Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ?

4
Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ? Jérôme Taieb Centre hospitalier d’Aix-en-Provence, service de cardiologie, 13600 Aix-en-Provence, France Correspondance : Jérôme Taieb, Centre hospitalier d’Aix-en-Provence, service de cardiologie, avenue des Tamaris, 13600 Aix-en-Provence, France. [email protected] Disponible sur internet le : 22 mai 2013 La fibrillation auriculaire (FA) est associée à un risque d’accident thromboembolique [1]. Les traitements anti-isché- miques disponibles sont les antiagrégants plaquettaires, les antivitamines K (AVK) et les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) : dabigatran, rivaroxaban et apixaban. Seuls les deux premiers bénéficient de l’Autorisation de mise sur le marché à ce jour. La prévalence de la FA augmente avec l’âge [2,3]. La problématique du choix du traitement préventif thromboem- bolique chez les patients âgés se posera donc de plus en plus souvent. Les antiagrégants plaquettaires déchus Les traitements antiagrégants plaquettaires (AAP) ont perdu du terrain dans la FA suite aux études négatives sur la diminution des événements thromboemboliques concernant l’aspirine [4] et le clopidogrel [5,6] versus antivitamine K. Depuis 2010, l’ESC ne propose plus les AAP en première intention sauf en cas de score Chadsvasc inférieur ou égal à 1 (tableau I). Mais même dans ce cas, les AVK ou NACO sont préférés pour un score de 1, et l’abstention est préférée pour un score de 0 [7]. Il semble que les AAP rassurent le médecin mais Presse Med. 2013; 42: 10151018 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE Dossier thématique 1015 Mise au point Key points Which anticoagulation therapy in old atrial fibrillation patients? ESC recommends treating all AF patients over 75 years old with Vitamin K antagonist or new oral anticoagulation treatments because of the benefit on ischemic events. The challenge is to deal with hemorrhagic risk which should be carefully evaluated. It increases in case of renal disturbance and low weight, especially with new oral anticoagulation therapy. Points essentiels L’ESC recommande l’utilisation d’antagoniste de la vitamine K ou de nouveaux anticoagulants oraux chez tous les patients ayant une fibrillation auriculaire après 75 ans. Il faut toutefois tenir compte du risque hémorragique qui doit être soigneusement évalué. Il augmente significativement en cas d’insuffisance rénale et de faible poids, particulièrement avec nouveaux anticoagulants oraux. tome 42 > n86 > juin 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.007

Transcript of Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ?

Page 1: Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ?

Presse Med. 2013; 42: 1015–1018� 2013 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

JOURNÉES EUROPÉENNES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DECARDIOLOGIE

Dossier thématique int

Mis

ea

up

o

Key points

Which anticoagulation therappatients?

ESC recommends treating all AF pVitamin K antagonist or new orbecause of the benefit on ischeThe challenge is to deal with hemcarefully evaluated.It increases in case of renal despecially with new oral anticoa

tome 42 > n86 > juin 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.007

Quelle anticoagulation chez le patient âgéayant une fibrillation auriculaire ?

Jérôme Taieb

Centre hospitalier d’Aix-en-Provence, service de cardiologie, 13600 Aix-en-Provence,France

Correspondance :Jérôme Taieb, Centre hospitalier d’Aix-en-Provence, service de cardiologie,avenue des Tamaris, 13600 Aix-en-Provence, [email protected]

Disponible sur internet le :22 mai 2013

y in old atrial fibrillation

atients over 75 years old withal anticoagulation treatmentsmic events.orrhagic risk which should be

isturbance and low weight,gulation therapy.

Points essentiels

L’ESC recommande l’utilisation d’antagoniste de la vitamine Kou de nouveaux anticoagulants oraux chez tous les patientsayant une fibrillation auriculaire après 75 ans.Il faut toutefois tenir compte du risque hémorragique qui doitêtre soigneusement évalué.Il augmente significativement en cas d’insuffisance rénale et defaible poids, particulièrement avec nouveaux anticoagulantsoraux.

