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Les Presses de l’Université de Montréal Quand la musique prend corps Sous la direction de Monique Desroches, Sophie Stévance et Serge Lacasse

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isbn 978-2-7606-3380-339,95 $ • 36 e Couverture : © Rita Ezrati, Flamenco (détail)

Disponible en version numériquewww.pum.umontreal.ca

La musique entretient des liens indissociables avec le corps.

Toutefois, les recherches portant sur ce couple fondateur sont

rarissimes. Point de départ et d’arrivée de la médiation musicale,

le corps est un lieu d’expression et de communication, de tech-

niques, de production de sons et de mouvements et mérite toute

l’attention que les auteurs de ce livre – musicologues, interprètes

et philosophes – lui prêtent.

Du timbre vocal à la chorégraphie cultuelle, en passant par la

position des doigts sur un clavier ou sur des cordes, cet ouvrage

aborde plusieurs thèmes qui intéresseront grandement les musi-

ciens, les danseurs et tous ceux que la question du corps dans

l’art interpelle.

Les directeurs de publication

Monique Desroches est professeure titulaire en ethnomusicologie à la Faculté de musique de l’Université de Montréal.

Sophie Stévance est professeure adjointe en musicologie à la Faculté de musique de l’Université Laval.

Serge Lacasse est professeur titulaire en musicologie à la Faculté de

musique de l’Université Laval.

Les Presses de l’Université de Montréal

Quand la musique prend corps

Sous la direction de

Monique Desroches, Sophie Sté va nceet Serge L ac a sse

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Les Presses de l’Université de Montréal

Sous la direction de

Monique Desroches,Sophie Stévance et

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Mise en pages : Yolande Martel

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :

Quand la musique prend corps

(PUM) Comprend des références bibliographiques.

isbn 978-2-7606-3380-3

1. Musique - Aspect physiologique. I. Desroches, Monique, 1948- . II. Stévance, Sophie, 1977- . III. Lacasse, Serge.

ml3820.q36 2014 781.1 c2014-940708-4

Dépôt légal : 2e trimestre 2014Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Les Presses de l’Université de Montréal, 2014

isbn (papier) 978-2-7606-3380-3isbn (epub) 978-2-7606-3382-7isbn (pdf) 978-2-7606-3381-0

Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition et remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

imprimé au canada

Tous les fichiers audio, vidéo ou multimédias mentionnés dans cet ouvrage sont disponibles en ligne sur

http://www.pum.umontreal.ca/quand-la-musique-prend-corps

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Introduction

Monique DesrochesSophie StévanceSerge Lacasse

Ce livre aborde un thème qui peut sembler une évidence comme objet d’étude en musique, du moins en ce qui concerne la musicologie et l’ethnomusicologie ; pourtant, il a rarement été analysé de façon systé-matique : le corps1. Pour y parvenir, nous avons réuni des chercheurs en musique qui s’intéressent à ce sujet selon diverses perspectives. Lieu de tensions, d’idéologies et de valeurs qui souvent s’opposent de manière radicale : condamné (de Platon à Derrida) ou célébré (d’Épicure à Onfray), le corps est pourtant incontournable en musique. Lieu d’ex-pressions, de techniques, de productions sonores et de mouvements, il est ici envisagé comme le point de départ et d’arrivée de la médiation musicale. Les modalités de cette rencontre entre corps et sons musicaux constituent l’objet de cet ouvrage collectif.

1. Le corps a évidemment fait l’objet de recherches, notamment en anthropologie ou en psychologie (comme on le verra plus loin). Toutefois, peu nombreux sont les travaux ayant spécifiquement porté sur les rapports entre le corps et la musique. Mentionnons, dans le domaine de la musicologie plus traditionnelle, Le Guin (2006), ou encore, dans celui des sciences cognitives appliquées à la musique (musicologie systématique), Godøy et Leman (2010). On trouve également quelques chercheurs intéressés par les rapports entre musique et corps dans le domaine des études en musique populaires. En s’inspirant de modèles issus d’autres disciplines, en particulier les études culturelles, ces chercheurs explorent diverses questions (par exemple, le plaisir ou l’identité sexuelle) à travers l’analyse des rapports entre la musique et le corps. Citons, entre autres, les travaux de Middleton (1993) ou de Hawkins (2013), publiés à 20 ans d’intervalle, ou encore Lebrun (2012) dans le domaine de la chanson.

