Prévisions : mesures, erreurs et principaux résultats · Ils contribuent aussi à une meilleure...

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Madame Karine Bouthevillain Monsieur Alexandre Mathis Prévisions : mesures, erreurs et principaux résultats In: Economie et statistique, N°285-286, 1995. pp. 89-100. Citer ce document / Cite this document : Bouthevillain Karine, Mathis Alexandre. Prévisions : mesures, erreurs et principaux résultats. In: Economie et statistique, N°285-286, 1995. pp. 89-100. doi : 10.3406/estat.1995.5982 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1995_num_285_1_5982

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Madame Karine BouthevillainMonsieur Alexandre Mathis

Prévisions : mesures, erreurs et principaux résultatsIn: Economie et statistique, N°285-286, 1995. pp. 89-100.

Citer ce document / Cite this document :

Bouthevillain Karine, Mathis Alexandre. Prévisions : mesures, erreurs et principaux résultats. In: Economie et statistique,N°285-286, 1995. pp. 89-100.

doi : 10.3406/estat.1995.5982

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1995_num_285_1_5982

RésuméPrévisions : mesures, erreurs et principaux résultatsTrop souvent, le travail des prévisionnistes est jugé uniquement à l'aune des erreurs qu'ils commettent.Cette vision est trop partielle. La prévision participe de l'information des acteurs économiques. Elleintervient dans la validation de certaines mesures de politique économique et dans la prise de décisiondes agents privés. Certes, les in- truments statistiques et les raisonnements théoriques demeurent,malgré leurs avancées, parfois insuffisants pour rendre compte de la réalité. Mais l'univers économique,de par la multiplicité de ses agents et de ses marchés, devient de plus en plus complexe et incertain.L'étude des erreurs de prévision permet d'évaluer leur qualité. Leur analyse contribue moins à mesurerun niveau absolu qu'une précision relative. Ainsi, les prévisions élaborées surclassent-elles le plussouvent l'extrapolation statistique, notamment lorsque l'exercice porte sur un horizon exploratoire,supérieur à un an. Certaines variables sont mieux prévues que d'autres : les prévisions du PIB et desprix sont, en moyenne, meilleures que celles sur l'investissement et le commerce extérieur. Par ailleurs,une prévision portant sur une variable très fluctuante, seraplus difficile mais aussi plus informative que celle relative à un agrégat dont les évolutions sontrégulières. Enfin, le consensus, qui combine l'ensemble des prévisions disponibles, ne garantit pascontre des erreurs importantes, en particulier celles qui correspondent aux retournementsconjoncturels.

AbstractForecasts: Measurements, Errors and Main ResultsFar too often, the work of forecasters is judged solely on the basis of the mistakes they make. This viewis unduly one-sided. Forecasts play a role in economic players' information. They are used whenchecking certain economic policy measures and help private players make decisions. Yet, in spite ofprogress made, the statistical instruments and theoretical rationale are sometimes still not good enoughto reflect reality. Although it has to be said that the increasing number of players and markets involvedin the economic world are making it more and more complex and uncertain.The study of forecast errors provides an assessment of their quality. Their analysis contributes less tomeasuring an absolute level than relative accuracy. Therefore, the forecasts put together more oftenthan not exceed the statistical extrapolation, especially when the exercise concerns an exploratoryforecast period of more than one year. Some variables are forecast better than others: the GDP andprice forecasts are generally better than the investment and foreign trade predictions. Moreover, aforecast concerning a frequently fluctuating variable ismore difficult, albeit more informative, than that relating to an aggregate with regular growth. Lastly, theconsensus combining all the available forecasts does not guarantee against considerable errors, inparticular when economic turnarounds are concerned.

ZusammenfassungPrognosen: Messung, Fehler und wichtigste ErgebnisseAllzu hâufig wird die Arbeit der Prognosefachleute nur auf der Grundlage der Fehler beurteilt, die ihnenunterlaufen. Diese Sichtweise ist jedoch zu einseitig. Denn Prognosen tragen zur Unterrichtung derWirtschaftssubjekte bei. Sie werden zur Rechtfertigung bestimmter wirtschaftspoliti- scher MaBnahmenherangezogen und dienen den Privathaushalten als Entscheidungshilfe. Die statistischen Instrumenteund die theoretischen Ûberlegungen reichen trotz ihrer Fortschritte mitunter nicht aus, um die Realitâtvoll und ganz wiederzugeben. Das wirtschaftliche Umfeld wird aber aufgrund der Vielfalt seinerWirtschaftssubjekte und seiner Mârke immer komplexer und ungewisser.Die Untersuchung der Fehler einer Prognose ermôglicht es, deren Gûte zu ermitteln. Mit deren AnalyselàBt sich jedoch weniger ein absolutes Niveau als eine relative Ge-nauigkeit messen. Somit sind die fortschrittlichen Prognosen des ôfteren der statistischen Extrapolationuberlegen, insbesondere wenn sie sich auf einen làngeren Horizont beziehen, der ein Jahr ùbersteigt.Manche Variablen las- sen sich besser prognostizieren als andere: die Prognosen des BIP und derPreise sind im Durchschnitt zuverlâssiger als die Investitions- und AuBenhandelspro- gnosen. DiePrognose einer Variablen, die groBen Schwankungen unterliegt, ist zwar schwieriger, hat dafur abereinen grôBeren Aussagewert als bei einem Aggregat, dessen Entwicklungen regelmâBig verlaufen. Im

ubrigen bietet der Konsens, der alien verfugbaren Prognosen zu- grunde liegt, kein Schutz vor grobenFehlern, insbesondere vor Fehlern, die durch Konjunktu- rumschlâge bedingt sind.

