparu le premier exemplaire du bi-mensuel “Green Chemistry“ publié par la Société Royale Britannique de Chimie.

Il s’agit vraiment de l’aboutissement d’un processus qui a commencé au début des années 1950-1960. On part d’une situation avec des process très inefficients, une génération avec beaucoup de déchets et une faible efficience atomique mais aussi une connaissance très insuffisante des effets des produits chimiques sur la santé et sur l’environnement, donc avec pour résultat une mise en décharge des déchets sans traitement préalable et une consommation excessive de ressources non renouvelables. Progressivement nous avons >

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acquis une meilleure connaissance des effets des produits chimiques sur la santé et sur l’environnement, la pression des ONG et des Etats s’est accentuée mais aussi la compétition entre les entreprises chimiques. Ceci a eu pour effet une amélioration de l’efficience des process et une première approche en termes de recyclage des déchets, certes toujours mis en décharge mais, du moins, après traitement. A partir de l’année 2000 nous nous sommes retrouvés dans un processus où l’on a identifié des énergies et matériaux renouvelables. On recourt de plus en plus à la biotransformation, la biofermentation, etc. Nous nous dirigeons vers un objectif de zéro déchet et de sécurité intrinsèque totale, c’est-à-dire que les produits doivent être non toxiques. Néanmoins, il faut savoir que pour obtenir un diplôme de docteur en chimie aux Etats-Unis, il n’est absolument pas nécessaire d’avoir suivi un cours de toxicologie, ni même d’avoir suivi des cours sur l’environnement, ces disciplines sont tout simplement absentes des cursus scolaires.

Je ne pourrais pas vous expliquer les douze principes de la chimie verte car je ne suis pas chimiste et je ne sais pas ce que recouvrent certains d’entre eux. Je vous laisse lire le texte (voir diapositive n°9). On distingue deux mots d’ordre : dématérialisation pour l’aspect quantitatif et détoxification pour l’aspect qualitatif. Cela se traduit par quatre slogans, que l’on appelle les “4 R“. Cela fonctionne en anglais comme en français, puisque les termes anglais commencent tous par un R. Il s’agit donc de réduire la consommation des matières premières non renouvelables en les remplaçant par des matières premières renouvelables, à laquelle j’ajoute la vente d’un bien par celle d’un service. Réutiliser et recycler en dernier ressort. L’idéal en fait, est de faire avec toute matière ce que l’on fait avec l’or et les métaux précieux. Ces matières-là sont toujours réutilisées et recyclées. Elles ne sont jamais jetées en décharge, sauf de manière infinitésimale. En référence au graphique de la diapositive N°12, un couplage parfait se traduit par un vecteur (flèche rouge) à 45° ce qui veut dire qu’à chaque addition d’une unité de valeur ajoutée, s’ajoute une unité de pression. L’objectif est donc de faire en sorte que pour chaque unité de valeur ajoutée créée, il y ait moins qu’une unité de pression environnementale supplémentaire. Bien entendu, il peut aussi y en avoir plus, et on a vu que la chimie était déjà au-dessus de la ligne des 45°. L’idée est de découpler la croissance de la valeur ajoutée et la croissance de la pression environnementale. On verra que ce n’est peut-être pas suffisant pour des raisons que j’expliquerai par la suite.

Pour ce faire, la chimie verte recourt à deux approches qui sont complémentaires. D’une part au niveau de la chimie et de l’ingénierie chimique proprement dite, il s’agit de la recherche d’alternatives aux technologies et pratiques actuelles de production : au niveau des matières premières, comme des solvants, des réactifs et des catalyseurs. Un deuxième axe de développement, c’est le recours à la biologie, la toxicologie et l’écologie, par des recherches sur des substances renouvelables, non-persistantes, non bio-accumulatives et éco-compatibles.

Une partie du mouvement de la chimie verte porte sur ce qu’on appelle la chimie “bio“. “Bio“ se trouve volontairement entre guillemets car cette définition n’est pas sans poser certains problèmes. Bio signifie “biosynthèse“, et indique une “utilisation de processus naturels pour fabriquer de nouveaux matériaux“ sur la base de ce que l’on connaît depuis la révolution néolithique, c’est-à-dire la fermentation, pour le vin, la bière, le fromage, etc. Il y a évidemment d’autres applications pour l’éthanol par exemple comme la biodégradation, donc l’inverse de la persistance, la décomposition naturelle, le compostage. Le biomimétisme va de l’écologie industrielle, qui consiste à essayer de reproduire au niveau des processus industriels les différentes étapes des écosystèmes naturels, c’est-à-dire la reconstitution d’une espèce de chaîne trophique entre les différents secteurs industriels et manufacturiers. Mais ce qui est connu et sûrement plus médiatisé, ce sont toutes les recherches à base de protéines, les colles, les céramiques. L’idée est d’essayer d’imiter ce que la nature fabrique elle-même à pression et température ambiante avec une efficacité et une efficience que la synthèse chimique semble ne pas être parvenue à atteindre quand on voit les qualités dynamiques

des soies, des araignées ou des coquilles d’une abalone. Il faut essayer d’analyser et de compren-dre le mieux possible comment cela fonctionne chez l’abalone, chez la moule pour sa colle, chez l’araignée pour son fil et d’utiliser ce processus. Il y a également les biotechnologies, avec tout ce que ça peut comporter comme dérives, comme sources de polémique, comme problèmes d’acceptabilité sociale. Aussi, le bio n’est pas nécessairement sans problème, et il faut bien le garder à l’esprit. Parlons des biopolymères. Quels sont les résultats ? Nous disposons de peu d’indicateurs donc il est difficile d’identifier les résultats de la chimie verte. Ce qui est certain c’est qu’entre 1983 et 2002, 3200 brevets de chimie verte ont été déposés rien qu’aux Etats-Unis. En fait, entre 1983 et 1988, il y avait une moyenne de 72 brevets par an. Entre 1988 et 1994, ce chiffre est monté jusqu’à atteindre 251 brevets par an. Aujourd’hui, 267 brevets de chimie verte sont déposés chaque année. Malheureusement, je n’ai pas trouvé le dénominateur pour savoir quel pourcentage cela représentait, en revanche, je sais que 570 000 à 700 000 articles sur la chimie en général paraissent chaque année dans le monde et que ceux consacrés à la chimie verte ne sont que de quelques centaines par an, ce qui reste marginal.

Revenons à la dématérialisation : si la dématérialisation consiste à découpler croissance économique et pression environnementale, cela suffit-il en regard

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des objectifs de développement durable ? Vous avez ici un indicateur (voir diapositive n°16) qui donne les besoins totaux de l’économie américaine en matériaux entre 1975 et 1993. Nous sommes en présence de trois courbes. La courbe du bas correspond à la courbe du découplage tel qu’on vient de le définir, c’est-à-dire l’utilisation totale de matériel par unité de PIB. On s’aperçoit que le PIB aux Etats-Unis était beaucoup moins intensif en matériaux, car d’un indice 100 en 1975, on arrive à un indice 62 en 1993. Donc nous sommes en présence d’une dématérialisation car pour 1000 dollars de PIB, nous avons 63% de tonnes de matériaux divers en moins qui rentrent dans la composition. La courbe du milieu, ce sont les besoins totaux en matériaux, non plus par unité de PIB mais par habitant. Ici, la courbe est déjà moins impressionnante et moins satisfaisante puisque là on part toujours de 100 et on arrive à 87 ou 86. Pourquoi ? Parce que la population a augmenté Et enfin, si on considère simplement la valeur absolue, c’est-à-dire les besoins totaux de l’économie américaine en valeur absolue, on s’aperçoit que là nous n’avons absolument rien gagné. Pourquoi ? Parce que, outre la croissance de la population, nous avons également celle du PIB. Nous sommes ici en présence de ce que l’on nomme les effets rebonds. Donc, si l’on a une charge environnementale en rouge ici (voir diapositive n°17 et 18), qui est la valeur de référence et que vous obtenez une amélioration environnementale par exemple avec une combinaison produit-service correspondant à la flèche bleue, à valeur ajoutée égale, vous obtenez effectivement un gain environnemental net. Malheureusement, ce n’est généralement pas ce qui se passe : la valeur ajoutée ne reste pas constante. Dans la réalité, un gain environnemental de pression s’accompagne généralement d’une baisse du coût pour le consommateur, ce qui dégage un supplément de revenu. Ledit supplément peut être utilisé soit pour acheter davantage du même produit soit pour acquérir d’autres produits si bien qu’au bout du compte, on obtient en réalité une augmentation de la pression nette totale sur l’environnement. Ce point est l’un des problèmes majeurs de la dématérialisation conçue en termes purement relatifs. Il faut donc la penser en termes absolus, en termes totaux à cause de ces “effets rebond“. L’effet rebond a été identifié pour la première fois en 1865 par Stanley Jevons dans son livre qui traitait de la question du charbon en Angleterre, où il s’inquiétait effecti-vement de la diminution des réserves de charbon et où on lui répondait : “Il n’y a pas de problème puisqu’on est de plus en plus efficace.“ La machine à vapeur faisait, en effet, des gains très impressionnants en termes d’efficacité, mais Jevons a répondu : “Oui mais justement à cause de ces gains de productivité, on va utiliser la machine à vapeur dans de plus en plus de produits, par ailleurs le coût du charbon va diminuer et donc il y aura une explosion de la demande, donc au contraire on atteindra encore plus rapidement les limites de l’exploitation rentable des mines de charbon.“ Pourquoi? Parce que l’impact sur l’environnement, on l’a vu avec cet exemple, est le résultat de trois facteurs : une population (P) qui consomme à un certain niveau de bien-être matériel (A) et avec un certain niveau technologique (T). Si l’impact du facteur techno-logique T diminue- c’est-à-dire si la technologie concourt à augmenter l’efficience par unité de la consommation des produits, c’est très bien, mais cela reste insuffisant si soit la population (P) soit les aspirations à la consommation des membres de cette population ( A), soit les deux continuent d’augmenter. Par conséquent il ne suffit géné-ralement pas de travailler sur le seul facteur technologique .En fait, ce qui apparaît comme une équation purement comptable, l’équation d’Ehrlich, I = P*A*T est en réa-lité un système dynamique. C’est vrai que les impacts environnementaux ont un effet sur la technologie, donc plus il y a des impacts, plus la recherche technologique pro-gresse, ce qui agit à la baisse sur les impacts environnementaux. Mais, par ailleurs, plus la technologie progresse, plus le prix des biens diminue, plus la consommation augmente et donc, plus il y a d’impacts environnementaux. Ce qui est certain c’est que nous avons à faire à un système complexe, en réalité non linéaire, dans lequel la technologie joue seulement un rôle qu’il convient d’apprécier à sa juste valeur. L’idée est qu’en fait la dématérialisation intégrale doit travailler sur trois ratios principaux. La chimie verte travaille essentiellement sur un élément qui est l’empreinte écologique de la production d’un produit et cherche à réduire l’intensité énergétique ou matérielle de la production. En fait, si on décompose l’empreinte écologique de la satisfaction

d’une fonction, on distingue trois ratios : vous avez la part de la consommation dans la satisfaction d’un besoin, l’intensité de la production en consomma-tion (nombre d’unités produites d’un bien par usage) et enfin l’intensité en matière et en énergie de la production. Je m’explique : prenons la satisfaction du besoin de s’informer par exemple. On satisfait ce besoin avec des livres. A partir de là, on peut soit acheter un livre à chaque fois que l’on a besoin d’in-formations, soit recourir à des bibliothèques publiques : c’est l’intensité en production de la consommation. C’est-à-dire qu’au lieu d’avoir une lecture pour une production, il y a une production pour plusieurs lec-tures. La dématérialisation comprise du point de vue du développement durable consiste à agir sur les trois ratios en même temps : pas seulement sur la consommation d’énergie et de matières premières dans la production d’un bien mais aussi sur l ‘utilisa-tion de ce bien (nombre d’usages par utilisateur et nombre d’utilisateurs) avant soit de le recycler, soit de le rejeter, et en dernier ressort, éventuellement sa substitution par des activités différentes moins consommateurs de biens. Cela signifie que si l’on veut évaluer l’action de la chimie, il faut partir non pas de la production mais de la fonction, du besoin final, par exemple des besoins en matière d’hygiène et de propreté, de vêtements, etc., pour toutes les cho-ses de la vie courante dans lesquelles interviennent des centaines de produits chimiques et voir com-ment agir sur les trois ratios. Donc les chimistes ont un rôle très important à jouer et on ne peut que les féliciter de voir qu’ils en sont pleinement conscients. La chimie verte gagne du terrain mais cela ne suffira pas. Si on veut une transition vers une chimie durable, il faudra travailler au niveau du commerce de détail, du commerce de gros, des valeurs et des comportements de la population.

Question J’ai beaucoup apprécié votre présentation mais je voulais contester un de vos transparents, celui où vous placez votre vecteur impact. Vous avez le droit de l’utiliser tout seul mais vous n’avez pas le droit de l’utiliser en comparaison avec la chimie, l’appartement, etc. (voir diapositives n°4 et 5). Parce que pour le bilan écologique, on ne >

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sait pas calculer l’unité qu’il y a sur l’axe des y. Vous avez introduit les exemples du chlore, du CO2... mais l’équivalent entre 1 litre de chlore et 1 litre de CO2 dans son impact écologique, on ne sait pas le faire. Donc vous pouvez tout à fait utiliser votre vecteur en chimie pour montrer ce qu’on peut améliorer mais vous ne pouvez pas l’utiliser en comparaison avec d’autres domaines car on ne sait pas faire ce type de comparaisons.

Réponse Il existe des indicateurs qui valent ce qu’ils valent, agrégés, donc de pression sur l’environnement. Il est possible de les contester, car ils sont loin d’être parfaits mais aucune mesure n’est parfaite, le PIB est imparfait par exemple. Il s’agit d’éléments d’approximation et c’est clair qu’il y a encore du travail en cours là-dessus mais on ne peut pas dire qu’il est impossible de comparer deux processus ou deux modes de production en termes de pression sur l’environnement. Cependant, il est certain que nous ne sommes pas ici dans le domaine d’une démarche tout à fait exacte ; mais on a besoin d’instruments, de guides.

Question Je pense que c’est extrêmement dangereux de s’intéresser à ce sujet -je pense que c’était une chimie durable, je dirais même une chimie pour le développement durable- avec un seul paramètre. C’est vrai que le PIB a tous les inconvénients à ce niveau-là, justement parce que c’est un seul paramètre et qu’on ne fait pas du développement simplement en regardant le PIB, et pour l’environnement c’est exactement pareil.

Réponse Je suis tout à fait d’accord avec vous, je suis un des plus grands adversaires du PIB comme indicateur du progrès social et de bien-être. Nous nous sommes demandés pourquoi ce sont les consommateurs des pays industrialisés et d’Europe qui imposaient des directives comme REACH ; c’est probablement parce que les consommateurs se sont rendus compte que depuis la fin des années 70, il y a une augmentation du PIB et une augmentation de la production de substances chimiques, etc. qui ne s’accompagnent plus d’une augmentation du bien-être tel qu’il est mesuré par d’autres indicateurs. Il est donc normal de se poser la question “pourquoi irions-nous courir des risques ? “ alors que toutes ces augmentations, entre 200 et 500 nouvelles substances chimiques par an sur le marché, sans compter celles qui sont découvertes, ne nous apportent rien de plus en termes de bien-être. J’abonde tout à fait dans votre sens : le PIB, depuis les années 70, n’est plus corrélé à une augmentation du bien-être, les indi-cateurs alternatifs de bien-être vont dans un sens différent, aussi pourquoi irions-nous courir des risques supplémentaires avec des nouveaux produits dont nous n’avons pas vraiment besoin puisque tout ça n’apporte rien à notre bien-être ? L’utilité marginale d’un point de PIB est non seulement déclinante mais quasiment nulle, si ce n’est négative. La réaction du consommateur est de dire “comme nous ne percevons pas d’améliora-tion tangible de notre bien-être, nous voulons tout contrôler“. Et cela me paraît tout à fait compréhensible.