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Les auteurs s’appuient sur le principe suivant : toute musique est plus qu’un ordonnancement de données à caractère sonore. Elle est également geste vocal ou instrumental, communication entre musiciens et avec le public, et dans bien des cas, elle intègre la danse. Animés par la volonté d’approfondir la place du corps dans l’analyse musicale et son incidence dans la compréhension des musiques, notamment en matière de stylistique et d’esthétique, les trois laboratoires organisateurs – le Laboratoire d’ethnomusicologie et d’organologie (LEO), le Groupe de recherche-création en musique (GRECEM) et le Laboratoire audionu-mérique de recherche et de création (LARC), trois laboratoires membres de l’OICRM –, ont d’abord tenu des Journées d’étude qui se sont dérou-lées en janvier 2013 à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Ces journées ont rassemblé une vingtaine de chercheurs d’horizons divers – ethnomusicologues, musicologues, interprètes, philosophes –, qui partageaient un intérêt pour cette thématique. Cet ouvrage regrou-pant vingt contributions représente l’aboutissement de ces journées.

À cette fin, les auteurs de ce collectif explorent notamment diffé-rents volets du corps musiquant. Les regards posés sur la thématique sont multiples. Certains chercheurs examinent le timbre vocal d’un répertoire spécifique ; d’autres s’intéressent à la position des doigts et des mains sur le clavier ou sur les cordes de luths ou de vièles ; d’autres encore se penchent sur la gestuelle ou la chorégraphie de la danse. Réunir tous ces regards tend à dépasser, sans toutefois l’omettre, le niveau formel de l’œuvre-objet – celui de l’harmonie, de la mélodie, de la structure des pièces musicales, par exemple – pour atteindre la per-formance ou la mise en acte du texte musical. En ethnomusicologie, cette approche se distingue des analyses des premiers chercheurs de la discipline qui, en s’appuyant sur une conception de la musique en tant qu’objet sonore (notamment les chercheurs de l’École de Berlin de la fin du xixe siècle), transformaient les enregistrements de terrain en objets de transcription musicale à partir desquels on édifiait un système musi-cal. Envisagée comme une performance, la musique ouvre l’objet d’étude en reliant de manière indissociable et dynamique l’objet sonore, les stratégies de production, les conduites d’attentes et d’écoute, la ges-tuelle et les agents humains, de manière à faire de la performance une pratique et un évènement.

De manière globale, les auteurs tentent de répondre aux questions suivantes : existe-t-il des syntaxes corporelles qui caractérisent tout

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particulièrement certaines pratiques, certaines interprétations de réper-toires ? Dans l’affirmative, comment procéder pour les mettre en exergue ? Et en fin de compte, que révèle de nouveau cette insertion du corps dans les analyses ?

Dans cette phénoménologie de la production et de la réception, il revient au chercheur de mettre en lumière des opérateurs relatifs au corps et qui interviennent directement dans les définitions stylistiques. Pour saisir la stylistique et l’esthétique d’une pratique, l’analyste doit donc impérativement tenter de comprendre les modalités de mise en acte ou, si l’on veut, les composantes de la performance. Le regard sys-tématique sur le corps nous apprend beaucoup, par ailleurs, sur la mise en relation à l’espace, sur la relation aux autres et, bien entendu, sur le genre musical lui-même. Pratiquer une musique suppose en effet la mise en place d’un espace relationnel entre les divers acteurs. La création de cet espace singulier et dynamique permet non seulement l’émergence d’une relation entre les différents intervenants, mais elle favorise aussi la création in situ de la signature du groupe ou de l’artiste singulier. Cette signature est produite en grande partie par des modalités parti-culières de recours au corps. Pour cette raison, nous avons jugé impor-tant, voire essentiel, de joindre à notre publication des hyperliens (sonores et multimédias) en vue d’illustrer le rôle du corps dans l’esthé-tique et la stylistique musicales.

