QUE L’EUROPE EST BELLE, VUE DE LA CHINE… · JUILLET-AOÛT 2014 FUSIONS & ACQUISITIONS MAGAZINE...

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38 FUSIONS & ACQUISITIONS MAGAZINE JUILLET-AOÛT 2014 A LORS que la situation macroécono- mique européenne n’incite franche- ment pas à l’euphorie, un récent voyage en Chine nous a permis de prendre la mesure du potentiel énorme de cer- taines sociétés européennes. Volkswagen, par exem- ple, produit aujourd’hui 1,5 million de voitures et n’arrive pas à satisfaire la demande locale. Elle occupe la première place des constructeurs étrangers en Chine. L’Europe dispose de champions qui rivali- sent avec les meilleurs Américains et Asiatiques grâce au développement d’expertises sans équivalent dans le monde. En dépit d’une reprise cyclique qui s’amorce et de l’éventuelle intervention de la Banque Centrale Européenne pour lutter contre le risque déflation- niste et l’euro fort, la situation macro-économique en Europe reste morose. Le poids des tendances démographiques, la né- cessité d’ajustements budgétaires significatifs et de réformes structurelles douloureuses devraient dura- blement pénaliser la croissance en Europe. Les taux de croissance du PIB européen sont attendus sensi- blement en dessous de ceux des États-Unis mais sur- tout des pays émergents. Les sociétés européennes domestiques ont donc des perspectives limitées dans un environnement de faible croissance. Des pres- sions déflationnistes pourraient même apparaître dans certains secteurs concurrentiels. Heureusement, on trouve en Europe des sociétés leaders sur leur marché, « affranchies » de leur seul marché domestique et implantées mondialement. Certaines réalisent déjà plus de 40 % de leur chiffre d’affaires dans les pays émergents : Pernod- Ricard ou Nestlé tandis que d’autres ont une forte assise aux États-Unis comme Luxottica ou Sodexo. L’Europe dispose de champions qui non seule- ment rivalisent avec leurs meilleurs concurrents américains et asiatiques mais qui parfois ont déve- loppé une expertise sans équivalent ailleurs dans le monde. Qui sont ces leaders mondiaux ? Ce sont des sociétés fortes, capables d’accroître leurs avantages compétitifs dans un monde globa- lisé. La solidité de leur positionnement concurren- tiel leur permet d’afficher des perspectives de croissance bénéficiaire supérieures à la moyenne et plus pérennes. Leur leadership se caractérise par des parts de marché dominantes, l’aptitude à innover ou encore le déploiement des best practices. Il repose sur des avantages compétitifs durables : technologies propriétaires, savoir-faire unique, marques, réseau de distribution, effets de taille… Il se traduit par du pricing power, des marges opérationnelles élevées, une forte génération de free cash flow, une bonne rentabilité des capitaux investis, un bilan so- lide. Parmi les leaders mondiaux européens qui sont au coude à coude avec les meilleures sociétés améri- caines et asiatiques, on trouve des acteurs comme Michelin et Continental dans les pneumatiques qui font face à la concurrence de Bridgestone et Good- year, Linde et Air Liquide dans les gaz industriels qui maintiennent une longueur d’avance sur les améri- cains Air Products, Praxair ou le japonais Taiyo Nip- pon Sanso, ou encore Grifols qui se partage le marché mondial du plasma sanguin avec l’américain Baxter et l’australien CSL. Certains leaders mondiaux européens ont déve- loppé un positionnement concurrentiel sans compa- raison et quasiment impossible à répliquer, qui rend ces sociétés uniques au monde. Parmi les do- maines d’excellence de l’Europe, citons le luxe où l’on retrouve Hermès, LVMH, Prada, Swatch, Riche- INVESTIR EN CHINE Michel Raud Éric Fourrier QUE L’EUROPE EST BELLE, VUE DE LA CHINE… par Michel Raud et Éric Fourrier gérants de Fourpoints Euro Global Leaders