ResumenPrevisiones : medidas, errores y principales resultadosCon demasiada frecuencia se enjuicia el trabajo de los previsionistas ûnicamente segûn los errores quecometen. Es una vision sumamente parcial. La prevision participa de la informaciôn de los actoreseconômicos. Interviene en la validaciôn de ciertas medidas de polftica econômica y en la toma ded e c i s i o n d e l o s a g e n t e s p r i v a d o s . S i q u e l o s i n s t r u m e n t o sstadfsticosylosrazonamientosteôricossiguensiendo insuficientes para dar cuenta de la realidad. Pero eluniversoeconômico.por la multiplicidad de sus agentes y de sus mercados, se hace cada vez mâscomplejo e incierto.El estudio de los errores de prevision permite evaluar su calidad. Antes que un nivel absoluto suanâlisis contribuye a medir una precision relativa. Asî, las previsiones elaboradas rebasan muy amenudo la extrapolaciôn estadfstica, sobre todo cuando el ejercicio recae sobre un horizonteexploratorio superior a un ano. Ciertas variables se preven con mâs facilidad que otras : las previsionesdelPIB y de los precios son, en un promedio, mejores que las que se hacen sobre la inversion o elcomercio exterior. Por otra parte, una prevision que recaiga sobre una variable muy fluctuante, seramas dificil pero también mâs informativa que la que atane a un agregado cuyas evoluciones sonregulares. Finalmente, el consenso, que combina la totalidad de las previsiones disponibles, no ofrecegarantias contra errores importantes, en especial contra aquellos que se corresponden con los cambiostotales de coyuntura.

PRÉVISIONS

Prévisions : mesures, erreurs

et principaux résultats

Karine Bouthevillain et Alexandre Mathis*

Trop souvent, le travail des prévisionnistes est jugé uniquement à l'aune des erreurs qu'ils commettent. Cette vision est trop partielle. La prévision participe de l'information des acteurs économiques. Elle intervient dans la validation de certaines mesures de politique économique et dans la prise de décision des agents privés. Certes, les intruments statistiques et les raisonnements théoriques demeurent, malgré leurs avancées, parfois insuffisants pour rendre compte de la réalité. Mais l'univers économique, de par la multiplicité de ses agents et de ses marchés, devient de plus en plus complexe et incertain.

L'étude des erreurs de prévision permet d'évaluer leur qualité. Leur analyse contribue moins à mesurer un niveau absolu qu'une précision relative. Ainsi, les prévisions élaborées surclassent-elles le plus souvent l'extrapolation statistique, notamment lorsque l'exercice porte sur un horizon exploratoire, supérieur à un an. Certaines variables sont mieux prévues que d'autres : les prévisions du PIB et des prix sont, en moyenne, meilleures que celles sur l'investissement et le commerce extérieur. Par ailleurs, une prévision portant sur une variable très fluctuante sera plus difficile mais aussi plus informative que celle relative à un agrégat dont les évolutions sont régulières. Enfin, le consensus, qui combine l'ensemble des prévisions disponibles, ne garantit pas contre des erreurs importantes, en particulier celles qui correspondent aux retournements conjoncturels.

*Karine Bouthevillain est chargée de mission à la direction de la Prévision et Alexandre Mathis est chargé d'études à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).

Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d'article.

Depuis quelques années, la prévision économique n'est plus limitée au cercle res

treint des spécialistes. La presse économique s'est considérablement développée et a porté ce domaine à la connaissance du grand public. Cette publicité a parfois valu aux prévisionnistes des critiques, pas toujours justifiées. Le plus souvent, en effet, leurs prévisions sont reproduites indépendamment du contexte qui a permis de les engendrer ou des justifications qui leur sont attachées. On relève aussi quelquefois des interprétations hâtives : les prévisions sont assimilées abusivement à la

réalisation effective d'un événement. En outre, le domaine d'activité des prévisionnistes est particulièrement incertain, l'environnement économique étant de plus en plus complexe et « volatil », c'est-à-dire échappant aux tendances lourdes. Il est vrai qu'en contrepartie les instruments statistiques et les raisonnements économiques ont progressé et que, en regard des erreurs encore commises, ces progrès sont sans doute insuffisants.

Afin de pouvoir « évaluer » rigoureusement le travail des prévisionnistes, il convient de faire

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1. Pour la France, voir les travaux de Cling et Fayolle, 1986 ; Borows- ki et alii, 1991 ; Brocher et Mathis, 1994 ; Bouthevillain, 1993.

2. Bien que les évolutions de l'économie soient prévues principalement pour répondre aux demandes publiques et privées des décideurs, les prévisions servent aussi à tester des théories et méthodes analytiques et à fournir des arguments en faveur ou en défaveur de certaines mesures de politique économique par la construction de scénarios et des analyses variantielles.

le point sur ce que l'on sait aujourd'hui des prévisions et, en particulier, sur le standard de précision que l'on peut atteindre. L'analyse des erreurs de prévision a donné lieu à un grand nombre de travaux (1). Ils permettent de mesurer la qualité des prévisions, en confrontant sur une période donnée les prévisions avec ce qui s'est effectivement passé, les « réalisations ». Ils contribuent aussi à une meilleure compréhension des enchaînements économiques qui ont mené à la situation constatée (2).

Tous ces travaux utilisent des indicateurs statistiques qui synthétisent en une seule valeur la séquence d'erreurs de prévisions d'une variable donnée. Ces indicateurs permettent de décrire les principales caractéristiques des erreurs et de répondre essentiellement aux questions suivantes : à quel horizon prévoit-on le mieux ? Quelles variables sont le mieux prévues ? Les prévisions étudiées surclassent-elles celles produites par un modèle « naïf » qui prolonge les tendances passées ? Nous nous appuierons sur les prévisions d'un panel d'organismes français et internationaux pour illustrer les résultats.

De l'intuition aux modèles économétriques

Avant d'aborder la mesure des erreurs, il est important de se familiariser avec les

outils et les pratiques du prévisionniste. Il existe en effet plusieurs méthodes plus ou moins sophistiquées pour élaborer une prévision. Chaque institut possède ses propres outils, qui vont de la pure intuition éclairée (on parle alors de « dires d'experts ») aux modèles

économétriques complets, en passant par des équations éparses et des indicateurs économiques. Le plus souvent, plusieurs de ces techniques sont combinées.

