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P S Y C H A N A L Y S T E S D ' A U J O U R D H U I

Évelyne Kestemberg

p a r

L i l i a n e A b e n s o u r Membre de la Société psychanalytique de Paris

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E

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PSYCHANALYSTES D'AUJOURD'HUI

Collection dirigée p a r P a u l Denis

ISBN 2 13 049790-X

Dépôt légal — 1 édition : 1999, janvier

© Presses Universitaires de France, 1999 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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Histoire d'un engagement

La pensée à la fois agile et rigoureuse d'Évelyne Kes- temberg qui n'hésite pas, au fur et à mesure du déroule- ment de sa carrière, à forcer les limites du déjà connu pour s'aventurer plus avant dans des champs encore mal explo- rés de la psychanalyse, se révèle à travers ses écrits ; mais comment faire passer, auprès de qui n'a pas assisté aux supervisions, aux séminaires, aux premiers entretiens avec les patients, les intuitions percutantes d'une clinicienne hors pair ?

En peu de mots, Évelyne Kestemberg savait bousculer, faire sentir, faire comprendre. Elle était exigeante — d'au- cuns diront qu'elle n'était pas toujours amène — mais, l'intérêt qu'elle portait aux patients, à ce qu'ils nous révè- lent, et surtout à ce qu'ils vivent, primait sur toute autre considération. Elle était généreuse et ne mesurait ni son temps ni ses efforts. Elle avait la passion de son métier et elle aimait transmettre.

Malgré les apparences, Évelyne Kestemberg était une femme secrète. Ceux qui l'ont bien connue, et qui se récla- ment à juste titre d'une amitié profonde et pa r t agée connaissent plus le goût qu'elle avait pour Baudelaire et Mozart que les détails de sa vie personnelle. Femme de belle prestance, affirmée, elle en imposait et ne s'abandonnait guère aux confidences, comme si, pouvait-on croire, les par- ticularités de la vie privée devaient s'effacer devant une vie active et militante propre à la génération qui fut la sienne.

Née le 28 mai 1918 à Constantinople, d'un père français, commerçant, et d'une mère juive russe qui avait fui la

1. Que René Angelergues et Serge Lebovici soient ici remerciés pour leurs témoignages. Mes remerciements vont aussi à Colette Guédeney, à Catherine Kestemberg et à André Lardon, mes premiers lecteurs.

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Révolution de 1917, Évelyne Hassin arrive en France avec ses parents peu après sa naissance. Elle accomplit sa scola- rité primaire et secondaire au Lycée Lamartine puis au Lycée Victor Duruy. Elle fait partie du Mouvement des Eclaireuses israélites, où elle se lie avec la jeune sœur de Serge Lebovici qui, de trois ans son aîné, deviendra plus tard l'ami fidèle. Parvenue en classe de philosophie, son professeur, Juliette Favez-Boutonnier la présente au Con- cours général et l'incite, selon une tolérance de l'époque, à préparer en faculté, avant même l'obtention du baccalau- réat, un certificat de philosophie.

Munie d'une licence, en 1942, elle quitte la France occupée par les Allemands, pour rejoindre au Mexique un cousin que ses parents avaient élevé et qu'elle considère comme son frère. Lorsqu'elle revient à Paris à la Libéra- tion, elle est mariée. Jean Kestemberg, son mari, rencontré au Mexique, issu d'une famille juive polonaise pratiquante, avait quitté la Pologne à l'âge de dix-sept ans pour faire ses études de médecine à Paris. La France l'avait accueilli.

Mais, après avoir combattu pendant la guerre d'Espagne dans les Brigades internationales, il avait fui l'occupant nazi et s'était réfugié au Mexique.

De retour en France fin 1945, c'est pour Évelyne et Jean Kestemberg le temps de l'engagement : un temps de mili- tantisme au sein du Parti communiste et de formation à la

psychanalyse. Des amitiés se nouent qui ne seront jamais démenties, notamment avec Serge Lebovici alors re- trouvé ; avec René Angelergues, rencontré, dès 1947, dans un groupe de travail de médecins psychiatres du Parti communiste. L'aventure double qui se vit, politique et psychanalytique, est celle d'une génération engagée dans une même quête, mais qui conduit bientôt, pour les uns et les autres, à des prises de position intenables. La contradic- tion entre les deux options fondamentales se révèle avec éclat. La direction du Parti réclame une condamnation

officielle du freudisme. L'affaire avait été longuement pré- parée et Victor Leduc, responsable des cercles intellectuels,

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en est chargé. Elle touche plusieurs psychiatres et psycha- nalystes appartenant alors au Parti communiste — dont Serge Lebovici, Salem Shentoub, Évelyne et Jean Kestem- berg pour ce qui est des psychanalystes — auxquels on réclame un texte autocritique à l'endroit de la psychana- lyse, considérée comme une idéologie réactionnaire. Le texte, qui fait l'objet d'une discussion, est différemment attaqué ou défendu, mais il est unanimement signé. Il est publié dans La Nouvelle Critique en juin 1949.

