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Prier avec les psaumes graduels Le psaume 121 : Cantique en l’honneur de Jérusalem par le frère Emmanuel-Marie O.P. La présentation générale des quinze « psaumes graduels » a paru dans le numéro 52 du Sel de la terre (page 18 et suivantes), et l’étude des deux premiers psaumes de la série se trouve dans les numéros 54 (pages 20 à 40) et 56 (pages 10 à 24). Nous donnons ici le commen- taire du troisième psaume : Lætatus sum. Le texte ISONS d’abord le texte verset par verset, comme nous l’avons fait pour les psaumes précédents, en indiquant les strophes. La colonne de gauche reproduit la version latine de la Vulgate ; celle du milieu, la traduction sur le latin de M. l’abbé Fillion ; celle de droite, une traduction française d’après le texte hébreu. Texte latin de la Vulgate Traduction française sur le latin Traduction française sur l’hébreu 1 ère strophe : Prélude 121, 1. Cánticum grá- duum. 121, 1. Cantique des de- grés. 122, 1. Cantique des degrés. De David. Lætátus sum in his quæ dicta sunt mihi : In do- mum Dómini íbimus. Je me suis réjoui de ce qui m’a été dit : Nous irons dans la maison du Sei- gneur. Je me suis réjoui quand on m’a dit : « Allons à la maison de Yahvé ! » 2. Stantes erant pedes nostri, in átriis tuis, Ierú- salem. 2. Nos pieds se sont arrêtés à tes portes, Jérusalem. 2. Nos pieds font halte à tes portes, Jérusalem, L

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Prier avec les psaumes graduels

Le psaume 121 :Cantique en l’honneur

de Jérusalem

par le frère Emmanuel-Marie O.P.

La présentation générale des quinze « psaumes graduels » a parudans le numéro 52 du Sel de la terre (page 18 et suivantes), et l’étudedes deux premiers psaumes de la série se trouve dans les numéros 54(pages 20 à 40) et 56 (pages 10 à 24). Nous donnons ici le commen-taire du troisième psaume : Lætatus sum.

Le texte

ISONS d’abord le texte verset par verset, comme nous l’avons fait pourles psaumes précédents, en indiquant les strophes. La colonne degauche reproduit la version latine de la Vulgate ; celle du milieu, la

traduction sur le latin de M. l’abbé Fillion ; celle de droite, une traductionfrançaise d’après le texte hébreu.

Texte latin de la Vulgate Traduction françaisesur le latin

Traduction françaisesur l’hébreu

1ère strophe : Prélude121, 1. Cánticum grá-duum.

121, 1. Cantique des de-grés.

122, 1. Cantique des degrés.De David.

Lætátus sum in his quædicta sunt mihi : In do-mum Dómini íbimus.

Je me suis réjoui de ce quim’a été dit : Nous ironsdans la maison du Sei-gneur.

Je me suis réjoui quand onm’a dit : « Allons à la maisonde Yahvé ! »

2. Stantes erant pedesnostri, in átriis tuis, Ierú-salem.

2. Nos pieds se sont arrêtésà tes portes, Jérusalem.

2. Nos pieds font halte à tesportes, Jérusalem,

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2e strophe : Éloge de Jérusalem3. Ierúsalem, quæ ædificá-tur ut citas : cuius partici-pátio eius in idípsum.

3. Jérusalem, qui est bâtiecomme une ville donttoutes les parties se tien-nent ensemble.

3. Jérusalem, qui est bâtiecomme une ville où tout setient ensemble.

4. Illuc enim ascendérunttribus, tribus Dómini :testimónium Israël adconfiténdum nómini Dó-mini.

4. Car c’est là que sontmontées les tribus, lestribus du Seigneur, selon leprécepte donné à Israël,pour célébrer le nom duSeigneur.

4. C’est là que montent lestribus, les tribus de Yahvé ;c’est un ordre pour Israël derendre grâce au nom deYahvé.

5. Quia illic sedérunt sedesin iudício, sedes superdomum David.

5. Là ont été établis lestrônes de la justice, lestrônes de la maison deDavid.

5. C’est là que sont établisdes sièges pour le jugement,des sièges pour la maison deDavid.

3e strophe : Vœux pour la Cité sainte6. Rogáte quæ ad pacemsunt Ierúsalem : et abun-dántia diligéntibus te :

6. Demandez des grâces depaix pour Jérusalem, et queceux qui t’aiment, ô cités a in t e , soient dansl’abondance.

6. Demandez la paix pourJérusalem, qu’ils soient entranquil l i té ceux quit’aiment !

7. Fiat pax in virtúte tua :et abundántia in túrribustuis.

7. Que la paix soit dans tesforteresses, et l’abondancedans tes tours.

7. Que la paix règne dans tesmurs, en tes palais la quié-tude !

8. Propter fratres meos etpróximos meos, loquébarpacem de te :

8. A cause de mes frères etde mes proches, j’ai de-mandé pour toi la paix.

8. A cause de mes frères et demes amis, je veux dire :« Paix pour toi ! »

9. Propter domum DóminiDei nostri, quæsívi bonatibi.

9. A cause de la maison duSeigneur notre Dieu, j’aicherché pour toi le bon-heur.

9. A cause de la maison deYahvé, notre Dieu, pour toije veux chercher le bonheur.

On présente ordinairement ce psaume comme un chant de pèlerinage à lagloire de Jérusalem 1. En effet, le verset 2 montre un groupe de pèlerins arrivésen vue de Jérusalem, stationnant à ses portes. Ils s’arrêtent quelques instantspour se recueillir, admirer la ville enserrée dans ses murs, savourer la joie d’êtreparvenus au but de leur pèlerinage, et adressent de vibrantes salutations et desvœux de paix et de prospérité à la cité sainte.

Le plan est ainsi clairement marqué :

1 — On se souvient que dans les explications données à propos de l’expression

« psaumes graduels », les commentateurs retiennent de préférence celle qui voit dans cespsaumes un recueil de cantiques de pèlerinage, que les pèlerins récitaient en montant àJérusalem aux principales solennités liturgiques. De tous les psaumes de la série, c’est lePs 121 qui répond le mieux à cette définition.

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Après un prélude (v. 1-2), le psalmiste fait un éloge de Jérusalem (v. 3-5) : il ditd’abord son admiration au spectacle de la ville magnifique rebâtie par Néhémie(v. 3-4a) ; puis son attachement et sa piété envers la ville sainte qui est à la foisle centre de la vie religieuse (c’est là que montent les tribus, les tribus de Yahvé) etde la vie nationale du peuple élu (c’est là que sont établis les sièges de la justice, lessièges de la maison de David – v. 4b-5). Enfin, il formule des vœux de paix et deprospérité à l’adresse de la cité et de ses habitants (v. 6-9).

Présentation

On rapprochera ce psaume du psaume 47, qui chante également la protectionde Dieu sur Sion (autre nom de Jérusalem), mais avec des accents plus triom-phaux : « Magnus Dominus et laudabilis nimis in civitate Dei nostri… Le Seigneurest grand et digne de toute louange, dans la cité de notre Dieu, sur sa saintemontagne ; c’est pour l’allégresse de toute la terre qu’a été fondé le mont Sion,du côté de l’aquilon, la cité du grand Roi 1 » (v. 2-3). Il faut lire aussi en paral-lèle le psaume 83, qui est une ardente protestation d’amour pour la maison deDieu : « Quam dilecta tabernacula tua… Que vos tabernacles sont aimables, Sei-gneur des armées ! Mon âme soupire et languit après les parvis du Seigneur ;mon cœur et ma chair tressaillent d’amour pour le Dieu vivant. […] Car un seuljour passé dans vos tabernacles vaut mieux que mille ; j’ai choisi d’être humiliédans la maison de mon Dieu, plutôt que d’habiter dans les tentes des pé-cheurs 2 » (v. 2-3 et 11).

