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Julie WEIWER DEA mention Droit des Affaires Année 2003-2004 La charge de la preuve des actes anormaux de gestion Mémoire sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe Marchessou

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Julie WEIWER DEA mention Droit des Affaires Année 2003-2004

La charge de la preuve des actes anormaux de gestion

Mémoire sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe Marchessou

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PLAN : Partie 1 : La dévolution initiale de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion Chapitre 1 : Une pluralité de règles concernant la charge de la preuve des actes anormaux de gestion Chapitre 2 : L’apport jurisprudentiel concernant l’application de ces règles Partie 2 : Les éléments bouleversant la dévolution initiale de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion Chapitre 1 : Les incidents de procédure Chapitre 2 : Les relations particulières influençant la charge de la preuve des actes anormaux de gestion

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Liste des abréviations • art. article • BDCF Bulletin des conclusions fiscales • BF Bulletin Fiscal • BGFE Bulletin de gestion fiscale des entreprises • BIC Bénéfices industriels et commerciaux • CAA Cour administrative d’appel • cciv. Code civil • ccl. Conclusion • CDI Commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires • CE Conseil d’Etat • CGI Code Général des Impôts • Cie Compagnie • Dr. Fisc. Droit Fiscal • EDCE Etudes et documents du Conseil d’Etat • Gaz. Pal. Gazette du Palais • LPF Livre des Procédures Fiscales • p. page • PDG Président directeur général • plén. Plénière • préc. précité • Rep. Dedresnois Répertoire Defresnois • RJF Revue de Jurisprudence Fiscale • SA société anonyme • SARL société anonyme à responsabilité limitée • sect. section • sté société • TVA Taxe sur la valeur ajoutée

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Introduction :

Les actes anormaux de gestion concernent la vie des entreprises et y ont pris une part très importante. Les professionnels du droit se trouvent souvent confrontés à des soucis relatifs à de tels actes. Tout le jeu qui se met en place consiste alors à essayer de prouver soit l’existence de l’acte anormal de gestion si on se place du côté des services fiscaux, soit l’absence d’un tel acte si on se place du côté du contribuable concerné. Cependant le fait pour l’administration d’invoquer un acte anormal de gestion comme fondement d’un redressement implique que celle-ci se soit penchée sur la comptabilité du contribuable concerné. Or il existe un principe selon lequel l’administration n’est pas en droit de s’immiscer dans la gestion qui est faite par les contribuables : le principe de non-immixtion. Ainsi les dirigeants de l’entreprise sont les maîtres de sa gestion, ils en supportent le cas échéant la responsabilité. L’administration ne peut pas a posteriori analyser la gestion qui a été faite, même si celle-ci a été désastreuse1. A ce principe de non-immixtion de l’administration dans la gestion des entreprises correspond un principe de la liberté de gestion conféré aux entreprises. En effet, les dirigeants peuvent agir à leur guise quant au choix des méthodes de gestion mais aussi quant au choix de la forme d’exercice de la profession. Cette liberté de choix est inhérente au pouvoir de direction du chef d’entreprise, lequel doit pouvoir définir les objectifs de son exploitation mais aussi les moyens d’action. C’est pourquoi le Conseil d’Etat a jugé que « le contribuable n’est jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser »2. Cependant cette liberté de gestion des entreprises trouvent deux limites. La première tient à la morale des affaires. On considère que la normalité de la gestion est fondée sur l’existence d’un échange équilibré entre les parties, dans les relations commerciales. Mais une telle idée ne constitue plus la principale limite à la libre gestion des entreprises par leurs dirigeants. En effet, de façon prétorienne les juges ont admis une exception de taille au principe de non-immixtion de l’administration dans la gestion des entreprises qui est constituée par la théorie de l’acte anormal de gestion. Cette théorie a été mise en place afin de conjuguer l’idée de liberté dans la gestion qui est laissée à toute entreprise et l’exigence d’un contrôle d’un usage abusif que les entreprise peuvent en faire3. En effet, le fisc ne saurait admettre que du fait d’une gestion fantaisiste ou excessivement risquée, la matière imposable des entreprises s’envole. Ainsi cette théorie de l’acte anormal de gestion permet d’empêcher les évaporations fiscales rendues possibles par la liberté de gestion conférée à tout dirigeant. Issue d’une création prétorienne, cette théorie n’a aucun fondement légal précis mais elle peut être rattachée à plusieurs articles du CGI concernant la détermination du bénéfice imposable des entreprises. En effet, celui-ci est déterminé par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt4.

1Pour un exemple de diversification malheureuse opérée par un laboratoire pharmaceutique : CE 09.10.1991, RJF 1991, n°11, p.790 2 CE 07.07.1958, Dr. Fisc. 1958, n°44, comm. 938 3J.-P. Fradin, J.-B. Geffroy, Traité du droit fiscal de l’entreprise, PUF, 2003, p.813 4 Art. 38 al. 2 du CGI

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Par ailleurs un autre article de ce même code dispose que le bénéfice net est établi sous déduction de certaines charges5. Ainsi les juges du Conseil d’Etat fonde la théorie de l’acte anormal de gestion sur l’idée développée par le CGI selon laquelle certaines écritures sont exclues du calcul du bénéfice. Cette exclusion signifie qu’elles ne rentrent pas dans le cadre d’une gestion normale. Cependant cette théorie ne doit permettre en aucun cas à l’administration d’apprécier l’opportunité ou le bien-fondé des mesures prises par un chef d’entreprise pour sa gestion. Elle ne peut que constater que l’acte n’a pas été fait dans l’intérêt de l’entreprise concernée. Elle n’est pas en mesure d’émettre un jugement6 sur la gestion de l’entreprise. On est en présence d’un pouvoir donné à l’administration qui contrebalance la liberté de gestion des dirigeants. Dès lors l’administration ne peut s’immiscer dans la gestion des entreprises qu’en invoquant la présence d’un acte anormal de gestion. Du fait de l’importance de ce concept, il convient de bien le définir. L’acte anormal de gestion peut se définir comme « un acte qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise, ou qui prive cette dernière d’une recette, sans que l’acte soit justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale »7

Il convient en premier lieu de préciser que cette notion ne fait aucunement référence à une quelconque dissimulation ou violation d’une prescription fiscale. L’administration n’invoque pas ce qui pourrait s’apparenter à un abus de droit mais elle prétend que l’acte en question est contraire à l’intérêt de l’entreprise et ne lui est donc pas opposable pour le calcul de l’impôt. En deuxième lieu, il faut noter que c’est la notion d’intérêt de l’entreprise qui domine la discussion de l’existence ou non d’un acte anormal de gestion. Toute dépense effectuée soit au profit des dirigeants, soit au profit de tierces personnes est un acte anormal de gestion. En effet, l’acte est en quelque sorte présumé anormal lorsque l’avantage est consenti à une personne étrangère à l’entreprise8. Mais cette présomption joue aussi quand l’acte a été réalisé dans l’intérêt personnel des dirigeants9. Il convient en troisième lieu de préciser que la loi, elle-même, a posé en principe que certains actes réalisés par des entreprises constituent de facto des actes anormaux de gestion. Ce texte figurant dans le CGI10 exclut des frais qui par nature ne correspondent pas à la recherche de bénéfices qui est sensée animer toute entreprise. Ces dépenses constituent des actes anormaux de gestion dans le sens où elles sont exclues du calcul du bénéfice net, mais elles s’éloignent de notre étude car il n’y a aucune discussion possible à ce sujet quant à la qualification de la dépense. Elle constitue toujours un acte anormal de gestion. Aussi n’y a t-il pas de dialogue

5 Art. 39-1 du CGI 6 CE 20.12.1963, Dr. Fisc. 1964, n°13, doctr. : »… il n’appartient pas, en effet, à l’administration d’apprécier l’opportunité de l’équilibre financier d’une entreprise et de contester le bien-fondé d’emprunts…. » 7 Ccl. M. Poussière, sous CE 05.01.1965, Dr. Fisc. 1970, n°3 bis, p.23 8 Voir pour un exemple d’avantage à une personne tierce : CE 28.10.1985, Dr. Fisc. 1986, n°49, comm. 2148 9 Voir pour exemple, la prise en charge par l’entreprise de travaux pour la résidence personnelle du dirigeant : CE 20.01.1984, Dr. Fisc. 1984, n°49, comm. 2188 10 Art. 39-4 du CGI « … sont exclues des charges déductibles pour l’établissement de l’impôt, d’une part, les dépenses et charges de toute nature ayant un trait à l’exercice de la chasse ainsi qu’à l’exercice non professionnel de la pêche et, d’autre part, les charges, à l’exception de celles ayant un caractère social, résultant de l’achat, de la location ou de toute autre opération en vue d’obtenir la disposition des résidences de plaisance ou d’agrément, ainsi que l’entretien de ces résidences… »

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entre l’administration et le contribuable afin de déterminer si la dépense est ou non conforme à l’intérêt social. Par là même, il n’y a aucun problème de preuve et aucune discussion. Ainsi l’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui prive cette dernière d’une recette sans être justifié par l’intérêt de l’exploitation. Il se traduit par une absence de contrepartie11 ou un déséquilibre manifeste dans les rapports. L’origine de cette notion peut être recherchée dans la notion d’acte non conforme à l’intérêt social, dont la nullité peut être demandée au juge commercial. Selon J. Paillusseau, «… l’intérêt social apparaît comme l’une des notions fondamentales du droit des sociétés. La conformité des actes de gestion à l’intérêt social constitue, en effet, l’un des critères de validité de ces actes… »12. Une telle origine a été soutenue par certains auteurs mais reste critiquée en doctrine13. Cependant, si l’acte anormal de gestion est « le fruit de l’acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d’acte non conforme à l’intérêt social »14, il subsiste deux différences qui sont importantes, à savoir que seule l’administration peut invoquer l’existence d’un acte anormal de gestion et par ailleurs, elle peut le faire d’office. Ainsi lorsque l’administration, par le biais de ses vérificateurs fiscaux, relève l’existence d’un acte qui ne lui semble pas conforme à l’intérêt de l’entreprise, elle n’a pas besoin de recourir au juge, elle peut invoquer la théorie de l’acte anormal de gestion. Il n’est dès lors pas possible de mettre en relief la notion d’acte anormal de gestion sans évoquer la répression qui est faite par les services fiscaux et qui présente la particularité de concerner tant l’entreprise qui s’est rendue coupable de l’acte anormal que le bénéficiaire de cet acte. Le but de cette répression étant bien entendu de réparer le préjudice subi par le trésor du fait de la minoration de l’impôt dû. En effet, du point de vue de l’entreprise, la répression de l’acte contesté peut prendre dans un premier temps, la forme d’un refoulement des charges, considérées comme anormales, pour le calcul de l’impôt. Ce refoulement peut être total (quand la charge est considérée comme anormale dans son principe comme par exemple pour la prise en charge de travaux personnels du dirigeant) ou partiel ( quand la charge peut correspondre à une dépense normale pour l’entreprise mais qu’elle est excessive dans son montant). Mais dans un deuxième temps, l’acte anormal de gestion peut être constitué soit par une charge anormale engagée au profit de personnes tierces à l’entreprise mais aussi comme l’absence de contrepartie retirée d’une opération. Aussi la répression d’un tel acte peut aussi prendre la forme de la réintégration d’un manque à gagner. L’administration reproche alors à une entreprise d’avoir renoncé à un profit et taxe celle-ci d’un manque à gagner. Par définition, l’acte anormal de gestion est un acte qui procure un certain avantage à une personne autre que l’entreprise, il semble dès lors normal que cette personne soit, elle aussi, redressée au titre de l’acte anormal de gestion. Cette répression du bénéficiaire consiste à imposer l’avantage résultant pour lui de l’acte anormal de gestion. Cette imposition entraîne une double imposition, une première fois, chez

11 par exemple, un abandon de créances accordé par une entreprise à une autre 12 J. Paillusseau, « La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise », Sirey 1967, préface Y. Loussouarn, p.167 13 pour une opinion contraire : J. Shapira, « L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme », RTDcom 1971, p.970 14 P. Racine, ccl. sous CE 27.07.1984, RJF 1984, n°10, p.562

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l’entreprise coupable de l’acte, une seconde fois chez le bénéficiaire de l’acte. Les modalités de la taxation de cet avantage sont fonction de la catégorie d’impôt, dont relève le contribuable coupable. Ainsi lorsque l’entreprise est imposable dans la catégorie de l’impôt sur le revenu, l’avantage résultant de l’acte anormal des gestion est qualifié de revenu innommé, rattaché à la catégorie des bénéfices non commerciaux. Par contre si l’entreprise re lève de l’impôt sur les sociétés, l’imposition de l’avantage se fera dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. On peut constater que la répression des actes anormaux de gestion est particulièrement sévère, c’est pourquoi, la question de la preuve de ces actes présente une importance particulière en pratique. La répression, entraînant une double imposition de la somme correspondant à un avantage, constitue un enjeu important tant pour l’administration qui souhaite réparer le préjudice subi par le trésor que pour l’entreprise concernée qui reste tout de même libre de sa gestion et qui entend prouver qu’elle a agit au mieux de ses intérêts. Ainsi tout l’enjeu entourant l’acte anormal de gestion se situe au niveau de la preuve de celui-ci. Bien-sûr la preuve de ce que l’on avance reste dans tous les domaines juridiques une étape conséquente de la procédure qui tend à faire valoir ses droits. Cependant, il est des domaines où la réussite de la preuve joue un rôle plus ou moins important quant à la solution du litige. Les actes anormaux de gestion constituent une part très importante des redressements des entreprises. Aussi de par leur nombre la question touchant à leur preuve devient primordiale du fait de l’ampleur des conséquences possibles. Mais qu’est-ce qu’apporter la preuve d’un acte, d’un fait ? La preuve peut se définir comme la démonstration de l’existence d’un fait ou d’un acte dans les formes admises par la loi15. Face à une définition si large, on comprend bien pourquoi la question de la preuve touche tous les domaines du droit et pas seulement le droit fiscal. Toute personne se trouvant en litige, voir même seulement en relation juridique avec une autre personne, sera tenue d’apporter la preuve de ce qu’elle avance. Cette preuve pourra consister tant dans la preuve de sa qualité de propriétaire d’une chose que dans la preuve de l’existence d’un acte voir même la preuve du décès d’une personne quand il s’agit d’un héritage. Aussi, de prime abord, on peut se demander ce qui pousse à étudier le régime de la preuve en droit fiscal et plus particulièrement en ce qui concerne les actes anormaux de gestion. La réponse est simple : le droit fiscal présente certaines particularités en matière de preuve à tel point que certains auteurs y consacre une étude16. Le contentieux de l’imposition présente la caractéristique d’être partagé entre les juridictions de l’ordre administratif pour les impôts directs et les taxes sur le chiffre d’affaires, et les juridictions judiciaires pour les droits d’enregistrement et de timbre, l’impôt de solidarité sur la fortune ainsi que les contributions indirectes. Néanmoins, malgré cette dualité, les règles de preuve qui apparaissent sous la forme de principes interprétés par la jurisprudence, concernent les deux ordres de juridiction. Tous les domaines du droit fiscal connaissent les mêmes règles légales de preuve qui découlent de l’article 34 de la constitution qui considère que relèvent du domaine de la loi tout ce qui a trait au fait générateur, à la détermination des bases d’imposition et au taux de l’impôt mais aussi l’essentiel des règles régissant la procédure d’imposition. 15 G. Cornu, « Vocabulaire juridique », Puf 2003, 4e éd., p. 687 sous preuve 16 C. Lasry, « Une particularité du droit fiscal : la charge de la preuve », EDCE 1984-1985, p.71

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Mais face aux textes législatifs, la jurisprudence s’est accordée une place très importante. Tout en essayant de concilier le respect de la loi et les intérêts des contribuables, elle a ajouté aux dispositions législatives des règles complémentaires en matière de preuve. La jurisprudence joue un rôle majeur comme source du droit positif en droit fiscal mais surtout en ce qui concerne le contentieux de la preuve. En effet, certaines notions fondamentales ont une origine purement prétorienne. On peut citer à titre d’exemple le fait que l’administration est en droit de fixer les bases d’imposition unilatéralement en cas de déclaration tardive du contribuable mais surtout on peut citer la théorie de l’acte anormal de gestion qui n’est pas issue des textes. Ainsi comme nous venons de le voir la question de la preuve en droit fiscal, dépendant non seulement de la loi mais aussi de la jurisprudence, présente une importance certaine du fait qu’elle peut modifier dans un sens ou dans l’autre la solution du litige. En effet, il est des matières dans lesquelles la preuve d’un fait ou d’un acte est certes importante mais où elle ne conditionne pas nécessairement la solution donnée au contentieux. On peut citer à titre d’exemple le droit pénal qui ne donne pas une valeur absolue à la preuve en ce sens qu’une personne peut être condamnée uniquement du fait de l’intime conviction du juge qui va certes dépendre des preuves qui auront pu être apportées mais aussi des circonstances de l’espèce, de commencements de preuve,… Au contraire, en droit fiscal, les questions de preuve et plus particulièrement de charge de la preuve revêtent une importance particulière car elles vont conditionner la solution du litige. En effet, il arrive qu’un même jour, soient rendues par une même formation du Conseil d’Etat, deux décisions différentes portant pourtant sur une même question de fait. La raison tient alors au fait que dans une première décision, la charge de la preuve va peser sur une partie alors que dans l’autre, elle va peser sur l’autre partie. Le sort du litige va alors dépendre de la réussite de la preuve par la partie sur qui en supporte la charge, souvent désignée par les auteurs comme « un fardeau »17 du fait de son importance sur la solution du litige. Dès lors il apparaît important de bien déterminer quel est le régime de la preuve en droit fiscal réglé par la loi mais aussi par la jurisprudence. Mais cette étude se situe plus particulièrement sur les actes anormaux de gestion car ils ont été le terrain des modifications substantielles des règles applicables en matière de preuve. Ces modifications présentent un intérêt non négligeable en pratique du fait de l’extrême importance des redressements fondés sur la théorie de l’acte anormal de gestion. En effet, comme le remarquait M. Cozian18, le Conseil d’Etat « a défini avec une précision presque mathématique les règles qui gouvernent la charge de la preuve ». Ainsi la théorie de l’acte anormal de gestion présente un grand intérêt du point de vue de l’étude de la charge de la preuve car elle marque la consécration par la jurisprudence de principes nouveaux concernant le fardeau de la preuve. La question de la preuve peut être divisée entre la charge et l’administration de la preuve. La charge de la preuve traite du problème du risque de la preuve, c’est-à-dire de la partie qui doit apporter en premier un élément probant à l’appui de ses allégations. Alors que l’administration de la preuve touche à la question du déroulement de la procédure devant le juge. Mais ce texte ne se consacre pas à l’étude de l’administration de la preuve en matière d’acte anormal de gestion dans la mesure où celle-ci ne diffère guère des principes du droit 17 pour exemple M.-C. Bergeres, « Quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », Gaz. Pal. 1983, p.149 18 M. Cozian, « Les grands principes de la fiscalité des entreprises », Litec 1994, 3e éd.

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commun de la preuve en matière fiscale. Aussi, la théorie de l’acte anormal de gestion ne présente aucune spécificité ou nouveauté, c’est pourquoi cet aspect de la procédure ne sera pas traité. Il est néanmoins intéressant mais dans le cadre d’une étude plus vaste qui ne concernerait pas uniquement les actes anormaux de gestion. Le thème de la preuve présente la particularité d’être un thème directeur du droit dans la mesure où il concerne la sécurité juridique des personnes. En effet, le système de preuve dans les différents domaines du droit se doit d’être performant et constant. La jurisprudence ne peut constamment décider de modifier les règles de preuve mises en place sous peine d’entraîner une instabilité juridique qui est néfaste pour les sujets de droit et plus particulièrement pour les contribuables. Les contribuables doivent savoir à l’avance à quelles règles ils sont soumis tant du point de vue du contenu demandé par l’administration fiscale que du point de vue des modalités de preuve admises en cas de contestation par les services de l’Etat. Une entreprise ne peut correctement remplir ses obligations fiscales si en cours d’année, la jurisprudence modifie l’état du droit. Aussi comme la preuve des actes fiscaux détermine souvent l’issue d’un litige, il est important de bien en déterminer le régime. Or c’est précisément ici que l’on peut remarquer l’intérêt de l’étude de la preuve en matière d’acte anormal de gestion puisqu’elle a consacré des principes gouvernant l’attribution de la preuve d’une manière générale. Ainsi c’est au travers des actes anormaux de gestion que la jurisprudence a fait évoluer l’état du droit de la preuve en matière fiscale. C’est par le biais de cette jurisprudence relative à l’acte anormal de gestion que le Conseil d’Etat a le mieux consacré la double origine des règles concernant la charge de la preuve. En fait, comme nous allons le voir, l’attribution initiale de la charge de la preuve en matière fiscale pèse sur l’Etat. Cependant ce poids est contrebalancé par une modification de l’attribution du fardeau de la preuve en fonction de l’aptitude à la preuve du contribuable (Partie 1). En effet, il nous faudra constater que les règles de preuve ont d’abord été posées par le livre des procédures fiscales pour tous les impôts en général. Ainsi les règles de base sont identiques pour tous les actes fiscaux et accordent une grande importance à la procédure d’imposition qui a été suivie (chapitre 1). Cependant la jurisprudence ne s’est pas contentée d’appliquer ces règles d’application très large aux actes anormaux de gestion. Cette théorie, étant fondée sur certains articles du code général des impôts, les juges ont voulu rattacher aussi à ces articles, le régime de la preuve des actes anormaux de gestion. Aussi il en ressort une diversité des règles qui peut laisser perplexe quant à l’application des principes de preuve en pratique. Mais nous allons voir que le Conseil d’Etat en tenant compte de l’aptitude à la preuve spécifique du contribuable en matière d’acte anormal de gestion, continue de faire jouer les principes du droit commun de la preuve. En effet, malgré cette capacité du contribuable, celui-ci ne doit pas se retrouver perdu sous un poids trop lourd et l’Etat conserve la charge de la preuve de certains éléments (chapitre 2). Ensuite la dynamique de la dialectique de la preuve peut alléger le fardeau pesant sur l’une ou l’autre partie en fonction de divers éléments (partie 2). En effet, il n’est pas rare que durant une procédure de redressement fondée sur un acte anormal de gestion, un organisme consultatif ( la CDI) donne son avis à la suite de sa saisine par l’une des parties. Aussi faut-il se poser la question de savoir quelle est l’incidence de la saisine d’un tel organisme sur la charge de la preuve ? En effet, celui-ci rend un avis sur les questions qui lui sont soumises

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aussi peut-on imaginer que cet avis ait des conséquences sur la charge de la preuve en fonction de son sens. Par ailleurs, le livre des procédures fiscales accordent une grande importance à la procédure d’imposition qui a été suivie pour déterminer la charge de la preuve. Du fait de la combinaison de ces règles avec d’autres principes énoncés par la jurisprudence, la procédure d’imposition conserve t’elle toujours un rôle quant à l’attribution de la charge de la preuve ? Ces questions appellent de prime abord une réponse positive mais à bien y réfléchir, la réponse n’est pas si simple et doit être nuancée au regard des apports de la jurisprudence. On voit bien, dès lors, que les apports de la jurisprudence en ce qui concerne la charge de la preuve des actes anormaux de gestion constituent la caractéristique principale de cette étude. Tout l’intérêt consiste dans l’étude des apports, qui ont pu être faits par les juges, en fonction des règles de droit commun de la preuve, présentes dans le livre des procédures fiscales. Au fil des arrêts, les juges ont « tissé une toile » qui reprend les divers éléments de fond du LPF. Aussi cette étude présentera tout naturellement dans un premier temps les règles de dévolution initiale du fardeau de la preuve des actes anormaux de gestion qui ont consacré une diversité des règles (partie 1). Puis dans un deuxième temps, il conviendra d’approfondir ces règles initiales qui peuvent être modifiées dans toute procédure par divers éléments (partie 2).

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Partie 1 La dévolution initiale de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion . Nous allons voir qu’il est important de parler de « dévolution initiale » de la charge de la preuve car des principes ont été posés tant par le LPF que par le CGI ; or ces principes n’ont vocation à régir que la situation de base, c’est-à-dire lorsqu’un contribuable se fait redresser sur le fondement de l’acte anormal de gestion à la suite d’une déclaration régulière de sa part et sans qu’il n’y ait d’intervention d’un quelconque autre facteur (telle la saisine d’un organe consultatif ou l’acceptation des redressements). Du fait de la diversité des sources qui comprennent des principes directeurs en matière de preuve des actes de gestion anormale, il en découle une divergence des règles. En effet, nous allons voir que le LPF a fixé le régime de la preuve en droit fiscal dans diverses dispositions. Celles-ci édictent des principes qui ont une vocation générale, qui s’appliquent donc aussi aux actes anormaux de gestion . Par ailleurs, le CGI, dont les dispositions constituent le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion, a permis à la jurisprudence de dégager des principes qui s’appliquent spécifiquement à la charge de la preuve des actes anormaux de gestion. Cependant malgré une divergence des règles (chapitre 1) applicables à la question de la charge de la preuve, nous allons voir que ces différents principes se combinent tant et si bien que leurs divergences s’estompent pour donner un régime unique de la charge de la preuve (chapitre 2).

Chapitre 1 Une pluralité de règles concernant la charge de la

preuve des actes anormaux de gestion Les actes anormaux de gestion sont comme nous l’avons vu issue d’une création prétorienne de la jurisprudence qui s’est rattachée à certains articles du CGI. Cependant nous allons voir que le CGI accorde une grande importance à la nature de l’écriture qui est remise en cause par l’administration (section 2). Alors que le LPF, qui constitue une source inévitable des règles de preuve de droit commun, attache essentiellement de l’importance à la procédure d’imposition qui a été suivie préalablement (section 1). Aussi, ces deux sources de règles, ne se basent manifestement pas sur les mêmes idées, ce qui entraîne une divergence dans les principes. Aussi il nous faut examiner précisément ces principes. Section 1 : Les principes directeurs de la charge de la preuve suivant le LPF La preuve est une question importante du contentieux fiscal car celle-ci lie la solution du litige. En effet, par charge de la preuve il faut entendre ce que l’on pourrait appeler le risque de la preuve. C’est à celui qui supporte le fardeau de la preuve que va peser le risque de ne pas pouvoir apporter les éléments nécessaires pour convaincre du bien-fondé de son allégation.