Les tentatives pour opérer une dissociation, inspirée des idées de Politzer, entre la doctrine freudienne — qui serait infiltrée des valeurs bourgeoises — et la pratique à vocation sociale d'hygiène mentale, ne tiennent pas longtemps aux yeux d'Évelyne et de Jean Kestemberg, brutalement con- frontés au stalinisme. Mais par fidélité, en ce qui concerne Jean Kestemberg, à son passé révolutionnaire, ils main- tiennent leur appartenance au Parti. Il faut attendre le retour d'un voyage en Europe de l'Est, en 1956, pour qu'Évelyne Kestemberg rende sa carte et que Jean Kes- temberg se fasse exclure peu après.

Plus gratifiante est l'aventure psychanalytique. Tandis que Jean Kestemberg est analysé par Jacques Lacan, Éve- lyne Kestemberg fait son analyse avec Marc Schlumberger. Ruth Lebovici, qui la croise chez le même analyste, raconte plaisamment combien elle était impressionnée par l'aisance de cette femme qu'elle devait connaître plus tard, à l'occasion d'une visite de Melanie Klein. Elles se lient

bientôt d'amitié. Évelyne Kestemberg suit régulièrement les cours dispensés, chaque mercredi, par Serge Lebovici à une douzaine de personnes sur « les grandes questions de la psychanalyse ».

Parallèlement se met en place — et le côté pionnier de l'affaire est tout à fait remarquable — ce qui évoluera, entre 1947 et 1949, pour certains psychanalystes d'enfants, de la pratique de la psychothérapie de groupe au psycho- drame psychanalytique. Le tout premier article d'Evelyne Kestemberg : « Quelques notions sur le psychodrame chez

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les enfants », en 1949, marque le point de départ d'une longue pratique à laquelle se trouvent associés de nom- breux psychanalystes. Recherche collective faite de con- frontations, de discussions et de collaborations fructueuses.

Le terme de psychodrame, Serge Lebovici l'emprunte à Moreno en l 'adaptant. Il y accole l'épithète de psychanaly- tique, se distinguant par là de Moreno dont il avait entendu parler, mais qu'il n'avait jamais rencontré. Alors que celui- ci entendait, à Vienne dans les années 20, puis à New York à partir de 1936, développer la « spontanéité créatrice » de l'enfant, par la mise en place de jeu de rôles visant à une libération cathartique, il se pratique en France, après la guerre, dans plusieurs centres, des formes variées de psy- chodrame, inspirées de la psychanalyse : psychothérapie de groupe, psychanalyse dramatique de groupe, psychodrame analytique, les pratiques peu à peu se différencient et se pré- cisent, surtout chez les psychanalystes d'enfants. Mais le psychodrame psychanalytique proprement dit naît de la confrontation et de la fusion de deux expériences menées d'abord parallèlement : l'une par Serge Lebovici qui, dans le service du P G. Heuyer aux Enfants malades, développe, non sans difficulté, avec René Diatkine différentes modali- tés de psychothérapies d'enfants ; l 'autre par Évelyne Kes- temberg qui, au Centre pédagogique Claude Bernard, où Mireille Monod avait introduit le psychodrame morenien, tente avec Simone Decobert, et par la suite Didier Anzieu, une expérience similaire. Le groupe parisien des psychana- lystes d'enfants, qui avait été fondé à l'Hôpital des Enfants malades, se renforce. Alors que, dans un premier temps, il s'agissait de traiter simultanément un groupe de patients et de tenir compte des interactions suscitées par la situation, la technique évolue bientôt vers le psychodrame indivi- duel : une expérience et une réflexion menées à plusieurs, qui se poursuit sur un grand nombre d'années, comme en témoigne le « Bilan de dix ans de pratique psychodrama- tique chez l'enfant et l'adolescent » établi, en 1958, par Évelyne Kestemberg, René Diatkine et Serge Lebovici.

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Évelyne, Jean Kestemberg et leur fille Catherine, à la fête de L'Humanité en 1954.

