Propriété intellectuelle et imprimante 3D

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Propriété intellectuelle & Impression 3D Samih ABID, Avocat @AbidSamih « A l’ère nouvelle, tout le monde peut être son propre industriel autant que sa propre compagnie d’électricité. Bienvenue dans le monde de la production industrielle distribuée. Ce procédé s’appelle l’impression 3D. », Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle, LLL 2012 L’impression 3D présentée comme la numérisation de la production fait l’objet de toutes les attentions. N’est-elle pas à la croisée de l’Open Source, de l’Open Hardware, de l’Open Innovation et de la libération de l’individu ? Le débat est lancé sur son rôle dans la prochaine révolution industrielle 1 . Un grand distributeur en propose à moins de mille euros 2 . Généralement, le coût de l’imprimante individuelle 3D (entre 300 euros et 2000 euros) sera également amorti par la production de toute sorte de produits allant des statuettes jusqu’aux implants médicaux en passant par des pièces de rechange d’électroménagers. Sinon, l’équipement du SoFAB, à Sophia Antipolis, sera mis à contribution, par exemple. Les FabLab permettent l’accès de tous aux machines pour de la découpe laser, du prototypage et de l’impression 3D... Pour commencer, le maker ravira ses enfants en leur imprimant des petites briques d’un célèbre jeu de construction. Le site Thingiverse 3 fournit tous les modèles. Le fabricant de jouets s’est rebiffé. Ce n’est pas la première fois que LEGO fait l’objet d’un intérêt en matière de propriété intellectuelle. Si les défenseurs du logiciel libre s’indignent de la protection de la célèbre brique par un brevet, le fabricant de jouets cherche par tous moyens à conserver sa protection. Ainsi, dans une affaire du 14 septembre 2010 4 , la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt important. LEGO voulait déposer la brique à titre de marque afin d’étendre sa protection. En 1996, la brique est enregistrée comme marque communautaire. Cependant, la société Ritvik forme un recours en annulation de la marque. En 2004, l’enregistrement est annulé. Face à cette décision, la société LEGO forme un recours auprès du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPICE) qui rejette également la marque en 2008. 1 http://blogs.lesechos.fr/internetactu-net/l-impression-3d-pilier-de-la-prochaine-revolution-industrielle-ou-pas-a13073.html 2 http://www.lesnumeriques.com/imprimante-3d/qilive-q-3622-p22525/auchan-presente-son-imprimante-3d-a-moins-1000- euros-n37141.html 3 http://www.thingiverse.com/thing:5699 4 CJUE, 14 sept. 2010, aff. C-48/09 P, Lego Juris c/ OHMI
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Page 1: Propriété intellectuelle et imprimante 3D

Propriété intellectuelle & Impression 3D

Samih ABID, Avocat

@AbidSamih

« A l’ère nouvelle, tout le monde peut être son propre industriel autant que sa propre

compagnie d’électricité. Bienvenue dans le monde de la production industrielle distribuée. Ce

procédé s’appelle l’impression 3D. »,

Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle, LLL 2012

L’impression 3D présentée comme la numérisation de la production fait l’objet de toutes

les attentions. N’est-elle pas à la croisée de l’Open Source, de l’Open Hardware, de l’Open

Innovation et de la libération de l’individu ?

Le débat est lancé sur son rôle dans la prochaine révolution industrielle1.

Un grand distributeur en propose à moins de mille euros2. Généralement, le coût de

l’imprimante individuelle 3D (entre 300 euros et 2000 euros) sera également amorti par la

production de toute sorte de produits allant des statuettes jusqu’aux implants médicaux en

passant par des pièces de rechange d’électroménagers. Sinon, l’équipement du SoFAB, à

Sophia Antipolis, sera mis à contribution, par exemple. Les FabLab permettent l’accès de tous

aux machines pour de la découpe laser, du prototypage et de l’impression 3D...

Pour commencer, le maker ravira ses enfants en leur imprimant des petites briques d’un

célèbre jeu de construction. Le site Thingiverse3 fournit tous les modèles. Le fabricant de

jouets s’est rebiffé.

Ce n’est pas la première fois que LEGO fait l’objet d’un intérêt en matière de propriété

intellectuelle. Si les défenseurs du logiciel libre s’indignent de la protection de la célèbre

brique par un brevet, le fabricant de jouets cherche par tous moyens à conserver sa protection.

Ainsi, dans une affaire du 14 septembre 20104, la Cour de Justice de l’Union Européenne

(CJUE) a rendu un arrêt important. LEGO voulait déposer la brique à titre de marque afin

d’étendre sa protection. En 1996, la brique est enregistrée comme marque communautaire.

Cependant, la société Ritvik forme un recours en annulation de la marque. En 2004,

l’enregistrement est annulé.

Face à cette décision, la société LEGO forme un recours auprès du Tribunal de Première

Instance des Communautés Européennes (TPICE) qui rejette également la marque en 2008.

