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1 PROBLÉMATIQUE DE L’IMAGINAIRE L’imaginaire n’est pas pur, il ne fait qu’aller. René Char Chapitre IV de livre de René Barbier˚: «˚ L’Approche Transversale. L’écoute sensible en sciences humaines˚» , Anthopos, 1997, 351 p. Le concept d’imaginaire est la clé de voûte de l’Approche Transversale. Essayons de préciser ce que nous entendons sous le terme d’ “imaginaire”. Imaginaire implique : Une source : la capacité cérébrale d’imaginer radicalement quelque chose. Un processus : le déroulement mental qui prend appui sur cette capacité et provoque sans cesse un flux énergétique entre le fond du réel (voilé) et le symbolique socialement sanctionné, contribuant ainsi à créer la réalité permettant une communication relative entre les êtres humains. Un résultat : l’imaginaire effectif qui se donne à voir à travers des figures, des formes, des images pouvant être repérées et soumises à l’investigation scientifique, philosophique et mythopoétique. La capacité d’imaginer quelque chose me semble relever d’une émergence originale de l’évolution psychique accédant à un niveau de complexité supérieure. Je formule l’hypothèse que l’individu sexué, voué à la mort, a développé en même temps que le fait d’être mortel une capacité de résoudre cette échéance par une nouvelle faculté : l’imagination. Il peut ainsi sortir de son caractère d’être mortel par l’invention d’une autre histoire le concernant. Cette hypothèse me semble étayée par l’oeuvre des artistes et des chefs religieux charismatiques qui, presque tous, nous proposent des formes symboliques tentant de résoudre le caractère inéluctable d’une mort absolue de l’être dans sa totalité. L’Art, la poésie, la littérature nous entraînent dans un univers où le symbole nous parle sans cesse d’un autre regard possible sur le monde,

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PROBLÉMATIQUE DE L’IMAGINAIRE

L’imaginaire n’est pas pur, il ne fait qu’aller.

René Char

Chapitre IV de livre de René Barbier : « L’Approche

Transversale. L’écoute sensible en sciences humaines », Anthopos,

1997, 351 p.

Le concept d’imaginaire est la clé de voûte de l’Approche

Transversale. Essayons de préciser ce que nous entendons sous le terme

d’ “imaginaire”.

Imaginaire implique :

Une source : la capacité cérébrale d’imaginer radicalement quelque

chose.

Un processus : le déroulement mental qui prend appui sur cette

capacité et provoque sans cesse un flux énergétique entre le fond du réel

(voilé) et le symbolique socialement sanctionné, contribuant ainsi à créer

la réalité permettant une communication relative entre les êtres humains.

Un résultat : l’imaginaire effectif qui se donne à voir à travers des

figures, des formes, des images pouvant être repérées et soumises à

l’investigation scientifique, philosophique et mythopoétique.

La capacité d’imaginer quelque chose me semble relever d’une

émergence originale de l’évolution psychique accédant à un niveau de

complexité supérieure. Je formule l’hypothèse que l’individu sexué, voué

à la mort, a développé en même temps que le fait d’être mortel une

capacité de résoudre cette échéance par une nouvelle faculté :

l’imagination. Il peut ainsi sortir de son caractère d’être mortel par

l’invention d’une autre histoire le concernant. Cette hypothèse me semble

étayée par l’oeuvre des artistes et des chefs religieux charismatiques qui,

presque tous, nous proposent des formes symboliques tentant de

résoudre le caractère inéluctable d’une mort absolue de l’être dans sa

totalité.

L’Art, la poésie, la littérature nous entraînent dans un univers où le

symbole nous parle sans cesse d’un autre regard possible sur le monde,

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d’un autre rapport à un signifié inaccessible mais actualisé

inadéquatement dans l’oeuvre d’art. La Religion, sous ses formes les

plus instituées, prend sa source dans une possibilité d’être au delà de la

mort, au moins pour une partie spirituelle de notre être.

Il est questionnant de se rendre compte que l’homme n’a jamais

pu, vraiment, assumer sans rien dire ou imaginer la mort absolue de son

être-au-monde. Chacun sait que dans l’inconscient la mort n’existe pas.

L’imagination ( et l’imaginaire) est consubstantielle au fait de mourir.

Les plus grands artistes sont également ceux qui sont à la fois les plus

grands vivants et les plus proches du sentiment de la mort imminente.

1. Structuralisme et conception de l’imaginaire.

Le structuralisme, dans ses diverses versions linguistiques

(Jakobson), philosophiques et historiques (Foucault, Dumezil), marxistes

(Althusser), sémiologiques (Barthes) ou psychanalytiques (Lacan), pose

comme axiome explicatif, l’existence de “structures inconscientes” qui

déterminent des positions dans lesquelles viennent se nicher toutes les

formes visibles de la réalité (hommes, biens matériels ou symboliques,

valeurs, idées etc. ). Reprenant une célèbre étude de Gilles Deleuze1, il

me paraît intéressant de faire le point sur l’importance accordée par le

structuralisme à la notion de “symbolique” par rapport à celles

d’imaginaire et de réel.

Un point-clé de ce mouvement de pensée consiste à refuser de

rester confiner dans la dichotomie réel/imaginaire et d’introduire une

instance tierce : le symbolique. Déjà la linguistique structurale avait

proposé ses propres pistes en distinguant l’objet structural au delà des

images et des concepts associés aux mots. Les écrivains de la revue Tel

Quel en tirèrent bénéfices pour renouveler la création littéraire.

Derrière les hommes et leurs rapports réels, derrière les idéologies

et les relations imaginaires, Louis Althusser découvre, en son temps, un

domaine plus profond, comme objet de science et de philosophie.

Jacques Lacan met en jeu un père symbolique - le Nom du père - une

“fonction paternelle”, derrière le père réel et le père imaginaire. Michel

Foucault dégage derrière l’histoire des hommes et leurs idées, une

archéologie plus enfouie.

Pour le structuralisme, le réel tend à ne faire qu’un. Il est Un dans

3

sa vérité. L’imaginaire apparaît dès que nous voyons double, c’est-à-dire

deux en un. Le père réel se veut un, mais l’image du père est toujours

double en elle-même, clivée par la loi du double regard. Il est à la fois le

père joueur, le père bouffon mais également le père réaliste, travailleur et

sérieux : “l’imaginaire se définit par des jeux de miroir, de

dédoublement d’identification et de projection renversées, toujours sur

le mode du double” (Gilles Deleuze)2.

Le structuralisme institue un ordre du symbolique, plus profond,

essentiel, par rapport au réel et à l’imaginaire. La structure de cet ordre

symbolique n’a aucun rapport avec la forme sensible, ni avec la figure de

l’imaginaire, ni avec une essence intelligible. Elle ne se définit pas par

une prégnance du tout sur ses parties, par une quelconque “gestalt” qui

s’exercerait dans le réel et dans la perception. La structure se définit

d’abord par la nature de certains éléments atomiques qui prétendent

rendre compte à la fois de la formation des totalités et de la variations de

leurs parties.

En quoi consiste l’élément symbolique de la structure ? Distinct du

réel et de l’imaginaire, il ne peut se définir ni par des réalités

préexistantes auxquelles il renverrait, et qu’il désignerait, ni par des

contenus imaginaires ou conceptuels qu’il impliquerait et qui lui

donneraient une signification. Les éléments d’une structure ne sont rien

d’autre qu’une conception du sens, comme le rappelle Claude Lévi-

Strauss, un sens qui est nécessairement et uniquement de “position”. Il

s’agit de places et de lieux dans un espace proprement structural, c’est-à-

dire “inétendu, pré-extensif, pur spatium constitué de proche en proche

comme ordre de voisinage, où la notion de voisinage a précisément

d’abord un sens ordinal et non pas une signification dans l’étendue”3.

Ainsi Louis Althusser ne parle pas de “sujet” au sens habituel.

Pour lui, les vrais sujets sont les places dans un espace topologique et

structural défini par les rapports de production. Les “sujets”, ceux qui

occupent ces places, individus concrets, hommes réels, n’y sont que

secondairement. C’est pourquoi le structuralisme s’accompagne d’ “une

philosophie transcendantale nouvelle, où les lieux l’emportent sur ce qui

les remplit. Père, mère, etc., sont d’abord des lieux dans une structure

”4.

Dans cet ordre symbolique, le sens résulte toujours de la

combinaison d’éléments qui ne sont pas eux-mêmes signifiants. Le sens

4

n’est qu’un effet d’optique, de langage, de position. On ne manque pas

de sens. Il y a toujours “trop de sens”, une surdétermination produit, en

excès, par la combinaison des places dans la structure. D’où

l’importance du goût du structuralisme pour certains jeux et un certain

théâtre. En particulier pour les jeux d’échec ou le bridge.

Un autre critère du structuralisme distingue le différentiel et le

singulier. En quoi consistent ces éléments symboliques ou unités de

position ? En linguistique, le phonème - la plus petite unité linguistique

capable de différencier deux mots de signification diverse (billard et

pillard, par exemple) s’incarne dans des lettres, des syllabes et des sons

mais ne s’y réduit pas. Tout est question de relations. Les phonèmes

n’existent pas indépendamment des relations dans lesquelles ils entrent et

par lesquelles ils se déterminent réciproquement.

A partir de la théorie mathématique du calcul différentiel, le

structuralisme pense que la nature symbolique d’une structure doit être

recherchée dans le processus de la détermination réciproque de ses

éléments, au sein du rapport qu’ils entretiennent entre eux. Ce rapport est

différentiel. Chaque élément est tout à fait indéterminé par rapport à

l’autre, mais leur rapport est, lui, tout à fait déterminé, les deux éléments

se déterminant réciproquement dans le rapport.

Aux déterminations des rapports différentiels correspondent des

singularités, des répartitions de points singuliers qui caractérisent les

courbes et les figures dans l’ordre mathématique. Dans le structuralisme,

la détermination réciproque des éléments symboliques se prolonge dans

la détermination complète des points singuliers qui constituent un espace

correspondant à ces éléments. “La notion capitale de singularité, prise à

la lettre, semble appartenir à tous les domaines où il y a structure. La

formule générale “penser, c’est émettre un coup de dés” renvoie elle-

même aux singularités représentées par les points brillants sur les dés”

(G. Deleuze)5.