Question Je voudrais faire un commentaire sur les douze principes. De nouveau dans l’industrie chimique pharmaceutique, le premier que l’on met en oeuvre c’est le douzième. La priorité des priorités, c’est de garantir la sécurité des opérateurs. Donc il nous faut des procédés sûrs. Il y a toute une méthodologie d’études de réactions pour éviter que cela vous pète à la figure, que ce soit toxique etc. Voilà la première chose. Quand on regarde bien un par un chacun des douze principes, on s‘aperçoit qu‘il ne s‘agit que de principes économiques. En tant qu’industriel, si je veux gagner de l’argent, pour faire 1 kilo de produit, si je peux mettre moins de matière, je gagne de l’argent. Si je mets moins d’énergie, je gagne de l’argent. Si j’ai moins de déchets, je gagne de l’argent. Si je les prends tous un par un, je ne fais que gagner de l’argent. Ce qui nous ennuie un

petit peu, c’est que l’on met à la mode sous le terme “chimie verte“ des éléments uniquement économiques. On ne sait pas très bien s’il s’agit d’effet de mode ou de faire passer un discours marketing.

Réponse Je vous remercie de votre intervention car elle va tout à fait dans le sens du développement durable. Le développement durable c’est de la véritable économie. Effectivement on se rend compte que à part les coûts d’investissement en recherche et développement -qui ne sont pas négligeables- et le fait que beaucoup de processus ne bénéficient pas encore des économies d’échelle qui pourraient leur permettre d’être plus économiques que les processus intrinsèquement moins économiques mais qui ont l’avantage de bénéficier des économies d’échelle, on ne dit pas autre chose. L’économie bien comprise, c’est l’économie verte.

Question La problématique des sacs plastiques biodégradables n’est pas toujours vraie. Elle sort un petit peu du cadre que vous avez énoncé. C’est plus embêtant de devoir refaire de la recherche pour mettre au point un polymère qui soit dégradable alors que finalement un sac plastique ne coûte pas très cher à faire. Aujourd’hui si ce n’était que des critères économiques, on ne développerait pas de sacs plastiques biodégradables.

Réponse Il faut une réglementation pour forcer le marché. Micro-économiquement parce que le problème des sacs plastiques constitue une accélération complète des coûts au niveau collectif puisque évidemment tout le problème de la récupération, de la mise en décharge de ces emballages est reportée sur la collectivité, sans que les producteurs de sacs n’en payent le moindre prix. Donc cela est micro-écono-miquement moins cher mais macro-économique-ment plus cher. Il faut faire une distinction entre les coûts tels qu’ils sont appliqués aux acteurs de la transaction et ceux qui ne sont pas dans la transaction. Si on intègre les coûts d’externalité, la chimie verte est plus rentable au niveau social.

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Exposé de Arthur Riedacker, Directeur de recherche à l’INRA. Agronome et forestier il s’occupe des biomasses depuis 40 ans.

La chimie est évoquée du point de vue d’un agronome, qui étudie donc son impact dans le secteur de l’agriculture. De nombreux points sont traités, parmi lesquels l’approche des partisans de l’empreinte écologique, les enjeux du développement durable dans les pays pauvres, les problèmes soulevés par l’augmentation constante de la population mondiale et la question de l’utilisation des sols.

Parmi les raisons pour lesquelles nous commettons souvent des erreurs se trouve la paresse : on transpose ce qui se passe dans le domaine de l’industrie à l’agriculture et à tout ce qui passe par la photosynthèse, ce qui est une grande erreur. Nous avons parfois abouti -notamment en appliquant les analyses de cycles de vie- à des recommandations contraires à ce qui était préconisé. Et là aussi je pense qu’il faut bannir le terme d’analyse de cycle de vie pour ce qui concerne l’agriculture, la forêt et les produits dérivés parce qu’on raconte des bêtises. Nous ne disposons pas de plu-sieurs planètes, et contrairement à ce qu’énonce l’empreinte écologique, il faut avoir une approche différente des choses. Je vous présenterai rapidement le modèle et terminerai mon exposé d’une part en abordant les implications politiques pour le Nord et pour le Sud car effectivement le développement durable concerne l’ensemble de la planète, et d’autre part avec quelques questions qui peuvent intéresser les chimistes pour es-sayer de faire en sorte que l’agriculture, les forêts et les biomasses soient un peu plus performantes dans le développement durable. Les principaux défis planétaires sont la poursuite de la croissance de la population mondiale, le renchérissement puis l’épui-sement du pétrole, la menace climatique et les inégalités. Il est essentiel de permettre à chaque individu et à chaque pays de satisfaire ses besoins de base. Il faut accroître et assurer la pérennité des productions de biomasse alimentaire et non-alimentaire et limiter les pollutions environnementales, locales et régionales. Voilà parmi les principaux points. Je termine par quelques recommandations. Première recommandation qui ne va pas de soi, en tout cas au regard du discours adopté notamment en France depuis la campagne électorale, est qu’il faut produire plus de biomasse alimentaire et non-alimentaire par Etat, dans tous les pays du monde, pour nourrir les Hommes, utiliser moins de ressources fossiles et limiter les émissions de gaz à effet de serre. Cela signifie accroître l’efficacité de l’utilisation des terres et produire plus, si possible sans déboiser. La deuxième série de recommandations préconise de passer -vous savez que nous sommes passés de la Révolution verte dans les années 60-70- à la Révolution doublement verte par laquelle on peut nourrir sainement les Hommes partout dans le monde mais également garantir la pérennité des productions agricoles donc préserver les sols, les ressources énergétiques en eau et pétrole et les produits fossiles pour limiter les changements climatiques et aussi les tensions sur l’énergie, produire et consommer localement pour réduire les transports et préserver la biodiversité. Parfois on ajoute la santé mais il y a une hiérarchie dans la santé : il faut d’abord survivre, après il faut effectivement vivre bien. Mais si on n’avait pas fait la première révolution verte chez nous, et comme vous allez le voir, beaucoup plus de gens seraient morts au cours de l’Histoire. Donc il faut préserver l’environnement, planétaire et local, en satisfaisant les besoins de base pour tous les habitants de la planète.

N’oublions pas que d’ici cinquante ans, il y aura trois milliards d’habitants en plus, et que la population va doubler en Afrique subsaharienne. Je vous propose une petite rétrospective : la Terre comptait 1 milliard d’êtres humains en 1800, 2,5 milliards en 1950, nous sommes aujourd’hui plus de 6 milliards et nous serons 9 milliards en 2050. Cette croissance démographique est un élément important, qui vient toujours en toile

de fond des questions environnementales. Pour ce qui concerne la satisfaction des besoins de base pour le futur, il y a d’abord les services : la ration alimentaire, il faut survivre et le problème ne va pas de soi. Il y a la question de la santé, du logement, de la mobilité et de l’éducation. Ce sont vraiment les services qu’il faut prendre en compte à ce niveau-là.

Voici quelques points qui expliquent le statut parti-culier des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine de l’agriculture. Les émissions de gaz à effet de serre dans l’espace rural sont d’origine agricole et forestière, liés à la photosynthèse. Vous allez voir aussi pourquoi les comptabilités des Nations-Unies sont insuffisantes et ne sont qu’en partie utilisables pour déterminer des politiques et des mesures dans le domaine de l’agriculture, des forêts, de tout l’espace rural et des produits qui en dérivent.

Premier point, il ne faut pas oublier que des surfa-ces sont nécessaires parce que les rendements de bioconversion de l’énergie solaire sont faibles. La question que l’on peut se poser est : faut-il intensifier l’agriculture sans dégrader le bilan énergétique ? Les rapports Pimentel parus dans les années 80 sont pour plusieurs raisons obsolètes aujourd‘hui, non pas du point de vue de leurs chiffres, valeurs de base ou tableaux, mais du point de vue de leur interprétation. Le premier problème est qu’effecti-vement, il faut tenir compte des intrants, ce que l’on a l’habitude de faire quand on est dans le domaine de l’industrie. Si on a un peu plus d’intrants, on obtient plus de sorties à la fin, et c’est cela qu’il faut maximiser. Jamais ou presque jamais on assiste à ce phénomène dans le domaine de l’industrie classique. Autre question que l’on peut se poser : peut-on intensifier sans dégrader le bilan des gaz à effet de serre par hectare ? En 1991, lors de l’une de mes conférences en Afrique, il existait de bonnes raisons de prétendre que l’intensification de l’agriculture en Afrique subsaharienne permettait de réduire les émissions de gaz à effet de serre parce qu’on pouvait réduire la déforestation mais nous étions à ce moment-là incapable de faire les calculs complets parce qu’on n’avait pas du tout l’ensemble des systèmes de calcul et la méthodologie développée depuis par les chercheurs et par le GIEC. Aujourd’hui, nous pouvons répondre par l’affirmative, on peut intensifier l’agriculture dans un certain nombre de pays du monde en étant bénéficiaire à la fin. Ici, le processus est le même que pour l’énergie : il ne faut pas simplement tenir compte des entrées, ce que l’on a l’habitude de faire, il faut considérer les intrants, notamment pour les gaz à effet de serre, aussi bien les engrais que les carburants, les émissions au champ ainsi que les émissions potentiellement évitées pour la récolte >

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et l’utilisation des phytomasses. A l’instar du concept d’énergie primaire, nous avons besoin d’un concept, il s’agit du potentiel primaire de réduction des émissions des produits récoltés ou par hectare qui permet ensuite, selon qu’on l’utilise intelligemment ou pas, de réduire plus ou moins les émissions de gaz à effet de serre en faisant des substitutions de produits fossiles ou des économies d’énergie fossile. Le dernier point concerne les émissions de changement de gestion et d’utilisation des terres, là aussi c’est un élément très important qui n’existe pas dans les autres secteurs. La transposition pure et simple (comme on la voit trop souvent) des méthodes de l’industrie appliquées à l’agricul-ture, en tout cas à tout l’espace rural et à ses produits, est une erreur extraordinaire. Avant la Révolution Industrielle, nous avions des surfaces importantes pour la culture mais aussi pour la traction animale et les diligences, de même que pour le chauffage. Ensuite, il y a eu la Révolution Industrielle. Premier gain pour l’agriculture : un gain en surface. On a d’abord pris les secteurs les plus performants et on a pu transporter les produits et donc développer l’agriculture, surtout là où elle avait les sols les plus fertiles. Par exemple, le département du Var était beaucoup plus cultivé qu’aujourd’hui, il s’est enfriché au 19e siècle parce que justement on a pu apporter des produits agricoles beaucoup moins chers -le prix du blé était bien plus élevé à Nice qu’à Paris- donc voilà le premier point et l’avantage. Parallèlement, on a eu besoin de moins de terres à cette époque, aussi la surface des forêts est passée de 7 millions d’hectares à plus de 14,5 millions d’hectares aujourd’hui, cela signifie que nous sommes passés de quelques 2 milliards de tonnes de CO2 en 1860 à environ 4 milliards de tonnes de CO2 aujourd’hui. Ceci est un point très important. Ensuite, il y a eu la motorisation agricole qui explique une bonne partie de l’évolution des politiques agricoles européennes et notre différence avec les Etats-Unis. C’est-à-dire qu’avec la motorisation, brutalement on a eu besoin de 15 à 20% de surfaces en moins parce qu’on avait des carburants. Nous sommes passés des animaux de trait au tracteur ! Nous ne disposons pas des données pour la France, en revanche pour ce qui concerne les Etats-Unis, nous avons les informations sur l’évolution des superficies consacrées au marché intérieur, aux exportations et aux animaux de trait. En 1955 il apparaît que les cultivateurs n’avaient quasiment plus recours aux animaux de trait car tout le monde était passé au tracteur, cela a induit un gain de surface. C’est ainsi que les cultivateurs ont pu développer la culture du soja, parce que les terres étaient vacantes et que cette culture a pris aujourd’hui le dessus par rapport à celle du maïs.

Pour produire des biomasses alimentaires ou non alimentaires, il faut donc, dans la perspective de raréfaction des ressources en pétrole bon marché et des menaces de changement climatique, de plus en plus de surfaces et cela signifie qu’il faut augmenter l’efficacité territoriale. Au niveau mondial, nous avons gagné un peu à cause des produits fossiles au cours des années passées. Une étude a été réalisée pour savoir, à horizon 2050, où l’on pourrait planter des arbres, mais aussi d’autres cultures. Cette étude révèle que la surface disponible est largement fonction de l’intensification de l’agriculture. Si nous sommes peu intensifs, 140 millions d’hectares seront disponibles au niveau planétaire. Dans le cas où l’Homme est intensif, près d’un milliard d’hectares sera accessible. On parle souvent de la Révolution verte, on dit que c’est celle des pays en développement mais on oublie qu’on a fait la même chose. Je vous parlerai ensuite de ce qui s’est passé au niveau mondial et de l’Afrique subsaharienne.

En France, entre 1850 et 2000 En 1850 la France produisait jusqu’ à 1 tonne de grains de blé par hectare et 1,5 tonne en 1950. Depuis, on a multiplié les rendements par quatre et chose importante, nous avons également divisé par quatre la surface qu’il fallait pour faire une tonne de blé. Cela est absolument essentiel, car c’est grâce à cela que nous n’avons pas été dans l’obligation, pour produire autant que ce que l’on produit aujourd’hui, de détruire à peu près l’équivalent de la forêt française. Si nous étions restés au niveau technologique des années 50 et si on avait voulu produire en 2000 autant qu’en 1950, il aurait fallu une surface supplémentaire qui correspond à 14,5 millions d’hectares. Nos céréaliers

ont déjà divisé par 4 les émissions de gaz à effet de serre depuis 1950 et au niveau mondial nous avons gagné 1,1 milliard d’hectare parce qu’on est devenu plus performant. En revanche, en Inde, en Chine, en Europe ou aux Etats-Unis, les productions ont augmenté en ayant des rendements plus élevés. Il n’y a qu’une partie du monde où ces mêmes progrès n’ont pas été enregistrés : en Afrique subsaharienne. L’Afrique subsaharienne a augmenté sa production, et malgré l’augmentation des surfaces, elle reste la partie du monde où l’on vit le moins bien. Il y a encore des surfaces importantes en Afrique subsaharienne, comme en Amérique latine, mais si on n’augmente pas les technologies, en 2050 il ne restera plus de forêt en Afrique hormis dans la cuvette congolaise. La situation est très différente de l’Amérique latine où la déforestation n’est absolument pas néces-saire, c’est-à-dire qu’on n’a absolument pas besoin de déboiser aujourd’hui en Amérique latine pour se nourrir. Mais en Afrique on pourrait de manière très simple techniquement multiplier les rendements de maïs par 4, ce n’est absolument pas un problème. En Afrique, on utilise 8 kilos d’engrais par hectare et par an contre 180 à 200 kilos pour les pays de l’Asie et de l’OCDE, soit 20 fois moins pour l’Afrique. En même temps cette agriculture n’est absolument pas durable.

Comme je le disais tout à l’heure, un seul paramètre est absolument insuffisant pour décrire des évolutions dans le développement. J’ai essayé de réduire le nombre de paramètres à ce qui était essentiel pour la partie développement planétaire durable. On arrive à trois paramètres : les différentes surfaces, l’énergie fossile et les émissions de gaz à effet de serre. On ne peut caractériser les choses qu’avec au moins trois paramètres et si vous arrivez au niveau local, il vous en faut plus, et c’est à ce niveau qu’il faut gérer les choses pour être le plus performant possible. Alors le modèle consiste à trouver des systèmes qui permettent d’être efficaces au niveau planétaire parce qu’on ne peut pas raisonner localement dans ce genre de choses pour essayer de réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour réduire les consommations d’énergie fossile mais peut-être que cela a des contreparties par rapport au réduction de forêt, et cet aspect est à analyser.