Ce livre convie donc le lecteur à une musicologie et à une ethnomu-sicologie incarnées, qui sont axées sur le sujet musiquant ou dansant dans sa relation spécifique à l’objet musical et orientées vers les moda-lités de création et d’interprétation musicales, c’est-à-dire sur la mise en acte de la musique. Plus précisément, et comme l’illustre l’organisation thématique des chapitres, l’ouvrage explore au moins quatre volets du corps musiquant : le corps comme outil du musicien, la voix comme incarnation sonore du corps, le corps comme lieu et enjeu de la perfor-mance musicale et le corps en mouvement avec la musique.

Corps musiciens

Les chapitres de la section « Corps musiciens » rendent compte de ce rapport intime que le joueur de musique entretient avec son instru-ment : le fait de jouer d’un instrument revient à s’engager physiquement, corporellement envers celui-ci. Cela revient à donner aux sons produits

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par le corps une envergure d’expressivité et de créativité qui dépasse le stade restrictif d’un geste essentiellement effecteur, accompagnateur et désincarné. Invisible et silencieux le plus souvent, le corps musical de l’instrumentiste est porteur de sens. Car si l’on se place à l’extérieur du contexte musical pour ne considérer que le discours, seulement 7 % du sens d’une communication orale serait issu des mots ; 38 % proviendrait de la qualité de la voix (volume, hauteur, rythme) ; et 55 % des mouve-ments corporels (Koneya et Barbour 1976). Une dimension considérable du sens d’un message proviendrait donc de l’extérieur du monde verbal. De même, l’ensemble de ces composantes ou de ces mouvements cor-porels nous aiderait à saisir ce sens, comme le démontrent les chapitres consacrés au corps performanciel. Pour ce qui concerne les chapitres de la section consacrée au « Corps musicien », ils s’intéressent plus parti-culièrement aux interactions entre le corps physique du musicien et son instrument en tenant compte des différents facteurs qui régissent leurs interactions, qu’elles soient culturelles, symboliques et sociales ou plutôt techniques, esthétiques et expressives. Somme toute, ces  interactions débuteraient dès le niveau sensori-moteur. Quel est le rôle du corps dans l’élaboration de la pensée musicale ? Permet-il d’extérioriser les inten-tions musicales et si oui, de quelles manières ? En outre, existe-t-il un lien entre un geste et les sons produits simultanément ? Quelle est la nature de ce rapport ? Comment celui-ci s’élabore-t-il et comment peut-on l’observer ? Si la fonction du corps consiste à favoriser la production du son ou à l’accompagner, quelles seraient les conséquences poten-tielles du corps sur le processus de création de l’interprétation musicale, de même que sur l’exécution et la réception de la musique ?

La section « Corps musiciens » s’ouvre sur une observation géné-rale : Isabelle Héroux et Marie-Soleil Fortier, dans leur chapitre intitulé « Le geste expressif comme indicateur du processus créatif dans le tra-vail d’interprétation musicale », proposent un état de la recherche scien-tifique sur le geste en tant que moyen de communication, ainsi qu’une observation éloquente visant à confirmer l’hypothèse selon laquelle les gestes musicaux, foncièrement incarnés et incorporés, sont directement reliés au processus de création dans le travail d’interprétation d’une pièce musicale. Ce premier chapitre révèle ainsi la dimension culturelle, sociale et symbolique du corps musicien, laquelle sera développée plus avant par Luc-Charles Dominique. Dans « Gestes et attitudes corporels chez les violoneux français d’hier et d’aujourd’hui », l’ethnomusico-

