Prix unique du livre - Mémoire de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue...

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Réglementer le prix de vente des nouveautés : pour consolider la place de la lecture et du livre dans la société québécoise et éviter le développement d’un oligopole étranger Commission parlementaire – 17 septembre 2013 CCE – 031M C.P. – Livres neufs imprimés et numériques

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Intervention de l'Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française à la commission parlementaire sur le prix unique du livre (Québec). Mis en ligne par la Fondation littéraire Fleur de Lys : http://fondationlitterairefleurdelysaccueil.wordpress.com/ Voir notre DOSSIER SUR LE PRIX UNIQUE DU LIVRE : http://fondationlitterairefleurdelys.wordpress.com/2013/07/06/dossier-prix-unique-du-livre/

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  • 1.Rglementer le prix de vente des nouveauts: pourconsolider la place de la lecture et du livre dans la socit qubcoise et viterle dveloppement dun oligopole tranger Commission parlementaire 17 septembre 2013 CCE 031M C.P. Livres neufs imprims et numriques

2. Sommaire Prambule . ........................................................................... 3 Rsum de la prsentation . ............................................................. 4 Introduction Rglementer le prix de vente des nouveauts . ................................ 8 1. Lessoufflement des librairies qubcoises............................................. 11 2. Les effets dvastateurs du modle anglo-amricain bas sur les guerres de prix ............ 14 3. Les guerres de prix ne sont pas bnfiques pour les consommateurs ...................... 17 4. Une solution qui fait lobjet dun large consensus au sein du domaine du livre qubcois . ..... 20 Conclusion Prserver lavenir culturel des Qubcois . .................................... 23 Annexes . ............................................................................ 24 Annexe 1 Prix rglement du livre au Qubec Foire aux questions...................... 25 Annexe 2 Appuis des crivains et personnalits ........................................ 29 Annexe 3 Considrations lgales Lettre de Me Charlaine Bouchard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Annexe 4 volution du march britannique depuis la fin du prix unique Francis Fischwick . .... 33 Annexe 5 Les chiffres de Fishwick sont les bons ....................................... 45 Annexe 6 En caricature ............................................................. 47 Annexe 7 Clientle en grande surface . ................................................ 48 Annexe 8 Rapport Gaymard......................................................... 49 Note: Les divergences dans les donnes de ce mmoire sont attribuables aux diffrentes sources consultes. 3. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 3 Prambule Il est reconnu internationalement que les livres et les autres biens culturels, ne sont pas des biens de consommation comme les autres, et ne peuvent de ce fait, tre soumis totalement aux lois habituelles du commerce de loffre et la demande. Dailleurs, la plupart des pays de lOCDE accordent aux livres un statut distinct, que ce soit fiscale- ment par une exonration ou par un taux rduit de la taxe de vente, par des aides financires ou encore par diverses rglementations. Ces politiques ont pour but de favoriser lexistence et les- sor de la diversit culturelle et de prvenir ainsi la domina- tion des cultures locales par une seule culture dominante mondiale. Ce statut particulier est reconnu par lONU et, dans les ngociations passes ou actuelles de traits de libre- change (Canada Europe ou Europe tats-Unis), les partenaires acceptent dexclure les questions culturelles des discussions. Voici bien une illustration du bien-fond des mesures dexemptions requises pour le maintien de ces sec- teurs dactivit essentiels pour lpanouissement des socits. Cest dans cette perspective que sinscrit la dmarche actuelle dun projet de rglementation du prix de vente des nouveauts afin de prserver le fragile cosystme du livre dans un pays o la dfense de la langue franaise et de notre culture doit tre un souci de tous les instants. 4. 4 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 LAssociation des distributeurs exclusifs de livres en langue franaise (ADELF) demande au gouvernement du Qubec de rglementer le prix de vente des nouveauts afin dviter leffritement du rseau de revente actuel, un rseau diver- sifi et dcentralis, compos surtout de librairies qui favo- risent la diversit ditoriale, et son remplacement graduel par un oligopole de trois ou quatre entreprises multina- tionales. Ce rseau est essentiel lcosystme du livre et indispensable aux Qubcois. La bibliodiversit ne serait en effet quun vu pieux en labsence de ces dtaillants qui proposent, longueur danne, un vaste ventail de livres en franais. Le modle demand pour cette rglementation limite- rait 10% les rabais pouvant tre offerts au cours des 9 mois suivant la publication dun livre. Elle sappliquerait donc uniquement sur les nouveauts (9 premiers mois), et il ne sagirait pas dun prix unique du livre, mais plutt dun prix plancher, il y aurait toujours une possibilit de rabais (maximum de 10%) sur la vente des nouveauts. Toutefois, les rabais continueraient tre autoriss pour tous les autres livres. Lapproche qubcoise, labore depuis 1981, a t un succs pour le dveloppement de la lecture et du livre. Le domaine du livre emploie aujourdhui plus de 11000 personnes au Qubec et gnrait en 2012 un chiffre daf- faires annuel de prs de 700 M $, ce qui en fait la plus grande industrie culturelle qubcoise. Plus de 5000 titres sont publis chaque anne au Qubec. Les livres qubcois (littratures gnrale et scolaire) reprsentent environ 52% des ventes. lorigine de cette vitalit, il y a bien sr les crivainsqu- bcois et tous les artisans du domaine du livre, passionns parle pouvoir des mots. Cette effervescence naurait pu sex- primer avec autant de force sans lingniosit du lgislateur qubcois qui promulgua, en 1981, une loi structurante: LaLoi sur le dveloppement des entreprises qubcoises dans le domaine du livre (L.R.Q., c D-8.1, communment dsigne dans le milieu du livre comme la Loi 51). Lintelligence de la Loi 51 a t de miser dabord sur le dveloppement du rseau des librairies, puisque cela per- mettrait de soutenir tout le domaine du livre. Pour les crivains et les diteurs qubcois, cette loi a reprsent un tournant historique en permettant de soutenir un march pour tous les genres de livres ainsi que le dveloppement de la littrature nationale. Pour les lecteurs, la mise en uvre de la Loi a eu pour rsultat de dmocratiser laccs au livre dans toutes les rgions. Des librairies agres ont ainsi vu le jour un peu partout au Qubec. Ces commerces de proximit jouent un rle essentiel dans la diffusion du livre et la promotion de la lecture dans leur milieu respectif. Ce sont aussi des acteurs conomiques locaux non ngligeables, souvent proprit dentrepreneurs qui crent des emplois et contribuent la vitalit conomique de lendroit. Les objectifs de la Loi 51, entre autres de soutenir lindus- trie nationale et de favoriser laccs aux livres, sont encore tout fait dactualit, mais les mutations dans le commerce du livre les rendent de plus en plus difficiles atteindre. Quatre constats Constat 1: Lessoufflement des librairies qubcoises La situation de la concurrence dans le secteur de la vente au dtail du livre a normment volu depuis ladoption de la Loi 51. Plusieurs entreprises inexistantes au moment de ladoption de la Loi sont devenues des acteurs importants du commerce du livre. Lentre sur le march des magasins grande surface et les sites Web transactionnels proprit trangre reprsentent les deux plus grandes formes de mutation dans la commercialisation du livre imprim. Les pratiques commerciales de ces entreprises, axes sur les guerres de prix, menacent laccs la diversit dito- riale et le maintien dune saine concurrence. Les guerres de prix vont sintensifier court terme, avec larrive de nouveaux acteurs comme Target et la mise en uvre au Qubec dambitieux plans de dveloppement de certaines entreprises comme Amazon. Rsum 5. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 5 Ces mutations se produisent au moment mme o par ailleurs se dessinent le dploiement du livre numrique et lincertitude quil entrane, et quune gnration entire de libraires sapprte prendre sa retraite. La situation de la librairie indpendante qubcoise est particulirement difficile. On estime quenviron 20 librai- ries ont ferm leurs portes depuis 2010. Ce phnomne semble stre acclr puisque depuis lautomne 2012: 9 librairies ont fait faillite, interrompu leurs activits ou chang de vocation. Les observateurs aviss affirment que ce nest quun dbut. Les donnes du gouvernement du Qubec indiquent que le repli des indpendants profite surtout, dans un premier temps, aux chanes qui gagnent en puissance. Mais pour combien de temps encore? Si on regarde ce qui se passe ailleurs, chez nos voisins canadiens et amricains, on constate que les chanes vont trs mal: faillites specta culaires, restructurations, abandon graduel du secteur du livre au profit dautres produits, etc. On dit souvent que ce qui se passe aux tats-Unis et au Canada anglais finit invi- tablement par toucher le Qubec quelques annes plus tard. Il restera toujours bien sr des commerces pour vendre les ouvrages de Mary Higgins Clark, Dan Brown, James Patterson ou dautres best-sellers mondiaux. Le vritable enjeu est celui de laccs et du dveloppement de la diver- sit ditoriale. Ce sont les libraires qui font connatre au public daujourdhui les successeurs des Michel Tremblay, Marie Laberge, Dany Laferrire, Eric-Emmanuel Schmitt et dautres grands talents qubcois et trangers. Constat 2: Les effets dvastateurs du modle anglo-amricain bas sur les guerres de prix Les mutations du commerce au dtail du livre sont le lot de tous les pays du monde. Le dveloppement des maga- sins grande surface et des sites Web ont dabord touch les tats-Unis et le monde anglo-saxon avant de stendre ailleurs, port par des bannires internationales. Aux tats-Unis, les guerres de prix sur les best-sellers sont devenues pratiques courantes et se sont droules en diff- rentes phases, impliquant dabord les chanes de librairies et les magasins grande surface, puis les gants du com- merce lectronique. Les indpendants ont t les premires victimes. Mais mesure que les guerres se sont intensifies, des entreprises trs solides se sont effondres leur tour. En 2011, lindustrie amricaine du livre a assist la faillite de Borders, deuxime chane en importance (399 librai- ries, 10700 emplois). Fait plus troublant encore, sa grande rivale Barnes & Noble continue de cumuler chaque tri- mestre des dficits. Lobjectif de ces guerres de prix est de tuer la concurrence pour accaparer des parts de march ou pour valoriser une image de marque auprs des consommateurs. Dans ce contexte, vendre sous le prix cotant est une pratique cou- rante. En jargon commercial, il sagit dune stratgie de type loss leader (produit dappel ou dattraction). Le com- merce amricain du livre sorganise dsormais autour de quelques rares entreprises: une mgachane de librairies, quelques grandes surfaces importantes, ainsi que, naturel- lement, Amazon. Les diteurs, tout comme les consomma- teurs, sont dpendants de cet oligopole. Les guerres de prix existent aussi dans dautres pays et provoquent des consquences similaires. Dans les pays anglo-saxons, des pans entiers des industries nationales se sont effondrs rcemment. Les chanes Borders (Grande- Bretagne), Book etc. (Grande-Bretagne), Hugues & Hugues (Irlande), Waterstone (Royaume-Uni et Irlande), Robertson (Royaume-Uni) et Redgroup Retail (Australie) sont soit en faillite, soit sous la protection dune loi sur les arrangements avec les cranciers, soit en profonde restructuration. Ces guerres de prix entranent des consquences terribles pour laccs aux livres, comme en Australie: une ville comme Greater Dandenong, de 140000 mes, na plus aucune librairie pour prsenter sa population une offre de livres digne de ce nom. Imaginons un instant quau Qubec, la suite de guerres de prix violentes, seules les villes de plus de 140000 habitants puissent maintenir des librairies viables. Il ne resterait alors des librairies que dans six villes qubcoises! Constat 3: Les guerres de prix ne sont pas bnfiques pour les consommateurs Les conomistes avancent souvent que les guerres de prix provoquent une baisse des prix des livres au profit des consommateurs. En dautres termes, certes, les multinatio- nales dtruisent les rseaux traditionnels de vente de livres, entranent la fermeture de quantit de commerces de proxi- mit, mais, en contrepartie, elles devraient permettre aux consommateurs de payer leurs livres moins cher. Pourtant, ce nest pas le cas. 6. 