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Ainsi le LPF a déterminé les principes directeurs qui s’appliquent à la charge de la preuve. Ceux-ci ont pour base la déclaration faite par le contribuable (A). En effet, à partir des éléments de ce texte, l’administration va pouvoir imposer selon une certaine procédure qui conditionne la détermination de la charge de la preuve (B).

A) Le rôle de la déclaration de revenus souscrite par le contribuable

Le droit fiscal français attribue une place prépondérante au contribuable dans le processus de détermination des obligations fiscales. Cette participation active du contribuable prend la forme du dépôt d’une déclaration aux services fiscaux afin de pouvoir déterminer les obligations de chacun au regard des impôts. Cette déclaration peut s’analyser en un élément du pacte social19 car l’Etat fait peser sur chaque citoyen l’obligation de notifier au Trésor les bases de sa contribution en respectant les droits individuels. Ainsi ce système ne peut perdurer que dans un climat de bonne foi présumée de la part de l’administration. Cette présomption de sincérité de la déclaration déposée par chaque contribuable va avoir une incidence certaine sur les règles de dévolution de la charge de la preuve en présence d’un redressement (1). Un tel constat semble logique puisque ce document sert véritablement de base à l’administration pour calculer l’impôt dû. En conséquence, si le contribuable ne satisfait pas à cette obligation de bonne foi, la charge de la preuve va s’en trouver modifiée (2).

1) une présomption de régularité attachée à la déclaration Ainsi les règles concernant le partage de la charge de la preuve en droit fiscal sont dictées par la valeur juridique qui est reconnue à la déclaration déposée par les contribuables. L’exemple le plus courant concerne l’impôt sur le revenu. En effet, le formulaire 2042 est un document faisant partie à part entière de la vie des contribuables français à chaque premier trimestre de chaque année. Le contribuable va dans ce document retracer tous les revenus qu’il a perçu l’année précédente au titre de son foyer fiscal puis une fois ce travail accomplit il dépose la déclaration au service des impôts qui est compétent, en l’occurrence le centre dont dépend son domicile. Cependant le rôle déclaratif du contribuable est loin de se limiter à l’impôt sur le revenu et touche notamment la TVA ainsi que l’impôt sur les sociétés. Ainsi la déclaration produite par le contribuable doit être présumée exacte ce qui signifie que l’on reconnaît une certaine valeur juridique à un acte émanant d’un particulier. Cette reconnaissance ne semble pas aller de soi mais est nécessaire afin que le système mis en place se pérennise. En effet, à partir du moment où l’on met en place un système d’impôts déclaratifs et donc que le contribuable participe activement à la procédure d’assiette de l’impôt en question, il est nécessaire de considérer qu’à défaut de preuve contraire l’administré s’est plié à son obligation déclarative de bonne foi. Si l’on comprend aisément la nécessité de reconnaître une valeur juridique à la déclaration émanant du contribuable, on ne peut cependant pas énoncer clairement de fondement juridique. En effet, peu d’auteurs se sont penchés sur cette question qui reste floue. Pour Jeze,

19 J. Grosclaude et Ph. Marchessou, « Procédures fiscales », Dalloz 2e édition, p.50

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cette présomption d’exactitude s’explique par l’obligation pour tout contribuable de remplir une déclaration. Cependant un tel raisonnement n’est pas exempt de critique car on ne peut voir la corrélation entre une condition de forme qu’est l’obligation de déposer une déclaration et la reconnaissance d’une valeur juridique20. Malgré cette difficulté pour fonder cette affirmation, la présomption de bonne foi de la déclaration émanant des contribuables est reconnue unanimement par la doctrine et l’ensemble de la jurisprudence. Quelles sont les incidence pratiques de la valeur reconnue à la déclaration ? En pratique, chronologiquement, le contribuable va déposer sa déclaration au service des impôts. Puis l’administration qui est en droit de vérifier la sincérité du contribuable, va contrôler ses allégations. Si celle-ci constate une omission ou une erreur dans les montants déclarés, du fait de son privilège d’action d’office, elle est en droit de notifier directement au contribuable des redressements sans avoir besoin de passer par l’office du juge. Dans l’hypothèse où le contribuable conteste ce redressement, celui-ci doit saisir le juge d’une demande et par là-même est le demandeur à l’action. Or selon l’adage « Actori incumbit probatio », la charge de la preuve incombant au demandeur, c’est nécessairement le contribuable qui supporte le risque de la preuve favorisant ainsi les services fiscaux qui profiteront d’un éventuel échec du contribuable. Cependant la reconnaissance de la régularité présumée de la déclaration déposée par le contribuable a pour effet comme toute présomption de renverser la charge de la preuve. Un tel effet n’est obtenu que si le contribuable est en mesure de prouver au minimum qu’il a bien déposé la déclaration aux services du trésor dans les délais légaux. A partir de là s’opère le renversement de la charge de la preuve au détriment de l’administration qui devra tenter de prouver que le montant déclaré ne correspond pas à la réalité. Le rôle de la déclaration du contribuable a des incidences au niveau des actes anormaux de gestion puisque ceux-ci ont pour terrain de prédilection les BIC de l’impôt sur le revenu et dans l’impôt sur les sociétés ; ces deux impôts étant par excellence des impôts déclaratifs. Ainsi la présomption de régularité attachée à la déclaration des contribuables a pour effet d’inverser la charge de la preuve ; cependant nous allons voir que la déclaration en question peut être irrégulière et par là même avoir des conséquences sur la preuve à administrer pendant la phase contentieuse (2).

2) Un renversement de la charge de la preuve en cas de déclaration irrégulière La situation qui est présumée est celle du contribuable qui déclare correctement le montant imposable dans le délai légal qui lui est imparti. Cependant tel n’est pas toujours le cas ce qui va entraîner des incidences au niveau de la charge de la preuve du fait de la disparition de la présomption précédemment développée. En effet, ce climat de bonne foi présumée vient à disparaître lorsque le contribuable n’a déposé aucune déclaration ou lorsque celui-ci a effectué un dépôt tardif en dehors du délai légal. Or l’impôt mis à la charge de chaque contribuable est évalué en fonction de la déclaration déposée par ceux-ci qui constitue une base. Ainsi quand cette base n’est pas mise à la disposition de l’administration, cette dernière est en droit d’évaluer unilatéralement le

20 M-C Bergeres, « Quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », Gaz. Pal. 1983, p.149, note n°8

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montant de la matière imposable. Un tel régime est dérogatoire au droit commun des procédures d’assiette et découle du non-respect de ses obligations par le contribuable. Une procédure de redressement non-contradictoire est alors mise en place et l’administration va procéder à une évaluation au moyen des éléments d’information dont elle dispose21. Cet établissement de la matière imposable se faisant sans l’avis du contribuable concerné, il y a fort à parier que celui-ci contestera par la suite la somme mise à sa charge par l’administration au motif qu’elle est plus élevée et ne reflète pas la réalité. Cependant dans une telle hypothèse le contribuable ne bénéficie plus de la présomption de régularité puisque soit la déclaration n’existe pas soit elle a été produite en dehors des délais légaux ce qui la prive de toute valeur juridique. On observe alors un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable qui ne s’est pas plié aux exigences légales. Ce renversement du régime de la preuve est expressément prévu par le livre des procédures fiscales dans son article L 19322. Cette situation semble logique au regard de l’attitude du contribuable qui a en quelque sorte violé le pacte social existant entre l’Etat et lui. C’est pourquoi, le contribuable qui souhaite contester l’imposition mise à sa charge supporte la question du risque de la preuve en devant démontrer que le montant retenu par l’administration est exagéré. Ce renversement de la charge de la preuve ne vaut que pour la détermination de la base d’imposition car si les services fiscaux souhaitent se prévaloir d’un acte ou d’une situation qui constituent le fait générateur du redressement mais qui n’a aucune influence sur le montant de l’imposition, ceux-ci doivent alors apporter la preuve de cette situation ou de cet acte. Tel est l’impact de la déclaration qui doit être déposée par les contribuables dans le cadre des impôts déclaratifs. En effet, la charge de la preuve pèsera sur l’une ou l’autre partie selon le comportement du contribuable. Mais nous allons voir que les règles de dévolution de la charge de la preuve en droit fiscal dépendent largement de la procédure d’imposition (B), qui dépend elle-même du comportement préalable du contribuable.

B) L’incidence de la procédure d’imposition sur la charge de la preuve

Le Livre des Procédures Fiscales regroupe toutes les dispositions concernant la procédure d’imposition ainsi que les procédures de redressement. Nous allons voir que le législateur en posant les règles gouvernant la procédure d’imposition a par là même fixé les règles de dévolution de la charge de la preuve en droit fiscal. Ainsi la question si délicate et importante de la charge de la preuve est liée à la procédure d’imposition et donc au principe de la déclaration du contribuable pour les impôts déclaratifs tels que l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés auxquels sont consacrés ce mémoire dans le cadre de l’étude des actes anormaux de gestion. 21 par exemple les revenus de l’année précédente du contribuable 22 « Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition «

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1) En matière de procédure contradictoire Comme nous venons de le voir, dans le cadre des impôts déclaratifs, le contribuable est tenu de déposer dans les délais légaux auprès des services fiscaux une déclaration de ses revenus. Ainsi la procédure d’imposition qui est mise en œuvre par l’Administration va jouer un rôle décisif sur la détermination de la charge de la preuve. Cependant, elle seule ne conditionne pas la répartition du fardeau de la preuve, l’attitude du contribuable ayant elle aussi des conséquences. Lorsque le contribuable a pleinement satisfait à ses obligations déclaratives dans les délais qui lui étaient impartis, du fait de la présomption de régularité attachée à la déclaration, si l’administration considère que les montants figurant sur celle-ci sont incorrects, alors elle devra en supporter la charge de la preuve. Ainsi la présomption de régularité joue pleinement en faveur du contribuable car sans un tel principe c’est ce dernier qui subirait très largement la charge de la preuve du fait du principe du privilège du préalable dont dispose l’administration et qui conduit le contribuable a être dans une très large mesure systématiquement demandeur dans une procédure. Cependant cette présomption peut aussi jouer contre le contribuable dans le cas où celui-ci ayant régulièrement déclaré ses revenus par exemple, souhaite rectifier les montants figurant sur la déclaration. Comme les écritures sont présumées être exactes, les montants sont sensés être justes et ne pas appeler de corrections. Mais comme cette présomption n’est que relative, les écritures sont susceptibles d’être rectifiées mais à la condition que le contribuable, qui en conteste la validité, soit en mesure d’apporter la preuve que les montants déclarés par lui sont inexacts. Ainsi la détermination de la charge de la preuve dépend de la procédure d’imposition qui a été suivie, en matière de procédure contradictoire. La procédure de redressement contradictoire modifie la répartition de la charge de la preuve dans le cadre de l’acceptation par le contribuable des redressements proposés par l’administration. Cette hypothèse est à rapprocher de celle où le contribuable ne répond pas aux propositions de redressement formulées par l’administration. En effet, lorsque les services fiscaux constatent une insuffisance, une omission ou une dissimulation commise par le contribuable, celle-ci est en droit d’établir une proposition de redressement afin de pouvoir exiger au contrevenant le supplément d’impôt exigible. Cependant cette procédure de redressement contradictoire doit obligatoirement débuter par l’envoi d’une notification de redressement au contribuable concerné23 qui dispose alors d’un délai de trente jours pour accepter les bases du redressement ou pour formuler des observations. Cette attitude du contribuable va jouer un rôle important en matière de détermination du fardeau de la preuve. En effet, l’article R 194-1 du livre des procédures fiscales24 prévoit que dans l’hypothèse où le contribuable accepte les redressements ou ne répond pas à la notification, alors celui-ci supporte la charge de prouver que le montant ainsi mis en recouvrement par l’administration est inexact.

23 J. Grosclaude, Ph. Marchessou, « Procédures fiscales », Dalloz 2e éd., 2000, p.168 24 art. R 194-1 : Lorsque, ayant donné son accord au redressement ou s’étant abstenu de répondre dans le délai légal à la notification de redressement, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de redressement, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l’imposition, en démontrant son caractère exagéré.

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Ainsi dans un tel cas, on observe que le déroulement de la procédure d’imposition avec ses différentes étapes conditionne la partie qui va supporter la charge de la preuve. Cependant la procédure d’imposition suivie en cas de carence du contribuable joue aussi un rôle quant à la détermination du fardeau de la preuve. 2) En matière d’établissement des bases de l’imposition par l’administration

a) En cas de carence du contribuable

A l’inverse des hypothèses précédemment évoquées, lorsque le contribuable ne remplit pas son obligation déclarative, il se trouve, par sa carence, en situation de faire l’objet d’une procédure d’office c’est-à-dire que l’administration est en droit d’établir unilatéralement les bases de l’impôt. Cette procédure perd tout son caractère contradictoire qui découlait du climat de bonne foi présumée existant entre le contribuable et l’administration. En effet, c’est parce que le contribuable s’est mis dans une situation de carence que l’administration peut déterminer les bases de l’impôt seule. La procédure d’imposition d’office comporte deux modalités25 : la taxation d’office, qui correspond aux cas où le contribuable n’a pas souscrit ou a souscrit hors délai la déclaration générale de ses revenus ou la déclaration des bénéfices imposables à l’impôt sur les sociétés, ainsi que l’évaluation d’office qui correspond aux cas où le contribuable n’a pas produit dans les délais les déclarations de bénéfices catégoriels. Malgré cette différence de terminologie, il n’y a absolument aucune différence de régime. Ainsi en cas de carence du contribuable, le LPF dans son article L. 193 prévoit que la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition qui a été établie d’office. Ainsi le contribuable est »sanctionné » par un renversement de la charge de la preuve à son détriment en ce qui concerne la détermination de la base d’imposition. Cependant si les services fiscaux souhaitent se prévaloir d’une situation ou d’un acte qui constituent le fait générateur du redressement, sans avoir d’influence sur le montant de celui-ci, la preuve de l’existence de cette situation ou de cet acte leur en incombe. b) En cas de procédure forfaitaire

Le contribuable n’est pas tenu de déposer une déclaration dans les hypothèses où l’administration ne saisit pas directement la matière imposable mais a recours au procédé du forfait. Cette procédure peut être définie comme « un procédé d’évaluation à un prix fait, et en bloc sans estimation préalable, à perte ou à gain….En matière fiscale, le forfait permet dévaluer l’ensemble de la matière imposable par rapport à une seule réalité connue »26. Ainsi dans une telle hypothèse, le contribuable ne joue aucun rôle. C’est l’administration qui va par des méthodes précises déterminer la base imposable. Si le contribuable souhaite ensuite contester le montant ainsi fixé, selon l’article L 191 du LPF27 il devra se charger d’apporter la preuve de ce qu’il avance.

25 J. Grosclaude et Ph. Marchessou, « Procédures fiscales », Dalloz, 2e ed., 2000, p.61 26 L. Trotabas, Droit Fiscal, Dalloz, 1997, 8e éd., p.28 27 art. L 191 du LPF : Lorsque l’imposition a été établie selon la procédure forfaitaire, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la réduction de l’imposition.

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On voit bien que dans cette hypothèse la procédure d’imposition suivie par l’administration influence la charge de la preuve en cas de contestation. En effet, comme ce sont les services fiscaux qui ont établi les bases d’imposition, en cas de désaccord, ce sera le contribuable qui sera demandeur et donc supportera la charge de la preuve. Ainsi nous venons de voir que le LPF, véritable base textuelle de la preuve en matière fiscale, fait largement dépendre la charge de la preuve de la procédure d’imposition qui a été suivie. Or celle-ci dépend elle-même du respect par le contribuable de l’obligation de déposer une déclaration auprès des services fiscaux. Aussi le contribuable devra prouver que la dépense engagée par lui correspond bien à un acte normal de gestion lorsqu’il n’aura pas déposé sa déclaration de revenus (impôt sur le revenu) ou de bénéfices (impôt sur les sociétés) ou qu’il aura déposé cette déclaration en dehors du délai légal. Cependant la charge de cette preuve pèsera logiquement sur l’administration dans le cadre d’une procédure de redressement contradictoire. Dans une telle hypothèse, face à la déclaration du contribuable, pour établir l’existence d’un acte anormal de gestion, les services fiscaux devront dans un premier temps établir les faits sur lesquels ils se fondent pour alléguer l’existence d’un tel acte. Puis dans un deuxième temps, ils devront prouver que la dépense contestée est contraire à l’intérêt de l’entreprise concernée. Ces principes de détermination de la charge de la preuve en matière fiscale semblent simples d’application et sans ambiguïtés. Cependant nous allons voir que ces règles issues du LPF ne constituent pas la seule source de normes applicables aux actes anormaux de gestion. En effet, la jurisprudence tend à appliquer certains articles du CGI pour instituer un régime dérogatoire ou à tout le moins différent (section 2). Section 2 : Des principes remaniés par l’application de dispositions spécifiques à la nature de l’écriture comptable Comme nous venons de le voir, les règles de dévolution de la charge de la preuve sont posées d’une manière simple et sans ambivalence par le LPF. Ces règles ont ainsi vocation à s’appliquer à l’ensemble des litiges relevant du contentieux fiscal. Cependant les choses ne sont pas aussi aisées lorsque l’administration recourt à un redressement fondé sur l’acte anormal de gestion. En effet, dans un tel cas, l’administration va mettre en cause les écritures comptables qui ont été effectuées par le contribuable. Or, en vertu du principe de non-immixtion de l’administration dans la gestion des entreprises, les dirigeants sont présumés agir au mieux des intérêts de leur entreprise. Ainsi si l’administrations souhaite redresser sur le fondement de l’acte anormal de gestion, elle supportera la charge de la preuve en vertu du principe selon lequel c’est le demandeur à l’action qui doit prouver ce qu’il allègue. Mais comme nous venons de le voir les règles gouvernant la charge de la preuve sont diverses et nécessitent parfois une application cumulative . C’est à ce propos que le conseil d’Etat dans une formation solennelle a consacré l’application de règles particulières de charge de la preuve en fonction de la nature des écritures comptables (A). Cependant cette jurisprudence certes innovante a laissé planer un certain doute quant au régime de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion (B).

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A) Les principes dégagés par l’arrêt »Renfort Service »28

Afin de bien comprendre l’importance des principes dégagés de cet arrêt il convient dans un premier temps d’en situer le contexte. La SA Renfort-Service spécialisée dans la fourniture de main-d’œuvre intérimaire, avait décidé de diversifier ses activités et pour ce faire a créé une nouvelle branche d’activité de menuiserie. A cette fin, elle a conclu un contrat de bail le 20 avril 1971 avec le PDG qui n’était autre que le principal actionnaire de la société. Celui-ci donnait en location des locaux à usage industriel et commercial ainsi qu’une maison d’habitation en contrepartie d’un loyer modéré, mais qui avait lui-même comme contre-partie la remise en l’état des locaux à la charge de la société. Par ailleurs, il avait été prévu que les travaux d’amélioration devait revenir gratuitement au bailleur en fin de bail. Ainsi entre 1971 et 1973, la SA Renfort-Service a procédé à de nombreux et coûteux travaux qui ont été amortis ainsi que des dépenses d’entretien qui ont été déduites du résultat de la société. Cependant, du fait du résultat déficitaire du département menuiserie, la SA a vendu le fonds de commerce correspondant et y a enregistré une moins-value qui a été partiellement déduite au niveau du résultat de la société. Enfin, c’est à l’occasion d’une vérification de comptabilité que l’administration conteste les travaux qui ont été réalisés au motif que ceux-ci l’ont été au profit du seul PDG, du fait de la remise à titre gratuit des locaux rénovés en fin de bail. C’est sur ce fondement que les services fiscaux contestent la moins-value résultant de la cession du fonds de commerce mais aussi la comptabilisation des annuités d’amortissement ainsi que la comptabilisation des frais d’entretien. Ainsi l’administration conteste une écriture d’actif c’est-à-dire l’inscription des travaux effectués mais elle conteste aussi des écritures qui viennent en déduction de l’actif c’est-à-dire des écritures de charges (annuités d’amortissement et les frais d’entretien). C’est à propos de ces faits que le Conseil d’Etat, dans sa formation la plus solennelle, s’est réuni pour trancher la question de savoir si l’administration doit supporter la charge de la preuve dans tous les cas quand celle-ci invoque un acte anormal de gestion pour fonder un redressement. Le Conseil d’Etat, se fondant en premier lieu sur les règles du droit commun de la preuve (1), s’en est quelque peu éloigné en prenant en compte l’aptitude à la preuve du contribuable dans ce domaine (2).

1) Une application liminaire des principes du droit commun de la preuve

En l’espèce, l’administration conteste l’inscription de certaines écritures en comptabilité c’est-à-dire qu’elle considère que certaines dépenses, qui ont été effectuées, constituent des actes anormaux de gestion. Rappelons qu’une entreprise et plus particulièrement une société, a pour objet la recherche et le partage de bénéfices29, objet qui doit prévaloir lors de la conclusion de certains actes ou de certaines dépenses. Ainsi une entreprise accomplit un acte anormal de gestion lorsqu’elle fait 28 CE plén. 27.07.1984, RJF 1984, n°10, p.626 29 art. 1832 du cciv. « …..d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »

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une opération non dans son intérêt propre mais dans celui d’un tiers ou que cette opération ne lui apporte qu’un avantage hors de proportion avec celui procuré au tiers à qui elle bénéficie. En droit fiscal, un acte anormal de gestion va se traduire par une écriture comptable affectant le bénéfice imposable qui va pouvoir être écartée par l’administration d’office pour le calcul du résultat net de l’entreprise du fait de son privilège du préalable. C’est exactement l’hypothèse qui est invoquée dans l’arrêt « Renfort-Service » où l’administration conteste une écriture comptable de la société. La qualification ainsi donnée à un acte de gestion est une question de droit qui ne peut s’apprécier que dans un contexte, c’est-à-dire un ensemble de faits ou d’actes soumis aux règles normales de la preuve30. Ainsi les services fiscaux qui invoquent une telle qualification doivent démontrer l’absence d’intérêt propre de l’entreprise ou un avantage disproportionné au profit d’un tiers à celle-ci. Le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps que « si l’appréciation du caractère anormal d’un acte de gestion pose une question de droit, il appartient, en règle générale, à l’administration d’établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal ». Ainsi la Haute Juridiction rappelle que pour démontrer la réalité des faits constituant l’acte anormal de gestion, il n’y a pas lieu de s’écarter des règles de droit commun de la charge de la preuve posées par le LPF. En effet, du fait de la présomption de régularité attachée à la déclaration de revenus de la SA Renfort Service, l’Administration qui entend contester la régularité des écritures ainsi fournies, doit en supporter la charge de la preuve. Pour démontrer la preuve de la matérialité des faits, il convient donc de se référer à la procédure d’imposition ce qui ne déroge pas au droit commun de la preuve en droit fiscal général. Il est important de noter que les divers incidents de procédure ont aussi un rôle à jouer en matière d’acte anormal de gestion. En effet, dans le cadre des règles de droit commun de la charge de la preuve présentes dans le LPF, des évènements tels que l’acceptation des redressements par le contribuable ou encore l’application d’une procédure d’office ont pour effet de modifier les règles de preuve ce qui aboutit en général à faire supporter le fardeau de la preuve au contribuable. En l’espèce, le Conseil d’Etat a clairement voulu préciser que si le principe de l’établissement des faits par l’administration perdure, celui-ci ne peut être mis en œuvre qu’en respectant les règles édictées par le LPF, c’est-à-dire qu’il faut tenir compte des divers incidents de procédure qui peuvent alors faire assumer la charge de la preuve au contribuable. Dans ce dernier cas, le contribuable ne va bien-sûr pas tenter de démontrer l’absence de contrepartie pour son entreprise mais au contraire que l’acte contesté comporte bien un intérêt ou un avantage pour lui31. Aussi au vu de la rédaction de l’arrêt ci-analysé, on peut remarquer la volonté des juges de bien poser les bases de la réflexion par rapport au problème de la charge de la preuve. Ainsi on peut penser que ce rappel, même implicite, des règles de droit commun gouvernant la charge de la preuve en droit fiscal, annonce l’application cumulative avec des règles de différentes natures. En effet, si le Conseil d’Etat s’était contenté de faire une application de 30 X…, note sous CE plén. 27.07.1984, SA Renfort Service, Dr. Fisc. 1985, n°11, comm. 596 31 extrait de l’arrêt du CE plén. du 27.07.1984 préc. : « …ce principe ne peut, toutefois, recevoir application que dans le respect des prescriptions législatives et réglementaires qui, dans le contentieux fiscal, gouvernent la charge de la preuve…. »

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ces principes alors un tel rappel n’aurait pas été nécessaire car en 1984, les normes déterminant la preuve étaient déjà bien encrées dans la jurisprudence. Par conséquent, l’arrêt rappelle qu’en cas de contestation par l’Administration de l’inscription dans les comptes d’une entreprise d’une écriture, cette dernière doit établir les faits qui fondent selon elle l’existence d’un acte anormal de gestion. Mais le principal apport de cet arrêt qui en a fait une référence en matière de preuve en droit fiscal, réside dans le rôle qui est dévolu au contribuable dans la recherche de la preuve de l’acte anormal de gestion (2).