Toute structure présente deux aspects : un système de rapports

différentiels où viennent jouer les éléments symboliques qui se

déterminent réciproquement et un système de singularités correspondant

à ces rapports et traçant l’espace de la structure.

Les éléments symboliques s’incarnent dans les êtres et objets réels du

domaine considéré. Les rapports différentiels s’actualisent dans les

relations réelles entre ces êtres. Les singularités sont autant de places

5

dans la structure, qui distribuent les rôles ou les attitudes imaginaires des

êtres ou objets venant les occuper.

Une structure n’est ni actuelle, ni fictive. Ce qui est “actuelle”,

c’est ce qu’elle constitue en s’incarnant. De même que le phonème peut

être considéré comme virtuel, ni confondu avec la lettre, syllabe ou son

actuels, ni fiction ou image associée, le mode de la structure est d’être une

pure virtualité, qui ne saurait pourtant se réduire à aucune image possible,

aucune idée abstraite : “De la structure, on dira : réelle sans être

actuelle, idéale sans être abstraite ” (G. Deleuze)6.

Claude Lévi-Strauss présente ainsi la structure comme une sorte de

réservoir ou de répertoire idéal, où tout coexiste virtuellement, mais où

l’actualisation se fait nécessairement suivant des directions exclusives,

impliquant toujours des combinaisons partielles et des choix

inconscients. Dès lors mettre au jour une structure consiste à déterminer

le mieux possible toute une virtualité de coexistence préexistante aux

êtres, aux objets, aux oeuvres du domaine considéré.

Pour le structuralisme, la coexistence en question est constituée par

tous les éléments, les rapports et les valeurs de rapports, les singularités

propres au domaine considéré. Et ces rapports et éléments différentiels

coexistent en un tout parfaitement et complètement déterminé. Toute

actualisation d’un des éléments, rapports, valeurs de rapports, répartition

de singularités, est partielle et n’épuise jamais la totalité de l’actualisation

possible.

Il n’y a pas ainsi de société “totale” mais seulement des

incarnations relatives d’éléments en formes sociales. La seule “totalité”,

sous cet angle, est celle de la virtualité de la structure. Le temps, pour le

structuralisme est toujours celui de l’actualisation d’une structure. Il va

du virtuel à l’actuel et non d’une forme actuelle à une autre.

On sait que Henri Lefebvre a vivement critiqué le structuralisme,

l’accusant d’être un “nouveau éléatisme”7. Dany Robert Dufour, dans

son livre sur Les mystères de la trinité, entreprend lui aussi une critique

de la logique apparemment binaire, mais pour lui, avant tout unaire, qu’il

pense y découvrir8, alors qu’il s’agit pour l’homme d’aujourd’hui

d’engendrer un logique trinitaire. D. R. Dufour reprend d’ailleurs

l’article de G. Deleuze dont je me suis inspiré pour développer sa thèse et

taxer les structuralistes d’un certain “bégaiement”9. Mais surtout il

insiste sur un point fort du structuralisme, bien vu par Gilles Deleuze

6

justement, la question de la “case vide” qui n’est pas sans intérêt pour

l’Approche Transversale.

A la lecture de “la Lettre volée” d’Edgar Poe ou de “l’Homme

aux rats” de Sigmund Freud, on peut constater, avec Lacan, qu’un objet

(“lettre” ou “dette”) est toujours présent dans les séries

correspondantes. Objet “éminemment symbolique”, comme l’écrit G.

Deleuze, parce qu’il n’appartient à aucune série en particulier. Lacan avait

dégagé deux séries dans le cas de l’Homme aux rats : une série paternelle

et une série filiale, dont chacune mettait en jeu quatre termes en rapport

suivant l’ordre des places (in “Le mythe individuel du névrosé”). Dans

“La lettre volée”, Lacan montre comment la “structure” met en scène

également deux séries dont les places sont occupées par des sujets

variables : roi qui ne voit pas la lettre, reine qui se réjouit de l’avoir

d’autant mieux cachée qu’elle l’a laissée en évidence, ministre qui voit

tout et qui prend la lettre (première série). Police qui ne trouve rien chez

le ministre, ministre qui se réjouit d’avoir d’autant mieux caché la lettre

qu’il l’a laissée en évidence, Dupin qui voit tout et reprend la lettre

(deuxième série). L’objet “éminemment symbolique” parcourt les

séries, ne cesse de circuler en elles, et de l’une à l’autre, “avec une agilité

extraordinaire” ajoute Gilles Deleuze.

Ce qui apparaît finalement dans et par cette circulation

combinatoire, c’est que les jeux ont besoin de la case vide. L’objet ne se

distingue pas de sa place mais il appartient à cette place de se déplacer

tout le temps, comme à la case vide de sauter sans cesse. Lacan invoque la

“place du mort” au bridge. Gilles Deleuze rapporte également que

Michel Foucault décrit un tableau de Vélasquez où la “place du roi”

semble être ce lieu par rapport à quoi tout se déplace et glisse, Dieu, puis

l’homme, sans jamais le remplir.

Pas de structuralisme sans ce degré zéro, sans cette tache aveugle

comme désignant ce point toujours mobile qui comporte l’aveuglement,

mais à partir duquel l’écriture, par exemple, devient possible, comme le

soutiennent Philippe Sollers et Jean-Pierre Faye. Claude Lévi-Strauss

reconnaît dans le “mana” un objet de cet ordre en tant que “signifiant

flottant”.

Dany Robert Dufour reprend cette fonction essentielle de “la case

vide” qui ne saurait s’inscrire dans une logique binaire. Elle est la place

de l’Homme justement. Celle qui oblige le structuralisme à dérailler. Elle

7

nous conduit vers une logique trinitaire selon D. R. Dufour : “il existe

toujours une valeur imaginaire dans les tentatives de capture (et de

gestion) du réel par les systèmes symboliques.

Imaginaire/réel/symbolique : c’est vers un ensemble trinitaire que cette

proposition est dirigée (... ) il suffit d’omettre la trinité pour qu’elle se

repropose comme réponse nécessaire à une étape ultérieure de la

pensée. ”10

2. Les trois composantes de l’imaginaire.

A partir de la capacité à imaginer radicalement, l’imaginaire va se

composer de trois volets relativement autonomes mais en interaction

permanente : l’imaginaire pulsionnel ; l’imaginaire social et l’imaginaire

sacral.

8

Imaginaire sacral

Imaginaire pulsionnel Imaginaire social

Personne

Groupe

Organisation

Objet/suje tde recherche

ProduitsPratiquesDiscours

écoute spirituelle/philosophiqueécoute poétique/existentielle

écoute scientifique /clinique

transversalité phantasmatique

transversalité noétique

mode apollinien/mode dionysiaque/mode franciscain

dialectique Eros/Thanatos/Polemos instituant/institué/institutionalisation

transversalitéinstitutionnelle

René Barbier 1995

THEORIE DE L'APPROCHE TRANSVERSALE

2. 1. L’Imaginaire pulsionnel.

Des trois concepts proposés par J. Lacan - le Réel, le Symbolique

et l'Imaginaire - le dernier me semble être d'une importance existentielle et

d'une profondeur sans fond pour l'homme contemporain. L'histoire du

concept d'imaginaire est liée à la dynamique des représentations

intellectuelles dichotomiques depuis l'Antiquité. On a toujours eu

tendance à opposer réel et imaginaire, raison et imagination, objectivité et

subjectivité.

J'ai distingué trois phases évolutives dans l'histoire de ce concept11

: la phase de succession après le pré-socratique qui actualisera peu à peu

une pensée rationnelle et potentialisera la fonction imaginante de l'être

9

humain ; la phase de subversion à partir du Romantisme et plus tard du

Surréalisme qui actualisera l'imaginaire créateur et potentialisera le

réel/rationnel ; la phase d'autorisation enfin, contemporaine, qui tente une

articulation lucide, à partir de Gaston Bachelard, de la “fonction du réel”

et de la “fonction de l'irréel”12. Nous pouvons penser désormais avec

Cornelius Castoriadis13 et à l'encontre de Jacques Lacan, que l'imaginaire

est premier et constitutif même de la psyché.

Imaginer, c'est se représenter quelque chose, ce qui implique une

dérivation par rapport au jeu immédiat des sensations et une association

de la mémoire. Imaginer c'est également juxtaposer, combiner, articuler et

synthétiser des images ou des idées pour les reproduire en les figurant ou

pour en tirer des rangements ou des arrangements différents.

Mais, d'une manière encore plus radicale, imaginer, rappelle

Jacques Ardoino en suivant C. Castoriadis, c'est “créer, en fonction de

l'expérience acquise et actuelle, autre chose que ce qui était déjà là,

préexistant, disponible ou encore ignoré”14. Il s'agit d'une véritable mise

en acte d'une capacité de création et d'invention qui opère une rupture

avec l'ordre établi de la symbolisation habituelle. Nous pouvons dire que

l'imagination est la mise en oeuvre, dans ce cas, d'une “sensibilité

généralisatrice” complètement reliée au réel, à la Nature qui advient par

son truchement créateur. Pour l'artiste par exemple, “l'imagination

désigne alors cette motricité secrète et pourtant manifeste par quoi l'idée

devient nature en s'exprimant par le langage des mains... C'est en quoi

l'artiste est une force de la nature : son imagination l'accorde à la

Nature qui agit dans sa nature.” (Mikel Dufrenne)15.

Le Symbolique n'est jamais que l'écume du mouvement permanent

des vagues d'un imaginaire océanique qui, dans ses grands fonds, se

confond avec le réel. Détacher le signifiant du signifié pour en expliquer

la structure, c'est croire que le tourbillon dans la rivière est une entité

séparée de celle-ci et plus encore de l'eau qui la constitue

fondamentalement. C'est une illusion d'optique qu'a opérée pendant

longtemps la pensée formelle, objectiviste et anti-existentielle en sciences

humaines. Le mot “sang” ou le mot “soleil” ne sauraient être détachés

de leur dimension imaginaire et de leur potentialité symbolique dans une

culture donnée.