La fibrillation auriculaire (FA) est associée à un risqued’accident thromboembolique [1]. Les traitements anti-isché-miques disponibles sont les antiagrégants plaquettaires, lesantivitamines K (AVK) et les nouveaux anticoagulants oraux(NACO) : dabigatran, rivaroxaban et apixaban. Seuls les deuxpremiers bénéficient de l’Autorisation de mise sur le marché àce jour. La prévalence de la FA augmente avec l’âge [2,3]. Laproblématique du choix du traitement préventif thromboem-bolique chez les patients âgés se posera donc de plus en plussouvent.

Les antiagrégants plaquettaires déchusLes traitements antiagrégants plaquettaires (AAP) ont perdu duterrain dans la FA suite aux études négatives sur la diminutiondes événements thromboemboliques concernant l’aspirine [4]et le clopidogrel [5,6] versus antivitamine K.Depuis 2010, l’ESC ne propose plus les AAP en premièreintention sauf en cas de score Chadsvasc inférieur ou égal à1 (tableau I). Mais même dans ce cas, les AVK ou NACO sontpréférés pour un score de 1, et l’abstention est préférée pour unscore de 0 [7]. Il semble que les AAP rassurent le médecin mais

1015

Page 2: Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ?

1016

Tableau I

Méthode de mesure Score de Chadsvasc [7]

Facteur de risque Score

Insuffisance cardiaque/dysfonction VG 1

Hypertension 1

Âge � 75 ans 2

Diabète 1

AVC/AIT ou embolie périphérique 2

Pathologie vasculaire (IDM, vasculaire périphériqueou plaque de l’aorte)

1

Âge 65–74 ans 1

Sexe féminin 1

Score maximum 9

J Taieb

n’ont plus ou peu de place en première intention dans cetteindication.

Les antivitamines K ou nouveauxanticoagulants oraux pour tous après 75 ansDans les recommandations de l’ESC 2010, fondées sur le scorede CHADS Vasc L’algorithme décisionnel s’est considérablement

simplifié puisque tout score supérieur à 2 doit faire considérerun traitement anticoagulant oral (figure 1). Or, l’âge supérieur à75 ans a une valeur de 2 points à lui seul. Ainsi tout patient deplus de 75 ans doit recevoir un traitement anticoagulant oralpar AVK ou NACO.

Le risque hémorragique un casse tête« Primum non Nocere » (D’abord ne pas nuire) disait Hippo-crate.Face au contrôle du risque ischémique, le médecin redouteavant tout les conséquences hémorragiques de l’instaurationd’un tel traitement au long cours.Les recommandations sont faites pour soigner des groupeshomogènes de patients mais le médecin doit intégrer lessingularités de son patient pour évaluer le rapport bénéficerisque de chaque décision. Ceci est particulièrement vrai avecdes traitements anticoagulants prescrits à vie.Cinq facteurs peuvent augmenter le risque d’accident hémor-ragique et doivent être intégrés dans le raisonnement.

L’observance du traitement

Y a-t-il un risque de prise excessive et donc de surdosageaccidentel ? Un risque élevé interdit les NACO car le diagnosticne pourrait pas être anticipé par un dosage biologique nondisponible en routine. Les AVK ont une pharmacocinétiquemoins stable et reproductible que celle des NACO. Ils ont enrevanche l’avantage d’un contrôle fiable et disponible par INRce qui permet d’ajuster les doses avec précision, à condition

Figure 1

Algorithme décisionnel detraitement antithrombotiqueAprès 75 ans le score de 2 indique un

traitement par Oral anticoagulation

(OAC) soit antivitamines K (AVK) soit

nouveaux anticoagulants oraux

(NACO). Les antiagrégants ne sont

plus préconisés en première intention

[7]. AF : atrial fibrillation ; OAC : oral

anticoagulant ; TIA : transient

ischaemic attack.

tome 42 > n86 > juin 2013

Page 3: Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ?

Mis

ea

up

oin

t

Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant unefibrillation auriculaire ? Journees europeennes de la Societ e française de cardiologie

bien sûr de réaliser le test. On comprend l’importance pour leprescripteur de connaître le niveau cognitif du patient, le niveaude présence de l’entourage et la régularité attendue du suivimédical et biologique.