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logue montre toute l’importance de la gestuelle chez le violoneux. Ainsi, les reproches adressés à ce musicien par rapport à la manière dont il tient l’instrument attestent, selon les tenants des règles, de l’ignorance de cet instrumentiste, de son mépris des règles, voire de la décadence dans laquelle il entraîne le violon, instrument noble par excellence ; un violoneux est un violoniste médiocre parce qu’il se tient mal. Ces pré-jugés reviennent à faire fi de l’intention éminemment chorégraphique de sa musique, c’est-à-dire de l’importance du geste musicien et de la constitution de son identité.

Cette pantomime du geste sera illustrée par Ghyslaine Guertin et Jean-Willy Kunz dans leur chapitre  intitulé « L’orgue et le regard de l’écoute », à partir d’une observation de l’organiste, lequel donne à voir et à entendre. En s’interrogeant sur les logiques et les finalités de la « danse du geste » de l’organiste, les auteurs nous invitent à une réflexion sur les conditions du savoir-faire de l’organiste à la lumière de son enga-gement gestuel pour organiser le son et lui donner du sens. Apparaissent ainsi d’autres enjeux, et non les moindres, concernant le corps musicien, notamment les structures qui entourent le jeu et ce que l’analyse du corps peut nous révéler à propos de l’interaction entre le musicien et son instrument, ainsi que les différences caractéristiques de la gestuelle du musicien d’une tradition musicale à une autre. À cet effet, Farrokh Vahabzadeh examine, à partir d’un inventaire représentatif des gestes de la main droite utilisés dans le jeu du dotâr (un instrument pouvant s’apparenter à la famille du luth à long manche), la gestuelle d’un joueur de dotâr dans différentes traditions et ce qui sous-tend la conduite de ces mouvements et gestuelles. Sa contribution intitulée « Se démarquer de l’autre : du geste instrumental à la corporalité musicale », témoigne ainsi d’une vision plus générale du geste musicien, qui se singularise en fonction de la tradition d’Iran et d’Asie centrale dans laquelle il s’inscrit, puisque la culture impose des contraintes corporelles.

À leur façon, les deux chapitres suivants closent cette section, d’abord sous la forme d’une synthèse, puis sous la forme d’une ouver-ture. Le chapitre de François Delalande vient ainsi compléter l’ensemble des réflexions interdisciplinaires – dans une étude du geste culturel, symbolique et social incorporé pour organiser le matériau sonore, lequel va se charger de sens en fonction des contextes – et propose une réflexion en forme de conclusion sur le jeu sensori-moteur. Soutenu par deux protocoles d’observation empirique auprès de musiciens et à par-

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tir de projets d’études des comportements d’enfants, au stade sensori-moteur, qui explorent le son, le musicologue nous invite à envisager le geste comme une totalité qui englobe l’affect et les expériences senso-rielles : le corps musicien est à la fois producteur de son et de sens et un véhicule de symboles. Quant à Yves Defrance, il propose d’abord une synthèse théorique des fondements somatiques sur lesquels s’appuie-raient plusieurs pratiques musicales en convoquant de nombreuses recherches effectuées sur les rapports entre le corps et la musique, dans le but de définir ce qu’il appelle « une anthropophonie complexe ». Il fait ensuite une description des nombreuses pratiques construites sur une logique spatiale d’ouverture, c’est-à-dire, comme il l’écrit lui-même, « une graduation dans la participation musicale du danseur et dans la gestuelle du musicien et du chanteur ». Le chapitre annonce ainsi la structure des différentes sections du collectif : dans « Des corps musi-quant » et « Performances gestiques du musicien », on poursuit, d’une certaine manière, la réflexion entamée dans la présente introduction en explorant les diverses manières dont l’instrument de musique fonc-tionne comme un prolongement du corps. Puis, Defrance se concentre sur les « Musiciens-danseurs », et son texte se présente comme une sorte d’introduction aux sections du collectif consacrées aux « Corps en mouvements » et aux « Corps performanciels ». Il termine son chapitre en analysant les rapports entre la voix et le corps : « Mais comment les modulations de la voix agissent-elles sur le corps ? Comment le corps influence-t-il les inflexions de la voix ? », interroge-t-il. Cette fin de cha-pitre joue ainsi un rôle de transition vers la section suivante, consacrée à la voix.

