Bouddhisme psychothérapie

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Alain Grosrey Bouddhisme & psychothérapie Extrait de l’ouvrage Le Grand Livre du Bouddhisme Annexes - Passerelles Éd. Albin Michel, nov. 2007 Abstract Examen des différences entre l’approche bouddhique et la psychothérapie. Remarques sur la pratique de la méditation et sur la psychothérapie contemplative : exemple de la communion croisée de la psychologie occidentale et du bouddhisme.

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Alain Grosrey

Bouddhisme & psychothérapie Extrait de l’ouvrage

Le Grand Livre du Bouddhisme Annexes - Passerelles

Éd. Albin Michel, nov. 2007

Abstract Examen des différences entre l’approche bouddhique et la psychothérapie.

Remarques sur la pratique de la méditation et sur la psychothérapie contemplative : exemple de la communion croisée de la psychologie occidentale et du bouddhisme.

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Annexe 5

Passerelles

Les références des ouvrages abordant ces thèmes figurent dans la partie finale de la bibliographie. Les développements qui suivent ne donnent qu’un bref aperçu de ces passerelles. Il s’agit bien de passerelles et non de ressemblances.

● Bouddhisme et psychothérapie Dans un dialogue avec des scientifiques sur la nature de

l’esprit, le Dalaï-Lama indique qu’« il y a deux domaines généraux pour lesquels le dialogue, ou la communication croisée, entre bouddhisme et psychologie pourrait se révéler de grande valeur. L’un est la recherche sur la nature de l’esprit en tant que tel, sur les processus de penser, sur la conceptualisation. L’autre est une recherche sur le même objet, mais spécifiquement liée à des buts thérapeutiques, s’occupant de personnes sujettes à des dysfonctionnements mentaux1. »

Eleanor Rosch, professeur de psychologie cognitive à l’université de Berkeley (Californie), émet des réserves quant au premier domaine. Elle indique que la psychologie occidentale s’occupe essentiellement des images hypothétiques de l’esprit, des éléments qui le constituent ou se penche sur sa façon de traiter les informations provenant du monde extérieur. Elle pense également que la psychologie occidentale demeure foncièrement dualiste, ne cessant d’affirmer que l’homme existe de façon inhérente face à un monde qui lui est extérieur. De plus, qu’il s’agisse de

1 Passerelles, (Dalaï Lama) Entretiens avec des scientifiques sur la nature de l’esprit.

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l’introspectionnisme, du behaviorisme ou de la psychologie du traitement de l’information1, qui toutes procèdent à la dissection de l’esprit, un peu à la manière de l’Abhidharma, aucune ne s’est intéressée, dit-elle, au sens inné du soi ni à l’idée qu’il n’y a pas de soi réel. Dans ce contexte, la méditation n’est jamais envisagée comme un instrument de connaissance, mais plutôt comme un outil de relaxation ou de contrôle de certains mécanismes corporels. « D’une manière ou d’une autre, précise-elle, la méditation est sortie de son contexte. » Il reste donc beaucoup à faire pour découvrir, ajoute-t-elle, « ce que la psychologie occidentale pourrait incorporer du bouddhisme, afin de s’occuper de l’esprit réel. » Sur ce point, Chögyam Trungpa avait déjà été très clair en précisant que le psychologue occidental ne devait pas devenir bouddhiste mais s’efforcer de reconnaître la primauté de l’expérience directe de l’esprit, apprendre ainsi à se relier plus étroitement avec sa propre expérience et pour cela pratiquer la méditation.

En ce qui concerne les buts thérapeutiques — deuxième

terrain de dialogue selon le Dalaï-Lama —, les affinités paraissent plus explicites. En présentant les quatre nobles vérités (chap. 13), nous avons vu que le premier enseignement du Bouddha suit une approche thérapeutique conforme à un schéma médical traditionnel. La vérité de la voie (quatrième noble vérité) expose la thérapie qui favorise la guérison. Cette thérapie consiste en un triple apprentissage libérateur de nos conflits intérieurs résultant