Le risque de chute

Les conséquences d’un traumatisme crânien sous anticoagulantpeuvent être graves, voire fatales. D’où l’importance encoreune fois d’évaluer l’autonomie et l’équilibre du patient ainsique son entourage familial, paramédical, médical.Une évaluation gérontologique spécialisée est plus perfor-mante que la consultation de cardiologie pour apprécier l’adhé-rence au traitement anticoagulant et le risque de chute. Au vudu nombre important de cas, il n’est pas possible d’en fairebénéficier tous les patients mais cette consultation devrait êtrevolontiers proposée en cas de doute.

L’existence d’une lésion hémorragique potentiellevoire active

Il ne faut pas méconnaître une néoplasie digestive, bronchique,un ulcère digestif actif mais également toute lésion hémorra-gique ou période per- et postopératoire. Rappelons que lerisque d’accident ischémique sans traitement sur une FA nonvalvulaire est situé entre 5 et 18 %/an en fonction du score deCHADS [7]. Soit une à trois chances pour 1000 par semaine. Enrevanche, une lésion hémorragique saignera plus dans 100 %des cas sous traitement anticoagulant. Celui-ci devra donc êtreinterrompu temporairement en cas de saignement sans inquié-ter le médecin qui aura fait quoiqu’il arrive une bonne évalua-tion du rapport bénéfice–risque. Ce raisonnement sera bien sûrconsigné dans le dossier médical. En cas d’initiation d’untraitement anticoagulant, son début pourra être différé aprèsle contrôle du saignement ou annulé selon les cas.

L’accumulation de médicament par défautd’élimination

La fonction rénale est facilement évaluée par le dosage de lacréatininémie et la formule de Cockcroft. Une clairance inférieureà 30 mL/min contre indique formellement les NACO. Une clai-rance inférieure à 50 mL/min doit faire diminuer les doses. Laclairance de la créatininémie est proportionnelle au poids maisinversement proportionnelle au niveau de la créatininémie et àl’âge. À créatininémie égale, un patient qui prend de l’âge et perddu poids altère donc sa fonction rénale. Il faut se méfier toutparticulièrement du temps qui passe et d’une perte de poids.Ainsi un rapport bénéfice risque en faveur d’un traitement par

tome 42 > n86 > juin 2013

NACO à 80 ans et 65 kg peut être défavorable à 85 ans et 55 kgdu fait d’une chute de la clairance de la créatinine.Dans l’étude RELY [8,9], le dabigatran 150 mg était associé àune majoration non significative (p = 0,07) des hémorragiesmajeures par rapport au dabigatran 110 chez les sujets âgés de75 ans et plus. Ainsi, le recours à la dose faible de dabigatran(110 mg � 2/j) est recommandé par le laboratoire chez lespatients de 80 ans ou plus, ceux ayant un âge de 75 à 80 ans etayant un risque thromboembolique faible et un risque hémor-ragique élevé. Ces précautions sont d’autant plus justifiées queles NACO n’ont pas à ce jour d’antidote efficace en routine. Lasurveillance régulière de la clairance de la créatinine est unemesure de sécurité rationnelle dans cette population âgée.La fonction hépatique est moins facile à apprécier que lafonction rénale sauf en cas de déficit sévère. Il faut en outrese méfier des interactions avec les médicaments utilisant lamême voie d’élimination hépatique. Une attention particulièredoit être accordée aux comédications notamment avec l’amio-darone et le verapamil. Ils sont tous deux inhibiteurs de la p-plycoproteine (PGP) dont le dabigatran est un substrat et sontfréquemment prescrits pour contrôler le rythme ou la fréquencecardiaque chez les patients en FA.