6 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 Depuis longtemps dj, des experts de lindustrie ont dmontr que les guerres de prix ne profitent pas aux consommateurs. Elles peuvent donner lillusion que les livres sont moins chers, grce des rabais trs impression- nants sur le prix de vente suggr. Mais comme ces rabais saccompagnent dune hausse du prix de vente suggr, il ny a plus dconomies pour les consommateurs (page 7). Le Royaume-Uni est un cas intressant tudier, car le prix unique du livre (Net Book Agreement) y a longtemps exist avant dtre abandonn vers 1995. On peut donc examiner limpact de ce changement de rgime sur lvolution des prix. La libralisation des prix des livres au Royaume-Uni a-t-elle entran une chute de prix comme le prdisaient alors tant dconomistes? Non. Cest plutt le contraire qui sest pass. Ltude scientifique la plus rcente sur cette question pose les conclusions suivantes: les consommateurs britanniques paient en moyenne les livres plus cher que si le Net Book Agreement avait t maintenu. Les rabais ont apparemment augment, mais devant la pression des dtaillants toujours plus exigeants, les diteurs ont, pour compenser, hauss le prix de dtail suggr. Ltude montre ainsi que le prix moyen pay par les consommateurs britanniques a aug- ment plus rapidement, au cours de cette priode, que le prix moyen pay par les consommateurs de deux pays de taille similaire, lAllemagne et la France, o existent des rgimes de prix rglement. Constat 4: Une solution qui fait lobjet dun large consensus au sein du domaine du livre qubcois Plusieurs pays interdisent les guerres de prix sur la vente de livres. Cest notamment le cas en Allemagne, en Argentine, en Autriche, en Core du Sud, en Espagne, en France, en Grce, en Hongrie, en Italie, au Japon, au Portugal, au Mexique, en Norvge, aux Pays-Bas et en Isaral (et la question est actuellement ltude dans plusieurs autres). On peut gnralement constater sur ces marchs que le rseau de librairies sy est maintenu et dvelopp, que de nouvelles entreprises ddition ont pu voir le jour et, avec elles, des milliers de livres qui nauraient autrement jamais paru, et quenfin le prix du livre a moins augment en moyenne que lensemble des biens de consommation. Dans tous ces pays, les grandes surfaces continuent vendre le livre. Elles se sont adaptes aux rglementations implantes par les gouvernements. Du point de vue du Qubec, le cas du Mexique est particulirement instructif. Ce pays est membre de lALENA, comme le ntre, mais, surtout, ce sont les mmes grandes surfaces quau Qubec qui y sont actives. Au Mexique, Walmart et Costco ont maintenu leurs rayons de livres et offrent des rabais dans les limites de la rglementation. Peut-on imaginer que ces entreprises feraient autrement au Qubec? En mai2011, les associations professionnelles regrou- pes autour de la Table de concertation1 se sont pronon- ces pour la mise en uvre rapide dune rglementation du prix de vente des nouveauts. Cette prise de position tait le fruit de plus dune anne et demie de consultations et dchanges au sein du domaine du livre. Le consensus porte sur la ncessit dune telle rglementation, mais aussi sur les principaux paramtres touchant les livres imprims et numriques. Conclusion Lindustrie qubcoise du livre a connu de grands succs au cours des 30 dernires annes. Lobjectif de la rglementa- tion propose est de maintenir les conditions ncessaires permettant la continuation de tels succs. Personne ne regrette la mise en uvre de la Loi 51 en 1981. Il sagissait alors dun geste lgislatif audacieux, qui a beaucoup servi les intrts de la population, des crivains qubcois et des artisans du domaine du livre. Un peu plus de trois dcen- nies plus tard, le Qubec peut faire nouveau un geste dterminant pour lavenir du livre et de la lecture. Mais il y a urgence dagir. Prserver au Qubec un secteur dactivit aussi important, crateur demplois et de richesses cultu- relles nest pas un luxe, mais un devoir. 1. Les associations membres de la Table de concertation sont lUnion des crivaines et des crivains qubcois (UNEQ), lAssociation nationale des diteurs de livres (ANEL), lAssociation des distributeurs exclusifs de livres en langue franaise (ADELF), lAssociation des libraires du Qubec (ALQ), la Fdration qubcoise des coopratives en milieu scolaire (Coopsco), le Rseau BIBLIO du Qubec et lAssociation des bibliothques publiques du Qubec (ABPQ). 7. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 7 Concentration des ventes vers . les dtaillants les plus puissants Oligopole Cet oligopole fait pression surlesditeurs et distributeurs pour accrotre leurs marges afindoffrir des rabais Les diteurs ou distributeurs augmentent les prix de vente suggrspour satisfaire . les dtaillants Affaiblissement des librairies Moins de lieux . de promotion pour les titres autres que . les best-sellers Un march plus . petit, donc des . cots unitaires . plus levs pour . ces titres Guerre des prix dans la vente de livres Augmentation des prix pays par les consommateurs Rduction de loffre Comment les guerres de prix conduisent-elles augmentation des prix et une rduction de loffre? 8. 8 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 LADELF LAssociation des distributeurs exclusifs de livres en langue franaise (ADELF) existe depuis 1979 et reprsente les entreprises qui diffusent et distribuent sur le march natio- nal les ouvrages en franais publis au Qubec, au Canada franais et ailleurs dans le monde. LADELF est particu- lirement reprsentative de son secteur dactivit, puisque ses 23 socits membres gnrent environ 99% du volume daffaires ralis au pays dans le domaine de la distribution de livres non didactiques en franais. Association but non lucratif, lADELF est administre par un conseil compos de sept membres lus. Elle compte une dizaine de comits qui tudient toutes les questions relatives la profession et elle intervient publiquement sur les grands enjeux de la lecture et du livre. Les membres de lADELF connaissent fort bien le march du livre au Qubec. Par dfinition, leur rle est de servir de courroie de transmission entre les diteurs et les divers points de vente. Comme chaque distributeur sert gnrale- ment tous les circuits de la vente au dtail pour le compte de maisons aux propositions ditoriales varies, il dispose dun point de vue privilgi sur la globalit du march dans lexercice quotidien de son mtier. Cette vision du march est nourrie par des remontes rapides dinformations pro- venant dquipes commerciales sur le terrain et des services financiers des entreprises. Les membres de lADELF peuvent ainsi capter les petits changements successifs qui, individuel- lement, peuvent paratre insignifiants, mais qui, au total, forgent des pratiques commerciales nouvelles et deviennent des amnagements dfinitifs. Quand les distributeurs, runis au sein de lADELF, partagent leurs observations, ils sont mme de tracer un portrait prcis du march du livre. Les rflexions dveloppes dans ce document sappuient sur cette connaissance approfondie du march. Un projet consensuel et ncessaire LAssociation des distributeurs exclusifs de livres en langue franaise (ADELF) demande au gouvernement du Qubec de rglementer le prix de vente des nouveauts afin de maintenir un rseau de diffusion du livre efficace et diversifi sur tout le territoire qubcois. Le main- tien de ce rseau, compos surtout de librairies faisant la promotion de la diversit ditoriale dans leurs milieux, est essentiel lcosystme du livre tout en tant trs utile aux Qubcois. La bibliodiversit ne serait quun vu pieux en labsence de dtaillants qui proposent un vaste ventail de livres. LADELF fait partie des sept associations professionnelles membres de la Table de concertation du livre, reprsen- tant les crivains, les diteurs, les distributeurs, les libraires, les coopratives en milieu scolaire et les bibliothcaires du rseau biblio et des bibliothques publiques. Ces asso- ciations se sont mobilises lautomne 2012 pour rclamer de toute urgence la mise en place dune rglementation sur les nouveauts2 . Cette mobilisation a amen la premire ministre Pauline Marois annoncer, le 31octobre dernier, la tenue dune commission parlementaire sur le sujet. Le modle de rglementation propose par les 7 associa- tions limiterait 10% les rabais pouvant tre offerts au cours des 9 premiers mois suivant la parution dun livre. La rglementation souhaite sappliquerait donc uniquement sur les nouveauts (9 premiers mois), et il ne sagirait pas dun prix unique du livre, mais plutt dun prix plancher, car il y aurait toujours une possibilit de rabais de 10% sur la vente des nouveauts. En dautres termes, tous les autres livres pourraient faire lobjet dun rabais suprieur 10%. Lobjectif de cette rglementation est dencadrer les guerres commerciales qui, si elles sont trop violentes, conduiront leffritement du rseau de revente actuel, caractris par sa diversification, sa dcentralisation et compos surtout de librairies qui favorisent la diversit ditoriale. Ce rseau risque de se voir remplacer graduellement par un oligopole de trois ou quatre entreprises, comme cest dsormais le cas au Canada anglais, aux tats-Unis, au Royaume-Uni et dans tous les pays o les nouveauts font lobjet de vio- lentes guerres de prix. Les librairies de tous genres forment au Qubec, et de loin, le principal lieu de diffusion et de commercialisation du livre. Elles ont pignon sur rue dans toutes les rgions, sont des ples culturels de bien des villes et des quartiers, valorisent la littrature et la culture, servent de principale rampe de lan- cement la littrature qubcoise et prsentent quotidien- nement aux lecteurs un formidable choix de livres. titre 2. Voir site www.noslivresajusteprix.com. Introduction: Rglementer le prix de vente desnouveauts 9. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 9 indicatif, une librairie agre moyenne tient en stock de 20000 40000 titres diffrents. Par comparaison, un maga- sin Costco propose seulement un peu plus de 200 titres. La sant du rseau de librairies est naturellement une source de proccupations pour tous les acteurs du domaine. Cest ce qui explique pourquoi toutes les grandes associations professionnelles du livre se sont unies pour demander cette mesure qui, en soutenant le travail des libraires, favorisera la cration, ldition et la diffusion du livre au Qubec. Il est important de savoir que linstauration dune rgle- mentation du prix de vente des livres sinscrit dans une mouvance gnrale mondiale, dj en place dans des pays aussi divers que lAllemagne, lArgentine, lAutriche, la Core du Sud, lEspagne, la France, la Grce, la Hongrie, lItalie, le Japon, le Portugal, le Mexique, la Norvge, les Pays-Bas et Isral, et actuellement ltude dans plusieurs autres, dont le Brsil. Une ide rflchie et porteuse davenir Lide de rglementer le prix de vente des nouveaux livres a fait rgulirement lobjet de discussions au Qubec au cours des deux dernires dcennies. La question avait dailleurs t traite lors du Sommet de la lecture et du livre (1998), organis par le gouvernement du Qubec. De nombreux acteurs importants du milieu du livre qu- bcois de lpoque y avaient alors vivement plaid, sans succs, la ncessit dune rglementation. Or, depuis le Sommet, ladhsion au projet de rglementation du prix de vente des livres na jamais cess de crotre, si bien quaujourdhui une forte majorit de professionnels de lindustrie y est favorable. Les membres de lADELF en sont un bel exemple. En 1998, plusieurs distributeurs de toutes tailles soppo- saient farouchement linstauration dun prix rglement sur le livre. Ces distributeurs y voyaient une manuvre trop risque. Or, une quinzaine dannes plus tard, la situation a bien chang. Lors dune assemble gnrale extraordinaire tenue le 10fvrier 2011, les membres de lADELF ont tous vot ( lexception dune abstention) pour un prix rglement des livres, limitant 10% les rabais pouvant tre offerts sur les nouveauts. Quest-ce qui a fait changer davis tant de distributeurs et dautres professionnels du milieu du livre qubcois au cours des 15 dernires annes? notre avis, quatre constats principaux: 1)Lessoufflement des librairies qubcoises est aujour dhuiincontestable,etilestncessairedagirrapidement. 2) Le modle anglo-amricain du commerce du livre, ax sur des guerres de prix de plus en plus violentes, risque bientt de se dployer sur le march qubcois. Or, ce modle cre rapidement un oligopole qui a des impacts dvastateurs sur lquilibre financier du domaine du livre et sur la diffusion du livre. 3)La dmonstration que les guerres de prix dans le domaine du livre ne sont pas bnfiques pour les consommateurs. Il a en effet t dmontr que les guerres de prix, lorsque trop violentes, finissent mme par avoir pour effet daugmenter le prix de vente des livres. 4) Une solution fait lobjet dun large consensus au sein du domaine du livre qubcois. Llaboration dun modle de rglementation recevant lappui de toutes les associations professionnelles du milieu du livre, modle adapt aux ralits du march qubcois du livre. Le projet qubcois privilgie un prix plancher sur les nou- veauts, et seulement 10% de rabais, plutt quun prix unique comme en France ou ailleurs. Ces quatre constats, qui ont amen lADELF et une majo- rit dintervenants du milieu du livre rclamer une rgle- mentation, seront dvelopps dans cette prsentation. Pour comprendre ltat de ce secteur conomique, nous propo- sons dabord un aperu de la situation du livre au Qubec. tat de la situation: le succs de lapproche qubcoise Le livre, au Qubec, est une vritable histoire succs! Le domaine du livre emploie actuellement plus de 11000 personnes3 et gnre un chiffre daffaires annuel de prs de 700M $ (2012)4 , ce qui en fait la plus grande indus- trie culturelle qubcoise, avant le cinma5 . Plus de 5000 titres sont publis chaque anne au Qubec. Au prorata de la population, le volume ddition est comparable, par exemple, celui de la France, de lItalie et de lAllemagne6 . Les livres qubcois (littratures gnrale et scolaire) consti- tuent une part importante du march, avec une estimation de 52% des ventes7 . Par ailleurs, les Qubcois ont aussi 3. Professionnels de lcriture au Qubec (2003): 4300 dont 1040 crivains; di- teurs: 300, dont 178 diteurs agrs (2007); distributeurs (2007): 40; librairies (2007): 450, dont 208 librairies agres (2007). (Source: SODEC.) 4. Observatoire de la culture et des communications du Qubec. 5. Le chiffre daffaires comptabilis de 753 M $ ne tient pas compte de revenus im- portants provenant de vente de droits ltranger et de vente de produits drivs du livre. Par ailleurs, compte tenu des particularits de lindustrie, le livre gnre quantit demplois en amont (impression et autres), demplois temps partiel (au- teurs, traducteurs, fournisseurs de service en dition, libraires, etc.) qui sajoutent aux 11000 emplois temps plein recenss. 6. Source: SODEC. 7. Source: SODEC. 10. 10 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 pleinement accs la littrature du monde entier grce un systme dimportation et de distribution efficace qui met en march environ 30000 nouveauts en langue fran- aise par anne8 . lorigine de toute cette vitalit culturelle, il y a de la cra- tivit, du travail, de la sensibilit, de linitiative, du talent et de la curiosit, des crivains qubcois, mais aussi tous ces artisans du domaine du livre, passionns par le pouvoir des mots, de la langue et de lcrit. Cette vitalit culturelle naurait toutefois pu sexprimer avec autant de force sans lingniosit du lgislateur qu- bcois qui promulgua, en 1981, une loi structurante pour tous les acteurs du livre: la Loi sur le dveloppement des entreprises qubcoises dans le domaine du livre (L.R.Q., c D-8.1, communment dsigne dans le milieu du livre comme la Loi 51). La Loi 51 a vritablement t au cur de lapproche qu- bcoise des 30 dernires annes dans le domaine du livre. Enrgissant les pratiques commerciales du domaine du livre, cette Loi a structur lindustrie et contribu large- ment au dveloppement dun march pour le livre sur len- semble du territoire9 . En fait, la consquence la plus visible de la loi a t de permettre lexistence dun rseau de librai- ries professionnelles sur lensemble du territoire qubcois, crant du coup une formidable vitrine promotionnelle consacre la diversit ditoriale10 . Pour les crivains et les diteurs qubcois, et pour tous les lecteurs qui veulent avoir accs une offre ditoriale diversifie et de qualit, la Loi 51 a reprsent un tournant historique majeur. 8. Source: ADELF. 9. Dans une brochure publie dans la foule de la Politique de la lecture et du livre, le MCCQ rsume ainsi les objectifs de la loi: Essentiellement, la Loi poursuit deux objectifs: 1. Augmenter laccessibilit territoriale et conomique du livre: territo- riale, par limplantation dun rseau de librairies dans toutes les rgions du Qubec; conomique: par une stabilisation ou une augmentation modre du prix du livre. 2. Dvelopper une infrastructure industrielle et commerciale concurrentielle dans le domaine du livre. 10. Pour assurer la viabilit et le maintien du rseau des librairies agres, la Loi de- mande aux distributeurs (et aux diteurs) daccorder aux librairies agres une re- mise minimale de 40% (une remise de 30% nest permise que pour certaines catgories douvrages, dtermines par rglement) et aux acheteurs institutionnels (coles et bibliothques, entre autres) dacheter leurs livres au prix courant dans les librairies agres de leur rgion. En retour, la Loi demande aux librairies agres de satisfaire certaines exigences relatives la nature des stocks et la qualit des services offerts. De faon gnrale, la librairie agre doit: avoir son sige social ou sa principale place daffaires au Qubec; dtenir 6000 titres en stock (2000 titres qubcois et 4000 titres trangers) et des quantits minimales de livres dans chaque catgorie douvrages; recevoir les offices dau moins 25 diteurs agrs et garder leurs titres en talage au moins 4 mois; exploiter un tablissement commercial facilement accessible de la voie publique, comportant une aire de vente et dtalage rserve aux livres; garder sa librairie ouverte toute lanne; possder en tout temps lquipement bibliographique exigible en vertu du rglement. La librairie agre doit satisfaire certains critres de vente particuliers, variant selon la taille de la municipalit o est situ son commerce: si ltablissement est situ dans une mu- nicipalit de plus de 10000 habitants, la vente de livres doit reprsenter au moins 50% de son chiffre daffaires total ou slever au moins 300000$; si ltablis- sement est situ dans une municipalit de 10000 habitants ou moins, la vente de livres doit reprsenter au moins 50% de son chiffre daffaires total ou slever au moins 150000$. Trente ans plus tard, les livres sont dabord accessibles au public grce un rseau tendu de librairies couvrant toutes les rgions (librairies indpendantes, librairies en milieu scolaire, chanes de librairies). Naturellement, on trouve aussi des livres dans quantit dautres commerces non spcialiss et sur divers sites de vente en ligne. Et cest tant mieux! Toutefois, en offrant une grande diver- sit de titres, les librairies jouent un rle unique dans la dynamique culturelle et conomique du livre puisquelles permettent une diversit de titres dtre mis en march, donc dexister11 . La diversit culturelle peut spanouir sur un march compos dune diversit de librairies de qualit, complte par dautres points de vente; il lui faut des com- merces spcialiss de diffrentes tailles, avec des approches et des champs dintrt diffrents les uns des autres. La Loi51 a permis datteindre cet quilibre. Pour les lecteurs, la mise en uvre de lapproche qub- coise, incarne par la Loi 51, a manifestement eu pour effet de dmocratiser laccs au livre. Des librairies agres ont ainsi vu le jour dans des villes telles que Val-dOr, Sept- les ou Rivire-du-Loup, mais aussi dans des quartiers populaires de centres urbains comme la Basse-Ville de Qubec, Hochelaga-Maisonneuve, Rosemont ou Verdun Montral. Ces commerces de proximit jouent un rle essentiel dans la diffusion du livre et la promotion de la lecture dans leur milieu respectif. Ce sont aussi des acteurs conomiques locaux non ngligeables, souvent proprit dentrepreneurs qui crent des emplois et qui contribuent la vitalit conomique de lendroit. En somme, lapproche qubcoise a eu les rsultats structu- rants escompts: elle a soutenu la cration dune industrie du livre moderne et dynamique qui offre aux lecteurs qu- bcois, sur lensemble du territoire, une diversit de titres en langue franaise publis ici comme ltranger. Cet accs la diversit contribue la qualit de vie des citoyens, au renforcement du franais en Amrique du Nord et est structurant pour une socit comme la ntre. Les objectifs de la Loi 51 sont toujours entirement dac- tualit. Mais le contexte rend ces objectifs de plus en plus difficiles atteindre. 11. Ltude sur la mise en march des nouveauts publie en 2007 a clairement dmontr que le rseau des librairies et celui de la grande diffusion proposent un assorti- ment de titres trs diffrents et que cet assortiment varie aussi beaucoup entre les librairies indpendantes, les librairies en milieu scolaire et les chanes de librairies. Michel A. Lasalle et Rene Glinas, tude sur la mise en march des nouveauts par le systme de loffice au Qubec, Table de concertation, 2007, 219 pages. 11. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 11 Trente ans de lecture ont largement dmontr la perti- nence des objectifs poursuivis par le lgislateur qub- cois. Toutefois, il est craindre que les mesures mises en place ne suffisent plus les atteindre. La com- mercialisation du livre est marque par de nouvelles faons de faire et par larrive de nouveaux acteurs. Progressivement, la concurrence saine cde le pas des rapports de force, et plus rien nest acquis en matire daccessibilit et de diversit. Il y a l une brche quil faut colmater pendant que cest encore possible. Cest une question dintrt public. La situation de la concurrence dans le secteur de la vente au dtail du livre a en effet normment volu depuis ladoption de la Loi en 1981. Le commerce du livre a pris graduellement de nouvelles formes et il est soumis des pressions indites. Cest ainsi que plusieurs entre- prises inexistantes au moment de ladoption de la Loi sont devenues des acteurs incontournables du commerce du livre au Qubec et forcent dsormais une redfinition des rles. Larrive des magasins grande surface et celle des sites Web transactionnels, proprits de multinatio- nales, reprsentent actuellement les deux plus grandes formes de mutation dans la commercialisation du livre imprim. Les pratiques commerciales de ces entreprises menacent la diversit ditoriale. Le dploiement intensif de magasins grande surface en territoire qubcois au cours des 15 dernires annes a provoqu un choc. La grande diffusion existe dans le domaine du livre au Qubec depuis longtemps dj, mais les grandes surfaces comme Walmart ou Costco ont une approche beaucoup plus dstabilisatrice ainsi quune force de frappe bien plus grande que celle de leurs prdcesseurs. Leur modle daffaires est simple et efficace: prsenter aux consommateurs un assorti- ment trs limit de titres, uniquement les best-sellers, en offrant des rabais substantiels sur les prix de vente cou- rants. titre dexemple, Costco maintient, par magasin, un maximum de 227 titres en mme temps12 . Personne ne doute de lutilit des grandes surfaces, car elles per- mettent dlargir les clientles. En revanche, le rle de tels commerces ne peut tre que complmentaire: leur 12. Julien Brault, Les grandes surfaces effectuent 29,8% des ventes de livres au Qubec, Livres dici, mars2008. offre de livres ne reprsente quune fraction de la pro- duction disponible, lamnagement des lieux est peu valorisant pour le livre, il ny a pas de conseillers, de commandes spciales, danimation, etc. Ces limites sont importantes tant pour lindustrie que pour les consom- mateurs. Les libraires se plaignent rgulirement des effets de cette concurrence base sur le prix de vente: ils disent perdre des ventes faciles et rentables de best-sellers au profit des grandes surfaces, perdre le lien de confiance avec leur clientle en ayant la rputation de vendre plus cher quailleurs, devoir se rabattre sur les ventes de livres rotation plus lente et moins rentables, etc. Dans son tude publie en janvier2011, le consultant Michel Lasalle a largement document les impacts ngatifs des pratiques commerciales des grandes surfaces sur la ren- tabilit des librairies qubcoises et limpossibilit struc- turelle du secteur de la librairie de les concurrencer sur la base du prix13 . Des constats quivalents ont t faits sur dautres marchs nationaux14 . Aussi, tout indique que la concurrence des magasins grande surface, dj trs dstabilisatrice, sapprte prendre une forme plus intense encore au Qubec. Larrive de Target lautomne 2013 et la mise en uvre acclre dambitieux plans dexpansion de Walmart15 et dAmazon en sont des indicateurs. La guerre que se livrent entre elles ces entreprises en choisissant le livre comme produit dappel provoque par ricochet dans les 13. Michel A. Lasalle, tude sur le prix de vente du livre au Qubec, ALQ, janvier2011, 20pages. 14. ce chapitre, lexprience de la Grande-Bretagne est intressante analyser puisque ce pays a vcu jusqu tout rcemment sous un rgime de prix unique avant de labandonner (au milieu des annes 1990). Une quipe de chercheurs en conomie du Centre for Competition Policy (University of East Anglia) sest penche sur limpact du changement de rgime de prix sur la productivit du secteur de la vente au dtail du livre en Grande-Bretagne. Selon une tude trs rcente (2008), globa- lement, labandon du NBA na pas entran une augmentation de la productivit du secteur. Il y a eu des gains grce larrive de revendeurs sur Internet et de grandes surfaces offrant des rabais sur le prix des livres; ces gains ont t annuls par un effondrement de la productivit des librairies et mme de celle des chanes de librairies ayant rsist au changement de rgime de prix (la fin du NBA a entran de nombreuses fermetures et consolidations de librairies). Peut-on conclure que la productivit de la librairie qubcoise, donc son potentiel de dveloppement et dinnovation, est affecte au mme titre que celle de la librairie britannique par lexistence dun rgime de prix libres? Voir ce sujet: Centre for Competition Policy (University of East Anglia), An Evaluation of the Impact Upon Productivity of Ending Resale Price Maintenance on Books, Office of Fair Trading, Londres, 2008, 182 pages. 15. Franois Desbiens, Walmart acclre son expansion au Qubec: lentreprise transformera neuf Zellers en plus damnager huit supercentres, 8fvrier 2012, LeDevoir. 1.Lessoufflement des librairies qubcoises 12. 12 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 librairies, quelle que soit leur taille, des dommages col- latraux irrmdiables. Le dveloppement de sites Web transactionnels repr- sente aussi une autre forme importante de mutation dans la commercialisation du livre imprim. La multinationale Amazon ainsi quun certain nombre de sites de librairies sont actuellement au Qubec les principaux acteurs de ce segment de march en croissance. La vente sur le Web soulve naturellement des questions quant son impact sur la frquentation et, ventuellement, la rentabilit des librairies ayant pignon sur rue. Lindustrie est particu- lirement attentive limpact de la vente par le Web sur la vitalit des librairies voluant sur de petits marchs locaux, sachant que ces entreprises sont dj trs fragiles. Jusqu maintenant, limpact sur le rseau de librairies est moindre que certains lanticipaient, puisque les librairies elles-mmes rcuprent une part de ces ventes sur leurs propres sites Web, et des dispositifs permettent mme aux plus petites librairies davoir collectivement une place sur ce segment de march16 . La situation demeure nanmoins proccupante. Cependant, la principale menace de la vente sur le Web rside dans la possibilit que ce secteur devienne, comme cest le cas aux tats-Unis et dans le monde anglo-saxon, un propagandiste de premire importance dans la guerre de prix sur la vente des best-sellers. Dans ces pays, certains sites Web transactionnels ont t au cur de guerres com- merciales terribles visant llimination de la concurrence. Et ils ont russi! Au Qubec, ce nest pas le cas encore, mais ce nest quune question de temps17 . Par ailleurs, larrive du livre numrique se fait dans ce contexte dincertitude. Personne ne peut prdire encore ce que sera cette nouvelle faon de crer, de produire et de diffuser du contenu. Il semble bien que cette rvo- lution technologique sera plus lente et graduelle dans le secteur du livre que dans le secteur de la musique. Nanmoins, si cela signifiait une rosion des ventes en librairies, il sagirait dun dur coup pour le rseau et pour lindustrie. De toute vidence, le livre imprim ne sera pas supplant par le livre numrique; il y aura coexistence des deux formats, si bien quil est impra- tif de penser maintenir des canaux de vente efficaces pour le livre imprim, qui pourraient dailleurs tre, dans une certaine mesure, les mmes que ceux du livre 16. Les grandes chanes qubcoises et certains indpendants ont leurs propres sites Web transactionnels. cela sajoute ruedeslibraires.com, le portail commun de 80 librairies indpendantes. 17. Amazon a ouvert un entrept canadien en 2011 dans le but de mieux desservir le march et ne cache pas son intention dtendre sa politique de rabais en langue franaise. Walmart va ajouter sous peu des livres en franais sur son site Web cana- dien. numrique18 . En ce qui a trait ldition numrique, le Qubec sest montr innovateur. Des entrepts num- riques ont t crs par lAssociation nationale des di- teurs de livre (ANEL) ainsi que par des entreprises pri- ves dans le but de desservir ce march en croissance et de prendre en compte notre ralit locale. Enfin, la dgradation du contexte daffaires en librai- rie, actuelle ou anticipe, est certainement lorigine des problmes de relve. La gnration montante ne se bouscule pas pour acheter les librairies existantes ou en ouvrir de nouvelles, et lAssociation des libraires du Qubec (ALQ) considre dailleurs cette question comme un enjeu fondamental de la profession et sy investit avec dtermination19 . En matire de parts de march, la situation de la librai- rie indpendante qubcoise se dgrade depuis plusieurs annes dj. On estime quenviron 20 librairies ont ferm leurs portes au Qubec depuis 201020 . Ce phnomne sacclre puisque, depuis lautomne 2012, 9 librairies ont fait faillite, interrompu leurs activits ou chang radi- calement de vocation21 . Les donnes officielles du gouver- nement du Qubec indiquent clairement que le repli des indpendants profite surtout aux chanes qui gagnent en puissance22 . Mais pour combien de temps encore? Si on regarde ce qui se passe ailleurs, chez nos voisins canadiens et amricains, les chanes sont trs menaces: elles font faillite, se restructurent ou abandonnent graduellement le secteur du livre au profit dacteurs non traditionnels. On dit souvent que ce qui se passe aux tats-Unis finit invitablement par toucher le Qubec quelques annes plus tard. videmment, certains seront tents de dire que cest la marche naturelle des choses, ou encore que le march va trouver sa propre solution ou enfin que, de toute faon, le Web va tout arranger a. Toutefois, avant dabandonner, petit petit, un systme qui a bien servi jusqu ce jour les crateurs, lindustrie et les lecteurs, mieux vaut y rflchir srieusement. La promotion de la diversit ditoriale sur lensemble du territoire qubcois est aujourdhui une ralit, assure essentiellement par un rseau de librairies form dindividus qui, par leurs actions 18. La plupart des sites Web de librairies qubcoises offrent la possibilit dacheter des livres numriques. Les libraires se positionnent ainsi ds maintenant sur ce march mergeant. 19. LALQ sinvestit beaucoup en ce qui a trait la relve en librairie, en sappuyant notamment sur les recommandations contenues dans ltude ralise sa demande par Francine Richer, membre associe de la Chaire de dveloppement et de relve de la PME HEC Montral. Voir: Francine Richer, Les librairies indpendantes du Qubec et la continuit de leur entreprise, ALQ, 2007, 31 pages. 20. Source: ALQ. 21. Source: ADELF. 22. Observatoire de la culture et des communications du Qubec. 13. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 13 quotidiennes, favorisent le rayonnement du livre et de la lecture dans leurs milieux respectifs. Le systme nest certes pas parfait, mais il a lavantage dexister, et nous navons pas encore trouv de solution de rechange aussi viable pour lindustrie et utile aux citoyens qubcois. Il restera toujours des commerces pour vendre les ouvrages de Mary Higgins Clark, Dan Brown, James Patterson ou dautres best-sellers mondiaux. Cela ne fait pas de doute. Levritable enjeu public est celui de laccs la diversit ditoriale. Pour ce faire, il faut maintenir un rseau dense de librairies, car ce sont ces commerces qui font connatre au public daujourdhui les successeurs des Michel Tremblay, Marie Laberge, Dany Laferrire, Eric-Emmanuel Schmitt et autres grands talents qubcois et trangers. Que devien- draient les livres de posie ou les essais politiques ou litt- raires sans les libraires? 14. 14 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 Les mutations du commerce au dtail du livre sont le lot de tous les pays dvelopps du monde et font rgulire- ment lobjet de dbats chez les professionnels du livre. En fait, le dveloppement des magasins grande surface et celui des sites Web transactionnels a dabord touch les tats-Unis et le monde anglo-saxon, avant de stendre au reste du monde, port surtout par des bannires internationales. Les ractions larrive de ces commerces dans le domaine du livre et leurs pratiques commerciales ont vari dun pays lautre. Aux tats-Unis, les autorits ont t tradi- tionnellement pour une grande libert daction des entre- prises. Les guerres de prix sur la vente des best-sellers y sont autorises et sont mme devenues pratiques courantes au fil des ans, un point tel quelles ont littralement faonn de nouveaux paramtres de la commercialisation du livre dans ce pays au cours de la dernire dcennie. Ces guerres de prix se sont droules en diffrentes phases, impliquant dabord les chanes de librairies et les magasins grande surface, puis les gants du commerce lectronique. Les librairies indpendantes amricaines en ont t naturelle- ment les premires victimes. Mais mesure que les guerres de prix se sont intensifies, des entreprises trs solides se sont effondres leur tour. En juin2011, lindustrie am- ricaine du livre a fortement t branle par la faillite de Borders, deuxime chane de librairies en importance (399 librairies au tats-Unis, 10700 emplois)23 . Fait plus proc- cupant encore, sa grande rivale Barnes & Noble, qui aurait d profiter de cette faillite, continue de cumuler chaque trimestre des dficits. Cest dire la violence des bouleverse- ments en cours. Aux tats-Unis, ces guerres de prix prennent souvent lallure de guerres totales dont lobjectif est de tuer la concurrence pour accaparer des parts de march ou pour valoriser limage de marque du commerant auprs des consommateurs. Dans ce contexte, vendre sous le prix cotant est une pratique courante. titre dexemple, en octobre2009, Walmart a lanc une offensive com- merciale spectaculaire en offrant les 10 titres (imprims) 23. Mike Spector, Borders Forced to Liquidate, Close All Stores, Wall Street Journal, 19juin 2011. les plus attendus de la saison au prix de 10$ lunit24 . Amazon.com a rpliqu dans les heures suivantes, ce qui a entran une seconde offensive de Walmart. Finalement, les 10 titres ont t vendus 8,98$ dans chacune des deux structures. Ces livres ont naturellement t vendus perte. Toutefois, lobjectif premier de Walmart et dAma- zon ne consistait pas vendre des livres, mais plutt se faire reconnatre comme champions des bas prix et, ce chapitre, lopration a t un succs remarquable puisque tous les mdias nationaux ont relat ces vnements. En jargon commercial, il sagit dune stratgie de type loss leader (produit dattraction ou dappel)25 . Cela dit, le consommateur amricain a-t-il t bien servi par cette guerre commerciale? court terme, ceux qui ont achet lun ou lautre des 10 titres proposs ce prix lont assur- ment t. Ils ont pay leur livre moins cher. Par contre, ce genre de pratique contribue anantir le rseau de vente de livres et a laiss le choix de lectures des Amricains entre les mains dun nombre toujours plus petit dentre- prises de plus en plus puissantes et dont lobjectif nest pas de promouvoir la littrature. preuve, le commerce amricain du livre pivote dsormais autour de quelques rares entreprises: une mgachane de librairies, quelques grandes surfaces importantes ainsi que, naturellement, Amazon. Elles sont devenues les grands acteurs de ce commerce. Cela signifie en outre que, pour atteindre les lecteurs amricains, les crivains et les diteurs sont dsor- mais la merci de ces quelques grands ples de dcision. Et les impacts conomiques et culturels sont colossaux. John Sargent des ditions Macmillan disait dans Livres Hebdo en juin2013 que la seule faon de redonner sa place aux livres aux tats-Unis est dintroduire une forme de rgulation des prix26 . Ce commentaire de la part dun 24. Miguel Bustillo et Jeffrey Trachtenberg, Walmart Strafes Amazon in Book War, Wall Street Journal, 16octobre 2009. 25.Le loss leader est un produit quun dtaillant vend perte, cest--dire sous son prix cotant, des fins de marketing, afin de faire entrer le consommateur dans son magasin et de lui donner le sentiment de faire de bonnes affaires. Le dtaillant se rattrape avec les autres produits sur lesquels il conserve videmment sa marge usuelle. Cest galement une stratgie commerciale qui peut tre utilise sur la du- re pour semparer dune part importante du march pour imposer par la suite ses conditions aux divers agents du march: en amont aux fournisseurs devenus d- pendants, en aval aux clients lorsquil ny a presque plus de concurrence. Plusieurs tudes mentionnent que le livre est un produit idal pour servir de loss leader. 26. Livres Hebdo, 14juin 2013, p 19. 2.Les effets dvastateurs du modle anglo-amricain bas sur les guerres de prix 15. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 15 dirigeant dune maison amricaine aurait t impensable il y a quelques annes seulement. Mais ce nest pas fini! Les diteurs amricains, mme les plus puissants, admettent aujourdhui avoir peur dAma- zon. Cette entreprise, qui sest construite par les guerres de prix dans le livre imprim, puis numrique, en acceptant pendant de trs longues priodes de vendre perte ou avec de trs faibles marges, occupe dsormais une position de plus en plus dominante. Dans lespoir de ralentir la main- mise croissante dAmazon sur le secteur de la vente du livre, les grands diteurs amricains en sont mme arrivs littralement se liguer, au dbut de 2010, pour emp- cher Amazon de vendre ses livres numriques 9,95$. En offrant les livres numriques ce prix, Amazon poursuivait deux objectifs complmentaires: vendre le plus possible de Kindle tout en dtruisant le march du livre imprim. Pour contrecarrer cette stratgie de prise de contrle du march par Amazon, les diteurs amricains lui ont impos un contrat de vente (agency model) dans lequel ce sont les diteurs qui dcident du prix de vente de leurs livres sur le march. Le dpartement de la Justice amricaine a examin lagency model et la jug illgal, en juillet2013, lassimilant une pratique de collusion. Lagency model poursuivait glo- balement les mmes objectifs quune loi sur le prix unique: interdire les guerres de prix pour viter la constitution dun monopole. Les diteurs amricains ont pens pouvoir agir seuls sans lencadrement dune loi. La manuvre na pas march, et Amazon continue accrotre son emprise sur le march de la vente de livres numriques aux tats-Unis. Par ailleurs, loffensive dAmazon dans le secteur du livre a pris une toute nouvelle dimension en octobre2011: Amazon indiquait alors quil devenait lui-mme diteur. Dans la foule, Amazon a lanc une vaste campagne de recrutement dauteurs dj connus, en acceptant de perdre des millions dans le versement davances disproportion- nes, comme lont rapport plusieurs mdias amricains27 . Lannonce de cet affrontement ouvert avec lindustrie amricaine du livre a fait le tour du monde. Puis, en fvrier2012, une nouvelle annonce a attir lattention des observateurs de lindustrie des quatre coins de la plante. LIndependent Publishers Group (IPG) annonait que les titres numriques de quelque 500 diteurs indpendants quil reprsente ne seraient plus offerts sur le site dAma- zon, ceux-ci nayant pu sentendre avec cette entreprise quant aux conditions commerciales. Cet vnement pose concrtement la question de laccs au march dans un contexte commercial domin par un nombre restreint ou par un seul revendeur. 27. David Streitfeld, Amazon Signs Up Authors, Writing Publishers Out of Deal, New York Times, 6octobre 2011. Lindustrie amricaine nest pas la seule vivre de pareilles pripties. Les guerres de prix existent aussi dans divers autres pays et provoquent des consquences similaires. Dans les pays anglo-saxons, des pans entiers des indus- tries nationales se sont effondrs au cours des deux der- nires annes seulement. Les chanes Borders (Grande- Bretagne), Book etc. (Grande-Bretagne), Hugues & Hugues (Irlande), Waterstone (Royaume-Uni et Irlande), Robertson (Royaume-Uni) et Redgroup Retail (Australie) sont soit en faillite, soit sous la protection dune loi sur les arrangements avec les cranciers, soit en profonde restructuration. En Australie, les guerres de prix ont dtruit une grande partie du rseau de diffusion du livre en quelques annes peine. Depuis avril2011, les difficults financires du Redgroup Retail ont entran des fermetures massives de librairies dans ce vaste pays, laissant des rgions entires prives de ces commerces. Par exemple, une ville comme Greater Dandenong, de 140000 mes, possde des coles, des centres commerciaux, des restaurants, quantits dautres commerces et dtablissements, mais na plus aucune librai- rie pour prsenter sa population une offre de livres digne de ce nom. Cest dramatique! Imaginons un instant quau Qubec, la suite de guerres de prix violentes, seules les villes de plus de 140000 habitants puissent maintenir des librairies viables. Il ne resterait des librairies que dans six villes qubcoises! Recensements (Booksellers Association) Anne Nombre de points de vente Nombre dindpendants 2005 3935 1535 2006 4435 1446 2007 4407 1424 2008 3845 1350 2009 3845 1252 2010 3784 1159 2011 3655 1094 2012 3580 1028 Source: MOSCOVITZ, Ccile et WISCHENBART, Rdiger, Librairies dans le monde Allemagne, Espagne, tats-Unis, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Livres Hebdo/Cercle de la librairie, mai2013, p.99. Au Royaume-Uni, labandon du prix unique du livre (Net Book Agreement) au milieu des annes 1990 a pro- fondment modifi la dynamique du march du livre. Les dtaillants les plus puissants ont lanc, ds lors, des guerres de prix dans le but daccaparer des parts de mar- ch. Au fil des ans, ces guerres de prix sont devenues 16. 16 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 de plus en plus rudes, sans pourtant que les consom- mateurs en bnficient directement (voir Constat 3: Les guerres de prix ne sont pas bnfiques pour les consommateurs). Les parts de march des librairies indpendantes sont pas- ses de 19,9% de la valeur des ventes en 1998 9% en 2011 (mais seulement 4,1 en 2011 et 3,4% en 2012 du volume des ventes)28 . Le nombre de librairies ind- pendantes a diminu fortement depuis la fin du Net Book Agreement. Les donnes de 2005 2012 indiquent que leur nombre est pass de 1535 1028 (moins 507 en 7ans)29 . La part de march totale des chanes sest main- tenue, mais le nombre de chanes a diminu de moiti. 