Mais si le psaume, au sens littéral, célèbre la ville historique et son templevers lesquels les pèlerins juifs de jadis processionnaient, mus par un vif senti-ment de fierté nationale, il faut surtout l’entendre de l’Église, la Jérusalemmystique, dont la capitale de Judée est le type. Jérusalem, ici, signifie l’Églisetriomphante du ciel vers laquelle tend toute la vie du chrétien, et l’Église mili-tante qui y prépare et y conduit. Le pèlerinage dont nous parle le psaume, c’estcelui que l’Église nous a fait commencer au jour de notre baptême et qui doitnous mener à la Jérusalem céleste. « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? aquestionné le prêtre en ouvrant les cérémonies du baptême. — La foi. — Quevous procure la foi ? — La vie éternelle. »

C’est ce qu’explique saint Robert Bellarmin :

Le prophète décrit la beauté et la noblesse de la cité sainte de Jérusalem. Mais,de même que cette ville est le type de la patrie céleste, de même les hébreux re-venant de captivité [ou pérégrinant] vers la Jérusalem terrestre étaient la figure

1 — Le texte hébreu est encore plus expressif : « Sa montagne sainte se dresse magnifi-

que, joie de toute la terre, le mont Sion, du côté du Nord, la cité du grand Roi. »2 — Dans l’hébreu : « Je préfère me tenir étendu sur le seuil de la maison de Dieu

que… »

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du pèlerinage et de l’ascension que nous faisons vers la Jérusalem qui est enhaut. C’est pourquoi tout le psaume doit être entendu de l’une et l’autre cité etde l’un et l’autre pèlerinage 1.

Saint Hilaire enseigne la même chose :

Celui que le désir du ciel possède ne voit aucune obscurité dans ce psaume :son sentiment même lui donne l’intelligence de cette magnifique prophétie, car ilse rappelle qu’il est cohéritier et coparticipant des biens éternels, que la résurrec-tion lui donnera la ressemblance des anges, qu’il sera conformé à la gloire ducorps de Jésus-Christ et citoyen de cette cité de pierres vivantes dont il est écritdans l’Évangile : Ne jurez pas par Jérusalem, car elle est la cité du grand Roi(Mt 5, 35). Il ne s’agit pas de celle qui tue et lapide les prophètes, mais de celledont Paul dit : « Vous êtes les concitoyens des saints et vous appartenez à la mai-son de Dieu, bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes » (Ep 2, 19-20).[…] Elle a été annoncée par les anges, figurée dans la loi, exposée par les prophè-tes, donnée en exemple par le Seigneur, prêchée par les apôtres. En apprenantque toutes ces splendeurs lui deviennent accessibles par la foi, chacuns’exclamera à la suite du psalmiste : « Que je suis heureux de ce qu’on m’adit ! 2 »

Mais, sans conteste, c’est le commentaire de saint Augustin qui est ici le pluséloquent. On nous permettra d’en citer d’emblée un large extrait, même s’ildéborde sur l’explication à suivre, parce qu’il donne une remarquable vued’ensemble de tout le psaume :

Il est au ciel une Jérusalem éternelle, où sont les anges nos concitoyens : c’est àl’égard de ces concitoyens que nous sommes étrangers sur la terre. Dans cet exilnous soupirons ; dans la patrie nous aurons la joie. Mais dès ce voyage d’ici-basnous trouvons quand même des compagnons, des amis qui ont déjà vu la citééternelle et nous excitent à courir vers elle. C’est à eux que pense le psalmistequand il s’écrie : « Quelle joie quand ils m’ont dit : Nous irons à la maison duSeigneur ! »

Frères, rappelez-vous ces fêtes de martyrs, ces lieux saints où, certains jours,les foules affluent pour célébrer une solennité : comme elles s’encouragent, cesfoules, comme elles s’entraînent en répétant : « Allons, allons ! » Et elles interro-gent : « Où allons-nous ? — En tel lieu, au lieu saint ! » Les gens se stimulent : ondirait qu’ils s’allument les uns les autres, graduellement, pour ne plus fairequ’une seule flamme. Alors, cette unique flamme, faite du colloque de tous cesgens s’embrasant les uns les autres, les emporte jusqu’au lieu sacré, tandisqu’une même pensée les sanctifie 3. Si un saint amour emporte ainsi vers un lieu

1 — Saint ROBERT BELLARMIN, Explanatio in psalmos, editio critica, Romæ, Pont. Uni-

vers. Gregorianæ, 1931, t. II, p. 718.2 — Tractatus super psalmos, sur le Ps 121 ; PL 9, 661 A-C.3 — « Toute l’Afrique est remplie de corps de saints », écrit saint Augustin dans sa lettre

78. Comme l’ont montré les découvertes archéologiques, toute la terre pacifiée entre la meret le désert était en effet parsemée de monuments commémoratifs à la gloire des martyrsd’Afrique et d’ailleurs. Saint Augustin a souvent prêché en l’honneur de ces saints dont lestombeaux attiraient les foules. Ainsi, dans un sermon pour la fête des martyres de Tuburbo

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temporel, que sera-ce donc de l’amour qui emporte au ciel les âmes unies par lacharité et s’annonçant l’une à l’autre : Nous allons dans la maison du Seigneur !Nous allons dans la maison du Seigneur ? Alors, courons ! Courons, parce quenous allons à la maison du Seigneur ! Courons et ne nous lassons pas, car là oùnous allons, il n’y a plus de lassitude. Courons à la maison du Seigneur et quenotre âme se réjouisse avec ceux qui nous l’annoncent ; ils ont vu avant nouscette patrie, et ils crient de loin à ceux qui les suivent : Allons dans la maison duSeigneur ; courez, hâtez-vous. […]

« Et voici que nos pas s’arrêtent dans tes enceintes, Jérusalem ! » – Quelle Jé-rusalem ? Elle s’appelle aussi Jérusalem, celle de la terre ; mais elle n’est quel’ombre de l’autre. Quel avantage y aurait-il à se tenir ferme dans cette Jérusalemqui n’a pu se tenir elle-même, qui est tombée en ruine ? […] Tant s’en faut qu’ilpense à la Jérusalem de la terre, cet exilé si brûlant d’amour, si ardent, si impa-tient de parvenir à la Jérusalem d’en haut, notre mère (Ga 4, 26), celle dontl’Apôtre proclame : « Elle est éternelle, dans les cieux » (2 Co 5, 1). […]

Comme si quelqu’un objectait : « De quelle Jérusalem parles-tu ? », le psal-miste enchaîne : « Jérusalem, qui se construit comme une cité. » Mes frères,quand David chantait Jérusalem, c’était une cité achevée, elle n’était plus à cons-truire. Je me demande donc de quelle cité il parle, qui se construit encore, et oùaccourent dans la foi les pierres vivantes dont saint Pierre écrit : « Et vous,comme des pierres vivantes, construisez-vous en une demeure spirituelle » (1 P2, 5), c’est-à-dire devenez le temple saint de Dieu ! […] Car l’apôtre Paul écrit :« Le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui êtes ce temple » (1 Co 3, 17). Cettecité-là continue de se construire. La main de ceux qui prêchent la vérité tire lespierres des montagnes, et les taille pour les faire entrer dans l’éternelle construc-tion. Bien des pierres sont encore entre les mains de l’ouvrier : qu’elles veillent àne pas tomber de ses mains ! Mais plutôt qu’elles s’intègrent parfaitement dansla structure du temple [cf. Ep 2, 22].

C’est cela, Jérusalem « qui est construite comme une cité ». Son fondement estle Christ, et l’apôtre Paul affirme : « Personne ne peut poser un autre fondementque celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus » (1 Co 3, 11). Quand on enfouitles fondations en terre, on construit les murs au-dessus, et le poids des murspousse vers la base, car c’est à la base qu’a été posé le fondement. Mais si notrefondement à nous est au ciel, notre construction tend vers le ciel comme vers soncentre de gravité. Des corps ont élevé l’édifice de cette basilique où nous sommesréunis – et voyez comme elle monte haut ! – Parce que ce sont des corps qui l’ontélevé, ils ont posé le fondement à la base ; mais nous qui sommes construits en

(Maxima, Secunda et Donatilla), il s’écrie : « Tu demandes : Qui a suivi Jésus-Christ ?— Rougis, barbu (barbate) : des femmes l’ont suivi, celles dont nous fêtons aujourd’hui lanaissance au ciel… Oui, notre Seigneur, le vôtre et celui de ces femmes, le Seigneur de tous,le Rédempteur de la vie, qui nous a précédés sur la route étroite, a fait de celle-ci une largeroute, une voie royale, impeccable et sûre. C’est sur cette route que des femmes se sontavancées avec enthousiasme, et toi, tu paresses encore ?… Toi, tu ne peux pas ? Des enfantset des jeunes filles, des êtres fragiles et délicats l’ont bien pu ! » (Ab Octavio Fraja FrangipanaOSB, Romæ 1819 ; cité par F. VAN DER MEER, Saint Augustin pasteur d’âmes, Colmar, Alsatia,1949, t. II, p. 292.)