2) La participation active du contribuable dans la preuve de l’acte anormal de gestion

Ainsi après avoir posé le principe selon lequel, même dans le cadre d’un acte anormal de gestion il est nécessaire de respecter les principes de droit commun gouvernant la charge de la preuve, le Conseil d’Etat observe, qu’en certaines matières, notamment quand il est question des personnes qui sont assujetties à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BIC ou des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, la détermination de la charge de la preuve est largement indépendante de la procédure d’imposition32. Le Conseil d’Etat tient compte de la nature des écritures qui donnent lieu à contestation de la part de l’administration quand celles-ci entrent dans la catégorie des BIC ou de l’impôt sur les sociétés. Les contribuables concernés par ces impôts sont soumis à plusieurs dispositions du code général des impôts. Selon l’article 38 de ce code, dans le cadre des BIC, les contribuables doivent déclarer leur bénéfice imposable qui correspond au bénéfice net qui est déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Or le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période. Par ailleurs l’article 39 dudit code pose en principe que le bénéfice est déterminé sous déduction de certaines charges. On peut remarquer que le Conseil d’Etat différencie pour la première fois dans cet arrêt, au sein des règles spécifiques à la nature de l’écriture comptable, entre les écritures qui viennent en déduction pour le calcul du bénéfice net et les autres qui retracent notamment l’évolution de l’actif immobilisé. On peut citer comme exemple concernant ces dernières écritures le cas de l’inscription à l’actif de son bilan par la société Renfort Service des travaux qui avaient été effectué sur la maison d’habitation prise en location.

32 extrait de l’arrêt CE 27.07.1984 plén. préc. : « .. Considérant que, si la détermination du fardeau de la preuve est, pour l’ensemble des contribuables soumis à l’impôt, tributaire de la procédure d’imposition suivie à leur égard, elle n’en découle, pas moins, à titre principal, dans le cadre des personnes assujetties à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, de la nature des opérations comptables auxquelles ont donné lieu les actes de gestion dont l’administration conteste le caractère. »

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a) La justification du principe et du montant des écritures qui viennent en déduction du calcul du bénéfice net

En règle générale, en matière fiscale, la nature de la preuve à apporter est celle du bien-fondé ou non d’une base d’imposition. En matière de procédure d’office, le contribuable va chercher à prouver que l’Administration a tenu compte de certaines données comme base pour son imposition, qui sont soit exagérées soit inexistantes. Alors que lorsque la base d’imposition résulte des données d’une comptabilité, comme en matière d’acte anormal de gestion, la preuve se trouve alors déplacée vers le caractère justifié ou non des écritures passées. C’est là que réside l’apport de cet arrêt du Conseil d’Etat qui instaure une hiérarchie en matière de preuve en droit fiscal dans le cas où l’imposition résulte de données comptables. En effet, le Haute Juridiction considère que dans un tel cas concernant les contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BIC ou assujettis à l’impôt sur les sociétés, la détermination de la charge de la preuve découle de la nature des opérations comptables. Aussi dans une telle hypothèse, la preuve concerne bien la justification des écritures et non pas le bien-fondé de la base d’imposition. Cependant, le Conseil d’Etat a ,dans cet arrêt, institué une différence de régime selon la nature de l’écriture au sein même de la catégorie des écritures comptables. En ce qui concerne les écritures qui viennent en déduction du calcul du bénéfice net, c’est-à-dire essentiellement les créances de tiers, les amortissements et les provisions, le Conseil d’Etat a renversé la charge de la preuve qui incombait à l’administration. Les contribuables assujettis aux BIC ou à l’impôt sur les sociétés doivent être en mesure de justifier de ces écritures dans leur principe comme dans leur montant. Dans leur principe, cela signifie par exemple que le contribuable doit pouvoir prouver que les amortissements qui ont été inscrits en comptabilité correspondent à un bien qui est amortissable ou encore que les conditions de constitution de la provision déduite étaient bien réunies. Dans leur montant, cela signifie que le contribuable doit être en mesure de prouver qu’en plus du fait que l’annuité d’amortissement doit correspondre à un bien qui peut être amorti, il faut encore que le montant de cette annuité soit correct et ne présente pas d’exagération. Cette position du Conseil d’Etat en ce qui concerne les écritures que l’on pourrait qualifiées d’écritures de charges, n’est pas nouvelle. En effet, dans un arrêt du 16 avril 198233, ce dernier avait déjà jugé que concernant les amortissements, les provisions, la réalité des dépenses portées en frais généraux et la perte de créance, le contribuable doit toujours les justifier quelque soit la procédure d’imposition suivie. Ainsi si le contribuable n’est pas en mesure de justifier les écritures en question, dans un tel cas, l’administration est réputée apporter la preuve qui lui incombe. La jurisprudence déduit de l’impossibilité de justification de la part du contribuable, la preuve flagrante de l’existence d’un acte anormal de gestion. On constate bien un renversement total de la charge de la preuve au profit de l’administration devant au préalable établir les faits sur lesquels elle se

33 CE 16.04.1982, Dr. Fisc. 1982, n°31, comm. 1651

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fonde pour établir l’existence d’un acte anormal de gestion mais devant ensuite attendre que le contribuable prouve la réalité de ces écritures. En cas d’échec du contribuable, le travail des services fiscaux est ainsi terminé puisque l’échec induit la réussite de l’administration dans la preuve de l’existence de l’acte anormal de gestion34. Cependant, il est important de noter que le contribuable supporte cette preuve même si du fait de la procédure d’imposition mise en œuvre, la charge de la preuve pesait initialement sur l’administration. En effet, peu importe que la procédure concernée soit contradictoire et que le contribuable n’ait pas accepté les redressements, il doit tout même apporter ces justifications. Une telle idée semble consacrer pleinement le fait que la nature des écritures qui viennent en déduction du bénéfice net, prime les règles de preuve découlant de la procédure d’imposition. En effet, celle-ci est sans effet sur la nécessaire justification pesant sur le contribuable en ce qui concerne les actes anormaux de gestion. Par ailleurs, il est nécessaire de préciser qu’un arrêt postérieur du Conseil d’Etat du 08 août 199035, a établi que lorsque l’administration soutient l’existence d’un acte anormal de gestion du fait d’un acte qui procure un avantage injustifié à un tiers sans contester ni la réalité ni le montant de la dépense, mais en contestant l’intérêt de l’entreprise ; alors il n’y a aucune preuve pesant sur le contribuable. L’administration conserve la charge de prouver que cette opération, matériellement justifiée et correctement comptabilisée a été réalisée dans un but étranger à l’intérêt de l’entreprise. Aussi, le renversement de la charge de la preuve n’est pas systématique. Ainsi, en définitive, on fait prévaloir les règles spécifiques de preuve, résultant de certaines dispositions du CGI, sur la règle de droit commun qui rattache la charge de la preuve à la procédure d’imposition. Si la jurisprudence antérieure à l’arrêt Renfort Service est constante quant à l’application de règles spécifiques de preuve applicables aux écritures qui viennent en déduction pour le calcul du bénéfice net, il n’en va pas de même pour les écritures qui retracent l’évolution de l’actif (b). b) La justification des écritures qui retracent l’évolution de l’actif

Si la jurisprudence consacre un renversement de la charge de la preuve applicable aux écritures qui viennent en déduction du bénéfice net, il n’en va pas de même pour les écritures autres et notamment celles qui retracent l’évolution de l’actif. Le Conseil d’Etat a voulu poser une règle générale selon laquelle « il appartient à l’administration d’établir les faits qui donnent selon elle, un caractère anormal à l’acte »36. De prime abord, on peut penser que concernant ces écritures la Haute Juridiction a encore une fois voulu faire prévaloir les règles de preuve de droit commun découlant de la procédure d’imposition. En effet, dans le cadre d’une procédure de redressement contradictoire, comme c’est l’administration qui conteste une écriture passée par le contribuable, du fait de la bonne foi présumée de la déclaration, c’est aux services fiscaux d’établir l’existence d’un acte anormal de gestion.

34 extrait de CE plén. 27.07.1984 : «… l’administration doit être réputée apporter la preuve qui lui incombe si le contribuable n’est pas, lui-même, en mesure de justifier dans son principe comme dans son montant, de l’exactitude de l’écriture dont il s’agit…. » 35 CE 08.08.1990, SA Intertrans, Dr. Fisc. 1993, n°43, comm. 2033 36 CE plén. 27.07.1984, Renfort Service, RJF 1984, n°10, p.627

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Cette idée est par ailleurs confortée par le fait que l’arrêt fait peser en l’espèce la charge de la preuve sur l’administration mais les juges n’expriment pas explicitement l’idée que cette preuve est toujours supportée par elle. Aussi pourrait-on penser qu’en présence d’une procédure d’office, du fait du renversement de la charge de la preuve, c’est au contribuable d’établir qu’il n’y a pas eu d’acte anormal de gestion. Cependant tous ces développements sont vains car l’arrêt précise par la suite que l’administration doit apporter la preuve de l’acte anormal de gestion « alors même que, à raison de la procédure suivie, le contribuable devait démontrer l’exagération de l’imposition contestée »37. Ainsi comme pour les écritures qui viennent en déduction du calcul du bénéfice net, pour les écritures qui retracent l’évolution de l’actif, le Conseil d’Etat a consacré la primauté des règles spécifiques à la nature de l’écriture sur les règles de droit commun. Cependant cette généralisation ne provient pas d’une pratique jurisprudentielle antérieure abondante puisque le commissaire du gouvernement P.-F. Racine dans ses conclusions sous l’arrêt étudié, précisait que « seules deux décisions du Conseil d’Etat ont précisé que c’est à l’administration qu’il appartient de prouver ce qu’elle avance au sujet de l’acquisition d’éléments d’actif »38. Ce dernier semble considérer que ces deux précédents jurisprudentiels ouvrent une voie suffisante et que celle-ci est justifiée par le fait que les écritures qui retracent l’acquisition d’éléments d’actif n’ont jamais pour résultat de diminuer le bénéfice net. En effet, l’acquisition d’éléments d’actif fait augmenter le montant de l’actif net et par conséquent n’entraîne aucune diminution du montant du bénéfice net. Seules des charges peuvent diminuer le montant de ce bénéfice et donc par là même, le montant de l’impôt qui est réclamé au contribuable. Ainsi l’arrêt « Renfort Service » du Conseil d’Etat a consacré une vraie révolution en matière de charge de la preuve en ce qui concerne les actes anormaux de gestion même si cette révolution était déjà amorcée en ce qui concerne les écritures qui viennent en déduction du bénéfice net. Avec cet arrêt, on a un fondement textuel pour l’application de dispositions spécifiques à la nature de l’écriture comptable pour régler le problème de la preuve des actes de gestion anormale. Mais cependant cet arrêt est loin d’être clair quant à sa portée véritable (B).

B) Les interrogations suscitées par cet arrêt

Comme nous venons de le voir, l’arrêt « Renfort Service » marque une étape importante dans l’histoire des règles de dévolution de la charge de la preuve en droit fiscal puisque celui-ci fait pour la première une application cumulative des deux sources de normes qui gouvernent l’attribution de la preuve. En effet, le Conseil d’Etat fait dans un premier temps une utilisation des règles de preuve en fonction de la procédure d’imposition en obligeant l’administration à établir les faits sur lesquels elle se fonde. Puis dans un deuxième temps, il applique des règles spécifiques qui sont propres à la nature de l’écriture comptable.

37 CE plén. 27.07.1984 préc. 38 P.-F. Racine, « Acte anormal de gestion : charge de la preuve », ccl sous CE plén. 27.07.1984, Renfort Service, RJF 1984, n°10, p.565

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Seule une décision s’était précédemment engagée dans cette voie39 mais uniquement d’une manière implicite car dans cette espèce, le Conseil d’Etat a appliqué les disposition particulières du CGI tout en précisant que peu importait la procédure d’imposition suivie par l’administration à l’encontre du contribuable. Ainsi la cumul des règles n’était pas clairement exprimé ce qui pouvait laisser à penser que le Conseil d’Etat n’entendait pas engager un revirement de jurisprudence. Cependant malgré cet apport conséquent, l’application de cet arrêt ne s’est pas révélée être aisée dans un premier temps car il fallait en préciser la portée concrète. En effet, si le Conseil d’Etat a consacré une combinaison des règles de droit commun et spécifiques en matière de preuve, une question restait en suspens à savoir si cette consécration instaurait une primauté absolue des règles spécifiques sur les règles de droit commun découlant de la procédure d’imposition. Autrement dit, les divers incidents de procédure tels que l’acceptation des redressements ou la mise en œuvre d’une procédure d’office ont-ils un impact sur la détermination du fardeau de la preuve (1) ? Par ailleurs une question importante, sans solution claire, s’est posée fréquemment en pratique à savoir : dans les cas où le contribuable doit justifier d’une écriture dans son principe comme dans son montant, doit-il en sus établir que l’acte a été passé dans l’intérêt de l’entreprise considérée (2) ? Telles étaient les interrogations que l’on pouvait légitimement se poser pour l’application de cet arrêt.

1) combinaison des règles ou primauté des règles spécifiques ?

En effet, le Conseil d’Etat laisse subsister dans ambiguïtés sur ce point car l’arrêt lui-même ne fait qu’évoquer l’indépendance de la procédure d’imposition pour la détermination du fardeau de la preuve40 dans le cas des personnes assujetties aux BIC ou à l’impôt sur les sociétés. Nul part, la Haute Juridiction fait primer explicitement les règles spécifiques de preuve qui dépendent de la nature de l’écriture comptable et qui conduiraient à nier toute importance notamment à l’attitude du contribuable durant la procédure d’imposition. Aussi le doute est-il permis et il semble nécessaire de d’étudier quelles seraient les conséquences de l’une ou l’autre solution. → Dans une première hypothèse, on pourrait imaginer que la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion dépende uniquement de la nature des écritures comptables et échapperait dès lors aux règles habituelles issues du LPF. Ainsi si l’administration entend contester une écriture d’actif, dans ce cas, le fardeau de la preuve pèsera entièrement sur celle-ci peu importe la procédure suivie. Par ailleurs et surtout, avec cette vision de l’arrêt « Renfort Service », dans le cas où l’administration conteste une écriture qui vient en déduction du bénéfice net, alors le contribuable supporte la charge de la preuve tout le temps. Une telle idée implique que celui-ci justifie non seulement de la réalité et du montant de l’écriture (ce qui est prévu explicitement par l’arrêt) mais aussi qu’il prouve que l’acte a bien été fait dans l’intérêt de

39 CE 16.04.1982 préc. 40 O. Fouquet, « La charge de la preuve en droit fiscal », Petites Affiches 1987, n°144, p.8

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l’entreprise. Or une telle conception est contraire à l’idée générale selon laquelle les contribuables sont présumés agir au mieux de l’intérêt de leur entreprise41. Seul un arrêt du Conseil d’Etat s’est engagé dans cette voie42 en décidant que la charge de la preuve devait dépendre uniquement de la nature de l’écriture et non des règles issues de la taxation d’office appliquée en l’espèce. Cependant il ne semble pas que le Conseil d’Etat ait tenu à instituer une règle aussi stricte et privant totalement d’effet les règles de droit commun en cas d’acte anormal de gestion. En effet, une telle conception de l’arrêt tend à créer un nouveau régime de charge de la preuve en matière fiscale qui ne se rattache en aucun point aux règles découlant de la procédure d’imposition. → Dans une seconde hypothèse, qui semble plus adéquate, il faut considérer que le Conseil d’Etat n’a pas entendu instituer une primauté des règles spécifiques sur les règles issues de la procédure d’imposition mais uniquement une combinaison entre ces deux types normes. Cela signifie que les divers incidents de procédure continueraient d’avoir une importance au regard de la charge de la preuve ce qui semble normal au regard du caractère de droit commun des règles issues du LPF. Cette analyse est corroborée par le fait que le Conseil d’Etat, dans l’arrêt étudié, énonce que la détermination de la charge de la preuve découle à titre principal de la nature des écritures comptables. On peut en déduire que l’utilisation de cette précision signifie qu’a contrario, les juges n’entendent pas exclure toute influence de la procédure sur la charge de la preuve, même si son rôle n’est pas principal. Ainsi la portée exacte de l’arrêt « Renfort Service » est difficile à cibler avec pour seul élément d’analyse le texte même de l’arrêt. Mais nous verrons dans les développements ultérieurs que la jurisprudence a été amenée à préciser cette portée. Par ailleurs, l’arrêt ne donne pas avec précision la réponse à la question de la partie qui supporte la preuve de prouver l’intérêt de l’entreprise dans l’acte (2). Or cette preuve est indispensable quant à la réussite de l’opération (démonstration de la présence ou de l’absence d’un acte anormal de gestion).

2) La question de la preuve de l’intérêt de l’entreprise

Le Conseil d’Etat, dans sa décision « Renfort Service », n’indique pas clairement si le contribuable doit justifier non seulement de l’exactitude de l’écriture dans son principe et dans son montant mais en plus de l’intérêt que celle-ci présente pour elle, dans l’hypothèse où l’administration invoque l’existence d’un acte anormal de gestion portant sur une écriture qui vient en déduction du bénéfice net. Cette incertitude provient de la notion même d’acte anormal de gestion qui peut se définir comme « un acte qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise, ou qui prive cette dernière d’une recette, sans que l’acte soit justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale »43. Plus simplement, l’acte anormal de gestion est « celui accompli dans le seul intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise »44. Aussi la preuve de l’existence de l’acte

41 S. Lambert Wiber, « Contribution du droit civil à une approche renouvelée de la charge de la preuve en droit fiscal », thèse Lille III, 1996, p. 349 42 CE 16.06.1986, RJF 1986, n°10, p. 577 43 ccl. M. Poussière, sous CE 05.01.1965, Dr. Fisc. 1970, n°3 bis, p.23 44 ccl. J. Delmas-Marsalet, sous CE 10.01.1973, Dr. Fisc. 1974, n°8, comm. 223

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anormal de gestion est apportée lorsque l’on sait que l’acte n’a pas été accompli dans l’intérêt de l’entreprise. Cette preuve est donc fondamentale en la matière et il est nécessaire que le régime de celle-ci soit clair et sans ambiguïté. Or comme la décision du Conseil d’Etat ne dit rien à ce propos le doute est permis et l’on peut à ce stade de l’étude envisager les conséquences des deux hypothèses possibles. En premier lieu, on peut envisager que dans l’hypothèse où le contribuable doit justifier de la réalité et du montant de l’écriture de charge, il doive en sus établir que l’acte a été fait dans l’intérêt de l’entreprise. Cependant cette solution mettrait alors à la charge du contribuable l’obligation d’apporter une preuve négative. En effet, le contribuable devrait tenter de prouver que l’acte ainsi accompli ne sert pas les intérêts d’un tiers mais bien les siens. Il s’agit bien en l’espèce d’une preuve négative or un tel type de preuve est très difficile à administrer. Le contribuable aura beaucoup de mal à établir des éléments probants qui convaincront de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte. En deuxième lieu, on peut envisager comme l’a prévu l’arrêt renfort Service que le contribuable justifie de la réalité et de la correcte transcription comptable de l’écriture en cause. Et si cette preuve est apportée, alors l’administration conserve la charge d’établir que cette opération, qui est alors matériellement justifiée, a été réalisée dans un but étranger à l’intérêt de l’entreprise. C’est la solution qui semble la plus adéquate car elle respecte l’idée de la combinaison des règles de droit commun et des règles spécifiques en matière de charge de la preuve puisque faire peser ce fardeau sur l’administration revient à appliquer les règles issues du droit commun selon lesquelles c’est au demandeur de prouver ce qu’il allègue. Cette interprétation a souvent été adoptée par la jurisprudence45 mais cependant elle n’a pas fait l’unanimité car certaines décisions ont considéré que le contribuable devait aussi prouver que les charges ont été exposées dans l’intérêt de l’entreprise46. Ainsi au terme de cette étude, on doit en arriver à la conclusion que l’arrêt « Renfort Service » du Conseil d’Etat du 27 juillet 1984 semble avoir été conçu comme un arrêt pédagogique. En effet, la Haute Juridiction semble avoir établi une « grille de lecture » pour déterminer la charge de la preuve en droit fiscal et plus précisément en matière d’acte anormal de gestion. La rédaction de l’arrêt montre une particulière précision quant à l’application des textes et des règles de droit, précision qui n’est de loin pas toujours présente dans les décisions. En premier lieu, l’administration doit établir les faits sur lesquels elle se fonde, ce qui rappelle l’adage « actori incumbit probatio ». Puis en deuxième lieu, la charge de la preuve dépend de la nature de l’écriture : en présence d’une écriture de charges, le contribuable devra établir la correcte transcription juridique et matérielle de l’écriture ; alors que pour une écriture retraçant l’évolution de l’actif, ce sera à l’administration d’établir l’existence de l’acte anormal de gestion. Enfin, il reste la question de la preuve de l’absence ou de l’existence de l’intérêt de l’acte pour l’entreprise qui sera résolue ultérieurement. Malgré des efforts de clarté et de lisibilité, les juges du Palais royal ont laissé subsister des incertitudes qui ont été mises en relief et qui vont être comblées par la jurisprudence

45 à titre d’exemple : CE 10.10.1984, RJF 1984, n°12, p.723 ; CE 21.03.1986, RJF 1986, n°5, p.335 46 CE 06.07.1987, RJF 1987, n°10, p.547 ; CE 27.04.1988,RJF 1988, n°6, p.398

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postérieure. Une telle action était nécessaire au regard de la sécurité juridique des contribuables car l’acte anormal de gestion constitue une base de redressement très fréquente. Aussi, les juges se devaient d’établir un régime clair ne laissant de place à aucune incertitude ce qui permet d’éviter des aléas quant à la question de la charge de la preuve en matière de redressement. Pour remédier à ces incertitudes, les juges ont établi une combinaison des différentes règles de preuve appliquées dans l’espèce « Renfort Service » (chapitre 2).

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Chapitre 2 L’apport jurisprudentiel concernant l’application de ces règles

La jurisprudence a fait œuvre de lisibilité en adoptant des arrêts qui ont permis de préciser de quelle manière, les règles de preuve de droit commun ainsi que les règles particulières découlant de la nature de l’écriture comptable, doivent s’appliquer (section 1). Malgré une application que l’on peut qualifier de combinée, les juges ont maintenu la force des principes généraux de la preuve découlant de la procédure d’imposition. Par ailleurs, la preuve déterminant par excellence l’existence d’un acte anormal de gestion est celle de l’absence d’intérêt de l’entreprise dans l’acte. Cette preuve qui a été elle aussi précisée, fait une application cumulative des diverses règles (section 2). Section 1 : La consécration de la combinaison du principe général et de la règle particulière

La décision « Renfort Service » a eu pour objet de trancher la question de savoir quand l’administration invoque l’existence d’un acte anormal de gestion, dans quelle mesure la charge d’établir les faits qui donnent à l’acte du contribuable un caractère anormal, lui incombe. Selon cette décision, nous avons vu, qu’il appartient toujours à l’administration d’établir les faits qui la conduisent à qualifier un acte du contribuable comme anormal. Mais cependant cela ne dispense pas le contribuable de justifier tant de la réalité et que de la correcte transcription comptable des écritures qui viennent en déduction du bénéfice. Cette syntaxe qui peut laisser perplexe quant à l’attitude à adopter vis-à-vis des règles de preuve prévues par le LPF, a été précisée par la jurisprudence postérieure qui consacra non pas une autonomie des règles de preuve des actes anormaux de gestion mais une combinaison de ces règles avec les règles de droit commun de la preuve des actes fiscaux. Néanmoins cette combinaison des règles s’est faite au détriment de la force des principes énoncés par l’arrêt « Renfort Service » qui n’ont qu’une application limitée (A), laissant alors une place importante au droit commun de la preuve (B).

A) Une superposition des règles au détriment du principe dégagé par l’arrêt « Renfort Service »

Comme nous venons de le voir, le principe posé par l’arrêt « Renfort Service » concernant la justification par le contribuable des écritures de charges, a suscité de nombreuses questions. Pourtant telles n’étaient pas les intentions des rédacteurs de cette décision. Ayant voulu poser des bases précises pour un régime de la preuve des actes anormaux de gestion, ils ont provoqué une incertitude quant à l’emploi des diverses règles concernant cette question. Ces doutes ont été dissipés en grande partie par un arrêt fondateur du régime de la preuve des actes anormaux de gestion, à savoir l’arrêt « Boutique 2M » du Conseil d’Etat47.

47 CE 27.07.1988, Boutique 2M, RJF 1988, n°10, p.628 ; Dr. Fisc. 1988, n°49, comm. 2202

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En l’espèce, l’administration avait procédé à une vérification de comptabilité dans un magasin de vente de vêtements, contrôlé par des ressortissants suédois. Cette boutique avait pour unique fournisseur la société « Hennes-mauritz », elle-même suédoise. Cette dernière procédait en Suède aux achats de vêtements nécessaires pour l’activité de la boutique française, service qui était rémunéré par une commission sur les ventes. Au titre de la vérification de comptabilité, les services fiscaux français ont contesté la déduction par la boutique de ces commissions versées à la société suédoise, mais aussi la déduction, au titre des charges, des frais de déplacement exposés par une vendeuse du magasin pour se rendre en Suède. Cette affaire est intéressante dans le cadre de cette étude, car la CDI avait été saisie du fait du désaccord persistant entre l’administration et la société française. Celle-ci a adopté les mêmes conclusions que l’administration à savoir que le versement des commissions n’était pas justifié par une contrepartie significative et que les frais de déplacement ne peuvent pas être considérés comme engagés dans l’intérêt de l’entreprise. L’élément important dans cette affaire est constitué par la saisine de la CDI, organe pré-contentieux, qui ne rend que des avis. Or cet avis a une influence sur la charge de la preuve. En effet, le LPF prévoit que le fardeau de la preuve se trouve modifié par la procédure d’imposition suivie mais aussi par la saisine d’un tel organe. Or le principe posé par l’arrêt « Renfort Service » ne semble pas régler cette question. Aussi par le biais de cette affaire, la jurisprudence va marquer un grand pas en avant car elle va faire une application combinée des règles issues de l’arrêt « Renfort Service » avec les règles de droit commun du LPF régissant la charge de la preuve des actes fiscaux. Les juges du Conseil d’Etat vont encore une fois faire preuve d’une certaine méthode dans la rédaction de la décision, rédaction laissant apercevoir leur raisonnement. Dans un premier temps, ils rappellent que l’administration, quand elle invoque l’existence d’un acte anormal de gestion, doit établir les faits sur lesquels elle se fonde. On retrouve alors la règle essentielle « actori incumbit probatio ». Mais cependant la preuve de ces actes dépend de la nature des écritures qui ont été inscrites en comptabilité par l’entreprise concernée. Cette idée est un rappel du principe dégagé par l’arrêt « Renfort Service » selon lequel le contribuable doit justifier de la réalité de certaines écritures. Mais malgré tout cela les juges concluent que l’avis de la CDI pouvait renverser la charge de la preuve, en ce sens que le contribuable peut être amené à apporter une preuve qu’il ne supportait pas du fait d’un avis de la commission favorable à l’administration. De ce fait, lorsque la charge de la preuve est renversée, ce qui est souvent le cas, la distinction entre la nature des écritures comptables perd de sa pertinence, puisque la charge de la preuve passe de l’administration au contribuable. Cependant, malgré ce renversement possible de la charge de la preuve, quelque soit le sens dans lequel la procédure attribue le fardeau de la preuve, le contribuable conserve toujours l’obligation de justifier dans leur principe comme dans leur montant les écritures de charges. Dès lors on voit bien la combinaison entre la règle particulière concernant la nature des écritures comptables qui attribue la charge de la preuve au contribuable dans tous les cas, et les règles de preuve en fonction de la procédure d’imposition qui accordent une importance à tous les évènements se produisant dans le cadre de la procédure de redressement.