L’imaginaire pulsionnel renvoie à la problématique de la psyché

/soma individuelle, à sa dynamique pulsionnelle et à ses mécanismes de

10

défense. La pulsion (Trieb) se manifeste dans la psyché par

l'intermédiaire d'une représentation (formée par et dans la psyché ). Du

point de vue psychanalytique, nous pouvons soutenir deux catégories de

pulsions antagonistes : Éros et Thanatos, la pulsion de vie et la pulsion de

mort. Si les psychanalystes s'accordent sur la pulsion de vie (pulsions

sexuelles et pulsions d'autoconservation), ils ne partagent pas tous

l'obsession de Sigmund Freud pour la “pulsion de mort” à partir d' au-

delà du principe de plaisir (1920). On sait que pour Freud, la pulsion de

mort (traduit par la suite par “Thanatos”) s'impose, en dernière instance,

comme une tendance inhérente à l'être humain, à revenir à un état

antérieur de non-tension, au moment de la non-vie qui, nécessairement, a

précédé la vie dont Éros a constitué le moteur et le “trouble-paix”

comme il l'appellera dans le Moi et le Ca. On connaît la névrose

freudienne à propos de la question de la mort, ce qui en fait d'ailleurs à

mes yeux un être profondément attachant. Son médecin, Max Schur, la

décrit très humainement dans un remarquable livre sur ce sujet16, et

Maud Mannoni a repris l’interrogation philosophique et clinique sur

cette phase ultime de la vie de Freud17. Il paraît évident que sa théorie de

la pulsion de mort est directement reliée à l' histoire personnelle de Freud

(il était atteint d'un cancer), son histoire familiale (notamment la mort de

sa fille Sophie et de son petit fils Heinele) et de son histoire sociale (il a

vécu douloureusement et lucidement l'hécatombe de la Première Guerre

Mondiale). L'argumentation freudienne peut être contestée à bien des

niveaux18. Dans un ouvrage de 1996 le psychologue Michel Lobrot tente

de démontrer la faille radicale de la théorie freudienne, non sans une

certaine pertinence19. De leur côté les chercheurs intéressés par les

neurosciences critiquent le freudisme. Il n'est pas vrai que tous les êtres

vivants cherchent à réduire fondamentalement toute nouvelle tension.

Chez les chats et les chiens, ce qui pourrait, à première vue, constituer des

éléments de "pulsions de mort” est expliqué différemment et

pertinemment par les psychologues, qui mettent en lumière l'importance,

chez l'homme, de la subtilité et la variétés des facteurs cognitifs devant

une situation problématique (Jacques Van Rillaer)20.

J’appelle imaginaire pulsionnel à la fois la source, le processus et

le résultat d’ une imagination qui prend appui sur les pulsions de l’être

humain. Derrière cette notion se dessine donc une théorie des pulsions

liées aux besoins fondamentaux de l’individu. La question est

particulièrement difficile. Nous suivons bien volontiers la théorie

psychanalytique quand il s’agit de repérer Éros, la pulsion de vie dans

11

laquelle nous incluons à la fois les pulsions d’autoconservation et les

pulsions sexuelles. Mais ces pulsions liées aux besoins de survivre et aux

besoins de se reproduire reflètent-elles complètement ce que nous

pouvons nommer Éros ? Ne trouve-t-on pas d’autres besoins donnant

lieu à des pulsions elles-mêmes engendrant des désirs, dans ce que nous

appelons la pulsion de vie ? On sait que Abraham Maslow a proposé une

théorie des besoins assez large21. Faut-il l’accepter où la critiquer

comme étant idéaliste ? Doit-on s’en tenir, en fin de compte, à deux

pulsions Éros et Thanatos : la pulsion de vie et la pulsion de mort ? Et

même, dans la foulée freudienne, ne voir, en dernière instance, que le jeu

muet et souterrain, de la pulsion de mort ? Sur quoi s’étaye donc cette

capacité à imaginer : la survie, la reproduction, le “besoin” d’être

reconnu, le “besoin” d’être relié à une totalité plus vaste ?

Les freudiens ont fondé leur théorie sur le besoin de survivre. A

partir de la faim, le bébé se lie fantasmatiquement au sein dans un

imaginaire indifférencié, totalitaire et tragique. L’amour naît de ce rapport

à ce qui nourrit d’abord le corps en état de besoin. L’amour est donné de

surcroît. Les historiens parlent également de l’amour en plus, relevant la

relativité de l’amour maternel, envisagé comme un “instinct”, suivant les

époques, dans l’histoire sociale22. Il n’est pas un besoin primaire.

Certes, ensuite, l’amour devient, en quelque sorte, partie intégrante, de la

relation entre l’enfant et sa mère. Le regard de l’enfant vers sa mère,

pendant qu’elle lui donne le sein, scelle le sentiment amoureux, sur un

plaisir d’organe. Il devient indissociable d’un plaisir sensoriel. Puis peu

à peu le sentiment amoureux prendra sa relative autonomie et inventera sa

propre sphère fantasmatique.

Mais n’existe-il pas un besoin primaire que nous pouvons

nommer “attachement” avec René Zazzo ? Un besoin indépendant, dès

le début, de celui de se nourrir et tout aussi primordial pour la survie

physique de l’être humain ? Les travaux du psychanalyste anglais John

Bowlby, de l’américain René Spitz et ceux de René Zazzo m’ont

convaincu de l’existence de ce type de besoin primaire chez l’être

humain, et d’une pulsion d’attachement correspondante23. Dès lors il

s’ensuit un champ de désir et de représentations imaginaires propres à ce

registre fondamental.

Cela ne nie pas, pour autant, la question de la “pulsion de mort”.

Encore faut-il s’entendre sur ce concept.

12

La pulsion de mort au sens freudien du terme, est conçue comme

un retour d’un point de tension corporel vers un point de non-tension

procurant une satisfaction psychologique. C’est la décharge orgasmique

nommée également “petite mort”. La pulsion de mort nous entraîne vers

un retour à l’état inerte, de non-mouvement, de non-vie, en fonction d’une

loi et d’une compulsion de répétition. Pour Freud, la vie vient de la

matière inerte et y retourne suivant une attraction essentielle, après avoir

découvert sa finitude inscrite dans la sexualité, chez ce vivant complexe

qu’on nomme un être humain. Le jeu de l’énergie libidinale est celui

d’un éternel retour vers la non-vie après une entropie sans cesse

croissante. L’option philosophique est tragique et son fondement est

celui d’un stoïcisme moderne qui regarde la mort en face. Sigmund

Freud et ses dizaines d’opérations chirurgicales à la mâchoire, Freud relié

inéluctablement pendant presque vingt ans à son cancer, en sait quelque

chose.

La psychanalyse, sous cet angle, est proprement révolutionnaire car

toutes les dictatures sont fondées sur un déni de la mort et une assurance

illusoire gonflée d’idéologies. Mais la psychanalyse a-t-elle, pour autant,

raison ? Nul ne peut s’aveugler sur la prise de position indémontrable qui

est à la base de la philosophie freudienne. Qu’est-ce que la Vie ? et

qu’est-ce que la pulsion de vie ou la pulsion de mort ? Personne, à ce

jour et en l’état de nos connaissances scientifiques, ne peut répondre

péremptoirement à cette question. Le passage d’un état de tension à un

état de non-tension est-il vraiment ce qui procure un plaisir recherché

inconsciemment en dernière instance ? Ne faut-il pas faire le point sur ce

qui relève d’un processus de réduction et d’un processus

d’amplification, d’un mouvement centripète et d’un mouvement

centrifuge de l’énergie, dans le bien-être de l’homme ? Le plaisir de

l’orgasme, dans la sexualité par exemple, est-il lié exclusivement et

principalement à la détente corporelle après une phase d’extrême tension

? Nous pouvons concevoir une autre option, dans la foulée de Georges

Bataille et de sa notion de “dépense”24. L’énergie sexuelle qui nous

dynamise cherche - téléonomiquement - à se répandre dans une totalité

plus vaste que nous-mêmes. La phase extrême du vécu de diffusion

expansive infinie de cette tension énergétique dans un plus d’énergie

englobante, avec le rire joyeux qui l’accompagne, ne constituerait-elle pas

alors ce qu’on nomme “orgasme”25 ?

En vérité, sur cette question éminemment intime, chacun peut

13

évaluer sa propre expérience à sa juste mesure et en tirer des

conséquences pour une philosophie de la vie. Bien sûr si nous suivons la

conception de la pulsion de mort chez Françoise Dolto, nous pouvons

facilement nous accorder. Ne nous dit-elle pas que nous entrons dans la

pulsion de mort à chaque fois que nous nous endormons car nous

mourrons alors en tant qu’être de désir conscient. Sous cet angle la

pulsion de mort est ce qui met en cause radicalement notre ego. Cette

conception rejoint les points de vue des plus hautes sagesses de

l’humanité pour lesquelles savoir mourir ne consiste pas seulement à

reconnaître la finitude du corps mais à accepter dans une vision

pénétrante l’extinction même de l’ego lié au mental.

Revenons à notre théorie des pulsions à la base de cet imaginaire

pulsionnel.

Pour ma part, j'entends par Éros tout ce qui vise à la

complexification, à la structuration et à l'attraction du vivant par et vers

son semblable.

Par Thanatos , ce qui cherche, d'une manière opposée et

complémentaire, mais sans jugement sur la priorité de la pulsion, la

déstructuration, la simplification, la répulsion du vivant à l'égard de l'autre.

Par Polémos, ce qui est de l'ordre d'une agressivité non

destructrice, du caractère conflictuel et agonistique en soi et chez les

autres 26. Ce qui me paraît contraire à la mort, ce n'est pas la vie mais la

naissance. Pas de naissance sans mort. Pas de mort sans (re)naissance au

sein d'un processus infini de création/destruction de formes vitales

toujours neuves.

Nous trouvons d’abord une pulsion de vie Éros dans laquelle je

fais entrer les pulsions d’autoconservation et les pulsions sexuelles mais

encore une pulsion d’attachement, une pulsion de reconnaissance de soi

par l’autre et la société et une pulsion de reliance envers tout ce qui vit.

Plus largement la pulsion de vie est cette énergie incarnée qui conduit

conflictuellement un être doué de vie à aller vers une plus grande

complexité par le biais de structures hétérogènes de plus en plus

organisées et de plus en plus vastes. Je caractérise la pulsion de vie

comme un phénomène amplificatoire faisant entrer le vivant dans

le vivant et le vivant dans tout ce qui est et qu’on désigne sous le

terme de réel. Est animé par une pulsion de vie, l’homme qui accomplit

ce que Jiddu Krishnamurti nomme “la révolution du réel”.