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un temple spirituel, nous avons notre fondement au sommet : courons donc làoù nous serons construits 1.

*

Dans le texte hébreu, le titre contient la mention : « Psaume de David ». Onen a parfois inféré que ce psaume aurait été composé par le roi poète après latranslation de l’Arche au mont Sion, au moment où il remit en vigueur lesantiques prescriptions concernant le pèlerinage à Jérusalem.

Mais, en dépit du titre hébreu (considéré comme non inspiré 2), presque tousles commentateurs pensent que ce psaume n’est pas de David, car il supposeaccomplie la construction du premier temple (construction réalisée, commechacun sait, par son fils Salomon). De plus, la langue nettement aramaïsante,très proche de celle de Néhémie, donne à penser que ce poème aurait été com-posé tout exprès pour les pèlerinages qui suivirent l’exil, après la reconstructiondu temple effectuée sous l’impulsion de Zorobabel et d’Esdras, à partir de 538avant Jésus-Christ.

*

Nous avons noté dans les psaumes 119 et 120 la gradation des expressions.Ici encore, le phénomène est bien marqué. Le mot « Jérusalem », thème centraldu cantique, est tout spécialement concerné puisqu’il est répété trois fois (v. 2b,3a, 6). On remarquera aussi : « les tribus, les tribus du Seigneur » (v. 4a) ; ou :« les sièges pour la justice… les sièges de la maison de David » (v. 5) ; ou encore,la triple mention de la paix (quæ ad pacem… fiat pax… loquebar pacem de te – v. 6a,7a, 8b), qui fait jeu de mot avec Jérusalem puisque ce nom veut dire étymologi-quement « vision de paix 3 ». Enfin, la répétition du mot « prospérité » (et abun-dantia… et abundantia – v. 6b, 7b) surenchérit sur l’idée de paix car, dansl’hébreu, le mot utilisé 4 signifie plutôt « sérénité », « tranquillité », que« prospérité ».

1 — Saint AUGUSTIN, Enarrationes super psalmos, in Ps 121 (PL 37, 1619-1621).2 — D’autant plus qu’il n’y a pas que le Targum, les LXX et la Vulgate à ignorer cette

mention qui attribue le psaume à David, mais quelques manuscrits hébreux eux-mêmes.3 — Dans l’hébreu, aux v. 6-7, une suite d’allitérations renforcent ce jeu phonétique sur

l’étymologie de Jérusalem : Sha’alou shelôm yeroûshalaïm yishelâioû… yehî-shâlôm… shalewâh…4 — Shalewâh, qui provient de la même racine que shâlôm, la paix.

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Commentaire

Le prélude (première strophe)

— Verset 1 :

Je me suis réjoui de ce qu’il m’a été dit : Allons dans la maison du Seigneur.La pensée de Jérusalem et de son temple remplissait de joie le cœur des an-

ciens juifs. Aussi le psalmiste se souvient-il de la joie qu’il a éprouvé quand aretenti ce cri de ralliement : « Allons à la maison du Seigneur », c’est-à-dire autemple de Dieu.

C’est presque dans les mêmes termes que le prophète Jérémie prédisait leretour des exilés de Babylone : « Oui, ce sera le jour où les veilleurs crieront surla montagne d’Éphraïm : Levez-vous et montons à Sion, vers Yahvé notre Dieu »(Jr 31, 6). Plus d’un siècle avant, Isaïe, pour traduire l’allégresse qu’éprouveraitle peuple élu en voyant s’accomplir les terribles oracles de Dieu contrel’Assyrie, déclarait : « Le chant sera sur vos lèvres comme en une nuit de fête etla joie sera dans vos cœurs comme lorsqu’on monte, au son de la flûte, pour aller àla montagne de Yahvé [le mont Sion], le rocher d’Israël » (Is 30, 29).

Cette joie que fait naître la seule pensée de voir Jérusalem et son temple estmaintes fois exprimée dans la sainte Écriture, notamment dans les psaumes :« Il est une chose que j’ai demandée au Seigneur, et je la rechercherai unique-ment ; c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pourcontempler les délices du Seigneur et visiter son temple » (Ps 26, 4) ; « Envoyezvotre lumière et votre vérité : elles me conduiront et m’amèneront à votremontagne sainte et à vos tabernacles ; et je monterai à l’autel de Dieu, le Dieuqui réjouit ma jeunesse » (Ps 42, 3-4) ; « Si je t’oublie, ô Jérusalem, que ma maindroite soit mise en oubli ; que ma langue s’attache à mon palais, si je ne mesouviens point de toi, si je ne place pas Jérusalem au premier rang de mesjoies » (Ps 136, 5-6) 1.

Et nous, chrétiens, avons-nous le même sentiment de joie, le même désir ar-dent, en pensant à l’Église, notre mère ? Nous réjouissons-nous lorsqu’on nousparle du ciel qui est le but de notre vie 2 ? Aimons-nous à nous rendre au pieddes tabernacles de nos sanctuaires où réside Notre-Seigneur – non pas d’unesimple présence spirituelle comme dans l’ancien temple, mais réellement, avecson corps, son sang, son âme et sa divinité ? Saint Jean Chrysostome fait cedouloureux constat : « Quand on appelle au cirque, au théâtre d’iniquité, la

1 — Voir encore : Dt 12, 18 ; 14, 26 ; 1 Ch 12, 41 ; 15, 16, 25 ; 2 Ch 30, 21, 23, 26 ;

Jr 31, 12-13 ; So 3, 14-15…2 — Voyez le récit de la première apparition de Fatima (13 mai 1917). « Je suis du ciel »

dit Notre-Dame aux enfants, dès les premiers mots. Et aussitôt, sœur Lucie demande : « Etmoi, irai-je au ciel ? » Quel esprit surnaturel dans l’âme de ces enfants !

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foule accourt… ; mais quand on invite à la maison de prière, presque tout lemonde s’abstient 1 ! » Que dirait-il aujourd’hui, en nos temps d’indifférentisme,où tant d’églises sont devenues désertes !

Pourtant, comme l’enseigne saint Paul, nous sommes déjà, par le baptême,« cives sanctorum et domestici Dei – concitoyens des saints et membres de lamaison de Dieu » (Ep 2, 19). Et nous avons bien plus de raisons que les anciensjuifs – et des raisons incomparablement plus profondes – de redire avec lepsalmiste : « Inebriabuntur ab ubertate domus tuæ – les enfants des hommes serontenivrés de l’abondance de votre maison, et vous les ferez boire au torrent devos délices » (Ps 35, 9) ; « Heureux celui que vous avez choisi et pris avec vous ;il habitera dans vos parvis. Nous serons remplis des biens de votre maison– replebimur in bonis domus tuæ –, car votre temple est saint » (Ps 64, 5).

Saint Robert Bellarmin rapproche cette annonce qui enchante le pèlerin – Jeme suis réjoui quand on m’a dit… 2 – des annonces que Jésus nous adresse dansl’Évangile :

Le Christ fut, sans aucune comparaison, un messager bien plus réjouissant, luiqui nous dit dans l’Évangile : « Faites pénitence ; le royaume des cieux est tout pro-che » (Mt 4, 17) ; et, plus clairement : « Il y a plusieurs demeures dans la maisonde mon Père ; sinon je vous l’aurais dit, car je vais vous préparer une place. Etquand je m’en serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau jeviendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous soyez, vous aussi »(Jn 14, 2-3) 3.

— Verset 2 :

Les pèlerins s’arrêtent, pleins d’émotion, aux portes de la ville sainte quis’étale sous leurs yeux 4.