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Il apparaît alors que la décision « Renfort Service » n’a pas l’importance que certains peuvent lui attribuer puisqu’elle ne fait que fixer l’attribution initiale de la preuve. En effet, les règles de preuve énoncées dans cette décision se trouvent remises en cause par la procédure d’imposition suivie ainsi que par l’avis émis par la CDI, quand celle-ci est saisie. Aussi pourrait-on aller plus loin que la combinaison des règles et parler plutôt d’une précision faite par l’arrêt concernant la preuve des écritures de charges. En réalité il n’y a pas de bouleversement flagrant du régime de la preuve des actes anormaux de gestion mais uniquement une spécificité de la preuve en ce qui concerne les écritures comptables. Il ne faut pas non plus conclure à une banalité énoncée par cette décision. En effet, cette précision est importante dans la mesure où elle concerne tous les cas de contestation d’un acte portant sur une écriture de charges ; puisque quelque soit la procédure d’imposition suivie, le contribuable doit être en mesure de justifier certains éléments. Cette précision est d’autant plus importante qu’elle est liée à l’aptitude à la preuve. En effet, personne n’est mieux placé que le contribuable pour justifier de la réalité d’une écriture de charges. Les services fiscaux ont beaucoup plus de mal à apporter la preuve qu’un achat n’a pas été inscrit pour le bon montant en comptabilité. Ainsi l’arrêt » Boutique 2M » consacre non une primauté de la règle de la preuve en fonction de la nature de l’écriture comptable mais une combinaison voir même plutôt une imbrication de celle-ci dans le régime général de la preuve en fonction de la procédure d’imposition (B).

B) Une preuve dépendant essentiellement du droit commun

Ainsi comme nous venons de le voir, la saisine de la CDI joue un rôle quant à la charge de la preuve des actes anormaux de gestion. Aussi, celle-ci va s’en trouver modifié et la nature de l’écriture en cause ne jouera plus un rôle prépondérant dans la question du fardeau de la preuve, sauf pour le contribuable concerné qui doit justifier tant de la réalité que du montant d’une écriture de charges. Aussi il apparaît que le principe posé par l’arrêt « Renfort Service » n’a qu’une valeur résiduelle. En effet, celui-ci ne vaut que comme règle d’attribution initiale de la charge de la preuve. Cela concerne l’hypothèse où les redressements ont été opérés selon la procédure contradictoire et où aucun événement de procédure n’est venu interférer dans la dévolution de la charge de la preuve48. On peut dès lors constater que la théorie de l’acte anormal de gestion ne fait pas preuve d’une grande autonomie face aux règles de preuve de droit commun. Certes on ne peut négliger sa spécificité au regard de la prise en compte de la nature de l’écriture comptable. Mais, le droit commun de la preuve conserve une part prépondérante faisant dépendre la charge de prouver qu’un acte ne correspond pas à une gestion normale, de la procédure d’imposition qui a été suivie comme pour tous les autres actes relevant du droit fiscal.

48 X… sous CE 26.01.1994, M.M. Ternant et Courrel et autres, et SARL l’Alsace Havas Publicité, Dr. Fisc. 1994, n°15, comm. 751 : « La procédure suivie ayant été la procédure contradictoire et aucun élément de cette procédure ne venant influer sur la dévolution de la charge de la preuve, celle-ci découle des règles précisées par la décision « Renfort Service » : le contribuable doit justifier, dans leur principe comme dans leur montant, des écritures portant sur des créances de tiers, des provisions sur des charges, en dehors de ces hypothèses, l’administration doit établir le caractère anormal de l’acte de gestion contesté. »

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Il semble que l’arrêt « Renfort Service » ainsi que l’arrêt « Boutique 2M » ont progressivement contribué à mettre en harmonie les règles de dévolution de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion avec celles s’appliquant en droit commun. Ainsi en droit commun, on applique le principe d’attribution initiale de la charge de la preuve à l’Etat que l’on retrouve pour les actes anormaux de gestion en vertu du principe selon lequel c’est à l’administration d’établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer l’existence d’un acte anormal de gestion. A côté de cette attribution initiale de la preuve, dans un cas comme dans l’autre, on applique les correctifs à ce principe qui sont liés à l’aptitude à la preuve ou à la saisine d’une commission. Ainsi si la jurisprudence « Renfort Service » pose un principe important en matière de charge de la preuve des actes anormaux de gestion, celui-ci n’en constitue pas moins une pièce des règles de preuve de droit commun. Aussi si la jurisprudence postérieure a précisé la portée de cet arrêt au regard des règles de preuve de droit commun, on peut en conclure qu’il n’existe pas de réelle autonomie de la théorie de l’acte anormal de gestion sur le point précis de l’attribution de la charge de la preuve qui incombe par principe à l’Etat sauf pour le contribuable à justifier de la réalité et du montant des écritures de charges. Cependant dans le cadre de la dialectique de la preuve des actes anormaux de gestion, une question non sans importance reste en suspens à savoir sur qui pèse la charge de prouver que l’acte a été accompli ou non dans l’intérêt de l’entreprise. En effet, cette question présente une importance particulière quant à la réussite de la preuve d’un acte anormal de gestion, aussi il semblait normal que la jurisprudence apporte des précisions sur ce point (section 2).

Section 2 : La question de la preuve de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte

Comme nous l’avons vu précédemment l’arrêt « Renfort Service » laisse subsister des doutes et notamment à propos de la partie supportant le fardeau de la preuve de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte litigieux. Après que l’administration ait établi les faits sur lesquels elle se fonde et que le contribuable ait prouvé la réalité de l’opération, pour qu’il y ait un acte anormal de gestion, encore faut-il que cet acte soit contraire à l’intérêt de l’entreprise ou ait été établi dans l’intérêt d’un tiers à l’entreprise. Aussi avant de se pencher sur la partie devant supporter le fardeau de cette preuve, il nous semble essentiel de déterminer avec précision qu’est-ce que recouvre cette notion d’intérêt de l’entreprise (A). Une telle démarche est importante dans la mesure où c’est cet intérêt qui conditionne l’existence ou l’absence d’un acte anormal de gestion. Aussi après avoir identifié quel est l’élément qui constitue l’objet de la preuve, il faudra se pencher sur le point de savoir sur qui pèse cette preuve (B).

A) La notion de l’intérêt de l’entreprise

« Le contribuable n’est jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite le maximum de profits que les circonstances lui auraient permis de réaliser »49. Ainsi les dirigeants de l’entreprise sont libres d’accomplir au nom de l’entreprise les actes qui leur semblent

49 CE 07.07.1958, Dr. Fisc. 1958, n°44, comm. 938

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conformes à l’intérêt de celle-ci. En vertu du principe de non-immixtion, l’administration ne peut intervenir de manière constante dans la comptabilité des entreprises. Mais du fait de la recherche de rapports équilibrés entre les parties à un acte, quand un acte est réalisé par une entreprise au profit d’un tiers, celui-ci doit avoir pour elle une contrepartie certaine et normale. C’est précisément cette contrepartie ou cet avantage procuré à l’entreprise qui pose ici des problèmes de définition car comme le fait remarquer M.-D. Hagelsteen, « toute la difficulté est d’apprécier cet avantage, par définition plus incertain, plus inhabituel et moins immédiat que la contrepartie que l’acte effectué doit normalement engendrer »50. Pour autant, l’entreprise est un patrimoine propre dont l’exploitation a vocation à produire un profit, et le juge, pas plus que l’administration, ne saurait admettre que ce profit, soit détourné dans l’intérêt d’un tiers51. On retrouve ici un lien de parenté avec la notion d’intérêt social qui prédomine en droit commercial. En effet, le domaine de prédilection des actes anormaux de gestion est le fonctionnement des sociétés qui sont elles-mêmes régies par le droit des sociétés. Or celui-ci connaît la notion d’intérêt social qui est fondamentale. En effet, la conformité des actes de gestion à l’intérêt social constitue, l’un des critères de la validité de ces actes Ainsi un acte contraire à cet intérêt peut être annulé, ce qui n’est pas le cas de ceux qui le respecte.52

Cependant les actes contraires à l’intérêt social peuvent être annulés par le juge commercial uniquement alors que pour les actes anormaux de gestion, c’est l’administration qui peut les invoquer et agir seule en redressement. Ce lien de parenté entre l’acte anormal de gestion du droit fiscal et l’acte contraire à l’intérêt social a été bien développé par le commissaire du gouvernement Racine qui considère que « le concept d’acte anormal de gestion est le fruit de l’acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d’acte non conforme à l’intérêt social »53. Ainsi du fait de la recherche de profits, une entreprise agit dans son intérêt quand elle cherche à faire des économies ou des bénéfices. Les décisions qui sont prises par les maîtres de l’affaire doivent répondre à cet intérêt sous peine d’être qualifiées d’acte anormal de gestion comme nous l’avons vu. Cependant l’intérêt de l’entreprise n’est pas nécessairement exclusif. En effet, dans un arrêt remarqué de la section du Conseil d’Etat54, les juges ont mis en avant le fait qu’un acte comportant un avantage pour un tiers à l’entreprise, n’est pas de ce seul fait constitutif d’un acte anormal de gestion. Ainsi un tel acte peut rentrer dans le cadre d’une gestion normale dans la mesure où celui-ci n’est pas contraire à l’intérêt propre de l’entreprise. La seule circonstance qu’un acte comporte un avantage appréciable pour un tiers ne suffit pas à rendre cette opération anormale. Une telle affirmation nous semble logique dans la mesure où une entreprise peut accomplir un acte en recherchant uniquement son intérêt mais de par la recherche de cet intérêt va avantager un tiers. Aussi lorsque l’avantage procuré à ce tiers n’est pas le but initial recherché par l’entreprise, alors l’administration ne peut pas qualifier l’acte d’anormal.

50 M.-D. Hagelsteen, RJF 1978, p.146 51 O. Fouquet, ccl. sous CE 10.07.1992, Musel SPB et Brunner, RJF 1992, n°8-9, p.673 52 J. Paillusseau, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967 53 Racine, ccl sous CE 27.07.1984, Renfort Services, RJF 1984, n°10, p.563 54 CE 10.07.1992, Musel SPB et Brunner, RJF 1992, n°8-9, p.743

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Par ailleurs, il est important de remarquer que la jurisprudence va encore plus loin. A côté de la prise en considération d’un acte procurant aussi un avantage à un tiers, les juges ont admis une notion très large de l’intérêt de l’entreprise. En effet, les juges ont admis à plusieurs reprises qu’un acte qui est susceptible d’être incriminé sur le plan pénal peut rentrer dans le cadre d’une gestion normale, si en commettant le délit en question, la société a agit dans son intérêt. Cela peut paraître surprenant de prime abord mais se justifie pleinement par l’idée de la recherche de profits, qui est la seule chose qui doit prévaloir pour la conclusion d’un acte. Aussi si une société s’est rendue coupable du délit de recel de marchandises volées pour réaliser des affaires supplémentaires, cette manœuvre ,ayant améliorée le chiffre d’affaires de la société, doit être considérée comme un acte de gestion normale55. Dans le même esprit, un entrepreneur individuel qui s’est livré à de l’escroquerie pour augmenter son chiffre d’affaires doit être regardé comme ayant effectué un acte de gestion normale56. Aussi les indemnités de réparation devant être versées par lui, sont déductibles de son résultat. Ainsi la notion d’intérêt de l’entreprise dans un acte de gestion est une notion très large qui a vocation à englober la plupart des actes accomplis par le contribuable sauf ceux qui sont vraiment contraires à la recherche d’un profit. En effet, on admet que l’acte litigieux procure un avantage à un tiers si celui-ci n’est pas le seul but recherché et on admet que l’acte ne corresponde pas à un acte conforme au droit pénal. Ainsi du fait de ce champ d’application très large de l’acte fait dans l’intérêt de l’entreprise et du fait de son rôle dans la qualification d’un acte anormal de gestion, il est à présent nécessaire de bien déterminer qui de l’administration ou du contribuable doit prouver cet intérêt (B).

B) La charge de la preuve de l’intérêt de l’entreprise

Nous l’avons vu, la question de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion présente une grande importance. En effet, de cette preuve va dépendre la déduction ou non de l’écriture contestée. Aussi l’arrêt « Renfort Service » en laissant planer le doute sur la dévolution de la charge de prouver l’intérêt de l’entreprise dans l’acte, a laissé subsister un problème d’importance. En effet, cet arrêt ne précise pas clairement si, au cas où l’administration invoque l’existence d’un acte anormal de gestion, le contribuable doit justifier non seulement de l’exactitude de l’écriture de charges mais aussi de l’intérêt qu’elle présente pour lui. Ainsi comme nous l’avons déjà vu, deux interprétations étaient susceptibles d’être appliquées par la jurisprudence. L’une faisant supporter au contribuable la charge de prouver que l’acte a été accompli dans l’intérêt de son entreprise, l’autre faisant supporter la preuve du contraire aux services fiscaux. Avant de voir dans quel sens a évolué la jurisprudence (2), il nous paraît important de relever quels sont les arguments qui peuvent être avancés en faveur de chacune des deux interprétations (1). 55 CE 07.01.2000, Philippe, Dr. Fisc. 2000, n°11, comm. 204 56 CE 30.12.2002, Prieur, RJF 2003, n°3, p.206

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1) Un débat doctrinal argumenté

Les juridictions ont ,dans un premier temps, fait preuve d’une certaine contradiction dans la mesure où la plupart des décisions tranchent en faveur de l’attribution de la preuve de l’intérêt de l’entreprise à l’administration, même lorsque l’acte de gestion avait pour conséquence la déduction d’une charge57. Mais d’autres décisions semblaient avoir adopter la position inverse , en considérant que la preuve que doit apporter le contribuable, en matière de charges déductibles, inclut la question de savoir si les charges ont été exposées dans l’intérêt de l’entreprise58. Aussi à ce stade des développements, on peut se poser la question de savoir quelle interprétation semble la plus cohérente au regard des principes de droit commun gouvernant la charge de la preuve des actes anormaux de gestion. On comprend bien que le doute est né du fait de l’obligation pour le contribuable de justifier tant du principe que du montant des écritures de charges. En effet, du fait de cette preuve, le contribuable est-il aussi amené à justifier de l’intérêt de l’entreprise ? En premier lieu, il convient de relever que le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Renfort Service » pose le principe selon lequel c’est à l’administration qu’il incombe de démontrer le caractère anormal d’un acte de gestion. Aussi si on applique l’interprétation selon laquelle c’est le contribuable qui supporte la charge de prouver l’intérêt de l’entreprise dans l’acte, alors l’administration pour les écritures de charges n’a plus rien à produire. En effet, pour de telles écritures, elle ne fait qu’établir les faits sur lesquels elle se fonde, puis le contribuable doit obligatoirement pouvoir justifier de leur principe et de leur montant. Si en plus de cette preuve, le contribuable est encore amené à démontrer l’intérêt que représente l’acte litigieux pour l’entreprise, alors ce dernier aura supporter tout le travail de preuve. Aussi cette interprétation large de la charge de la preuve pesant sur le contribuable semble être en contradiction avec le fait que c’est à l’administration de démontrer l’existence de l’acte anormal de gestion. En effet, si l’administration ne fait qu’établir les faits sur lesquels elle se fonde, elle ne supporte pas de risque quant à la preuve ; et, par là même, ne démontre pas l’acte anormal de gestion. Par ailleurs, la preuve concernant la justification des écritures de charges a été mise en place car seul le contribuable détient ces éléments, l’administration ne pouvant pas accéder à ces informations, il eut été difficile pour elle d’en apporter la preuve. En deuxième lieu, il nous semble préférable de retenir l’interprétation selon laquelle la charge de la preuve pèse sur l’administration du fait d’une contradiction avec certains articles du CGI. En effet, certains articles de ce code, attribuent explicitement au contribuable l’obligation de prouver qu’une charge a été exposée dans l’intérêt de l’entreprise. On peut citer à titre d’exemple l’article 39 dudit code relatif à des dépenses considérées comme suspectes ou somptuaires mais aussi l’article 238 A, relatif aux rémunérations versées à des bénéficiaires établis dans un paradis fiscal. Aussi l’existence de ces textes concernant des dépenses qui sont jugées suspectes semble démontrer qu’en droit commun, le contribuable ne supporte la charge de prouver son intérêt dans un acte que dans des cas très spécifiques. On peut certes objecter que l’acte anormal de gestion ne fait pas partie du droit commun de la preuve (on l’a vu) mais 57 CE 10.10.1984, RJF 1984, n°12, p. 723 ; CE 04.03.1985, RJF 1985,n°5, p. 363 ; CE 22.04.1985, RJF 1985, n°6, p. 451 ; CE 21.03.1986, RJF 1986, n°5, p. 332 58 CE 06.07.1987, RJF 1987, n°10, p. 547 ; CE 27.04.1988, RJF 1988, n°6, p. 398

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relève d’une application combinée de ces règles avec des dispositions spécifiques. Néanmoins, il nous semble qu’il faille considérer que si le législateur avait entendu faire supporter cette preuve au contribuable, il aurait adopté une disposition spécifique et claire. En troisième lieu, l’arrêt « Renfort Service » met à la charge du contribuable uniquement la justification de la réalité comme du montant des écritures qui viennent en déduction du bénéfice. Or si les juges ont explicitement mis à la charge du contribuable l’obligation de prouver que l’écriture comptable reflète une réalité, c’est cette preuve seule qui pèse sur le contribuable et non celle de la preuve de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte. Par ailleurs, on peut relever que la preuve de l’intérêt de l’entreprise est d’une nature très différente de la preuve de la réalité d’une écriture. En effet, dans le premier cas, il s’agit d’une véritable appréciation de la situation qui nécessite la prise en compte de toutes les circonstances. Or, dans le deuxième cas, il s’agit uniquement de justifier mathématiquement une écriture, cette justification ne laissant de place à aucune appréciation de la part des juges. Aussi au vu de ces divers arguments, il nous semble que l’interprétation selon laquelle la preuve de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte litigieux doit peser sur l’administration, est la plus cohérente. Elle rallie par ailleurs la majorité des juges sans pour autant faire l’unanimité. Aussi au regard de l’importance de cette question du point de vue du contentieux des actes anormaux de gestion, les juges se devaient de prendre une position sans ambiguïté (2).

2) La consécration de la charge de la preuve pesant sur l’administration

La consécration d’un régime uniforme concernant la preuve de l’intérêt de l’entreprise a été apportée par les juges du Conseil d’Etat à propos d’un litige concernant le versement d’une somme à une entreprise, versement considéré comme un acte anormal de gestion par les services fiscaux59. Ceux-ci ne contestent ni la régularité des versements ni la régularité de leur enregistrement comptable en tant que charges. Aussi, la société n’avait pas à apporter cette preuve. Mais dans cette espèce, s’est posée la question de savoir qui de l’administration ou de la société devait apporter la preuve de la contrepartie de ces versements. Les juges se sont ralliés au courant majoritaire jurisprudentiel en exigeant que l’administration apporte la preuve de l’absence d’intérêt de l’entreprise pour la reconnaissance de l’acte anormal de gestion. Ainsi le régime de cette preuve est totalement indépendant de la justification des écritures de charges pesant sur le contribuable. En effet, que la réalité de ces écritures soit contestée ou non, l’administration supportera toujours la charge de prouver que la dépense a bien été engagée dans un intérêt différent de celui de l’entreprise (sauf incident de procédure dans les développements ultérieurs). Cependant, il est important de noter que dans certains cas, l’administration n’a pas besoin d’établir cette preuve pour qu’il y ait reconnaissance d’un acte anormal de gestion. Cela concerne l’hypothèse où l’administration remet en cause une écriture de charges que le contribuable ne parvient pas à justifier dans son principe et dans son montant. Aussi, dans un tel cas, l’administration est réputée apporter la preuve du caractère anormal de l’acte sans avoir à apporter la preuve de l’absence d’intérêt. Cette solution a par la suite été confirmée, et la jurisprudence n’est jamais revenue dessus60.

59 CE 08.08.1990, SA Intertrans, préc. 60 voir à titre d’exemple : CE 13.05.1992, Nouvelles éditions musicales Caravelle, RJF 1992, n°7, p. 588

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Une telle constatation n’est pas surprenante dans la mesure où la jurisprudence dissidente du Conseil d’Etat sur le point de la preuve de l’intérêt de l’entreprise, portait surtout sur des actes qui emportent le doute de leur intérêt pour une entreprise. A titre d’exemple, on peut citer l’arrêt du 27 avril 198861 dans lequel l’administration a contesté la souscription d’un emprunt par une filiale, en vue d’exécuter l’engagement de caution souscrit en faveur de la société mère. C’est une hypothèse dans laquelle, il y a une sorte de présomption d’anormalité (voir développements ultérieurs) qui font supporter la charge de la preuve de l’intérêt de l’entreprise au contribuable. Nous venons d’étudier dans une première partie quelles sont les règles de preuve, pesant sur l’administration ou le contribuable, dans le cadre d’un redressement fondé sur un acte anormal de gestion. Ces règles font preuve d’hétérogénéité. En effet, il faut puiser dans les règles de droit commun de la preuve en droit fiscal en premier lieu. Mais il faut aussi se pencher sur les textes fondateurs de la théorie de l’acte anormal de gestion, à savoir le CGI. C’est ainsi que la jurisprudence ayant développé des règles de preuve particulière à la nature de l’écriture comptable, s’est trouvée confronter à une pluralité de règles qu’elle a dû combiner. Mais cette combinaison conditionne non seulement la dévolution initiale de la charge de la preuve mais aussi la dévolution du fardeau de la preuve durant toute la procédure. En effet, le LPF accorde une place prépondérante à la nature de la procédure d’imposition. Celle-ci joue dès lors son rôle dans le cadre de la dévolution initiale, mais elle modifie aussi la répartition initiale de cette preuve. Aussi il nous faut examiner dans un deuxième temps quels sont les divers éléments qui peuvent bouleverser la dévolution initiale de la charge de la preuve (partie 2).

61 CE 27.04.1988 préc.

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Partie 2 Les éléments bouleversant la dévolution initiale de la charge de la preuve des actes anormaux de

gestion Ainsi grâce aux textes issus du LPF et du CGI, la jurisprudence fiscale a mis en relief diverses règles concernant la charge de la preuve des actes anormaux de gestion. Nous l’avons vu, ces règles ne sont pas d’une application simple et il a fallu plusieurs interventions jurisprudentielles pour clarifier le régime applicable. Cependant les règles ainsi dégagées ont été mises en relief que dans des cas où il n’y avait aucun bouleversement de procédure. Ainsi nous allons voir que dans la pratique, la procédure est loin d’être simple et comprend très souvent des évènements qui sont susceptibles de modifier la répartition de la charge de la preuve. Ainsi divers incidents de procédure interviennent en pratique et ne sont pas sans effet sur la répartition du fardeau de la preuve, du fait de l’application du principe selon lequel la charge de la preuve dépend de la procédure d’imposition (chapitre 1). Par ailleurs la procédure n’est pas le seul élément susceptible d’entraîner des modifications. En effet, quand une entreprise entretient des relations privilégiées avec une autre entreprise, cet état peut être pris en compte pour modifier les règles de dévolution de la charge de la preuve (chapitre 2). Chapitre 1 Les incidents de procédure

Les décisions en matière d’acte anormal de gestion semblent régler les problèmes afférents à la charge de la preuve en fonction de règles « objectives » qui ont été fixées et qui paraissent immuables. Ainsi le contribuable doit justifier des écritures qui viennent en déduction du bénéfice net quelque soit la procédure d’imposition suivie. Par ailleurs, l’administration, quant à elle, semble être dans l’obligation de justifier les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer l’acte anormal de gestion ainsi que l’absence d’intérêt de l’entreprise dans l’acte. Cependant nous allons voir que toute une série d’évènements jouant dans le cadre des règles de preuve de droit commun découlant de la procédure d’imposition, vont infléchir les principes ainsi édictés par la jurisprudence. Il faudra tout d’abord s’attacher à voir quelles sont les conséquences de la saisine d’un organe pré-contentieux : la CDI (section I). Puis il faudra se pencher sur les effets de la charge de la preuve des incidents qui découlent de la procédure (section 2). Section 1 : Les incidents découlant de la saisine de la CDI Une multitude de commissions départementales et de comités interviennent dans le domaine fiscal. Instaurés dans le but d’améliorer les relations entre l’administration et les contribuables, ces organismes ont un double rôle à jouer. Ils donnent leur avis sur un conflit entre les parties en présence à titre d’interlocuteur impartial et dans certains domaines, ils deviennent le principal organe d’établissement des impositions en décidant des bases à retenir

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pour l’imposition des contribuables ( mais ce rôle ne concerne pas notre étude sur la preuve en matière d’acte anormal de gestion). La CDI a été instituée pour apporter une garantie supplémentaire aux contribuables qui veulent obtenir l’avis d’une formation sans pour être que celui-ci lie l’éventuel contentieux ultérieur. Cependant en matière d’acte anormal de gestion, la CDI n’est pas une formation compétente pour toutes les questions, aussi est-il important de bien cerner dans un premier temps quel est le domaine de compétence de la CDI (A), avant de voir dans un deuxième temps quel est le rôle effectivement joué par l’avis de la commission sur la charge de la preuve (B).