© Cliché d'auteur

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D'abord et surtout appliquée aux enfants, puis recom- mandée pour le traitement des adolescents et des jeunes adultes, l'indication de psychodrame est élargie aux patients psychotiques grâce aux premières tentatives d'Évelyne et de Jean Kestemberg, à l'Hôpital psychia- trique de Villejuif.

1953 : une année particulièrement importante pour Éve- lyne et Jean Kestemberg, tous deux élus membres adhé- rents de la Société psychanalytique de Paris. C'est aussi l'année où ils adoptent une petite fille, Catherine, qui à son tour deviendra psychanalyste.

Aux dires de ceux qui les ont beaucoup approchés, l'entente entre Évelyne et Jean Kestemberg est faite de complémentarité. Évelyne Kestemberg a pour elle la rigueur, mais elle sait aussi rêver. Jean Kestemberg est chaleureux, manie l 'humour juif, déborde d'invention. Il connaît bien la psychose. La psychanalyse est leur cause commune. Grand est leur appétit de vie, leur goût de la convivialité.

Le psychodrame pratiqué en privé dans leur maison de la rue Friant, dès 1954, est l'occasion offerte à de nom- breux analystes de se joindre à eux et de se former à cette technique. Ainsi, le groupe du lundi accueille des analystes en formation, tandis que celui du jeudi réunit, entre autres, dans une même recherche, dans une même découverte, Claudine Baschet, Jean Gillibert, Charlotte Godfarb, Ruth Lebovici...

Le besoin d'agir associe Évelyne Kestemberg à l'aven- ture menée par Serge Lebovici et René Diatkine pour la création, au sein du Centre de Santé mentale du X I I I ar- rondissement fondé par Philippe Paumelle, du Centre Alfred Binet pour les enfants. A la faveur de la sectorisa- tion de la psychiatrie, un travail de traitements et de recherches est entrepris, en 1958, avec toute l'efficacité et l'innovation qui caractérisent alors cette institution. Une telle collaboration, dans la richesse d'une structure où pri- ment le travail d'équipe et la relation aux familles et aux

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écoles dépendant du secteur, permet des échanges et des confrontations entre ces trois personnalités si proches, sou- vent complices, et pourtant très différentes les unes des autres.

L'intérêt tout particulier porté par Évelyne Kestem- berg, émule de Serge Lebovici, non seulement aux enfants mais aux adolescents, s'inscrit dans cette période, don- nant lieu en 1962 à un texte dense, qui fait date : « L'identité et l'identification chez les adolescents. Problè-

mes théoriques et techniques » et qui ouvre, à partir de nombreuses observations cliniques, à la conjonction néces- saire pour l'adolescent de son identité et de son identifica- tion à l'un des deux parents. On y voit se déployer, non seulement la sûreté, de la part d'Evelyne Kestemberg, de ses bases tant psychiatriques que psychanalytiques, mais surtout la finesse de son sens clinique. La vision qui se dessine de l'adolescence comme mouvance, comme mo- ment « organisateur » plutôt que comme crise ne se démentira pas tout au long de ses travaux. Cette même année, Jean Kestemberg fait paraître son travail sur l'érotomanie, creuset, pourrait-on dire, à partir duquel se développera l'ensemble des idées énoncées sur la psychose et sur la solution délirante.

En 1963, Évelyne Kestemberg est élue didacticienne, mais l'affaire ne va pas sans mal, car les pressions sont grandes auprès des non-médecins pour leur faire entre- prendre des études de médecine, afin d'être reconnus comme analystes à part entière. Évelyne Kestemberg refuse et l'emporte, malgré la très vive opposition de Nacht à son élection. Elle est ainsi la première femme non méde- cin, devenue membre titulaire de la Société, mise à part Marie Bonaparte, membre fondateur.

Deux ans plus tard, Évelyne Kestemberg assure avec Jean Kestemberg la rédaction du rapport pour le Congrès des psychanalystes de langues romanes qui a lieu à Paris fin octobre 1965. C'est la « Contribution à la perspective génétique en psychanalyse ». Confrontant les théories

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a donc échoué ici en sa fonction de contre-investissement.

Dès lors, on voit d'emblée — ce sur quoi je ne saurais m'attarder ici — combien cette phobie du fonctionnement mental pose en des termes particuliers la problématique complexe de la resexualisation de la pensée et, d'une façon plus générale, celle de la sublimation et de ses aléas.

Cette problématique est ouverte par toutes les formes d'organisations psychiques où vient s'inscrire la phobie du fonctionnement mental, mais des modalités de questionne- ments différents surgissent selon que l'on se trouve devant les aspects que j 'ai distingués plus haut :

a la dépossession qui va jusqu'à la « possession », au sens délirant et démoniaque du terme ;

b / l'inhibition qui va jusqu'à la dislocation.

