Prix de la viande, les marges de la distribution au menu
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Pneus, fumier et parpaings
bloquent l’entrée de l’hyper-
marché Carrefour Saint-Serge,
près d’Angers, ce vendredi 5 octobre.
« Les producteurs sont dos au mur, la
grande distribution au pied du mur »,
proclame une banderole. Confron-
tés à la hausse de leurs charges, les
éleveurs des Pays de Loire et de
Bretagne enchaînent les opéra-
tions « commando » depuis la fin
septembre. Les syndicats d’agri -
culteurs du Maine-et-Loire n’ont
pas l’intention de fléchir : « Nous
effectuons des blocages de super-
marchés tous les week-ends. Lorsque
l’on contacte les sièges pour négocier,
la plupart acceptent de discuter avant
même le début des opérations », relate
Jean-Marc Lézé, président de la
Fédération départementale des
syndicats d’exploitants agricoles
(FDSEA) du Maine-et-Loire.
L’objectif des éleveurs : obtenir des
grandes enseignes de distribution
une renégociation des prix de
vente, comme le prévoyait un
accord signé par toutes les parties,
le 3 mai 2011, en cas de flambée
des matières premières. Pour la
FNSEA, les seuils d’alerte tels que
définis dans cet accord sont dé -
passés depuis le mois de juillet.
« Cet accord, conclu sous l’égide du
précédent ministre de l’Agriculture,
Bruno Le Maire, n’a, pour ainsi dire,
jamais été appliqué, abonde Guy
Vasseur, président de l’Assemblée
permanente des chambres d’agri-
culture (Apca). Il faut se remettre
autour de la table, sous la responsa -
bi lité des pouvoirs publics, puisque
c’est sous leur responsabilité que cet
accord a été signé. »
Pour les éleveurs, les données du
problème sont simples : les aliments
de base des animaux d’élevage,
composés essentiellement de cé ré -
ales et de soja, représentent environ
60 % du coût de production de la
viande. Or, depuis un an, les cours
des matières premières ont litté -
ralement flambé sur les marchés
internationaux : +23 % pour le
maïs en octobre sur un an glissant,
+43 % pour le blé, +32 % pour
le soja. Et, sur la même période,
le prix de vente de la viande, lui,
n’a pas suivi la même tendance :
le prix de la boucherie en rayons
dans les grandes et moyennes sur-
faces (GMS) a progressé de 5,4 %.
Celui de la volaille en libre-service
de 0,05 %.
Afin de préserver leurs revenus, les
éleveurs réclament que les prix de
vente au détail soient relevés, afin
qu’eux-mêmes puissent vendre
plus cher aux abattoirs et autres
intermédiaires (entreprises laitières,
transformateurs, salaisonniers pour
le porc), sans que ceux-ci aient à
rogner sur leurs marges. « En faisant
cette action, on a donné un coup
de main aux transformateurs pour
qu’ils puissent augmenter leurs prix
d’achat. Eux ont plus de difficultés
que nous à discuter de façon ferme
avec la distribution car ils prennent
le risque de se faire déréférencer »,
souligne Jean-Marc Lézé.
Une situation d’étranglementLa filière porcine est en situation
critique. Le prix de la viande en
rayons a certes légèrement aug-
menté ces derniers mois, mais
pas suffisamment pour compenser
les hausses de coûts de produc-
tion, affirment les représentants
d’éle veurs. « Il faudrait une hausse
d’au moins 15 à 20 centimes le kilo
pour retrouver un minimum de ren -
tabilité », estime la Coordination
rurale (CR), un syndicat agricole
indépendant.
Mais c’est sur la volaille que la
pression est la plus forte. Ce que
réclament les éleveurs : « 16 % de
hausse, soit quelque 10 centimes du
kilo pour absorber la hausse des ali-
ments volaillers ces derniers mois »,
précise M. Lézé. Mais « la grande
dis tribution refuse de passer les aug-
mentations nécessaires vis-à-vis de
la transformation. Pire, en novembre,
il y a eu une baisse du prix d’achat
de la volaille, qui ne s’explique pas
et qui est injustifiable », s’alarme
Guy Vasseur.
