Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie...

5
48 | TITANE Vol. 6 - N°1 | Mars 2009 TÉMOIGNAGE Interview Quelles sont les raisons qui vous ont poussée au cours de votre exercice à vous intéresser à la psychologie du patient ? Il y a eu plusieurs déclics. J’ai travaillé pendant longtemps à l’hôpital de Tonnerre en tant que PH en Parodontologie exclusive. Comme cha- cun le sait, c’était une approche très éla- borée de l’hygiène bucco-dentaire un peu à la scandinave. Nous faisions attention au motif de consultation du patient, nous prenions le temps d’ex- pliquer au patient les étiologies des maladies parodontales (microbiologie, réponse de l’hôte, facteurs aggra- vants…). À chaque consultation, envi- ron 45 minutes étaient consacrées à bien expliquer, puis nous étions relayés par un groupe bien formé d’infirmières et d’aides-soignantes au langage plus accessible pour le patient. Malgré cela, je me suis rendu compte après une dizaine d’années que les patients décla- raient systématiquement à la fin des consultations : « Bon, d’accord avec ce que vous me dites, je sens bien que votre équipe est compétente, mais pourquoi moi, j’ai ça ? » On en dédui- sait alors que certains patients avaient de bonnes capacités de compréhen- sion et de participation à leur traitement et d’autres non ! On donnait même la proportion suivante : 1/4 de patients très coopérants, 1/4 coopérants, 1/4 insuffisants, mais que l’on pouvait maintenir avec les rappels et 1/4 de patients en échec de traitement. Je me suis peu à peu rendu compte que la motivation des patients ne pouvait pas être évaluée ainsi. S’ils n’ont pas compris, c’est parce qu’on ne sait pas les toucher là où ils sont concernés, tout simplement, et que nos explications scientifiques, mêmes claires et bien étayées, ne suf- fisent pas ! En 1995, moi-même atteinte par des lombalgies chroniques, que l’on me proposait de traiter par intervention chirurgicale, j’ai entrepris un travail de compréhension des interactions entre les éléments de la vie de la personne et le fonctionnement du corps, en somme j’ai compris que psychisme et corps étaient très liés. Le corps est un tra- ducteur authentique ; si la pensée ou Christine Romagna L’ouverture de l’odontologie aux Sciences Humaines Christine ROMAGNA Propos recueillis PAR Édouard Henriot MCU-PH à l’UFR d’Odontologie de Lyon et CHU de Dijon Présidente de la SFOPSH Christine Romagna est docteur en chirurgie dentaire, docteur des Universités, MCU-PH à l’UFR d’Odontologie de Lyon et dans le service d’Odontologie du CHU de Dijon. Son exercice en pratique libérale est constitué à 80 % de parodontologie et d’implantologie. Elle est présidente depuis octobre 2007 de la SFOPSH, Société Française d’Odontologie Psychosomatique et Sciences Humaines.

Transcript of Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie...

Page 1: Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie exclusive.Comme cha-cun le sait,c’était une approche très éla-borée de l’hygiène

4 8 | T I TA N E Vo l . 6 - N ° 1 | M a r s 2 0 0 9

MO

IGN

AG

E

‘‘

Interv

iew

Quelles sont les raisons qui vous ontpoussée au cours de votre exercice àvous intéresser à la psychologie dupatient ?

Il y a eu plusieurs déclics. J’ai travaillépendant longtemps à l’hôpital deTonnerre en tant que PH enParodontologie exclusive. Comme cha-cun le sait, c’était une approche très éla-borée de l’hygiène bucco-dentaire unpeu à la scandinave. Nous faisionsattention au motif de consultation dupatient, nous prenions le temps d’ex-pliquer au patient les étiologies desmaladies parodontales (microbiologie,réponse de l’hôte, facteurs aggra-vants…). À chaque consultation, envi-ron 45 minutes étaient consacrées àbien expliquer, puis nous étions relayés

par un groupe bien formé d’infirmièreset d’aides-soignantes au langage plusaccessible pour le patient. Malgré cela,je me suis rendu compte après unedizaine d’années que les patients décla-raient systématiquement à la fin desconsultations : « Bon, d’accord avec ceque vous me dites, je sens bien quevotre équipe est compétente, maispourquoi moi, j’ai ça ? » On en dédui-sait alors que certains patients avaientde bonnes capacités de compréhen-sion et de participation à leur traitementet d’autres non ! On donnait même laproportion suivante : 1/4 de patientstrès coopérants, 1/4 coopérants,1/4 insuffisants, mais que l’on pouvaitmaintenir avec les rappels et 1/4 depatients en échec de traitement. Je me