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Voyons maintenant les différentes étapes. Le niveau 1, c’est la conversion de l’énergie solaire, donc les sorties - les entrées. Au niveau 2, il s’agit du ratio sorties sur entrées. On peut comparer avec cette méthodologie toutes sortes de choses : des régimes alimentaires, des biocarburants... L’erreur de certaines personnes qui réalisent des analyses de cycle de vie est que leurs comparaisons portent sur une partie seulement des choses. Par exemple, si on regarde quel est le système qui permet d’avoir le plus de kilomètres parcourus par hectare, on s’aperçoit que le colza n’obtient pas un bon résultat alors que le méthane ou le soja réalisent de bonnes performances. Sauf qu’en pratiquant ce type d’analyse, on fait comme si il n’y avait pas de production de protéines avec le colza. Or le colza c’est d’abord une production de protéines et secondairement une production de carburant. Du point de vue économique, l’Europe n’a cessé, depuis les années 70, d’importer de plus en plus de soja. Et cela renvoie tout à fait à l’efficacité territoriale par hectare pour laquelle on peut avoir différentes combinaisons. Par exemple je peux produire autant de protéines qu’un hectare de soja avec un mélange de colza et de luzerne déshydratée. C’est cela qui compte finalement, la manière dont j’optimise l’utilisation de ma surface. Non seulement mon résultat est aussi bon mais en plus la formule colza + luzerne me donne 0,36 Tep par hectare de plus car j’obtiens plus d’huile avec ce système que si je faisais seulement du soja, sans compter les unités fourragères qui ne faut pas oublier.

Il faut, pour chacun des trois niveaux, essayer de distinguer le local et le global. A partir de là, il est possible d’avoir une discussion sereine, sinon on parle de choses différentes lorsqu’on mélange le local et le global. Pour l’Afrique subsaharienne, on parle souvent d’une réduction de la pauvreté et bien il se trouve que l’intensification de l’agriculture permet de réduire les besoins de déforestation et les émissions de gaz à effet de serre. Cela permet donc de produire davantage de nourriture pour une population qui va en avoir besoin, puisqu’elle va doubler dans les 50 prochaines années et que c’est déjà sur ce continent qu’il y a le plus de gens mal nourris. Ceci est déjà un message à porter aux prochaines négociations. Je ne suis pas sûr que l’ensemble des acteurs qui fonctionne dans ce système-là ait intérêt à le faire parce que chacun y trouve son compte d’une façon différente et pas forcément en trouvant les bonnes solutions pour les pays concernés, les pays en développement. Je rappelle quand même que l’objectif de la convention climat, c’est de promouvoir le dévelop-pement durable. Le deuxième point qui n’est jamais rappelé par les personnes de l’industrie ou des autres secteurs, est qu’il faut satisfaire les besoins alimentaires.

L’autre point important concerne les distorsions de concurrence, au regard par exemple de la non ratification du protocole de Kyoto par les Etats-Unis et de sa ratification par l’Europe. Si on avait un marché européen de 20€ la tonne de CO2, il faudrait rapporter 100€ par tonne de soja importé. Ce qui peut renverser complètement les relations au niveau des importations ! Si nos économistes de l’Union européenne écoutaient ceux qui prônent des efforts au niveau environnemental, on aurait sans doute une politique un peu différente. Il y a une reconstruction complète à faire si on veut tenir compte des effets de serre, de l’énergie, etc.

J’ai insisté sur le fait qu’il faut continuer à augmenter la production agricole, ou la mainte-nir ; mais cela se confronte à des problèmes au niveau de la toxicité des pesticides, cela fait longtemps qu‘on aurait dû prendre ce problème à bras-le-corps. Un autre point pour l’intensification de l’agriculture passe par l’utilisation des engrais. Dans le phosphate par exemple, il y a du cadmium (élément chimique toxique). Il serait bon d’avoir des procé-dés qui soient relativement économes pour enlever ces métaux lourds et pour pouvoir continuer à fertiliser correctement. Un autre point porte sur la limitation des protoxydes d’azote qui représentent jusqu’à 75% des émissions. Enfin, un autre élément pour les chimistes, porte sur l’élimination du goudron, des gaz, des gazogènes, parce que cela fait trente ans que ça ne marche pas ! Ça peut fonctionner lorsque il y a un ingénieur derrière et une épuration des produits. On avait estimé à l’époque qu’en France nous n’avions pas d’industriel pour bénéficier de ce genre de recherches, qui ne pouvait bénéficier qu’aux pays en développement et par conséquent on l’a un peu éliminé.

Question Vous avez parlé effectivement de la possibilité d’augmenter l’intensification de la production agricole et donc si j’ai bien compris, de satisfaire à la fois les besoins alimentaires et les besoins en biocarburants. Mais est-ce que vous ne pensez pas que le facteur limitant ici, ce n’est pas la terre mais l’eau ? Et l’eau n’est pas une ressource globale, c’est une ressource locale et il y a une addition de limitations locales d’utilisation de l’eau soit pour les usages élémentaires soit pour les usages industriels ou agrocarburants.

Réponse C’est évident, mon exposé est habituellement beau-coup plus long, car les auditeurs mettent toujours en valeur des éléments que je n’ai pas suffisam-ment détaillés. Il faut distinguer le niveau local et le niveau planétaire. Au niveau planétaire, le gaz va partout, alors que l’eau ne va pas partout. Mais vous ne traitez pas les questions d’eau de la même façon quand vous êtes en zone salienne ou que vous êtes en Norvège et que vous allez avoir des excès d’eau dans le futur ou même en Amazonie. Donc c’est une question locale, de même que l’adaptation aux changements climatiques va être une question locale.

Question Il y a un débat actuel sur la culture intensive des biocarburants et notamment ce qui se passe au Brésil avec le déséquilibre que l’on risque de créer : en augmentant la culture des biocarburants, on réduit la surface des cultures vivrières et on intensifie la déforestation. Qu’en pensez-vous ?

Réponse S’il y a un pays qui a plus qu’il ne faut comme surface pour nourrir sa population, c’est bien le Brésil. La question serait comment Lula pourrait trouver >

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le compromis entre les grands propriétaires et les paysans sans terre qui, jusqu’à présent, demandaient à ce qu’il n’y ait pas plus de 1000 hectares pour les gros pro-priétaires car le gouverneur du Mata grosso, possède l’équivalent à lui tout seul d’un département français pour la culture du soja. Donc vous voyez c’est le pays le plus inégalitaire qui soit. Comment peut-on allouer des terres à des personnes pauvres tout en conservant le nombre d’ouvriers nécessaires à la population riche ? Ce vrai débat n’est jamais mis sur la table. La déforestation n’est absolument pas nécessaire dans un pays comme le Brésil. Il peut produire beaucoup de carburant malgré cela et en général il affiche qu’il peut doubler ou tripler sa production d’éthanol sans toucher à la forêt amazonienne. Souvent il y a de l’ambiguïté entre l’Amazonie légale et l’Etat d’Amazonie. L’Etat d’Amazonie en général est protégé, parce que vis-à-vis du grand public il faut le protéger sinon il perd toute crédibilité dans les négociations. Mais pour le reste, ce qui est l’Amazonie légale et notamment le Mata Grosso, là on déforeste allègrement !

Il y a encore plein de choses à faire, en choisissant les bonnes plantes, les bonnes technologies… Tout cela est occulté dans l’idéologie de l’empreinte écologique qui énonce “nous avons besoin d’une planète, de deux planètes ou trois planètes“. Si cela permet de signifier aux gens du Nord qu’il faut consommer un peu moins, pourquoi pas ? Et de ce point de vue, c’est pédagogique. Mais pour trouver des solutions, est-ce que vous avez déjà entendu quelqu’un parmi les promoteurs de l’empreinte écologique dire qu’en Afrique subsaharienne il faut intensifier la production agricole ? Or, du point de vue de l’effet de serre, du point de vue de la satisfaction des besoins alimentaires des pays du sud, ce genre de choses importantes pour l’Humanité n’est jamais évoqué à travers le concept d’empreinte écologique et est simplement ignoré. C’est pour cette raison que je me bagarre pour que l’on n’utilise pas ce concept d’empreinte écologique.

Comment utiliser au mieux l’eau dans les différentes parties du monde ? Il y a tout un travail à accomplir, mais je prétends qu’à chaque fois, le problème est local. On ne peut pas dire que la planète manque d’eau. Il y a des endroits où on a trop d’eau mais où il fait trop froid pour que les cultures poussent, et puis il existe des régions où on trouve suffisamment d’eau, mais où d’autres choses manquent. Nous avons lancé une étude pour savoir quelles sont les potentialités des biocarburants et les impacts sur les consommations d’eau à l’horizon 2030. Là il y a une série de recherches à faire pour savoir comment une plante, à laquelle on ne donne plus d’eau à partir du mois de juin pour essayer de préserver les ressources des nappes phréatiques, peut encore survivre correctement et comment peut-elle encore avoir une production suffisante de biomasse l’année d’après. Donc il y a toute une série de recherches biologiques à faire dans ce domaine-là pour devenir plus performant. Il y a aussi en dehors des zones irriguées des plantes qui sont plus performantes, où la combinaison eau/tempé-rature n‘est pas bonne pour que les plantes poussent correctement. L’adaptation est locale, à chaque fois et donc je sépare la question planétaire de la question locale.

Discussion générale de fin (questions/réponses)

J’aurai voulu réintroduire le point de vue citoyen plus général puisque je trouve que les débats sont intéressants mais on a tendance à être pris dans des vues très expertes. Par rapport à Monsieur Riedacker, je trouve effectivement que l’empreinte écologique n’est pas exempte de défauts et peut-être qu’on ne met pas assez l’accent sur le fait qu’on pourrait, en Afrique subsaharienne, développer l’intensité agricole mais ça ne doit pas nous faire échapper que cette notion d’empreinte écologique a quand même un intérêt citoyen extrême en pointant le caractère complètement absurde, aberrant, de certains types de vie, d’un certain mode de développement, de certaines façons de concevoir le transport à travers le monde dans tous les sens, et que le mode de vie européen et américain est absolument impensable si on veut l’universaliser ou le généraliser. Donc il y a des choses simples qui vont peut-être échapper à la discussion d’experts et qu’il

faut savoir remettre en perspective. Même peut-être pour revenir à l’intervention précédente, est-il vrai que d’un certain point de vue et pendant un certain temps il y a une convergence entre le développe-ment durable et l’efficacité économique ? Justement le développement durable, c’est de dire qu’on fait de l’économie un élément d’appréciation parmi d’autres et que peut-être on est très content de voir que pendant tout un temps on va pouvoir concilier l’intelligence économique avec le dévelop-pement durable, mais qu’il y aura un autre temps, et nous y sommes déjà je pense, il faudra être capable de dire : “Il faut choisir et le développement économique nous écarte de ce que nous, citoyens, voulons mettre comme valeurs et comme sens à notre développement“. Donc je voulais simplement intervenir pour essayer de remettre la citoyenneté et le sens du raisonnable dans le développement que l’expert nous aide parfois à découvrir et parfois il nous en écarte en entrant dans des débats qui sont importants mais qui n’ont pas la priorité par rapport à ce qui est véritablement en jeu.

Arthur Riedacker : je suis effectivement moi-même un adversaire technique de l’empreinte écologique mais en même temps je suis d’accord avec votre intervention. Il faut voir au niveau citoyen l’utilisation pédagogique d’un outil tel que celui-là. Et puis il faut rappeler le fameux proverbe chinois qui dit : “Quand on lui montre la lune avec un doigt, l’imbécile regarde le doigt.“ Il ne faut pas regarder le doigt, il faut regarder la lune. L’empreinte écologique, c’est le doigt.

Je voudrais rebondir sur l’aspect social. Dans nos pays nous sommes dans une situation très incon-fortable. Cette notion de développement durable ne vient que des pays dits “riches“. Mais c’est quand même nous qui avons spolié pas mal de choses, détruit pas mal de choses et je ne vois pas comment on aurait le droit ni l’audace ni l’outrecuidance de dire aux pays qui veulent se développer et avoir le même niveau que nous : “Non“, sous prétexte qu’il faut le développement durable. Je trouve que nous sommes mal placés pour donner des leçons aux autres. C’est cela qui m’ennuie.

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Pierre Matarasso : oui, de même que l’on peut considérer que nous sommes des donneurs de leçon par rapport à nos propres descendants, puisque la plupart des gens réunis ici ont allègrement utilisé les voyages en avion, leur voiture... et cependant je défends le point de vue du “facteur 4“ qui suggère aux générations futures ou aux générations d’autres pays l’application de principes qui n’ont pas été appliqués de notre vivant et dans nos sociétés. Il a fallu plus de trente ans pour que les alertes lancées par le Club de Rome commencent à être prises au sérieux, en particulier en raison de l’évidence croissante du changement climatique ou encore de la pollution diffuse et de l’érosion de la biodiversité. Nous devons assumer ce retard de la prise de conscience par des actions résolues. A ce titre, il faut replacer la chimie durable dans le cadre de ce que l’on désigne aujourd’hui par “facteur 4 “, c’est-à-dire la réduction d’un facteur 4 des émissions de gaz à effets de serre dans les pays industriels (ou d’un facteur 2 au niveau mondial). Cette réduction devrait se traduire par une limitation drastique de l’impact des activités humaines sur le climat.

Arthur Riedacker : pour répondre aux interventions précédentes : c’est vrai qu’il est difficile de mélanger les deux choses en peu de temps et c’est pour ça d’ailleurs que le message ne passe pas bien. Pierre Matarasso évoquait tout à l’heure le facteur 4. Il est évident qu’il s’agit d’un objectif et qu’il faudrait si possible l’atteindre, en tout cas c’est ce qui a été fixé par l’Union Européenne et la France dans sa loi d’orientation. C’est vrai que le discours «empreinte écologique» est gentil sauf qu’il va falloir doubler la production en Afrique subsaharienne. Quand je dis aux gens du Nord qu’il faut augmenter les engrais en Afrique subsaharienne, ils répondent : “Oh c’est une catastrophe, nous avons fait tellement de bêtises chez nous, vous n’allez pas leur demander de faire la même chose“. Je leur demande ensuite combien ils utilisent, et combien nous utilisons et je n‘obtiens jamais de réponse. Quand j’annonce que les pays du sud consomment 20 fois moins que nous, et que leur objectif pour essayer de doubler la production ce serait d’utiliser 4 fois moins que nous, on peut commencer à discuter autrement. Ce que nous allons dépenser pour réduire les émissions n’est pas gratuit ; on ne pourra sans doute pas aller au-delà de 20€ la tonne de CO2, sinon les industriels vont hurler. Et pendant ce temps-là, on oublie les solutions qui coûteraient moins cher, qui seraient bonnes pour la planète et qui aideraient les pays pauvres à mieux vivre. Je trouve ça assez criminel de la part des personnes qui propagent le concept d’empreinte écologique d‘oublier ces fondamentaux. J’insiste là-dessus parce que beaucoup de gens ne se rendent pas compte de ce qui est véhiculé derrière le mot “empreinte écologique“ qui s’accompagne du concept malthusien.

Nous avons mis le développement durable à notre sauce, c’est-à-dire à la sauce des gens privilégiés. Mais prenez la définition du rapport Bruntland, dont on fête le 20e anniversaire cette année, très peu en ont parlé car il n’y a pas beaucoup de gens qui ont intérêt à ce qu’on évoque clairement ce qu’il contient.

On ne peut pas réduire le développement durable au réchauffement climatique. Le développement durable c’est d’abord satisfaire les besoins des populations du sud. C’est de là que c’est parti. Alors effectivement, on se rend compte qu’il y a des limites de type climatique à la possibilité d’une croissance infinie partout mais l’objectif c’est une croissance- y compris dans le pacte écologique- des populations du sud. L’utilité de l’usage du concept de l’empreinte écologique n’est absolument pas restrictive de la possibilité pour certaines populations d’augmenter leur empreinte écologique. C’est évidemment tout à fait différent du problème de sa définition. Vous pouvez très bien faire l’usage dans la politique publique internationale au niveau d’une justice mondiale de l’empreinte écologique comme un niveau auquel il faudrait amener toute la population. Ce n’est pas du tout incompatible avec l’idée de développement durable.