Affectés par la hausse des matières
premières mais aussi par la concur-
rence étrangère, les éleveurs
porcins et les volaillers sont de
plus en plus nombreux à jeter
l’éponge. Résultat : la production
française est en recul. Les volumes
de porc « made in France »
devraient baisser de 3 % cette
année et de 5 % à 6 % en 2013,
affirme la Fédération nationale
porcine (FNP). La production de
volaille s’est quant à elle stabilisée
au premier semestre mais les éle -
veurs s’inquiètent de l’augmenta-
tion des importations de poulet
(lire encadré), tandis que la pro -
duction nationale d’œufs et de
pintades recule inexorablement.
Guy Vasseur, qui représente les
chambres d’agricultures, se dit très
pessimiste : « Les marges sont faibles,
les éleveurs n’investissent plus. C’est
une situation d’étranglement. Pour
nous les choses sont claires : si la
pression est trop forte, ils vont dis-
paraître. » Dans un communiqué
du 29 octobre, le Syndicat natio -
nal de l’industrie de la nutrition
animale (Snia) adopte le même ton
catastrophiste : « Un pan entier de
l’économie est en train de se fissurer
et menace de s’écrouler, entraînant
avec lui la disparition de dizaines de
milliers d’emplois et la dévitalisation
des campagnes françaises. »
L’organisation professionnelle
s’inquiète en particulier d’une
augmentation des retards de
paiements qui grèvent les comptes
Prix de la viande : les marges de la d
4 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 456, MERCREDI 21 NOVEMBRE 2012
Dossier
Facteur aggravant pour les
volaillers français, notre
poulet national est désormais
fortement concurrencé par les
poulets européens, principale-
ment allemands, belges ou hol-
landais. Dans une note datée
de septembre 2012 de l’Agreste,
le service des statistiques du
minis tère de l’Agriculture, de
l’Agro alimentaire et de la Forêt,
on apprend que « l’excédent des
échanges de viande de poulet de la
France ne cesse de diminuer depuis
2000 ». Entre 2000 et 2011, cet
excédent a été divisé par quatre.
C’est un fait, aujourd’hui, « un
quart des poulets de chair consom-
més en France est importé », résume
Thierry Pouch, économiste de
l’Apca. Et c’est avec nos voisins
euro péens que notre situation se
dégrade le plus : « Sur son marché
intérieur, la France est concurrencée
par la Belgique, les Pays-Bas et l’Alle-
magne, qui représentent 69 % des
importations de viande de poulet »,
précise l’Agreste. Le poulet bleu-
blanc-rouge peut-il relever la tête ?
Depuis 1997, l’appétit des Fran -
çais pour le poulet est resté au
beau fixe, autour de 1,5 million
de tonnes. Mais durant la même
période, la production hexa gonale
s’est contractée, passant de 2,2 à
1,8 million de tonnes par an.
Une nouvelle flambée des prix des céréales étrangle les éleveurs, qui réclament une hausse desprix de la viande. Un an et demi après un premier accord entre représentants de la distribution,de l’élevage et de la transformation, le gouvernement remet le couvert avec les mêmes invités,ce 21 novembre. Par Tatiana Kalouguine
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Le poulet français bat de l’aile
des éleveurs. « En production porcine,
ces retards représenteraient 10 % du
chiffre d’affaires des fabricants à fin
octobre 2012 », observe le Snia,pour qui 35 % des encours chez les éleveurs sont « particulièrement
préoccupants ».
Retour à la tabledes négociationsMontrée du doigt, la distribution estmoins diserte sur ces questions.Serge Papin, président de Système U,n’est cependant pas prêt à endosserle rôle du bouc émissaire. « Si cette
revendication est justifiée, il faut en
discuter, concède-t-il. L’augmentation
des cours des céréales représente for -
cément un coût à répercuter, et je
tiens à préciser que Système U a été
la seule enseigne à augmenter les prix
de la volaille cet été. »
Toutes les chaînes d’hypers n’ontpourtant pas réagi de la mêmefaçon depuis le début de la grogne,au printemps dernier. « Certaines ont
montré un esprit d’ouverture, mais
d’autres, comme Leclerc, ne mettent
en avant que le pouvoir d’achat des
consommateurs, sans prendre en
compte la situation des producteurs.