A) La compétence de la CDI

La CDI est un organisme intervenant, uniquement, dans le cadre d’une procédure de redressement contradictoire lorsqu’un désaccord persiste entre un contribuable et l’administration après la notification de redressement. Cependant toutes les mésententes ne peuvent être soumises à cette commission. En effet, nous allons voir que seules les questions de fait peuvent être soumises à la CDI en excluant toutes les questions de droit (1). Mais comme cette frontière est difficile à dégager concernant les actes anormaux de gestion, la jurisprudence a été amenée à préciser la compétence de la CDI (2).

1) Une compétence unique pour les questions de fait

La CDI a toujours été conçue comme une garantie offerte aux contribuables de saisir un organe qui n’est pas une juridiction et par là même dont les décisions n’ont aucune conséquence sur un litige. De par cette conception, il semblait dès lors logique de ne pas attribuer à cette commission les compétences dévolues aux juridictions. Une juridiction a pour mission de juger, elle a le pouvoir et le devoir de rendre la justice par application du droit62. Ainsi on peut déduire de cette définition qu’une juridiction connaît des questions de droit. Ainsi à l’opposé, on trouve les organes qui n’ont pas un tel pouvoir et qui ne peuvent donc pas être qualifiés de juridiction. Aussi, la CDI ne peut avoir compétence pour les questions de droit qui sont réservées aux seules juridictions. Quand un contribuable saisit cette commission pour un contentieux relevant de l’acte anormal de gestion, celle-ci ne peut apprécier que les faits. Cette restriction du domaine de compétence ne limite pas non plus la commission à une appréciation limitée. En effet, la commission apprécie à titre d’exemple la normalité des rémunérations des dirigeants, la normalité des prix pratiqués à l’achat et à la vente, la normalité du loyer stipulé dans un bail, l’existence d’une contrepartie dans la redevance. Les exemples peuvent encore être multipliés. Aussi on voit bien que le domaine de compétence de la commission est relativement étendu. Cependant la commission ne peut pas se prononcer sur l’existence d’un acte anormal de gestion car un tel problème relève de la qualification des faits et donc d’une question de droit.

62 Vocabulaire Juridique, G. Cornu, PUF, 4e éd., p. 505, sous juridiction

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Mais il faut noter que la frontière entre question de fait et question de droit est particulièrement ténue en matière d’acte anormal de gestion. Car selon les développements précédents, la commission est compétente pour apprécier si une dépense a été effectuée dans l’intérêt de l’entreprise concernée. Or il y a des hypothèses où l’acte anormal de gestion, va résulter justement de l’absence d’intérêt pour l’entreprise de la dépense en question. L’avis de la CDI va donc jouer un rôle important sur la suite du litige car comme la commission rend un avis qui se rapproche d’une décision juridictionnelle puisqu’on se trouve à la limite de la question de droit, les juges qui se trouvent en charge de l’affaire vont porter une grande attention à l’analyse effectuée par la commission. Ainsi la CDI, en tant qu’organe pré-contentieux, tend à voir son rôle évoluer vers une appréciation plus complète de l’acte anormal de gestion. Cette évolution est renforcée par l’apport de la jurisprudence qui a étendu le domaine de compétence de la CDI (2).

2) L’apport de l’arrêt Boutique 2M63

Comme nous venons de le voir, la CDI ne peut intervenir en cas de désaccord entre un contribuable et l’administration que pour l’appréciation des faits et en aucun cas pour une question de droit telle que la qualification d’un acte en acte anormal de gestion. Cependant l’arrêt du Conseil d’Etat « Boutique 2M », dans sa formation plénière, a contribué à préciser le rôle de la CDI dans le stade pré-contentieux en matière d’anormalité des actes des entreprises. Les faits de cet arrêt ont été précisés dans les développements précédents concernant l’application des principes issus de l’arrêt « Renfort Service »64

Le problème majeur posé au Conseil d’Etat était celui de la partie devant supporter la charge de la preuve du fait de l’intervention de la CDI dans la procédure. On se posait la question de savoir si cette saisine était de nature à bouleverser la dévolution de la charge de la preuve telle que dégagée par l’arrêt « Renfort Service » quatre années plus tôt. Mais avant de répondre à cette question, le Conseil d’Etat devait au préalable résoudre la question de la compétence de la CDI pour examiner et apprécier les faits en matière d’acte anormal de gestion ; et nous allons voir que cette décision va avoir des conséquences considérables. On peut remarquer que la Haute Juridiction rappelle avant tout développement le principe selon lequel l’appréciation du caractère anormal d’un acte de gestion pose une question de droit. C’est comme si le Conseil d’Etat s’était senti obligé de devoir à nouveau rappeler cette règle avant d’y apporter une correction. En effet, le Conseil d’Etat continue sa démonstration en précisant que la matérialité des faits ou l’appréciation qu’il faut leur porter, sont de la compétence de la CDI65. Ainsi on peut remarquer que les juges mettent en œuvre la distinction entre l’appréciation des faits et la qualification des faits. Cependant cette distinction ne connaît pas toute sa grandeur en droit

63 CE 27.07.1988, SARL Boutique 2M, RJF 1988, n°10, p.628 ; ou Dr. Fisc. 1988, n°49, comm. 2202 64 p. 27 de cette étude 65extrait de l’arrêt du CE du 27.07.1988, SARL Boutique 2M : « Considérant que, dès lors qu’il existe entre le contribuable et l’administration un désaccord sur des questions de fait, qu’il s’agisse de la matérialité des faits eux-mêmes ou de l’appréciation qu’il convient de porter sur ces faits,……, ce désaccord peut,……, être soumis à l’appréciation de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires à l’initiative du contribuable ou à celle de l’administration »

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fiscal et plus particulièrement en matière d’acte anormal de gestion du fait de la distinction tout à fait ténue entre l’appréciation des faits, qui est constituée par l’appréciation de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte, et la qualification des faits qui est en la matière la qualification d’acte anormal de gestion. Or cette qualification ressort de l’absence d’intérêt de l’entreprise dans l’acte conformément à la définition qui est donnée de cette notion66. Ainsi l’appréciation de la matérialité des faits touche, on le voit bien, de très près à la qualification de la dépense litigieuse. Par ailleurs, il semble intéressant de noter que du fait de cette frontière très floue entre la compétence de la CDI et la compétence des juridictions quant à la qualification, l’avis rendu par l’organe pré-contentieux aura une incidence importante sur l’évolution du litige. En effet, si la CDI considère que dans une espèce, l’acte litigieux est contraire à l’intérêt de l’entreprise, une telle appréciation des faits va sensiblement influencer la solution du litige devant les juges du fond ou les juges de cassation. La CDI connaît des mêmes éléments que ces juges et par conséquent si elle aboutit à une conclusion après une étude d’un dossier, il est très probable que les juges aboutissent au même résultat voir même qu’ils fondent leur opinion sur l’avis de la CDI. Une telle idée ne semble pas choquante au vue de la composition de la CDI. En effet, celle-ci est présidée par le président du tribunal administratif et comprend en nombre égal des représentants de l’administration et des représentants des contribuables. On comprend donc aisément que cet organe pré-contentieux du fait de ses compétences et de sa composition rende un avis qui n’est que très rarement contredit par la suite devant les juridictions. Aussi le rappel du Conseil d’Etat sur le fait que la CDI est compétente pour l’appréciation des faits ainsi que pour l’appréciation de leur matérialité, marque un pas en avant quant à l’influence de cet organisme en matière d’acte anormal de gestion. Ainsi nous venons de voir quel est le domaine de compétence dévolu à la CDI, organe pré-contentieux, qui tend à jouer un rôle important du fait de son avis en matière d’acte anormal de gestion. Mais nous allons voir à présent que l’intervention de cet organe bouleverse les règles de preuve posées par l’arrêt « Renfort Service » et confirmées par les arrêts ultérieurs. En effet, du fait de la combinaison entre les règles de preuve en fonction de la procédure et les règles de preuve en fonction de la nature de l’écriture comptable, il n’est pas aisé d’établir en quoi la saisine de la CDI va modifier la répartition de la charge de la preuve (B).

B) Les conséquences de la saisine de la CDI au niveau de la charge de la preuve

La saisine de la CDI va avoir des conséquences importantes au niveau de la charge de la preuve. Cependant ces conséquences ne sont pas les mêmes suivant l’année où a été effectué la saisine de cette commission. Une grande réforme a touché cet organisme le 08 juillet 1987 avec la loi Aicardi. Aussi comme les régimes de la preuve sont radicalement différents avant et après cette réforme, il convient tout naturellement de distinguer ces deux périodes dans les sous-parties à venir.

66 définition préc. dans ccl. J. Delmas-Marsalet, sous CE 10.01.1973, Dr. Fisc. 1974, n°8, comm. 223

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1) La charge de la preuve avant la loi Aicardi

Ainsi avant la réforme de 1987, l’avis de la CDI avait une conséquence simple : lorsque l’administration avait retenu une base d’imposition conforme à l’avis de la commission, la charge de prouver que les bases d’imposition étaient exagérées incombait au contribuable. A l’inverse, dans le cas où l’administration ne retenait pas une solution en conformité avec l’avis de la CDI, la charge de la preuve devant les juges du fond incombait à l’administration. Cependant cette règle était fort préjudiciable pour le contribuable, qui pouvait à l’issue de la procédure devant la CDI, supporter la charge d’une preuve qu’il ne supportait pas auparavant. En effet, dans l’hypothèse où l’administration devait supporter la charge de la preuve ab initio mais qu’il y avait eu une intervention de la commission rendant un avis conforme à la position de l’administration, alors devant les juges, le contribuable se retrouvait avec le fardeau de la preuve à supporter. Une telle hypothèse était très fréquente en matière d’acte anormal de gestion dans la mesure où l’administration doit prouver les faits sur lesquels elle se fonde pour soutenir l’existence d’un acte anormal de gestion. Ainsi dès lors que l’avis de la CDI se trouvait être conforme à la base d’imposition retenue par les services fiscaux, le contribuable devait supporter la charge de la preuve durant toute la procédure. Celui qui plaidait contre l’avis de la commission devait démontrer le bien-fondé de sa position, de sorte que la charge de la preuve pouvait se trouver inversée par rapport à son attribution initiale. Néanmoins, la jurisprudence a tempéré ces principes en matière d’actes anormaux de gestion en considérant que quelque soit l’avis rendu par la commission, l’administration gardait la charge de prouver qu’un acte était un acte anormal de gestion67. Cet arrêt permet d’illustrer les tempéraments à la règle mais n’a plus de sens quant au contenu portant sur la charge de la preuve car une année plus tard, l’arrêt « Renfort Service » va considérer que le contribuable doit justifier de la réalité et de la correcte transcription comptable des dépenses litigieuses. L’arrêt précité du Conseil d’Etat « Boutique 2M » a décidé que la preuve incombant à chacune des parties devait être apportée dans le cadre des règles classiques qui fixent l’attribution initiale de la preuve68. Ainsi lorsque la commission confirmait l’appréciation portée par l’administration sur le caractère anormal d’un acte de gestion, la charge de la preuve pouvait être transférée sur le contribuable. Mais lorsque la commission refusait de suivre la thèse de l’administration, alors cette dernière conservait la charge de la preuve. Cette hiérarchie a été bouleversée par l’intervention de la loi Aicardi du 08 juillet 1987 (2) 67 CE 18.11.1983, Dr. Fisc. 1984, n°13, comm. 647 68ccl. O. Fouquet sous CE 27.07.1988, SARL Boutique 2M, RJF 1988, n°10, p.577

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2) La charge de la preuve après la loi Aicardi

L’article 10 de la loi Aicardi a modifié l’article 192 du LPF en introduisant un paramètre important dans la réflexion sur la charge de la preuve en matière fiscale et plus précisément en ce qui concerne les actes anormaux de gestion. En effet, cet article a supprimé le lien qui existait entre la charge de la preuve et l’avis rendu par la CDI. Dorénavant, dès lors que la commission est saisie, l’administration supporte la charge de la preuve quelque soit le sens de l’avis rendu par la CDI69. Néanmoins afin de ne pas instaurer un régime trop protecteur des contribuables au détriment de l’administration, la loi a fixé des exceptions au principe selon lequel ce sont toujours les services fiscaux qui doivent supporter la charge de la preuve après la saisine de la commission (a). Mais en dehors de ces tempéraments légaux, la jurisprudence a récemment confirmé une tendance qui n’était jusque-là qu’incertaine en précisant l’incidence de l’avis rendu par la CDI qui varie suivant la partie supportant la charge de la preuve ab initio (b). a) Exceptions légales au fardeau de la preuve pesant sur l’administration Ainsi c’est la loi Aicardi elle-même qui a fixé des cas dans lesquels, malgré la saisine de la CDI, le contribuable supporte tout de même la charge de la preuve. α) En cas de graves irrégularités dans la comptabilité : Depuis l’application de la loi du 30 décembre 1986, les irrégularités comptables ne sont plus sanctionnées par la procédure de rectification d’office. Aussi dans un tel cas, le contribuable peut bénéficier d’une procédure de redressement contradictoire ce qui implique la possibilité de saisir la CDI. Néanmoins, lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités, il aurait été injuste de faire supporter la charge de prouver l’existence de l’acte anormal de gestion dans tous les cas à l’administration. En effet, on se trouve dans une hypothèse où le contribuable est en situation de défaillance par rapport à ses obligations légales qui sont la tenue d’une comptabilité régulière et sincère. Aussi dans ce cas, la charge de la preuve pèse sur le contribuable dans la mesure où l’administration a établi une imposition conforme à l’avis de la commission. En revanche, celle-ci conserve tout naturellement ce fardeau dans l’hypothèse où l’avis de la CDI n’est pas en conformité avec l’évaluation de la base d’imposition retenue par elle. Ainsi quand l’administration constate lors d’une vérification de comptabilité, l’existence d’un acte anormal de gestion et que la comptabilité comporte de graves irrégularités, le 69 art. L 192 du LPF : « Lorsque l’une des commissions visées à l’article L 59 du LPF est saisie d’un litige ou d’un redressement, l’administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quelque soit l’avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l’imposition a été établie conformément à l’avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l’administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge. Elle incombe également au contribuable à défaut comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d’office à l’issue d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L 16 et 69. ».

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contribuable devra établir que cet acte litigieux a été fait dans l’intérêt de son entreprise. Le fardeau pesant sur lui est assez lourd car il doit apporter une preuve négative : l’absence d’acte anormal de gestion. Cependant il nous semble important de relever que cette charge ne pèse sur le contribuable que dans la mesure où l’avis de la CDI est conforme au redressement établi par l’administration ce qui tend à démontrer la réalité de la base retenue. Par ailleurs, ce renversement de la charge de la preuve découle d’une situation de non-conformité du contribuable par rapport à ses obligations aussi il semble normal qu’il soit sanctionné sur le terrain de la preuve. Il apparaît que cette situation s’explique simplement du fait des graves irrégularités de la comptabilité. En effet, l’administration ne pouvant se fonder sur la comptabilité pour établir les bases d’imposition, va utiliser une méthode de reconstitution du chiffre d’affaires ou des revenus du contribuable. Mais une telle méthode peut être très loin de la réalité. Aussi lorsque la CDI rend un avis non conforme à la position de l’administration, cela tend à montrer que cette dernière s’est trompée et c’est tout naturellement qu’elle devra supporter la preuve de ce qu’elle avance compte tenu du caractère non fiable de sa méthode. Ainsi lorsque la comptabilité du contribuable comporte de graves irrégularités, le principe est celui du renversement de la charge de la preuve en cas de saisine de la CDI rendant un avis conforme. On remarque bien que ce cas est une vraie dérogation légale aux règles de preuve puisque le fardeau de la preuve est fixé indépendamment de la matière fiscale visée. En effet, peu importe que l’administration conteste l’inscription comptable d’une dépense ou une écriture qui retrace l’évolution de l’actif, la solution est la même. β) En cas d’absence de comptabilité : Après le cas des graves irrégularités comptables, l’article L 192 du LPF vise un cas très proche qui est celui de l’absence de comptabilité. Cependant dans cette hypothèse, malgré la saisine de la CDI, quelque soit le sens de l’avis rendu par elle, le contribuable va toujours supporter de facto la charge de la preuve quelque soit le fondement du redressement invoqué par l’administration. Aussi en matière d’acte anormal de gestion, le contribuable va devoir prouver la réalité de la dépense, la justification du montant ainsi que l’intérêt de l’entreprise dans l’acte. Le LPF prévoit un dernier cas où le contribuable supporte toujours la charge de la preuve qui n’est autre que l’hypothèse de la taxation d’office à la suite d’un examen contradictoire de la situation personnelle. Cependant du fait du caractère personnel, cette procédure ne concerne en rien les actes anormaux de gestion qui relèvent de la vie des sociétés. Aussi cette hypothèse n’a pas à être développée. Ainsi nous venons de passer en revue les divers cas d’exceptions légales au principe selon lequel en cas de saisine de la CDI, l’administration supporte toujours la charge de la preuve. Néanmoins des doutes se sont élevés quant à la signification de la rédaction de l’article 10 de la loi dite Aicardi du 08 juillet 1987. En effet, certains ont avancé l’idée que cette loi ne règle le problème du fardeau de la preuve que dans l’hypothèse où l’administration supportait à la base cette charge. Selon ces auteurs le régime ainsi prévu serait alors trop favorable au contribuable qui verrait dans la saisine de la CDI un moyen d’échapper à la preuve qu’il supportait initialement comme par exemple pour la justification des écritures des charges.

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Ces opinions n’ont pas été sans effet sur la jurisprudence qui n’a pas remis en cause la solution légale posée par la loi Aicardi mais qui y a introduit une précision importante (b). b) Un principe sans effet sur la justification des écritures par le contribuable Si on procède à un petit rappel des principes appliqués en matière d’acte anormal de gestion, on se rend compte que le contribuable doit justifier de la réalité et de la correcte transcription comptable des écritures de charges70. Cependant avant l’intervention de la loi Aicardi, il semblerait que lorsque l’administration constatait l’existence d’un acte anormal de gestion et que cette qualification litigieuse donnait lieu à la saisine de la CDI, alors la charge de la preuve pouvait être inversée selon l’avis rendu par la commission71. Cependant la loi Aicardi a supprimé le lien qui existait entre l’avis de la CDI et la charge de la preuve car l’administration supporte, dans tous les cas où la commission a été saisie, le fardeau de la preuve quelque soit le sens de l’avis rendu. Cette idée peut donner lieu à deux interprétations différentes qui ont posé en pratique de nombreux problèmes. α) Une affirmation susceptible de plusieurs interprétations En premier lieu, on peut considérer que les auteurs de la loi ont voulu faire supporter la charge de la preuve automatiquement à l’administration, quelque soit le sens de l’avis de la commission mais aussi quelque soit l’attribution initiale de la preuve. En effet, selon cette interprétation peut importe que l’on se trouve dans un cas où seul le contribuable est en mesure d’apporter les justifications nécessaires pour les écritures de charges. Une telle hypothèse semble avantager le contribuable qui a alors tout intérêt à saisir la commission en cas de litige avec l’administration car soit l’administration devait apporter la preuve de l’acte anormal de gestion et elle conserve ce fardeau, soit le contribuable supportait cette charge et du fait de l’intervention de la commission, il ne la supporte plus. En deuxième lieu, on peut considérer que les auteurs de la loi Aicardi n’ont voulu régler que la situation dans laquelle l’administration supportait initialement la charge de la preuve. Dans une telle hypothèse, cette nouvelle rédaction de l’article L 192 du LPF tend à protéger les contribuables contre un renversement de la charge de la preuve dû à la saisine de la CDI. L’esprit de cette loi était d’atténuer les déséquilibres qui existent dans les relations entre les contribuables et l’administration. En effet, dans le cadre d’une procédure de redressement, les services fiscaux ont une position plus avantageuse : tout d’abord du fait du privilège du préalable ceux-ci peuvent redresser les bases d’imposition qui leur semble incorrectes mais aussi du fait de la position de demandeur du contribuable qui supporte très souvent la charge de la preuve ( sauf en matière d’acte anormal de gestion où l’administration doit au préalable établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer l’existence d’un tel acte). Aussi si l’on considère que l’administration supporte la charge de la preuve dans tous les cas, le déséquilibre jouant au détriment des contribuables devient alors un déséquilibre au détriment des services fiscaux puisque dès lors que la CDI a été saisie, le contribuable se trouve déchargé du fardeau de la preuve. Il semble que la loi n’ait pas voulu amoindrir un déséquilibre pour en instituer un autre. 70 Voir CE plén. 27.07.1984, Renfort Service, préc. 71 CE 17.06.1994, Sté Nord Eclair, RJF 1994, n°08-09, p. 560

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En examinant les intentions des rédacteurs de ce texte on se rend bien compte que c’est la vision restrictive de son domaine d’application qui doit être retenue. La commission ne peut être saisie que dans le cadre d’une procédure de redressement contradictoire. Or on peut avancer que dans la plupart des hypothèses les contribuables qui font l’objet d’une telle procédure n’acceptent pas les bases de redressement qui leur sont proposées. Aussi, du fait des règles de procédure posées par le LPF, l’administration supporte initialement la charge de la preuve. Ainsi, antérieurement à l’intervention de la loi Aicardi, en cas de saisine de la commission, soit l’administration continuait de supporter la charge de cette preuve si l’avis lui donnait tort, soit un renversement s’opérait au détriment du contribuable. Au final, le contribuable pouvait perdre son statut « privilégié » ce qui ne l’incitait pas à saisir la commission, organe pourtant institué en vue d’apporter des garanties procédurales. Cette idée du rejet de cette procédure pré-contentieuse par les contribuables a été bien comprise par les rédacteurs de la loi Aicardi qui ont rédigé un rapport comprenant notamment cette idée : « Bien des contribuables renoncent à cette faculté par crainte d’un renversement à leur détriment de la charge de la preuve, d’autant plus injustifié qu’ils ont régulièrement souscrit leur déclaration et tenu leur comptabilité, et l’on voit fréquemment l’administration prendre l’initiative de saisir la commission dans le seul but de renverser la charge de la preuve, ce qui n’est certainement pas la finalité de cette institution. »72

Ainsi il nous semble que c’est pour éviter que le contribuable ne subisse la charge de la preuve dans un cas où l’attribution initiale de ce fardeau incombait à l’administration, que les rédacteurs de la loi Aicardi sont intervenus pour modifier le contenu de l’article L 192 du LPF. Après avoir vu que la rédaction de l’article L 192 du LPF posait des problèmes d’interprétation quant aux hypothèses visées, nous allons à présent nous attacher à développer quelle a été la position adoptée par la jurisprudence, position qui a été très récemment réaffirmée dans un arrêt d’importance du Conseil d’Etat. β) l’interprétation retenue par la jurisprudence : le contribuable conserve la charge de la preuve quand celle-ci pesait déjà sur lui à l’origine

La jurisprudence a pris expressément position sur la question de savoir si le nouvel article L 192 du LPF concernait toutes les hypothèses de saisine de la CDI y compris en cas de charge de la preuve pesant initialement sur le contribuable ou non dans un arrêt concernant un acte anormal de gestion : l’arrêt « Véticlam » du Conseil d’Etat du 20 mai 198873. Cette précision est importante car la loi Aicardi ne concernait pas que le domaine du droit fiscal et par là même le domaine des actes anormaux de gestion. Mais c’est à l’occasion d’un problème de ce type que la Haute Juridiction s’est prononcée. Ceci nous montre une fois de plus que le domaine de la preuve en droit fiscal et plus précisément de la charge de la preuve a connu de grandes évolutions grâce à la répression des actes anormaux de gestion. Dans cette espèce, une société, la société Véticlam, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité par l’administration qui a débouché sur la constatation par celle-ci d’actes anormaux de gestion. Elle a alors adressé une notification de redressement à la société dans le cadre de la procédure contradictoire, qui a expressément refusé les bases d’imposition 72 P. Collin, « Contentieux : charge de la preuve », ccl. Sous CE sect. 20.06.2003, Sté Etablissements Lebreton, RJF 2003, n°10, p.759 73 CE 20.05.1988, Véticlam, RJF 1998, n°7, p.590

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proposées par l’administration. La CDI a été saisie et la société se prévaut de cette saisine en s’appuyant sur l’article L 192 du LPF pour établir que l’administration supporte la charge de prouver que les dépenses ne sont pas justifiées dans leur montant dans le cadre de l’acte anormal de gestion ainsi relevé. Les juges du Conseil d’Etat vont ici pleinement prendre position sur ce problème en rappelant dans un premier temps le principe posé par le LPF à savoir que l’administration supporte la charge de la preuve quelque soit le sens de l’avis rendu par la commission. Cependant ils poursuivent en posant le principe selon lequel dans tous les cas il appartient au contribuable, que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires ait été saisie ou non, de justifier, tant du montant de ses charges que de la correction de leur inscription en comptabilité. Le considérant ne peut pas être ici plus clair sur la position à adopter en ce qui concerne le domaine d’application de la nouvelle rédaction de l’article L 192 du LPF. On sent bien que les juges ont voulu dissiper toutes les ambiguïtés qui avaient pu naître de la rédaction de la loi, c’est pourquoi on trouve tant de précisions dans ce considérant. On peut trouver par exemple la précision que le contribuable doit supporter la charge de la preuve que la commission ait été saisie ou non mais aussi le rappel du contenu même de la preuve pesant sur le contribuable alors que ce contenu avait déjà été clairement précisé par l’arrêt Renfort Service74. Au final, nous avons là encore une combinaison des règles du droit commun, issues du LPF, avec les règles spécifiques issues du CGI. L’analyse ici retenue par les juges est la même que celle qui avait été retenue par les juges du fond dans un arrêt75 qui a considéré que la loi du 08 juillet 1987 n’avait pas pour objet de modifier le principe selon lequel il appartient au contribuable de justifier de la réalité et du montant des écritures de charges. Cependant cet arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi mais ne portant pas sur la question de la charge de la preuve, cette idée n’avait pas été entérinée par le Conseil d’Etat, ce qui est chose faite depuis l’arrêt « Véticlam ». Par ailleurs cette position a été clairement réaffirmée récemment à nouveau par le Conseil d’Etat dans sa formation la plus solennelle76. Mais cet arrêt fait plus que réaffirmer la position antérieure ; en effet, il l’explicite comme si l’arrêt « Véticlam » n’avait pas suffi à dissiper les doutes quant au régime applicable. Cette espèce concerne à nouveau le domaine des actes anormaux de gestion. En effet, la société Lebreton est une filiale d’un holding. La société mère lui fournit des prestations de services d’assistance administrative et financière en contrepartie du versement d’une rémunération forfaitaire. L’administration à la suite d’une vérification de comptabilité conteste la déduction au niveau du résultat d’une partie des rémunérations. La CDI a été saisie et rend un avis favorable à la société en considérant que l’administration, pour l’essentiel n’avait pas retenu des bases d’imposition correctes. Cependant l’administration décide tout de même de mettre en recouvrement les redressements litigieux ce qui a donné lieu à un contentieux.