14

Je reconnais la pulsion de mort sur deux plans :

- sur le plan physique il s’agit bien d’une lutte entre des forces

entropiques et des forces néguentropiques, avec en dernière instance et

par rapport à l’unité individuelle séparée, la victoire des forces

entropiques et homogénéisantes. Oui, comme dit le poète “tout va vers la

mort et vers le froid” (Eugène Guillevic).

- sur le plan psychologique la pulsion de mort est ce qui nous

pousse à déconstruire la nature compliquée de l’ego, de ce que nous

pouvons nommer “notre personnalité”, pour nous conduire

imperceptiblement vers la complexité de l’univers dans lequel notre place

est infime et éphémère. Il s’agit d’une énergie qui délie les

enchevêtrements psychiques et les illusions sécurisantes, qui réduit la

totalité apparente d’une vie en unités de plus en plus élémentaires au

point de se dissoudre dans le plus rien. La pulsion de mort nous ramène

à ce point d’être où notre identité a commencé à se mouler dans notre

reflet spéculaire et jubilatoire et nous fait passer de l’autre côté du miroir

où la mort elle-même se dénoue.

En vérité la pulsion de mort, sous cet angle, est constitutive de la

pulsion de vie portée à son plus haut degré d’intensité. Car la vie n’est-

elle pas vécue, d’instant en instant, avec le maximum d’ampleur dès lors

que nous connaissons de l’intérieur qu’elle est rationnellement de l’ordre

d’un non-sens radical à partir duquel nous pouvons co-naître à un “je-

ne-sais-quoi” et à “un-presque-rien” doté d’un sens imprévu et dans

lequel nous ne sommes que poudroiement d’étoiles filantes ?

2. 2. L’imaginaire social

La société, dans le déroulement de sa propre histoire, et à partir des

changements dans sa base technico-économique, des rapports de force

entre les groupes et les fractions de classes sociales qui cherchent à

asseoir leur hégémonie, mais également de phénomènes naturels et

cosmiques sur lesquels nul n’a de prise, engendre sans discontinuer un

magma de significations imaginaires sociales, s'imposant à tous dans une

méconnaissance instituée. Toutes les institutions sont porteuses de cet

imaginaire social qui constitue également ce que l'on appelle “la culture”

d'une société. L'idéologie n'est que la part rationalisée et rationalisable de

l'imaginaire social. Les institutions sont des réseaux symboliques,

constitués comme “bains de sens” pour les agents sociaux. Elles tissent

15

une matrice dans laquelle les “habitus” naissent et s'imposent à tous

ceux qui sont soumis à leur violence symbolique. L'habitus est un

schème générateur de structures conformes à la logique de la structure

d'inculcation (phénomène de reproduction).

L'habitus conduit les destinataires légitimes à avoir les mêmes

“goûts”, les mêmes attirances, les mêmes “dégoûts” et répulsions, le

même “sens pratique” et la même “distinction”27 sans qu'ils soient

conscients de la façon dont ils ont été moulés ainsi dans et par les

institutions appropriées depuis la naissance jusqu'à la mort. Pourtant

l'habitus n'est jamais totalement réussi dans les sociétés contemporaines

habitées par des phénomènes de différenciation culturelle. Il ne saurait

être, comme le pense Pierre Bourdieu, une sorte de “programme

d’ordinateur”, comme il l’a encore répété dans une émission télévisée

d’Antoine Spire en décembre 1990. L'habitus est toujours plus ou moins

“raté”. Il présente des failles par où s'infiltrent des dynamiques de

forces instituantes. Cette logique résulte d’une cohérence entre les

relations conceptuelles de l’habitus, de l’institution et de l’imaginaire

social dans la perspective de C. Castoriadis. Au niveau des groupes et des

classes sociales, cela donne un processus conflictuel entre ce qui est de

l'ordre de l'institué et de l'ordre de l'instituant dans chaque institution.

Cette lutte entre l'instituant et l'institué reflète la dialectique même de

l'imaginaire social qui est à la fois leurrant et créateur28. Cette

conceptualisation de l'imaginaire social et de ses retombées

institutionnelles et personnelles (par l'habitus) représente une synthèse

des oeuvres de C. Castoriadis, des théoriciens de l'Analyse

Institutionnelle (Lourau/Lapassade) et de la sociologie de Pierre

Bourdieu. Elle a constitué une partie de ma théorie de la “recherche-

action institutionnelle” dans les années soixante-dix29.

Reprenons en détail cette analyse théorique (voir schéma page

suivante).

16

Schéma de l’imaginaire social.

Rapports sociaux de production et état des forces productives dans la sociétéconsidérée. Changement dans les données techniques et scientifiques.Bouleversement naturel, climatique, écologique, cosmique

etc...

(zone d’indétermination)

Imaginaire social

création de significations sociales d’ordre imaginaire.

dynamique des rapports de forces et de sens à la fois créateurs et leurrants.

institutions et cultures spécifiques

Jeu de l’instituant, de l’institué et de l’institutionnalisation.

création des représentations sociales

retraduction au niveau des

organisations

(1° autonomie relative)

retraduction au niveau des

groupes

(imaginaire collectif de F. Desprairies)

(2° autonomie relative. )

retraduction au niveau de

l’individu par le biais de son habitus du moment.

(3° autonomie relative. )

représentations somato-psychiques individuelles.

Champ des produits, des pratiques et des discours du sujet

.

17

Définition de l’imaginaire social.

On appelle imaginaire social un magma de significations

sociales à caractère imaginaire dont la production ne se réfère pas

à une ou plusieurs élaborations psychiques individuelles ni même

de groupes ou d’organisations. Pour les comprendre nous devons

nous placer d’emblée dans une perspective sociétale. “les significations

imaginaires sociales ne sont ni représentations, ni figures ou formes, ni

concepts” écrit C. Castoriadis30. Elles ne sont pas plus des “types-

idéaux” à la manière du sociologue allemand Max Weber. Elles sont

historiques donc évolutives et produisent des institutions qui ne peuvent

être analysées qu’en fonction du contexte culturel de l’époque.

Elles sont des significations parce qu’elles renvoient à un sens.

Castoriadis définit le “sens” comme “un tenir-ensemble indestructible,

se visant soi-même et fondé sur soi-même, source illimitée de plaisir à

quoi il ne manque rien et qui ne laisse rien à désirer” 31.

Imaginaires parce que ces significations ne sont pas réductibles à

un réel ou un rationnel quelconque. Elles renvoient au fond magmatique

de la psyché et du monde, c’est-à-dire à ce que Castoriadis nomme

l’Abîme/Chaos/Sans-Fond à partir duquel surgit sans cesse un flux

créatif de nouvelles significations dont la portée peut être bénéfique ou

maléfique pour l’homme.

Sociales parce qu’elles valent et s’imposent à tous les membres de

la société, sans être nécessairement sues comme telles. Les formations

idéologiques apparaissent comme des ensembles identitaires

rationalisables du fond magmatique de l’imaginaire social. Ceux qui

présentent le plus haut degré de cohérence et d’efficacité politique dans

un certain contexte.

L’imaginaire social est de l’ordre du magma et relève ainsi d’une

logique particulière, dite logique des magmas, selon Castoriadis, définie

par les propriétés suivantes :

M1 : Si M est un magma, on peut repérer dans M des ensembles

en nombre indéfini.

M2 : Si M est un magma, on peut repérer dans M des magmas

autres que M.

M3 : Si M est un magma, il n’existe pas de partition de M en

magmas.

18

M4 : Si M est un magma, toute décomposition de M en ensembles

laisse comme résidu un magma.

M5 : Ce qui n’est pas est ensemble ou rien32.

Ces significations imaginaires sociales s’instrumentent toujours

dans des classes, des relations et des propriétés, mais ne sont pas

constructibles à partir de celles-ci. L’institution imaginaire de la société

revient à la construction de points de vue “arbitraires”, à partir desquels

“équivalences” et “relations” sont établies.

La logique des magmas conduit C. Castoriadis vers des thèses

ontologiques qui me paraissent proches de certaines sagesses orientales

comme le Taoïsme philosophique. En effet C. Castoriadis affirme que :

“ce qui est n’est pas ensemble ou système d’ensembles. Ce qui est n’est

pas pleinement déterminé.

Ce qui est, est Chaos, ou Abîme, ou Sans-Fond. Ce qui est, est

Chaos à stratification non régulière.

Ce qui est comporte une dimension ensembliste-identitaire ou une

partie ensembliste-identitaire partout dense....

Pour l’observateur limite, la question de savoir, en un sens

ultime, ce qui vient de lui et ce qui vient de l’observé est indécidable. (Il

ne peut exister d’observable absolument chaotique. Il ne peut exister

d’observateur absolument inorganisé. L’observation est un co-produit

non pleinement décomposable. )

La non-détermination de ce qui est n’est pas simple

“indétermination” au sens privatif et finalement trivial. Elle est création,

à savoir émergence de déterminations autres, de nouvelles lois, de

nouveaux domaines de légalité”33.

L’institution sociale a pour fonction essentielle l’autoconservation

par le truchement d’une socialisation de la psyché, d’une fabrication

d’individus sociaux conformes et appropriés. L’institution leur fournit

des pôles identificatoires et surtout un sens qui tente de recouvrir sans

cesse “l’Abîme du monde, de la psyché elle-même pour elle-même, de la

société elle-même pour elle-même.... Le sacré est le simulacre institué de

l’Abîme la religion confère une figure ou figuration à l’Abîme - et cette

figure est présentée à la fois comme Sens ultime et source de tout

sens “34.

19

2. 3. L'imaginaire sacral

Le troisième type d'imaginaire indissociable et différent des deux

autres, je le nomme l'imaginaire sacral ou numineux. La philosophie, la

phénoménologie et l'histoire des religions, comme la psychologie des

profondeurs jungienne, en constituent le fondement théorique. Elle part

de l'idée-clé, dégagée par Mircea Eliade à l'issue de son oeuvre

gigantesque en histoire comparative et en herméneute des religions, que le

sacré n'est pas un stade de l'évolution de la conscience, mais un élément

structurel de cette conscience. Rappelant un passage de son livre La

Nostalgie des Origines, M. Eliade écrit dans le premier tome de son

Histoire des croyances et des idées religieuses : “Il est difficile

d'imaginer comment l'esprit humain pourrait fonctionner sans la

conviction qu'il y a quelque chose d'irréductiblement réel dans le monde

; et il est impossible d'imaginer comment la conscience pourrait

apparaître sans conférer une signification aux impulsions et aux

expériences de l'homme.