Nicolas Buclet : par rapport à cette question intéressante, vous avez raison, à chaque fois que l’on parle de développement, on insiste sur le fait qu’il s’agit d’une vision de pays riches et en fait on voudrait limiter les pays pauvres dans leur façon de se développer. C’est vrai qu’il y a eu une certaine appropriation du concept puisque

les trois piliers -l’économique, l’environnemental et le social- sont importants pour les pays du nord qui recommandent : “Attention, ne sacrifions surtout pas le pilier de l’économie au social et à l’environne-mental“. Néanmoins il faut tenir compte du phénomène de la mondialisation car le degré de développement des pays pauvres aujourd’hui ne peut être décloisonné du fait de leur inscription dans une économie mondialisée. La plupart des choses qu’ils développent eux-mêmes sont en lien fort avec des mouvements qui les dépassent fortement. De ce point de vue, il faut avoir une stratégie d’un certain niveau car la mondialisation des marchés génère un tas d’interactions qui les empêchent eux-mêmes de mener la politique qu’ils souhaiteraient. Cela nous amène à plusieurs considérations : au fait par exemple que l’on peut effectivement parler de l’agriculture subsaharienne mais aujourd’hui est-ce que cela a un sens, à partir du moment où de toute façon l’agriculture vivrière est complètement écrasée dans des pays comme le Sénégal ou ailleurs. Les pays pauvres et les pays riches sont dans le même bateau, il va donc falloir trouver une solution commune.

Néanmoins, au niveau technologique, de nombreux progrès ont été faits notamment avec la dématé-rialisation progressive de notre PIB. Cela est vrai pour les Etats-Unis mais également pour tout un tas d’autres pays occidentaux. Il faut quatre fois plus d’énergie en Chine pour produire la même richesse qu’aux Etats-Unis. Donc on peut laisser les pays émergents poursuivre leur croissance comme ils l’entendent mais peut-être peut-on aussi leur trans-mettre quelques technologies qui leur permettraient de produire davantage par rapport à leurs besoins sans dégrader autant l’environnement.

Je vous rappelle que l’Europe d’après la Seconde Guerre mondiale s’est en partie reconstruite grâce au plan Marshall et à des technologies qui prove-naient des méthodes de production américaines. Cela a permis une grande reconstruction éco-nomique de l’Europe. Il existe quand même des possibilités que les technologies développées dans les pays riches peuvent trouver des applications intéressantes dans les pays pauvres. Même si je formule un bémol quant aux intrants minéraux dans >

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l’agriculture, il est vrai que vouloir absolument interdire à certains pays d’agir comme nous l’avons fait nous-mêmes n’est probablement pas acceptable ni politiquement ni à d’autres points de vue. Néanmoins, est-ce que tous les pays doivent suivre le même sentier d’évolution ou est-ce qu’on peut se permettre d’apporter un certain nombre d’éléments pour que ces pays évitent les erreurs que nous avons commises, sachant qu’il n’est nullement question d’interdire à qui que ce soit au niveau de la planète de subvenir à tout un tas de besoins essentiels. La pensée de l’économiste Amartya Sen est en ce sens fondamentale, elle repose sur le concept de liberté positive et liberté négative. La première correspond à des choses qu’il est possible de faire parce qu’il n’y a aucun texte de loi qui vous l’interdit. La deuxième forme de liberté essentielle, en particulier pour les pays du sud, est celle de pouvoir faire les choses parce qu’on en a les moyens. On n’interdit à personne de se nourrir mais pourtant il y a plein de gens qui ne peuvent pas se nourrir parce qu’ils n’ont pas la liberté de le faire. Et c’est plutôt sur ces formes de liberté qu’il faut travailler, sur la façon de faire en sorte que chacun, au niveau de la population mondiale, dispose des deux libertés : la liberté juridique et la liberté de moyens (accès à l’eau par exemple). Le changement climatique va affecter l’ensemble des pays, il est sûr que les pays qui souffriront davantage sont les pays les moins bien armés économiquement et notamment les pays du sud.

Pierre Matarasso : la question essentielle est “Quels seront les besoins des sociétés dans les cinquante ans qui viennent ?“. Besoins en termes d’habitations, de transports, de nourriture, d’habillement, de communications, de loisirs, etc. ? Quelles formes vont-ils prendre ? Et comment les satisfaire en préservant l’ensemble de l’environnement, c’est-à-dire en préservant autant que possible une composition qui soit aussi stable que possible pour l’ensemble des composants de la biosphère. Il faut maintenir une composition stable aussi bien pour l’atmosphère, le milieu marin, les fleuves et les sols, en n’y introduisant pas des fluides, des molécules, des éléments simples qui perturbent la vie, l’écologie ou qui modifient le climat. Et ceci en ayant éventuellement un objectif supplémentaire qui serait celui de rétablir les qualités d’un certain nombre de sols qui se sont, de fait, fortement dégradés durant le 20e siècle. Nous avons un objectif qui est de ne pas modifier de manière dangereuse les milieux de la biosphère jusqu’à provoquer des risques pour les sociétés humaines futures. La tâche de la chimie du développement durable, c’est de s’attacher à satisfaire l’ensemble des besoins, aussi bien en matière d’habitat et de mobilité que de nourriture, dans un contexte de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de préservation de l’envi-ronnement. Cette tâche n’est pas identique à celle qui a été celle de la chimie dans la période de la reconstruction qui a suivi la seconde guerre mondiale, où il a fallu redonner vie à l’ensemble des pays d’Europe le plus rapidement possible, reconstruire très rapidement des quantités de bâtiments, assurer un niveau de santé et de satisfaction alimentaire… Ces actions ne se sont pas nécessairement appuyées sur des principes très clairs concernant la notion de “besoins“. Il faudrait débattre de ce que signifie la satisfaction de l’ensemble des besoins planétaires s’incarnant dans chaque société et cela dans une hypothèse de non-destruction, de non-modification en profondeur des milieux planétaires. Nous pouvons ajouter qu’il y a de fortes chances pour qu’une réduction des gaz à effets de serre se traduise par une baisse générale des atteintes à l’environnement dans la mesure où l’énergie constitue un des facteurs essentiel de la production dans les sociétés modernes. Le facteur 4 ne signifie pas toutefois privation ou vallée de larme… il signifie que nous satisferons les mêmes besoins avec une pro-ductivité bien supérieure par rapport à l’énergie et aux consommations (ou par rapport aux pollutions matérielles). La lutte contre l’effet de serre n’épuise pas la question environnementale (en particulier pour la biodiversité), mais elle est porteuse d’une réduction importante des atteintes à l’environnement.

Arthur Riedacker : Une des conclusions de M. Buclet, c’était justement que la chimie était quelque chose d’intéressant mais finalement il faut un découplage entre service et produit et qu’en tant que telle, la chimie n’apporte pas de solutions particulières au problème de développement durable. C’est comme ça que j’ai compris votre intervention.

Finalement, pour un facteur 4, il faut changer nos modes de vie, il faut peut-être faire plus d’écono-mie fonctionnalisée. Mais la chimie peut améliorer ponctuellement des procédés de synthèse, peut fournir des énergies renouvelables en quantité un peu supérieure mais fondamentalement elle n’est pas l’enjeu principal du développement durable.

Réponse de Nicolas Buclet : je vais parler un peu plus en détails de The Natural Step qui préconi-se d‘aller pas à pas vers le développement durable. Il ne s‘agit pas d’annoncer du jour au lendemain “ça y est, demain nous évoluerons dans une société durable“ mais seulement d’aller dans le bon sens. C’est particulièrement intéressant pour la chimie, non pas peut-être pour les chercheurs en chimie mais en tout cas pour l’industrie chimique puisque depuis cet automne, nous avons accès à des cours à distance basés sur les principes du Natural Step. Ce sont les entreprises elles-mêmes de la chimie, qui, en ayant été en contact avec ces principes dont je veux vous parler et avec cette démarche, se sont dits : “Il faut absolument qu’au sein de nos entreprises, nous intégrions ce genre de principes et de démarches“. Je pense que ce qui est valable au niveau de l’industrie est possible plus en amont, au niveau de la recherche.

Alors quelle est la logique qui motive la démarche The Natural Step ? L’analogie que donne The Natural Step est la suivante : quand je rentre chez moi, je me projette sur “je suis en train de rentrer chez moi“ et je ne suis pas en train de me projeter sur les moyens de m’éloigner le plus vite possible de l’endroit où je suis. C’est-à-dire que vous êtes déjà en train de vous focaliser sur le résultat que vous voulez obtenir : “je vais arriver chez moi dans les meilleures conditions possibles“ ce qui est très différent de “je suis dans un endroit que je veux quit-ter donc je vais partir le plus vite possible pour m’en éloigner le plus vite possible“. Sauf que si vous faites ça, vous ne savez pas dans quelle direction vous allez. Beaucoup de démarches pour la protection de l’environnement suivent ce raisonnement : “cette molécule n‘est pas viable, donc va en chercher une

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autre pour la remplacer “. On est alors dans un espèce d’entonnoir, qui représente les possibilités du développement durable, puisque plus le temps passe et moins on fait de choses et plus le tunnel qui nous mène vers une société durable se rétrécit. Le CFC est à un point de l’entonnoir, et il en résulte une situation non viable. La méthode qu’utilise le Natural Step, dite de “backcasting“, signifie qu’on se projette dans le futur et ensuite on essaye de voir quelles sont les actions présentes qui nous permettent d’aller vers ce futur souhaitable. Au lieu de repartir dans un sens, on s’éloigne du mur dans lequel on s’est heurté sans trop savoir dans quelle direction aller. Le résultat est que cinq ans après on se retrouve avec les HCFC qui génèrent de nouvelles nuisan-ces… Finalement on part dans un espèce de zigzag et on n’arrête pas de se cogner d’un mur à l’autre. Ce qui fait que lorsqu’on trouve des solutions à un problème actuel, cela engendre dix ans après de nouveaux problèmes. Il faut donc adopter une méthode qui permette de déterminer comment aller dans la bonne direction, au lieu de naviguer à l’aveugle.

Pour ce faire, il faut adopter les quatre grands principes fondamentaux de Natural Step, qui demandent à être améliorés grâce aux idées des uns et des autres. Premier principe : éliminer notre contribution à l’augmentation systématique dans la biosphère de la concentration des substances extraites de la croûte terrestre. Deuxième principe :éliminer notre contribution à l’augmentation systématique dans la biosphère de la concentration des substances produites par la société. Ce dernier remet en cause le principe même de la chimie telle qu’elle est en vigueur, c’est-à-dire qu’elle contribue de façon systématique à la concentration de substances produites par la société. Troisième principe : éliminer notre contribution à la dégradation systématique de la nature par des moyens physiques. Quatrième principe : éliminer notre contribution à la création de conditions qui diminuent systématiquement la capacité de chacun à pouvoir répondre à ses besoins partout dans le monde. Ces quatre principes doivent être menés de front. Dans toutes vos actions stratégiques, par exemple un changement de molécule ou autre, il faut s’interroger de la manière suivante : “est-ce que ma recher-che, est-ce que l’innovation que je mène cherche à aller dans le sens de la réduction et de l’élimination de tout un tas de contributions négatives par rapport à la biosphère et par rapport à la capacité de l’ensemble de la population mondiale à répondre à ces besoins“? Au départ, lorsque les personnes de Natural Step ont présenté ces quatre principes, ils semblaient un peu simplistes. Cependant, une fois replacés dans le cadre d’évaluations de projets industriels, ces quatre principes sont très intéressants et permettent de se poser les bonnes questions. Lorsqu’on se pose les bonnes ques-tions, les conditions d’élaboration des nouvelles pistes de recherche peuvent aller dans le bon sens. Il ne s’agit pas d’une solution miracle, néanmoins elle me semble plus intéressante et évolutive que l’empreinte écologique et d’autres outils.

Pierre Matarasso : Ces 4 principes de Natural Step me semblent compatibles avec la question du “facteur 4“. Le “facteur 4“ bien compris est probablement un principe d’action qui va entraîner dans son sillage la plupart des éléments nécessaires aux autres objectifs déclinés par “Natural Step“. Nous allons co-évoluer avec le monde matériel. La nature qu’il y aura dans les 50 prochaines années sera celle que nous aurons construite. De la même façon que les plantes génèrent des alcaloïdes qui les défendent contre leurs prédateurs, nous générons nous-mêmes, en partie, nos propres maladies par négligence vis à vis de l’agriculture ou de notre environnement, pensons aux cas de la vache folle, de la “grippe aviaire“. Dans le futur, nous serons aussi comptables de la vie marine. Nous serons comptables du climat, nous serons comptables de la vie biologique des sols. Des écologues ont montré récemment que les écologies, sous l’effet du changement climatique, allaient se modifier profondément et étaient susceptibles de se “dérégler“. Ainsi toute les synchronisations qui se sont établies entre les plantes et les pollinisateurs, de manière à ce que ces processus vivants interagissent de manière productive, peuvent complètement s’effacer. Il en va de même de la vie marine qui est susceptible de se modifier complètement et, dans le sillage de ces modifications, des transformations des grands cycles géochimiques

peuvent advenir. Un état de la vie biologique terrestre dans lequel l’espèce humaine s’est développée peut se modifier dans un sens que nous ignorons.

Qu’est-ce que c’est que le facteur 4 face à tout cela ? Le facteur 4, c’est essayer de diviser par 4 les émissions de gaz à effets de serre, c’est-à-dire tenter d’augmenter la productivité des services énergétiques comme je l’ai dit plus haut. A quoi cela peut-il ressembler ? Je vais essayer de donner une image qui est forcément caricaturale, qu’il ne s’agit pas d’imposer et qui devra être certainement discutée dans un cadre démocratique. On sait que le facteur 4 dans l’habitat est possible. La plupart des spécialistes de la thermique des bâtiments annoncent qu’il est possible de diviser par 4 la consommation d’énergie d’un bâtiment, qui est à peu près de 350 kw/h/m2 et par an aujourd’hui. On peut la ramener à 50 kw/h/m2 en isolant mieux le bâtiment, en réalisant un échange de l’air entrant sur l’air sortant, en installant des pompes à chaleur (qui valorisent trois fois mieux l’électricité pour le chauffage que les radiateurs électriques) etc. On voit qu’il y a la nécessité, pour réaliser cette grande rénovation énergétique, de produire des nouveaux isolants, qui peuvent être à base naturelle. Et notamment en évitant que les produits utilisés émettent des composés organiques volatiles (contrairement à de nombreux matériaux utilisés actuellement). Donc il y a tout un travail à faire sur les isolants, sur les fluides frigorigènes, sur des matériaux à changement de phase pour le stockage de l’énergie. Un nouveau modèle économique est aujourd’hui en train de se profiler dans la rénovation du bâtiment. Le bâtiment est particulièrement important dans le cadre de la chimie puisque dans les exemples que je viens vous donner, il est le seul exemple pour lequel nous allons assister à un accroissement de l’utilisation des matériaux. De grandes quantités de matériaux seront nécessaires pour édifier les villes des pays en développement ou rénover les villes des pays industriels.

Prenons maintenant le cas de la mobilité. Qu’est-ce que c’est que la mobilité ? C’est remplacer un bien par un service. C’est remplacer une voiture individuelle par un ensemble de services qui assurent une mobilité identique (aussi libre et probablement aussi rapide) >

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sans que cela passe nécessairement par la possession d’une voiture en réalité très sous utilisée. Les véhicules individuels sont en effet particulièrement inefficaces. Une voiture automobile, aujourd’hui, pèse 1 tonne, a un moteur de 80 kw, et fonctionne à peu près entre 1000 et 500 h par an (10% du temps annuel)… Aucun investissement industriel ne serait rentable à ce taux de fonctionnement ! Et sur ces environ 700 h par an, elle roule 100 h sur autoroute à haute vitesse, or c’est l’utilisation pour laquelle elle à été dimensionnée. Le reste du temps, ce véhicule est utilisé à bas régime dans une ville. Il transporte une personne alors qu’il pourrait en transporter 4 et roule à de faibles vitesses. De manière évidente il vaut mieux la remplacer par des transports en commun de diverses natures (tramway, microbus à trajet variable ou taxi collectif). On pourra compléter cette offre par des petits véhicules qui n’ont pas besoin d’avoir le même cahier des charges, c’est-à-dire le même niveau de sécurité qu’un véhicule dimensionné pour rouler sur autoroute, parce qu’ils vont aller à 30 km/h en ville. Un moteur inférieur à 10kw et un poids au dessous de 250 kg sont tout à fait suffisants pour réaliser cet objectif. Ici, des questions vont se poser : quels matériaux pour construire de telles automobiles, leur structure et leur résistance aux chocs… Il est possible d’utiliser des matériaux beaucoup plus légers et beaucoup moins énergivores que l’acier par exemple.