Cependant, dans tous les cas, ce qui détermine d'abord les prévisions, ce sont les données disponibles. Quelle que soit l'utilisation technique qui en sera faite, la recherche et l'interprétation des informations conjoncturelles représentent les préoccupations majeures du prévisionniste. Tous sont confrontés au problème de disponibilité (ou plutôt d'absence de disponibilité) des données.

La diffusion de l'information économique est telle que tout le monde dispose globalement des mêmes données en même temps. Le prévisionniste qui établira sa prévision en dernier aura donc un avantage certain par rapport à ceux qui l'auront fournie quelque temps auparavant. Il disposera en effet d'une quantité d'information récente plus grande, ce qui est primordial pour les prévisions effectuées pour l'année en cours.

Il existe à ce propos une différence fondamentale entre les diverses prévisions effectuées pour une année donnée. Nous avons retenu quatre échéances (cf. tableau) : les deux premières sont faites pendant l'année précédente (horizons exploratoires : -5 et -7, exprimés en nombre de trimestres par rapport à la fin de l'année à prévoir), les deux dernières pendant l'année en cours (horizons prévisionnels : -1 et -3). Dans le premier cas, la prévision ne peut s'appuyer sur aucune information partielle. La connaissance de l'année prévue ne découle que de scénarios macro-économiques et d'hypothèses sur les déterminants de la variable que l'on cherche à prévoir. Les différences de dates de

Tableau Dates de parution des prévisions de l'année t

Organisme

BIPE CEE COE DP(1) Expansion FMI OCDE OFCE Diag. OFCE Eco.

Horizon - 7 «. «*

avril t-1 août t-1 juillet M avril t-1 juillet t-1 avril t-1 juin t-1

Horizon - 5

décembre t-1 décembre t-1 octobre t-1 octobre t-1 janvier t

décembre t-1 décembre t-1 octobre t-1

décembre t- 1 *** : n'effectue pas de prévision pour l'horizon considéré. 1. Prévisions « Loi de finances ».

Horizon - 3

*** avril t aoûtf juillet t avril t juillet t avril t juin f

Horizon - 1

décembre t décembre t octobre t octobre t

décembre t décembre t octobre t

décembre t

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publication entre plusieurs organismes ont alors moins d'influence sur l'analyse des erreurs de prévisions. Ainsi, seules les prévisions notées -7 et -5 sont des prévisions au sens strict, puisqu'il n'existe pas encore d'information conjoncturelle disponible pour l'année à prévoir.

Dans le second cas, des informations conjoncturelles arrivent au fil du temps et peuvent être exploitées (sous forme d'acquis notamment) pour actualiser la prévision. La date à laquelle la prévision est réalisée est donc particulièrement importante pour pouvoir évaluer sa précision.

Mobiliser « l'ensemble d'information »

Le prévisionniste s'efforcera donc de mobiliser un « ensemble d'information », qui regroupe toute l'information disponible au moment où il effectue ses prévisions. Il tiendra notamment compte de tous les renseignements concernant l'environnement, économique ou autre, qui peut affecter la variable à prévoir. Il utilisera également ses connaissances sur le passé de cette variable et des variables exogènes qui l'influencent.

Toutefois, la disponibilité des données sur le passé proche est souvent imparfaite, voire inexistante. Ainsi, une prévision à trois mois, malgré une échéance rapprochée, reste un exercice risqué car les indicateurs avancés sur lesquels elle repose sont eux-mêmes empreints d'imprécision. Les résultats définitifs sont connus pour un passé trop éloigné pour qu'ils constituent véritablement une aide. Quant aux autres informations (notamment les comptes trimestriels), elles sont elles-mêmes des estimations parfois soumises à de lourdes révisions au fur et à mesure que le temps passe. On ne peut donc pas se caler aveuglément sur la connaissance que l'on a du passé proche.

Cette difficulté conditionne également en partie les erreurs de prévisions. Pour s'appuyer sur des données fiables il faut en effet disposer d'un recul suffisant, une année si l'on s'en tient à la publication des comptes provisoires. Il n'est donc pas possible au prévisionniste de corriger rapidement un biais, inhérent à sa connaissance partielle du passé, qu'il aurait introduit dans sa façon de construire une prévision.

Mesurer les erreurs de prévision

L' analyse de ces erreurs passe par leur mesure. Celle-ci consiste à comparer la pré

vision à une série statistique observée, ou « réalisation ». Ce calcul, en apparence simple, pose en fait deux problèmes : quelles réalisations doit-on choisir ? Quels instruments statistiques doit-on utiliser pour quantifier les erreurs ?

L'importance du choix des séries de réalisations

Le choix des réalisations nécessaires au calcul des erreurs de prévision fait l'objet d'un débat au sein des économistes. Comme le précisent Fonteneau, Muet et Sterdyniak (1984) : « Le chemin est continu entre la prévision pure, où n 'interviennent que les hypothèses sur l'évolution future des variables exogènes et les comportements décrits par le modèle, et l'observation statistique pure, dont on ne connaît les résultats que plusieurs années plus tard. » Le problème consiste donc à déterminer à partir de quand on peut considérer qu'une observation a atteint un caractère suffisamment certain pour pouvoir être assimilée à une réalisation.

Certains choisissent les versions définitives des comptes de la Nation comme réalisations, car ils les considèrent comme les chiffres de la « réalité définitive ». Cependant, leur source est essentiellement statistique et comptable ; on peut préférer comparer des données de même nature, établies notamment sur la base d'estimations et d'indicateurs conjoncturels, pour mesurer les erreurs de prévision. De plus, les comptes définitifs ne sont connus que quatre ans après l'année qu'ils décrivent, ce qui, dans le cadre d'une étude rétrospective des erreurs de prévisions, fait perdre beaucoup d'observations en fin de période.