Je vais maintenant essayer d'en ébaucher succinctement les lignes directrices :

a) C'est un truisme que de relier la possession ou dépos- session à l'analité dans laquelle, bien entendu, ce vécu vient s'ancrer. Et si j'ai cité Schreber, c'est bien que tout y a été dit, je crois, à ce propos — suffisamment en tout cas pour nourrir les réflexions de plusieurs générations de psy- chanalystes et de psychiatres. Ce que je veux souligner ici, c'est, au contraire, dirais-je, combien une telle phobie aboutit à une disqualification de l'analité comme de l'ensemble de la sexualité infantile bien entendu.

La séquence schématique que je propose est en effet : 1 / « Ma pensée — ma production — me fait peur (en fonc-

tion bien entendu des fantasmes inconscients, mais cela va sans dire), je ne pense pas, je n'ai rien dans la tête ni dans le ventre » : phase de dépossession qui va jusqu'à « Je ne suis rien, je n'existe pas » avec l'accompagnement connu des sentiments de « non-valeur », d'indignité, etc., et on aura reconnu certaines formes de dépression.

2 / « Si j 'ai quelque chose en moi, c'est qu'on me l'y a mis, et ces pensées, ces images, ne sont pas miennes. On m'en a pénétré, possédé » : phase de possession. « Ce danger

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a été introduit en moi par "l'autre" », et l'on aura reconnu certaines formes de mélancolie. On peut aussi dire : « L'autre ne cesse de me persécuter de l'extérieur », et l'on retrouve ici certaines formes de paranoïa — ceci à titre d'exemples grossiers, bien entendu.

Cependant, ces vécus de dépossession-possession peuvent prendre des aspects plus subtils, ainsi, par exemple cette malade à qui je demandais si elle rêvait et qui me répon- dait : « Je ne vous parlerai pas du diable, vous n'aimez pas le diable, vous, les psychanalystes. » Ainsi, l'aspect, somme toute conventionnellement diabolique de la pensée, se trouve en quelque sorte détecté à la source, par l'intérêt porté à la phobie du fonctionnement mental.

Je voudrais encore ajouter à ce propos que si je me trouve fondée à parler de « disqualification de l'analité », c'est qu'en cette forme de figure rien de ce qui vient de l'objet qui pénètre, ou de ce qu'en fait ensuite le sujet péné- tré n'est bon, et le plaisir anal est ici à son maximum de dangerosité, en dépit du déplacement sur la pensée. On doit souligner en même temps combien le mécanisme même du déplacement échoue ici en sa fonction défensive, comme si le refoulé demeure trop intensément inscrit, ou plutôt lourde- ment présent — tout en restant méconnu — pour ne pas menacer l'intégrité narcissique du sujet.

b) La série qui va de l'inhibition à l'évolution déficitaire ou encore à la dislocation schizophrénique. Il va de soi que ce que je viens d'esquisser à propos de la série a) s'y retrou- verait en des aménagements différents, et je ne fais la dis- tinction entre ces deux séries que pour la commodité de l'exposé, sans qu'en aucune manière on doive ou puisse les réifier chacune pour son compte, du moins dans ma conception.

Je voudrais cependant insister à propos de cette deuxième série sur un aspect dont l'importance m'apparaît d'autant plus grande qu'on y trouve un lien précis entre la symptomatologie de l'adulte et celle observée chez l'enfant — j'entends l'enfant que cet adulte a été. Il s'agit de

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l'observation que j'ai faite de l'existence de phobies scolai- res précoces ou tardives, chez presque tous les patients que j'inscrirais dans cette série.

L'homosexualilé primaire, Homosexualité, identité, adolescence, quel- ques propositions hypothétiques, 1984, p. 20-24.

Sur le plan métapsychologique, l'on peut remarquer que ces échanges sont inégaux quant à la topique, la dyna- mique et l'économie psychique qui y président.

— Du côté de la mère en effet, l'enfant, comme on l'a vu, quel qu'en soit le sexe, est à la fois objet auto-érotique et partenaire amoureux, sensuel — qui contient et traduit les relations libidinales et agressives à chacune des imagos —, chaque fois évidemment que l'organisation psychique de la mère est d'ordre névrotique. S'il en va différemment, l'objet enfant sera investi d'une autre manière : les inves- tissements narcissiques prévalent dans les psychoses ou les perversions.