1 En vogue dans les universités allemandes du XIXe siècle, l’introspectionnisme avait adopté une méthode d’analyse des composants de l’esprit et de leurs relations, fort proche de celle employée dans l’Abhidharma. Cherchant à examiner l’esprit “de l’intérieur”, l’introspectionnisme est resté une entreprise purement théorique faute de recourir à une technique de méditation appropriée pour observer réellement l’esprit. Suite à ces difficultés, le behaviorisme a proposé d’examiner les comportements, les réactions et les méthodes d’apprentissage. Ce modèle a cessé d’être dominant à la fin des années 80. Quant à la psychologie du traitement de l’information, dont le modèle de l’esprit serait l’ordinateur, elle adopte une approche mécaniste, expliquant l’esprit « en termes de parties ou de mécanismes de moins en moins intelligents et plus mécaniques que l’ensemble », ces mécanismes ayant pour tâche « de rassembler des informations du monde extérieur, de les stocker et de les utiliser. »

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de la méconnaissance de notre état naturel. Grâce à la pratique de l’auto-discipline, de la méditation et au déploiement de la connaissance supérieure, il devient possible d’atteindre la quiétude et l’harmonie.

Au cours du cheminement spirituel, la reconnaissance de la nature des émotions joue un rôle essentiel. Nous avons noté qu’il existe trois approches principales dans l’art de travailler avec les émotions conflictuelles1. Les rapprochements entre la tradition du Bouddha et les psychothérapies ne concernent que le traitement des états de “folie ordinaire” modelés justement par le jeu des émotions négatives, les troubles névrotiques et les états dépressifs légers. D’un point de vue bouddhique, tant que nous ne cessons pas de nous identifier à la construction illusoire qu’est l’ego, nous demeurons prisonniers de cette “folie ordinaire”. Nous sommes également “fous”, si nous rejetons d’emblée cette construction avant même qu’elle ne soit bien structurée et équilibrée, avant même que nous en ayons compris les mécanismes. D’ailleurs, il ne s’agit pas de la rejeter mais bien d’en faire l’épreuve de sorte à pouvoir ramener l’ego à sa source — l’état naturel — en laquelle il se dissout.

Toute démarche traditionnelle prend en compte les malaises

passagers dont s’occupent les psychothérapies : inflation du moi, sentiment de dépersonnalisation, anxiété, nervosité, par exemple. Ces états sont autant d’étapes initiatiques consécutives à ce que Jean-Pierre Schnetzler, ancien psychiatre des hôpitaux et fondateur de plusieurs centres bouddhistes, appelle le pouvoir “découvrant” de la méditation. Ces troubles signalent la nécessité d’opérer des réajustements dans la pratique et mettent en évidence l’importance d’un accompagnement spirituel assuré par un instructeur de méditation qualifié et compétent. En revanche, ces

1 Se reporter au chapitre 14. Dans l’exposé des quatre approches de l’apprentissage, consultez les sections consacrées aux différents aspects de la discipline.

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expériences ne sont pas à confondre avec les pathologies mentales sévères qu’une pratique méditative intensive peut d’ailleurs révéler avec force. Dans des cas de schizophrénies ou de psychoses délirantes, par exemple, l’accompagnement spirituel est insuffisant.

En aucun cas, la tradition du Bouddha ne peut se substituer à une psychothérapie et une psychothérapie ne peut être envisagée comme une voie conduisant à l’éveil. Chacune a sa spécificité, même si l’une comme l’autre visent un état de santé mentale optimal fondé sur une vision juste des choses, même si, comme nous le verrons, elles peuvent agir en synergie, la psychothérapie œuvrant alors de concert avec le travail spirituel en vue d’aider la personne à s’accomplir. La confusion du psychologique et du spirituel est aujourd’hui très répandue. Elle provient pour l’essentiel d’une perte de l’intelligence traditionnelle 1 dans un contexte où le vaste marché du bien-être édulcore les traditions spirituelles. Comparant l’approche bouddhique et l’approche des psychothérapies, Jean-Pierre Schnetzler note justement : « On peut dire que la psychologie contemporaine a étudié en détail et pour un but limité, ce que le bouddhisme connaissait en profondeur et en gros pour un but ultime2. » Le but limité, c’est soigner un déséquilibre, guérir un dysfonctionnement mental. Le but ultime, c’est l’accomplissement de la personne humaine, l’actualisation de la santé fondamentale présente même lorsque l’esprit est en proie à de multiples souffrances.

1 L’“intelligence traditionnelle” désigne la capacité à demeurer dans un rapport vivant avec la source des enseignements libérateurs et l’inspiration des lignées qui véhiculent la transmission, un rapport éclairé par la pureté du cœur et non par un esprit rigide de conservation des us et coutumes, un esprit nourri de dogmatisme spirituel. 2 “La réception du bouddhisme en Occident. Présent et futur” in Lumières sur la voie bouddhique de l’Éveil, Connaissance des Religions, n°61-64, L’Harmattan, janvier/décembre 2001, p. 15.