Corps de la voix

Par les sons qu’elle produit, la voix se trouve à la jonction de l’intérieur et de l’extérieur du corps ; elle est en quelque sorte le prolongement du corps. Ainsi, il n’est pas étonnant que la voix chantée soit considérée par plusieurs comme le mode fondamental de l’expression musicale, puisque, comme le souligne Allan Moore (1993 : 158), « voice is the pri-mary link between the artist and the listener, being the instrument shared by both ». Plus encore, « It is arguably the most subtle and flexible of musical instruments, and therein lies much of the fascination of the art of singing » (Jander et al. 2014). Cette fascination se manifeste non

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seulement par la primauté de la vocalisation dans plusieurs pratiques musicales du monde ; elle nourrit tout aussi intensément la réflexion théorique et philosophique.

C’est d’ailleurs sur une analyse du fameux concept du « grain de la voix », proposé par Roland Barthes en 1972, que s’ouvre cette section. Serge Lacasse tente de clarifier ce concept, d’abord en rappelant les diverses définitions et caractérisations que Barthes en a proposées dans ses écrits, pour ensuite l’éclairer sous l’angle d’une critique posthuma-niste, grâce à l’analyse paralinguistique d’exemples musicaux tirés du répertoire de la musique populaire. D’une certaine manière, le corps intérieur ainsi « artistiquement représenté » par la médiation vocale, peut être observé dans une multitude de cultures musicales. Ainsi, chacun des trois autres chapitres qui composent cette section explore un cas particulier de pratique revivaliste dans laquelle la voix joue le rôle principal. Que ce soit dans le cas de la cueca chilienne étudiée par Laura Jordan Gonzalez, du salento italien analysé par Flavia Gervasi ou de pratiques musicales judéo-espagnoles observées en France par Jessica Roda, on assiste au désir, chez les musiciens, de faire revivre des tradi-tions vocales au sein de leurs communautés respectives. Que nous révèlent ces courants revivalistes ? Quelles visées esthétiques, idéolo-giques ou mercantiles servent-ils ?

Pour Jordan Gonzalez, ce n’est pas tant la pratique de la cueca elle-même qui constitue le principal objet de son chapitre, que le discours critique qu’elle nourrit. Selon l’auteur, les efforts déployés par des auteurs chiliens bien en vue afin de situer les origines de la cueca dans l’esthé-tique musicale arabo-andalouse fournissent des arguments à une vision idéologiquement orientée de la pratique. Le courant revivaliste actuel devient ainsi le lieu d’une redécouverte, mais aussi un lieu de débats. On observe une situation similaire dans les Pouilles, au sud de l’Italie, comme l’évoque Flavia Gervasi dans son chapitre qui se penche sur la pratique du Salento. L’auteure propose un dialogue épistémologique entre les descriptions scientifiques de la pratique et celles, endogènes et intuitives, de ceux qui l’exercent. S’opposent ainsi, entre autres, l’esthé-tique des anciens (paysans) et celle, plus urbaine, des nouveaux praticiens qui cherchent, à travers une « opération de simplification », à atténuer la rugosité de la pratique traditionnelle afin de la rendre plus accessible au public actuel. Par le biais d’une fine analyse d’enregistrements, Gervasi illustre les limites du vocabulaire musicologique traditionnel pour

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rendre compte de cette pratique véritablement ancrée dans le corps. Tout aussi révélatrices sont les pratiques vocales judéo- espagnoles qu’étudie Jessica Roda dans son chapitre « Redéfinir l’expérience musicale par la singularisation ». Également sujettes à des transformations de pratiques ancestrales, les manifestations observées par Roda sont examinées sous l’angle théorique de l’« artification musicale », de manière à éclairer le processus menant à une valorisation symbolique de la pratique, qui elle-même se manifeste à travers le processus de professionnalisation de ses acteurs. Ici encore, ce processus d’un supposé anoblissement (et donc, d’une certaine manière, d’un éloignement du corps) provoque de nombreux débats au sein de la communauté actuelle.