En troisième lieu, posons la question de l’alimentation. Réfléchissons à la question des produits chimiques et de l’alimentation. Tout le monde préconise aujourd’hui de “manger des produits frais“. Cela signifie que les urbanistes qui travaillent sur le thème du facteur 4 pensent qu’il faudra libérer à la périphérie des villes des zones réservées à la production de produits frais. C’est d’ailleurs ainsi que s’approvisionnent, sur les marchés, les grands restaurants. C’est l’enjeu du retour vers une agriculture de proximité. Faites maintenant la comparaison, en termes de produits chimiques, entre des produits frais qui ont été produits dans votre voisinage et des produits importés du bout du monde, qui ont fait l’objet de transformations, de traitements très variés, etc. Aujourd’hui, nos formes d’alimentation, impliquent des produits qui ont nécessité beaucoup de produits chimiques depuis leur production jusqu’à leur distribution. L’enjeu consiste à reprendre des modes de production plus naturels, à éviter toutes ces formes de conservation, de packaging qui sont associés à la grande distribution. La grande distribution qui est à la fois très énergivore et très “territoire-vore“ (climatisation, parking, stockage… y compris sur les camions qui transportent les produits). En plus des produits frais, on recommande aujourd’hui de recourir à une moins grande quantité de produits animaux, parcequ’ils sont à l’origine de graisses qui sont néfastes sur le plan de la santé. Là encore, les produits animaux sont un débouché très important pour les produits chimiques parce que d’une part il faut traiter l’ensemble des champs et les préparations qui ont été mises en œuvre pour produire l’alimentation animale. D’autre part, il faut traiter les animaux avec des antibiotiques et des médicaments, se débarrasser de leurs excréments, il faut enfin ajouter aux produits préparés des molécules qui retardent leur dégradation. Une agriculture partiellement végétarienne est beaucoup moins nocive pour l’environnement, consomme beaucoup moins de territoire, beaucoup moins d’eau (le facteur est de l’ordre de … “4“ ) ! Que les carnivores se rassurent cependant, les études écologiques montrent que les parcours des animaux d’élevage (la transhumance…) ont des effets bénéfiques pour la biodiversité. Il ne s’agit pas d’interdire la viande… mais d’en manger moins souvent, et de la meilleure !

Ce sont quelques exemples simplement qui montrent qu’une optique de facteur 4 nécessite des recherches sur des matériaux, en particulier des matériaux de construction, des matériaux d’isolation et des principes d’isolation assez différents de ceux utilisés aujourd’hui. Si on doit produire de la mobilité notamment avec des micro-véhicules, il faudra disposer de nouveaux véhicules, qui n’auront pas besoin d’avoir le même cahier des charges que ceux auxquels nous avons recours aujourd’hui, car ces nouvelles voitures seront mieux entretenues, mais également partagée, etc. L’industrie alimentaire connaîtra d’autres formes de distribution des produits végétaux (pensons aux beurres végétaux, au lait de soja, aux différentes transformations des légumineu-ses…).

Une optique de facteur 4 correspond à une orga-nisation matérielle de la société qui n’a pas limité ses propres consommations, qui les a simplement un peu modifiées en termes d’attention portée à l’énergie dans le bâtiment, de vitesse de transport, de pratiques culinaires, etc. Grâce à tout cela, on pourra réduire d’une manière importante la taille de l’industrie chimique. Si l’ensemble des besoins matériels diminue, je pense que la taille de l’industrie chimique risque de diminuer. Mais elle restera une industrie créative productrice de produits à haute valeur ajoutée dont les impacts environnementaux ou sur la santé seront maîtrisés. C’est une perspective qui me semble plutôt exaltante pour de futurs ingénieurs chimistes.

Question Il y a un mot qui n’a pas du tout été prononcé de la journée, et c’est un petit peu étonnant, c’est le terme de «bioraffinerie». Lorsqu’on examine les 50-60 dernières années, en particulier dans l’in-dustrie du carbone. Les produits fossiles, on en sortait de l’énergie et puis à partir du “cracking“, on en sortait des matières premières pour alimenter toute l’industrie de commodité, que ce soit les produits mères, les produits de formulation, les produits de synthèse ou les produits pharma-ceutiques. Donc, bien sûr, il y a des applications extrêmement complexes puisque les biocarburants posent un certain nombre de problèmes en termes d’équilibre alimentaire et non-alimentaire, d’intensification de l’agriculture, de cultures dédiées. Je pense que cette notion de matière renouvelable n’est pas anodine. On peut très bien imaginer qu’à partir de matières premières renouvelables, il y ait un avènement de nou-veaux produits issus de cette matière, qui soient capables de satisfaire aux futurs besoins sans forcément imiter, mais simplement substituer la chimie qui se fait actuellement.

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Réponse de Pierre Matarasso Je suis d’accord avec vous. Je n’emploie pas le terme de bio-raffinerie pour une raison assez précise. Reprenons le monde d’avant l’époque du pétrole, les produits industriels en provenance des produits végétaux étaient extrêmement nombreux. On peut citer comme tissu la fibrane, la viscose, la bakélite... On peut produire à partir de la matière végétale des quantités extrêmement importantes de matériaux de structure, de tissus et quiconque a déjà porté des vêtements en viscose, en fibrane (pour ne rien dire du lin, du chanvre et du coton, etc.) sait qu’ils sont plus agréables et plus résistants bien souvent que les objets fabriqués en matière plastique à partir de pétrole. Ils possèdent des propriétés hydrophiles, isolantes et électrostatiques bien souvent meilleures. Je ne sais pas s’ils sont vraiment produits par des “raffineries“. C’est-à-dire qu’à chaque fois, il y a des usines qui peuvent être dédiées, pas forcé-ment des raffineries. Le terme de raffineries est quand même spécifique du pétrole, de la séparation ou de l’hydrogénation de certaines fractions, etc. Dans le cas de la production de carburants de deuxième génération, ce sont des sortes de bio-raffineries, effectivement. Mais pour ce qui est de la chimie verte en général, j’aurais tendance à parler de bio-industries intégrées.

Question A la fin de la journée, j’ai l’impression qu’on est très français dans le sens où l’on parle du développement durable et de la chimie pour le développement durable. Finalement on a un message négatif par rapport à ça : les indicateurs ne sont pas les bons, l’empreinte écologique n’est pas la bonne manière de mesurer les choses, la chimie n’est finalement pas si importante que ça puisqu’elle pose un problème de comportement. J’ai bien apprécié votre exposé M. Riedacker, mais vous êtes parfois allé un peu vite. J’ai bien compris que globalement votre message était : l’empreinte écologique des écolos n’est pas valable. Mais c’est une position uniquement négative, alors que vous devriez les prendre à leur propre jeu, c’est-à-dire leur dire “Attendez, vous ne prenez pas ça en compte». Mais ne pas sortir du nouveau paradigme du développement durable, il me sem-ble que c’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Vous devriez être plus zélé que ne le sont les écolos eux-mêmes. Alors qu’au lieu de ça vous dites : “L’empreinte écologique, ce n’est pas très important, et n’empêchez pas l’Afrique subsaharienne de développer l’agriculture intensive“.

Réponse de Arthur Riedacker Pour moi le rapport Brundtland reste une Bible. Tout ce qui est venu derrière, ce sont des moyens d’orienter les choses à l’avantage des pays du Nord. Ce n’est pas un hasard si certains concepts écologiques ont été inventés, comme l’empreinte écologique, par les Canadiens. Quand je discute avec les Canadiens, le dialogue de sourds est encore plus fort qu’ici. Je pense qu’il y a des choses extrêmement importantes à faire. Mais ce qui me semble absolument inacceptable, c’est notamment la dégradation des sols en Afrique subsaharienne. L’Afrique subsaharienne est au niveau de l’agriculture pré-industrielle de 1860. Si je suis contre l’empreinte écologique, c’est parce que c’est un malheur. Et chaque fois que je demande aux gens si on peut faire quelque chose pour l’Afrique subsaharienne, on me répond : “Ah non, il ne faut pas faire les mêmes erreurs que celles que nous avons commises“. L’empreinte écologique empêche de voir les choses importantes pour la planète.

Réponse de Pierre Matarasso Je répondrais simplement deux choses sur l’empreinte écologique. Première chose : nos discussions sur l’empreinte écologique sont les mêmes que celles que l’on peut avoir sur les modèles macro-économiques. Il faut considérer chaque méthodologie pour ce qu’elle est. C’est-à-dire un élément qui permet à quelqu’un (un groupe) de s’emparer d’un problème. C’est ainsi que les personnes qui ont conçu l’empreinte écologique, se sont emparées du problème de l’impact des activités humaines sur les ressources renouvelables, non renouvelables et l’environnement. Il se peut qu’il y ait

dans l’empreinte écologique certaines choses qui ne me conviennent pas. Ce n’est pas une raison pour invalider la tentative. Il faut exiger que ces méthodes soient assez transparentes pour qu’on puisse les critiquer ou les améliorer. Il faut prendre toutes ces méthodes comme relatives à la nais-sance d’une forme de science nouvelle qui est celle du développement durable. Contrairement à Arthur Riedacker, il me semble qu’il ne faut pas dévelop-per une critique violente, il faut avoir une critique raisonnée car cela permet justement de s’emparer d’un problème et d’avancer de nouvelles proposi-tions. La deuxième question que vous posez a trait au comportemental. Il y a en effet des questions comportementales mais les comportements se construisent aussi à partir de propositions de “services“ qui relèvent de la technologie, de l’économie, et enfin de questions institutionnelles. Pour ce qui est de la technologie, il y a beaucoup de questions matérielles : on doit concevoir un habitat nou-veau de même qu’une rénovation de l’ensemble du bâtiment pour notre pays ainsi qu’une conception de bâtiment nouveau pour les pays en voie de développement. Il faut alimenter ces bâtiments, ces villes, en construction, en énergie électrique… Et pour cela il faut entreprendre un gros travail sur les maté-riaux. De même, pour ce qui concerne les voitures, doit-on construire des véhicules électriques ? Et si on fabrique des véhicules électriques ou des véhicu-les hybrides, cela induira des recherches sur les batteries, sur les super condensateurs. La science et l’industrie chimique derrière ces matériaux sont aussi à concevoir. L’enjeu pour l’industrie chimique en général est considérable. Je souhaite qu’on se rende compte qu’il y a une science des matériaux, à base naturelle dans une grande mesure, et également un mode de production de système de conception intégrée qui limite le plus considérablement possible leur impact sur la biosphère.

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.Questionnements sur la viabilité de notre système économique à l’aune des enjeux du développement durable

Présentation de Nicolas Bluclet

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Questionnements sur la viabilité

de notre système économique à

l’aune des enjeux du

développement durable

Nicolas Buclet

Paris, 22 octobre 2007

Le développement durable :

genèse

Le développement durable :

genèse

Commission Bruntland (1987) créée à l’initiative des Nations Unies en vue de proposer des stratégies de coopération internationale face aux problèmes environnementaux

La Commission souhaite établir un agenda global du changement ne se limitant pas aux problèmes environnementaux.

Le développement durable :

une nécessité

Le développement durable :

une nécessité

Ce qui est en jeu est la promotion d’une « ère nouvelle de croissance économique » permettant de résorber :– La pauvreté dans le monde, problème massif malgré

quarante années de croissance économique

– Les forts déséquilibres entre les contraintes liées aux activités humaines et les contraintes du milieu naturel

A ce constat de la Commission Bruntland, s’ajoute par la suite celui de la raréfaction des ressources, phénomène allant bien au-delà de la question du pétrole

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Toutes ces actions sont a priori

positives mais…

Toutes ces actions sont a priori

positives mais…

Il s’agit de modifications marginales de comportement. On améliore l’existant, on réduit l’impact de chaque action humaine sur l’environnement

Prise séparément, chaque unité produite d’un bien tend à réduire son impact sur l’environnement, mais les biens augmentent en nombre, tandis que les nouveaux biens proposés par le marché requièrent davantage de ressources. Même les biens les plus simples sont peu à peu dotés de puces électroniques

De façon générale, il n’y a pas de vision systémique permettant de coordonner ces différentes politiques sectorielles

L’exemple des déchetsL’exemple des déchets

Le recyclage augmente… mais les déchets augmentent depuis les années 1960 à un rythme de 1 à 2% par an

Les conséquences :– augmentation sensible du

coût

– gaspillage des ressources

– Accroissement des nuisances liés à la gestion des déchets (transport, traitement…)

Un produit emblématique : le

DVD jetable

Un produit emblématique : le

DVD jetable

Un principe : durée de vie limitée à 8 heures

L'effacement automatique du DVD-D est rendu possible grâce à un procédé technique consistant à altérer la couche d'aluminium, présente à la surface du disque, par une substance non-toxique libérée au moment de l'ouverture de l'écrou fixé sur le DVD-D.

Avantages annoncés :– même gamme de prix qu'une location en vidéo-club

– aucun retour en magasin requis

– pas d'enregistrement nécessaire

– pas de pénalité

– durée de vie illimitée (tant que l'écrou de sécurité n'est pas enlevé) et écologique. (les DVD sont annoncés comme étant recyclables).

45

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Le système économique dans lequel nous

vivons établit toute une série d’évidences

indiscutables :

Le système économique dans lequel nous

vivons établit toute une série d’évidences

indiscutables :

– l’accroissement de la consommation est source d’accroissement de bien-être

– tout bien qui trouve une demande solvable est légitime

– les questions de société, sociales ou environnementales, trouvent leur réponse par l’introduction d’instruments économiques (taxes, permis négociables) venant corriger les défaillances du marché

– la croissance est un préalable indispensable à toute politique visant à résoudre les problèmes

– L’innovation est essentiellement guidée par le marketing, lui-même préoccupé de trouver des opportunités de marché et donc de croissance

Nous confondons les moyens

et les fins

Nous confondons les moyens

et les fins

Quelles sont les fins d’une société ?

– Est-ce le développement ou la croissance ?

– Est-ce le bien-être ou la consommation ?

– Est-ce la valeur d’usage ou la valeur

d’échange d’un bien qui compte ?

– Faut-il produire des biens pour subvenir à

des besoins, ou faut-il consommer afin de

trouver des débouchés à ce qui est produit ?

Le cadre systémique dans

lequel nous vivons est le

suivant :

Le cadre systémique dans

lequel nous vivons est le

suivant :

Accroissement de production =

accroissement de consommation =

accroissement d’échanges profitables =

accroissement de profit = accroissement

de richesse = développement, progrès

social, civilisation

(C. Coméliau, La croissance ou le progrès,

Seuil, 2006)

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Ce système est-il viable ?Ce système est-il viable ?

Ce modèle, dit de « société de consommation » est à l’origine de nos « trente glorieuses »

Les sociétés occidentales ont connu une période de prospérité exceptionnelle, grâce notamment à une énergie à très bas prix, et au détriment du développement d’autres régions du monde

Tout ce qui favorise l’accroissement du PIB est évalué positivement

Plus récemment, tout marché libéralisé ne peut que profiter au consommateur et, partant, à la société

C’est le changement d’échelle

qui complique les choses

C’est le changement d’échelle

qui complique les choses

L’accroissement continu du trinôme

production – consommation – profit

a besoin d’espace � extension de

la sphère marchande

– extension au détriment de la sphère

privée et de la sphère étatique

– extension géographique et

mondialisation du système

Qu’est ce que la mondialisation ?Qu’est ce que la mondialisation ?

Selon l’OCDE, la mondialisation résulte des effets conjugués de la libéralisation des échanges, de l’accroissement des flux d’investissements internationaux, de l’amélioration rapide et de la baisse des coûts de communication, de la rapidité del’innovation technologique, ainsi que de la généralisation des programmes de réforme économique et de la multiplication des institutions et des accords multilatéraux.

La mondialisation nourrit la croissance économique enouvrant de nouvelles perspectives d’accroissement des revenus, en accélérant la diffusion des connaissances et des technologies et offrant de nouvelles possibilités de conclure des partenariats internationaux.