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Des différences notables apparaissent aussi au niveau de la technique1. On remarquera, par exemple et à titre anecdotique, la position du corps dans l’espace si l’on compare une personne pratiquant la méditation et une personne qui suit une analyse. L’analysé se détend en restant allongé alors que le méditant adopte généralement la posture assise traditionnelle. Le premier s’abandonne dans une relation de dépendance à l’analyste ; le second potentialise les énergies de son corps qu’il met au service d’une démarche favorisant la maîtrise de soi. Cette différence posturale a une incidence profonde dans la conduite de l’expérience. L’analysé laisse sa conscience papillonner d’une image à l’autre. Le méditant apprend dans la verticalité à accueillir le repos de la pensée. D’un côté, l’esprit se laisse entraîner au gré des événements qui émergent et que l’intelligence conceptuelle s’efforce de désigner. La parole éclaire ce qui sommeillait dans l’ombre. De l’autre, le calme intérieur estompe la dispersion mentale et laisse poindre une vigilance lucide de plus en plus dégagée du flux des constructions mentales.

Assis sur son coussin, le méditant sait également que s’exercer à demeurer en la présence inconditionnelle est un “travail de laboratoire”. L’effet libérateur de l’expérience dépend pour une large part de ce qui se passe en amont et en aval de la pratique formelle. Ainsi la conduite adoptée dans l’existence quotidienne et le développement de la compréhension et de la sollicitude sont-ils essentiels. D’où l’importance de mener une existence juste couplée à des facteurs comme l’étude et l’examen de soi. Réfléchir au sens de l’enseignement, c’est revenir par la pensée à cette source impersonnelle qui sous-tend toute l’activité de l’esprit. Pratiquer la méditation, c’est s’efforcer d’expérimenter le sens de l’enseignement et d’en acquérir la compréhension directe. C’est enfin être capable d’intégrer dans la vie quotidienne ce qui a été

1 Ces différences sont très bien énumérées par J.-P. Schnetzler dans La méditation bouddhique, p. 120-128.

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découvert sur le coussin. Il est clair que l’on ne demande pas à l’analysé un tel niveau d’engagement et une telle disposition intérieure. De plus, l’analysé est le client d’un thérapeute. Le méditant, lui, est disciple de la voie, disciple de son maître. La nuance est de taille.

L’inspiration antique

À l’époque moderne, C. G. Jung a été l’un des premiers à souligner l’existence de passerelles entre le bouddhisme et la psychothérapie. Il est probable que sa connaissance des modèles antiques l’ait inspiré pour percevoir les relations entre le monde des sciences et celui de la spiritualité. Expliquant les identités et les différences entre les écoles hellénistiques, et rappelant que pour celles-ci « la sagesse est précisément un certain mode de vie » et « un état de parfaite tranquillité de l’âme », Pierre Hadot ajoute : « Dans cette perspective, la philosophie apparaît comme une thérapeutique des soucis, des angoisses et de la misère humaine. (…) Qu’elles revendiquent ou non l’héritage socratique, toutes les philosophies hellénistiques admettent avec Socrate que les hommes sont plongés dans la misère, l’angoisse et le mal, parce qu’ils sont dans l’ignorance : le mal n’est pas dans les choses, mais dans les jugements de valeur que les hommes portent sur les choses. Il s’agit donc de soigner les hommes en changeant leurs jugements de valeur. Mais, pour changer ses jugements de valeur, l’homme doit faire un choix radical : changer toute sa manière de penser et sa manière d’être. Ce choix, c’est la philosophie, c’est grâce à elle qu’il atteindra la paix intérieure, la tranquillité de l’âme1. »

Comme le Bouddha prenait soin de ses disciples et leur proposait des méthodes pour que l’éveil puisse advenir, de même le thérapeute ne guérit pas mais crée les conditions indispensables

1 Qu’est-ce que la philosophie antique ? Folio/essais n°280, 2004, p. 161-162.

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à la manifestation de la guérison. Jean-Yves Leloup, qui présente les thérapeutes d’Alexandrie dans Prendre soin de l’Être 1 , note justement que « c’est la nature qui guérit, c’est la Vie qui guérit. » En s’appuyant sur l’étymologie2, il montre aussi qu’une véritable thérapie soigne l’homme dans sa globalité (corps, parole, psychisme, dimension spirituelle) et pas seulement la psyché comme pourrait le laisser entendre le terme “psychothérapeute”. Embrassant tous les composants de l’être, la thérapie est une voie de connaissance, un processus de re-liaison à notre nature essentielle, cette présence inconditionnelle qui échappe à la morsure du temps. Les blessures intérieures indiquent que nous sommes coupés de cet espace de liberté, d’harmonie et d’amour. Se connaître, c’est accéder en pleine conscience à cette dimension fondamentale de notre existence.