C'est pourquoi, la plupart des auteurs prennent comme réalisations les comptes semi-définitifs (dits SD1). Ces comptes sont publiés dans l'année qui suit celle observée et présentent déjà une grande proximité avec les résultats du compte définitif. Il nous semble plus judicieux de retenir cette dernière option. De surcroît, ainsi que le notent Borowski et Bouthevillain (1990) et Brociner et Mathis (1994), les résultats ne sont pas fondamentalement changés par

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3. Si le passage du compte provisoire au compte définitif peut comporter des variations notables pour une année donnée, il semblerait qu'en moyenne les écarts sur les erreurs de prévisions auxquels elles conduisent soient négligeables, du moins pour les données annuelles (Me Nées, 1988). Ces considérations ne valent pas pour les séries trimestrielles pour lesquelles les révisions comptables peuvent être substantielles.

le choix du compte définitif pour les réalisations (3). Si les ordres de grandeur des principaux indicateurs sont parfois modifiés en termes absolus, les conclusions auxquelles on aboutit en termes relatifs - lorsque l'on effectue des comparaisons - ne sont que marginalement affectées.

Reste enfin la question de l'homogénéité des prévisions et des réalisations. Nous avons suivi la méthodologie d'Artis (1988) qui considère que ceux qui font les prévisions sont les plus à même de fournir une réalisation exactement de même nature et ayant le même contenu que ce qu'ils cherchent à prévoir. Par la suite, nous calculerons donc les erreurs en rapportant pour chaque organisme ses premières prévisions aux séries de réalisation qu'il publie, et non aux comptes de la Nation provisoires. Disponibles quelques mois après ces comptes, les chiffres sont collectés au plus tard un an après l'année prévue.

Les indicateurs statistiques

La question du choix des séries de réalisations étant traitée, reste le problème du mode de calcul des erreurs. Theil (1958 et 1966), le premier, a construit des outils statistiques permettant une évaluation scientifique de la précision des prévisions. Pour chaque variable, on calcule un indicateur qui résume la série d'erreurs apparues au cours de la période étudiée (cf. encadré 1). Il s'agit généralement de l'erreur absolue moyenne (MAE) ou de la racine carrée de l'erreur quadratique moyenne (RMSE) (4). Une erreur quadratique moyenne petite est le signe d'une faible variance de l'erreur de prévision et d'une erreur moyenne réduite. Par rapport au MAE, le RMSE pondère plus fortement les erreurs importantes.

4. Les initiales correspondent à la dénomination anglaise : Mean Absolute Error et Root Mean Squared Error.

Encadré 1 LES INDICATEURS DE PRÉCISION

Soit yt la valeur prise par une variable à la date t et ypt la prévision qui en a été faite. Nous noterons et l'erreur de prévision, soit :

et = ypt - yt>

t= 1 T. Nous disposons donc de la séquence d'erreurs de prévision faites sur la période 1 .... , T.

L'erreur absolue moyenne, Mean absolute error, est alors définie par :

MAE = -^ | et | , L'erreur quadratique moyenne, Mean squared error, est :

Soit m la moyenne et a 2 la variance empiriques de la séquence d'erreurs considérée :

II est clair que le RMSE est relié à ces deux moments empiriques par la formule : MSE= m2 + (7"l1)g2.

Une erreur quadratique moyenne faible indique donc que la séquence d'erreurs est caractérisée, à la fois, par une faible variance et une erreur moyenne réduite. On utilise généralement la racine de cette erreur quadratique moyenne notée RMSE :

RMSE = V/WSE , qui est donc homogène à a ainsi qu'à m et au MAE. On note que, comparativement au MAE, le RMSE donne un poids relatif plus élevé aux erreurs importantes. Il peut également s'écrire sous la forme suivante :

RMSE =

Pour comparer une prévision avec celle issue d'une méthode alternative (i.e. modèle extrapolatif naïf, modèles VAR, ARIMA...), l'indicateur de Theil est constitué du RMSE précédent norme par celui des erreurs de prévision de la méthode alternative.

RMSE Indicateur de Theil = méthode alternative

Lorsque ce ratio est inférieur à 1 , il indique, pour la période étudiée, dans quelle mesure la méthode considérée donne de meilleures prévisions par rapport à la méthode alternative. Bien sûr, si ce ratio est supérieur à 1, la méthode alternative donne, pour la période étudiée, de meilleures prévisions.

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5. Par exemple des modèles VAR, BVAR, ARI- MA.

Ces indicateurs permettent de mesurer la qualité de la prévision d'une variable, pour un organisme et sur une période donnés. Ils permettent également de déterminer la précision de la prévision par rapport à une méthode alternative, purement statistique (5) ou « naïve », toujours pour une période donnée : pour ce faire, on compare, par exemple, les RMSE obtenus pour chacune des méthodes de prévision.

Les principaux résultats empiriques

Par nature, l'analyse des prévisions économiques ne se prête pas à une formulation

théorique. En revanche, la multiplicité des méthodes et les débats sur la mesure des erreurs alimentent une abondante littérature empirique française et anglo-saxonne (voir par exemple McNees, 1988 ; Artis, 1988 ; Zarnowitz 1991). Un certain nombre de résultats sont partagés par l'ensemble des auteurs. Nous les illustrerons par les résultats issus de notre propre échantillon.

Neuf organismes et six variables

II existe un grand nombre d'organismes qui effectuent des prévisions macro-économiques, confidentielles ou accessibles au grand public. Parmi ceux-ci, on trouve des instituts de con

joncture privés et publics, des banques, des grandes entreprises ou organismes internationaux, cette liste n'étant pas exhaustive. Les prévisions fournies par ces instituts ne sont cependant pas identiques, car chacun d'eux dispose d'outils et de méthodes différents, s'insère dans une vision théorique de l'économie qui lui est propre, et s'adresse à une clientèle plus ou moins spécifique.