Stationes erant – nos pieds s’arrêtaient : à cause de l’imparfait qui reproduit icil’« accompli » de l’hébreu, les commentateurs ont parfois compris qu’ils’agissait d’anciens pèlerins (ou d’exilés de Babylone) se remémorant l’heureuxtemps où ils allaient au temple de Dieu et se tenaient dans ses parvis 5.L’expression imagée – « nos pieds stationnaient » – traduirait le souvenir ineffa-çable que le pèlerin a rapporté de son voyage et la joie à laquelle ce souvenirreste attaché. Mais cette interprétation ne s’impose pas car les temps, dans la

1 — PG 55, 347. Saint JEAN CHRYSOSTOME, Œuvres complètes traduites sous la direction

de M. Jeannin, Bar-le-Duc, Guérin, 1865, t. VI, p. 175.2 — In his quæ dicta sunt mihi, dit la Vulgate : « de ce qui m’a été dit ». Mais, à la place

du neutre, le grec et l’hébreu ont le masculin pluriel : « en ceux qui m’ont dit ». Ce n’est passeulement le contenu de l’annonce qui réjouit le pèlerin, mais l’union de charité avec lesautres pèlerins qui s’apprêtent à monter de concert à la maison du Seigneur.

3 — Saint ROBERT BELLARMIN, ibid., p. 718.4 — Le Talmud explique que les pèlerins arrivés aux portes de Jérusalem devaient at-

tendre une députation venue du sanctuaire avec laquelle ils entraient solennellement.5 — Ainsi saint Athanase ou saint Robert Bellarmin (« Nous nous souvenons du temps

où nos pieds se tenaient dans tes parvis, c’est-à-dire à tes portes. » – ibid., p. 719).

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poésie hébraïque, sont d’un emploi assez libre et, très souvent, ils n’ont pas lavaleur de leur équivalent latin, grec ou, a fortiori, français 1.

Que faut-il entendre par ces portes que la Vulgate appelle des « parvis 2 » ?S’agit-il des parvis du temple ou des portes de la ville ? Saint Robert Bellarminpropose une solution qui accommode les deux termes : « Le prophète lesnomme des portes (portas) ou des parvis (atria), explique-t-il, et, pour ainsi dire,des vestibules de la cité (quasi vestibula civitatis) plutôt que des marchés (fora) oudes places (plateas), parce que, à cette époque-là, les principales assemblées etles affaires se traitaient aux portes des villes, là où la fréquentation des hommesétait la plus grande 3. » En d’autres termes, atria ne désignerait pas les célèbresparvis du temple, mais l’espace compris entre les « mâchoires » formées par lesmurailles des portes fortifiées de la ville, semblables à celles que les fouillesarchéologiques ont mises à jour en divers endroits 4. C’est là en effet que lesnotables se réunissaient pour juger les questions relatives à la cité et conclureleurs négoces, comme on le lit au livre des Proverbes (31, 23), dans l’éloge de lafemme forte : « Son mari est connu aux portes de la ville, lorsqu’il siège parmiles anciens du pays » (voir aussi Rt 4, 1-11 ; 2 S 18, 24 ; Jr 39, 3).

*

Si, maintenant, on applique le psaume à la Jérusalem céleste, comment pou-vons-nous dire : stantes erant pedes nostri…, puisque nous ne sommes jamaisallés au ciel ? Saint Robert Bellarmin qui se pose cette objection, y répond :Nous avons en quelque sorte connu la patrie céleste en Adam, avant le péché,car l’état de justice originelle qui était alors celui de nos premiers parents étaitcomme le parvis du ciel promis à l’homme. Fils d’Adam, créés pour le bonheur,nous gardons, inscrite dans notre nature, la nostalgie du ciel que le péché nousa fermé, mais où notre âme aspire à être fixée :

Le paradis terrestre était comme le vestibule du paradis céleste et l’étatd’innocence comme le parvis et la porte de l’état de gloire. C’est pourquoi nousnous réjouissons à la voix de ceux qui nous disent : Nous irons à la maison duSeigneur, parce que nous nous souvenons de ce temps où nos pieds stationnaientdans le paradis terrestre et, par le fait même, dans le parvis du paradis céleste ;et, d’après ces biens, nous conjecturons sur les biens de beaucoup supérieurs quinous sont réservés dans cette même maison du Seigneur 5.

1 — L’hébreu ne connaît que deux temps, l’accompli et l’inaccompli, qu’on rend géné-

ralement par le passé et le futur.2 — Les LXX et la Vulgate ont lu en effet « dans tes parvis » au lieu de « à tes portes ».

Dans sa traduction latine sur l’hébreu, saint Jérôme a mis : in portis tuis.3 — Ibid., p. 719.4 — Les archéologues ont retrouvé plusieurs de ces portes fortifiées (à Meggido, Haçor,

etc.) dont le plan reproduit comme une tenaille à double ou triple mâchoire. L’espace situéentre les mâchoires forme une pièce assez vaste où l’on s’assemblait pour délibérer.

5 — Ibid., p. 719.

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Enfin, on peut encore appliquer cette première strophe à l’Église de la terre.Les convertis et ceux qui ont reçu le baptême à l’état adulte pourront y voirl’écho de leur entrée dans l’Église et de la joie profonde qui l’accompagna. Amoins qu’on ne l’entende des clercs et des âmes consacrées qui se sont voués auservice de Dieu et de sa maison et qui, par leur prière et leur ministère, assurentla garde – stationnent – dans ses parvis. Toutefois, au sens large, tous les bapti-sés, quels qu’ils soient, peuvent s’appliquer ces versets du psaume et doivent seréjouir d’être fermement fixés (stantes pedes nostri) dans cette cité de Dieu qu’estsur terre la sainte Église catholique et de pouvoir y vivre et y agir.

L’éloge de Jérusalem (deuxième strophe)

— Verset 3 (premier éloge) :

Jérusalem, qui est bâtie comme une ville où tout se tient ensemble.C’est la beauté de la ville et son ordonnance harmonieuse qui frappent tout

d’abord les pèlerins. Pour ces hommes venus de loin, habitués aux villages oùles maisons sont de torchis, petites et disposées sans ordre, Jérusalem offre unspectacle saisissant. La lecture des livres d’Esdras et de Néhémie nous apprenden effet que la cité, détruite par les dévastations et l’incendie des Babyloniens,en 586 avant Jésus-Christ, avait été soigneusement reconstruite et ornée dedouze portes monumentales (Esd 1, 5 et Ne 2, 12 à 3, 32).

A titre comparatif, Virgile, subjugué par la majesté de Rome, fait dire à Tityredans ses Bucoliques (I, 20-25) :

Cette ville qu’on appelle Rome, ô Mélibée, n’étais-je pas assez simple pour mela figurer semblable à celles de nos contrées, où nos bergers ont coutume de me-ner leurs tendres agneaux ? Ainsi je voyais ressembler à leurs pères les chiensqui viennent de naître, les chevreaux à leurs mères ; ainsi je comparais les petitsobjets aux grands. Mais Rome élève autant sa tête au-dessus des autres villes,que les cyprès surpassent les vignes flexibles 1.

Aujourd’hui encore, le pèlerin est saisi d’admiration lorsqu’il découvrel’esplanade du temple et la vieille ville de Jérusalem enchâssée dans ses rem-parts de pierre blonde. Et pourtant, Jérusalem n’est plus que l’ombre d’elle-même ; elle a perdu l’éclat qu’elle avait jadis, spécialement au temps de Notre-Seigneur, lorsque se dressait le second Temple, celui qu’Hérode le Grand fitconstruire peu de temps avant la naissance de Jésus-Christ, et qui était beau-coup plus somptueux que le premier. La vue de ce splendide édifice remplissaitd’orgueil les disciples du Seigneur : « Comme il s’en allait hors du Temple, unde ses disciples lui dit : “Maître, regarde, quelles pierres ! quelles constructions !

1 — « Verum hæc tantum alias inter caput extulit urbes, / Quantum lenta solent inter viburna

cupressi. » (Trad. de la collection M. Nisard, Paris, 1850.)

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Et Jésus lui dit : “Tu vois ces grandes constructions ? Il n’en restera pas pierresur pierre qui ne soit renversée” » (Mc 13, 1-2).