suis peu à peu rendu compte que lamotivation des patients ne pouvait pasêtre évaluée ainsi.S’ils n’ont pas compris, c’est parcequ’on ne sait pas les toucher là où ilssont concernés, tout simplement, etque nos explications scientifiques,mêmes claires et bien étayées, ne suf-fisent pas !En 1995, moi-même atteinte par deslombalgies chroniques, que l’on meproposait de traiter par interventionchirurgicale, j’ai entrepris un travail decompréhension des interactions entreles éléments de la vie de la personne etle fonctionnement du corps, en sommej’ai compris que psychisme et corpsétaient très liés. Le corps est un tra-ducteur authentique ; si la pensée ou

Christine RomagnaL’ouverture de l’odontologie aux Sciences Humaines

Christine ROMAGNA

Propos recueillis PAR Édouard Henriot

MCU-PH à l’UFR d’Odontologie de Lyon et CHU de DijonPrésidente de la SFOPSH

Christine Romagna est docteur en chirurgiedentaire, docteur des Universités, MCU-PHà l’UFR d’Odontologie de Lyon et dans leservice d’Odontologie du CHU de Dijon.Son exercice en pratique libérale estconstitué à 80 % de parodontologie etd’implantologie. Elle est présidente depuisoctobre 2007 de la SFOPSH, SociétéFrançaise d’Odontologie Psychosomatiqueet Sciences Humaines.

Page 2: Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie exclusive.Comme cha-cun le sait,c’était une approche très éla-borée de l’hygiène

Interv

iew

T I TA N E Vo l . 6 - N ° 1 | M a r s 2 0 0 9 | 4 9

la parole peuvent tricher, le corps, lui,ne triche pas !Ensuite de nombreuses lectures m’ontéclairée : Jung, Annick de Souzenelleavec son livre marquant Le Symbo-lisme du Corps Humain, ThierryJanssen aussi, plus récemment… entreautres. Les recoupements aussi avec lamédecine chinoise ou l’approche parle corps que de nombreux kinés pra-tiquent (par exemple l’eutonie, la fas-ciathérapie…), l’ostéopathie aussicomplètent la compréhension du fonc-tionnement de l’être humain dans saglobalité et l’importance du lien entrele corps et l’esprit.

Nous avons la tâche en tant que chi-rurgien dentiste de véritablement réin-corporer la bouche au cœur du corps.On est en effet confronté au problèmesuivant : la bouche est un peu excluedu corps par la médecine et l’ensei-gnement en médecine, qui s’y intéres-sent assez peu, hormis en chirurgiemaxillo-faciale… La bouche, les dentssont considérées comme un secteur àpart, voire de moindre importance…Quant au parodonte ! Seuls les paro-dontologistes savent de quoi il s’agit,j’exagère un peu, mais pas tellement !On a certes compris de nombreusesinteractions entre les maladies paro-dontales et les maladies cardiovascu-laires par exemple, des passerelles sontétablies, mais cela reste un langage trèsscientifique institutionnel. On estencore dans le comment, compré-hension des mécanismes cellulaires,inflammatoires, mais pas dans le pourquoi et encore moins dans lepour quoi !

Comment définissez-vous le profil psy-chologique du patient et que pensez-vous des classifications des différentsprofils psychologiques qu’ont établiescertains praticiens ?Le profil psychologique, c’est lamanière apparemment pudiqued’aborder le sujet. Et puis il me sembledangereux de classer les individus parcatégories. Avec la classification desmaladies parodontales, on a déjà troptendance à mettre le patient dans un

tiroir et à appliquer le schéma déci-sionnel et la conduite thérapeutique quilui correspondent. En médecine occi-dentale, le patient arrive tel qu’il estavec ses symptômes, il repart en ayantune maladie, il passede l’être à l’avoir enquelque sorte…Je n’aime pas définirles patients par un affi-chage de certainescomposantes de leurpersonnalité, c’est trèsréducteur. Alors, c’estplutôt en faisant réel-lement connaissanceavec le patient, aucours de la premièreconsultation en parti-culier, que j’essaie devoir quel peut être ledegré de souplesse, dechangement et d’adaptation que cepatient va pouvoir découvrir et quelleest sa capacité d’évolution, de trans-formation. Ce n’est d’ailleurs pas cor-rélé à son niveau socio-économique nià son niveau intellectuel…Je précise que je n’ai, dans madémarche, nullement l’intention dem’inscrire dans le courant des forma-teurs en communication qui se déve-loppe beaucoup dans la profession ence moment ; je laisse à chacun sondomaine, ses compétences et ses objec-tifs.