Nous avons retenu dans notre panel neuf organismes qui effectuent des prévisions pour (au moins) un ensemble constant de variables macro-économiques françaises, à plusieurs horizons de court terme. Ce choix s'est fait en fonction de la disponibilité et de la longueur des séries de prévisions et de la possibilité de reconstituer des séries de réalisations correspondantes. Parmi cet ensemble d'organismes, trois sont des organisations internationales : il s'agit de la Commission européenne (CEE), du Fond monétaire international (FMI) et de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). Les organismes de

sions nationaux sont : le Bureau d'information et de prospective économique (BIPE), le Centre d'observation économique de la chambre de commerce et d'industrie de Paris (COE), la direction de la Prévision (DP) du ministère de l'Économie, des Finances et du Plan qui réalise des prévisions dans le cadre de la « Loi de finances », le Centre de prévision de l'Expansion et les départements des Diagnostics et d'Économé- trie de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE Diag. et OFCE Eco.).

Tous ces organismes nationaux de prévisions font partie du Groupe technique de la Commission des comptes et des budgets économiques de la nation. Notre base de données ne contient aucune prévision d'origine bancaire car ces o

rganismes n'établissent des prévisions publiées que depuis quelques années. Les séries disponibles sont encore trop courtes pour pouvoir être utilisées en analyse comparative.

Nous étudierons les erreurs de prévisions (prévision moins réalisation) de six variables macro-économiques importantes : le PIB, la consommation des ménages, la formation brute de capital fixe, les exportations, les importations et les prix à la consommation. Toutes ces variables sont prévues par les neuf organismes, à l'exception du COE pour lequel nous ne disposons pas des prix.

La date de création de certains organismes (en particulier l'OFCE) limite la longueur possible de l'échantillon. La période d'étude s'étend de l'année 1985 à 1993. Pendant cette période, l'économie française a connu une croissance faible de 1985 à 1987, suivie d'une vive reprise en 1988 et 1989, une rechute en 1991 et 1992 qui s'est achevée par la récession de 1993.

La qualité de la prévision croît lorsque l'horizon décroît

On considère qu'une prévision est d'autant meilleure qu'elle réduit l'incertitude sur le futur et facilite donc la prise de décision. Le critère du RMSE permet de mesurer cette incertitude sur une séquence d'erreurs passées (cf.graphique). Pour en faciliter la lecture, on n'a représenté sur le graphique que les RMSE moyens - des neuf organismes sur l'ensemble de la période - pour chacune des six variables, aux quatre horizons de prévision. Il en ressort que, plus l'horizon est lointain, moins bonne est la précision, ce que confirme l'ensemble de la littérature sur le sujet.

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Encadré 2 LES COMBINAISONS DE PREVISIONS OU CONSENSUS

La littérature, très abondante sur ce thème, s'oriente autour de deux axes majeurs. Le premier est la recherche d'une méthode de sélection optimale des prévisions élémentaires qui formeront la prévision combinée, ou consensus. Le choix s'opère essentiellement sur la nature des prévisions sélectionnées. L'idée principale est que les ensembles d'information qui permettent de réaliser une prévision issue d'un modèle macro-économique, une prévision issue d'une procédure automatique ou une prévision informelle peuvent être partiellement différents (ou différemment utilisés) et donc être complémentaires. Combiner des prévisions revient dès lors à maximiser l'ensemble d'information. Cette idée peut se déduire de la théorie des portefeuilles en finance. En effet, le rendement d'un portefeuille composé de plusieurs types de titres aura moins de variance que les rendements de chacun des titres le composant si ces rendements ne sont pas corrélés entre eux. Cependant les erreurs de prévisions de plusieurs organismes à propos d'une même série ont de fortes chances d'être corrélées. C'est pourquoi, le gain de précision n'est pas systématique et ne peut pas être anticipé. De surcroît, il faut garder à l'esprit que l'existence et la qualité d'un consensus dépendent de l'existence et de la qualité des prévisions élémentaires qui le constituent : la minimisation des risques, inhérente à la combinaison de prévisions, n'a de sens que par rapport à la pluralité des analyses proposées pas les organismes.

Meilleur, en moyenne, que les prévisions individuelles...

Le second axe de recherche porte sur les méthodes plus ou moins sophistiquées qui déterminent les modes de combinaison, le poids affecté à chaque prévision élémentaire pouvant être potentiellement très variable. Cependant, les résultats obtenus à partir des méthodes les plus sophistiquées n'aboutissent pas à des performances très concluantes.

Les deux principales méthodes de combinaison des prévisions utilisées en pratique sont la régression linéaire des prévisions et la simple moyenne.

On peut montrer que la variance des erreurs de prévision sur une période donnée sera minimale lorsque l'on effectue la régression suivante :

At = Po + P/. Pit + + Pn- Pnt + Ut

où At est la série de réalisation et les Pu sont les séries élémentaires de prévisions.

Deux écoles s'opposent alors pour l'estimation des poids. Celle de Bates et Granger (1969) est partisane de contraindre la somme des pi (i allant de 1 à n) à l'unité tandis que celle de Granger et Ramana- than (1984) préfère n'imposer aucune contrainte sur les pi (i allant de 0 à n). Cette solution ne peut cependant convenir que lorsque les prévisions élémentaires sont non biaisées.

Utiliser une simple moyenne de prévision élémentaires sous-entend qu'il n'existe aucune prévision en moyenne supérieure aux autres puisque l'on affecte un poids identiques à toutes. La combinaison permet d'obtenir un RMSE inférieur à la moyenne des RMSE élémentaires si les erreurs de prévisions ne sont pas parfaitement corrélées. Mais aucun test ne permet de savoir ex ante si la combinaison sera plus précise que la meilleure des prévisions élémentaires (qu'il est impossible d'identifier au moment où est e

ffectuée la combinaison puisque la réalisation n'est pas encore connue et qu'aucun prévisionniste n'est systématiquement plus précis que les autres).