— De la part de l'enfant, les échanges avec l'objet maternel — sans doute non connu comme tel — comportent une qualité distincte en leur texture et les satisfactions ou frustrations dont ils sont porteurs de ceux que l'enfant trouve en lui-même. C'est là l'essence même, me dira-t-on, des différences qui organisent la satisfaction hallucinatoire et l'insatisfaction qui y est inhérente : elles entraînent par là l'organisation de l'objet interne. C'est aussi, d'un autre côté, me fera-t-on remarquer, la définition même des iden- tifications primaires, avec les ambiguïtés qu'elles ne lais- sent pas de retenir tant en elles-mêmes que dans l'œuvre de Freud. Cependant, je maintiens que si la qualité des apports diffère selon qu'il s'agisse de ceux qu'à soi-même l'enfant se procure ou de ceux qui émanent de sa mère, il peut totalement se trouver dans les premiers et faire aux seconds un sort distinct, selon que, s'identifiant à leur source, il devient comme sa mère et par là retrouve des

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satisfactions auto-érotiques, ou qu'il reçoit de sa mère quelque chose de distinct de ce qu'il est.

En d'autres termes, cette différence de qualité, vécue sensoriellement entraîne et/ou l'identification, et/ou l'in- vestissement objectal. C'est dire qu'en son économie pré- vaut tantôt l'identique, le même, le soi, tantôt l'altérité. Tout le travail psychique de l'homosexualité est d'orga- niser l'altérité pour à travers elle conserver l'identité. Bien entendu, il s'agit d'une reconstruction après coup, ou si l'on veut du second temps du traitement fantasmatique.

Dans l'identification primaire, la relation est au même, à l'identique, même s'il a été autre ; dans l'homosexualité primaire, au contraire disais-je, la relation est à l'autre, peut-être au semblable mais non à l'identique, à travers le m ê m e

Ainsi d'Astrid, devant sa chatte et le petit ; c'est bien sa mère et elle, sans doute, mais aussi elle et moi, en cette relation où notre échange se poursuivait par le fil ténu de la voix seule reconnue, identifiée. Cependant, pour qu'un tel lien s'instaure et se perpétue, il faut que ce qui est par trop dissemblable soit gommé ou atténué, gommées donc les différences sexuelles, atténué le poids de la sexualité.

Ce lien reste privilégié, unique et ne peut être qu'homo- logue à l'objet — quel que soit le sexe des deux protagonis- tes. Il faut aussi que dans l'après-coup (car tout ceci, je le répète, ne se veut guère une description génétique, mais bien une construction dans l'après-coup) l'impact de l'objet ne soit pas trop violent, trop porteur de la sexualité attachée aux imagos, d'où la nécessité de l'idéalisation et de l'infléchissement tendre qui le rendent tolérable.

On reconnaît là des éléments semblables à la désexuali- sation-socialisation bien connues, inhérentes à l'homo- sexualité de la période de latence en particulier.

1. Il est intéressant ici de réfléchir sur la parenté et les différences avec les diverses modalités d'identification projective décrites par E. Jacobson : oneness, sameness, likeness et closeness (Le Soi et le monde objectai, Paris, PUF, 1975).

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Mais, me dira-t-on, si tout cela peut être valable pour les filles, par définition homosexuées avec leur mère, premier objet d'amour et d'identification, qu'en est-il des garçons ? Peut-on, en ce qui les concerne, parler d'homosexualité pri- maire, dans la mesure où très précisément ils sont de sexe différent d'avec leur mère, donc hétérosexués ?

Pour me suivre sur ce dernier point dans l'argumen- tation d'une réponse qui se veut positive, il faut admettre une série de propositions, et d'abord qu'entre l'identifi- cation primaire et l'homosexualité primaire la différence n'est pas topique, ni même forcément chronologique. Elle est économique. Dans la première, la part narcissique ou auto-érotique prévaut sur la part objectale, ou bien, en d'autres termes, le processus d'identification prévaut sur celui d'investissement libidinal ; pour la seconde au con- traire, le dernier de ces processus l'emporte.

Si donc on décompose en quelque sorte en deux temps ce que Freud dit de l'identification primaire : celui d'être comme et celui d'aimer celle que l'on a commencé par aimer pour être comme, l'homosexualité primaire est l'abou- tissement de l'identification primaire, le soubassement des identifications ultérieures. Il s'agit là d'une subtile dialec- tique entre être comme l'objet aimé et aimer l'objet pour ce qu'il est — qui peut être semblable à soi ou bien différent1.

Si l'on veut bien, ne serait-ce que provisoirement, admettre ce qui précède, on voudra bien me suivre jus- qu'au dernier point du développement de ce propos. A savoir l'évolution du garçon et de la fille et l'organisation finale de leur sexualité seraient compris de façon quelque peu différente de ce qu'il en est dit habituellement.