Quelle doit être l’attitude du praticienau cours de la première consultation,quelles sont les questions à poser etcelles à ne pas poser, quels sont lessignes évocateurs d’éventuelles diffi-cultés dans la relation ?Comme vous l’avez déjà compris, j’aianticipé votre question en disant toutel’importance de la première consulta-tion qui est la rencontre déterminanteavec le patient. La règle d’or à mon sensest d’être le plus sincère possible, véri-tablement sincère, tout simplement,cela conviendra à tout interlocuteur. Nepas chercher à influencer le patientvers un plan de traitement et donc versun devis plus élevé… Le praticien doit

aider le patient à mieux percevoir sabouche, à la prendre en considérationen lui redonnant l’importance et lerespect qu’elle mérite ; elle est un sys-tème d’organes bien aussi noble que

d’autres parties ducorps, puisqu’elle parti-cipe à elle seule à toutesles fonctions vitales d’un être humain : res-piration, alimentation,parole, sourire, baiser,morsure, appui postural,sexualité…Pour certains patients,la maladie parodontalepeut être perçue commeun signe d’accélérationdu vieillissement, voireune évocation de la mort(mobilité des dents,chute des dents : tout

fout le camp !), d’où la difficulté denotre exercice en parodontologie enparticulier.Recevoir 10 à 15 personnes par jour quiont un effondrement des arcades den-taires, une perte de « mordant », uneperte de leurs racines, bref des fonda-tions qui flanchent, ce n’est pas facile !Par recoupements, par expérience, ilfaut bien se rendre à l’évidence : lesmaladies parodontales surviennent fré-quemment chez des personnes qui ontvécu dans les 5 dernières années (envi-ron bien sûr) des événements qui leuront fait perdre confiance en eux.Déracinement, deuil, séparation, perted’emploi, épisodes dépressifs, dépres-sion chronique… Les conséquencessont celles que l’on connait, à savoir lessaignements gingivaux, la mauvaisehaleine, les mobilités dentaires, la pertede la dimension verticale d’occlusion,qui induisent un changement dans lesrelations sociales de la personne, unplus grand retrait voire un isolement,accentuant son manque d’estime de soi et c’est un cercle vicieux avec beau-coup de fatalité installée… On en estplus à ce stade aux expressions tellesque « croquer la pomme », « mordre lavie à pleines dents » et autres perles dulangage populaire !

Le praticien doitaider le patient

à mieux percevoir sabouche, à la prendre

en considération en lui redonnant

l’importance et le respect

qu’elle mérite.

Page 3: Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie exclusive.Comme cha-cun le sait,c’était une approche très éla-borée de l’hygiène

5 0 | T I TA N E Vo l . 6 - N ° 1 | M a r s 2 0 0 9

MO

IGN

AG

E

‘‘

Interv

iew C’est la paro qui m’a amenée à être unpraticien plus attentif à la psychologiedes patients. Si on ne fait pas marchercela, alors la technique et les connais-sances scientifiques ne servent pas àgrand-chose…

Bien sûr, l’étiologie microbiologiquen’a pas à être remise en cause, mais aumoment des événements dits de stress,la réponse immunitaire du patient est modifiée. Cela est parfaitementdémontré aujourd’hui. De même qu’ilest clair, même d’un point de vue stric-tement scientifique, que c’est la com-posante inflammatoire qui prime dansle développement des maladies paro-dontales, comme dans les maladiescardiovasculaires. Or l’inflammation,c’est quoi ? De la défense ! Au pointque cela puisse se retourner contre soidans les pathologies auto-immunespar exemple.