74 CE plén. 27.07.1984, Renfort Service, préc. 75 CAA Lyon plén. 05.07.1994, Sté Volvic, Dr. Fisc. 1994, n°51, comm. 2234 76 CE plén., 20.06.2003, Sté Etablissements Lebreton, préc.

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La question se posant ici est la même que celle d’ores et déjà traitée par le Conseil d’Etat huit années auparavant. Mais la Haute Juridiction s’est sentie obligée de préciser, de justifier la position ainsi adoptée. En effet, le considérant aurait pu se contenter de reproduire en ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de la dévolution de la charge de la preuve, le considérant de l’arrêt « Véticlam ». En effet, l’arrêt reproduit dans un premier temps le texte de l’article L 192 du LPF pour ensuite préciser qu’il faut se référer aux travaux préparatoires pour tirer le sens de cet article. Le Conseil d’Etat précise bien que le législateur a voulu mettre fin à l’état du droit antérieur sous l’empire duquel l’avis…. avait pour effet s’il était favorable à l’administration fiscale, d’attribuer au contribuable la charge d’une preuve que l’intéressé n’aurait pas supportée en l’absence de saisine de la commission. Il ressort de cette précision que le Conseil d’Etat entend donner toute sa force au principe selon lequel le contribuable doit toujours prouver pour une écriture de charges la réalité et le montant de celle-ci, indépendamment de l’avis rendu par la CDI. Par ailleurs, le fait que cet arrêt ait été rendu dans la formation la plus solennelle de la juridiction n’est pas sans incidence. C’est un élément de plus qui nous permet d’affirmer que les juges ont entendu faire disparaître tous les doutes qui auraient pu subsister malgré l’arrêt « Véticlam ». Cette position semble conforme au fait que les règles d’attribution de la charge de la preuve en droit fiscal relèvent du domaine de la loi. Or le LPF a fixé des principes, posant que les règles dépendent de la procédure d’imposition suivie. Mais le juge a combiné ces principes avec les principes qui font dépendre la charge de la preuve de la nature de l’écriture comptable. Aussi toutes ces règles qui sont aujourd’hui prises en compte pour déterminer la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion sont comprises dans des dispositions législatives. Dès lors on ne peut déroger à ces normes que par une autre disposition législative. Or la loi du 08 juillet 1987, n’ayant décidée d’imposer à l’administration la charge de la preuve que pour éviter un renversement de celle-ci au détriment du contribuable ; les juges ne pouvaient pas par voie prétorienne décider que l’administration supporte de facto dans tous les cas où la commission a été saisie la charge de la preuve de l’acte anormal de gestion alors même que la loi pose que c’est au contribuable de justifier certains éléments. On ne peut donc que saluer l’attitude des juges qui ont scrupuleusement respecté la hiérarchie des normes, principe très important qui fonde tout notre droit français.

Ainsi en guise de conclusion, on peut constater que les juges se sont appliqués à définir les règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve en droit fiscal, dans des espèces touchant toujours le domaine des actes anormaux de gestion. Mais c’est toujours ce même domaine qui a permis aux juges de définir quels sont les éléments qui peuvent bouleverser la dévolution de la charge de la preuve ainsi définie par des règles légales ou par la jurisprudence. Au premier rang de ces incidents on trouve comme on vient de le voir l’intervention de la CDI. La saisine de cette commission a joué un rôle variable selon la période à laquelle se rattache les faits. En effet, avant 1987, la saisine de cette commission bouleversait complètement la charge de la preuve en ce sens que l’une des parties pouvait après l’avis de la CDI supporter la charge d’une preuve qu’elle ne supportait pas auparavant. Ainsi l’intervention de cette commission pouvait vraiment être qualifiée d’incident de procédure important au niveau de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion.

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Cependant du fait des inconvénients découlant de cette position, en 1987, le législateur a adopté un texte minimisant l’effet de la saisine de la CDI sur la dévolution de la charge de la preuve. Aujourd’hui l’avis rendu par la commission est sans effet dans les cas où l’administration supportait à la base la charge de prouver les éléments litigieux. Par ailleurs, dans tous les cas où le contribuable supportait la charge de la preuve avant la saisine de la commission, ce dernier conserve la charge de prouver ce qui lui incombe quelque soit l’avis de la commission. On peut en conclure que le rôle de la CDI perd de son importance au regard de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion puisque le contribuable devra toujours prouver la réalité et la correcte transcription comptable des dépenses litigieuses. Mais au rang des éléments qui affectent la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion, il faut aussi inclure les incidents de procédure (section 2) Section 2 : les incidents découlant de l’attitude du contribuable durant la procédure

La décision « Renfort Service » semblait lier l’attribution de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion uniquement à la nature des écritures comptables en cause. On tenait compte de la qualité d’écriture d’actif ou de charges ou encore de provisions ou d’amortissements. Ainsi, il semblait que les juges avaient voulu dénier toute importance à la procédure d’imposition qui constitue pourtant le fondement des règles de dévolution de la charge de la preuve en droit fiscal. Mais les décisions ultérieures ont rétabli un certain équilibre en réintroduisant progressivement une influence aux divers incidents de procédure. En premier lieu, c’est comme nous l’avons vu la saisine de la CDI qui a modifié les règles de la charge de la preuve. Cependant cette saisine ne peut pas vraiment être analysée comme un incident de procédure stricto sensu car elle ne découle pas du caractère contradictoire ou non de la procédure de redressement. Elle n’est pas conditionnée réellement par la procédure mise en œuvre par l’administration. En deuxième lieu, les juridictions ont donné toute leur force aux dispositions du LPF en admettant que certains évènements tels que l’acceptation des redressements (A) ou la mise en œuvre d’une procédure d’office (B) bouleversent la dévolution de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion découlant de la jurisprudence « Renfort Service ».

A) L’incidence de l’acceptation des redressements sur la charge de la preuve

1) Intérêt de la question en matière d’acte anormal de gestion

Comme nous l’avons déjà vu dans les premiers développements, un contribuable qui est redressé par l’administration reçoit une notification de redressement. Il a alors un délai de trente jours pour présenter ses observations, autrement dit pour contester les redressements qui sont proposés par les services fiscaux, ou pour accepter les redressements. Cette acceptation peut être explicite et résulter d’un courrier du contribuable dans ce sens. Mais elle peut aussi être tacite et résulter du silence du contribuable durant ce délai de trente jours.

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Comme nous l’avons déjà vu, l’article R 194-1 du LPF prévoit qu’en cas d’acceptation des redressements par le contribuable, celui-ci supporte la charge de prouver que le redressement mis en œuvre n’est pas fondé. La question qui s’est posée en jurisprudence comme en doctrine après l’arrêt « Renfort Service » et plus particulièrement après l’arrêt « Boutique 2M » est celle de savoir si un événement comme l’acceptation des redressements était de nature à influencer la charge de la preuve des actes anormaux de gestion du fait de la combinaison entre les règles issues du LPF et du CGI. Un événement procédural peut-il influencer la preuve à apporter d’une écriture comptable ? Il est tout d’abord important de rappeler que dans le domaine des actes anormaux de gestion, le contribuable doit toujours justifier de l’exactitude des écritures comptables quand elles portent sur des créances de tiers, des amortissements, des provisions ou des charges. Aussi la question de l’incidence de l’acceptation des redressements ne modifie en rien cette preuve qui pèse toujours sur le contribuable quelque soit la procédure d’imposition suivie et peu importe que la CDI ait été saisie et peu importe le sens de son avis. Par contre, un telle acceptation pourrait modifier la charge de la preuve en ce qui concerne l’existence ou l’absence d’intérêt de l’entreprise dans l’acte litigieux. En effet, depuis l’arrêt « SA Intertrans »77, il est de jurisprudence constante que c’est à l’administration d’établir que l’acte n’a pas été exposé dans l’intérêt de l’entreprise. Aussi la question qui se pose actuellement à nous est d’importance pour le contentieux de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion. 2) Les applications jurisprudentielles

Le Conseil d’Etat a pris expressément position sur cette question dans un arrêt « Bodnia » du 13 mai 199178. Dans cette affaire, il était question d’une entreprise individuelle dirigée par Monsieur Bodnia qui a fait l’objet d’une vérification de comptabilité par l’administration. Cette dernière a conclu notamment à l’existence d’actes anormaux de gestion en ce qui concerne des frais de déplacements et de réception de personnes étrangères à l’entreprise mais aussi en ce qui concerne l’utilisation personnelle d’un véhicule figurant à l’actif de l’entreprise. Dans un pareil cas, en dehors de toute prise en considération de la procédure, l’administration doit établir les faits sur lesquels elle se fonde. Puis le contribuable doit justifier de l’inscription comptable de ces écritures et enfin l’administration doit apporter la preuve que ces actes ne se justifient pas par l’intérêt de l’entreprise. Cependant le Conseil d’Etat va faire une application inédite des règles de preuve en fonction de la procédure en considérant que si le contribuable accepte les redressements qui lui sont notifiés par les services fiscaux sur des écritures de charges ; alors il devra lui-même apporter la preuve que ces charges ont été engagées dans l’intérêt de l’entreprise s’il entend tout de même en obtenir la déduction. C’est une véritable incursion des règles de dévolution de la charge de la preuve en fonction de la procédure d’imposition qui est ici consacrée. En effet, on voit bien que certaines écritures 77 CE 08.08.1990, SA Intertrans, préc. 78 CE 13.05.1991, Bodnia, RJF 1991, n°7, p.579

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doivent toujours être supportées par le contribuable peu importe la procédure qui est mise en œuvre par l’administration. Mais à côté de cette preuve bien particulière, on retrouve le régime du droit commun de la preuve en droit fiscal. Aussi peut-on peut-être qualifier le régime de la preuve en matière d’acte anormal de gestion de régime hybride. Quelque part, on peut penser que les juges se sentent dépassés par l’évolution du régime de la preuve en matière d’acte anormal de gestion car cette preuve devient de plus en plus autonome. Aussi peut-être ont-ils voulu, par le biais de l’incidence de l’acceptation des redressements, consacré un certain retour aux sources du droit de la preuve sans contredire pour autant la jurisprudence « Renfort Service » qui est bien établie et surtout qui n’est pas contestée. Par ailleurs ce mouvement n’est pas isolé et il a été confirmé par un autre arrêt du Conseil d’Etat « SARL Copag »79 qui a considéré que si l’administration doit prouver que le contribuable a cédé un élément d’actif à un prix inférieur à la valeur vénale pour constater l’existence d’un acte anormal de gestion, cette charge est cependant transférée au contribuable si celui-ci a accepté les redressements. Cette décision fait par ailleurs référence aux règles du droit commun de la procédure pour justifier ce renversement de la charge de la preuve. Ainsi on retrouve ici l’idée que le contribuable doit être tenu pour responsable quand il a accepté les redressements. C’est cette attitude qui est ici réprimée par le renversement de la charge de la preuve. On peut par ailleurs tenter de justifier cette position par la volonté de ne pas placer le contribuable dans une situation avantageuse au détriment de l’administration. En effet, on l’a vu, la loi Aicardi a eu pour objectif de restaurer une certaine équité dans les relations entre les services fiscaux et le contribuable en cas de saisine de la CDI. On peut penser que la volonté des juges a été ici la même, à savoir qu’en cas d’acceptation par le contribuable des redressements proposés, l’administration doit être déchargée d’une partie de son fardeau de la preuve. Une telle idée pouvait être mise en œuvre en ayant recours aux règles du droit commun de la preuve, en fonction de la procédure. Ainsi nous venons de voir comment, progressivement, certaines règles de preuve en fonction de la procédure sont réapparues dans le paysage de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion. Cette réapparition a tout d’abord touché la CDI, puis l’acceptation des redressements et enfin la procédure de taxation d’office (B).

B) L’incidence de la procédure de taxation d’office sur la charge de la preuve

Après avoir admis que la charge de la preuve dépend aussi de la procédure d’imposition dans le cas de l’acceptation des redressements par le contribuable, il se posait tout naturellement la question de savoir si ce raisonnement devait être étendu aux cas où le redressement découle d’une procédure de taxation d’office. Une telle procédure a t’elle une influence sur le régime de la dévolution de la charge de la preuve pour les actes anormaux de gestion ?

79 CE 16.06.1993, SARL Copag, RJF 1993, n°08-09, p. 689

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Cette question est très importante dans la mesure où le LPF prévoit dans son article 193 que si l’imposition a été établie d’office, le contribuable doit supporter la charge de la preuve. Si on reconnaît une influence à cette disposition dans le cadre de la répression des actes anormaux de gestion, alors les règles de preuve sont totalement bouleversées et on ne peut pas s’en tenir aux règles découlant de l’arrêt « Renfort Service ». Il faut relever qu’un premier arrêt a été rendu sur ce point en 198680 et a considéré que les règles issues de la jurisprudence « Renfort Service » devaient prévaloir sur le fait qu’il y ait eu une procédure de taxation d’office. Aussi l’administration conservait la charge d’établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer l’acte anormal de gestion. Cependant cette décision n’est pas significative à nos yeux car elle a été rendue peu de temps après l’arrêt « Renfort Service » dans une période de doute quant à la portée véritable de cet arrêt. On se demandait alors si la charge de la preuve pour les actes anormaux de gestion dépendrait toujours et uniquement de la nature de l’écriture comptable. Aussi malgré cette décision, on pouvait penser que la jurisprudence allait évoluer dans le sens de la prise en compte de la procédure de taxation d’office sur la charge de la preuve d’un acte anormal de gestion. En effet, le Conseil d’Etat avait déjà infléchi sa position issue de l’arrêt « Renfort Service » en admettant que l’avis de la CDI81 ou l’acceptation des redressements par le contribuable82, déterminent la charge de la preuve même si c’est l’administration qui invoque l’existence d’un acte anormal de gestion. Cette évolution a été consacrée dans un arrêt « Spitaletto » du Conseil d’Etat83. Cette affaire concernait la société « Spitaletto Frères », société de fait, qui a fait l’objet d’une procédure de vérification de comptabilité de la part de l’administration fiscale, qui a procédé à divers rehaussements des BIC. Cependant la procédure qui a été suivie est la procédure d’évaluation d’office du fait du dépôt tardif des déclarations de bénéfices. Ainsi il s’est posé la question de savoir qui de l’administration ou de la société devait supporter la charge de prouver que les faits retenus relevaient ou non d’une gestion anormale. L’hypothèse de la taxation d’office est celle où le contribuable s’est mis dans une situation de carence déclarative, c’est donc à l’administration d’établir spontanément l’imposition. Il semblerait normal dans un tel cas que le contribuable soit sanctionné sur le terrain probatoire. En effet, on ne peut pas considérer que le non-dépôt de la déclaration par le contribuable entraîne la nécessité pour l’administration d’établir une imposition qu’elle devra en plus justifiée en cas de contestation ultérieure. Le Conseil d’Etat a fait preuve de cohérence pour la solution adoptée. En effet, dans la droit lignée des arrêts précédents, il a rappelé que le principe selon lequel il appartient à l’administration d’établir les faits sur lesquels elle se fonde…ne peut toutefois recevoir application que dans le respect des dispositions législatives et réglementaires….Dans le cas d’un contribuable dont les bénéfices font l’objet d’une évaluation d’office, il lui appartient de démontrer que les faits invoqués par l’administration ne relèvent pas d’une gestion anormale. Ainsi on retrouve cette volonté des juges de rattacher le régime de la preuve des actes anormaux de gestion aux principes légaux du droit commun de la preuve.

80 CE 16.06.1986, RJF 1986, n°10, p. 577 81 CE 27.07.1988 plén., Boutique 2M, préc. 82 CE 13.05.1991, Bodnia, préc. 83 CE 08.01.1993, B. Spitaletto, RJF 1993, n°3, p.201

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En guise de conclusion, il faut noter que les règles de procédure prennent une part de plus en plus grande dans le domaine de la preuve de la gestion anormale. En effet, aux lendemains de l’arrêt « Renfort Service », on imaginait que la charge de la preuve en cette matière ne dépendait que de la seule nature des écritures et on distinguait entre les écritures retraçant l’évolution de l’actif et les écritures que l’on peut qualifier de charges. On pensait réellement que la preuve des actes anormaux de gestion était comme une exception aux règles de preuve en droit fiscal. Cependant, rapidement, la portée de cet arrêt a été réduite pour aujourd’hui ne se limiter, comme le remarque le commissaire du gouvernement dans ses conclusions sous l’arrêt « Spitaletto »,qu’ à la fixation des principes généraux de la preuve en matière d’acte anormal de gestion sauf intervention d’actes de procédure de nature à influer sur la charge de la preuve84. De cette jurisprudence il ne faut conserver que l’idée que le contribuable doit toujours apporter la preuve correspondant à la réalité des écritures de charges quelque soit la procédure d’imposition. Ainsi tous les éléments de procédure qui ont été cités dans ce chapitre ont une influence sur la charge de la preuve des actes anormaux de gestion. Mais il nous faut à présent étudier d’autres éléments qui peuvent avoir une influence sur la charge de la preuve mais qui ne découlent pas de la procédure d’imposition (chapitre 2)

84 P. Martin, ccl. Sous CE 08.01.1993, RJF 1993, n°3, p.185

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Chapitre 2 Les relations particulières influençant la charge de la preuve

Ainsi les règles posées tant par le LPF que par le CGI, se trouvent modifiées par les divers incidents de procédure. Cependant, ces incidents ne sont pas les seuls à avoir un tel effet. Il faut dans la recherche de l’acte anormal de gestion, tenir compte des relations existant entre l’entreprise, auteur de l’acte, et son bénéficiaire. En effet, on peut aisément comprendre que dans le cadre des relations mère-fille, les actes permis soient d’un contenu différent des actes permis aux simples entreprises (section 2). Mais à côté de ce régime, il faut encore relever l’existence de présomptions d’anormalité qui ont pour but de déplacer la preuve des actes anormaux de gestion (section 1). Section 1 : Les présomptions d’anormalité Le droit fiscal moderne est marqué par la volonté de rééquilibrer les relations entre l’administration et les contribuables afin que ceux derniers ne soient pas démunis face aux redressements invoqués par les services fiscaux. Néanmoins le souci d’accorder des garanties aux contribuables ne doit pas faire oublier la nécessité d’éviter et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Dans cette optique, le législateur a établi un certain nombre de présomptions particulières qui avantagent l’administration. Nous allons voir que ces dispositions modifient en profondeur le régime de la charge de la preuve en ce qui concerne les actes anormaux de gestion (A). Mais à côté de ces dispositions formelles, il existe des dépenses qui sont présumées anormales par l’administration quand elles sont effectuées par une entreprise. Cette qualification va entraîner des conséquences au niveau de la charge de la preuve au détriment là encore du contribuable (B).

A) Les dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale internationale et les actes anormaux de gestion

Aujourd’hui, les groupes de sociétés sont très souvent des instruments d’évasion de la matière fiscale. Cela consiste par le biais d’opérations fictives ou réalisées à des conditions différentes du marché, à transférer des bénéfices à l’étranger afin que ceux-ci ne soient pas soumis à l’impôt en France. Le pays qui profite alors de ces sommes est un pays dit »à fiscalité privilégiée » c’est-à-dire un pays où les impôts sont notablement moins élevés qu’en France voir même où ils sont inexistants85. Le fondement de l’acte anormal de gestion peut se trouver tant au niveau interne qu’au niveau international. Ainsi, par le biais de ces dispositions, le législateur tente de réprimer des actes anormaux de gestion puisque très souvent ces actes vont contribuer à affaiblir le patrimoine

85 définition précise à l’art. 238 A du CGI : ….les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts notablement moins élevés qu’en France.

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de la société française. L’étude de ces dispositifs rentre donc dans le cadre défini pour ce mémoire. Les techniques de transfert de bénéfices, qui sont visées par le législateur, sont variées et on peut citer à titre d’exemple des achats à un prix majoré ou des ventes à un prix diminué ; ce qui conduit pour l’entreprise soit à dépenser plus pour les achats soit à gagner moins sur les ventes. Mais l’évasion peut se pratiquer aussi par le biais de versement de redevances excessives ou sans contrepartie, ce qui conduit au même résultat. Ainsi ces divers exemples nous permettent de faire le rapprochement avec la théorie de l’acte anormal de gestion car on est en présence d’actes qui sont effectués dans le seul but de délocaliser des revenus au détriment de l’entreprise. Ces actes rentrent donc dans la définition de l’acte anormal de gestion, car l’intérêt de l’entreprise française ne préside pas dans la conclusion de l’acte. Pour réprimer de tels actes au niveau international, le législateur a adopté deux articles (57 et 238 A) du CGI qui établissent une véritable présomption en faveur de l’administration. Cependant cette présomption ne joue que si l’administration a été en mesure de prouver certains éléments (1). Mais malgré la mise en jeu de cette présomption, il est laissé au contribuable la possibilité d’apporter la preuve contraire, lui permettant alors de combattre l’acte anormal de gestion (2).

1) Les éléments de preuve à la charge de l’administration pour établir la présomption

Le régime des articles 57 et 238 A du CGI n’étant pas le même du point de vue de la preuve à apporter il convient de distinguer ces articles afin d’établir les éléments qui doivent être prouvés par l’administration pour que la présomption de transfert illicite de bénéfices soit mise en œuvre. a) Le régime de l’article 57 du CGI

Cet article permet à l’administration française de redresser les résultats déclarés par des entreprises françaises qui sont sous la dépendance juridique d’une entreprise située hors de France ou possède le contrôle d’une entreprise étrangère86. Le mécanisme de l’article 57 du CGI est très proche de celui qui est pratiqué au niveau interne en matière d’acte anormal de gestion, tant et si bien que les actes qui sont concernés par cet article, constituent des actes anormaux de gestion mais avec la dimension internationale en plus. Cependant si au niveau interne, l’administration doit établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer l’acte anormal de gestion ; au niveau international, il lui ai demandé d’apporter préalablement à tout redressement une double preuve. 86 Art. 57 du CGI : Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l’égard des entreprises qui sont sous la dépendance d’une entreprise ou d’un groupe possédant également le contrôle d’entreprises situées hors de France. La condition de dépendance ou de contrôle n’est pas exigée lorsque le transfert s’effectue avec des entreprises établies dans un Etat étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié….

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α) La preuve de la dépendance entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère Il est normal d’imposer à l’administration d’apporter des éléments concrets de preuve avant de lui permettre de remettre en cause des avantages particuliers qui ont été consentis à une entreprise étrangère. En effet, on peut concevoir qu’une entreprise française consente un avantage à une entreprise étrangère parce qu’elle sait que cela aura des conséquences positives pour elle. On peut envisager à titre d’exemple la conclusion d’un contrat important. Un tel comportement semble conforme à la recherche de l’intérêt qui préside la constitution de toute entreprise ; dès lors, l’administration ne semble pas en droit de remettre en cause cet avantage. C’est pour éviter ce type de situation et éviter une action discrétionnaire de l’administration dans le fonctionnement des entreprises que le législateur a conditionné la présomption de transfert illicite de bénéfices à la preuve de la dépendance entre les deux entreprises. L’article 57 ne donnant pas de définition de la dépendance, la jurisprudence a estimé que l’on peut regrouper sous ce terme tant la dépendance juridique que la dépendance de fait. → la dépendance juridique s’entend comme le fait pour une entreprise de détenir une part prépondérante du capital d’une autre entreprise ou la majorité absolue des suffrages susceptibles de s’exprimer dans les assemblées87

→ la dépendance de fait découle de la capacité d’une entreprise de dicter les conditions économiques à l’autre entreprise88 même si elles sont défavorables pour celle-ci. On peut citer à titre d’exemple le fait pour une société française liée par contrat à une société étrangère qui fixait le prix d’achat et de vente, de devoir rendre des comptes sur les opérations effectuées et de devoir verser des redevances pour utilisation de la marque dont était propriétaire la société étrangère89. Il est important de noter qu’avant l’intervention de la loi Aicardi, quand le désaccord avait été soumis à la CDI, l’avis ainsi rendu pouvait permettre d’établir la preuve de la dépendance de fait, quand cet avis était favorable à l’administration. Depuis l’adoption de cette loi, l’administration conformément à l’article L 192 du LPF, conserve la charge de prouver le lien de dépendance de fait. L’avis de la commission ne pouvait modifier la preuve à la charge de l’administration que dans l’hypothèse d’une dépendance de fait, la CDI ne connaissant pas des questions de droit. Ainsi afin de pouvoir mettre en œuvre la présomption de transfert illicite de bénéfices, l’administration doit prouver la dépendance entre les deux entreprises. Cependant, celle-ci est dispensée de cette preuve quand le transfert se fait au profit d’un cocontractant qui réside dans un pays à fiscalité privilégiée. Néanmoins cette preuve, quand elle est requise, n’est pas suffisante. On exige aussi de l’administration qu’elle prouve le transfert indirect de bénéfices.