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38 FUSIONS & ACQUISITIONS MAGAZINE JUILLET-AOÛT 2014

ALORS que la  situation macroécono-mique européenne n’incite franche-ment pas à l’euphorie, un récent voyageen Chine nous a permis de prendre lamesure du potentiel énorme  de  cer-

taines sociétés européennes. Volkswagen, par exem-ple, produit aujourd’hui 1,5 million de voitures etn’arrive pas à satisfaire la demande locale. Elle occupela première place des  constructeurs étrangers enChine. L’Europe dispose de champions qui rivali-sent avec les meilleurs Américains et Asiatiques grâceau développement d’expertises sans équivalent dansle monde.

En dépit d’une reprise cyclique qui s’amorce etde l’éventuelle intervention de la Banque CentraleEuropéenne pour lutter contre le risque déflation-niste et l’euro fort, la situation macro-économiqueen Europe reste morose.

Le poids des tendances démographiques, la né-cessité d’ajustements budgétaires significatifs et deréformes structurelles douloureuses devraient dura-blement pénaliser la croissance en Europe. Les tauxde croissance du PIB européen sont attendus sensi-blement en dessous de ceux des États-Unis mais sur-tout des pays émergents. Les sociétés européennesdomestiques ont donc des perspectives limitées dansun environnement de faible croissance. Des pres-sions déflationnistes pourraient même apparaîtredans certains secteurs concurrentiels.

Heureusement, on trouve en Europe des sociétésleaders sur leur marché, « affranchies » de leur seulmarché domestique et implantées mondialement.Certaines réalisent déjà plus de 40 % de  leurchiffre d’affaires dans les pays émergents : Pernod-Ricard ou Nestlé tandis que d’autres ont une forteassise aux États-Unis comme Luxottica ou Sodexo. 

L’Europe dispose de champions qui non seule-ment rivalisent avec  leurs meilleurs concurrentsaméricains et asiatiques mais qui parfois ont déve-

loppé une expertise sans équivalent ailleurs dans lemonde.

Qui sont ces leaders mondiaux ?

Ce sont des sociétés fortes, capables d’accroîtreleurs avantages compétitifs dans un monde globa-lisé. La solidité de leur positionnement concurren-tiel  leur permet d’afficher des perspectives decroissance bénéficiaire supérieures à la moyenne etplus pérennes.

Leur leadership se caractérise par des parts demarché dominantes, l’aptitude à innover ou encorele déploiement des best practices. Il repose surdes avantages compétitifs durables : technologiespropriétaires, savoir-faire unique,  marques, réseaude distribution, effets de taille… Il se traduit par dupricing power, des marges opérationnelles élevées,une forte génération de  free cash flow, unebonne rentabilité des capitaux investis, un bilan so-lide.

Parmi les leaders mondiaux européens qui sontau coude à coude avec les meilleures sociétés améri-caines et asiatiques, on trouve des acteurs commeMichelin et Continental dans les pneumatiques quifont face à la concurrence de Bridgestone et Good-year, Linde et Air Liquide dans les gaz industriels quimaintiennent une longueur d’avance sur les améri-cains Air Products, Praxair ou le japonais Taiyo Nip-pon Sanso, ou encore Grifols qui se  partage lemarché mondial du plasma sanguin avec l’américainBaxter et l’australien CSL.

Certains leaders mondiaux européens ont déve-loppé un positionnement concurrentiel sans compa-raison et quasiment impossible à répliquer, quirend ces sociétés uniques au monde. Parmi les do-maines d’excellence de l’Europe, citons le luxe où l’onretrouve Hermès, LVMH, Prada, Swatch, Riche-

INVESTIR EN CHINE

Michel Raud

Éric Fourrier

QUE L’EUROPE EST BELLE, VUE DE LA CHINE…  par Michel Raud et Éric Fourriergérants de Fourpoints Euro Global Leaders

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JUILLET-AOÛT 2014 FUSIONS & ACQUISITIONS MAGAZINE 39

INVESTIR EN CHINE

mont et de nombreuses sociétés italiennes de plus petite taille.Citons également la certification où les trois leaders mon-

diaux incontestés sont Européens (Intertek, SGS, Bureau Veri-tas). Les sociétés d’installation offshore dans le pétrole (Technip,Subsea 7, Saipem) sont aussi uniques grâce à l’expérience ac-quise depuis quarante ans en mer du Nord.