Cuius participatio eius in idipsum. L’hébreu dit mot à mot : « qui est liée à elleensemble », c’est-à-dire « où tout se tient ensemble ». Comprimée dans saceinture de fortes murailles, Jérusalem donne l’image d’une ville solidementbâtie, d’apparence compacte 1, où toutes les maisons se touchent et font bloc.

Dans l’expression « bâtie comme une cité », on peut donner à bânâh (bâtir,construire) un sens métaphorique, comme en Proverbes 14, 1 (« La sagesse bâtitsa maison ») ou Ruth 4, 11 (« Léa et Rachel qui, à elles deux, ont édifié la maisond’Israël »), et rendre la suite – cuius participatio eius in idipsum – par : « où l’on seréunit ensemble », c’est-à-dire où l’on est en étroite communauté de sentiments,où tout est un par la communion 2.

L’application à l’Église est alors manifeste. L’Église est cette cité spirituelle« où tout se tient » par « le lien de la charité » (Col 3, 14) et par « le lien de lapaix » (Ep 4, 3). Elle est solidement « construite », compacte, c’est-à-dire une,formée par les pierres vivantes que sont les baptisés, taillées et polies chaquejour par le divin architecte. « Vous-mêmes, écrit saint Pierre, comme pierresvivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdocesaint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ »(1 P 2, 5). Cassiodore développe cette interprétation :

Jérusalem est construite de pierres vivantes […] et contient en elle des ci-toyens unanimes. Nous savons que sur la terre, elle contient toutes sortes degens disparates [des justes et des pécheurs], mais la Jérusalem future ne contientque des parfaits. La Jérusalem de la terre est persécutée, l’autre jouit del’éternelle sécurité ; l’une est pleine de pénitents, l’autre ignore les larmes. L’unecroit et espère, l’autre voit Dieu face à face : cela fait comme deux cités, mais nefera plus qu’un seul peuple de fidèles 3.

Saint Hilaire abonde dans le même sens. L’édifice terrestre, dit-il, préfigure laJérusalem céleste. « Elle se construit comme une cité » : le verbe est au présent(quæ ædificatur 4) parce qu’elle continue de se construire « jusqu’à ce que soitentrée la plénitude [la totalité] des nations » (Rm 11, 25-26) :

Et puisque le corps de l’Église est un, non par mélange et confusion, ni parcumul ou amas informe d’éléments composites, mais par l’unité de la foi, la so-ciété de la charité, la concorde des œuvres et de la volonté, et l’unité du mêmesacrement donné à tous 5, nous sommes tous un, selon cette exhortation de saint

1 — Traduction du nouveau Psautier : « in se compacta tota ».2 — Saint Jérôme, dans sa traduction sur l’hébreu, a mis : cuius participatio eius simul.3 — CASSIODORE, PL 70, 910 B-C.4 — Saint Jérôme fait la même remarque : « Le verbe est au présent ; l’édifice n’est pas

achevé. » Et saint Augustin (comme on l’a lu plus haut) : « Cette cité-là continue de seconstruire ; […] bien des pierres sont encore entre les mains de l’ouvrier. »

5 — « Per fidei unitatem, per caritatis societatem, per operum voluntatisque concordiam, per sa-cramenti unum in omnibus donum… »

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Paul : « Je vous en prie, mes frères, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ,soyez étroitement unis dans le même esprit et dans la même pensée (idipsum sa-piatis omnes) » (1 Co 1, 10). Si tel est le cas […], alors, nous serons la cité de Dieu,la sainte Jérusalem, cuius participatio eius in idipsum (à laquelle on ne participeque si l’on est uni) […]. Impossible d’y avoir part dans la dispersion, mais biendans l’unité (non possunt participationem in diverso habere, sed in idipsum) 1.

Tous les Pères latins ont ainsi vu dans cet in idipsum une allusion à l’unité et àla stabilité de l’Église – de l’Église militante, et plus encore de l’Église triom-phante dont l’unité et la stabilité sont parfaitement achevées.

Qu’est-ce à dire : idipsum ? Ce qui est toujours de la même manière, qui n’estpoint aujourd’hui une chose, et demain une autre chose. Qu’est-ce donc idipsum,sinon ce qui est ? Qu’est-ce ce qui est ? Ce qui est éternel 2.

Au reste, cette unité de l’Église, cette participatio in idipsum, lui vient de sonunion, de sa participation au Christ, qui est la pierre angulaire (Ep 2, 20 3 ; Ac4, 11) et le fondement (1 Co 3, 11) de la sainte Église :

La participation, la communauté ou communion, comme on dit, de cette cité,écrit Cassiodore, est avec le Seigneur Sauveur, comme lui-même le dit dansl’Évangile : « Là où je suis, qu’ils soient eux aussi, avec moi » (Jn 17, 24) 4.

Et encore, du même auteur 5 :

Cuius participatio in idipsum : c’est tout à fait ce qu’il fallait dire, mais c’est bienobscur ! On participe à cette cité dans le Seigneur Sauveur. C’est lui, qui est pro-prement in idipsum. In idipsum signifie en effet l’éternité, qui ne cesse jamaisd’être ce qu’elle est, mais est toujours d’un seul et même mode. […] Expressionapparentée à Ego sum qui sum (« Je suis celui qui suis », Ex 3, 4) et au psaume101, 28 : Tu autem idem ipse est (« Mais vous, toujours le même, vous êtes »).

Ainsi, parce qu’elle participe à l’unité et à l’éternité de Dieu « qui est » et nechange pas, l’Église, à l’image de son divin fondateur, est « semper idem », tou-jours la même au milieu des fluctuations et des vicissitudes du monde.

Sur ce thème de l’unité de l’Église, le père Emmanuel (de Mesnil-Saint-Loup)a écrit de belles pages inspirées de saint Augustin, qui éclairent les formules denotre psaume :

1 — Saint HILAIRE, PL 9, 662 C-D.2 — « Quid est idipsum ? Quod semper eodem modo est ; quod non modo aliud, et mo-

do aliud est. Quid est ergo idipsum, nisi quod est ? Quid est quod est ? Quod æternum est. »(Saint AUGUSTIN, sur le Ps 121, 5 ; PL 37, 1622.)

3 — « Car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et les prophètes, etpour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même. En lui toute construction s’ajuste et grandit enun temple saint, dans le Seigneur ; en lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la constructionpour devenir une demeure de Dieu, dans l’Esprit » (Ep 2, 20-22).

4 — PL 70, 910 D.5 — PL 70, 910 C.

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Ce qui frappe tout d’abord dans l’Église, c’est le caractère de parfaite unité quiest en elle. Cette unité est un reflet ou, pour mieux dire, une expression de l’unitémême des Personnes divines. Notre-Seigneur l’a voulu ainsi : « Je vous prie, ômon Père, afin qu’ils soient un, comme vous êtes en moi et moi en vous » (Jn 17,21).

Ainsi l’unité qui est dans l’Église a été établie par Notre-Seigneur sur le mo-dèle de l’unité de nature qui est entre son Père et lui-même. Il dit encore : « Moien eux, et vous en moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité » (Jn 17, 23). Et,par ces paroles, il explique comment l’unité doit s’établir entre les membres deson Église. En vertu de l’unité de nature, le Père est dans son Verbe, par unesorte de compénétration ineffable : de même Notre-Seigneur veut être en chacunde nous, par une prise de possession de tout notre être qu’il assimile au sien. Parlà, nous ne formons plus qu’une seule personne mystique et cette personne, c’estJésus-Christ étendu et développé, Jésus-Christ homme parfait, Jésus-Christ touten tous (Col 3, 11). […]

Il y a dans le monde certaines unités morales, par exemple la famille, la pa-trie ; mais elles n’approchent pas de l’unité de l’Église.

Ce qui constitue l’unité de la famille, c’est le même sang qui coule dans lesveines, c’est souvent l’identité des goûts et des aptitudes, c’est enfin la commu-nauté des joies et des peines. L’unité entre les concitoyens d’une même patrie estpeut-être plus mystérieuse encore : c’est une grande chose que de respirer lemême air natal, d’avoir abreuvé son intelligence des sucs nourriciers de la mêmelangue, de posséder en commun tout un héritage de gloires et de douleurs quiremonte à de longs siècles ; il faut avoir quitté quelquefois le sol de la patrie pourcomprendre le secret amour qui nous y attache.