87 C. Bur, L’acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l’entreprise, EFE, p.336 88 Pour le commissaire du gouvernement Ph. Martin, le critère du lien de dépendance est destiné à caractériser des situations particulières dans lesquelles une entreprise a la capacité de dicter à une autre des conditions économiques défavorables à l’entreprise dépendante mais correspondant à l’intérêt de l’entreprise dominante du groupe, ccl. sous CE 18.03.1994, RJF 1994, n°5, p.290 89 C. Bur, L’acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l’entreprise, EFE, p.338

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β) La preuve du transfert de bénéfices à l’étranger

Il s’agit ici pour l’administration de prouver que le transfert qui a eu lieu entre deux entreprises dépendantes, apporte un avantage commercial ou financier à l’entreprise étrangère. Cette preuve peut être rapportée quand on compare les prix pratiqués sur le marché français avec une entreprise tierce et les prix pratiqués pour une vente à la société étrangère en question. Si la vente se fait à un prix inférieur dans le second cas, alors on est en présence d’un transfert illicite de bénéfices90. La preuve supportée par l’administration se calque sur celle que l’administration doit apporter pour les actes anormaux de gestion, fondés sur l’article 38 du CGI, par le biais de la preuve de l’absence d’intérêt de l’entreprise dans l’acte. Ici la différence réside dans la dimension internationale. Cette double preuve préalable de l’administration entraîne la présomption de transfert illicite de bénéfices qui pèse alors sur le contribuable. Dans sa démarche, l’administration est aidée par l’existence d’une obligation d’information pesant sur le contribuable en matière de prix de transfert. Cette obligation a été instituée par la loi du 12 avril 1996 qui a instauré un article L 13 B du LPF qui permet à l’administration d’adresser aux entreprises qui font l’objet d’une vérification de comptabilité, des demandes d’information sur les prix de transfert. Cependant, l’administration ne peut mettre en œuvre cet article que lorsqu’elle a réuni des éléments faisant présumer que l’entreprise a opéré un transfert indirect de bénéfices. Si le contribuable ne se soumet pas à cette information, il encourt un redressement de ses bases d’imposition ainsi qu’une amende fiscale. Mais cette procédure n’a aucune incidence directe sur la dévolution de la charge de la preuve découlant de l’article 57 du CGI. Après avoir examiné la modification du régime de la preuve entraîné par l’article 57 du CGI, il convient à présent d’examiner quel est l’impact de l’article 238 A. b) Le régime de l’article 238 A du CGI

Cet article vise tous les paiements effectués par une entreprise française à des personnes domiciliées à l’étranger qui sont soumises à un régime fiscal privilégié. Il vise expressément les intérêts, les redevances, les rémunérations pour service de toute nature ainsi que les versements effectués sur un compte bancaire. Cet article va plus loin que l’article 57 dans la mesure où il pose une présomption de transfert illicite de bénéfices. Ces sommes sont sensées rémunérer des opérations fictives et ne peuvent donc pas être inclues dans le calcul du résultat fiscal. Cependant l’exonération de l’administration n’est pas totale dans la mesure où pour bénéficier de cette présomption, l’administration doit établir que la société étrangère est soumise à un régime fiscal privilégié. Or une telle preuve n’est pas simple à apporter dans la mesure où il ne suffit pas pour l’administration de dire que l’état où est localisé la société a une mauvaise

90 CE 17.06.1959, requête n°38476

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réputation fiscale. Il convient d’établir que les impôts y sont notablement moins élevés qu’en France91. L’administration peut se référer à un critère quantitatif : il faut que l’état connaisse un niveau d’imposition inférieur au moins au tiers des impôts qui auraient été payés en France. Ainsi, ici, on constate un éloignement avec la preuve que supporte l’administration pour les actes anormaux de gestion internes car on ne lui demande nullement d’apporter la preuve que l’acte a été accompli dans un intérêt autre que celui de l’entreprise. Il suffit que le versement soit effectué dans un pays à fiscalité privilégié. Un tel régime constitue un grand avantage pour l’administration. Ce sera au contribuable français de combattre cette présomption comme en cas d’application de l’article 57 du CGI (2).

2) Le combat contre la présomption d’anormalité par le contribuable

Pour renverser la présomption établie par l’administration, le contribuable va devoir prouver que l’anormalité issue de la présomption est fausse. Il doit retourner la situation à son avantage afin de prouver que les relations critiquées par l’administration sont issues de relations commerciales normales au regard des pratiques du marché. Là encore, il faut distinguer entre la preuve pesant sur le contribuable du fait d’une présomption de transfert indirects de bénéfices (a) et la preuve pesant sur le contribuable en cas de présomption de fictivité des rémunérations versées dans un paradis fiscal (b). a) la preuve de l’existence d’une contrepartie

Dans le cadre de l’article 57, si la présomption de transfert de bénéfices d’une entreprise française vers une entreprise étrangère joue, le contribuable peut éviter le redressement en prouvant que l’acte ainsi réalisé comporte une contrepartie pour lui. Il doit démontrer que l’opération obéit à des nécessités commerciales normales. On retrouve ici des liens de parenté avec la preuve de l’acte anormal de gestion, fondé sur l’article 38 du CGI. En effet, une fois que le contribuable a justifié des écritures de charges et que l’administration a établi que l’acte ne comporte pas d’intérêt pour l’entreprise, le contribuable peut toujours par la suite tenter de prouver que l’acte comporte bien une contrepartie. Ici, la preuve d’une contrepartie réelle constitue le seul moyen pour le contribuable d’annuler les effets négatifs de la présomption. b) la preuve de la réalité de l’opération.

Dans le cadre de l’article 238 A du CGI, la preuve qui pèse sur le contribuable est toute autre. En effet, pour que l’administration admette l’opération pour le calcul du résultat

91 rappel récent dans l’arrêt du CE 02.04.2003, Sté d’Edition des artistes peignant de la bouche et du pied, RJF 2003, n°06, p.510

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fiscal de l’entreprise française, il faut que celle-ci apporte la preuve que les sommes en cause rémunèrent des opérations réelles et qu’elles ne présentent aucun caractère exagéré. Cette double preuve doit être rapportée pour que l’opération puisse être prise en compte par l’administration. On peut se poser la question de savoir quelle est l’incidence de la saisine de la CDI sur la preuve qui pèse sur le contribuable. En effet, le fait que la CDI rende un avis favorable au contribuable, le décharge-t’il de cette preuve ? Avant l’intervention de la loi Aicardi, la jurisprudence se référait à l’avis de la commission départementale92. Aussi si l’avis était favorable au contribuable, c’était à l’administration de démontrer que les opérations en cause étaient fictives ou exagérées. Dans le cas contraire, le contribuable conservait la charge de la preuve. Cependant, ce renversement de la charge de la preuve modifiait sensiblement la portée de la présomption ainsi posée par l’article 238 A du CGI. C’est pourquoi, les juges ont refusé de faire une application littérale de l’article L 192 du LPF tel que modifié par la loi Aicardi, selon laquelle dès que la CDI a été saisie, l’administration supporte la charge de la preuve. On comprend bien dans quelle mesure une telle application aurait « mis à mort » la présomption établie. L’article 238 A n’aurait plus du tout eu l’impact qu’il a aujourd’hui. Les juges du fond ont fait une application combinée de la présomption mais aussi de l’avis de la CDI, pour décider que dans cette hypothèse, « il appartient dans tous les cas, au contribuable, que la commission départementale ait été saisie ou non et, s’il elle l’a été, quelque soit le sens de l’avis, d’établir,…la réalité des opérations auxquelles correspondent les dépenses exposées dont les montants ne doivent pas présenter un caractère anormal ou exagéré »93. Certes cet arrêt n’est issu que d’un tribunal administratif ce qui n’est exclu pas une prise de position inverse de la part des juridictions supérieures, cependant, cet arrêt tranche dans le sens de l’arrêt « Véticlam » qui considère que l’avis de la CDI est sans importance sur la preuve pesant sur le contribuable qui consiste à justifier le montant et la correcte inscription comptable des charges. Par ailleurs, il faut noter que les autres juridictions semblent adhérer à cette position car la CAA de Paris a jugé qu’il ne fallait pas faire une interprétation littérale de l’article L192 du LPF au regard de l’article 238 A du CGI dans une hypothèse où la CDI n’avait pas été saisie94. Par ailleurs, il est important de noter que l’administration fiscale est particulièrement exigeante en la matière quant à la preuve. En effet, il vaut mieux pour le contribuable en pratique qu’il se pré-constitue des preuves en cas d’opérations réalisées avec des personnes domiciliées dans un pays à fiscalité privilégiée. Dans l’hypothèse où un contribuable soutient que des commissions versées dans un pays à fiscalité avantageuse rémunéraient en fait un travail d’entremise sur un marché, la production de documents, qui n’évoquent qu’une simple possibilité de coopération, ne suffisent pas à démontrer que les opérations sont bien réelles95.

92 CE 03.11.1989, RJF 1990, n°1, p. 48 ; CAA Nancy, 19.05.1994, RJF 1994, n°11, p. 679 93 TA Rouen, 14.03.2002, Sourdeix, RJF 2003, n°5, p.454 94 CAA Paris, 29.10.1998, Dr. Fisc. 1999, n°39, comm. 718 95 TA Rouen, 13.03.2002, Sourdeix, préc.

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Ainsi comme nous venons de le voir, si l’administration constate l’existence d’un acte anormal de gestion présentant une dimension internationale particulière, elle peut redresser le contribuable français sur le fondement des articles 57 et 238 A du CGI. Cependant l’utilisation de ces articles entraînent une modification des règles de dévolution de la charge de la preuve. Dans ces hypothèses, l’administration comme le contribuable ont des rôles bien définis par le législateur. Le redressement mis en œuvre sur ces fondements sonne un peu comme une sanction pour le contribuable car il devra subir très souvent une preuve plus lourde et plus difficile à rapporter que dans le cadre de l’acte anormal de gestion de l’article 38 du CGI. Cependant ces mesures ne sont pas les seules à bouleverser la dévolution de la charge de la preuve. Il existe des dépenses qui sont présumées anormales et qui impliquent, elles aussi, une preuve plus lourde à la charge des contribuables (B). B) Les dépenses présumées anormales

En matière d’acte anormal de gestion, les règles de dévolution de la charge de la preuve peuvent encore être modifiées par la nature de l’acte envisagé. On peut rappeler que l’administration supporte en principe la charge de prouver que l’acte ne profite pas à l’entreprise mais à un tiers, sauf le cas des incidents de procédure qui ont été envisagés dans le chapitre précédent. Mais cette règle ne vaut pas comme nous venons de le voir pour les actes anormaux de gestion qui profitent à des personnes situées dans un paradis fiscal. Cette règle ne vaut pas non plus pour une catégorie de dépenses qui sont présumées anormales à la gestion commerciale normale à laquelle doit obéir toute entreprise. Il ne sera pas traité dans cette subdivision des dépenses qualifiées d’anormales par le CGI96. En effet, si dépenses bénéficient bien d’une présomption d’anormalité cependant celle-ci ne donne lieu à aucune preuve de la part du contribuable. Aussi ces dépenses ne rentrent pas dans le cadre de cette étude sur la preuve. Il convient tout d’abord de s’attacher aux dépenses qui figurent sur cette « liste » des dépenses qui sont présumées étrangères à une gestion commerciale normale (1) pour ensuite voir quelles sont les répercutions au niveau de la charge de la preuve (2).

1) Les dépenses concernées par cette présomption

La jurisprudence considère que les abandons de créances et les avances sans intérêts ne relèvent pas d’une manière générale d’une gestion commerciale normale. Un abandon de créances consiste dans le fait pour une entreprise qui est créancière d’une certaine somme d’argent auprès d’un débiteur, de renoncer à recouvrir cette créance. Ainsi il peut s’analyser comme un cadeau fait à son débiteur. Le prêt sans intérêts procède d’une même logique puisque la pratique actuelle veut que tout prêt soit rémunéré. Aussi le fait de prêter de l’argent sans demander une rémunération correspond à un cadeau fait à la personne bénéficiaire. Cependant dans certains cas, les entreprises peuvent avoir intérêt à accorder des avantages à des entreprises tierces, en particulier quand ces entreprises sont des partenaires économiques,

96 art 39-4 et 39-5

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ce qui est très souvent le cas en pratique. L’abandon de créances ou le prêt sans intérêts ne constitue alors pas seulement un cadeau fait à l’entreprise tierce mais aussi un mode de protection pour l’entreprise qui l’accorde. La jurisprudence comporte de nombreux exemples97et on peut citer une récente réaffirmation du Conseil d’Etat de ce caractère dans un arrêt important : « Sté Pierre de Reynal et Cie »98. Cette affaire concerne une société située en Martinique ayant une activité d’import-export entre cette île et la métropole. La société Pierre de Reynal entretient des relations commerciales avec plusieurs plantations de bananes en leur fournissant divers éléments pour organiser les cultures mais aussi en organisant l’exportation des bananes vers la métropole. Seul un importateur unique achète les bananes produites par les diverses plantations, directement à celles-ci. Le rôle de la société Pierre de Reynal est un rôle d’entremise et à ce titre elle perçoit des commissions qui sont prélevées sur le prix de vente. La société a consenti des avances aux producteurs de bananes or celles-ci l’ont été sans intérêt. L’administration lors d’une vérification de comptabilité a réintégré dans le résultat imposable les intérêts qui auraient du être perçus. Par ailleurs, la société Pierre de Reynal a consenti à quatre producteurs de bananes des abandons de créances. Les services fiscaux ont là aussi réintégré le montant de l’avantage ainsi garanti. Le texte de l’arrêt est clair. Les juges considèrent que « les prêts sans intérêts ou les abandons de créances accordés par une entreprise au profit d’un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d’une gestion commerciale normale ». Cet arrêt ne constitue pas un revirement mais consacre bien le fait que les juges souhaitent établir clairement le régime de la preuve en ce qui concerne les acte anormaux de gestion. Un tel effort doit être salué dans la mesure où les règles de dévolution de la charge de la preuve sont d’une extrême complexité. Mais le point le plus important à développer est celui de l’impact de cette qualification sur la charge de la preuve de ces actes anormaux de gestion (2).

2) Un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable

En effet, la question principale qui se pose est celle de l’incidence de la réalisation d’une telle dépense sur la charge de la preuve. L’administration supporte-t’elle toujours la charge de prouver que la dépense a été accomplie dans un intérêt autre que celui de l’entreprise ou bien cette charge passe-t’elle au contribuable ? a) La preuve de la normalité par le contribuable C’est cette question qui est le cœur du problème dans l’arrêt « Pierre de Reynal et Cie »99. D’une manière générale, les aides et autres avantages accordés à des tiers ne peuvent être admis d’un point de vue fiscal que s’ils relèvent d’une gestion commerciale normale. Ainsi il 97 CE 26.06.1992, RJF 1992, n°08-09, p. 690 ; CE 11.03.1988, RJF 1988, n°5, p. 319 ; CE 20.01.1992, Socodis, RJF 1992, n°3, p.203 98 CE 26.02.2003, RJF 2003, n°5, p.455 99 CE 26.02.2003, Pierre de Reynal et Cie, préc.

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faut que de tels avantages comportent une contrepartie équivalente pour l’entreprise qui les consent. Aussi en présence de dépenses présumées anormales, le contribuable supporte la charge de prouver que ces dépenses sont conformes à l’intérêt de l’entreprise. Il y a donc un renversement de la charge de la preuve par rapport au régime « de droit commun » de la preuve des actes anormaux de gestion. Le contribuable doit alors apporter la preuve que la dépense en question est néanmoins conforme à une gestion commerciale normale. Normalement, c’est à l’administration de démontrer que l’acte n’est pas conforme à une gestion commerciale normale. Aussi, on considère que si le contribuable n’est pas en mesure de justifier le caractère normal d’un abandon de créances ou d’un prêt sans intérêts, alors l’administration est réputée apporter la preuve qui lui incombe. C’est véritablement un renversement de la charge de la preuve qui s’opère ici pour de telles dépenses. L’administration ne procède à aucune démonstration probatoire. En fait, elle délègue au contribuable le soin de prouver la normalité de l’opération. Un tel renversement de la charge de la preuve se fait au détriment du contribuable qui va devoir assumer une preuve importante car s’il n’y parvient pas, il n’aura pas d’autre issue que d’être redressé. On peut considérer que cette entorse aux règles de base concernant la dévolution de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion est compréhensible car il n’est pas dans la nature des entreprises de faire des cadeaux. En effet, les entreprises sont créées en vue de partager des bénéfices100 aussi il n’est pas de l’essence même de celles-ci qu’elles accordent une aide à un client. Cependant il ne faut pas oublier qu’il existe des hypothèses dans lesquelles une entreprise procède à un abandon de créances non pour aider un fournisseur ou un client mais pour sauvegarder sa propre situation. En effet, le Conseil d’Etat a jugé que relève d’une gestion commerciale normale le fait pour une entreprise de d’accorder un abandon de créances à une société cliente en difficulté car la mise en liquidation aurait compromis la poursuite de l’activité de la société créancière101. Aussi dans une telle hypothèse où il n’y a pas l’intention de se détourner d’une gestion normale, ce renversement de la charge de la preuve se fait bien au détriment de l’entreprise qui sera amenée à apporter une preuve qui ne lui incombe pas selon la théorie des actes anormaux de gestion. b) Un regard sévère des juges sur l’appréciation de la normalité

Par ailleurs ce renversement de la charge de la preuve se fait d’autant plus au détriment du contribuable que les juges sont sévères quant à l’appréciation de la contrepartie qui permet d’apporter le caractère normal à l’opération. Cette sévérité s’illustre dans plusieurs arrêts et notamment dans l’arrêt « spitaletto »102vu précédemment à propos de l’incidence de la procédure d’office sur la charge de la preuve. En

100 Art 1832 du code civil : La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter 101 CE 26.06.1992 préc. 102 CE 08.01.1993, Spitaletto, préc.

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l’espèce, une société a contracté un emprunt afin de consentir un prêt sans intérêt à une SARL qui gérait l’exploitation du fonds de commerce de la première société par le biais d’un contrat de location-gérance. L’administration a réintégré dans le résultat de la société les frais financiers afférents à cet emprunt. La société Spitaletto devait donc justifier de l’existence d’une contrepartie afin que l’administration accepte de ne pas redresser le résultat imposable. C’est ainsi que la société va se fonder sur l’existence du contrat de location-gérance qui la liait au bénéficiaire de l’avance. Par l’octroi de l’avance, la société Spitaletto avait cherché à faciliter les débuts de l’exploitation de la SARL et donc indirectement elle préservait ses propres intérêts. Cependant, les juges ont considéré que de tels éléments ne suffisent pas à apporter la preuve de ce que cette avance répond à une politique de gestion commerciale normale. On sent une certaine sévérité de la part des juges qui admettent l’absence d’acte anormal de gestion que si le contribuable concerné apporte des éléments irréfragables prouvant qu’il n’avait aucune intention d’avantager quelqu’un. En l’espèce, on comprend bien que l’intérêt que la société Spitaletto est que la SARL qui bénéficie du contrat de location-gérance, ait une activité bénéficiaire. Dans le cas contraire, la SARL dépose alors son bilan et n’ait plus à même d’exécuter les dispositions du contrat ce qui entraîne une perte de valeur pour la société Spitaletto. Aussi on conçoit très bien dans quel but la société a accordé une avance sans intérêts néanmoins les juges n’ont pas admis le caractère normal de cette dépense. Cette attitude des juges peut encore être mise en avant dans l’arrêt « Pierre de Reynal » du Conseil d’Etat103. A titre de rappel, étaient en cause des prêts sans intérêts ainsi que des abandons de créances que l’administration avait refusé de prendre en considération pour le calcul du résultat fiscal. → En ce qui concerne les prêts sans intérêts, le contribuable pour apporter la preuve de la normalité de la dépense s’est fondé sur le fait que cette pratique répond à un usage dans la profession. Mais un usage a-t’il une force suffisante pour apporter la preuve de la normalité d’un prêt sans intérêts ? Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se prononcer à ce sujet et considère qu’un usage peut constituer la preuve du caractère normal d’une avance sans intérêts104. Cependant, en l’espèce, la société n’a fait que produire un rapport de la direction départementale de l’agriculture sur la production bananière qui précise que les exportateurs accordent souvent des prêts aux agriculteurs mais sans préciser que ces prêts doivent se faire sans intérêts105. Ainsi les juges vont conclure que cet argument est inopérant alors que même s’il ne constitue pas la preuve irréfragable de la normalité de l’avance, il permet tout de même de voir que le comportement de la société se situe dans la normalité de la profession. Par ailleurs, la société invoque aussi pour justifier la contrepartie de l’avance sans intérêts, le fait que ces avances aient été consenties après le passage de deux cyclones ayant détruit des plantations. A juste titre, la société invoque le fait que si les plantations disparaissaient, son activité disparaissait par la même occasion. Aussi il était dans son intérêt d’assurer la survie des plantations détruites et cette survie pouvait passer par l’octroi d’aides financières.

103 CE 26.02.2003, Pierre de Reynal et Cie, préc. 104 CE 09.10.1991, SARL Bouly de Lesdain, RJF 1991, n°11, p. 826 105 G. Goulard, « Quel est le régime de la charge de la preuve en matière fiscale ? », ccl. sous CE 26.02.2003, Sté Pierre de Reynal et Cie, BDCF 2003, n°5, n°69, p.54

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Le lien entre l’avance et la situation de la société redressée ne fait pas de doute et est aisé à comprendre. Pourtant, les juges ne vont pas autoriser la prise en compte de cette dépense en considérant que les justifications ainsi apportées ne sont pas suffisamment précises et ne prouvent pas la présence d’une réelle contrepartie pour la société. On voit bien que les juges font preuve d’une certaine sévérité. → En ce qui concerne les abandons de créances, la société tente de les justifier par le fait qu’elle présente un découvert important du fait des avances consenties aux agriculteurs. Aussi leur a-t’elle demandé de régler une partie de ces avances. Ce règlement a donné lieu à des abandons de créances qui devaient inciter les agriculteurs à rembourser rapidement. Ainsi on voit bien que la société, ici, accorde des abandons de créances dans le seul but de rétablir sa propre situation financière. Elle a tenté d’obtenir le plus vite possible de la trésorerie et pour cela, elle a incité ses débiteurs à rembourser rapidement leurs dettes. Cependant les juges vont là encore sanctionner la société en considérant que la réalité de la contrepartie n’est pas démontré avec suffisamment de précision. Il est vrai qu’il peut paraître curieux pour une société de chercher à redresser sa situation financière en faisant des cadeaux à ses débiteurs mais ceux-ci correspondent à la volonté d’obtenir rapidement de la trésorerie. On comprend aisément que l’intention de la société est de se rétablir et non d’accentuer encore plus le découvert bancaire par le biais d’abandons de créances. Mais les juges ont fait preuve d’une certaine intransigeance vis-à-vis de la société. Ainsi comme nous venons de le voir dans cette partie, les règles de dévolution de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion ne sont pas cristallisées dans certaines dispositions du LPF ou du CGI. En effet, dans un litige, le juge doit aussi tenir compte de situations particulières qui peuvent influencer justement le fardeau de cette preuve. Dans un objectif de lutte contre l’évasion fiscale internationale, le contribuable qui réalise des opérations avec certains pays sera tenu d’apporter une preuve plus soutenue voir même une preuve qu’il ne supporte pas dans le régime « normal » de la preuve des actes anormaux de gestion. Par ailleurs, du fait de cette présomption d’anormalité attachée à certaines dépenses, le contribuable va être amené, dans tous les cas, quelque soit la procédure, à justifier de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte ; alors que cette preuve ne pèse sur lui que dans des cas particuliers qui découlent de la procédure d’imposition suivie. On peut en conclure que ces modifications de la charge de la preuve ne se font jamais en faveur du contribuable. Au contraire, tous ces bouleversements se font au détriment du contribuable qui va devoir supporter une preuve plus lourde. Mais il faut encore tenir compte du régime particulier qui règle les relations mère-fille. En effet, du fait de cette relation, la jurisprudence va avoir une attitude différente vis-à-vis des actes anormaux de gestion ce qui a une incidence au niveau de la charge de la preuve (section 2). Section 2 : Les relations mère-fille et la charge de la preuve des actes anormaux de gestion Les groupes de sociétés constituent une réalité économique importante dans un monde où le souci premier est celui de la rentabilité. En effet, on assiste à un regroupement des sociétés afin de constituer une entité juridique plus conséquente capable de réaliser des synergies.

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Cette réalité peut se traduire par l’établissement d’un groupe proprement dit mais aussi par l’établissement d’une société mère qui détient des filiales. Par là même, la société mère entretient avec sa « fille » des relations privilégiées qui peuvent sortir du cadre du marché. Cependant nous allons voir que la théorie des actes anormaux de gestion persiste (A) malgré une attitude plus libérale de la part des juges. Aussi cette relation particulière existant entre la mère et la fille va avoir des conséquences au niveau de la charge de la preuve. En effet celle-ci présente un contenu différent de la preuve pesant sur une partie dans le cadre de relations commerciales normales (B).