Ils se comportent en cow-boys ! »
s’énerve Guy Vasseur. Contactéepar la rédaction de l’Hémicycle, ladirection de Leclerc n’a pas donnésuite à nos demandes d’interview.Pour ces distributeurs réfractairesaux hausses de prix, il va pourtantfalloir se remettre à la table desnégociations. Un an et demi aprèsle premier accord infructueux, leministre de l’Agriculture, StéphaneLe Foll, a annoncé la tenue, ce21 no vembre, d’une table rondesur les relations commerciales entreproducteurs, transformateurs etdistributeurs. Avec pour objectifaffiché d’améliorer les relationscontrac tuelles dans les filières animales. « Franchement, en France,
il y a de quoi amé lio rer les choses »,
constatait le ministre le 4 octobre,lors du Sommet de l’éle vage à Clermont-Ferrand, comparant lespratiques françaises et euro -péennes.Guillaume Garot, ministre déléguéchargé de l’Agroalimentaire, se dit lui aussi favorable à une remiseà plat de l’accord de 2011 : « Cet
accord n’est pas satisfaisant, car
incomplet. Il ne fixe aucun terme
à la négociation », déclarait-il enoctobre dans l’Usine Nouvelle.
Mais l’annonce d’une nouvelle réu-nion laisse déjà certains sceptiques.Débouchera-t-elle cette fois sur desengagements contractuels ? « Il y a
déjà un accord, il faudrait commencer
par l’appliquer, objecte Guy Vasseur.La loi de modernisation de l’économie
n’a rien changé des rapports entre
les producteurs, transformateurs et
distributeurs. Nous attendons des
pouvoirs publics qu’ils fassent res -
pecter un équilibre entre les trois
acteurs et qu’il n’y en ait pas un
qui écrase les autres. »
De nouvelles donnéessur les marges des GMSL’Observatoire de la formation desprix et des marges des produits ali-mentaires, créé par le ministère del’Agriculture et FranceAgriMer etdirigé par l’universitaire PhilippeChalmin, démontrait dans son pre-mier rapport annuel, en juin 2011,un très clair basculement du rap-port de force en faveur des distri -buteurs au cours de la période 1998-2011. L’auteur notait en particulier« une augmentation de 6 points de la
part de la marge brute agrégée [de latransformation à la distribution,NDLR] et une réduction équivalente
de la part de la matière première »,
dans la filière bovine. À partir dela mi-2010, la marge des GMS s’eststabilisée, quand celle des trans -formateurs a décru. Concernantles éleveurs de bovins, le rapportnotait « une nette diminution du
résultat courant avant impôts, liée à
une certaine stagnation des prix des
bovins alors que les charges d’élevage
(alimentation, autres consommations
intermédiaires) augmentent » depuis2002. Et concluait que « le supplé-
ment notable de recettes apporté par
les aides directes ne permet de couvrir
que partiellement la rémunération
du travail familial calculée sur la
base de 1,5 Smic ».
Dans son rapport remis le 13 no-vembre dernier, l’Observatoire démontre que la part de la valeurajoutée revenant à l’agriculturesur 100 euros de dépenses alimen-taires est de seulement 7,60 euroscontre 11 euros aux industriesagro alimentaires, et 21 euros auxdistributeurs. Si les enseignes dedistribution enregistrent des margesnettes négatives dans la boucherie,elles se rattrapent sur la charcu -terie et la volaille. Cette dernièreleur procurant une marge nette de 5,90 euros pour 100 euros dechiffre d’affaires, la plus élevée descinq étudiés. L’Observatoire estparvenu à décortiquer la forma-tion des prix pratiqués dans lesrayons des distributeurs, de lamarge brute à la marge nette, ense fondant sur les déclarations desept enseignes – Carrefour, Casino,Leclerc, Auchan, Intermarché,Système U, Cora – qui ont acceptéde partager leurs données : coûtd’achat des produits, frais de personnel, maintien des rayons,foncier…De quoi aller vers plus de transpa-rence, même si des améliorationspeuvent encore être apportées.