Concernant les questions, je pose desquestions ouvertes, par oppositionaux questions dites fermées qui com-portent déjà en elles-mêmes lesréponses. Puis, sans être invasive, –nejamais faire d’investigation sauvage, nid’interprétation systématique, surtoutbien se garder de cela–, j’approfondisla conversation en m’appuyant surl’anamnèse médicale qui borde utile-ment le chemin. On colle à la réalité,au vécu, on n’est pasdans le fantasme, nidans l’indiscrétion. Lepatient peut alors êtreamené à évoquer desévénements de sa viepersonnelle, familiaux,affectifs, qu’il relie lui-même au déclenche-ment possible de sespremiers symptômes,donc de sa maladie. C’est son expli-cation qui est la bonne. Nous avons àfavoriser cela. Que le patient trouvelui-même du sens à la maladie qui l’at-teint.Il est important que le patient puissedire ce qu’il ressent et se montrer vul-nérable. Le praticien dans un bon posi-tionnement de calme et de neutralité

bienveillante écoute, reçoit l’informa-tion et reste paisible. Le patient sentque son vécu et son ressenti est accep-table par quelqu’un d’autre que lui, celadédramatise la situation ; la relationpraticien-patient s’engage bien, lepatient est en confiance.Et surtout, il y a un avant et un aprèsla consultation.Quant aux signes évocateurs de diffi-cultés, c’est souvent le patient qui saittout, qui s’est renseigné « sur le net » ;il pense avoir acquis un savoir et dicteson traitement. Il va falloir replacer lapersonne dans une vraie demande etla retourner vers sa fragilité, travaild’autant plus difficile chez ces per-sonnes qui sont dans la maîtrise detout et qui justement cherchent à dis-simuler et à fuir leur fragilité…

Quelle technique utilisez-vous pouroptimiser le contrôle de plaque ?Comment trouver les mots justes, sansblesser tout en restant efficace dansnotre discours ?C’est M. Sanz qui déclarait lors d’uneprésentation il y a 2 ou 3 ans : « Nousconnaissons beaucoup de choses sur leplan scientifique, le problème est quenous ne savons pas comment influer surle changement de comportement despatients ».

Tout d’abord, il faut quele patient lui-mêmefasse connaissance avecsa bouche, ose la regar-der, l’explorer, acceptede la palper, de l’appri-voiser. C’est souvent unlieu ignoré, négligé voireabandonné ; « ça ne sevoit pas, surtout aufond » ; « c’est noir, sur-

tout les plombages », « dans ma famille,on n’a pas de bonnes dents »… C’estaussi souvent un lieu désordonné :dents mal positionnées, malocclusions,soins iatrogènes réalisés au coup parcoup…Selon le vécu de chacun, le brossagedes dents peut avoir un côté un peupunitif ou culpabilisant en rapport avec

l’autorité parentale qui a initié l’en-fant au brossage. Mon but est doncd’amener du plaisir dans la perceptiondu brossage. S’accorder 10 à 15minutes rien que pour soi, masser sagencive pour la raffermir et lui redon-ner le rôle protecteur pour les racineset pour l’os, qu’elle doit avoir initiale-ment. Se chouchouter, se faire du bienà soi-même, comme l’a évoqué dansvotre revue B.Vergely ; passer du tempsseul avec soi-même quelques minutespar jour permet au corps de réharmo-niser ses forces de guérison, nous ditD. Servan-Schreiber.Lors de la première consultation, jedonne simplement au patient un docu-ment écrit, sans photo, sans dessin,juste un texte court d’une page recto-verso, qui fait la synthèse de ce que sontles maladies parodontales, les étapes dutraitement avec les bienfaits et laméthode pour brosser et surtout pourpasser les instruments inter-dentaires.Les prescriptions sont faites avec pré-cision, marque, références exactes.Dans un langage totalement accessibleet concret.

Comment gérer les difficultés rencon-trées durant le traitement ? Après la première consultation, quandon revoit le patient 15 jours plus tard,on sait s’il a lu le texte, s’il est déter-miné à faire quelque chose pour lui-même. L’indice de plaque et l’indicegingival sont déjà nettement diminués.Le traitement aux ultrasons spécifiquespeut commencer. Si après 3 ou4 séances, le patient ne coopère tou-jours pas et ne pratique pas ses tech-niques de brossage, il faut alorsadmettre que le patient ne le fait pas,parce qu’il ne peut pas. C’est respec-table, tout le monde ne peut pas accé-der à une transformation et pas à lamême vitesse.Le praticien ne doit pas souffrir d’unemise en cause de sa toute-puissancethérapeutique non plus ! La cavité buc-cale a été au moins remise en état par-tiellement, avec la suppression des« épines irritatives », obturations débor-dantes et tartre…

Que le patient trouvelui-même du sens

à la maladie qui l’atteint.