... le consensus ne garantit pas contre des erreurs importantes

Un certain nombre de résultats concernant les combinaisons de prévisions ont été mis en évidence par de nombreuses études : - une simple moyenne de prévisions donne d'aussi bonnes performances que des approches plus sophistiquées. De plus, le faible coût de mise en œuvre de cette méthode rend le gain marginal de précision obtenu tout à fait appréciable (Clemen, 1989) ; - une prévision supplémentaire dans la combinaison apportera une amélioration au résultat final si elle est basée sur un ensemble d'information totalement ou partiellement nouveau ; - plus les prévisions élémentaires sont nombreuses pour effectuer une simple moyenne, plus le RMSE de la combinaison aura de chances d'être petit ; - aucune méthode ne permet de savoir a priori si la combinaison apportera de la précision par rapport à la meilleure des prévisions élémentaires ou pas. Zarnowitz (1984), montre qu'un tiers environ des prévisions élémentaires qui composent un consensus sont plus précises que ce consensus pour une variable donnée. Mais, bien que chaque organisme puisse surpasser le consensus pour une variable en particulier, aucun ne peut le faire pour la totalité des variables estimées (1). De façon tout à fait logique, la prévision consensuelle, qui tend à éliminer les points extrêmes, présente des performances à la fois régulières et excellentes. Cette conclusion est, de plus, robuste, puisqu'elle demeure valide pour plusieurs définitions du consensus.

Les combinaisons de prévisions permettent donc d'obtenir en moyenne un RMSE plus faible que ceux obtenus avec chacune des prévisions élémentaires (Nelson, 1972 ; Granger et Newbold 1974 ; Bunn, 1978 ; Makridakis et Winkler, 1983 ; Zarnowitz, 1984 ; Clemen et Winkler, 1986 ; Holden et Peel, 1986...). Mais, une prévision consensuelle ne surpasse pas systématiquement la précision de ces composantes.

À titre d'exemple, pour valider ces résultats, on peut comparer le RMSE de la prévision combinée avec les RMSE extrêmes obtenus par les organismes de

1. Le fait qu'aucun organisme ne soit globalement meilleur que les autres est un résultat déjà connu.

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notre panel pour quelques variables (cf. tableau). Quel que soit l'horizon de prévision, le consensus est plus précis pour l'investissement que la plupart des organismes. Il obtient même le RMSE le plus faible à l'horizon -1. Par contre, retenir une prévision moyenne pour les importations conduit à une

sion beaucoup plus faible que celle obtenue par la majorité des organismes participant au consensus. Ces exemples, qui ne constituent en rien une règle, rappelons-le, viennent simplement confirmer des ré

sultats qui montrent que retenir une prévision moyenne ne permet pas d'éviter de lourdes erreurs.

RMSE du consensus et RMSE moyen sur la période 1985-1993

PIB RMSEdu consensus RMSE moyen RMSE minimum - ffMSEmaximum Pourcentage d'organismes plus précis que le consensus

Consommation des ménages RMSE au consensus RMSE moyen RMSE minimum - RMSE maximum Pourcentage d'organismes plus précis que le consensus

Investissement RMSE du consensus RMSE moyen RMSE minimum - RMSE maximum Pourcentage d'organismes plus précis que le consensus

Importations RMSE du consensus RMSE moyen RMSE minimum - RMSE maximum Pourcentage d'organismes plus précis que le consensus

Exportations RMSE du consensus RMSE moyen RMSE minimum - RMSE maximum Pourcentage d'organismes plus précis que le consensus

Horizon - 7

1,78 1,77

1,59-2,10 66% (4/6)

1,22 1,28

1,18-1,35 33% (2/6)

4,09 4,73

3,85 - 6,24 66% (4/6)

4,40 4,77

4,09 - 4,76 66% (4/6)

4,30 4,10

3,78 - 6,72 33% (3/6)

Horizon - 5

1,32 1,39

0,99-1,67 44% (4/9)

0,96 1,02

0,79-1,24 44% (4/9)

3,17 3,63

2,26-4,68 33% (3/9)

3,53 3,77

2,8 - 4,5 66% (6/9)

3,32 3,50

2,85 - 6,4 44% (4/9)

Horizon - 3

0,72 0,80

0,58-1,11 43% (3/7)

0,65 0,74

0,57-1,01 14% (1/7)

1,77 2,34

1,74-3,33 14% (1/7)

2,58 2,70

1,61-2,93 57% (4/7)

2,28 2,33

1,88-4,35 43% (3/7)

Horizon - 1

0,38 0,46

0,28 - 0,58 37,5 % (3/8)

0,36 0,41

0,28 - 0,49 12,5% (1/8)

0,82 1,40

1,26-1,7 0% (0/8)

1,56 1,54

1,18-1,97 62,5 % (5/8)

1,54 1,44

0,91 - 2,22 62,5 % (5/8)

On note également l'importance de l'information conjoncturelle : en effet, le gain moyen en précision pour l'ensemble des organismes est d'environ 18 % lors du passage de l'horizon -7, le plus lointain, à l'horizon -5, mais de 38 % entre l'horizon -5 et l'horizon -3, le premier pour lequel on a des informations conjoncturelles sur l'année à prévoir. Il correspond à une prévision de l'année en cours effectuée au plus tôt à partir du quatrième mois de cette même année. Globalement, la qualité moyenne des prévisions reste convenable jusqu'à un horizon de 5 trimestres. Au-delà, la précision devient très faible pour les variables les moins bien prévues

et la dispersion entre les organismes s'accroît (6).

Le PIB est mieux prévu que l'investissement

Le PIB, la consommation des ménages ainsi que les prix sont les variables les mieux prévues tandis que le commerce extérieur et l'investissement donnent d'assez mauvais résultats, particulièrement aux horizons -7 et -5. Le prix de

6. Les résultats détaillés sont fournis en annexe I.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 285-286, 1995 - 5/6 95

Graphique RMSE moyen sur la période 1985-1993

5 4 3 2 1 0 -7

y'" *

-5 -3 Horizon

Importations Investissement

E*po. L-tions

Consommation des ménages

Source : calculs des auteurs.

la consommation est traditionnellement bien prévu pendant l'année en cours en raison de la connaissance préalable d'indices mensuels définitifs.