Vous voulez alerter le public
sur la « situation d’urgence » que
connaissent les éleveurs français.
Comment en est-on arrivé là ?
Pour la première fois, les sourcesprotéiques et énergétiques néces-saires à l’alimentation animale ontsimultanément vu leurs prix dou-bler en l’espace de quelques mois.C’est une situation inédite et dra-matique, et l’on peut comprendreque tous les opérateurs de la filière,des éleveurs jusqu’aux distributeurs,aient été surpris et déboussolés parcet ouragan que personne n’avait vu venir. C’est difficile à acceptermais c’est pourtant arrivé, et celadure. Il faut donc maintenant enprendre acte, car si l’on refuse deprendre en compte cette nouvelledonne, c’est la mort de l’élevage.
Comment pouvez-vous être
aussi affirmatif ?
Le Snia est idéalement placé pour
observer ce qui se passe. La produc-tion d’aliments composés pouranimaux est un excellent indica-teur de la bonne santé de l’élevaged’un pays. Depuis toujours, laFrance était le premier producteurd’aliments composés pour ani-maux en Europe, ce qui reflétaitson leadership. Or, depuis dix ans,nous constatons chaque annéeun recul de nos ventes d’aliments(-15 % sur la période). Et voilà que,il y a deux ans, nous avons perdunotre leadership au profit de l’Alle-magne. De l’autre côté du Rhin lacroissance est là, et la productionde produits carnés augmente.
Ce déclin est-il le résultat
d’une perte de compétitivité ?
Tout à fait. L’élevage français est néd’une forte demande intérieure,mais parallèlement nos produc-teurs en avaient profité pour sedévelopper à l’export. Or, depuis
quelques années, la tendance s’estcomplètement inversée. Les éle-vages ne se créent plus, voiredisparaissent. La consommationfrançaise reste forte mais on im -porte de plus en plus de viande.Plus grave : dans le monde, la consommation de viande explose– la FAO prévoit un doublement de la demande d’ici à 2050 –, et laFrance est en train de passer à côtéde ce marché alors qu’elle disposedu savoir-faire, de la géographie, duclimat et des infrastructures.
Quelles sont les conséquences
sur les entreprises de votre secteur,
la production d’alimentation
animale ?
La santé de notre professiondépend de celle des éleveurs, quisont nos clients. Nos prix dépendentà 80 % des cours fluctuants desmatières premières, nous n’avonsdonc quasiment aucune marge demanœuvre quand le prix du blédouble : nous n’avons pas d’autrechoix que de le répercuter sur leséleveurs. Donc, s’ils n’ont pas lesmoyens d’acheter nos produits,nous n’existons pas.
Dans un communiqué vous
réclamez « un plan d’aide massif »
pour les éleveurs. Qu’attendez-vous
concrètement du gouvernement ?
Pour que les éleveurs puissent vivrede leur métier il faut que les prixde vente augmentent et que le consommateur accepte une aug-mentation du prix des produitsd’élevage. Ceci est indispensable sil’on veut préserver l’agriculture etles emplois français. Cela engage lemonde de la distribution, mais aussiplus largement tous les citoyens.Il faut ensuite aider les éleveurs à restructurer leur exploitationpour rester compétitifs. Mais il estdevenu très difficile de se mettreaux normes car il y a beaucouptrop de freins administratifs etréglementaires. À titre d’exemple,lorsque l’on souhaite installer uneactivité, le déclenchement d’uneenquête publique se fait à partird’une surface de 400 mètres carrés.En Allemagne, ce seuil est cinq foisplus élevé. Il est donc urgent delever ces barrières qui rendent pré-caire et hasardeux le développe-ment des élevages et l’installationde jeunes agriculteurs.
NUMÉRO 456, MERCREDI 21 NOVEMBRE 2012 L’HÉMICYCLE 5
a distribution reviennent au menu
Dossier
« Le consommateur aussi doit
accepter une augmentation
du prix des produits de l’élevage »
ALAIN GUILLAUMEPRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIEDE LA NUTRITION ANIMALE (SNIA)
DR