Si ces sociétés européennes n’ont pas de concurrents inter-nationaux, la compétition qu’elles se livrent entre elles les main-tient dans une attitude volontaire et expansionniste sans pourautant se lancer dans des guerres fratricides, comme le soulignentles enquêtes ponctuelles des autorités de la concurrence danscertains secteurs.

Un récent voyage en Chine nous a permis de prendre encoreplus conscience du très fort potentiel de ces sociétés européennesdéjà globales et qui sont prêtes à capter la croissance de la de-mande intérieure sur des marchés immenses comme la Chine,l’Inde ou l’Amérique latine.

En effet, ces entreprises disposent de la force de frappe –en termes de génération de cash flow – indispensable pour atta-quer ces marchés. Volkswagen a par exemple investi 18 milliardsd’euros entre 1985 et 2013. Elle produit aujourd’hui 1,5 millionde voitures et n’arrive pas à satisfaire la demande locale. Elle oc-cupe la première place des constructeurs étrangers en Chine.

Ces sociétés disposent de technologies et de savoir-fairedont ont besoin rapidement ces grands pays pour accélérer latransition d’un modèle de développement basé uniquement surles exportations à faible valeur ajoutée vers une économie tiréepar la demande intérieure. Certes, les Européens doivent souventpartager au sein de joint ventures avec des partenaires locauxmais c’est le prix à payer pour accéder à ces marchés.

Le risque souvent mis en avant que ces sociétés se voient dé-posséder de leur propriété intellectuelle, paraît largement sures-timé. Même dans  les secteurs où la Chine compte de grands

acteurs locaux comme dans l’automobile, les équipements deconstruction, l’acier, ces dernières sont loin d’avoir comblé leurretard technologique.

Prenons l’exemple de la société Sany qui construit des pellesmécaniques semblables à celles de Komatsu ou Caterpillar. Lechinois est leader sur son segment avec une part de marché deplus de 15 % mais reste dépendant de fournisseurs américains eteuropéens comme Cummins et Deutz pour les pièces maîtressesde ces équipements et notamment les moteurs.

De plus, les sociétés  occidentales sont évidemment trèsconscientes de ce risque et s’en prémunissent en mettant en placedes process industriels complexes, des stratégies d’approvision-nement à l’échelle mondiale et surtout conservent en Occidentla R&D portant sur les technologies de demain, l’innovationétant la seule chance de survie à long terme.

D’ailleurs, force est de constater que, hormis des groupescomme Lenovo, Haier ou Huawei, les leaders chinois n’ont pasencore percé sur les marchés européen ou américain. Malgré leurambition, ils n’ont pas pour le moment de marques assez recon-nues pour séduire les consommateurs occidentaux. 

Autre avantage de ces multinationales déjà présentes dansles pays émergents et en particulier en Chine : elles vont être lesgrands bénéficiaires de la consolidation qui aura lieu sur certainssecteurs comme l’automobile, les pneumatiques... Les autoritésveulent créer de véritables champions nationaux, arrêter le gas-pillage des investissements et faire disparaître les acteurs quin’ont pas la taille critique. La Chine compte par exemple au-jourd’hui une centaine de constructeurs automobiles, le gouver-nement souhaite, à terme, n’en conserver qu’une vingtaine.

Nous pensons qu’un portefeuille constitué de ces leadersmondiaux européens, achetés à des niveaux de valorisation rai-sonnables que nous contrôlons régulièrement, devrait délivrerbeaucoup de valeur à moyen terme. 

Le chinois Sany est leader sur son segment avec une part de marché de plus de 15 % mais reste dépendant des Américains et des Européens pour les piècesmaîtresses de ces équipements.

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