Corps en mouvement, corps performanciels

Les deux dernières sections du livre inscrivent au cœur de l’analyse un corps qui bouge, qui transmet le savoir, qui signe et crée singulièrement la représentation musicale. Comme le précise Monique Desroches, en regardant jouer un clarinettiste, en examinant sa posture et ses mouve-ments, on percevra aisément s’il interprète une œuvre de Mozart, une musique klezmer ou un morceau de jazz. L’image du corps en mouve-ment, par delà la structure de l’œuvre, révèle à elle seule des éléments de stylistique musicale.

Mais au-delà de l’importance du corps dans la création et l’inter-prétation des genres musicaux, c’est toute la mémoire culturelle d’un peuple qui est imprégnée dans le corps du musicien, du chanteur ou du danseur, ainsi que le souligne à juste titre Virginie Magnat. La perfor-mance de chants traditionnels peut devenir, écrit-elle, un acte politique, une revendication identitaire, ou encore l’incarnation d’une culture considérée minoritaire, mais toujours vivante. La mémoire se transmet ainsi par des gestes concrets qui sont parfois de nature profane, parfois à caractère sacré ou rituel. Ainsi transmis et perpétrés, ces gestes se transforment alors en gardiens de la mémoire, comme en témoignent les propos de Marie-France Mifune dans son regard sur la musique du rituel bwiti du Gabon. Le corps performanciel s’inscrit non seulement dans la foulée d’une pratique musicale, mais aussi dans une sorte de performativité sociale à laquelle chaque membre de la communauté se reconnaît et s’identifie. Le corps en mouvement est ainsi plus que chorégraphie et gestuelle : en plus de définir précisément un genre

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musical, il est aussi et surtout un marqueur social. Les chapitres de Catherine Harrison-Boisvert sur la capoeira du Brésil, de Karen Nioche sur les sonneurs et chanteurs bretons, de même que celui de Monique Desroches sur le bèlè de la Martinique sont révélateurs de ces processus de création centrés sur une réelle corporéité musicale et sociale.

Cette mémoire perpétuée par la performance n’est pas seulement collective. C’est par le corps performanciel que l’artiste crée sa signature singulière, comme le montrent bien les analyses de Sophie Stévance et de Desroches. L’artiste créateur qui s’intéresse à la préservation du patrimoine musical entre en dialogue avec ce dernier, pour le transcen-der en apposant sa signature à la fois dans le champ patrimonial et dans celui de la contemporanéité. Tout en conservant un lien affectif et émo-tionnel avec la dimension patrimoniale du répertoire musical, l’artiste va au-delà de celui-ci pour atteindre, à travers diverses explorations de recours au corps, sa propre authenticité, qu’il positionne ensuite dans la sphère plus large de la transnationalité contemporaine. C’est dans ce contexte, souligne Stévance, qu’émerge cette nouvelle vague d’artistes dont la pratique multidisciplinaire et transnationale à la fois nourrit et reflète un mouvement volontaire non pas d’une quête, mais d’une reconquête de soi. Ici encore, le corps porte cette démarche créatrice complexe.