1 http://blogs.lesechos.fr/internetactu-net/l-impression-3d-pilier-de-la-prochaine-revolution-industrielle-ou-pas-a13073.html 2 http://www.lesnumeriques.com/imprimante-3d/qilive-q-3622-p22525/auchan-presente-son-imprimante-3d-a-moins-1000-

euros-n37141.html 3 http://www.thingiverse.com/thing:5699 4 CJUE, 14 sept. 2010, aff. C-48/09 P, Lego Juris c/ OHMI

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En conséquence, LEGO forme un pourvoi devant la CJUE. Cette dernière confirme le

jugement en 2010 et considère que « lorsque la forme d’un produit ne fait qu’incorporer la

solution technique mise au point par le fabricant de ce produit et brevetée à sa demande, une

protection de cette forme en tant que marque après l’expiration du brevet réduirait

considérablement et perpétuellement la possibilité pour les autres entreprises d’utiliser ladite

solution technique ».

Ainsi, LEGO ne peut prolonger la durée de vie de son brevet en déposant une marque5. La

Cour veut maintenir une concurrence saine entre les acteurs économiques6.

En 2013, LEGO revient sur le devant de la scène avec la médiatisation de l’imprimante

3D7. En effet, n’importe quel quidam pourrait fabriquer la brique au moyen de cette

imprimante. L’industrie du jouet semble être menacée par l’arrivée de cette technologie (qui

favoriserait le piratage). Ce n’est pas un hasard si Nathan Myhrvold a déposé un brevet auprès

de l’USPTO portant sur un « système de contrôle de fabrication »8. Les imprimantes 3D

nécessiteraient une autorisation préalable pour pouvoir imprimer l’objet. Ce serait un frein à

la violation « des droits de production des objets ». Cependant, pour Michael Weinberg9,

avocat de « Public Knowledge », la démarche d’Intellectual Ventures, l’entreprise de Nathan

Myhrvold, a pour but de s’approprier l’impression 3D par l’intermédiaire de Digital Rights

Management (DRM).

Dans certains pays, la copie personnelle et non commerciale est une exception à la

contrefaçon d’un droit de propriété industrielle. L’imprimante 3D permettrait de produire un

objet pour soi, sans passer par un industriel. Cet objet serait susceptible d’entrer dans

l’exception et ne constituerait pas une contrefaçon. Cela explique la méfiance des industriels

face à la démocratisation de cette nouvelle technologie.

En France, cette exception n’existe pas en droit des marques10

mais existe seulement en

droits d’auteur. Cependant, le droit européen considère qu’une atteinte à la marque ne peut

être constituée que s’il y a un usage dans la vie des affaires. Ainsi, si des actes sont accomplis

dans un cadre personnel et familial, ils pourraient échapper à d’éventuelles poursuites. En

matière de droit des brevets11

, les actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non

commerciales comme le prévoit l’article L613-5, a du Code de la propriété intellectuelle

(CPI), sont licites à partir du moment où ils sont limités à usage purement domestique (ni

public, ni professionnel). Les objets produits, en France, à partir d’une imprimante 3D pour

un usage personnel ne seraient donc pas contrefaisants de produits protégés par un droit de

propriété industrielle.

5 http://lecercle.lesechos.fr/le-cercle-entrepreneur/juridique/221132440/lego-la-protection-du-brevet-ne-peut-etre-prolongee-

par-u 6 La brique Lego, une affaire de grands, Revue Lamy Droit des affaires 2010.

7 Article paru dans Les Echos, Une menace pour la propriété intellectuelle, Lucie Robequain, Mardi 9 juillet 2013

8 http://www.smartplanet.fr/smart-business/un-brevet-de-drm-veut-bloquer-limpression-3d-a-volonte-18271/

9 http://www.publicknowledge.org/user/2258

10 Les faits justificatifs propres à la contrefaçon de marque, Lamy Droit commercial 2013 11 La défense des droits en matière de brevets, Geneviève BOUCHET, Revue Lamy Droit de l’Immatériel 2011

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L’enthousiasme suscité par la possibilité d’imprimer soi-même une pièce de rechange

d’une machine à laver ou de sa voiture doit toutefois être tempéré notamment pour des

questions de sécurité, de taille et de matériaux. En effet, il faut s’assurer de la solidité, du

calibrage de la pièce répliquée. Il y a également, dans l’état actuel de la technique, une

impossibilité de produire des pièces de grande taille. Enfin, l’impression 3D « démocratisée »

concerne essentiellement des pièces en plastique. La maîtrise de l’impression 3D pour les

métaux est encore réservée aux industriels. Plus pour longtemps : les makers se multiplient12

.

Pour suivre l’actualité de l’impression 3D, le site à suivre est http://www.3dnatives.com .

Une solution intermédiaire consisterait, selon le constructeur automobile Ford, à permettre

à ses clients d’imprimer, contre téléchargement payant, des modèles numériques de pièces de

rechange dans un garage Ford ou chez un concessionnaire proche.

La numérisation de la production industrielle peut également être concurrencée par les

tenants de l’Open source. L’impression 3D peut également permettre le détournement des

objets selon la philosophie des hackers. La remise en cause du modèle de propriété

intellectuelle classique est donc, plus que jamais, réelle.

A suivre …

Article publié sous licence CC

Attribution, pas d’utilisation commerciale, partage dans les mêmes conditions

Contact :

Cabinet ABID AVOCATS

www.abid-avocats.com

35 rue Gioffredo – 06000 NICE

Tél. + 33 (0)4 93 87 71 06

12 http://www.lesechos.fr/enjeux/business-stories/management/0204126912917-le-nouvel-age-du-faire-des-makers-

1090080.php?mFlYOzGAjxzZl7Wp.99