Oui, ces liens de famille et de patrie sont grands et même sacrés ; mais il estun lien plus intime que le premier, plus auguste que le second, mille fois plus sa-cré que tous les deux, et c’est le lien qui nous unit tous en Notre-Seigneur Jésus-Christ dans une même Église.

Ce lien est plus intime que le lien du sang, car l’esprit de vie qui anime lesmembres de Jésus est infiniment plus unissant que la volonté de l’homme et dela chair (Jn 1, 13). Il est plus auguste que le lien de la patrie terrestre, car il nousfait concitoyens de la patrie céleste, il nous donne de nous abreuver au Verbe vi-vant de Dieu, il nous fait entrer en communion de gloires et de douleurs inénar-rables, il va de l’éternité à l’éternité.

Pour caractériser la force de ce lien, saint Paul n’a rien trouvé de mieux que dedire : « Nous ne formons tous qu’un même corps en Jésus-Christ, étant les mem-bres les uns des autres » (Rm 12, 5). L’unité des membres animés d’un mêmeprincipe de vie, obéissant à un même moteur, conspirant au bien-être d’un mêmetout, cette unité représente l’unité qui nous renferme tous en Jésus. Les fidèlesqui adhèrent à lui sont un même corps ; il en est la tête et le Saint-Esprit en estl’âme. « Un seul corps et un seul Esprit », dit encore l’Apôtre (Ep 4, 4) 1.

*

1 — Père EMMANUEL, La Sainte Église, Étampes, Clovis, 1997, p. 20 sq.

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Notons au passage que le psaume, après avoir appelé l’Église la maison deDieu la compare à une ville. C’est que l’Église, explique saint Robert Bellarmin,reçoit divers noms dans la sainte Écriture :

Tantôt, elle est appelée royaume, tantôt cité, ou encore maison. Si tu regardesle nombre et la variété de ses habitants, elle est en effet comme un royaume (cf.Ap 7, 9) ; si tu considères l’union et la familiarité qui existe entre les saints et lesbienheureux, elle est une cité (tous les amis de Dieu se connaissent et s’aimentcomme les citoyens d’une même cité) ; enfin, si tu réfléchis au fait que tous lesélus ont un seul Père et un même héritage, tu comprendras qu’elle est une mai-son où tous sont comme des frères sous un même Dieu et Père 1.

— Versets 4 et 5 (deuxième éloge) :

Car c’est là que sont montées les tribus, les tribus du Seigneur, selon le préceptedonné à Israël, pour célébrer le nom du Seigneur.

Depuis que le roi David y avait transféré l’Arche et déterminé l’emplacementdu temple 2, Jérusalem était le centre religieux du peuple élu. C’est pourquoi lesIsraélites de toute tribu y montaient aux trois grandes fêtes annuelles (la Pâque,la Pentecôte et les Tabernacles), pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Etcela, en vertu d’une loi – un « témoignage » (testimonium), dit la Vulgate 3. –prescrite à Israël par Dieu lui-même 4.

La répétition du mot « tribus » (comme celle du mot « sièges », au verset 5)est un hébraïsme ; elle veut dire beaucoup de tribus, autrement dit : un trèsgrand nombre d’hommes de toutes les tribus, pris dans tout le peuple d’Israël.

Appliqué à l’Église, ce verset signifie que l’épouse de Jésus-Christ enfante àchaque instant une multitude d’enfants à son époux divin, par le don de lagrâce, et ces fidèles de Notre-Seigneur montent sans cesse vers le ciel par tribusentières, c’est-à-dire par groupes ou générations successives, venant de touterégion, de toute nation et de toute classe. Il y a ceux qui viennent de l’infidélité,du schisme ou de l’hérésie et qui rejoignent le centre de l’unité catholique ; il y ales mauvais chrétiens qui passent d’une vie de péché à une vie d’amitié avecDieu ; il y a ceux qui s’arrachent à la médiocrité d’une vie mondaine pour

1 — Saint ROBERT BELLARMIN, ibid., p. 719.2 — Voir 2 S 6 et 7 ; 2 S 24, 18-25.3 — Voir Ps 18, 8 ; 118, 2, etc.4 — Sur cette loi, voir par exemple Ex 23, 17 ; 34, 23 ; Dt 16, 16 : « Trois fois par an,

toute ta population mâle paraîtra devant Yahvé, ton Dieu, dans le lieu qu’il aura choisi : à lafête des Azymes, à la fête des Semaines [Pentecôte] et à la fête des tabernacles » ;2 Ch 30, 1 : « Ezéchias envoya des messagers à tout Israël et Juda, et écrivit même deslettres à Ephraïm et à Manassé, pour que l’on vienne au Temple de Yahvé à Jérusalemcélébrer une Pâque pour Yahvé, le Dieu d’Israël » ; Lc 2, 41-42 : « Ses parents se rendaientchaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Et lorsqu’il eut douze ans, ils y montè-rent, comme c’était la coutume pour la fête » ; Jn 4, 20 : « Nos pères ont adoré sur cettemontagne et vous, vous dites : C’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer. »

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monter résolument vers la sainteté – telles sont les tribus du Seigneur, le trou-peau des âmes que Dieu appelle à vivre la pleine vie de l’Évangile et qui formeson corps mystique.

Mais vous, écrivait saint Pierre aux chrétiens de la primitive Église, vous êtesune race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour pro-clamer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lu-mière ; vous qui jadis n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple deDieu, qui n’obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde.Très chers, je vous exhorte donc, comme étrangers et voyageurs, à vous abstenirdes désirs charnels, qui font la guerre à l’âme (2 P 2, 9-11).

Cette montée processionnelle des « tribus du Seigneur » est pour confesser lenom du Seigneur, dit la Vulgate, ad confitendum nomini Domini, c’est-à-direconfesser la foi au vrai Dieu. Le texte hébreu, quant à lui, parle de rendre grâcesou célébrer (t/dho˝l], lehodôt – « pour célébrer ») le nom de Dieu. (Voyez, parexemple, le Psaume 29, 5 : « Chantez au Seigneur, vous, ses fidèles, célébrez sasainte mémoire » ; le Psaume 105, 47 : « Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, […]afin que nous célébrions votre saint nom et que nous mettions notre gloire àvous louer. »)

Quelques traducteurs ponctuent le verset différemment, ce qui les conduit àrattacher l’incise « c’est un précepte pour Israël » à ce qui suit, et donc à com-prendre : « C’est là que montent les tribus, les tribus de Yahvé ; c’est un ordrepour Israël de célébrer le nom de Yahvé. » Mais cela ne change pas fondamenta-lement le sens.

C’est là que sont établis les sièges pour la justice, les trônes de la maison de David.Non seulement Jérusalem était le centre de l’unité religieuse, mais aussi le

siège de la royauté davidique, de la justice et de la vie politique d’Israël et doncle symbole de son unité nationale. David en fit la capitale de son royaume et larésidence de sa dynastie (voir 2 S 5, 7 et 7, 12-17). Le premier tribunal et tous lesorganes gouvernementaux de la nation siégeaient dans la ville sainte pour quechacun puisse y recourir dans ses nécessités.

Des sièges pour la justice. « Un roi siégeant au tribunal dissipe tout mal par sonregard », déclare le livre des Proverbes (20, 8). Ce fut spécialement vrai de Salo-mon à qui Dieu conféra la prudence et le discernement, pour qu’il gouvernâtbien la cité :

Maintenant – pria Salomon –, Yahvé mon Dieu, vous avez établi roi votre ser-viteur à la place de mon père David, et moi, je suis un tout jeune homme, je nesais pas agir en chef. […] Donnez à votre serviteur un cœur plein de jugementpour gouverner votre peuple, pour discerner entre le bien et le mal, car qui pour-rait gouverner votre peuple qui est si grand ? (1 R 3, 7-9.)

Et le texte sacré continue :

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Il plut au regard du Seigneur que Salomon ait fait cette demande ; et Dieu luidit : « Parce que tu as demandé cela, que tu n’as pas demandé pour toi de longsjours, ni la richesse, ni la vie de tes ennemis, mais que tu as demandé pour toi lediscernement du jugement, voici que je fais ce que tu as dit : je te donne un cœursage et intelligent comme personne ne l’a eu avant toi et comme personne nel’aura après toi. » (1 R 3, 10-12.)