Rapports avec la pratique de la méditation

Depuis plusieurs années, des psychothérapeutes utilisent des techniques méditatives comme outil favorisant la détente, le contrôle des tensions mentales, l’exploration de soi, l’accès aux couches les plus profondes de la psyché, à ces états non ordinaires de la conscience que le psychiatre Stanislas Grof, co-fondateur de la psychologie transpersonnelle, nomme des états “holotropiques”. Ces états offrent un accès aux éléments de notre mémoire inconsciente qui conditionnent nos comportements.

Au sujet des relations entre la psychanalyse et la méditation, Jean-Pierre Schnetzler écrit : « La méthode psychanalytique est un cas particulier de la méditation vipassana3 », la pratique de la vision claire (skt. vipashyana) qui permet à l’esprit au repos d’acquérir une

1 Avec pour sous-titre Les Thérapeutes selon Philon d’Alexandrie, Albin Michel, 1993. 2 Le mot grec therapeuein a deux sens : « servir, prendre soin, rendre un culte » et « soigner, guérir ». On notera la parenté avec “méditer” qui vient de meditari, mot dérivé de mederi “donner des soins à”, mais aussi “étudier”, “s’exercer”. Ce qui justifie la dimension thérapeutique du bouddhisme et la valeur de son remède essentiel, la méditation. 3 La méditation bouddhique. Une voie de libération, p. 120.

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compréhension de sa nature. L’analysé cherche lui aussi à se libérer de craintes et de désirs erronés, d’idées fixes, de schémas mentaux pesants et dissonants. Et il y parvient en prenant conscience qu’il n’est pas soumis à un déterminisme psychologique. De compréhensions en compréhensions, d’intuitions en intuitions, il réalise que le contenu mental et les souffrances qu’il induit n’ont pas d’existence en eux-mêmes parce qu’ils sont le fruit de causes et de conditions, et sont fondamentalement impermanents.

Les connaissances psychanalytiques et psychiatriques apportent une contribution à la démarche du méditant qui souffre de séquelles névrotiques. Bon nombre de maîtres orientaux ont pu le constater dans les trois dernières décennies du XXe siècle. Certains, dépourvus de toute connaissance de la mentalité occidentale, ont été déroutés devant des troubles dont ils ignoraient l’existence. Les pratiques en situation de retraite, par exemple, peuvent révéler des tensions refoulées ou des pathologies latentes qui se manifestent au moment où le méditant réalise qu’il lui faut mourir à l’ego pour naître pleinement à sa nature authentique. En l’absence d’une personnalité intégrée et d’un ego pleinement constitué, la pratique spirituelle met en évidence des failles susceptibles d’entraîner une régression à des processus primaires. Il est donc important d’avoir un ego bien structuré et une profonde estime de soi avant de s’exercer à s’affranchir de cette tutelle.

Dans l’autre sens, la tradition du Bouddha peut fournir à la psychanalyse « un cadre spirituel qui lui évite de se fourvoyer, mais encore lui apporter des enrichissements techniques », selon les mots de Jean-Pierre Schnetzler. Pour cela, poursuit-il, il serait souhaitable que les psychothérapeutes aient une pratique méditative et qu’ils proposent à certains de leurs patients des techniques, comme vipashyana. Certaines pratiques méditatives bouddhiques s’avèrent déjà opérantes auprès de personnes sujettes à des déséquilibres mentaux suite à l’usage de drogues, par

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exemple. Plusieurs monastères theravada œuvrent beaucoup en ce domaine, en particulier en Thaïlande.