46 47

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La mondialisation est avant tout

une progression exponentielle

de la sphère marchande

La mondialisation est avant tout

une progression exponentielle

de la sphère marchande

A terme, nulle région du monde ne va échapper à la marchandisation de son patrimoine humain et naturel qui est en fait du capital à exploiter

Les politiques sociales et environnementales n’ont de légitimité qu’en ce qu’elles permettent l’accumulation de capital. Les coûts de ces politiques sont des investissements pour éviter des coûts plus élevés à long terme, coûts qui entraveraient le potentiel de croissance économique

De fait, même un grand nombre d’initiatives prises au nom du développement durable, parce qu’inscrites dans un schéma global de marchandisation, contribuent à renforcer le système et à en affaiblir la viabilité

Les agro-carburants

mondialisés

Les agro-carburants

mondialisés

Les projets s’élaborent selon une logique qui reproduit le fonctionnement des marchés pétroliers

Certaines ressources se trouvent fortement mobilisées à un niveau mondial

Ex de l’huile de palme : production en plein essor pour les besoins en agro-carburants de pays riches (Pays-Bas, Finlande…)

Les forêts équatoriales, mais aussi de nombreuses mangroves sont détruites afin de produire de l’huile de palme

Les sols se dégradent et les pesticides polluent les rivières.

Les salaires des ouvriers sont misérables et les communautés locales vivent dans des conditions indécentes.

De façon plus générale, une étude récente de l’OCDE questionne sérieusement l’intérêt des efforts à accomplir pour parvenir, dans le meilleur des cas, à subvenir à 13% des besoins en carburants

Quant à la FAO elle s’inquiète des conséquences possibles en termes d’accès à l’alimentation des populations défavorisées

Mondialisation de la

marchandisation et

développement durable

Mondialisation de la

marchandisation et

développement durable

La plupart des questions qui nous

préoccupent aujourd’hui n’ont pas

pour origine la mondialisation, mais

l’hégémonie de l’économie

marchande sur tout autre principe

sociétal

La mondialisation ne fait

qu’amplifier le mouvement48

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La mondialisation marchande

engendre de forts besoins de mobilité

La mondialisation marchande

engendre de forts besoins de mobilité

Le déplacement des hommes et des

biens connaît une croissance

spectaculaire

Son impact sur la biosphère

s’accroît également à grande

vitesse, car il est couplé à une

exigence de rapidité, de vitesse

Quelles activités émettent le

plus au niveau mondial ?

Quelles activités émettent le

plus au niveau mondial ?

Et dans les pays riches ?Et dans les pays riches ?

Etats-Unis, 2004 France, 2004

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Le transport véhicule aussi

des hôtes indésirables

Le transport véhicule aussi

des hôtes indésirables

Des espèces animales se « mondialisent » elles- aussi, grâce au transport aérien ou au transport de pneumatiques

A l’instar du moustique tigre (Aedes albopictus) certaines espèces (Aedes aegypti également), s’adaptent et profitent même du changement climatique pour accroître leur habitus

Il s’agit d’autant de porteurs potentiels de virus (dengue, fièvre jaune, chikungunya…) pour les années à venir qui essaiment à travers le monde

Ce qu’implique un déplacement aérien

par rapport au changement climatique

(www.manicore.com)

Ce qu’implique un déplacement aérien

par rapport au changement climatique

(www.manicore.com)

Emissions de gaz à effet de serre, en kg

équivalent carbone, engendrées par les

vacances de 4 personnes (www.manicore.com)

Emissions de gaz à effet de serre, en kg

équivalent carbone, engendrées par les

vacances de 4 personnes (www.manicore.com)

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La mondialisation du tourisme :

effets pervers

La mondialisation du tourisme :

effets pervers

Sentiment dans les pays du sud de

disposer d’un moyen de se développer

mais :

– Fort impact sur le changement climatique

– Pression sur des écosystèmes parfois

fragiles

– Forte dépendance par rapport aux pays

riches

– Forte dépendance du coût du transport

Des mythes à

déconstruire

Des mythes à

déconstruire

Le mythe de la croissance infinie se traduit par l’équation « plus = mieux »

Le mythe de la maîtrise de l’espace, couplé au mythe de la maîtrise du temps nous fait considérer naturel de nous déplacer toujours plus loin et toujours plus vite

Le mythe de la maîtrise de la nature nous fait vivre sans tenir compte des contraintes physiques et climatiques. Nos horaires de vie ne respectent plus aucun rythme naturel

La réalisation de l’ensemble de ces mythes ferait de nous des «surhommes » (volonté de puissance)

Les mythes de notre système se

heurtent à l’entropie systémique

Les mythes de notre système se

heurtent à l’entropie systémique

Les principes de la thermodynamique

sont impitoyables

L’accroissement indéfini de la

production, couplé à la volonté de «

maîtriser l’espace-temps », mais aussi de

ne plus tenir compte des contraintes

climatiques, nous pousse à l’envers du

développement durable

50 51

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On continue à invoquer la croissance économique comme préalable à toute action politique

Toute réflexion sur les mesures à prendre est enserrée dans ce carcan idéologique

Une véritable stratégie de développement durable doit être capable de remettre à plat les questions et de remettre en cause le système existant

Par où passe le changement ?Par où passe le changement ?

C’est notre façon de concevoir la société qui est à revoir :– Réintégrer les contraintes de notre

environnement

– Redéfinir collectivement les objectifs de développement de la société en fonction de ces contraintes

– Un choix de société s’impose : la question des limites de la marchandisation et du règne du tout économique mérite pour le moins d’être posée collectivement

52

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Les objectifs du

développement durable

Les objectifs du

développement durable

Trouver le bon équilibre entre

objectifs sociaux,

environnementaux et économiques,

en les conciliant là où cela est

possible

Etablir des priorités adaptées au

contexte local

Les déclinaisons du

développement durable

Les déclinaisons du

développement durable

Des changements dits « structurels » :– encourager une croissance économique bénéficiant

aux pauvres et réformer les politiques budgétaires préjudiciables aux pauvres ou favorisant la dégradation de l’environnement

– Veiller à ce que le patrimoine net de chaque pays reste constant ou croisse, ceci grâce à un système de prix intégrant les coûts environnementaux et sociaux

– Faire participer tous les acteurs de la société à la planification et à la prise de décision (démocratie participative)

Comment cela se concrétise-t-il

aujourd’hui ?

Comment cela se concrétise-t-il

aujourd’hui ?

Développement de technologies propres et généralisation du management environnemental dans l’industrie

Recyclage des déchets

Maîtrise de l’énergie et des dépenses en ressources naturelles

Accroissement efficacité énergétique

Protection de zones naturelles et d’espèces menacées

Aides au développement des pays défavorisés

Traitement social de l’inégalité

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.Le principe de précaution face aux enjeux de la chimie

Présentation de Denis Grison

2.

54 55

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 1

Le principe de précaution face

aux enjeux de la chimie

« La science trouve, l’industrie applique, l’homme s’adapte »

Exposition universelle de Chicago, 1933

« Nous devons passer de l’esprit de conquête à l’espritd’association »

B. de Jouvenel, Arcadie, essais sur le mieux-vivre

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 2

Sommaire général

I. Le principe de précaution

II. Le principe de précaution: quelle application en chimie?

III. Du principe de précaution à la précaution

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 3

I. Le principe de précaution

1. Rapide historique2. Le principe de précaution dans les textes3. Le double objectif du principe de

précaution4. Le domaine du principe de précaution5. Le déclenchement du principe de

précaution6. Le contenu du principe de précaution7. La question de l’expertise8. Quelle analyse des risques?9. Principe de précaution et délibération

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 4

1. Rapide historique

� Années 1970: Le Vorsorgeprinzip

� A partir de 1984: Les conférences sur la mer du nord

� 1992: Le Sommet de la terre de Rio

� 1992: Sommet de Maastricht

� 1995: Loi Barnier

� 1997: Protocole de Kyoto

� 2005: Ratification du protocole de Kyoto

� 2005: Charte de l’environnement

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 5

2. Le principe de précaution dans les

textes

� « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissancesscientifiques, pourrait affecter de manière graveet irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Article 5. – Constitution française, Charte de l’environnement

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 6

Précaution et prévention

� Trois degrés dans l’incertitude: le risque, l’incertain, l’indéterminé

� Risque prévention

� Incertitude, indéterminationprécaution

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 7

3. Le double objectif du pp

� Parer, dans la mesure du possible, les « nouveaux » risques

� Mieux gérer la perception de ces nouveaux risques (question de l’acceptabilité)

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 8

4. Le domaine du pp

� L’environnement

� La santé Arrêt CJCE 1998

� L’alimentation Règlement CE 2002

� Et, plus généralement, toutes les conséquences de l’innovation technologique

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 9

5. Le déclenchement du principe de

précaution

� Des risques « graves et irréversibles »

� Des risques collectifs, souvent différés

� Des risques incertains

Voir D. Bourg, « Précaution: un principe problématique mais nécessaire », Le Débat, mars- avril 2004 (rédigé avec K. Whiteside)

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 10

6. Le contenu du principe de précaution

� Evaluation des risques� Prise de mesures « proportionnées et

provisoires »� Communication: information,

transparence, association de la société civile

� Ce qui en jeu avec le principe de précaution: l’articulation de l’expertise et de la participation citoyenne: où placer le curseur?

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 11

7. La question de l’expertise

� L’expertise: indispensable, impossible?

� Prendre au sérieux les controverses

� Une obligation: réformer l’expertise

� Les différents modèles d’expertise

� Ce qui est en cause: un nouveau regard sur les risques. Les experts ne peuvent plus trancher seuls

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 12

8. Quelle analyse des risques?

� C’est d’un nouveau regard sur les risques que nous avons besoin

� Le modèle standard d’analyse des risques

� La théorie sociale du risque

58 59

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 13

9. Principe de précaution et

délibération

� Tout ceci conduit logiquement à rechercher la participation citoyenne

� La mise en œuvre du principe de précaution se fera par l’intermédiaire de structures délibératives comme:

- Les Conférences de citoyens

- Les CLI (Comité local d’information)

- Les CLIS (Commission locale d’information et de surveillance)

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 14

Conclusion: le principe de précaution,

pas sa caricature!

� Ce qui est acquis: un cadre solide pour son application

� Ce qui reste débattu: la plus ou moins grande prise en compte de la participation citoyenne

� La précaution: non pas plus de prudence, mais une nouvelle prudence

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 15

Sommaire général

I. Le principe de précaution

II. Le principe de précaution: quelle application en chimie?

III. Du principe de précaution à l’esprit de précaution

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 16

II. Le principe de précaution: quelle

application en chimie?

1. La chimie et les risques

2. Quels points d’application pour le principe de précaution en chimie?

3. Reach et le principe de précaution

4. La chimie, pasteurienne ou faustienne?

5. Le principe de précaution, meilleur allié de la chimie?

6. Du principe de précaution à la précaution

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 17

1. La chimie, les risques,

l’environnement et la santé

� Des risques avérés- Le risque de catastrophe (Bhopal, Seveso, AZF)- Le risque environnemental (les pesticides, les

nitrates, le pyralène)- Le risque sanitaire (l’amiante)

� Des risques suspectés:- Les éthers de glycol

� Le fort « potentiel imaginaire » de la chimie, accusée de produire:

- une société cancérigène - une société ennemie de la nature (l’âge du

plastique)

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 18

2. Quels points possibles d’application

pour le principe de précaution en

chimie?

� Risques avérés: prévention

� Risques suspectés: principe de précaution

� L’ "imaginaire du risque": principe de précaution (question de l’acceptabilité des risques)

60 61

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 19

3. Reach et le principe de précaution

Les risques visés par Reach:

� Des risques graves et irréversibles

� Des risques invisibles et cumulatifs

� Un contexte d’incertitude scientifique

� Des mesures proportionnées, des demandes raisonnables

En conclusion: Reach, une bonne application du principe de précaution

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 20

4. La chimie, pasteurienne ou

faustienne?

� Un constat: la science, entre Pasteur et Faust – une image ambivalente

� Le risque de divorce entre la science et les citoyens

� La mauvaise image de la chimie

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 21

5. Le principe de précaution, meilleur

allié de la chimie?

� Le principe de précaution, une bonne réponse si l’on veut réconcilier les citoyens et la science (la chimie en particulier)

� Mais il faut élargir la réflexion…

� Mon hypothèse: Reach ne suffit pas, il faudra aller plus loin…

62

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 22

6. Plus loin… vers la précaution

� Les problèmes qui se posent à nous aujourd'hui: quel rapport à la nature ? Comment faire société et gouverner le monde au temps des technosciences?

� Le principe de précaution: une première étape, mais une étape seulement…

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 23

Sommaire général

I. Le principe de précaution

II. Le principe de précaution: quelle application en chimie?

III. Du principe de précaution à la précaution

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 24

III. Du principe de précaution à la

précaution

1. Un regard sur l’histoire de la chimie

2. Quel rapport à la nature aujourd’hui?

3. Risques et effets

4. Les conditions d’une société durable

5. Les composantes de la précaution

6. Place de la chimie dans une société durable

63

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 25

1. Ce que nous apprend l’histoire…

� L’alchimie

� L’ère moderne: la chimie mécaniste (XVIIème)

� Naissance de l’industrie chimique (XIXème)

� L’ « âge du Nylon » (XXème)

� La nanochimie, et puis…? (XXIème)

� Pas de limite à l’artificialisation de la nature?

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 26

2. Quel rapport à la nature aujourd’hui?

� Une forte tension entre…

- une vision hyper-réductionniste de la nature et sa contestation « holiste »

- une rationalité agressive et une sensibilité parfois exagérée

� Une crise écologique majeure

� Pour un nouveau pacte avec la nature

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 27

3. Risques et effets des innovations

technoscientifiques

� IL faut distinguer risques et effets (exemple des OGM)

� Les effets:

- Effets ontologiques

- Effets épistémiques

- Effets métaphysiques

- Effets moraux

Cf J.P Dupuy, en particulier Le Débat, mars 2004

64

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 28

Effets ontologiques

� Le triomphe de l’artefact et du virtuel

� Quelle expérience de l’être? « l’être, c’est ce que nous avons fabriqué »

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 29

Effets métaphysiques

� Déplacement des grandes catégories: le naturel non vivant, le vivant et l’artefact tendent à fusionner

� Le « passif » effacé par l’ « actif »: « la nature, c’est comme je veux! »

� Plus de limites?

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 30

Effets épistémiques

� Une vérité sans transcendance: « Verum et factum convertuntur » (Vico, philosophe italien du début du XVIIIème)

� Mépris des sciences de l’observation (sciences « naturelles »)

64 65

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 31

Effets normatifs et moraux

� La technique apporte avec elle des normes sociales (ses passagers clandestins)- exemple des OGM, de l’ADN

� Une menace d’effacement des fins par les moyens (fascination des moyens et oubli de la fin)

� La question morale elle-même tend à s’effacer

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 32

4. Les conditions d’une société durable

� Considérer l’ensemble des effets de nos innovations (et pas seulement les risques)

� Une bonne expertise et une bonne délibération: les deux étant liées

� Plus largement, il nous faut inventer une « démocratie technique » fondée sur la précaution

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 33

5. Les composantes de la précaution

� Une métaphysique : le monde incertain

� Une philosophie de la nature

� Une philosophie de l’action

Qui conduisent à …

� Une nouvelle pratique scientifique et technique

66

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 34

Une métaphysique : le monde incertain

� Il faut distinguer ce que j’appelle le « monde incertain » de la simple « incertitude dans le monde »

� Le monde incertain: un monde voué à l’incertitude

� Un nouveau « socratisme »

� Une métaphysique très inconfortable

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 35

Une philosophie de la nature …

� Qui associe:

- L’étude de la nature: la dimension cognitive

- Les sentiments de la nature: la dimension esthétique

� Qui sache situer l’homme dans la nature – penser à la fois son appartenance et sa transcendance

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 36

Une philosophie de l’action

• Le triangle de l’action

théoria

poéisis praxis

• La nécessaire réhabilitation de la praxis: vers une « démocratie technique »

67

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 37

Une nouvelle pratique scientifique et

technique : la « mise en délibération »

� Un esprit d’ouverture, un décloisonnement des disciplines

� L’apprentissage de la "pluri" et de l’"inter"disciplinarité

� Une place et un rôle pour les SHS

� L’association du public (usagers,citoyens)

� Une science et une technique plus modestes

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 38

7. Place de la chimie dans une société

durable

� La chimie est centrale par rapport à tous ces enjeux

� La place de la chimie dans une société durable: on ne peut se passer de chimie

� Pour un virage résolu vers une vraie chimie verte (pas réduite à un habillage)

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 39

Conclusion sur l’esprit de précaution

� Rompre avec l’idéologie du progrès

� Inventer une nouvelle culture: la précaution

� La précaution, nouveau paradigme du progrès

68

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 40

Conclusion générale: pourquoi

introduire la précaution en chimie

� Adopter une attitude plus modeste… et responsable!