““

Page 4: Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie exclusive.Comme cha-cun le sait,c’était une approche très éla-borée de l’hygiène

Interv

iew

T I TA N E Vo l . 6 - N ° 1 | M a r s 2 0 0 9 | 5 1

Pensez-vous que certains patientssouffrent d’un manque d’écoute de lapart de leur praticien ?Plusieurs enquêtes l’ont signalé, eneffet. Le motif de consultation initialest trop peu souvent pris en compte àsa juste mesure, à sa juste proportion.Quand on propose à un patient unplan de traitement très élaboré, c’estbien, à condition que ce changementsoit adapté à ses possibilités non seu-lement financières, mais aussi phy-siques et psychiques. Que cettetransformation soit aussi vécue del’intérieur par le patient. La bouchen’est-elle pas le lieu de reconnaissancede l’identité d’un individu ?Il est donc important de bien évaluerl’effort que ce traitement va représen-ter pour le patient, afin d’éviter lesproblèmes. Qui peut faire des effortspartout, tout le temps ? Une justeadaptation des moyens aux besoinsréels du patient est suffisante. Chacunfait ce qu’il peut avec ce qu’il a et sur-tout avec ce qu’il est. Le praticien nedétient pas toutes les clés du traitement.Même si nous avons le devoir de dis-penser des soins d’une qualité égale àtous, sommes-nous sûrs que tous peu-vent recevoir la totalité, quelle que soitnotre intention de bien faire ?Rien n’empêche de se placer dans ladurée : ce qui n’est pas obtenu de suitepourra peut-être avoir lieu plus tard,à un meilleur moment pour le patient.La motivation peut évoluer avec letemps et la réflexion mûrir…

Quel doit-être selon vous le rôle du pra-ticien dans le sevrage tabagique ?Comment peut-on aider et accompa-gner le patient dans sa démarche ?L’idée d’un sevrage brutal en tout casest dépassé, me semble-t-il. Ce quicompte, c’est d’obtenir l’adhésion dupatient au projet d’arrêter. Puis celapeut se faire progressivement, avec desaides, tabacologues, acupuncteurs,médications substitutives… Partant làencore de l’idée que l’on ne peut pasfaire des efforts partout et tout letemps, il faut éviter de demander aupatient de tout changer radicalement :

stopper le tabac, brosser parfaitement,manger sainement, toutes ces injonc-tions sociétales qui deviennent enva-hissantes dans le domaine de la santé !Est-ce que l’arrêt du tabac est com-patible avec le mode de vie actuel dupatient, avec son état psychologique etne risque pas de déclencher ou d’ac-centuer un état dépressif latent ou uneinstabilité encore plus préjudiciable àson équilibre ?

Comment peut-on optimiser la gestionde la douleur dans notre exercice ?La bouche est un lieu hautementinnervé, hautement sensible. Certainspatients n’acceptent pas de ressentir.C’est très subjectif. Par exemple, unehypersensibilité dentaire, acceptablepour certains, est insupportable àd’autres, alors qu’il s’agit de physiologieet pas de pathologie. La bouche seréveille après les premières séances dutraitement initial, c’est de l’ordre du« normal ».Les patients intolérants à la douleur ontsouvent une demande de soins sousanesthésie générale, pour que le trai-tement se déroule sans eux en quelquesorte, pendant leur absence ! On estloin dans ce cas d’une démarche detransformation pour retrouver de l’an-crage, de la solidité en soi. C’est l’ap-

pui sur l’autre qui prédomine et ladélégation de la responsabilité àl’autre… C’est le moment d’avoir unevraie discussion avec le patient.Puisque son corps est vivant, paressence il y a du ressenti. Est-ce qu’ill’accepte et jusqu’à quel degré ? Lacoopération au traitement passe parlà. Ensuite, bien sûr, il faut distinguerle ressenti de la douleur et recourirautant qu’il le faut à l’anesthésie locale.Mais une participation sera toujoursnécessaire à un moment ou un autre.Pendant le passage d’une brossettedans un espace inter-dentaireenflammé par exemple, il y aura du res-senti, voire un saignement. Le patientdoit accepter cela, ne pas craindre etdépasser ses appréhensions. C’est dansce sens aussi que je disais plus haut quele patient doit apprivoiser sa bouche etreprendre les commandes. Certainspatients semblent débordés par leurpropre corps…

Quelle est l’attitude à adopter face aupatient phobique du dentiste ?Distinguer la réalité du fantasme etdes idées culturelles transmises ! Cela dit, la cavité buccale est un lieufortement chargée de symboles… Ilfaut que le praticien soit très patient,sans jeu de mots et qu’il comprenne