L’homme-orchestre est un autre exemple patent de cet arrimage singulier du corps et de la musique. Pour Julian Whittam, les mouve-ments de l’homme-orchestre et sa façon d’interpeler les spectateurs sont sans aucun doute les procédés les plus singuliers et caractéristiques de la performance, où le visuel dialogue avec le sonore. Le jazz n’est pas non plus étranger à la réhabilitation du corps dans les analyses musi-cales : tel que le montre bien Vincent Cotro dans son chapitre, c’est avec le corps redevenu premier, et pas seulement avec les éléments épars d’un langage musical, que le jazz a construit sa matière sonore et visuelle.

Qu’advient-il toutefois quand le corps disparaît ou semble dispa-raître lors des performances ? Cette question intéressante et intrigante est notamment posée dans la contribution d’Anthony Papavassiliou à propos des musiques enregistrées. Depuis l’apparition de l’enregistre-ment sonore, la présence de l’interprète n’est plus indispensable lors de la diffusion de l’œuvre. À son tour, ce changement de paradigme vient mettre en doute la place et le rôle du corps performanciel lors de cette étape de diffusion. Par son œuvre phonographique, l’artiste n’est

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plus obligatoirement convoqué dans sa part de recréation de l’œuvre. Papavassiliou examine alors les moyens utilisés par les musiciens pour arrimer leur pratique avec les possibilités offertes par les technologies. Pour sa part, François Picard convoque le lecteur autour de la relation de l’acteur à la marionnette vue comme signe, symbole et métaphore du rapport entre le musicien  – en son corps –  et son instrument de musique. Dans cette analyse, une marionnette du Fujian qui joue d’un instrument de musique représente-t-elle précisément un musicien ? L’auteur se penche alors sur la distinction entre corps, outil, instrument et machine.

Marcel Mauss, dans ses « Techniques du corps » (1936), comme aussi Marcel Jousse (1969), dans son ouvrage L’anthropologie du geste, avaient bien pressenti la richesse du regard sur le corps. Pour Mauss, le corps est l’instrument premier et le plus naturel de l’homme, et l’objet tech-nique le plus naturel (1936 : 372). Ainsi que Desroches le souligne dans sa contribution, Mauss cherche à mettre en évidence les particularités culturelles des sociétés à partir d’une observation minutieuse des tech-niques corporelles chez l’humain, ces techniques étant perçues comme des révélateurs, ou plutôt comme des marqueurs sociaux à la jonction des sphères biologique, sociologique et psychologique.

Dans l’ensemble de ces contributions, le terme le plus important est « relation », car toute performance suppose un espace de communica-tion permettant à tous les acteurs d’entrer en relation les uns avec les autres. Que ce soit par le regard, par la danse ou par une série de dialo-gues rythmiques entre musiciens, le corps joue un rôle fondamental, guidant et signant le déroulement de l’œuvre.

Remerciements

Cette publication n’aurait pu voir le jour sans la collaboration de nom-breuses personnes. Nous pensons tout particulièrement à Pascale Duhamel ; sa compétence et son dévouement sur le plan de la révision des textes et de la mise en page ont été appréciés de tous et de toutes. Il nous faut aussi souligner le travail remarquable de Farrokh Vahabzadeh au chapitre de la mise en ligne des exemples sonores et multimédias inclus dans cette publication. Kathleen Verdereau a, pour sa part, joué un rôle important de liaison entre les auteurs et les responsables de ce collectif, et ce, depuis la tenue des Journées d’étude. Nous remercions

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également Marie-Christine Parent, Anne-Claire Riznar et Ariane Couture pour leur soutien logistique lors de ces Journées d’étude. Nous ne pouvons passer sous silence la collaboration amicale et profession-nelle des Presses de l’Université de Montréal, plus précisément, de son directeur, Antoine Del Busso, de Nadine Tremblay, directrice de l’édi-tion, et de Sylvie Brousseau, chargée de projet. Nous remercions égale-ment la peintre Rita Ezrati dont l’œuvre Flamenco illustre de façon éloquente tout ce que ce livre a souhaité esquisser. Enfin, nous tenons à remercier sincèrement le Conseil de recherches en sciences humaines et sociales du Canada (CRSHC), le Conseil franco-québécois de coopéra-tion universitaire (CFQCU) ainsi que les sites de Montréal et de Québec de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM) pour leur appui financier dans la réalisation des Journées d’étude et de cette publication.

références

Godøy, R., et Leman, M., dir. (2010), Musical Gestures : Sound, Movement, and Meaning, New York : Routledge.