A) Le principe de la normalité des transactions dans les relations mère-fille

Les transactions entre des sociétés qui sont juridiquement liées, constituent le terrain privilégié des actes anormaux de gestion. En effet, ces sociétés ont des intérêts communs et sont alors tentées de réaliser des transferts de bénéfices entre elles. Or le principe à la base de la théorie des actes anormaux de gestion est que les relations commerciales impliquent un échange équilibré entre les parties. Ainsi une entreprise doit toujours accomplir un acte qui présente une contrepartie certaine et immédiate pour elle. On n’admet d’exception à ce principe de la contrepartie que dans la mesure où la charge qui est assumée par l’entreprise lui procure par ailleurs un avantage ou présente un intérêt pour elle106. Cependant cet intérêt ne peut pas résulter d’un intérêt général du groupe composé par la société mère et les différentes filiales (1), le droit fiscal ne reconnaissant pas les groupes de sociétés. Néanmoins, la jurisprudence et la doctrine administrative apprécient la gestion normale d’une manière plus libérale lorsque les opérations interviennent entre une société mère et sa fille (2).

1) L’absence de prise en compte de l’intérêt général du groupe par la jurisprudence

Malgré la réalité économique des groupes de sociétés, il n’existe pas en France, de droit spécifique des groupes tant au niveau du droit des sociétés qu’au niveau du droit fiscal. Le CGI réglemente uniquement certains régimes particuliers comme celui de l’intégration fiscale ou bien le régime mère-fille qui peut s’appliquer dès lors que la mère détient au moins 5% du capital de la société émettrice. Cependant à côté de ces dispositions, il faut considérer que les sociétés qui appartiennent à un groupe ont une personnalité juridique et fiscale distincte. Ainsi du point de vue des actes anormaux de gestion, cela se traduit par l’obligation faite à chaque société d’agir dans son propre intérêt. Cet intérêt sera apprécié en fonction de la contrepartie lui revenant du fait de ses relations directes avec la société bénéficiaire et non en fonction de ses liens avec la société mère. Il apparaît que chaque société doit être traitée comme une entité juridiquement indépendante, même pour une filiale à 100%, dépendante économiquement et financièrement. Est donc anormal un acte de gestion qui est accompli dans l’intérêt exclusif de la société mère ou d’une autre filiale.

106 M.-D. Hagelsteen, RJF 1978, n°5, p.146

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Ainsi dans les relations entre sociétés d’un même groupe c’est le principe de « l’égoïsme sacré »107 qui doit présider. La jurisprudence du Conseil d’Etat est constante sur ce point et on peut citer à titre d’exemple parmi tant d’autres, un arrêt qui a considéré que l’administration apporte la preuve qui lui incombe du caractère étranger à la gestion normale quand une société invoque le fait qu’une contribution a été supportée par elle dans l’intérêt du groupe de sociétés dont elle est la filiale108. La jurisprudence va donc apprécier l’intérêt de chacune des sociétés membres d’un groupe. Mais d’une manière générale, elle considère que les avantages consentis par une société mère à sa filiale correspondent à une gestion commerciale normale (2).

2) Un libéralisme jurisprudentiel pour les sociétés mère et leurs filiales

En matière de relation mère-fille, la jurisprudence a consacré un véritable déplacement de la frontière de la normalité pour les actes accomplis par les entreprises concernées. a) La possibilité de conclure des transactions à un prix inférieur à celui du marché Ce libéralisme jurisprudentiel trouve tout d’abord à s’appliquer dans la possibilité de conclure des transactions à un prix inférieur à celui du marché. Une telle idée s’éloigne complètement de la notion d’acte anormal de gestion. Dans le cadre interne, une société qui vend des produits à un prix inférieur à celui qui est couramment stipulé, peut être accusée de faire prévaloir les intérêts de l’acheteur et non les siens et par là même commet un acte anormal de gestion. Une telle pratique est aussi réprimée au niveau international comme nous l’avons vu précédemment avec l’application de l’article 57 du CGI. Si une entreprise française se montre trop généreuse vis-à-vis d’une entreprise étrangère, alors une présomption de transfert de bénéfices peut être invoquée par l’administration. Mais malgré cette répression des actes anormaux de gestion caractérisés par la vente à un prix inférieur, dans les relations mère-fille, la jurisprudence fait preuve d’une plus grande souplesse. Elle met en avant l’idée selon laquelle l’intérêt de la mère se confond très souvent avec l’intérêt des filiales. Aussi on peut accepter des actes qui dans le cadre d’entreprises juridiquement indépendantes, seraient réprimés car l’intérêt de l’une ne correspond pas à l’intérêt de l’autre. Ce principe de conclusion des transactions à un prix inférieur à celui du marché, a été posé par un important arrêt du Conseil d’Etat du 24 février 1978109. En l’espèce, une SARl de promotion immobilière avait constitué des SCI qu’elle contrôlait à plus de 99% pour chacune des opérations immobilières effectuées. Tous les travaux d’études, de gestion et de commercialisation étaient assurés par la société mère qui disposait des équipements nécessaires. Tous ces travaux étaient réalisés gratuitement par la société mère. 107 J. Turot, Avantages consentis entre sociétés d’un groupe multinational, RJF 1989, n°5, p.263 108 CE 17.02.1986, Dr. Fisc. 1986, n°20-21, comm. 999 109 CE sect. 24.02.1978, RJF 1978, n°4, p. 122 ; Dr. Fisc. 1978, n°30, comm. 1212

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De prime abord, l’exposé de ces faits conduit à penser qu’il y a un acte anormal de gestion du fait de la fourniture à titre gratuit de prestations même à l’intérieur d’un groupe de sociétés. Or l’existence d’un acte anormal de gestion conduit l’administration a réintégré le montant qui aurait du être perçu par la société. En l’espèce, le problème portait non sur le principe de la réintégration puisque malgré l’intégration économique, chacune des filiales d’un groupe conserve sa personnalité juridique et fiscale mais sur le montant de la réintégration. En effet, quel est le prix normal qui aurait du être facturé à la filiale ? C’est sur ce point que l’innovation des juges a été la plus importante car ils ont considéré que la société mère peut se borner à ne demander que le remboursement du coût des prestations et non le prix qui aurait été facturé à une entreprise juridiquement étrangère110. Cette solution était d’ailleurs aussi mise en avant par le commissaire du gouvernement Rivière dans ses conclusions sous cet arrêt qui considère que s’il est anormal que la société se soit abstenue de toute facturation, il aurait été normal qu’elle en limite le montant au simple prix de revient du fait des relations existantes111. Ainsi dans le cadre des relations mère-fille, malgré l’absence de prise en considération de l’intérêt du groupe, la jurisprudence admet l’existence de transactions qui seraient des actes anormaux de gestion dans le cadre d’entreprises indépendantes. Ceci déplace le cadre de l’acte anormal de gestion pour ces sociétés et par là même aura des conséquences quant à la preuve. Cependant, il convient aussi de constater que la jurisprudence apprécie de façon plus large l’intérêt de la société mère de sorte qu’elle accepte que la société mère vienne en aide à sa filiale (b). b) La possibilité d’octroyer des aides aux filiales D’une manière générale, la jurisprudence estime que les avantages consentis par une société mère à sa filiale, correspondent à une gestion commerciale normale. Ceci est un principe général mais qui ne vaut pas quand il est manifeste que la société mère n’a pas entendu poursuivre son propre intérêt en accordant une aide à sa filiale. Cette idée ressort du fait que la société mère en aidant sa filiale recherche en réalité à protéger son propre intérêt. Il existe plusieurs façons de venir en aide à une filiale en difficulté. On peut citer l’augmentation de capital, les avances en compte courant ou encore les abandons de créances. Ce sont ces derniers qui sont utilisés par les sociétés mère en général.

B) Incidence de la relation mère-fille sur la charge de la preuve des actes de gestion

L’existence de relations unissant deux sociétés va avoir des conséquences au niveau de la définition même des actes anormaux de gestion mais aussi au niveau de la charge de la

110 extrait de l’arrêt du CE du 24.02.1978 : Considérant que, lorsqu’une société a notamment pour clients de filiales dans lesquelles les participants minoritaires sont négligeables, il n’est pas anormal qu’elle pratique à l’égard de ces filiales une politique de prix préférentiels au point de renoncer à réaliser des bénéfices sur cette catégorie d’affaires. 111 Riviere, ccl. sous CE 24.02.1978, Dr. Fisc. 1978, n°30, comm. 1212

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preuve de ces actes. En effet, on ne peut appliquer à des entreprises qui sont liées les mêmes règles qu’à des entreprises juridiquement indépendantes du fait de la divergence dans l’appréciation de l’intérêt de l’entreprise. Comme il existe une certaine souplesse vis-à-vis des actes anormaux de gestion entre une société mère et sa fille, la mise en œuvre du régime de ces actes diffère. En principe c’est à l’administration qu’il appartient d’apporter la preuve de l’existence d’un acte anormal de gestion. Mais pourtant nous allons voir que les règles s’organisent autour d’une présomption d’anormalité des avantages (1) et que cette règle pose des problèmes en cas de prestations de services (2).

1) La présomption d’anormalité des avantages accordés à une société

Il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’un avantage intra-groupe tel une renonciation à des recettes ou un abandon de créances, constituent a priori un acte anormal de gestion. Cela ressort de l’idée de présomption d’anormalité telle qu’elle a été évoquée dans les développements précédents. Aussi dans le cadre des relations mère-fille, un abandon de créances est présumé être un acte anormal de gestion par l’administration. Cependant la société mère qui a accordé cet abandon, doit tenter d’établir qu’il y a une contrepartie pour elle. En effet, malgré le principe selon lequel c’est à l’administration qu’il incombe de démontrer que l’opération est dépourvue d’intérêt ; la société mère doit produire des éléments justifiant l’existence d’une contrepartie à l’aide consentie112. Et c’est dans le cadre de cette preuve de la contrepartie à l’avantage accordé à la filiale que le régime mère-fille présente une certain avantage. En effet, la société mère peut invoquer deux types d’intérêts : En premier lieu, elle peut alléguer un intérêt commercial dans la mesure où elle entretient des relations commerciales avec sa filiale qui sont importantes et qui lui permettent de faire une part important de son résultat. Dans une telle hypothèse, la société mère entend maintenir ses ventes et c’est pourquoi la bonne santé financière de sa filiale est primordiale. En deuxième lieu, la société mère peut invoquer un intérêt financier. En effet, la société mère a toujours intérêt à rechercher le maintien de la valeur de ses titres de participation. Aussi la mauvaise situation de la filiale sera de nature à entraîner des conséquences au niveau de la perception des dividendes. Par ailleurs, les difficultés financières peuvent aussi être de nature à porter atteinte au renom de la société mère. Ceci a été jugé expressément par le Conseil d’Etat dans un arrêt qui a considéré qu’en apportant son aide à sa filiale, la société mère avait pour objectif le maintien de son propre renom bancaire113. La société peut aussi accorder une aide à sa filiale afin de protéger son renom commercial114. Ainsi cet intérêt invoqué par la société mère est apprécié de façon plus libérale que dans le cadre de deux entreprises juridiquement indépendantes. La jurisprudence va tenir compte des liens existants entre les deux entreprises.

112 pour un exemple récent : CAA Paris 02.02.1995, SA Les Editions J-C Lattès, RJF 1995, n°4, p.276 113 CE 20.11.1974, RJF 1975, n°1, p. 33 114 CE 01.06.1983, RJF 1983, n°8-9, p. 434 ou CE 18.11.1983, Dr. Fisc. 1984, n°13, comm. 647

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Cependant, la société mère doit bien démontrer qu’il existe une contrepartie à l’aide ainsi accordée. Ceci ressort d’une jurisprudence constante115. Ainsi si la société mère ne parvient pas à démontrer que l’octroi d’un abandon de créances ou d’un prêt sans intérêts présente une contrepartie réelle et suffisante pour elle, alors l’administration est réputée apporter la preuve que l’acte litigieux constitue un abandon de créances. Aussi même si la jurisprudence est plus libérale quant à l’appréciation de la contrepartie qu’il peut exister, la société mère doit tout de même prouver que l’acte présente un intérêt pour elle. Ainsi les juges n’accepteront pas le caractère normal d’un avantage si celui-ci présente un caractère systématique et répété116ou s’il ne présente aucun intérêt pour la société mère117. Mais cependant ces règles ne valent que dans le cadre des relations entre une société mère et sa filiale ; en aucun cas, la jurisprudence y assimile les relations entre sociétés sœurs118. Il est par ailleurs important de noter que le régime de la preuve des actes anormaux de gestion invoqués dans le cadre des relations mère-fille, ne s’est pas toujours traduit par la preuve à la charge de la société mère de l’existence d’une contrepartie. Auparavant, quand l’administration réussissait à apporter la preuve de l’existence d’une libéralité, cela ne suffisait pas à démontrer l’existence d’un acte anormal de gestion119. Aussi l’administration devait encore prouver que les avantages octroyés avaient eu pour but de consolider la situation ou d’aider au développement de la filiale. Ainsi les relations qui sont entretenues par les entreprises avec d’autres partenaires sont susceptibles d’avoir une incidence non seulement sur le domaine de l’acte anormal de gestion mais aussi sur le fardeau de la preuve. Une telle idée semble normale au regard des avantages particuliers que produisent de telles situations.

2) Le problème de la preuve en matière de prestations de services intra-groupe

Ces prestations qui peuvent être commerciales, techniques ou administratives, posent un problème particulier quant à la preuve. Ces prestations sont fréquentes dans les relations mère-fille où très souvent, la mère exécute un service à sa fille et demande en échange une redevance forfaitaire. Il est dès lors très tentant pour les sociétés d’élaborer des conditions préférentielles qui seront difficilement contrôlables. Ainsi, le Conseil d’Etat exige que la société en cause apporte la preuve matérielle de l’existence des prestations qui ont été facturées ainsi que de celle de leur montant120. Il s’agit alors de contrôler l’adéquation entre la rémunération et la prestation. Il pèse alors une double preuve sur la société en cause : elle doit apporter la preuve non seulement de l’existence de prestations, mais aussi, la preuve du caractère non exagéré du montant de la rémunération versée.

115 voir notamment CE 30.10.1987, Dr. Fisc. 1988, n°5, comm. 144 ; CE 04.04.1990, Dr. Fisc. 1991, n°16-17, comm. 892 ; CE 20.01.1992, Socodis, RJF 1992, n°3, p.203 116 CE 14.03.1984, RJF 1984, n°5, p. 295 117 CE 26.11.1982, Dr. Fisc. 1983, n°22, comm. 1127 118 par exemple : CE 12.07.1978, RJF 1978, n°12, p. 283 ; CE 04.03.1985, RJF 1985, n°5, p. 364 119 CE 05.07.1978, Dr. Fisc. 1979, n°10, p.345 120 CE 22.11.2002, SA Mat-Transport, RJF 2003, n°2, n°151

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Par ailleurs, quand il s’agit de prestations effectuées contre une redevance forfaitaire, la société doit prouver en sus que les différents services facturés ont été exécutés.121

Ainsi l’existence d’un régime mère-fille bouleverse la dévolution de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion alors même que formellement, il existe un refus de prise en compte en droit fiscal des groupes de sociétés.

121 CE 20.06.2003, Sté Etablissements Lebreton, préc.

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Conclusion En guise de conclusion, il nous semble important de relever que la jurisprudence relative à la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion constitue un modèle de la combinaison des diverses sources qui gouvernent l’attribution de la charge de la preuve, à savoir le LPF ainsi que le CGI. En premier lieu, la jurisprudence a procédé à une attribution initiale de la charge de la preuve, issue de l’arrêt « Renfort Service ». Cette attribution initiale repose sur le principe général de la procédure fiscale selon lequel l’administration doit être en mesure d’apporter la preuve du bien-fondé de ses redressements. Cette charge permet alors de réduire le déséquilibre existant entre l’administration fiscale, qui est nécessairement la partie forte, et le contribuable qui ne dispose pas des mêmes armes. En effet, cela permet d’exiger des services fiscaux qu’ils réunissent les éléments probants et nécessaires avant de remettre en cause par le biais de redressements, une imposition dores et déjà établie. En deuxième lieu, malgré les principes issus de l’arrêt « Renfort Service », la charge de la preuve peut être modifiée par des évènements de procédure, qui vont transférer le risque de la preuve au contribuable essentiellement à titre de sanction procédurale pour non respect des obligations fiscales (absence de dépôt ou dépôt tardif de la déclaration) ou du fait de l’acceptation des redressements. Ce transfert de la charge de la preuve en fonction de la procédure suivie met en avant le principe selon lequel la charge initiale de la preuve pesant sur l’Etat concerne une charge qui n’est pas définitive. Ainsi le régime de la preuve des actes anormaux de gestion conserve un lien important avec la preuve de droit commun en matière fiscale, faisant jouer un rôle non négligeable aux éléments de procédure. Ainsi on ne peut pas parler de réelle autonomie de la théorie de l’acte anormal de gestion puisque l’influence de la procédure d’imposition suivie reste très importante malgré les principes dégagés par l’arrêt « Renfort Service » qui laissent une place à la particularité des écritures de charges. Néanmoins, l’apport de la jurisprudence récente en matière d’acte anormal de gestion va au-delà de la combinaison des règles provenant du LPF et du CGI en ce qui concerne l’attribution de la charge de la preuve. En effet, on peut constater un alignement de la jurisprudence en ce domaine sur les règles du droit positif qui concernent la question en droit commun fiscal. Le juge fiscal, en matière d’acte anormal de gestion comme dans les autres domaines du droit fiscal, va nuancer la rigueur des principes d’attribution initiale du fardeau de la preuve. Ce tempérament est constitué par la dialectique de la preuve, qui peut être définie comme l’appréciation des preuves par le juge. Cette dialectique de la preuve postule que chacun des plaideurs supporte la charge de prouver les éléments qu’il soutient. Mais cette preuve doit être distinguée de l’attribution initiale du fardeau de la preuve qui conditionne la poursuite de la procédure. Cette distinction entre l’attribution de la preuve et l’administration de la preuve a été récemment explicitée par le

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Conseil d’Etat122 concernant la preuve d’un acte anormal de gestion portant sur une écriture de charges. La Juridiction a mis en avant le fait que la charge initiale de la preuve pesant sur le contribuable, n’implique pas de sa part la production immédiate de toutes les pièces justificatives123 mais uniquement la production de pièces qui permettent de mettre en place la dialectique de la preuve124. Il appartient ensuite, dès lors que le dialogue s’est ouvert, que chacune des parties à son tour, produise des éléments probants et justificatifs afin de faire avancer le débat. L’échange des arguments ne cessera que lorsque l’une des parties n’aura plus d’éléments à faire valoir125. Aussi on peut remarquer que la question de l’attribution initiale de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion, mais aussi d’une manière plus large en droit fiscal, présente une importance certaine du fait de son enjeu sur la solution du litige en cas d’échec de la preuve. Cependant quand cette preuve initiale a été apportée, il se met en place un véritable dialogue entre les parties, dialogue dans lequel le juge prend aussi position. Ainsi si le régime de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion présente une certaine complexité, celle-ci ne fait que traduire un souci de protection des contribuables. Si ce régime prônait la simplicité, il en résulterait une application systématique du principe actori incumbit probatio, principe qui n’avantage pas les contribuables. Aussi on ne peut que saluer les principes actuels résultant des textes et de la jurisprudence qui contribuent à rééquilibrer les rapports entre l’Etat et les contribuables.

122 CE sect. 20.06.2003, Sté Etablissements Lebreton, préc. 123 « …qu’en ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée ; que dans l’hypothèse où le contribuable s’acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s’il s’y croit fondé, d’apporter la preuve de ce que la charge en cause n’est pas déductible par nature…. » 124 P. Collin, « Contentieux : charge de la preuve », ccl. sous CE sect. 20.06.2003, RJF 2003, n°10, p.758 : »Celui qui supporte la charge initiale a seulement pour obligation de permettre que la dialectique de la preuve s’engage en avançant des éléments sérieux à l’appui de sa thèse.” 125 Cette idée a été récemment réaffirmée dans un arrêt du CE 17.12.2003, Sté Hôtelière Guyanaise, RJF 2004, n°3, n°304

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La charge de la preuve des actes anormaux de gestion Partie 1 : La dévolution initiale de la charge de la preuve des actes anormaux de gestion Chapitre 1 : Une pluralité de règles concernant la charge de la preuve des actes anormaux de gestion ( p. 11 ) Section 1 : Les principes directeurs de la charge de la preuve suivant le LPF ( p.11 )

A) Le rôle de la déclaration de revenus souscrite par le contribuable ( p. 12 )

1) Une présomption de régularité attachée à la déclaration ( p. 12 ) 2) Un renversement de la preuve en cas de déclaration irrégulière ( p. 13 )

B) L’incidence de la procédure d’imposition sur la charge de la preuve ( p. 14 )

1) En matière de procédure contradictoire ( p. 15 ) 2) En matière d’établissement des bases de l’imposition par l’administration

( p. 16 ) a) En cas de carence du contribuable ( p. 16 ) b) En cas de procédure forfaitaire ( p. 16 )

Section 2 : Des principes remaniés par l’application de dispositions spécifiques à la nature de l’écriture comptable ( p. 17 )

A) Les principes dégagés par l’arrêt « Renfort Service » ( p. 18 )

1) Une application liminaire des principes du droit commun de la preuve ( p. 18 )

2) La participation active du contribuable dans la preuve de l’acte anormal de gestion ( p. 20 )

a) La justification du principe et du montant des écritures qui viennent en déduction du calcul du bénéfice net ( p. 21 )

b) La justification des écritures qui retracent l’évolution de l’actif ( p. 22 )

B) Les interrogations suscitées par cet arrêt ( p. 23 )

1) Combinaison des règles ou primauté des règles spécifiques ? ( p. 24 ) 2) La question de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte ( p. 25 )

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Chapitre 2 :L’apport jurisprudentiel concernant l’application de ces règles ( p. 28 ) Section 1 : La consécration de la combinaison du principe général et de la règle particulière ( p. 28 )

A) Une superposition des règles au détriment des principes posés par l’arrêt « Renfort Service » ( p. 28 )

B) Une preuve dépendant essentiellement du droit commun ( p. 30 )

Section 2 : La question de la preuve de l’intérêt de l’entreprise dans l’acte ( p. 31 )

A) La notion d’intérêt de l’entreprise ( p. 31 )

B) La charge de la preuve de l’intérêt de l’entreprise ( p. 33 ) 1) Un débat doctrinal argumenté ( p. 34 ) 2) La consécration de la charge de la preuve pesant sur l’administration ( p.

35)

Partie 2 : Les éléments bouleversant la dévolution initiale de la charge de la preuve Chapitre 1 : Les incidents de procédure ( p. 37 ) Section 1 : Les incidents découlant de la saisine de la commission départementale ( p. 37)

A) La compétence de la commission au regard des actes anormaux de gestion ( p. 38 )

1) Une compétence unique pour les questions de fait ( p. 38 ) 2) L’apport de l’arrêt « Boutique 2M » ( p. 39 )

B) Les conséquences de la saisine de la CDI au niveau de la charge de la preuve ( p.

40 )

1) La charge de la preuve avant la loi Aicardi ( p. 41 ) 2) La charge de la preuve depuis la loi Aicardi ( p. 42 )

a) Les exceptions légales au fardeau de la preuve pesant sur l’administration ( p. 42 ) α) en cas de graves irrégularités dans la comptabilité ( p. 42 ) β) en cas d’absence de comptabilité ( p. 43 )

b) Un principe sans effet sur la justification des écritures par le contribuable ( p. 44 ) α) Une affirmation susceptible de plusieurs interprétations ( p. 44) β) L’interprétation retenue par la jurisprudence : le contribuable conserve la charge de la preuve quand celle-ci pesait déjà sur lui à l’origine ( p. 45 )

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Section 2 : Les incidents découlant de l’attitude du contribuable durant la procédure ( p. 48)

A) l’incidence de l’acceptation des redressements sur la charge de la preuve ( p. 48 )

1) Intérêt de la question en matière d’acte anormal de gestion ( p. 48 ) 2) Les applications jurisprudentielles ( p. 49 )

B) L’incidence de la procédure de taxation d’office sur la charge de la preuve ( p. 50 )

Chapitre 2 : Les relations particulières influençant la charge de la preuve des actes anormaux de gestion ( p. 53 ) Section 1 : Les présomptions d’anormalité ( p. 53 )

A) Les dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale internationale et les actes anormaux de gestion ( p. 53 )

1) Les éléments de preuve à la charge de l’administration ( p. 54 )

a) Le régime de l’article 57 du CGI ( p. 54 ) α) La preuve de la dépendance entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère ( p. 55 ) β) La preuve du transfert de bénéfices à l’étranger ( p. 56 )

b) Le régime de l’article 238 A du CGI ( p. 56 ) 2) La preuve de la normalité de l’acte par le contribuable ( p. 57 )

a) La preuve de l’existence d’une contrepartie ( p. 57 ) b) La preuve de la réalité de l’opération ( p. 57 )

B) Les dépenses présumées anormales ( p. 59 )

1) Le domaine de la présomption ( p. 59 ) 2) Un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable (

p. 60 ) a) la preuve de la normalité ( p. 60 ) b) Un regard sévère du juge sur l’appréciation de la normalité ( p. 61 )

Section 2 : Les relations mère-fille et la charge de la preuve des actes anormaux de gestion ( p. 63 )

A) Le principe de la normalité des transactions dans les relations mère-fille ( p. 64 )

1) L’absence de reconnaissance par la jurisprudence de l’intérêt supérieur du groupe ( p. 64 )

2) Un libéralisme jurisprudentiel au regard des actes anormaux de gestion ( p. 65 )

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a) La possibilité de conclure des transactions à un prix inférieur à celui du marché ( p. 65 )

b) La possibilité d’octroyer des aides aux filiales en difficulté ( p. 66)

B) L’incidence des relations mère-fille sur la charge de la preuve des actes de gestion

( p. 66 )

1) La présomption d’anormalité des avantages accordés à une société ( p. 67 ) 2) Le problème de la preuve en matière de prestations de services intra-groupe

( p. 68 ) Conclusion ( p. 70 ) Bibliographie( p. 72 ) Plan ( p. 77 )

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