La psychothérapie contemplative

La psychothérapie contemplative est certainement l’exemple même de la communion croisée de la psychologie occidentale et du bouddhisme. Développée à l’Institut Naropa à Boulder (Colorado), l’université créée par Chögyam Trungpa, elle propose une approche thérapeutique susceptible d’aider les personnes qui suivent une voie spirituelle ou qui aspirent à le faire. Dès 1971, le maître tibétain se rend compte que les centres du Dharma attirent des personnes fragiles souffrant de nombreux déséquilibres émotionnels, parfois très graves. Dans leur cas, la pratique de la méditation s’avère peu utile, voire dangereuse. Il développe la “thérapie de l’espace” qui met en application les principes des cinq familles de bouddha 1 . « Dans cette perspective, écrit son biographe, Chögyam Trungpa présente les enseignements sur les six royaumes et les bardos, qui sont autant de manières de comprendre différents états psychologiques et le contraste entre la santé fondamentale et la confusion qui la recouvre. »

La psychothérapie contemplative repose sur deux idées majeures. Tout d’abord, elle considère que les problèmes psychologiques et les troubles émotionnels sont pour une grande part de nature spirituelle. Ils révèlent la coupure d’avec notre nature ultime, cette dimension libre de l’ego et de ses passions dévastatrices. Elle s’efforce de montrer comment nous substituons à notre nature véritable des identités illusoires. Ainsi, une thérapie qui se cantonnerait à la seule compréhension du moi, qui

1 Cf. les explications de Fabrice Midal sur la pratique de Maitri et la formation de psychologues dans Trungpa. Biographie, p. 161-175. Irini Rockwel, disciple de Chögyam Trungpa et qui fut professeur à l’Institut Naropa, poursuit ce travail. Elle a fondé et dirige l’Institut des Cinq Sagesses (Five Wisdoms Institute) qui propose des formations en développement professionnel et individuel basées sur la psychologie/psychothérapie contemplative. Site Web : www.fivewisdomsinstitute.com.

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soutiendrait des efforts pour restaurer un sentiment de sécurité et de cohérence au sein de cette bulle ou qui proposerait un changement de comportement à court terme, une telle thérapie serait limitée. La seconde idée a trait à la réalité de pratiques spirituelles qui ne prennent pas toujours en compte les schèmes conditionnés et les identités inconscientes qui structurent notre histoire personnelle. La psychothérapie contemplative s’efforce de combiner les deux approches afin de créer des synergies qui accroissent le potentiel de chacune, permettant ainsi à toute personne en recherche de trouver son accomplissement. Cette méthode évite deux écueils : la fuite dans le “tout spirituel” sans aucun discernement, évitant de faire l’épreuve de notre présence authentique au monde et de notre expérience telle qu’elle est, avec ses joies et ses conflits ; l’enlisement dans des systèmes explicatifs, dans une analyse et une compréhension purement conceptuelles.

En France, l’Université Rimay-Nalanda 1 comprend un département “Psychologie contemplative” animé par John Welwood, docteur en philosophie clinique de l’université de Chicago. Psychothérapeute à San Francisco, et auteur de nombreux ouvrages dont Pour une psychologie de l’éveil (La Table Ronde, 2003), il a suivi l’enseignement de Chögyam Trungpa.

Ce département propose un cursus sur trois ans intitulé “Le Pouvoir Guérisseur de la Présence Inconditionnelle”. Cette “présence inconditionnelle”, John Welwood la définit comme la capacité de rester ouvert à notre vécu, de l’examiner sans idées préconçues, sans programme, sans manipulation d’aucune sorte. Cette présence est essentielle dans le processus de la guérison parce qu’elle permet de voir, de ressentir et d’exprimer la vérité de nos blessures intérieures. Afin d’appréhender de façon adéquate les différents aspects de la découverte de soi et de sa bonne intégration dans le monde d’aujourd’hui, le programme s’articule autour de

1 http://www.unirimay.org/.

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trois modes d’apprentissage incluant compréhension, expérience et discipline de l’action :

1. Des enseignements théoriques qui offrent une

compréhension intégrée des questions essentielles, des enjeux et des méthodes de développement psychologiques et spirituels.

2. Un travail sur l’expérience qui suscite la réflexion personnelle et le travail en groupe.

3. La pratique de la méditation qui aide à entrer en amitié avec son expérience et à devenir pleinement présent.

Parmi les thèmes abordés, on peut citer : Développer la capacité à vivre la présence

inconditionnelle en apprenant à distinguer l’expérience sensorielle du bavardage mental et des jugements qui nous en éloignent.

Maintenir l’expérience sensorielle avec un esprit de compassion.

Développer une plus grande sensibilité au corps subtil comme ouverture à la présence inconditionnelle.

Cultiver cette dimension plus vaste de notre être pour intégrer les blessures émotionnelles et les conditionnements habituels.

Explorer le rôle central de l’amour dans le développement spirituel et personnel.

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