Notons toutefois que les indicateurs statistiques qui mesurent la précision des prévisions, tels que le RMSE, ne tiennent aucun compte du degré de prévisibilité d'une variable. Ainsi, le RMSE d'une variable très fluctuante sera sans doute plus élevé (donc moins bon) que celui d'une variable dont la volatilité est faible. Mais la prévision, plus difficile dans le premier cas, sera très informative, alors que dans le second la prévision sera certes précise mais peu intéressante, car l'incertitude sur l'évolution de la variable est faible.

Les modèles naïfs sont, le plus souvent, surclassés

Comme le signale Wallis (1989), toute la difficulté de l'évaluation des prévisions vient du fait qu'il n'existe pas de norme absolue du degré de précision auquel on peut parvenir. On peut, dans l'idéal, se donner pour objectif la prévision parfaite correspondant à des valeurs nulles pour le RMSE et le MAE. Mais l'intérêt de l'évaluation est avant tout de déterminer si les prévisions se sont améliorées relativement : relativement aux prévisions passées ; relativement à d'autres instituts ; ou encore relativement à des procédures automatiques.

Le premier type de comparaison est très délicat à mettre en œuvre. En effet, la comparaison de la valeur des RMSE obtenus par un organisme donné sur des sous-périodes successives néglige le fait - pourtant essentiel - que les

ments économiques qui ont marqué chacune des sous-périodes peuvent être forts différents. Or, il est plus facile d'être précis en période de stabilité conjoncturelle que lorsqu'une économie est confrontée à des événements marquants comme le furent les chocs pétroliers. De même, l'économie est particulièrement vulnérable dans les phases basses du cycle d'activité qui combinent des tensions et des déséquilibres tels que l'on peut difficilement anticiper les enchaînements et l'ampleur des phénomènes en présence. L'année 1993 en est un exemple particulièrement parlant (7).

La comparaison de la précision de différents organismes, dont l'objectif serait d'aboutir à un classement du meilleur au moins précis, n'a pas grand sens. En effet, il est fréquent que sous un même vocable, les importations par exemple, les organismes cherchent à prévoir des séries distinctes : les importations de biens et services dans un cas ou de produits manufacturés dans un autre. La volatilité des séries étant différente, il n'est pas possible d'effectuer de comparaisons. Même pour une grandeur aussi courante que le PIB ces différences existent, selon que l'on prévoit un PIB marchand ou un PIB total. Par ailleurs, les performances de chaque organisme varient beaucoup d'une variable à l'autre et d'une période à l'autre. Les études qui comparent les prévisions de plusieurs organismes font appel à une méthode de correction des différences de volatilité des séries et cherchent plus à montrer la spécificité de certains instituts qu'à obtenir un classement (Bouthevillain, 1993).

Seules restent envisageables des comparaisons avec des méthodes alternatives de prévision, telles que les modèles utilisés dans l'économé- trie des séries temporelles (VAR, ARIMA...) ou les prolongements « naïfs » des séries statistiques. Comme il n'existe pas de référence standard en la matière, on peut par exemple retenir comme base de la prévision le dernier taux de croissance connu d'une série. Ponctuellement, les performances des procédures automatiques excèdent les prévisions élaborées pour un horizon court (1 à 3 trimestres). Mais pour les « vraies » prévisions, c'est-à-dire celles effectuées lorsqu'il n'existe encore aucune information sur la variable prévue (horizons -5 et au-delà), les modèles sont systématiquement

7. L'article suivant est consacré aux erreurs de prévision de 1993.

96 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 285-286, 1995 - 5/6

8. Pour une explication détaillée de ces tests, voirDoz, 1993a.

plus performants (Doz et Malgrange, 1992 ; Zarnowitz, 1986).

Il s'avère que les erreurs ont diminué, non seulement en niveau absolu mais aussi en niveau relatif lorsqu'on les compare aux performances obtenues avec des modèles naïfs. McNees (1988) précise même que les prévisions annuelles du PIB et de l'inflation se sont améliorées au cours du temps.

Il est également possible de comparer les prévisions avec une combinaison de prévisions élémentaires, ou consensus. Une moyenne pondérée de prévisions élémentaires permet d'obtenir une précision plus élevée en moyenne, mais ne garantit pas un RMSE systématiquement plus faible que celui des composantes (cf. encadré 2). Cette pratique ne peut cependant pas être considérée comme une véritable méthode de prévision car elle est conditionnée par l'existence préalable des prévisions élémentaires. En ce sens on peut assimiler la prévision « consensuelle» à une référence, toutefois moins naïve que celles décrites précédemment.

Des prévisions optimales

Une autre façon d'évaluer les prévisions consiste à tester si elles ne contredisent pas certaines propriétés statistiques d'optimalité. Elles doivent en particulier être efficientes et ne pas présenter de biais systématique. De façon intuitive, on peut résumer l'efficience au fait que toute l'information disponible au moment où la prévision a été effectuée a été correctement utilisée. L'absence de biais, quant à elle, signifie que le prévisionniste fait une erreur nulle en moyenne, autrement dit qu'il n'est pas systématiquement optimiste ou pessimiste sur le futur d'une série.

Effectuer ces tests à partir de régressions simples pose des problèmes méthodologiques liés au fait que, les réalisations n'étant pas immédiatement connues (il faudra attendre la publication des comptes provisoires, par exemple), on ne peut pas calculer une « vraie » erreur de prévision sur la période précédente. D'autres tests asymptotiques permettent de contourner cette difficulté mais demandent un grand nombre de données pour pouvoir être effectués, ce qui n'est pas possible sur séries annuelles (8).