La conscience d'un monde réel et significatif est intimement liée à

la découverte du sacré”35.

Pour Eliade, devenir un homme signifie être “religieux” (je dirais

plutôt “spirituel”). D'ordinaire le rapport au sacré se joue selon des

polarisations opposées : le dionysiaque et l'apollinien, le sacré et le

profane, le fascinans et le tremundum, le pur et l'impur, le gigantesque et

l'infime, la séparation et la totalité et s'exprime par la voie des

correspondances analogiques et la mise en place de rituels d'initiation et

de consécration. Les chercheurs en sciences humaines ont tenté de

comprendre le “sacré” selon trois grandes optiques : sociologique,

phénoménologique et herméneutique.

Les théories sociologiques et ethnologiques, tributaires de

Durkheim et de son école cherchent l'origine du sacré dans la société,

sans faire référence à une réalité transcendante et naturelle. Au départ,

dans la société primitive ou archaïque, l'élément fondateur est le “mana”,

une force sui generis immatérielle et impersonnelle, une sorte hypostase

du clan, produit de la conscience collective, de la violation des interdits

(pour Laura Lévi Makarius le tabou du sang36 ), de la violence collective

sur une victime émissaire (René Girard)37. Pour Durkheim la religion est

l'administration du sacré et le culte l'expérience sociale du salut. Le sacré

se manifeste comme une force et il faut nettement distinguer le sacré du

20

profane.

L'approche phénoménologique essaie de comprendre le

phénomène religieux dans le contexte existentiel de l'homme religieux.

Rudolph Otto parle du “tout autre” et du rapport entre le mysterium

tremundum (crainte et tremblement liés au mystère) et le mysterium

fascinans (attirance et fascination) vis à vis du sacré38. On découvre le

sanctum, la valeur fondamentalement numineuse, qui fait apparaître le

profane comme une non-valeur et le péché comme une anti-valeur.

L'esprit humain est intrinsèquement porteur d'une faculté d'éveil : le

sacré est une catégorie a priori de la psyché. L'homme devient ainsi

bénéficiaire d'une révélation intérieure ineffable et mystique du “tout

autre”. Interrogeant les formes multiples des hiérophanies à travers les

cultures, Mircea Eliade dégage les structures de la pensée, la logique

symbolique et l'univers mental de l'homo religiosus chez lequel le

numineux jaillit du tréfonds de l'âme comme une source originaire de

connaissance. Elle s'exprime par l'intermédiaire des mythes, des

archétypes, des symboles et des rites permettant à l'homo religiosus d'être

un lecteur du sacré dans sa vie quotidienne. L'herméneutique tente d'en

déchiffrer et d'en communiquer le message et la dimension axiologique

par l'étude de la dialectique des hiérophanies comme des expressions et

des manifestations du sacré.

Ces dernières décennies, les chercheurs se sont plus activement

penchés sur le langage et l'expression du sacré dans les textes religieux,

en comparant les écrits des grandes spiritualités.

Ma conception de l'imaginaire sacral se rattache aux conclusions

de Mircea Eliade, auxquelles il faudrait ajouter, psychologiquement, celles

de Carl Gustav Jung qui n'a cessé de montrer comment la non-

reconnaissance de la dimension intrinsèquement numineuse de la psyché

conduisait parfois à des psychopathologies évidentes chez certains

sujets39, ce que confirment les recherches des psychologues

transpersonnels (Roberto Assagioli, Stanislav Grof, Karlfried Graf

Dürckheim)40. Mais plus encore l’imaginaire sacral s’ouvre, à mon avis,

sur un rapport à la sagesse qui est au-delà de toute conceptialisation.

Pour le sage non-dualiste, transpersonnel et transculturel, “ce qui est”

demeure inchangé au coeur d'un mouvement incessant de formes

toujours nouvelles et aussitôt détruites, d'instant en instant. Le sage

réalisé échappe alors à l’imaginaire, en lui accordant une place relative à

21

l’existence phénoménale. Le sage est le philosophe réalisé. Il ne

recherche plus la sagesse, il est amour de la sagesse et sagesse de

l’amour, et plus exactement leur trait-d’union inéluctable. Le sage peut

ainsi voir l’imaginaire, le symbolique et le réel, et jouer avec pertinence

sans les nier avec ces instances, suivant les circonstances et les êtres

rencontrés. Il ne défend ni la dualité ni l’unité du réel, ni même la non-

dualité mais il connaît - pour être né avec soudainement - quelque chose

d’autre , une autreté innommable, qui les intégre et les dépasse. Le sage

sort de nos catégories de pensée. Il n’est pas un être “religieux” institué

mais un être “spirituel” instituant. Le sage achève un processus que je

nomme d’ “autorisation noétique”41. Libre comme la fauvette des

roseaux de René Char, il est par excellence, mais sans le vouloir, le

déviant et le dissident de toute structure sociale. L’éducation est toujours

une sagesse en devenir, une liberté en acte, sinon elle n’est qu’une

instruction savante qui ignore son carcan imaginaire.

22

2. 4. Un exemple : l’imaginaire du métissage. A partir du

livre “Les Marrons” de Louis Thimagène Houat au XIXe siècle, à

la Réunion.

La réédition d'un ouvrage introuvable par le Centre de Recherche

Indianocéanique en 1988, a permis au monde intellectuel de découvrir un

des pionniers des droits de l'homme à l’Île de la Réunion, appelée alors

Île Bourbon. Les Marrons , premier roman réunionnais d'un “libre de

couleurs” (noir non esclave) met en scène la lutte d'une minorité contre le

système esclavagiste, avec au centre de l'histoire, une famille réunissant

une jeune femme blanche, un Noir et leur enfant métis. L. T. Houat a

publié son roman à Paris, en 1844, après son exil de La Réunion à la

suite d'un procès inique en 1836, où il fut condamné avec plusieurs autres

co-inculpés. Plus tard, L. T. Houat devint médecin homéopathe et

contribua à la diffusion de cette médecine parallèle, extrêmement traquée

à cette époque par l'establishment scientifique traditionnel. En 1988,

l'arrière-petit fils de l'auteur des Marrons , René Houat, est venu, en

compagnie de sa fille, célébrer dans l’Île de son ancêtre, l'avènement de la

parution de l'ouvrage par le Centre de Recherche Indianocéanique.

A partir de ma propre existence, j'ai pu longuement méditer sur les

phénomènes imaginaires42 qui structurent l'histoire d'une vie liée au

métissage. C'est sous cet angle que je voudrais proposer une lecture du

livre de L. T. Houat.

L'Imaginaire social du métissage.

Le roman de L. T. Houat, Les Marrons , met en scène l'imaginaire

social43 de la société esclavagiste de son époque, dans le cadre de l’Île

Bourbon, devenue plus tard Île de la Réunion. Découverte dès le début du

XVIe siècle, cette île déserte fut déclarée possession française et

commença à être peuplée par des mutins de Madagascar, avant d'être

abandonnée. Ce n'est qu'en 1663, vraisemblablement, qu'eut lieu le

peuplement définitif par deux Français et dix Malgaches (dont 3

femmes). En 1664, on comptait 269 personnes dont seulement 10

familles complètement françaises (53 personnes).

Dès l'origine, le peuplement de l'île reste marquée par la pénurie de

femmes. Le développement de la culture du café institutionnalise

l'esclavage que le Code Noir réglemente de 1685 à 1848 ( mais seulement

à partir de 1723 aux Mascareignes). En 1727 la traite des esclaves noirs

devient officielle et nécessaire au commerce de la Compagnie des Indes.

23

Les esclaves viennent de l'Afrique occidentale, de l'Inde, de Madagascar,

de l'Afrique de l'Est. Les femmes sont recherchées et le prix d'une esclave

en âge de procréer vaut 5 à 6 chevaux comme le remarque Sylviane

Contrain dans son mémoire de licence en Sciences de l’Éducation sur

“le quotidien d'une femme esclave de 1845 à 1848”44. Le Code Noir

est marqué par l'idéologie religieuse de l'époque. Dès son article 1, il

proclame que tous les esclaves seront instruits dans la religion

catholique... et baptisés. Mais du même coup il perd son nom tribal pour

s'affubler du nom imposé par la société esclavagiste. Il est de toute façon

“propriété” du maître dans toute son ampleur et ses libertés réduites à

presque rien. Il semble être à la fois un être humain et une chose dans

l'imaginaire social de ce temps. Dépersonnalisé, unifié artificiellement

dans un groupe esclave, ségrégué par rapport aux Blancs, l'esclave est

soumis à la violence du maître (droit de mort, de vente, d'abus sexuels).

Les “Marrons”, ces esclaves qui fuient leur condition et se réfugient

dans les hauts de l'île, font l'objet d'une chasse à l'homme organisée avec

des chasseurs de primes comme le trop célèbre Mussard. Pour la société

coloniale le “marron” (“sauvage” en espagnol) est une bête dangereuse

et le marronnage très durement réprimé (fouet, marquage au fer rouge,

pied coupé). On lèvera même une armée pour lutter contre lui au XVIIIe

siècle. On trouve le marron occasionnel (le “renard”), celui qui est parti

loin du littoral et qui appartient à un groupe de fugitif (le “grand

marron”) et le “marron de profession” qui est né dans un camp de

marrons.

L'imaginaire social du métissage va se concrétiser par la

problématique de la rencontre humaine impossible et cependant

inéluctable. Rencontre impossible : Les Blancs de l'époque dénient aux

esclaves, quoique baptisés, une valeur humaine. Ceux qui luttent à leur

côté pour l'abolition de l'esclavage sont honnis et exilés. Ce fut le cas

justement de l'auteur des Marrons . Le métissage est une abomination (ce

qui n'empêche pas les maîtres d'être propriétaires de leurs esclaves de

sexe féminin).