Alors Salomon – dont tout le monde connaît le célèbre jugement (1 R 3, 16-28) – fit bâtir dans son palais une pièce spéciale pour rendre la justice : « Il fit levestibule du trône, où il rendait la justice, c’est le vestibule du jugement ; il étaitlambrissé de cèdre depuis le sol jusqu’aux poutres » (1 R 7, 7).

Des trônes pour la maison de David. Telle est l’excellence de la cité sainte, com-mente saint Jean Chrysostome, « qu’elle est la demeure des rois. […] Jérusalem,en effet, était le centre d’une double principauté ; la principauté des prêtres etcelle des rois, qui étaient en quelque sorte inséparables, de telle sorte que la villeétait ornée comme d’une double couronne et d’un double diadème 1. »

Mais au-delà des personnages historiques de David et Salomon et de leurdynastie à qui Jérusalem doit sa célébrité, « le trône du jugement », « le trône dela maison de David » sont des expressions qui, implicitement, désignent leMessie. C’est lui qui est principalement visé ; c’est lui qui est la vraie gloire deJérusalem. Les prophètes, et spécialement Isaïe, l’avaient en effet annoncécomme devant être revêtu de cette double prérogative : il serait roi d’unroyaume qui n’aurait pas de fin et il jugerait selon le droit et la justice.

Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur sesépaules et on lui a donné ce nom : Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père éternel,Prince de la paix, pour que s’étende le pouvoir dans une paix sans fin sur le trône deDavid et sur son royaume, pour l’établir et pour l’affermir dans le droit et la justice »(Is 9, 5-6 2).

Et c’est dans les mêmes termes que l’ange Gabriel l’annonça à la Vierge Ma-rie :

Voici que vous concevrez dans votre sein et enfanterez un fils, et vousl’appellerez du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. LeSeigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père [dabit ei sedem David patriseius] ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin(Lc 1, 31-33).

1 — Saint JEAN CHRYSOSTOME, Œuvres complètes traduites sous la direction de M. Jean-

nin, Bar-le-Duc, Guérin, 1865, t. VI, p. 177.2 — Voir aussi 2 S 7, 16 (prophétie de Nathan au roi David) : « Ta maison et ta royauté

subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais » ; Dn 7, 13-14 : « Jecontemplais, dans les visions de la nuit : voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Filsd’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. A lui fut conféréempire, honneur et royaume, et tous les peuples, nations et langues le servirent. Son empireest un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit. »

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Dans la Jérusalem nouvelle – la sainte Église –, c’est Jésus-Christ qui est le roiet le juge. C’est lui qui réalise les promesses faites à la maison de David. Nou-veau David, il règne au ciel et sur la terre et il reviendra pour juger les vivantset les morts.

Et l’Église, à travers les apôtres, doit participer à ce pouvoir de jugement,comme l’a prédit Notre-Seigneur : « En vérité je vous le dis, à vous qui m’avezsuivi : au temps de la régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur sontrône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douzetribus d’Israël » (Mt 19, 28). Tous les Pères qui ont commenté le psaume 121signalent le rapprochement du verset 5 avec ce passage d’Évangile.

Vous siégerez, commente saint Thomas, c’est-à-dire que vous aurez le pou-voir judiciaire […], car de même que Dieu a confié le jugement au Fils, de même[le jugement] est-il donné à ceux qui l’ont suivi (2071). […] Que veut-il dire par :les douze tribus d’Israël ? Ne jugeront-ils pas les autres ? […] On doit comprendre[qu’il s’agit] de tout le peuple des fidèles du monde entier (2072). […] Saint Au-gustin dit que par [le nombre] douze est signifiée la totalité […]. Par ce nombreest signifié l’ensemble des élus (2077). Et comment jugeront-ils ? […] Il n’est pasinapproprié que quelqu’un reçoive une lumière d’un autre, car les anges en re-çoivent de Dieu, et les hommes des anges. Il n’est donc pas étonnant que leshommes soient éclairés par les apôtres qui sont remplis [de lumière]. Ainsi, nonseulement ils jugeront, mais les autres justes recevront aussi d’eux une certainelumière. Mais cela sera différent chez le Christ et chez les apôtres, car le Christ lefera d’autorité, mais eux à titre de promulgateurs (2075) 1.

Souhaits adressés à Jérusalem (troisième strophe)

— Versets 6 et 7 :

Demandez la paix pour Jérusalem, qu’ils soient en tranquillité ceux qui t’aiment !Que la paix règne dans tes murs, en tes palais la quiétude !

Rogate quæ ad pacem, « demandez des grâces de paix » : l’expression est unhébraïsme qui revient à dire : « Souhaitez la paix… » Les pèlerins sont invités àformuler des souhaits pour la ville sainte. Quelques auteurs supposent mêmeque les formules des versets 6a et 7a sont des injonctions du chef de groupeauxquelles répond l’acquiescement enthousiaste des pèlerins (v. 6b et 7b),comme en une sorte de dialogue liturgique :

— Souhaitez la paix à Jérusalem. — Qu’ils soient sereins ceux qui t’aiment !

1 — Saint THOMAS, Commentaire sur saint Matthieu 19, 28 (le numéros entre parenthèses

sont ceux de l’édition Marietti).

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— Que la paix règne dans tes remparts, — En tes palais la quiétude !

Dans leurs vœux, les pèlerins demandent deux choses : la paix pour Jérusa-lem et la prospérité pour ceux qui l’aiment. Ces deux biens sont ceux qui ren-dent les cités heureuses remarque judicieusement saint Robert Bellarmin. « Carla paix sans la prospérité est une possession tranquille de la misère etl’abondance sans la paix est une félicité douteuse et aléatoire ; mais, quandl’abondance est jointe à la paix, il ne manque rien à l’état d’une cité parfaite-ment heureuse 1. »

A la place de la prospérité, l’hébreu dit : « qu’ils soient sereins (de hlv – cf.Jr 12, 1 ; Jb 3, 26), ceux qui t’aiment » ; « que la sérénité soit dans tes palais… ».Ce mot est presque synonyme de paix, mais il y ajoute la double nuance desécurité et de félicité (d’où la traduction de la Vulgate : abundantia).

Ceux qui t’aiment. C’est-à-dire non seulement les pieux Israélites, mais aussiles prosélytes qui, sans faire partie de la communauté juive, aiment Yahvé etson culte. C’est ainsi que les juifs recommandaient à la bienveillance de Notre-Seigneur le centurion de Capharnaüm : « Il est digne, disaient-ils, que vous luiaccordiez cela ; il aime en effet notre nation, et c’est lui qui nous a bâti la synago-gue » (Lc 7, 4-5).

Que la paix règne dans ton rempart, en tes palais la quiétude ! La Vulgate a lu« dans ta force » (lyj’, h ayl) au lieu de « dans ton rempart » (lyje, h êl), et « dans testours » (in turribus tuis) là où l’hébreu dit littéralement « dans tes palais » (ˆ/mr“a’˝,‘armôn, mais, au pluriel, le mot désigne des habitations fortifiées 2).

*

Notre-Seigneur, plus que quiconque, a voulu la paix pour Jérusalem : « Ah !si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix qui t’est adressé !Mais non, il est demeuré caché à tes yeux. Oui, des jours viendront sur toi, oùtes ennemis t’environneront de retranchements, t’investiront, te presseront detoutes parts. Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils nelaisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps oùtu fus visitée ! » (Lc 19, 42-44). Pour que Jérusalem obtînt cette paix, il eût falluqu’elle reconnût son Messie et son Roi au temps où il vint la visiter. Au lieu dequoi, Jérusalem « qui tue les prophètes et lapide ceux qui lui sont envoyés »(Mt 23, 37), a crucifié son Sauveur.

La paix ! Tel est aussi le souhait que Jésus faisait à ses disciples : « Je vouslaisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas commele monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 14, 27). Etc’est par ce même souhait joyeux que le Christ ressuscité, dont le sacrifice

1 — Saint ROBERT BELLARMIN, ibid., p. 721.2 — Voir Am 1, 4 et 12 ; 2, 2 et 5 ; Ps 47, 4 ; Jr 17, 27 ; Lm 2, 7.