Hawkins, S. (2013), « Aesthetics and Hyperembodiment in Pop Videos : Rihanna’s “Umbrella” », dans J. Richardson, C. Gorbman et C. Vernallis (dir.), The Oxford Handbook of New Audiovisual Aesthetics, Oxford : Oxford University Press, p. 466-482.

Jander, W. et coll. (2014), « Singing », Grove Music Online, Oxford Music Online, Oxford University Press.

Jousse, M. (1969) L’anthropologie du geste, Paris : Éditions Resma.Koneya, M., et Barbour, A. (1976), Louder Than Words : Non verbal Communication,

Columbus, Ohio : Merrill.Lebrun, B., dir. (2012), Chanson et performance : Mise en scène du corps dans la

chanson française et francophone, Paris : L’Harmattan.Le Guin, E. (2006), Boccherini’s Body – An Essay in Carnal Musicology, Berkeley :

University of California Press.Mauss, M. (1936), « Techniques du corps », Journal de psychologie, vol. 32, nos 3-4 :

[en ligne], édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay pour la col-lection Les Classiques des sciences sociales, UQAC, 2002 : http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html.

Middleton, R. (1993), « Popular Music Analysis and Musicology : Bridging the Gap », Popular Music, vol. 12, no 2, p. 177-190.

Moore, A. F. (1993), Rock, the Primary Text : Developing a Musicology of Rock, Buckingham : Open University Press.

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le corps comme outil du musicien

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Autres titres disponibles aux Presses de l’Université de Montréal

Frédérique ArroyasLa lecture musico-littéraire

Sylvain Caron, François de Médicis, Michel DuchesnauMusique et modernité en France

Claude DauphinPourquoi enseigner la musique ?

Monique Desroches, Marie-Hélène Pichette, Claude Dauphin et Gordon E. SmithTerritoires musicaux mis en scène

Sous la direction de Jonathan GoldmanÉcouter la création musicale au Québec

Ghyslaine GuertinLa critique et ses malentendus. Le cas Glenn Gould

Jean-Jacques NattiezProfession musicologue

Georges LerouxPartita pour Glenn Gould

Sophie StévanceMusique actuelle

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isbn 978-2-7606-3380-339,95 $ • 36 e Couverture : © Rita Ezrati, Flamenco (détail)

Disponible en version numériquewww.pum.umontreal.ca

La musique entretient des liens indissociables avec le corps.

Toutefois, les recherches portant sur ce couple fondateur sont

rarissimes. Point de départ et d’arrivée de la médiation musicale,

le corps est un lieu d’expression et de communication, de tech-

niques, de production de sons et de mouvements et mérite toute

l’attention que les auteurs de ce livre – musicologues, interprètes

et philosophes – lui prêtent.

Du timbre vocal à la chorégraphie cultuelle, en passant par la

position des doigts sur un clavier ou sur des cordes, cet ouvrage

aborde plusieurs thèmes qui intéresseront grandement les musi-

ciens, les danseurs et tous ceux que la question du corps dans

l’art interpelle.

Les directeurs de publication

Monique Desroches est professeure titulaire en ethnomusicologie à la Faculté de musique de l’Université de Montréal.

Sophie Stévance est professeure adjointe en musicologie à la Faculté de musique de l’Université Laval.

Serge Lacasse est professeur titulaire en musicologie à la Faculté de

musique de l’Université Laval.

Les Presses de l’Université de Montréal

Quand la musique prend corps

Sous la direction de

Monique Desroches, Sophie Sté va nceet Serge L ac a sse

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