Ainsi S. Contrain s'étonne de constater que dans les documents

judiciaires dépouillés pour sa recherche sur la période 1845-1848, il ne se

trouve aucune mention de termes comme métisse ou mulâtresse. Au

Brésil, par contre, on verra un des plus riches fermiers des impôts Joâo

Fernandes imposer les “folies” de sa maîtresse, la mulâtresse Chica da

Silva, à toute la société coloniale45. Dans ce pays, le métissage sera

24

important et représentera au début du XIXe siècle le cinquième de la

population. Les mulâtres seront reconnus comme particulièrement

adaptés à la vie brésilienne, même si avec Arthur de Gobineau et ses

théories racistes, le métis n’hériterait que du négatif des races qui

s'entrecroisent en lui46.

Les Marrons nous expose souvent ce déni de la rencontre avec

l'Autre. Ainsi de l'oppression de l'esclave surpris par la faim et cueillant

quelques épis de maïs : “si l'on ne nous tue pas, après nous avoir

exténués de coups, on nous tord les membres, on nous lie, on nous

sangle les deux pouces avec de la ficelle qu'on mouille, et l'on nous

suspend ainsi durant des heures et des heures à l'un des arbres de

l'habitation”, une série de tortures et de mutilations que les Nazis n'ont

guère inventées47.

C'est pourquoi la rencontre du métissage est toujours

bouleversante, parce qu'incroyable, en particulier pour le dominé. Le

Câpre fugitif se réfugie dans une grotte et découvre : “une jeune femme

blanche assise dans un coin et tenant dans ses bras un enfant mulâtre à

qui elle donnait le sein ! Interdit à cette apparition si étrange, il resta

immobile. Et doutant de la réalité... il n'osait ni avancer ni reculer, il

était comme pétrifié... ”. Il demandera au mari de Marie, le Noir Freme :

“Comment donc avez-vous fait pour être ici avec une Madame blanche

si jolie ? ” La contrainte sociale est en effet draconienne dans la société

coloniale. Il est quasiment impossible de trouver un prêtre pour consacrer

une union entre deux personnes de race différente, excepté pour Freme et

Marie : “chose assez rare dans les pays à esclaves, ils avaient pu

trouver, pour la bénir et la consacrer, un de ces dignes et vrais

ministres du Seigneur, lesquels, aux dépens de leur tranquillité, de leur

existence, prêchent l'union, la fraternité, la miséricorde”. Mais le couple

doit fuir la capitale et se réfugier à Saint-Paul, dans une petite habitation

perdue dans la nature. Jusqu'au jour où “les esprits s'en émurent, le

fléau des colonies, le terrible préjugé de couleur et de caste s'en fit un

aliment, un extra de colère, et l'ouragan commença. ” Après les

quolibets et les médisances les coloniaux vont passer à la violence

physique : “il faut tuer, criait-on, il faut brûler vifs ces deux monstres

sacrilèges ! - Et l'on tenta à plusieurs reprises de mettre le feu à la

maison”, sans que la police lève le petit doigt. La fuite demeure la seule

solution et le couple se réfugie “dans les bois48” avec tous les risques

possibles dans une telle situation.

25

La peur est le grand ferment de la société esclavagiste. Peur du

fuyard devant les chasseurs de prime et les petits blancs spécialisés dans

ce genre de basse besogne.

Peur de la jeune Marie devant le Câpre apparu soudainement dans

son refuge.

Peur du moindre bruit, du plus simple mouvement de vie. Peur

inhibante qui renforce toujours la domination et l'oppression et qui ne

permet pas de voir que là où se trouve l'oppresseur apparaît également le

révolté et ses alliés dans la classe de l'oppresseur lui-même. N'oublions

pas que les premiers déportés dans les camps de concentration nazis

furent des Allemands, communistes pour la plupart. Mais l'esprit de

révolte est toujours présent. Chez Marie, qui n'en croit pas ses yeux et ses

oreilles devant les monstruosités des gens de son rang. Chez Freme qui, à

la fin du roman, devient pratiquement chef d'une guérilla. Tout se passe

comme si un continuum onirique révolutionnaire, comme le pense René

Lourau dans l'Etat-inconscient49 existait sous la gangue des

conformismes et des aliénations, des compromis et des compromissions

quotidiens. Un flux souterrain qui refuse ce que d'aucuns croient avoir

résolu dans la paix sociale conforme à leurs privilèges et leurs intérêts de

groupes ou de classes. Le retournement social, politique et culturel des

pays de l'Est en 1989-1990 et plus encore en 1991 pour l’U. R. S. S.

n'est-il pas là pour nous en convaincre ? Ne faut-il pas voir également

dans le fait que René Houat, l'arrière petit fils de L. T. Houat, ait été un

des chefs de la Résistance du sud de la France contre l'Hitlérisme, une

preuve de cet esprit de révolte engagée qu'on trouvait déjà chez son

arrière-grand père et chez tous ceux qui pensaient comme lui ?

L'imaginaire pulsionnel du métissage.

Nous ne saurions évaluer le rapport amoureux de Freme et Marie

dans le roman Les Marrons sans le replacer dans un imaginaire

pulsionnel qui tient compte, en même temps, de l'imaginaire social de

l'époque.

Chacun sait que l'état amoureux est, avant tout, un état imaginaire.

On en connaît les joies sublimes mais également les ravages intérieurs.

L'état amoureux, par son intensité, reste presque toujours un des derniers

fiefs du sentiment de “vivre sa vie” dans une époque où celle-ci part en

lambeaux. Avec l'arsenal conceptuel de la psychanalyse, d'aucuns disent

faire la part des choses, croyant savoir... Il est vrai que certains analystes

26

proposent des interprétations intéressantes, bien qu'ils restent presque

tous dans une affirmation solennelle que “la passion représente ce qu'il

y a de plus pathologique chez l'être humain normal"50.

André Breton opposait à tout impérialisme interprétatif dans ce

domaine l'idée d'un indépassable et “infracassable noyau de nuit”. Pour

Freud, l'état amoureux demeure “une réédition de faits anciens, une

répétition de réactions infantiles, que c'est là le propre même de tout

amour et qu'il n'en existe pas qui n'ait son prototype dans l'enfance”51.

Christian David définit l'état amoureux comme “une constellation

dynamique de désirs, de sensations, de fantasmes et d'affects, conscients

et inconscients, qui modifie pour un temps l'ensemble de l'organisation

personnelle et qui se traduit par une disposition irrésistible à constituer

l'objet élu en tant que source et centre de toute satisfaction, de tout

bonheur, mobilisant l'essentiel des ressources énergétiques “52. Mais

C. David, comme Piera Aulagnier, reconnaissent qu'il existe un état

amoureux non morbide, dégagé de l'illusion érotomaniaque, de

l'aliénation perverse, du refoulement et de l'évitement névrotiques, de

l'embrasement psychosomatique ou d'une dissociation, d'une régression

déstructurante. Il y voit alors une activité psychique intense qui réalise

une synthèse originale permettant l'expression de l'aspiration sexuelle

totale. Pour Piera Aulagnier, la relation amoureuse véritable s'effectue

dans la symétrie et dans l'interdépendance présentes entre les deux Je de

l'amant et de l'amante : “Ce que j'attends, ce que je demande et ce que je

suis dans la nécessité de recevoir de la part du Je de l'autre est aussi ce

que le Je de l'autre est à son tour dans l'obligation de me demander et

d'espérer de mon Je en tant qu'existant et désirant autonome”53.

Une telle attitude suppose la possibilité chez l'un et chez l'autre

d'entrer en conflit avec la pensée et le désir de l'autre sans avoir pour cela

à craindre la mort d'une des deux pensées. Si la relation amoureuse est

asymétrique pour Piera Aulagnier, tout état de passion n'est pas un “état

amoureux pathologique. Il existe des relations passionnelles partagées

ou réciproques”. Sans doute peut-on penser, avec Max Pagès, que le

travail amoureux54 doit être conçu comme une activité, à la fois

émotionnelle et intellectuelle, consistant à assumer l'investissement dans

un objet d'amour et, corrélativement, la nécessité de pouvoir le perdre. Pas

de passion amoureuse dans le couple métissé sans intensité érotique liée

à l'imaginaire de l'étrangeté de l'autre.

Roger Bastide souligne que le Blanc d'Amérique latine délaissant

27

sa femme blanche lui préférait les mulâtresses “couleur de cannelles”,

voire des Noires, qui l'initiaient à l'amour physique à peine sorti de

l'enfance. Mais cette valorisation sexuelle de la femme de couleur par

rapport à l'homme noir, n'excluait pas, pour autant, une double idéologie :

l'une masculine liée au système social colonial de la grande plantation, de

la suprématie de l'homme qui se réserve la domination. L'autre politique

en Amérique latine, ne voit d'autres moyens d'intégrer les autres de

couleur, que dans leur disparition, l'assimilation au “sang des blancs”55.

L. T. Houat est évasif à l'égard de cet imaginaire pulsionnel : que nous

dit-il à propos du couple de Freme et Marie ? “Soumis à l'influence

invincible de ce pouvoir attractif, emportés l'un vers l'autre par une

sympathie mutuelle, ardente, entraînés donc à s'unir, Freme et Marie

avaient voulu que leur union fût aussi sainte aux yeux de l'humanité

qu'aux yeux du Créateur”. Nulle description d'ébats amoureux entre les

amants. Simple évocation d'un “pouvoir attractif” vite mise en rapport

avec une idéalisation religieuse. Faut-il rappeler que presqu'à la même

époque le marquis de Sade (1740-1814), fit paraître (anonymement)

Justine ou les Malheurs de la vertu (1791) roman d'une grande

autorisation érotique.

Dans Les Marrons il s'agit beaucoup plus d'une exaltation de la

tendresse amoureuse en relation avec l'amour d'enfance des deux jeunes

gens56. Freme se souvient sans cesse “des caresses des enfants et

surtout celles de la petite fille, dont la charmante figure, la gracieuse

image ne l'avait pas quitté.... ” Enfant, il était aux petits soins pour elle.

Plus tard il conservera ce type d'amour, qui semble plus fraternel que

passionnel. Nous sommes loin de la violence d’Éros et nous nous

rapprochons d'Agâpè, l'amour désérotisé et mystique.

Ne faut-il pas voir dans cette expression imaginaire de l'amour

humain par l'auteur, une sublimation douteuse à interroger ? Il me semble

que l'auteur opère de la même façon que Gandhi quant à sa

représentation de la sexualité. Gandhi perçoit sa jeune mère (son père

était nettement plus âgé), comme une innocente victime de l'obsession

sexuelle de son père. Il préconise l'abstinence sexuelle qui lui permet

inconsciemment d'entretenir une relation idéalisée avec le corps maternel.