28. Tir de Frank Fishwick, volution du march britannique du livre depuis la fin du prix unique, juillet2013. Le texte complet apparat en annexe 4. 29. MOSCOVITZ, Ccile et WISCHENBART, Rdiger, Librairies dans le monde Allemagne, Espagne, tats-Unis, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Livres Hebdo/ Cercle de la librairie, mai 2013, p.99. court terme, les chanes forment le segment de march le plus menac par le dveloppement rapide des ventes par Internet. Le progrs dAmazon et des autres librairies en ligne est vident. Quoiquil ny ait pas de donnes sur la valeur de leur part de march en 2012, on peut esti- mer quelle a atteint environ 40%30 . Par ailleurs, Amazon domine la vente de livres numriques. Selon une esti- mation parue dans le Financial Times, la vente de livres numriques correspond 12% du march britannique, et Amazon dtient 90% de ces ventes. Ainsi, alors que les ventes de livres imprims au Royaume-Uni sont dsor- mais entre les mains dun nombre dentreprises toujours plus puissantes, Amazon dtient le quasi-monopole des ventes de livres numriques. 30. Estimation de Francis Fishwick, op. cit 17. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 17 Dun point de vue qualitatif, les guerres de prix nuisent aux consommateurs puisquelles finissent par anantir les commerces de proximit qui offrent du choix et des ser- vices, pour les remplacer par de grandes entreprises non spcialises. Les lecteurs perdent ainsi un accs privilgi aux livres, aux conseils dun libraire, lexprience cultu- relle quoffre la librairie, etc. Toutefois, les principes gnralement admis de lcono- mie permettent davancer que, normalement, les guerres de prix menes par les multinationales entraneraient une baisse de prix de vente des livres, ce qui serait bnfique pour les consommateurs. En dautres termes, les multi- nationales dtruisent les rseaux traditionnels de vente de livres, entranent la fermeture de quantit de commerces de proximit, mais permettent aux lecteurs de payer leurs livres moins cher. Or, ce nest pas le cas. Depuis longtemps dj, des experts de lindustrie du livre affirment que les guerres de prix ne permettent pas aux consommateurs de payer leurs livres moins cher31 . Elles peuvent donner lillusion que les livres sont moins chers, car les rabais affichs sur le prix de vente suggr peuvent tre parfois trs impressionnants. Mais, finalement, ces rabais saccompagnent souvent dune augmentation du prix de vente suggr. Les rabais savrent dans ce cas unleurre. Sur cette question, le Royaume-Uni est un cas particuli- rement intressant tudier, car le prix unique du livre (Net Book Agreement) y a longtemps exist avant dtre abandonn au milieu des annes 1990. On peut donc exa- miner limpact de ce changement de rgime sur lvolution du prix pay par les consommateurs. La libralisation des prix des livres au Royaume-Uni a-t-elle entran une chute de prix comme le prdisaient alors tant dconomistes? Non. Cest plutt le contraire qui sest pass. Ltude la plus rcente sur cette question, publie en novembre2008 31. Ce fut dailleurs lavis retenu au Royaume-Uni en 1962 par la Restrictive Practices Court lorsquelle jugea pertinent de maintenir le Net Book Agreement (Prix unique du livre britannique). dans International Journal of the Economics of Business32 , fait une analyse dtaille du phnomne. La conclusion de son auteur, lconomiste Francis Fishwick33 , est la sui- vante: les consommateurs britanniques paient en moyenne plus cher les livres que si le Net Book Agreement avait t maintenu. Les indicateurs officiels dmontrent que le prix des livres a augment plus vite que linflation, et que cela est attribuable en bonne partie un changement dans la structure de la vente au dtail des livres, qui a rsult de labandon du prix fixe. Les rabais aux consommateurs ont apparemment augment, mais devant la pression des dtaillants les plus exigeants, les diteurs ont mcanique- ment augment le prix thorique de vente au dtail pour compenser la perte, ou appel autrement le prix de dtail suggr. Dautre part, ltude dmontre que le prix moyen pay par les consommateurs britanniques a augment beaucoup plus rapidement, au cours de cette priode, que le prix moyen pay par les consommateurs de deux pays de taille similaire, lAllemagne et la France, o existent des rgimes de prix fixe. Regardons ce dossier plus en dtail. Selon lOffice for National Statistics34 , en 2008 le prix moyen dun livre vendu au grand public a t 39% plus lev en argent constant quen 1996. Au cours de la mme priode, laug- mentation du cot de la vie, lindice des prix la consom- mation, na t que de 23%. Comment peut-on expliquer cette inflation plus rapide sur le prix des livres en Grande- Bretagne que sur les autres produits? Une hausse des prix conseills semble la seule explication logique. 32. Frank Fishwick, Book Prices in the UK Since the End of Resale Price Main- tenance, International Journal of the Economics of Business, vol. 15, no 3, novembre2008, p.359-377. 33. Ph. D.en conomie, Francis Fishwick est un spcialiste de rputation internationale en conomie du livre et de la concurrence, auteur de nombreux travaux sur lindustrie du livre en Grande-Bretagne et ailleurs dans le monde. En ce qui a trait la rglemen- tation du prix, il a travaill comme conseiller la Direction de la concurrence de la Commission europenne, la Publishers Association et la Booksellers Association en Grande-Bretagne, au National Heritage Committee du House of Commons, au Parlement suisse, la Brseverein des Deutschen Buchhandels (Fdration du livre en Allemagne) et la Fdration des diteurs europens. 34. Lindice calcul par lONS est une moyenne pondre de six catgories, pour les- quelles il y a un chantillon de titres et de points de vente. Tous les pays membres du Bureau statistique de lUnion europenne (EUROSTAT) emploient la mme mthode de calcul. 3.Les guerres de prix nesontpas bnfiques pourlesconsommateurs 18. 18 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 Selon Francis Fishwick35 , les donnes apparaissant dans ce graphique sexpliquent de la manire suivante. Au fil des annes, la vente de best-sellers sest de plus en plus concen- tre entre les mains dun petit nombre dentreprises, sur- tout les grandes surfaces, les deux plus grandes chanes de librairies ainsi quAmazon. Pour leur permettre dafficher des rabais importants sur les best-sellers, ces entreprises ont exig des diteurs des marges brutes toujours plus leves. Pour les livres destins au grand public, la marge brute des dtaillants variait de 35% 42% dans les annes prc- dant labandon du prix unique du livre au Royaume-Uni. On peut estimer quen 1996, lorsque les grandes surfaces et les grandes chanes ont commenc offrir des rabais aux consommateurs, la moyenne de la marge tait de 45%. Selon la Publishers Association, cette moyenne a atteint 58,2% en 2006, elle a grimp 60,4% en 2008 et 62,5% en 201236 . 35. Les commentaires accompagnant les tableaux sont tirs du texte de Francis Fi- shwick intitul volution du march britannique du livre depuis la fin du prix unique, juillet2013. Le texte complet apparat en annexe. 36. Publishers Association: Yearbook (annuaire), Annexe 4. En combinant les donnes sur la marge brute en 2008 avec laugmentation du prix et celui des rabais moyens offerts par les dtaillants aux consommateurs, on peut alors esti- mer quelle a t la hausse du prix net pay par le consom- mateur depuis labandon du prix unique en 1995. Ainsi, le prix de lditeur a augment au cours de cette priode de 29% (indiqu dans le graphique), et la marge brute cde aux entreprises en aval a atteint 60,4%, ce qui implique une hausse du prix conseill de 79%. Le rabais moyen des dtaillants tant de 21,9%; le calcul indique donc une hausse moyenne dans le prix pay par les consommateurs de 40%, ce que confirment les donnes apparaissant dans le graphique. Du mme calcul, on peut dduire que de 1996 2008 le revenu par livre des entreprises en aval de lditeur, aprs la dduction des remises aux clients ultimes, a augment de 55%. cause de conditions conomiques moins favorables (crise conomique majeure), de 2008 2012, le prix moyen du livre na augment que de 0,6% (avec une baisse prononce en 2012), tandis que le cot de vie gnral sest accru de 13,4%. Sources: Prix de dtail 1996-2012: ONS, Prix ex-diteur ou net diteur 1996-2009 ONS et Publishers Association. Prix ex-diteur et prix de dtail (indices 1996 = 100) 150 145 140 135 130 125 120 115 110 105 100 1996 1996=100 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 Prix factur par diteur Prix de dtail Indice gnrale de prix. de consommation 19. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 19 Dans les 15 annes qui ont suivi la fin du prix unique du livre au Royaume-Uni, la hausse du prix du livre a large- ment excd les hausses correspondantes en France et en Allemagne, 2 pays de tailles similaires qui ont maintenu le prix unique. De plus, dans la priode 1996-2012, laug- mentation du prix du livre entre les annes successives a t plus leve que linflation gnrale nationale au cours de 4 annes sur 16 en France, de 5 annes sur 16 en Allemagne, mais de 12 annes sur 16 au Royaume-Uni. Les rabais sur les livres font dailleurs lobjet de plus en plus de scepticisme de la part des consommateurs britanniques qui ny voient, dans bien des cas, que des manuvres de marketing bien orchestres pour attirer leur attention. The Guardian37 rvlait la fin de 2012 les rsultats dune tude, mene par les consultants Simon-Kucher & Partners, sur les prix pratiqus par Amazon UK dans le domaine du livre. On peut y apprendre notamment que cette entreprise a amorc discrtement une rvision de ses prix la hausse, une politique de prix quelle cache derrire des rabais substantiels sur les 20 best-sellers les plus visibles. 37. Alison Flood, Amazon beaten on price for books outside 20 top bestsellers, The Guardian, 12dcembre 2012. Indices du prix du livre 1996-2012 (Eurostat) 150 145 140 135 130 125 120 115 110 105 100 1996 Indices1996=100 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 Royaume-Uni Allemagne France 20. 20 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 Plusieurs pays interdisent les guerres de prix sur la vente de livres. Le cas de la France nous est bien connu tant donn la proximit culturelle et politique que nous avons avec ce pays. La Loi sur le prix unique du livre, vote una- nimement par le Parlement, a t promulgue le 10aot 198138, 39 . Elle a instaur le systme du prix unique o chaque livre a un prix fix par lditeur ou par limporta- teur, et ce prix est impos tous les dtaillants. Cette Loi fait aujourdhui consensus chez les professionnels du livre en France et rares sont ceux qui souhaitent y mettre fin. Au fil des annes, les effets de la Loi ont t maintes fois tudis par les autorits gouvernementales franaises. La plus rcente tude de la question date de mars2009. Elle a t conduite la demande du prsident Nicolas Sarkozy et constitue une valuation exhaustive de la Loi. Lquipe de chercheurs multidisciplinaire dirige par le dput Herv Gaymard (UMP), trace un bilan incontestablement posi- tif de la Loi 40, 41 . Fait important dans le contexte actuel, depuis 2011, cette Loi sapplique aussi au livre numrique. 