Association aux antiagrégants plaquettaires

Le risque hémorragique se trouve majoré en cas d’associationavec des AAP souvent prescrits dans les cardiopathies isché-miques. Une réduction des doses de NACO ou cibler un INR plusproche de 2 optimise le rapport bénéfice risque.Pour aider le praticien les scores HASBLED [10,11] et HEMOR-R2HAGES [12] sont des outils pour évaluer le risque hémorra-gique mais ils manquent de précision. Rappelons enfin quecette évaluation n’est pas unique à l’instauration. Elle doit êtrerépétée au cours du suivi.

ConclusionLe praticien bénéficie de recommandations simplifiées puisquetout patient de plus de 75 ans relève d’un traitement anti-coagulant AVK ou NACO mais doit intégrer le risque hémorra-gique qui est multifactoriel et exige une analyse beaucoup pluspersonnalisée. En cas d’association à risque ou d’insuffisancerénale, les NACO doivent être évités ou prescrit à dose réduiteen raison de l’absence de surveillance de l’hémostase enroutine et d’antidote.

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

1017

Page 4: Quelle anticoagulation chez le patient âgé ayant une fibrillation auriculaire ?

1018

Références[1] Wolf PA, Abbott RD, Kannel WB. Atrial

fibrillation as an independent risk factor forstroke: the Framingham Study [archive].Stroke 1991;22:983-8.

[2] C Furberg CD, Psaty BM, Manolio TA, GardinJM, Smith VE, Rautaharju PM. Prevalence ofatrial fibrillation in elderly subjects (theCardiovascular Health Study) [archive]. AmJ Cardiol 1994;74:236-41.

[3] Miyasaka D, Barnes Y, Gersh ME et al. Seculartrends in incidence of atrial fibrillation inOlmsted County, Minnesota, 1980 to 2000,and implications on the projections for futureprevalence [archive]. Circulation 2006;114:119-25.

[4] Van Walraven C, Hart RG, Singer DE, LaupacisA, Connolly S, Petersen P et al. Oralanticoagulants vs aspirin in non-valvularatrial fibrillation: an individual patient meta-analysis. JAMA 2002;288:2441-8.

[5] The ACTIVE writing group. Clopidogrel plusaspirin versus oral anticoagulation for atrialfibrillation in the atrial fibrillation clopidogreltrial with irbesartan for prevention ofvascular events (ACTIVEW): a randomisedcontrolled trial. Lancet 2006;367:1903-12.

[6] The ACTIVE investigators. Effect of clopido-grel added to aspirin in patients with atrialfibrillation. N Engl J Med 2009;360:2066-78.

[7] European Heart Rhythm Association, EuropeanAssociation for Cardio-Thoracic Surgery, CammAJ, Kirchhof P, Lip GY, Schotten U. Guidelinesfor the management of atrial fibrillation: theTask Force for the Management of AtrialFibrillation of the European Society of Cardio-logy (ESC). Eur Heart J 2010; 31:2369-429.

[8] Connolly SJ, Ezekowitz MD, Yusuf S et al.Dabigatran versus warfarin in patients withatrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51.

[9] Connolly SJ, Ezekowitz MD, Yusuf S, Reilly PA,Wallentin L. Newly identified events in theRE-LY trial. N Engl J Med 2010;363:1875-6.

[10] Pisters R, Lane DA, Nieuwlaat R, de Vos CB,Crijns HJ, Lip GY. A novel user-friendly score(HAS-BLED) to assess one-year risk of majorbleeding in atrial fibrillation patients: the EuroHeart Survey. Chest 2010;138:1093-100.

[11] F - Lip GYH, Frison L, Halperin JL, Lane DA.Comparative validation of a novel risk score forpredicting bleeding risk in anticoagulatedpatients with atrial fibrillation: the HAS-BLED(Hypertension, abnormal renal/liver function,stroke, bleeding history or predisposition,labile inr, elderly, drugs/alcohol concomi-tantly) score. J Am Coll Cardiol 2011;57:173-80.

[12] Gage BF, Yan Y, Milligan PE et al. Clinicalclassification schemes for predicting hemor-rhage: results from the National registry ofatrial fibrillation. Am Heart J 2006;151:713-9.

J Taieb

tome 42 > n86 > juin 2013