� Rétablir la confiance

� Participer à la mise en œuvre d’une science-citoyenne

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 41

« La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès le plus grand défi pour l’être humain que son faire ait jamais entraîné »

« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre »

Le principe responsabilité, H. Jonas

*

Responsabilité!

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 42

Bibliographie

� Le principe de précaution, Rapport au premier ministre, P. Kourilsky et G. Viney, O. Jacob, 2000.

� Le principe de précaution, parer aux risques de demain, D. Bourg et J.L Schlegel, Seuil, 2000.

� Traité des nouveaux risques, O. Godard, C. Henry, P. Lagadec, E. Michel-Kerjan, Gallimard, 2002

� Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, P. Roqueplo, INRA éditions, 1997.

68 69

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 43

Les différents modèles d’expertise

� Le modèle du « citoyen-témoin »

� Le modèle de « l’expertise à deux cercles »

� Le modèle du « juge »

� Le modèle du « citoyen-membre »

Cf B. Chevassus-au-Louis, Analyse du risque alimentaire: vers de nouvelles pratiques, Conférence de l’OCDE sur la sécurité alimentaire, Edimbourg, 2000.

*

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 44

Le modèle standard…

Ce modèle d’approche des risques est:

� positiviste� quantitatif � réductionniste� technocratique

Cf B. Chevassus-au-Louis, conférence déjà citée (OCDE à Edimbourg)

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 45

…est en crise

� Rythme de la recherche < rythme de l’ innovation

� “Confusion” entre le laboratoire et le monde; en particulier sous-estimation du facteur humain

� Négligence des effets d’interaction

� Non prise en compte des temps longs, des changements d’échelle et de niveauxd’organisation

*

70

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 46

Théorie sociale du risque

Prise en compte des traits « qualitatifs » du risque:

� le caractère volontaire ou involontaire

� le caractère connu ou inconnu

� les conséquences immédiates ou différées

� l’aspect juste ou injuste

� le potentiel catastrophique ou non

� la confiance ou non que l’on peut avoir dans l’évaluation de ce risque

Cf travaux de P. Slovic et C. Marris *

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 47

Quatre attitudes face aux controverses

� Négationniste

� Dénonciatrice

� Le recours à l’arbitrage extérieur

� La reconnaissance des vertus de la controverse: la placer au centre de la procédure d’expertise

*Cf B. Chevassus-au-Louis, La Recherche, numéro spécial, février

2001.

22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 48

Proportionnalité

� Gravité

� Niveau de sûreté recherché

� Coût (direct, opportunité)

� Caractéristiques des hypothèses

Observabilité

Réductibilité

Plausibilité

70 71

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22 octobre 2007 D. Grison, IUT Nancy-Brabois 49

Plausibilité

� Simple conjecture

� Hypothèse non étayée

� Hypothèse étayée

� Hypothèse validée de façon isolée

� Hypothèse majoritairement acceptée

� Résultat avéré

Cf O. Godard, Traité des nouveaux risques, Gallimard, 2002 *

72

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Les pratiques de la chimie face aux risques technologiques

Présentation de Cyrille Harpet

3.

73

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30/10/2007 1

Séminaire CNRS

Chimie et DD

Les pratiques en chimie face aux risques technologiques

Harpet Cyrille, prof.INSA Lyon

30/10/2007 2

sommaire

La chimie : science, langage, pratique

Perception des risques

Entrevue avec 10 chimistes

Chimie, risques et précaution

30/10/2007 3

Chimie :

Science,langage, pratiques

Chimie face aux risques technologiques

74

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30/10/2007 4

La chimie comme science

La chimie : une science

de la structure (état, organisation) de la matière

des réactions de la matière

Expérimentale

une pratique de transformation de la matière

Une science raisonnée

30/10/2007 5

Science déterministe (pensée classique)Observation répétée des réactions

Certitude des réactions

Réactivité déterminée par la structure des espèces présentes

Or caractère aléatoire de réactions :

Soude NaOH et chloroéthane (H3C-C-CH2-Cl) = éthanol• réaction prévisible statistiquement

l’échelle macroscopique

• incertitude sur « où », « quand », « comment »…à l’échelle micro…

La chimie

30/10/2007 6

Incertitude et prévision

Rendre certain le probableRéactions parfois inobservables à l’échelle micro

Qualifiées d’inexistantes à l’échelle macro

Réactions possibles théoriquement mais non réalisées• cas O2 + H2, conditions cinétiques insuffisantes

augmenter les chances de réalisationpar augmentation du nombre de molécules en présence

Par taille de l’échantillon

statistique valable si échantillon suffisant

75

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30/10/2007 7

Un langage scientifique

La chimie et son langage

Tableaux et langages de la chimie

(F.Dagognet)

Langage spécifique

Langage ésotérique

Langage combinatoire

Équations, calculs…

Représentations et modèles

30/10/2007 8

Un langage scientifique

Mais :

Sphère devenue hermétique

Recherche fondamentale

Investigations sub-moléculaires

Culture du « secret », du « discret »

Discipline « carrefour » entre

Physique

Biologie

Biochimie…

30/10/2007 9

Des pratiques…

Empiriques dans l’histoire alchimique

Un art des manipulations fines

Une découverte des lois fondamentales

de la matière

Un programme de recherche finalisée

• Décomposer (Lavoisier, 1789)

• Substituer (chimie du carbone, 1840)

• Synthétiser (Wöhler 1828, Berthelot 1860)

76

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30/10/2007 10

Un objet concret/abstrait

Matière à l’échelle moléculaire

Imperceptible, invisible, impalpable

Perception toujours « médiate »Matière

Ubiquitaire, circulante…Polymorphe (solide, liquide, gaz)

Matièresymbolisée (tableau de signes)modélisée

30/10/2007 11

Un objet concret/abstrait

Profusion naturelle des éléments et composés

Profusion exponentielle des « synthétiques »,

liée aux sciences et techniques

Expression combinatoire de la chimie

Ambivalence des éléments/composés (contre

un manichéisme élémentaire ou un mode

binaire)

30/10/2007 12

Profusion de la chimiosphère

Cas de la chimie organique

12 000 molécules en 1880

150 000 en 1910

500 000 en 1940

10 millions en 2000

Composés de synthèse sans équivalents dans la natureNon reconnaissance/ non assimilation des artefacts par les éco-systèmes

Octane C8H18

76 77

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30/10/2007 13

La chimio-organo-sphère

Molécules C à polyvalence élevéeLongues chaînes C facilement modifiables

• Additions

• Substitutions

• Éliminations

• Réarrangements

Plasticité des combinaisons atomiquesPlasticité matériologique

• Carburants, peintures, textiles, pesticides, colorants, plastiques, médicaments, explosifs…

modifiables

méthanol

30/10/2007 14

La vision moléculaire du chimiste

Investigation microscopique du monde

Matérialité infime et imperceptible

Tableau de signes / protocole expérimental

Combinatoire virtuelle / stratégie réactionnelle

Visée : produit + propriété + fonction

Analyse du processus réactionnel

Occultation des migrations/ dissipations

30/10/2007 15

La vision moléculaire du chimiste

Complexité affirmée de la matière/processus

Complexité occultée des éco-systèmes

Les nouvelles propriétés naissent des nouvelles combinaisons

Approche combinatoire des éléments /composés (modèle du mécano)

Additions

Soustractions /éliminations

Substitutions et réarrangements78

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30/10/2007 16

La vision moléculaire du chimiste

Angle « élémentariste »

« angle mort » : les éco-systèmes

Angle utilitariste

« angle mort » : défaut culture éco-toxicologie

Focalisation sur les produits et procédés

L’avenir de la chimie n’est-il pas dans une vision

des propriétés nouvelles à partir des éléments

existants ?

30/10/2007 17

Perceptions du risque

Enquête auprès de 10 témoins

30/10/2007 18

Un sondage

7 questions Chimie et risque

Panel limité à :

10 chimistes praticiens

• Ingénieurs de recherche publique

• Ingénieurs de R&D industrie

• Ingénieurs Environnement

Entre 25 et 70 ans

5 hommes / 5 femmes

Chimie et perception du risque

79

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30/10/2007 19

Qualités du chimisteRigueur, minutie, précision, précaution

Prévision, anticipation

Patience, observation,

Réflexion, esprit critique, réactivité

Goût de la matière, des expériences

Pédagogie, vulgarisation

communication

Chimie et perception du risque

Question 1

30/10/2007 20

Risques spécifiques en chimie

Chimie organique/minérale/ matériaux

Manipulation des produits

Processus de réaction et produits de réaction

Nature et propriétés des produits (CMR)Exposition continue / ponctuelle (risques aigus, chroniques)

Chimie et perception du risque

Questions 2-3

30/10/2007 21

Conditions de réaction

Température, Pression, Inflammabilité, Pulvérulence…

Risques des appareillages

Champs magnétiques, micro-ondes

Laboratoire / Pilote / unité production

État de la personne

Femmes enceintes, susceptibilité, sensibilité…

Chimie et perception du risque

Questions 2- 3

80

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30/10/2007 22

Exposition chronique

à un produit chimique CMR

Voie buccale, nasale, voie dermique.

Exposition accidentelle

(projection, brûlures chimiques et/ou

physiques.

Dommages corporels

(non-contrôle d’une réaction qui s’emballe).

Chimie et perception du risque

Questions 2-3

30/10/2007 23

Chimie et perception du risque

Sphères de risque

Étendue du risquerisque local pour le labo

Risque étendu en industrie

Quantités de produits // taille du risque• Dans l’absolu, moins de risques pris en laboratoire que

dans l’industrie.

Infrastructures de sécuritéDispositif de sécurité et moyens importants en unités industriellesRestrictions de moyens et ressources en laboratoires publics

Question 4

30/10/2007 24

Chimie et perception du risque

Sphères de risque

Identification de chaque salle en fonction des

risques potentiels.

Signalétique des différents niveaux de risques de

natures différentes (chimiques, biologiques, industriels)

chaque salle = une sphère de risque particulière

sphères de risque les plus importantes :

salles et bunkers de stockage (les plus contrôlées,

avec accès restreint).

Question 4

80 81

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30/10/2007 25

Chimie et perception du risque

Salle blanche (Dapnia CEA Saclay)

Danger électrique Matières dangereuses ou irritantes

Champ magnétique important

Risque biologique

30/10/2007 26

Chimie et perception du risque

Indications de produits dangereux

(IPS, instructions permanentes de sécurité)

30/10/2007 27

Chimie et perception du risque

Sphères de risque

Compétences des personnelsQualité de formationPrécautions et culture du risqueconnaissance des produits utilisésPratiques rigoureuses de manipulation

Pratiques collectives (mimétisme)Management du laboratoire/ unité

« le laboratoire est de fait une sphère de risque car c’est le lieu de recherche et donc de découverte de nouveaux produits »

Question 4

82

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30/10/2007 28

Dispositions face aux risque

On minimise les risques par habitude

On sécurise par des équipements

On sécurise par des procédures

• Analyse obligatoire du risque individuel,

collectif (labo, site et environnement local)

• Analyse préliminaire du risque encadrée par

des procédures strictes et nécessaires pour la

réalisation des actions.

Chimie et perception du risque

Question 5

30/10/2007 29

Formation aux risqueslimitée à la manipulation des produits sans évaluation/appréciation des conséquences au- delà des manipulations

Sensibilisé mais pas formé !

Pas de documents audio-visuels sur des accidents

Pas de mise en situation/simulations d’accidents contrôlés indispensables pour :• apprendre les bons gestes de protection, de secours

Simulations à une petite échelle (porter secours à un collègue)

Simulations sur un incident plus large (incendie)

Chimie et perception du risque

Question 6

30/10/2007 30

Seule l’expérience compteMais l’expérience ne se transmet pas

Intérêt des équipes mixtesNe jamais opérer seul !

La solitude en labo est la complice du risque !

Pratiques à risques : « on manipulait sans gants, car cela coûtait trop cher ».

« nous n’avions pas ou très peu de sensibilisation aux risques encourus ».

Chimie et perception du risque

Question 6

82 83

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30/10/2007 31

Principe de précaution

nombreux produits suspectés CMR mais sans preuve avérée

produits CMR manipulés comme si ils étaient cancérigènes.

mise sur le marché de produits CMR…

Milieu du travail parfois plus protégé des produits qu’à domicile• colles à iso-cyanates

• produits colorants pour les cheveux….

Chimie et perception du risque

Question 7

30/10/2007 32

Principe de précaution« une toute nouvelle réaction ne sera JAMAIS directement effectuée à l’échelle industrielle mais à la petite échelle d’un laboratoire avec des quantités suffisamment faibles pour que tout danger soit plus facilement maîtrisé »

étude dite de développement• montée en échelle (pilote, unité industrielle)

• appel à des ingénieurs ayant une connaissance particulière des risques.

problèmes de toxicité chronique, avec les micro- polluants et des solvants halogénés.

Chimie et perception du risque

Question 7

30/10/2007 33

La vigilance face au risque

« Dans les années 70, l’éveil au risque est

venu de l’extérieur, par la communication,

par les médias, par les catastrophes, par

les accidents rapportés par les collègues

dans l’industrie. »

84

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30/10/2007 34

niveaux de perception

Microscopique : à l’échelle des molécules (état, comportements, réactions)

Méso-scopique : du laboratoire et du procédé

Macroscopique : de l’installation et du site industriel

Mégascopique : de l’environnement global

Chimie et perception du risque

30/10/2007 35

Banalisation du risque

Espace confiné du laboratoire

Milieu appareillé d’instruments de sécurité

Quantités infinitésimales de produits

Réactions microscopiques

Perception « ego-centrée » du risque

Chimie et perception du risque

En laboratoire

Hotte chimique

Thumn Purair 10 20 30

Hotte chimique

Thumb-Purair 5

30/10/2007 36

Modèle réduit du procédé

Quantités de produits

Phase expérimentale

Dispositif de prévention

Risque physique de proximité

Perception « alter-ego centrée »

Chimie et perception du risque

En pilote industriel

http://www.salondelachimie.com/magazine/article44.html

plate-forme combinatoire d’automatisation de nouvelles formulations de principes actifs API

84 85

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30/10/2007 37

Échelle de l’usine (installation)

Stocks et réacteurs

Quantités industrielles de produits

Phase de production en continu

Dispositif de QHSE

Périmètre étendu du risque

Perception « socio-centrée »

Chimie et perception du risque

En unité industrielle

30/10/2007 38

Des molécules à usage spécifique

Pyralène

DDT

PCB

Une extension des usages hors champUne migration des molécules hors compartimentDes liaisons imprévues

Des produits de la techno-sphère

DDT

30/10/2007 39

Chimie, risques et précaution

86

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30/10/2007 40

Principe de prévention omniprésent

Le principe de précaution

Frein à l’expérimentation

Frein à l’innovation

Frein à l’exercice combinatoire systématique

Importe la culture de l’incertitude, de l’irréversible, de l’imprévisible

Chimie, risques et précaution

30/10/2007 41

Principe de précaution

Une limite pour la recherche ?

« le chimiste ne devrait appliquer que ce que les

lois lui préconisent.

Or même ces lois se trouvent « transgressées »

lorsque des expériences dérivent vers des

résultats inattendus, contre toute attente ».

Mais doit-on / peut-on développer

systématiquement les résultats des recherches ?