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sanglant a pleinement réconcilié les âmes avec Dieu, salue désormais ses apô-tres : « Pax vobis ! Que la paix soit avec vous ! » (Jn 20, 19. 21. 26).

La paix est encore l’une des demandes qui reviennent le plus souvent dansles prières de l’Église. Toute militante qu’elle soit, l’Église demande la paixpour elle, pour ses enfants et pour le monde ; la paix extérieure – l’absence deguerres, de persécutions, de schismes et d’hérésies 1 –, mais surtout la paixintérieure, la paix des âmes qui est un fruit de la charité, celle dont parle saintPaul dans l’épître aux Éphésiens : « Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus,vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ.Car c’est lui qui est notre paix » (Ep 2, 13-14).

— Versets 8 et 9 :

A cause de mes frères et de mes amis, je veux dire : « Paix pour toi ! » A cause de lamaison de Yahvé, notre Dieu, pour toi je veux chercher le bonheur.

Deux motifs excitent les saints désirs de paix du psalmiste envers Jérusalem :la charité fraternelle d’abord, le zèle religieux ensuite.

A cause de mes frères et de mes amis… Le psalmiste désigne par ces appellationstous ses coreligionnaires. C’est dans l’intérêt commun, pour l’amour de sesfrères, qu’il souhaite la paix de Jérusalem, afin que la vertu sanctifiante de Dieupuisse s’étendre sans entraves et se manifester aux yeux de tous.

A cause de la maison de Yahvé, notre Dieu… La paix et un certain bonheur (quæ-sivi bona tibi) sont également une condition nécessaire pour que puissents’exercer le zèle religieux et le service de Dieu 2. Le zèle pour la maison de Dieuest un sentiment qui revient souvent dans la sainte Écriture. Pour ne citer qu’unexemple, rappelons ce verset de psaume (68, 10) que les apôtres appliquent àNotre-Seigneur chassant les vendeurs du temple : « Ses disciples se souvinrentqu’il est écrit : Le zèle de votre maison m’a dévoré 3 » (Jn 2, 17).

Mais peut-être faut-il comprendre, à l’inverse, que ce sont la charité et le zèlequi sont causes de ce que le psalmiste demande la paix et ce qui est bon pour

1 — Ainsi, dans la postcommunion de la messe votive pour les temps de guerre, l’Église

s’adresse à Dieu en ces termes : « Étendez sur nous votre miséricorde afin que, la tranquilli-té de la paix nous étant rendue par votre puissance, nous en usions comme d’un remèdepour nous corriger. »

2 — Ainsi, au plus fort de l’épreuve qui leur a ôté toute paix, Job ou Jérémie en vien-nent-ils à maudire le jour de leur naissance (Jb 3, 1-26 ; Jr 20, 14-18).

3 — Dans son traité des passions, saint Thomas consacre un article au zèle (I-II, q. 28,a. 4). Il y explique que le zèle (comme la paix) est un effet de l’amour. « Le zèle, dit-il, enquelque sens qu’on le prenne, vient de l’intensité de l’amour. Car il est manifeste que plus uneforce (virtus) tend intensément vers quelque chose, plus fortement aussi elle repoussera cequi lui est contraire ou lui résiste. Or l’amour, comme le dit saint Augustin, est “une sorte demouvement qui tend vers l’aimé” ; un amour intense cherche donc à exclure tout ce quis’oppose à lui. » Et saint Thomas ajoute : « Sur ce texte de saint Jean : “Le zèle de ta maisonme dévore” (Jn 2, 17), la Glose dit : “Est dévoré d’un bon zèle, celui qui s’efforce de corrigertout ce qu’il voit de mal et qui, s’il ne peut y réussir, le tolère en gémissant”. »

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LE SEL DE LA TERRE Nº 57, ÉTÉ 2006

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Jérusalem. Parce qu’il aime ses frères et la maison de Dieu, il demande à Dieupaix et prospérité pour la cité sainte qui les abrite.

Les deux interprétations peuvent s’appliquer à la sainte Église. Un minimumd’ordre et de paix est en effet requis à l’Église pour qu’elle puisse exercer dansle monde sa mission, notamment ses œuvres de charité et son activité apostoli-que, et croître en mérite et en nombre 1. Inversement, l’histoire et l’expériencede tout un chacun montrent que la paix vient ordinairement couronner lacharité et l’esprit de foi. C’est ainsi que Notre-Seigneur bénit les peuples et leschefs chrétiens qui travaillent à établir son règne, non seulement sur les âmes,mais jusque dans les institutions, en leur accordant sa paix.

*

Il est vraisemblable que la sainte Famille, en se rendant chaque année à Jéru-salem pour la Pâque (Lc 2, 41), chantait avec joie sur la route ce psaume 121 :« J’ai été dans la joie quand on m’a dit : Nous irons à la maison du Seigneur… »

Ayant noté ce fait, Dom Minimus (Henri Charlier), dans un vieil article inti-tulé « La Sainte Vierge et le Saint-Esprit 2 », fait cette réflexion :

Vous ne saviez pas, Marie, que ce psaume ferait partie de votre office ; vousêtes la maison de Dieu, la porte du ciel, la cité du grand Roi. Vous êtes bâtie dansla paix, conçue dans la grâce… Mais Marie ignorait la grandeur de ses privilèges.Ils ne lui furent peut-être révélés par son fils qu’au moment où il commençait savie publique et afin de faire participer plus étroitement cet être parfaitement purà la Rédemption dont elle devait rester pour toujours la fleur la plus belle. Elle alu et chanté les psaumes jusqu’à l’Annonciation dans l’esprit où les chantaienttous les Juifs pieux ; elle a lu l’histoire des patriarches et les écrits des prophètessans savoir aucunement qu’elle était reine des patriarches et reine des prophètes.

Récitons donc les psaumes avec la sainte Vierge, essayons de le faire dansl’esprit où elle les a lus elle-même, c’est-à-dire dans l’obscurité de la foi.

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Saint Jean, dans l’Apocalypse, décrit l’Église – et spécialement l’Église triom-phante du ciel – sous les traits de la Jérusalem nouvelle « descendant du ciel,d’auprès de Dieu, belle comme une jeune mariée parée pour son époux. »(21, 2). Et il entendit une voix crier depuis le trône de Dieu :

Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ilsseront son peuple, et lui, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de

1 — « Ut et merito et numero familia tibi serviens augeatur, pour que cette famille qui vous

sert puisse augmenter en mérites et en nombre » (postcommunion de la messe pour de-mander des vocations religieuses).

2 — Itinéraires nº 14 (juin 1957), p. 83.

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leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de deuil, de cri et de douleur, il n’y enaura plus, car l’ancien monde s’en est allé (Ap 21, 3-4).

Le roi saint Louis, alors qu’il mourait sous sa tente de pestiféré devant Car-thage, stationné aux portes de la Jérusalem céleste, méditait cette vérité et répétait,dit-on, des fragments de psaumes relatifs à la montée à Jérusalem. « Nous ironsvers Jérusalem » aurait-il murmuré dans la nuit qui précéda son trépas ; etThibaud de Navarre rapporte que ses derniers mots furent : « J’entrerai dansvotre maison, j’adorerai dans votre saint temple 1. »

Utilisation liturgique

L’Église utilise le psaume 121 dans divers introïts, graduels et communionsdu missel (par exemple, l’introït de la messe pour demander la paix reprend lesversets 1 et 7 ; au quatrième dimanche de carême, l’introït, le graduel et lacommunion reproduisent respectivement les versets 1, 7 et 3-4 ; le verset 1compose encore l’introït de la messe du dix-huitième dimanche après la pente-côte, etc.)

A l’Office, en dehors du petit Office de la sainte Vierge, le psaume 121 se ré-cite le lundi à vêpres (avec une antienne extraite du verset 1), aux vêpres de lasainte Vierge, des vierges et des saintes femmes.

(à suivre.)

** *

1 — Ps 5,8. « Mais moi, grâce à l’abondance de votre miséricorde, j’entrerai dans votre

maison ; j’adorerai dans votre saint temple, pénétré de votre crainte. » Voir J. RICHARD,Saint Louis, Paris, Fayard, 1983, p. 570 ; LE GOFF, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p.297.