Son système de défense lui fait penser que la femme est très peu un être

sexué : “je ne crois pas que la femme soit dans les mêmes proportions

que l'homme la proie du désir sexuel. Il lui est plus facile de se

maîtriser” dit-il alors qu'il assimile le désir masculin à une certaine

28

rudesse57.

Il nous est difficile de répondre car le roman familial de L. T.

Houat ne nous est pas suffisamment connu. Ce qui m'apparaît plus

évident chez L. T. Houat, c'est la prudence relative des propos, quant aux

rapports amoureux d'un couple métissé, qui tiennent compte de la société

esclavagiste de son époque. L'auteur cherche à éliminer les faits trop

voyants et inacceptables. Freme était le fils d'un “chef de guerrier”. Il

avait ainsi imaginairement un statut supérieur au simple roturier esclave.

Il s'était instruit tout seul en écoutant “sans en avoir l'air les leçons de

l'instituteur” des enfants blancs. Il était donc très intelligent. “Quoique

nègre” il est né noble par l'âme. Il a sauvé Marie au risque de sa vie.

D'ailleurs la jeune fille a tout perdu dans l'incendie de sa maison. Elle est

devenue pauvre et orpheline. Son amour de femme blanche est ainsi plus

acceptable d'autant qu'il “avait su mériter sa main, quelque blanche et

honorable qu'elle fût”.

Femme mariée, elle constitue avec Freme un couple modèle. Elle

reste à la maison, fait le ménage et prépare les repas. Il va travailler pour

nourrir sa famille. Ils ne demandent rien à personne et ne n'entrent dans

aucune provocation. Évidemment le mariage s'est fait à l'église. On

connaît le pouvoir de la religion catholique dans les sociétés coloniales.

Celle-ci est bien ménagée par l'auteur des "Marrons". On ne sent aucune

véritable réflexion politique sur le rôle de l’Église dans la situation

coloniale. Il paraît évident que "sous l'enveloppe ébènée de sa personne"

Freme n'a pas l'âme noire !

L'imaginaire sacral du métissage.

On peut évidemment s'attendre à ce que cet imaginaire s'inscrive

dans le cadre d'une pensée religieuse judéo-chrétienne dans le roman

"Les Marrons". On ne s'étonnera pas également de la voir teintée de

rousseauisme. Ainsi la “nature” est représentée comme essentiellement

bonne, malgré ses dangers toujours possibles. La nature est un lieu de

refuge et de ressourcement. Un lieu de calme et de beauté à l'encontre de

la violence de la ville raciste. En cas de danger il faut “fuir dans les

bois”58.

L'état amoureux est totalement circonscrit à cette vision d'une

mystique religieuse. Le sentiment de solitude est exacerbée chez Marie

lorsque la figure divinisée de Freme n'est plus là. L'écart obligé ravive

sans cesse l'union mystique : ainsi lorsque Freme ne peut s'empêcher

29

“de rêver au bonheur perdu, de regarder toujours avec un oeil humide

la maison du directeur, dont l'entrée lui était interdite ; mais c'était son

temple, un ange, son adoration était là!”. Nulle sacralisation de l'amour

sans fascination mystérieuse et sans crainte du “tout-Autre”. Cette jeune

femme que Freme “n'eût osé qu'en tremblant se présenter devant elle! -

On aurait dit un fou religieux échappé de l'hospice, et poursuivant, au

milieu de la savane et de la nuit, son idée fixe, sa monomanie pieuse. ”

Objet tabou par excellence, la transgression de l'interdiction de

toucher, voire de regarder la femme blanche suscite l'extase mystique :

“Et dans quelle attitude, avec quel respect il était là, lui, Freme, le jeune

nègre, auprès de cette blanche vierge! A genoux, et penché vers elle,

immobile et n'osant prendre haleine, il épiait son moindre mouvement,

son moindre souffle. Il était comme une noire statue agenouillée, la

regardant, l'admirant, l'invoquant avec une expression de joie, de

tendresse, d'inquiétude ineffable!”. ”On l'eût tué, qu'il n'eût bougé de

place”.

Mais un roman mystique ne peut être qu'un roman tragique. Toute

la trame de l'histoire est fondée sur cette exigence. Ainsi la rencontre

amoureuse réelle de Freme avec Marie ne pourra s'effectuer que par la

chute sociale de la jeune fille lors de l'incendie de sa demeure et la mort

de son père. Ainsi l'objet d'amour - si lointain auparavant - se rapproche

de Freme, à la condition sociale plus modeste. Les grands sentiments

religieux peuvent se développer : l'altruisme, le sacrifice, le don de soi.

Toutefois rien n'est jamais acquis. Tout reste éphémère sur cette terre. La

condition humaine est d'un impossible repos. Bientôt il faut quitter la

capitale de l'île et se réfugier à la campagne. Demeure incertaine et fragile.

Il faudra de nouveau fuir dans les bois et trouver une caverne dans la

montagne comme lieu d'asile non sans avoir rencontrer l'archétype

jungien du “vieux sage” en la personne du “vieux nègre”59, lui-même

marron, qui les initiera à la vie rude de la nature sauvage. Mais, par la

description du rêve, l'auteur nous permet de pénétrer au plus fort de

l'imaginaire sacral du roman. Le rêve du Câpre, culpabilisé par la mort

probable de Freme tombé dans une embuscade, nous ouvre le royaume

de la mystique religieuse du métissage. Une double figure mythique se

dévoile dans ce rêve : celle de Freme comme Christ crucifié et celle de

Marie, qui, comme son nom l'indique, représente la Vierge à l'enfant.

Freme (qui est charpentier de profession) est transfiguré dans le rêve du

Câpre comme le Christ crucifié dont les blessures béantes répandent un

30

sang inextinguible.

Il s'agit d'une vision proprement mystique dans laquelle le sang est

bien saisi dans son caractère sacral, tel qu'il apparaît dans de très

nombreuses traditions décrites par l'Histoire des religions. La figure

archétypale de Freme va s'évanouir dans la lumière au coeur de cette

vision mystique : “Freme avait disparu comme un arc-en-ciel. Mais à

l'endroit même où il s'était montré, sortit une femme blanche, belle,

magnifique, avec les traits de Marie, avec un enfant à la mamelle. Et

cette femme éleva l'enfant au dessus de sa tête, ainsi que le prêtre le fait

de l'hostie, et incontinent, tous ceux qui se débattaient dans le lac de

sang prirent la couleur de l'enfant, laquelle était un mélange de noir, de

blanc, de jaune et de rouge, à peu près semblable à celle de certains

orientaux ou mulâtres”60. Vision d'une parousie finale, d'une

eschatologie humaine aboutissant à un métissage généralisé de la société

planétaire sous l'égide d'un amour universel. Comme de tout rêve, il

faudra bien se réveiller et se confronter à la réalité. L'auteur ne pourra pas

toutefois nous laisser désemparés face à cette prodigieuse projection

imaginaire. Freme réapparaîtra, ressuscité en quelque sorte, comme par

miracle, pour diriger la lutte des siens contre l'esclavage.

On est frappé dans ces quelques pages de descriptions oniriques

par la force prégnante de l'inconscient collectif portant sur l'archétype du

sang. Offrir du sang aux dieux, c'est leur rendre grâce et assurer la survie

du groupe social depuis l'Antiquité. Dans le symbolisme du

christianisme, Jésus, l'Agneau de Dieu, donne son sang en expiation des

péchés et de victime, il devient sauveur. Le pouvoir symbolique du sang

apparaît dès la Préhistoire sous la forme de l'animal blessé qui, d'après G.

Bataille, permet à l'homme de Niaux de résoudre la question lancinante de

la mort. On retrouvera le mot “sang” en Mésopotamie, au IIe millénaire

avant notre ère, sous la forme d'un signe cunéiforme en vue d'un art

divinatoire.

Le mot sang depuis les origines n'apparaît jamais d'une façon

isolé. Il est toujours connoté par des significations autres : la vie, la mort,

les dieux, les présages. Dans la Bible l'alliance entre l' “Éternel” et le

peuple élu est fondée sur la sang d'un agneau immolé qui marque les

maisons des Hébreux et épargne leurs enfants quand l’Éternel frappe

tous les premiers-nés d’Égypte. Le sang de la mythologie grecque est

celui des héros et il est interdit dans la cité grecque classique de verser le

sang car l'ordre social s'en trouverait menacé. À Rome le sang des

31

étrangers est capable d'apaiser l'âme des morts.

Dans l'ancien Mexique, les dieux aztèques réclamaient le sang

humain lors de sacrifices ritualisés. L'Aztèque lui-même n'est rien, il

n'existe que par son intégration à un ensemble dominé par le Soleil, dont

son coeur, son sang restent totalement dépendants. Né de la Terre, le

Soleil a anéanti les ténèbres et effacé les étoiles ; pour commencer sa

course, il lui a fallu du sang. Les dieux se sont sacrifiés : c'est de leur

mort qu'il a tiré sa vie. Il lui faut toujours du sang humain pour pouvoir

continuer sa route naturellement61.

Les poètes ont toujours été fascinés par le sang et son énergie

symbolique. James Sacré a pu en faire une analyse structurale dans la

poésie lyrique française de la fin du seizième siècle. Il apparaît en clair

que le mot sang n'est pas lié simplement à l'histoire des hécatombes

religieuses de l'époque et alimente les recueils amoureux d'un Agrippa

d'Aubigné62.

Mais l'ouvrage magistral de Jean-Paul Roux sur les mythes du

sang nous éclaire d'une manière exhaustive sur la force de ce symbole

archétypal dans l'histoire de l'humanité. Jean-Paul Roux rappelle

d'ailleurs (pp. 349 sq.) que le mot est indissociable de la tragédie

française63.

Il nous suffira pour finir de noter ce renversement mythique entre

“goutte de sang” et “goutte de lait”. Dans la tradition mythique du

sang, la “goutte de sang” qui jaillit d'un vivant, suffit à le plonger dans le

sommeil ou l'enferme dans un univers clos qui ressemble étrangement à

celui des royaumes infernaux : C'est le risque encouru par Aphrodite.

C'est la condamnation de la Walkyrie Brunehilde par Wotan qui la pique

de son épée magique et l'enferme dans un château entouré de flammes

jusqu'à sa délivrance par le héros Siegfried. Dans cette tradition, la goutte

de sang est annonciatrice de sommeil et de mort.