Chimie, risques et précaution

30/10/2007 42

Science artificialiste « contre » Nature

Profusion exponentielle des molécules de synthèse

Dissémination / propagation des artefacts

Réactions imprévisibles des artefacts hors de la chimiosphère

Conséquences irréversibles sur les organismes

Seuils d’irréversibilité sanitaire / écologique

Logique probabiliste hors champ réactionnel contrôlé

Chimie, risques et précaution

86 87

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30/10/2007 43

Risques collectifs

écologiques

Différés

Incertains

Graves et irréversibles

Chimie, risques et précaution

30/10/2007 44

Des signes alarmants

Érosion de la diversité biologique

Dégradation des écosystèmes

Risques santé - environnement

Propagation de polluants organiques

résistants (pops)

Bio-accumulation, bio-concentrations

Effets globaux

déplétion de la couche d’ozone

Changements climatiques

30/10/2007 45

Une érosion des services écologiques

disparition d’espèces : indicateur de santé des

éco-systèmes

disparition d’une espèce végétale = perte de

30 espèces associées

insectes, plantes, espèces supérieures

cf US fish and wildlife service cf US fish and

wildlife service

oiseaux disséminateurs des semences végétales

(cas du Dodo + disparition arbres + autres

oiseaux terrestres et d’eau)

88

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30/10/2007 46

L’affaire Carson

- Parution en 1961

- ouvrage scientifique

- 500 références scientifiques

- Polémique et commission JFK

30/10/2007 47

Une érosion des services écologiques

40% des prescriptions médicales au monde basées sur des

substances naturelles

Industrie pharmaceutique (400 milliards de dollars)

Des ressources disponibles :

Digitale pourpre : substance « digitaline », extraite, traitement

cardiaque

Vincristine, extraite de la pervenche rosée tropicale (traitement anti-

leucémique et maladie de Hodgekin)

Substances actives anti-cancéreuses provenant de 3000 plantes (70

tropicales)

5% des végétaux étudiées pour leur application pharmacologique

30/10/2007 48

Directive REACH en vigueur au 1 juin 2007

10 ans de débats

Industries/associations/institutions

Remise en question des procédures

Prouver l’innocuité et non plus la dangerosité

Révision des modes de mise sur le marché

Réduction des « portefeuilles de molécules »

My Terror is REACH

89

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30/10/2007 49

Les nanotechnologies

Nano-monde : Échelle 10-6

Machines, produits, procédés

objets nanoscopiques

Imperceptibilité des éléments, des réactions

et des migrations

Diffusion infinitésimale et ubiquitaire

Infiltrations insidieuses

Les batailles des NANO

30/10/2007 50

Une chimiosphère

Expansive et au service des industries

Une chimie « démiurgique »

artefacts, démultiplication des molécules de synthèse

Des manipulations micro aux effets macro

La dérive des produits et sous-produits

disséminations, migrations, bio-accumulations…

Incertitude et complexité

de l’évolution des composés dans les milieux

Approches globale et systémique absentes

Une révolution de la chimie ?

Conclusion

30/10/2007 51

« si la chimie m’était contée » (Paul

Arnaud, Belin, 2002)

« la chimie nouvelle » (Pierre Lazlo,

Flammarion, 1995)

« Histoire de la chimie » (B.Bensaude-

Vincent, I.Stengers, La Découverte, 1995)

« Tableau et langages de la chimie »

(F.Dagognet, Champ-Vallon, 2005)

Références

90

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30/10/2007 52

Contacts :Cyrille HarpetProfesseur associé INSA LYONCentre des humanités

Tél 04 72 43 71 21

Courriel : [email protected]

91

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La nouvelle réglementation communautaire des substances chimiques au service du développement durable

Présentation de Sonia Desmoullin

4.

9392

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La nouvelle réglementation communautaire des substances chimiques au service du

développement durable

Avancées et limites du règlement REACH

Sonia DesmoulinChargée de recherche

CNRS – Université Paris IUMR 8103, CRDST

9, rue Malher 75004 Paris

REAChRegistration, Evaluation, Authorisation and

Restriction of Chemicals

Quelques chiffres… 9 ans de discussions. 1 Livre blanc de la Commission européenne: « Stratégie pour une

future politique chimique » (27 février 2001, COM (2001) 88 final).

6000 réactions lors la consultation publique organisée par la Commission européenne en 2003.

1 Règlement (Règlement n°1907/2006) de 850 pageset 1 directive (directive n°2006/121/CE), adoptés le 30 décembre 2006.

1 nouvelle Agence Européenne des produits chimiques (ECHA)

Les objectifs et les principes fondateurs du Règlement Reach

! Article 1:« Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de

protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la librecirculation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. » (point 1)

« Le présent règlement repose sur le principe qu’il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval de veiller à fabriquer, mettre sur le marché ou utiliser des substances qui n’ont pas d’effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement. Ses dispositions reposent sur le principe de précaution. » (point 3)

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Précaution et développement durable

Le principe de précautionArticle 174, Traité CE (consolidé)

Jurisprudence CJCE

Art. L. 110-1, C. env. (Loi Barnier, 1995)

Art. 5, Charte pour l’environnement, 2005

L’absence de certitudes, compte tenu

des connaissances scientifiques et

techniques du moment, ne doit pas

retarder l’adoption de mesures

effectives et proportionnées visant à

prévenir un risque de dommages

graves et irréversibles.

Le développement durableArticle 6, Traité CE (consolidé)

Jurisprudence CJCE

Art. L.110-1 C. env. (Loi Barnier 1995)

Art 6, Charte de l’environnement, 2005

L’objectif de développement durable

vise à satisfaire les besoins de

développement et la santé des

générations présentes sans

compromettre la capacité des

générations futures à répondre aux

leurs.

Le Règlement Reachau service du développement durable

Avancées

Simplification du droit

Rupture avec le droit antérieur qui discriminait les produits en fonction de leur date de mise sur le marché. Substances dites « existantes »: mises sur le marché avant sept. 1981

(directive n°76/769; Règlement n° 793/93): pas d’enregistrement,recherche de toxicité et d’écotoxicité par les États, liste noire.

Substances dites « nouvelles »: mises sur le marché après sept. 1981(directive n°79/831 amendant la directive n°67/548): notification, évaluation par les producteurs, soumission aux États membres.

100 106 produits chimiques dits « existants »; 1 200 seulement,auraient été effectivement testés par les autorités.

3000 substances nouvelles notifiées en 2002. Certains Etats s’alarment dès 1998; la Commission européenne

dresse un constat d’échec dans son Livre blanc en 2001.

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Enregistrement des substances

Enregistrement de toutes les substances chimiques à partir d’1 tonne par an et par producteur/importateur, sauf exceptions.

Enregistrement des substances contenues dans les « articles » à partir d’1 tonne, dès lors qu’elles sont destinées à être rejetées (0,1% w/w pour STP).

Production d’un dossier contenant des informations standard, parfois une première évaluation (en interne), parfois des propositions d’essai. La demande d’information augmente avec le tonnage de production (1 t., 10 t., 100 t., 1000 t.).

Évaluation

Production d’un Rapport sur la sécurité chimique à partir de 10 tonnes par an et par producteur/importateur.

Obligation pour les utilisateurs en aval de participer à l’évaluation des risques et de proposer des mesure de maîtrise des risques pour les utilisations nouvelles, non décrites voire déconseillées.

Contrôle des dossiers d’enregistrement et des rapports de sécurité (ECHA).

Élaboration d’un Plan d’action continu communautaire d’évaluation des substances (ECHA + Etats).

Seconde évaluation des substances par les États.

Procédure d’autorisation, objectif de Substitution, Restrictions

Pour les substances très/extrêmement préoccupantes: CMR (directive 67/548/CEE), PBT, vBvP, et substances « suscitant un niveau de préoccupation équivalent ».

Procédure d’autorisation, même pour production inférieure à 1 t. par an/producteur ou importateur.

Evaluation approfondie et Possibilité de restrictions, voire refus d’autorisation en cas d’alternative plus sûre, d’absence de contrôle adéquat...

Incitation à la substitution par des produits plus sûre (analyse des solutions de remplacement, restriction…)

Régime spécial pour la R&D afin de ne pas entraver l’innovation.

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Le Règlement Reachau service du développement durable

Limites

Le champ d’application de Reach

Exclusions et exemptions(exclusions: déchets, intermédiaires isolés, dispositifs médicaux et produits cosmétiques en tant que produits finaux, médicaments, aliments; exemptions: Annexes IV et V)

Seuils pour l’enregistrement et la production de données de sécurité:1 t. pour l’enregistrement, 10 t. pour le rapport de sécurité chimique=> 30 000 substances sur 100 000 environ sur le marché.=> Le seuil de notification des substances « nouvelles » était de 10 kg dans la législation antérieure.

Impossibilité pour un Etat membre de maintenir une réglementation plus exigeante.

Les insuffisances de Reach

Insuffisance des données à produire lors de l’enregistrement au regard des critères de détermination des substances très/extrêmement préoccupantes.

Rôle premier de l’industriel dans la recherche d’une alternative techniquement et économiquement viable à une substance très/extrêmement préoccupante (analyse des solutions de remplacement fournie par le demandeur).

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Les incertitudes de Reach

La politique de l’Agence (ECHA) Priorités (plan d’action continu d’évaluation)

Interprétation de notions clés (ex.: alternative techniquement et économiquement viable; avantages sociaux et économiques contrebalançant les effets négatifs des PBT et vBvT)

Les outils techniques manquants?

Les incertitudes liées aux innovations technologiques: l’exemple des nanoparticules.

Quid des nanoparticules et des nanomatériaux?

(Quelques exemples en image tirés de l’inventaire établi par le Woodrow Wilson Institute)

S. drive Tireby Yokohama TireCorporation

NS Drive Tennis racket by Babolat Nano TiO2 Air Purifier by Kind Home Ind. Co. Ltd.

TiO2 Automotive Sunscreen by Nano Chemical Systems Holdings, Inc.

Nano Shoe Pads “Deodorant soles multi-functionalnano Nanoparticles finely

Air Sanitizer (with nano silver)by Shenzhen Become Industry

Daewoo Washing Machine by Daewoo (with silver nanoparticles)

Nanotubes de carboneremplissant des fissuresdans un composite cimentaire

Quelques rapports sur les nanoparticules et les nanomatériaux

Royal Society. 2004. Nanoscience and nanotechnologies: Opportunities and uncertainties.

DEFRA. 2005. Characterising the potential risks posed by engineered nanoparticles. A first U.K. Government research report. London, England.

SCENIHR (Commission européenne). sept. 2005. Opinion on The appropriateness of existing methodologies to assess the potential risks associated with engineered and adventitious products of nanotechnologies.

CPP. mai 2006. Nanotechnologies, Nanoparticules. Quels dangers, Quels risques?

AFSSET. juillet 2006. Les nanomatériaux. Effets sur la santé de l’homme et sur l’environnement.

COMETS. oct. 2006. Enjeux éthiques des nanosciences et nanotechnologies. CCNE. janv. 2007 Avis n° 96, Questions éthiques posées par les nanosciences, les

nanotechnologies et la santé.

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Le principe de précaution

Art. L. 110-1, Code de l’environnement (Loi Barnier, 1995)! Principe « selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des

connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pasretarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable »

Article 5, Charte pour l’environnement (1er mars 2005)! Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état

des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Frequently asked questions on REACH by Industry

Does REACH apply to nano-particles?

Yes.Substances in the nano-scale fall under the scope of REACH and

their health and environment properties must therefore be assessed following the provisions of the Regulation.

The nanoform of a substance can be registered as part of the registration for the non-nano form of the substance.

Merci de votre attention

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La chimie verte : promesses et limites

Présentation de Paul-Marie Boulanger

5.

Quelle place pour la chimie dans une société durable ? - Lundi 22 octobre 2007 101100

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Institut pour un Développement Durable

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La chimie verte:

Promesses et limites

P-M Boulanger

Colloque “Quelle place pour la

chimie dans une société durable”

PARIS 22/10/2007

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L’industrie chimique dans le

monde

• 7% du PIB mondial,

– Dont 80% dans seulement 16 pays

• 9% du commerce mondial

• Croissance attendue: +85% en 2020 (% 1995)

• Champions de la croissance des 50 dernières

– en volume: les plastiques à base de pétrole

– En valeur: les produits pharmaceutiques

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Problèmes..

• 75.000 produits chimiques en usage commercial aux USA: les effets sur la santé et l’environnement de très nombreuses substances chimiques sont encore inconnus

• 3,5 millions de tonnes de plus de 650 substances toxiques libérés dans l’environnement aux USA en 2000 (partie émergée de l’iceberg)

• Les industries chimiques aux USA dépensent chaque année 10 milliards de $ en R&D sur les questions environnementales

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Pression environnementale et

valeur ajoutée

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Vecteur cumulé de charge

environnementale

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Pression environnementale et

VA par secteur (Pays-Bas)�

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Un réponse: la chimie verte

• Inventée début des années 90 à la National Science Foundation et au « Council for Chemical research ».

• Adoptée par l’Environment Protection Agency en 1995

• Depuis 1996, en association avec l’American ChemicalSociety => Conférence annuelle sur la chimie et l’ingénéiérie vertes

• 1998: Anastas et Warner énoncent les 12 principes de la chimie verte

• 1999: Premier exemplaire du bi-mensuel « Green Chemistry » publié par la Société Royale Britannique de Chimie.

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Vers une chimie verte…

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Les 12 principes de la chimie

verte

1. Prévention : limiter la pollution à la source plutôt que devoir éliminer les déchets ;

2. Économiser les atomes : optimiser l'incorporation des réactifs dans le produit final ;

3. Conception de synthèses chimiques moins dangereuses qui utilisent et/ou conduisent àdes produits peu ou pas toxiques ;

4. Conception de produits chimiques plus sûrs : efficaces et moins toxiques ;

5. Réduction de l'utilisation de solvants et d'auxiliaires ;

6. Réduction de la dépense énergétique ;

7. Utilisation de matières premières renouvelables au lieu de matières fossiles ;

8. Réduction des produits dérivés qui peuvent notamment générer des déchets ;

9. Utilisation de la catalyse ;

10. Conception des substances en intégrant leur mode de dégradation finale ;

11. Mise au point de méthodes d'analyse en temps réel pour prévenir la pollution ;

12. Développement d'une chimie sécuritaire pour prévenir les accidents, les explosions, les incendies et les rejets.

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Deux mots d’ordre…

• Dématérialisation: Diminution de la quantité de matière consommée pour la satisfaction d’un besoin social => aspect quantitatif => augmenter la productivité des ressources

• Détoxification: réduction de la quantité de matériaux toxiques utilisés dans la satisfaction d’un besoin social => aspect qualitatif

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Dématérialisation: les 4 R

• Réduire : la consommation de matières

premières

• Remplacer:

– les matières premières non-renouvelables par

des matières premières renouvelables

– La vente d’un bien par celle d’un service

• Réutiliser

• Recycler

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Le découplage au niveau

du produit-service

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La chimie verte: 2 approches

complémentaires

• Chimie et ingéniérie chimique: alternatives

aux technologies et pratiques actuelles de

production: matières premières, solvants,

réactifs, catalyseurs.

• Biologie, toxicologie, écologie: recherches

sur des substances renouvelables, non-

persistantes, non bio-accumulatives, éco-

compatibles.

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La chimie « bio »

• Biosynthèse: utilisation de processus naturels pour

fabriquer de nouveaux matériaux. Ex:

fermentation

• Biodégradation: inverse de la persistance,

décomposition, compostage, etc.

• Biomimétisme : écologie industrielle, fibres à base

de protéines, colles, céramiques, couleurs

• Biotechnologie (OGM ???)

• Biopolymères:

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Résultats

• Entre 1983 et 2002, 3200 brevets de chimie

verte ont été déposés rien qu’aux USA.

• De 1983 à 1988: moyenne de 72 brevets/an

• De 1988 à 1994: croissance jusqu’à 251

brevets/an

• A partir de 1994 -> 2002: 267/an

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Dématérialisation?

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Si pression environnementale moindre à coût égal

(Source : Goedkoop, van Halen, et al.) => OK

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Mais…si pression environnementale

identique et coût moindre => effet

rebond

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L’équation d’Ehrlich

I = P * A * T

• T diminue (dématérialisation,

découplage…)

• P continue d’augmenter (dans OCDE

grâce à l’immigration)

• A continue d’augmenter : en partie à

cause d’un effet « rebond ».

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Un système dynamique

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La dématérialisation intégrale =

maximisation de l’efficience de la

production

Fonction Fonction Consommation Production

----------- = ------------ * ------------------- * ---------------

E.E. Consommation Production E.E.

=> Fonction/ consommation = découplage satisfaction du besoin social et consommation

=> Consommation/production = découplage consommation et production (partage, réutilisation, économie de service)

=> Production/utilisation de ressources: chimie verte

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