1. Cf. ici S. Freud, Psychologie des foules et analyse du Moi (1921), in Essais de psychanalyse, Paris , Payo t , 1981, et P o u r introduire le narcissisme (1914), in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969. Il s 'agirai t d ' un mouvemen t inverse de celui qui préside à l ' identification narcissique. Serait il un précurseur ou u n fondement de l ' identification hystér ique ? L 'on pourra i t noter à nouveau à cet endroi t les dif- férences significatives des organisat ions hystér iques chez les hommes et chez les femmes.

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Si l'évolution vers l'Œdipe et son déclin sont plus diffici- les pour la fille que pour le garçon, comme on le veut classi- quement en raison des retrouvailles du garçon avec son premier objet d'amour, la mère, et la nécessité pour la fille d'en changer, il en va différemment si l'on veut bien consi- dérer l'instauration de l'homosexualité primaire et son des- tin dans l'organisation de l'Œdipe. En effet, la fille trouve d'emblée la possibilité d'aimer sa mère et ses caresses en dehors du fait d'y trouver quelqu'un d'identique. C'est cela même qui lui permettra d'aimer son père, en ne perdant pas tout à fait de vue qu'étant comme sa mère, elle peut la remplacer en sa disparition dans la fantaisie meurtrière œdipienne, sans cesser de l'aimer tout à fait puisqu'en elle- même, en ce corps identique, elle l'aime. Puis, dans un temps second, elle peut comme son père aimer sa mère, et par là, identifiant leur même objet d'amour, fille et père se trouvent identiques en leur aimance. C'est le temps de l'identification au père, pour en revenir aux retrouvailles identificatoires avec la mère dans le déclin de l'Œdipe.

Ainsi donc la part narcissique, qui pallie la perte dans l'identification, est maintenue pour la fille, alors que pour le garçon quelque chose en sera perdu, et ne subsistera que l'horreur de l'identification à la femme, être châtré. Il ne peut être comme son premier objet d'amour et l'aimer. Ainsi donc, deux évolutions dissymétriques, et pour cha- cun, fille et garçon, de différentes difficultés trouvées dans le jeu subtil de la part de l'identique et de l'amour.

Le premier entretien, Quoi de neuf ? ou les enseignements du « premier » entretien, 1985, p. 11-19.

Si l'on veut bien admettre avec moi que la répétition incluse dans tout fonctionnement psychique constitue en elle-même, en même temps qu'un plaisir, un facteur létal pour ce fonctionnement même, l'on comprendra que la possibilité de la lever, de la distendre, ne fût-ce que provi-

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soirement, fugacement, le temps d'un entretien, représente à mes yeux un facteur d'intérêt, voire d'espoir. Et c'est cet espoir même qui existe en tout(e) patient(e) lorsqu'il (elle) vient à cet entretien, c'est cet espoir dont nous devons, avec autant de finesse et de précision que possible, tâcher de saisir la valeur mobilisatrice.

Si l'on peut, comme le disait R. Angelergues au cours d'un colloque récent, énoncer avec quelque fondement que l'inverse de la dépression pourrait être l'anticipation, si l'on veut bien aussi considérer que le statut de la dépres- sion, son destin et son maniement par les intéressés et par ceux qui les soignent, sont cruciaux dans le devenir de la désorganisation ou de la mésorganisation psychiques, on mesure d'entrée, me semble-t-il, l'importance de ce « moment d'espoir » qui toujours prélude à cet entretien et parfois y préside suffisamment pour que l'on en puisse mesurer les effets, en cours de route, c'est-à-dire dans le pendant et l'après.

Nous pourrions ainsi considérer suivant ces trois rubri- ques (avant, pendant, après) la teneur, le mouvement (ou l'inertie), le devenir de cet entretien singulier qui devrait être différent de ce qui le précède et de ce qui va le suivre.

I. L'avant

... Au sein de ce propos, apparemment de pure informa- tion — même dans des états de désorganisation impor- tante —, on peut entendre le poids relatif de la passivité (« M. X. m'a dit de venir » par ex., propos constant), du désespoir répété (on sent que le « cela ne sert à rien » sous- tend l'entretien) et de l'espoir conservé, même s'il est balayé ( « Vous êtes, vous, quand même venu ici, sans autre contrainte que celle que vous vous êtes imposée » ). Cette remarque, rarement explicite ou toujours implicite, représente à mes yeux quelque chose d'un ordre tout à fait semblable à celui du fameux « C'est vous qui rêvez ». En d'autres termes, la venue même du patient, le fait que

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l'entretien puisse se tenir (même si, comme cela peut arri- ver, l'intéressé reste silencieux) témoignent d'un désir exis- tant et suffisamment agissant, en ce moment même. Ce désir est évidemment, partiellement en tout cas, celui d'un changement, même s'il est largement contrecarré par celui de la répétition.