Page 5: Propos recueillis PARÉdouard Henriot Interview Christine Romagna · 2016-10-04 · Parodontologie exclusive.Comme cha-cun le sait,c’était une approche très éla-borée de l’hygiène

5 2 | T I TA N E Vo l . 6 - N ° 1 | M a r s 2 0 0 9

MO

IGN

AG

E

‘‘

Interv

iew qu’il est témoin et acteur de celieu du corps si particulier. Rienne nous est dit de cela ou sipeu dans notre formation ini-tiale… La peur du dentisteexiste, la peur de l’intrusiond’un corps étranger dans labouche existe pour certainspatients. Réveil des premièressensations dans la toute petiteenfance, du premier rapportavec ce qui est autre que soi,découverte du monde exté-rieur, expériences traumati-santes… la peur a toujours unfondement réel, imaginaire ou fantas-matique. Elle doit être respectée. Lepatient phobique pourra recevoir lesoin quand il aura eu la preuve qu’ilpeut réellement se confier. Le praticienpourra être celui qui permet de libé-rer des craintes très intimes et aider àleur réparation, parfois même à soninsu. Dans les cas extrêmes, cela peutêtre pertinent de proposer au patientde se faire aider.Attention à ne jamaisdire que le problème est « psy » ! Ceserait le meilleur moyen de déclencherune résistance !Le soignant peut éventuellement avoirl’humilité de « se concerner lui-même »et dévoiler sa propre vulnérabilité. Celafavorisera l’établissement d’un rapportd’égal à égal entre deux humains sem-blables. Avec la précaution de ne pasraconter de choses personnelles, car lepraticien se doit de toujours rester dansle cadre de sa fonction.

Vous arrive-t-il souvent de conseiller àun patient de se faire aider par des psy-chologues ou d’autres professionnels ?Pour accompagner les traitementsd’orthodontie, par exemple, il est inté-ressant de collaborer avec un kiné, afind’alléger la pulsion linguale, pour obtenir une rééducation labio-jugo-linguale, même chez l’adulte. Cela a été bien enseigné par MaryvonneFournier.De plus, le travail auprès d’un kinépeut être mieux perçu par un adulteque la consultation d’un orthopho-

niste connoté plutôt pour les enfants.Un travail sur la posture aussi est utile.Et parfois le recours à la psychothéra-pie, la médiation corporelle…

Pouvez-vous nous parler de la SociétéFrançaise d’Odontologie Psychoso-matique et Sciences Humaines ?J’ai découvert cette société en 2000en rencontrant sa présidente leDr Micheline Ruel-Kellermann, odon-tologiste, docteur en psychanalyse, quia publié de nombreux écrits dans lesannées 80-90. Cette société est un lieud’étude de tout ce qui touche à la psy-chosomatique dans le domaine del’odontologie. Elle réunit des experts

odontologistes, médicaux etpsychothérapeutes, psychoso-maticien en particulier en la per-sonne du Dr René Sirven,MCU à la Faculté de Médecinede Montpellier. La SFOPSHtravaille en lien avec l’InstitutPsychosomatique de Montpel-lier dirigée par E. Ferragut.Je su i s p ré s idente de l aSFOPSH depuis 2007, élargis-sant les buts pédagogiques del’approche psychosomatiqueaux Sciences Humaines. Les

échanges y sont ouverts car interdis-ciplinaires. Nous mettons en commundes connaissances scientifiques issuesde nos différents domaines d’exper-tise, propres à chacun : odontologistes,médecins, sages-femmes… puis uneanalyse avec la composante humainetant du point de vue du patient que dupoint de vue du praticien en est faite.Nous organisons chaque année unejournée en janvier à Paris, un sémi-naire en mars à Montpellier et un coursde 2 jours en octobre en province, cetteannée à Nîmes, les 9 et 10 octobre, surle thème des « Situations médicales àrisque ». ■

Dans le domaine

Oser entendreInformation dentaire n°27, 06/07/2005

Soigner la boucheInformation dentaire n°28, 13/07/2005

La bouche au cœur du corpsTitane vol. 2, n°3 sept. 2005

Échecs ou malentendus JPIO /clinic,n° hors série mai 2008

Mais encore

Le traitement parodontalraisonné

Coll JPIO, édition Cdp 1999,Pierre Genon et Christine Romagna-Genon

Esthétique et parodontie :les clés du succès

Coll JPIO, édition Cdp 2001,Christine Romagna-Genon et Pierre Genon

Publications

Société Française d’Odontologie Psychosomatique et Sciences Humaines : www.sfopsh.asso.fr