Les tests d'optimalité étant difficiles à mettre en œuvre, certaines études se sont contentées de se livrer à des tests de biais : dans la grande

jorité des cas, les prévisions se révèlent être non biaisées. Le PIB semble parfois surestimé dans les années soixante-dix, mais ce biais semble avoir disparu dans les années quatre-vingt (Artis, 1988 ; Llewellyn et Araï, 1984 ; Bal- lis, 1989). La consommation des ménages est également fréquemment sous-estimée sur la période récente. Ceci peut se justifier par le fait que les équations traditionnelles ont perdu une partie de leur capacité explicative depuis la fin des années quatre-vingt. La prise en compte d'une influence renforcée du taux de chômage dans la formation du taux d'épargne pourrait réduire l'imprécision et le biais récent que l'on observe sur les prévisions de consommation.

Les points de retournement sont les plus mal prévus

Quel que soit le pays auquel on s'intéresse, les études montrent que leurs erreurs les plus fortes surviennent au moment d'un retournement de conjoncture. Les exemples français les plus marquants pour les prévisions de croissance correspondent aux années 1975 (premier choc pétrolier), 1979 (deuxième choc pétrolier), 1982 (récession), 1988 (reprise) et bien sûr 1993 (récession la forte depuis 1975).

Une explication à ces erreurs peut résulter de la construction des modèles : ils s'appuient sur des régularités et calculent des prévisions comme étant le prolongement d'une trajectoire moyenne tirée du passé. Un choc (et en particulier un retournement de conjoncture) écarte la variable de cette trajectoire moyenne et rend la prévision particulièrement imprécise. Lorsqu'un aléa inédit ou unique se produit, on ne peut s'appuyer sur aucun enseignement et donc sur aucune trajectoire issue de l'expérience passée. Les erreurs observées à l'occasion de points de retournement diminuent très nettement à mesure que l'on se rapproche de l'échéance de la prévision, car seule l'information conjoncturelle acquise permet de corriger l'anticipation.

* *

Ce bref aperçu des difficultés de l'exercice de prévision et des techniques d'évaluation de sa qualité montre, si besoin était, que la prévision est un art difficile. Une analyse régulière des erreurs passées et une compréhension de leurs origines doivent conduire à une amélioration de la qualité des prévisions et à une meilleure ap-

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 285-286, 1995 - 5/6 97

préhension des phénomènes économiques. Elle implique que chaque prévisionniste accepte de mettre en question rétrospectivement son travail et ses outils afin de tirer parti des erreurs passées pour réduire celles du futur.

L'article suivant analyse en détail l'évolution, au cours des différents horizons, de la prévision de l'année 1993. Il examine les erreurs portant sur cette année, à la fois en termes de résultats et de diagnostics. □

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ANNEXE I Tableau A RMSE moyen de tous les organismes sur la période 1985-1993 pour chaque variable macro-économique *

PIB Consommation des ménages Investissement Importations Exportations Prix à la consommation

Horizon - 7 1,77 1,28 4,73 4,77 4,10 1,08

Horizon - 5 1,39 1,02 3,63 3,77 3,50 0,82

Horizon - 3 0,80 0,74 2,34 2,70 2,33 0,50

Horizon - 1 0,46 0,41 1,40 1,54 1,44 0,25

* 6 organismes à l'horizon - 7 ; 9 organismes à l'horizon - 5 ; 7 organismes à l'horizon - 3 ; 8 organismes à l'horizon - 1 . Tableau B RMSEôe chaque variable économique sur la période 1985-1993 pour chaque organisme

PIB BIPE CEE COE DP(1) Expansion FMI OCDE OFCE Diag. OFCE Eco.

Consommation des ménages BIPE CEE COE DP(1) Expansion FMI OCDE OFCE Diag. OFCE Eco.

Investissement BIPE CEE COE DP(1) Expansion FMI OCDE OFCE Diag. OFCE Eco.

Importations BIPE CEE COE DP(1) Expansion FMI OCDE OFCE Diag. OFCE Eco.

Exportations BIPE CEE COE DP(1) Expansion FMI OCDE OFCE Diag. OFCE Eco.

Horizon - 7

...

... 1,65 1,67 1,91 1,59 1,63 ... 2,1 *** ...

1,35 1,18 1,26 1,26 1,25 *.* 1,18 ... *.*

6,24 4,06 3,85 4,05 4,04 ... 6,05 ... ***

4,21 4,25 4,56 4,76 4,09 ... 4,1 ... ...

4,23 3,95 4,67 6,72 3,78 *•* 4,66

*** : n'effectue pas de prévision pour l'horizon considéré. 1 . Prévisions « Loi de finances ».

Horizon - 5

1,67 0,99 1,25 1,54 1,12 1,55 1,21 1,61 1,49

1,08 0,91 1,01 0,87 0,79 1,07 0,95 1,16 1,24

3,68 3,09 4,6

3,83 2,26 4,68 3,00 3,47 4,02

3,79 2,85 3,28 4,07 2,8 4,5

3,39 3,49 3,48

4,19 2,85 3,49 3,45 3,17 6,4

2,93 3,31 3,66

Horizon - 3

...

... 0,82 0,90 0,64 0,77 0,66 1,11 0,58 ... ...

0,78 0,72 0,57 0,66 0,72 1,01 0,74

**# ...

3,33 2,30 2,00 2,25 1,74 2,35 2,38 ... #**

2,44 2,93 2,48 2,72 2,32 2,63 1,61 ... ...

2,53 2,60 2,24 4,35 2,20 2,42 1,88

Horizon - 1

0,53 0,46 0,28 0,55 *** 0,37 0,31 0,46 0,58

0,44 0,49 0,42 0,49 ... 0,42 0,28 0,43 0,36

1,56 1,29 1,34 1,30 *** 1,71 1,26 1,29 1,41

1,77 1,97 1,36 1,77 *** 1,29 1,19 1,23 1,18

1,7 1,85 1,19 1,27 ... 2,22 1,52 1,21 0,91

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