La longueur de l'attente et le maintien de la rencontre sont en eux-mêmes éloquents quant au désir d'une ren- contre d'un « nouveau type » et à l'importance écono- mique de ce désir dans le psychisme du patient. En termes un peu plus théoriques, il y a là une manifestation certaine des possibilités dont dispose l'intéressé pour se confronter avec un nouvel objet d'investissement. La rencontre à venir avec l'analyste se trouve en effet suffisamment investie par avance et assez durablement pour que l'entre- tien ait lieu.

La part relative des investissements auto- et allo- érotiques au sein de l'économie actuelle constitue à mes yeux un élément de diagnostic tout à fait déterminant. Or il advient que cet investissement anticipatoire soit asséché, voire tout à fait désorganisé, brisé par l'entretien lui- même ; ce qui traduit de fait soit une incapacité d'investir un objet autre que celui que l'on a, en son for intérieur, caressé (psychoses froides par ex. où l'auto-érotisme l'emporte), soit une terreur devant l'envahissement par l'objet « palpable » si j'ose dire (schizophrénie, par ex.). Il advient par contre que l'objet investi l'ait été avec suffi- samment de richesse et de souplesse pour que l'entretien ait donné lieu à un rêve qui le spécifie ou qui, le plus sou- vent, le précède. Et peu importe alors la dénégation actuelle si fréquente : « J'ai fait un rêve mais cela n'a pas de rapport », si ce n'est que cette dénégation même atteste l'importance du travail psychique afférent à la rencontre anticipée.

Ainsi donc « l'avant », la prise en compte dans nos réflexions de l'existence de cette « anticipation », de son poids économique, la dynamique qu'elle suscite (par rap-

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port à la dépression ou à l'inertie également présentes), constitue à mes yeux un premier enseignement de l'entre- tien, une première et nouvelle qualité à inscrire dans nos tablettes.

II . Le pendant

Lors de l'entretien (et quelle que soit l'importance de divers paramètres extérieurs, par ex. la présence éven- tuelle de collaborateurs ou l'enregistrement proposé et accepté par le patient), le tempo sera uniforme ou variable. Le récit peut se dérouler comme préfiguré, ou plutôt « polycopié », le même que celui tant d'autres fois fait aux divers interlocuteurs ou à soi-même. Les interven-

tions qui visent à en modifier le cours peuvent rester lettre morte, et l'espoir préexistant peu à peu se dilue, se délite pour ne laisser la place qu'au déroulement « mécanique », tel celui d'un rouleau préenregistré. Au contraire, il peut advenir que les quelques remarques de l'analyste soient incluses dans les propos tenus, dans les silences instaurés, dans les modifications de ce qu'il paraît à l'intéressé important de montrer.

Par exemple, à l'exposé des symptômes, à la description comme apprise, rabâchée de la façon dont « tout cela est arrivé » va brusquement surgir un élément nouveau, vrai- semblablement marginal, sans rapport apparent, en réalité une ouverture nouvelle sur le fonctionnement psychique. Il s'agit souvent d'un brusque et fugitif surgissement du passé, ou bien d'une remarque identificatoire (par ex. : « Mon père faisait cela aussi ») ou bien encore d'un sens nouveau pris par une conduite habituelle. Cela peut être aussi l'absorption de l'interlocuteur dans les propos tenus : « Vous allez me dire que, vous allez penser que », etc. Ces lueurs nouvelles peuvent rester des inclusions atones ou bien au contraire infléchir la suite du récit, induire un nou- veau monologue dialogué, ou un vrai dialogue et, dans les

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cas heureux, aboutir à une prise en considération nouvelle du patient par lui-même. Ainsi, tel patient venu avec des symptômes obsessionnels massivement exposés en arrive- ra-t-il à considérer sa détresse, sa solitude, comme l'alpha et l'oméga de l'angoisse insupportable contre laquelle tous les moyens sont bons, y compris les moments délirants et les tentatives de suicide répétées.

On voit dans ce dernier cas qu'en dépit de tout, les capa- cités d'investir un objet sont maintenues, le travail de deuil pour un objet perdu, possible, et l'économie psychique, vivante et mobile. On peut, devant cette souplesse écono- mique dont la dynamique de l'entretien témoigne, augurer un possible recours bénéfique au fonctionnement précons- cient. On sera dès lors spécialement attentif aux capacités associatives au cours des propos tenus, aux productions fantasmatiques et oniriques qui, dans les entrevues de cet ordre, en viennent presque toujours à être communiquées.