Dans le roman Les Marrons la goutte de lait, échappée du sein de

Marie transfigurée, métamorphose le bain de sang dans lequel se noie

l'humanité. Elle annonce la grande réconciliation finale, la fraternité

universelle sous l'empire de l'amour et de l'égalité entre les peuples : c'est

l'éveil spirituel du monde ; Et cette goutte de lait tomba et s'étendit sur

tout le lac de sang, qui aussitôt changea de consistance, de teinte et de

forme ; il devint un sol couvert d'arbres et d'animaux, un pays

accidenté, riche et fertile, pays où il n'y avait plus aucune différence de

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couleur ni de conditions parmi les habitants, où tous étaient libres ; où,

loin de chercher à se faire la guerre, à s'esclaver, à s'entre-détruire, ils

paraissaient au contraire heureux de se rencontrer ; heureux de se voir

égaux, de s'aimer, de s'unir et de s’entraider"64.

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NOTES

1 Gilles Deleuze, à quoi reconnaît-on le structuralisme ? La Philosophie au XX° siècle,s/dir. de François Chatelet, Ch. VII du Vol. IV., Belgique, Marabout, 19792 Gilles Deleuze, ibidem, p. 2973 Gilles Deleuze, op. cit., p. 2994 Gilles Deleuze, op. cit., p. 3005 Gilles Deleuze, op. cit. p. 3036 Gilles Deleuze, op. cit., p. 3077 Henri Lefebvre, L’idéologie structuralisme, Paris, Seuil, coll. Points, 19758 Dany-Robert Dufour, Les mystères de la trinité, Paris, Gallimard, 1991.9 Dany-Robert Dufour, ibidem, p. 37 sq. Voir aussi de Dany-Robert Dufour Le Bégaiementdes Maîtres, Paris, François Bourin, 198710 Dany-Robert Dufour, 1991, op. cit., p. 3411 René Barbier, De l’imaginaire, Pratiques de Formation/Analyses, Université Paris 8,Formation Permanente, n° 8, 198412 Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 195813 Cornelius Castoriadis, l’ institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 197514 Jacques Ardoino, les jeux de l’imaginaire et le travail de l’éducation, Pratiques deFormation/Analyses, imaginaire et éducation, T.1., n° 8, décembre 1984, 11-31, p. 12,Université de Paris VIII, Formation Permanente.15 Mikel Dufrenne, Esthétique et philosophie, Paris, Klincksieck, 1967, 212 p. , p. 6916 Max Schur, la mort dans la vie de Freud, Paris, Gallimard, 1982 (1975), 688 p.17 Maud Mannoni, le nommable et l’innommable, les derniers mots de la vie , Paris,Denoël, l'espace analytique, 1991, 177 p.18 Voir la ré-interprétation du célèbre cas d’Anna O, par Michel Lobrot Les forcesprofondes du moi, Paris, Économica, 1983.19 Michel Lobrot, L'anti-Freud, Paris, PUF, 1996.20 Jacques Van Rillaer, les illusions de la psychanalyse, Belgique, P. Mardaga, 1980, 415p. , pp. 288-296.21 Abraham Maslow, Vers une psychologie de l’être, Paris, Fayard, 1974.22 Élisabeth Badinter, L’amour en plus, histoire de l’amour maternel, XVII°-XX° siècle,Paris, Flammarion, 1980, 373 p.23 René Zazzo et al., l’attachement, Paris, Delachaux et Niestlé, coll. Zeithos, 1974 etplus récemment la mise au point de Hubert Montagner, l’attachement, les débuts de latendresse, Paris, Odile Jacob, 1988, 335 p.24 Georges Bataille, La part maudite , Paris, Point/ éditions de Minuit, 1967.25 “l’homme est l’être qui, après le coït, rit” écrit Michel Serres dans “Le tiers instruit”(1991)26 Erich Fromm, La passion de détruire, anatomie de la destructivité humaine, Paris, R.Laffont, 1975.27 Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris, les éditions de minuit, 1980 ; Ladistinction, critique sociale du jugement, Paris, les éditions de minuit, 1979.28 Eugène Enriquez, Imaginaire social, refoulement et répression dans les organisations,Connexions , Paris, Épi, N¯3, 1972 ; De la horde à l’État, essai de psychanalyse dulien social, Paris, Gallimard, 1983.29 René Barbier, La recherche-action dans l’institution éducative, Paris, Gauthier-Villars,1977, 220 p.30 Cornelius Castoriadis, L’ institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p. 49331 Cornelius Castoriadis, ibidem, p. 397.

34

32 Cornelius Castoriadis, la logique des magmas et la question de l’autonomie, in l’auto-organisation, de la physique au politique, sous la dir. de Paul Dumouchel et Jean-PierreDupuy, Colloque de Cerisy, Paris, Seuil, 1983, p. 42833 Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 435.34 Cornelius Castoriadis, ibidem , p. 442.35 Mircea Eliade, Histoire des croyance et des idées religieuses, Paris, T.1., 1976, 485p., p. 7.36 Laura Lévi Makarius, Le sacré et la violation des interdits, Paris, 1974, cité par JulienRies, les chemins du sacré dans l’histoire, Paris, Aubier Montaigne, 1985, 277 p., pp. 21-23.37 René Girard, Le bouc émissaire, Paris, Grasset, livre de poche, 1982, 315 p.38 Rudolf Otto, le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avecle rationnel, Paris, Payot, (pbp), 1969 (traduit de la 18° éd. allemande), 238 p.39 Carl Gustav Jung, La vie symbolique. Psychologie et vie religieuse, Paris, A. Michel,1989, 285 p. On a voulu opposé Freud et Jung, pendant longtemps, d’une façon absolue.Aujourd’hui il semble que certains assouplissent cette dichotomie (cf. Jean-Louis Bouttes,Jung : la puissance de l’illusion , Paris, Seuil, 1990).40 Roberto Assagioli, Psychosynthèse : principes et techniques, Paris, Épi, 1983.Stanislav Grof, les nouvelles dimensions de la conscience, Monaco, éditions du Rocher,1989, 270 p. . Karlfried Graf Dürckheim, Pratique de l’expérience spirituelle, Monaco,éditions du Rocher, 1985, 260 p. 41René Barbier, L’autorisation noétique (la notion de sujet dans laphilosophie de l’éducation de Jiddu Krishnamurti), Communication auColloque de l’Association Francophone Internationale de RechercheScientifique en Éducation (AFIRSE), le sujet en éducation, Angers, mai 1995,(Actes publiés).42 René Barbier, De l'imaginaire, Pratiques de formation/Analyses, Université de ParisVIII, Formation Permanente, Imaginaire et éducation, T.1, jeux et enjeux, n° 8, Décembre1984, pp. 32-4243 Cornelius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 197544 Sylviane Contrain, Le quotidien d’une femme esclave, Mémoire pour la licence desciences de l'éducation, Université de Paris VIII/Cafoc de la Réunion, Juillet 1989, 90 p.45 M. Carelli, Brésil, épopée métisse., Paris, Gallimard/Découvertes, 1987, 129 p., cf p.6246 La vérité scientifique tend, au contraire, et n’en déplaise aux racistes convaincus, àprouver une force de résistance vitale plus grande chez les “métis” que chez les non-métis.47 Louis Thimagène Houat, Les Marrons, op. cit., p. 10 et p. 60, p. 138, p. 14848 L.T. Houat, op. cit., pp. 55, 64, 86, 90, 91, 91, 9249 René Lourau, l’Etat-inconscient, Paris, les éditions de Minuit, 1981, 214 p. :"Il nefaudrait pas confondre le résultat de la lutte entre l'instituant et l'institué, résultatpresque toujours (à moyen ou long terme) favorable à l'institué, avec le contenu de la lutteelle-même, et ce qu'elle change durant la période courte ou très courte où les enjeuxsociaux sont les plus élevés...Tout se passe comme si les rêves du sommeil et tout le restede l'imaginaire étaient considérés comme de simples déchirures dans le tissu de la vieconsciente, comme si cette dernière confisquait toute la catégorie de la continuité, alorsqu'on peut aussi postuler qu'il existe un continuum onirique, que la continuité ou plutôt lesdiscontinuités de l'activité éveillée parviennent à peine à repousser à l'arrière-planpendant la journée. Le postulat d'un continuum onirique n'est pas plus délirant que lepostulat d'un continuum du mouvement social - révolutionnaire pendant de brèvespériodes - qui dérange les formes établies, les dissout lentement ou soudainement, endirection de formes de plus en plus fluides." (p;84)50 Coll., Le désir et la perversion, Paris, le Seuil, 1967.

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51 Sigmund Freud, De la technique psychanalytique, Paris, PUF, 1953, pp. 126-127.52 Christian David, L'état amoureux, Paris, Payot, 1971, p. 38.53 Piera Aulagnier, Les destins du plaisir, Paris, PUF, 1981, p. 134.54 Max Pagès, Le travail amoureux, éloge de l'incertitude, Paris, Dunod, 1977.55Roger Bastide, la femme de couleur en Amérique latine, L'Homme et la Société, Paris,Anthropos, n° 31-32, janvier-juin 1974, pp. 50-71.56 L.T. Houat, op. cit., pp. 86, 72.57 Sudhir Kakar, psychanalyste indien, cité par Catherine Clément, Gandhi, athlète de laliberté, Paris, Gallimard/Découvertes, 1989, pp. 160-161.58 L.T. Houat, op. cit., pp. 66,70, 84, 85, 91.59 L.T. Houat, op. cit., pp. 74, 75, 81, 82, 95 sq.60 L.T. Houat, op. cit., pp. 133-134.61 Jean Louis Binet, Le sang et les hommes, Paris, Découvertes/Gallimard, 1988.62 James Sacré, Un sang maniériste. Étude structurale du mot sang dans la poésie lyriquefrançaise de la fin du seizième siècle, Suisse, A la Baconnière/Payot, 1977.63 Jean-Paul Roux, Le sang, mythes, symboles et réalités, Paris, Fayard, 1988, On pourranotamment se reporter au chapitre VIII, intitulé “les dieux qui saignent” et au chapitre IX“le sang du Christ” pour relire le passage précité de ce roman tragique “Les Marrrons”.64 L.T. Houat, op. cit., pp. 134-135.