38. La Direction du livre et de la lecture du ministre de la Culture et des Communi- cations de France a publi une brochure intitule Prix du livre: mode demploi, qui rsume bien le rgime de prix rglement en vigueur en France. 39. En 1981, le ministre de la Culture de France, Jack Lang, dfinissait ainsi devant lAssemble nationale les objectifs de la Loi: Le prix unique du livre doit permettre: lgalit des citoyens devant le livre, qui sera vendu au mme prix sur tout le territoire national; le maintien dun rseau dcentralis trs dense de distribution, notamment dans les zones dfavorises; le soutien au pluralisme dans la cration et ldition en particulier pour les ouvrages difficiles. (Extrait de Prix du livre: mode demploi.) 40. Herv Gaymard, Situation du livre valuation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives, Conseil du livre, mars2009, 422 pages. 41. [] la Loi du 10aot 1981, relative au prix unique du livre, reste pertinente, y com- pris lre dInternet, et il serait imprudent de la rformer. Cest une vritable loi de dveloppement, la fois durable culturelle, conomique et territoriale, dont le bilan est positif. []Trente ans ou presque aprs son adoption, il tait indispensable de procder une valuation comparative, exhaustive et objective, en vitant lcueil de lidologie. Force est de constater que son objectif principal, permettre lgalit daccs des citoyens au livre, a t satisfait. Elle a permis de maintenir un rseau de diffusion et de distri- bution des livres diversifi sur lensemble du territoire, avec un rseau de plus de 3500 librairies indpendantes, sans tre un obstacle la monte en puissance de nouveaux ac- teurs (grandes surfaces culturelles spcialises et alimentaires, clubs de livres, ventes par Internet), alors mme que le prt de livres dans les bibliothques triplait dans la priode. Elle a permis la vitalit et la diversit de ldition, avec notamment la cration de nou- velles entreprises innovantes et ractives, indispensables au paysage ditorial franais. Le march du livre a progress en moyenne de 3% par an, le nombre dexemplaires ven- dus a progress de 50% de 1986 2007, 595000 titres sont aujourdhui disponibles. Contrairement une ide reue, cette Loi na pas eu deffets inflationnistes. Lvolution de lindice global des prix du livre, disponible depuis 1990, est trs instructive: hausse du prix relatif jusquen 1994, stabilit de 1995 1999, baisse ininterrompue depuis 2000. Le livre a donc plutt moins augment long terme que les autres biens et ser- vices. Et il nest pas plus cher en France qu ltranger. Il ny a donc pas de corrlation entre le rgime des prix et le niveau des prix. (Rapport Gaymard, p.14-15.) La Loi franaise comporte notamment une clause dextra- territorialit couvrant les sites trangers vendant en France. Mais il y a aussi plusieurs autres pays, sur trois continents (Europe, Asie, Amrique), qui ont des systmes de prix fixe, et des dmarches sont en cours dans dautres pays42 . En fait, une grande partie des pays membres de lOCDE rglementent le prix de vente des livres ou sont en processus dadoption dune rglementation. Selon le dput Herv Gaymard, les pays qui ont mis en place rcemment un systme de rgulation des prix des livres (Argentine, Core du Sud, Mexique) lont fait le plus souvent avec comme objectif principal de mettre fin une guerre des prix ainsi qu des rabais entranant une forte dstabilisation pour lensemble du secteur43 . En ce qui concerne le Mexique, les autorits gouvernemen- tales ont implant un prix unique du livre, entre autres, pour soutenir le dveloppement de leur dition nationale devant les importations espagnoles. Si les systmes de prix fixe existant dans ces pays poursuivent des objectifs similaires de maintien de la diversit ditoriale et daccs cette diversit, notamment par le renforcement du rseau de diffusion diversifi, les dispositions pratiques peuvent varier dun pays lautre. La dure minimale dap- plication du prix fixe est variable selon les pays, tout comme le rabais autoris au dtail44 . De plus, linstar de la France, 42. En plus de la France, des systmes de prix fixe sont en vigueur en Allemagne, en Argen- tine, en Autriche, en Core du Sud, en Espagne, en Grce, en Hongrie, en Italie, au Japon, au Mexique, en Norvge, aux Pays-Bas, au Portugal et en Isral. Ces systmes relvent trs majoritairement dune disposition lgislative, puisque seuls deux dentre eux (ceux de la Hongrie et de la Norvge) sappuient encore aujourdhui sur des accords interprofession- nels. Des discussions srieuses sont en cours au Brsil, en Isral et en Pologne. 43. Pour ceux qui lisent lespagnol, un site Web trs toff est consacr la loi mexi- caine du prix unique, ses motifs et ses paramtres dapplication: www.leydellibro. org.mx/nudelman.shtml (Sobre la Ley de Fomento para la Lectura y el Libro). 44. La dure minimale dapplication du prix fixe est trs variable selon les pays: de 6 mois en Hongrie (avec toutefois la possibilit pour lditeur de prolonger cette dure) 24mois pour lEspagne ou le Japon, 12 mois pour les Pays-Bas, 18 mois pour le Portugal ou encore 20 mois pour lItalie. Le rabais maximum autoris au dtail (hors collectivit) est le plus souvent de 5% (labsence totale de possibilit de rabais ne semble pas exister); il peut cependant slever jusqu 10% (Hongrie et Portugal) ou 15% (Italie). Le dlai de parution en club peut galement varier dun pays lautre (quatre mois en Allemagne, neuf mois en France). Le nombre de drogations au principe du prix fixe peut varier selon les systmes. Les ouvrages scolaires et les achats des collectivits publiques, notam- ment pour leurs bibliothques, constituent dans la majorit des pays des exceptions au prix unique. Dans certains cas (Autriche, Hongrie et Italie), le principe du prix fixe ne sapplique pas aux ventes ralises sur Internet. Des pays ont galement souhait que des rabais plus importants soient autoriss pour les achats raliss lors de foires ou de manifestations autour du livre (Espagne, Italie, Japon, Portugal). 4.Une solution qui fait lobjet dun large consensus au sein du domaine du livre qubcois 21. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 21 certains pays tendent dsormais au livre numrique leur lgislation sur le prix fixe. Cest le cas notamment de lAlle- magne, lEspagne, le Pays-Bas et la Norvge45 . La mise en uvre dun prix fixe sur le livre a un impact direct sur la vitalit du secteur de la librairie. Les pays qui ont choisi de rglementer le prix des livres permettent lexis- tence de plus de librairies sur leur territoire, comme nous le montre ce tableau. Labandon du Net Book Agreement au Royaume-Uni en 1995 a beaucoup affaibli le secteur de la librairie et entran des fermetures massives. On ny trouve maintenant quune librairie pour 61000 habitants. Le caractre supposment inflationniste du prix fixe est totalement infond. Au cours de la dcennie 1997-2007 en Europe, lvolution de lindice du prix des livres a t 45. OCDE, Working Party on the Information Economy, E-Books: Developments and Policy Considerations, dcembre2011. infrieure celle de lindice gnral des prix la consom- mation dans 50% des pays prix fixe tudis dans le rap- port Gaymard (Allemagne, Autriche, Espagne, France et Grce46 ). Quant aux autres 50%, dans 2 de ces pays (Italie et Pays-Bas), lindice du prix des livres suit lvolution de lindice gnral. En revanche, lindice du prix des livres est tout au long de la priode globalement suprieur lin- dice gnral pour trois de ces pays (Hongrie, Norvge et Portugal). linverse, on observe dans la plupart des pays europens prix libre une volution de lindice des prix du livre suprieure celle de lindice gnral des prix la consommation (Belgique, Danemark, Pologne, Royaume- Uni, Sude), lexception de lIrlande47 . 46.Eurostat, Indices de prix la consommation harmoniss. Ces indices sont calculs sur la base des prix effectifs dachat par les consommateurs pour un panier douvrages reprsentatif constant. Herv GAYMARD, op. cit, note 52 p.78. 47. Herv GAYMARD, op. cit., note 52, p.78. Estimation du nombre de librairies par habitant France Espagne Royaume-Uni Pays-Bas Superficie (km2 ) 552000 506000 242000 41540 Nombre dhabitants (en millions) 65,8 46,8 63,2 16,8 Nombre dhabitants par librairie 22000 33000 61000 11000 Source: MOSCOVITZ, Ccile et WISCHENBART, Rdiger, op. cit, p.10. volution des prix des livres par rapport lindice des prix la consommation (IPC) de 1997 2007 Prix rglement Infrieur lIPC quivalant lIPC Suprieur lIPC Allemagne Oui X Autriche Oui X Espagne Oui X France Oui X Grce Oui X Italie Oui X Pays-Bas Oui X Hongrie Oui X Norvge Oui X Portugal Oui X Irlande Non X Belgique Non X Danemark Non X Pologne Non X Royaume-Uni Non X Source: Eurostat, Indices des prix la consommation harmoniss (IPCH) cits dans Gaymard, op. cit., p 78. 22. 22 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 Par ailleurs, il est intressant de savoir que lexprience inter- nationale dmontre que, dans tous les pays o il y a un prix rglement, les grandes surfaces sont demeures actives dans le commerce du livre. En France, la suite de ladoption de la Loi sur le prix unique, les grandes surfaces ont dabord protest avant de sy adapter et mme dy trouver leur compte. Actuellement, les grandes surfaces non spcialises occupent 21,4% (2010) du march de la vente de livres48 . Les grandes surfaces, ne pouvant plus concurrencer le prix de vente des best-sellers, se sont repositionnes en offrant plus de diversit, certaines allant jusqu crer des espaces librairies lintrieur de leurs magasins. Ladaptation des grandes surfaces au rgime de prix fixe se vrifie sur dautres marchs, mme trs diffrents de celui de la France. Par exemple, au Japon, quatre des six plus importants dtail- lants de livres ne sont pas des librairies49 ; ils se sont taills une place non par une guerre de prix violente, mais plutt en offrant notamment une qualit de service la clientle digne de la socit nipponne. Du point de vue du Qubec, le cas du Mexique est particulirement instructif. Ce pays est membre de lALENA, comme le ntre, mais surtout, ce sont 48. Direction du livre et de la lecture, Le secteur du livre: Chiffres-cls. 49. Tir de The Book Market of Japan, une prsentation faite la Foire du livre de Francfort en octobre2009 par Seiichi Higuchi (Japan Book Publishers Associa- tion). Document disponible http://www.jbpa.or.jp/en/pdf/bookmarket.pdf les mmes grandes surfaces qui y sont actives. Au Mexique, Walmart et Costco se sont adapts la rglementation, ont maintenu leurs rayons de livres intacts et offrent des rabais dans les limites de la rglementation. Peut-on imaginer que ces entreprises feraient autrement au Qubec, advenant la mise en uvre dune rglementation? En mai2011, les associations professionnelles membres de la Table de concertation se sont prononces pour la mise en place rapide dune rglementation du prix de vente des nouveauts au Qubec. Cette prise de position unanime tait le fruit de plus dune anne et demie de consultations et dchanges entre les professionnels du domaine du livre. Le consensus porte sur la ncessit dune telle rglementa- tion. Il porte aussi sur les principaux paramtres de cette rglementation, savoir sa dure dapplication et le rabais maximal autoris au cours de cette priode. Ces paramtres sont les suivants: au cours des 9 mois suivant la parution dun livre, les commerants pourront offrir leurs clients un rabais maximal de 10% sur le prix de vente suggr. Aprs ces neuf mois, aucune restriction ne viendra plus empcher quelque rabais que ce soit. Ces paramtres ont t tablis entre les associations et proposent un modle de rglementation relativement peu contraignant (10%, 9 mois), rpondant aux besoins des diffrents secteurs du domaine du livre et adapt la ralit du Qubec. 23. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 23 Prserver lavenir culturel des Qubcois Lindustrie qubcoise du livre a connu de grands succs au cours des 30 dernires annes en matire de volume daffaires, de cration demplois, de reconnaissance de nos crateurs. Le livre est la plus grande industrie culturelle qubcoise, et les lecteurs dici ont maintenant accs une grande diversit ditoriale. Lobjectif de la rglementation propose est de maintenir les conditions ncessaires per- mettant ces succs. Personne ne regrette la mise en uvre de la Loi 51 en 1981. Il sagissait alors dun geste lgislatif audacieux qui a beaucoup servi les intrts des Qubcois, des crivains et des artisans du domaine du livre. Un peu plus de trois dcennies plus tard, le Qubec peut nouveau faire un geste fort et porteur davenir. Il y a urgence dagir, car, au cours des dernires annes, les conditions se sont dgrades. Mais ce nest quun dbut. Les guerres de prix sur la vente des best-sellers ne font que commencer au Qubec, et nous nous dirigeons rapidement vers des guerres beaucoup plus intenses, comme celles qui sont en train de littralement anantir les rseaux de diffu- sion du livre dans tous les pays anglo-saxons. Noublions pas que le modle actuel au Qubec est calqu sur le modle anglo-saxon. Lintention du milieu du livre est dinterve- nir maintenant pour viter la destruction annonce dune partie essentielle du rseau de revente des livres au Qubec, donc dune partie importante de la cration et de ldition qubcoises. Prserver un secteur dactivit aussi important pour lavenir de notre pays et la place du franais, source demplois et de cration culturelle dun apport incontestable lensemble de la socit, nest pas un luxe, mais un devoir. Conclusion 24. Annexes 25. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 25 PRIX RGLEMENT DU LIVRE AU QUBEC Foire aux questions (FAQ) 1. Que reprsente le secteur du livre au Qubec? Plus de 11000 emplois directs. Un chiffre daffaires annuel de prs de 700M $. Une production denviron 5000 titres par anne: littrature, livres jeunesse, sciences, guides pratiques, ducation, beaux-livres, etc. Cela en fait la premire industrie culturelle qub- coise, une composante essentielle de notre identit et le vhicule de notre culture partout dans le monde. 2. Pourquoi rglementer le prix de vente des livres? Pour viter quun oligopole de trois ou quatre entre- prises (ventuellement toutes amricaines) remplace lactuel rseau de vente (un rseau dcentralis, com- pos surtout de librairies, ce qui favorise la diversit ditoriale). 3. Quelles seraient les consquences de limplantation de cet oligopole au Qubec? Les gants du secteur du livre pourraient alors dicter: les conditions commerciales imposes aux diteurs et aux auteurs; les choix ditoriaux, en limitant la commercialisation aux best-sellers assurs, ce quientraverait la relve et les succs de demain, enparticulier la production qubcoise; les prix de vente aux consommateurs. 4. Comment cet oligopole pourrait-il stablirauQubec? La pression cre par les magasins grande surface, qui se servent des livres comme produits dappel (loss leaders), et par les sites Web, qui les vendent perte pour sempa- rer du march, puiserait progressivement les librairies, les forant disparatre. Dj enclench, ce processus a dailleurs men quatre librairies qubcoises la faillite lautomne dernier. Les gants de lindustrie pourraient alors imposer leur volont et leurs prix, au dtriment de lintrt collectif et de toute considration culturelle. 5. Que fait-on ailleurs dans le monde pourcontrercephnomne? La majorit des pays de lOCDE ont lgifr, ou sont en voie de le faire, pour empcher les guerres de prix et ainsi permettre aux librairies de rester concurrentielles et de jouer leur rle de vecteur de savoir et de culture. 6. Comment labsence de rglementation du prix desnouveauts menace-t-elle les librairies? Les guerres de prix ont entran la disparition de mil- liers de librairies en Grande-Bretagne, en Irlande, aux tats-Unis et en Australie. Dans ce pays, mme des villes de taille importante (Greater Dandenong: 140000 habitants) nont plus aucune librairie. Combien le Qubec compte-t-il de villes aussi peu- ples? Seulement sept: Montral, Qubec, Laval, Gatineau, Longueuil, Sherbrooke et Saguenay. Aux tats-Unis, Barnes & Noble, la plus grande chane, nest plus rentable, mme aprs la faillite de Borders, la deuxime en importance, cause de la concurrence du trio Walmart, Costco et Amazon. 7. Pourquoi sinquiter de la disparition possible deslibrairies puisque dautres types de commerces continueraient de vendre des livres? Une librairie offre gnralement de 20000 50000 titres reprsentatifs de la culture et du savoir, alors que les magasins grande surface nen proposent que de 200 300. La rduction du nombre de produits est dailleurs au centre de leur stratgie. Sil ne restait que les magasins grande surface, seules les traductions des best-sellers amricains subsisteraient. Ldition qu- bcoise serait la premire coper, et tout un pan de notre culture disparatrait. 8. Pourquoi est-il urgent dagir? Alors que la situation des librairies est dj prcaire, Target sefforce rapidement de faire sa place au Qubec et nhsitera pas mener une guerre de prix ses concurrents Walmart et Costco. Pour sa part, Amazon sintresse aux petits marchs secondaires comme le ntre, et lon peut sattendre ce quelle rplique de sa stratgie prouve sur les marchs non rglemen- ts: vendre perte pour semparer du march, puis relever le prix moyen de lensemble des titres, sauf de quelques dizaines dentre eux. Annexe 1 26. 26 ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 9. Est-ce compliqu de rglementer le prix de vente des livres? Plusieurs pays lont dj fait (Allemagne, Argentine, Autriche, Core du Sud, Espagne, France, Grce, Hongrie, Isral, Italie, Japon, Portugal, Mexique, Norvge, Pays-Bas), et la Pologne et le Brsil sont en voie de le faire. Notons que la loi argentine tient en une page. 10. Le sujet est-il polmique? Les cas rcents dmontrent quil sagit de projets de loi consensuels: en Isral, cest le gouvernement de coalition de Benyamin Netanyahou qui a fait adop- ter le sien en premire lecture lautomne dernier. Au Mexique, la chambre lgislative a approuv la rgle- mentation 88,7% et le Snat la entrine 93,9%. 11. Comment la socit qubcoise bnficierait-elle de la rglementation? Cette mesure permettrait datteindre les objectifs suivants: Maintenir laccs des lecteurs de toutes les rgions un large ventail de livres grce au rseau des libraires, qui offrent bien plus que les seuls best- sellers du moment. Maintenir les conditions ncessaires au dveloppement et au rayonnement de la littrature qubcoise. La librairie offre de la visibilit aux crivains qubcois, dont seule une fraction des livres se retrouve sur les tagres des magasins grande surface. De plus, elle favorise la relve et laprennit de notre culture. Maintenir des commerces de proximit qui contribuent au dynamisme culturel dans les rgions et les quartiers des centres urbains, les libraires tant des lieux de dcouvertes qui valorisent les livres, la culture et la connaissance. Stabiliser le prix des livres en vitant quun oligopole dentreprises trangres, guid par des considrations conomiques court terme, ne sempare de ce commerce. Maintenir une industrie qui emploie 11000 personnes au Qubec et gnre prs de 800millions de dollars annuellement. 12. Quel est le modle de rglementation propos? Les membres de la Table de concertation du livre pro- posent ce qui suit: un rabais maximal de 10% sur le prix dune nouveaut dans les 9 mois suivant sa publication; lautorisation doffrir tout autre rabais par la suite. Les modles que la quinzaine de grands pays industria- liss ayant rglement le prix des livres ont choisis sont plus ou moins contraignants. Pour sa part, la rglemen- tation qubcoise ne sappliquerait quaux nouveauts et autoriserait mme des rabais allant jusqu 10% sur ces titres, assurant ainsi beaucoup de souplesse. 13. Les lecteurs qubcois paieraient-ils leurs livres plus cher? Non. Lexprience internationale est formelle: les lec- teurs ne paient pas, en moyenne, leurs livres plus cher. De nombreuses tudes conomiques menes dans plusieurs pays ont dmontr que les rglementations nont pas eu pour effet daugmenter le prix des livres. Par contre, des tudes ralises en Grande-Bretagne ont rvl que labandon du prix rglement au milieu des annes 1990 a eu comme effet de faire augmenter le prix des livres plus vite que linflation. Aussi, durant cette mme priode, le prix des livres a augment plus rapidement en Grande-Bretagne quen Allemagne et en France, o ce commerce est rglement. retenir: de 1996 2007, suivant labandon du Net Book Agreement, il y a eu 61% plus dinflation sur les livres en Grande-Bretagne que sur les autres biens de consommation. 14. Quel serait leffet sur laccessibilit aux livres? Il est faux de croire que labandon de rabais sur la vente des nouveauts nuirait laccessibilit aux livres ou pourrait avoir un effet ngatif sur lalphabtisation des Qubcois. Pourquoi? Lexprience internationale et les tudes dmontrent que les rabais sont souvent des leurres puisquils sont accompagns dune augmentation du prix suggr des livres. Comparativement dautres divertissements, le livre est objectivement peu cher, et son prix moyen a trs peu augment depuis 20 ans. De plus, lachat de livres ne reprsente quune infime partie du budget moyen des familles qubcoises, alors que lencadrement des prix ne vise que les nouveauts. La rglementation ne peut donc pas avoir beaucoup de consquences sur le pouvoir dachat des consommateurs. 27. ADELF Commission parlementaire 17 septembre 2013 27 Les bibliothques publiques garantissent dj tous les citoyens un accs universel et gratuit aux livres. Les Qubcois profitent de 812 bibliothques publiques, offrant plus de 1000 points de service, sans compter les bibliothques des tablissements denseignement. Laccessibilit conomique au livre est donc un faux dbat! La lutte contre lanalphabtisme est un enjeu srieux au Qubec. Il a t maintes fois dmontr que la famille et lcole sont les principaux vecteurs de la transmission du plaisir de lire. Ainsi, les interventions gouvernementales pour valoriser la lecture lcole sont certainement les meilleurs investissements que lon puisse faire. 15. Les magasins grande surface cesseront-ils de vendre des livres si une rglementation limite lesguerres de prix sur les nouveauts? Le modle de rglementation propos serait peu contraignant, sappliquant uniquement aux nouveau- ts et nliminant pas la possibilit doffrir des rabais: au cours des 9 mois suivant la publication dun livre, le rabais offert serait limit 10% du prix de vente suggr, mais tous les rabais seraient autoriss aprs cette priode. Cette rglementation permettrait donc aux magasins grande surface de sadapter. Dans tous les pays qui rglementent les prix, les grandes surfaces continuent de vendre des livres. En France, suivant ladoption de la Loi sur le prix unique en 1981, elles ont protest avant de sadapter et mme dy trouver l