De même, sa propre histoire est relatée par l'intéressé de façon enrichie, différemment « romancée », comme s'il y trouvait une destination nouvelle pour lui et pour l'intérêt qu'en autrui elle peut susciter ; ou bien à l'in- verse, le maintien d'une histoire toujours la même, tel un refrain, inlassablement récité, témoigne à l'évidence de la valeur défensive d'une telle construction, souvent vitale d'ailleurs quand elle en vient à servir d'ossature unique qui permette de se tenir debout. Il apparaît alors que la nécessité d'un tel assèchement et d'une telle rigidité tra- duit une économie actuelle extrêmement fragile en sa rigueur, et par là même l'incapacité de l'intéressé à main- tenir un « pare-excitation » interne. La présence de l'objet (l'interlocuteur dans ce cas), son existence même consti- tuent une « épine irritative » et pourraient représenter un danger si cette rigidité atone et préparée ne le recouvrait comme la mer couvre le sable. Ceci constitue bien entendu

une notation diagnostique précieuse quant aux modalités défensives mises en œuvre (déni plutôt que refoulement en particulier).

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D'autres patients présentent, au fur et à mesure que se déroule l'entretien, une excitation croissante qui peut sus- citer une sorte de « bousculade » des idées, des événements rapportés, pour aboutir à une situation presque cahotique. Là encore, la fragilité de l'économie actuelle quasi agressée par la présence de l'interlocuteur en cet entretien permet de mesurer, en une première approximation, la tolérance ou l'intolérance du patient à l'objet et à la nouveauté de la situation ; par conséquent, elle induit et le pronostic et la suite à donner à cette entrevue.

Ainsi « la nouveauté », le caractère « premier » de l'entretien peuvent-ils donner lieu à des manifestations et modes d'être divers, dont l'appréciation exacte permet des hypothèses diagnostiques et pronostiques qui s'avèrent dans l'ensemble bien fondées...

I I I . L'après

Si la rencontre a été correctement menée, les suites peu- vent être évoquées rapidement en trois directions :

1 / L'entretien a bien constitué un « élément nouveau », disons un événement dans la vie du patient, mais il ne se trouve pas prêt actuellement à faire face à cette nou- veauté. Apparemment alors, rien ne se passe, ou plus exactement tout se passe comme s'il ne s'était rien passé. Cependant, des semaines, des mois, parfois des années après, l'intéressé reprend rendez-vous, rede- mande un entretien et souhaite entreprendre un travail psychique dont la « nouveauté » même de l'entretien et son souvenir maintenu bien qu'enfoui lui permettent de croire qu'il est capable de le tenter. Quelque chose de nouveau pourra peut-être survenir dans un avenir qui ainsi prend existence autour de ce « projet ». Faut-il souligner ici que, qui dit projet dit faille dans la massi- vité de la dépression, la noirceur compacte du désespoir

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et de la détresse ? Ainsi, la « nouveauté » de l'entretien sera devenue souvenir puis, petit à petit, projet, donc devenir.

2 / L'entretien a bien fait entendre un son nouveau, mais cette nouveauté même effraie, décourage et, remisé aux oubliettes, le souvenir s'en altère, se décolore et tout se passe comme avant. La mobilisation, même si elle a eu lieu, s'est avérée insuffisante pour ébranler le poids du plaisir mortifère, mais rassurant, de la répétition.

3 / Au contraire, la « nouveauté » de l'entretien aura été particulièrement fructueuse et le patient, conforté en sa continuité narcissique d'avoir supporté ce nouveau commerce avec l'objet, y aura trouvé suffisamment d'intérêt, de plaisir inconscient, auto- et allo-érotique, pour se faire confiance à lui-même. Par là même pourra- t-il accorder certaine confiance à l'autre.

Sera alors décidée de concert une tentative thérapeu- tique — psychothérapie analytique, voire psychanalyse — dont le destin n'est certes pas scellé mais dont l'intérêt peut être pressenti par les deux parties. Pour certains patients, particulièrement apeurés par eux-mêmes, phobi- ques de leur propre fonctionnement psychique, qui coura- geusement toutefois se sont laissés tenter par l'entreprise nouvelle, il pourra se trouver nécessaire qu'ils viennent de temps à autre chercher réconfort et vérification auprès de l'interlocuteur qui fut le leur en ce nouveau « premier » entretien.