PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE...

49
http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 30 PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE QUALIFICATION PENALE.

Transcript of PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE...

Page 1: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

30

PREMIERE PARTIE

LA CONVENTION INSTRUMENT DE

QUALIFICATION PENALE.

Page 2: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

31

27. La juridiction pénale a la possibilité d’intervenir dans le droit des

conventions grâce à un important corpus d’incriminations qui protègent les obligations ou les

parties, tant au stade de la formation que de l’exécution de ces conventions. Cette importante

« pénalisation » est observable dans les domaines les plus divers : sont indifféremment

concernés les conventions commerciales et d’affaires, de travail, de société, de consommation

ou de soins médicaux. Par exemple, afin de protéger le consommateur, divers comportements

ont été incriminés, telles que la publicité mensongère, les exigences informatives à l’occasion

des ventes à distance, du démarchage à domicile, etc.1 La rémunération minimale du travail

est aussi pénalement garantie2. La loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales contient

environ soixante articles consacrés aux infractions pénales très diverses : abus des biens et du

crédit de la société, présentation de bilan inexact3, émission illégale de valeurs mobilières4,

etc. La loi d’adaptation du 16 décembre 1992 a, en général, aggravé les peines prévues par

cette loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés5. Les conventions médicales sont aussi peu à peu

entourées de garanties pénalement sanctionnées : par exemple, l’hospitalisation et les

expérimentations, doivent être expressément acceptées par les patients6.

28. Les critiques à l’égard du droit pénal des affaires vont bon train7.

L’inflation pénale est vilipendée. Parallèlement à cette pénalisation du droit des conventions,

les auteurs observent quelques accès de dépénalisation. Celle-ci peut être l’œuvre du

législateur comme du juge pénal lui-même8. La loi lui accorde en effet le pouvoir d’écarter la

sanction pénale lorsqu’il constate que le reclassement du délinquant est assuré, que la victime

est désintéressée et que l’ordre public n’est plus troublé9. En outre, les initiatives de médiation

de magistrats du Parquet qui produisaient une forme de dépénalisation puisque les affaires

étaient traitées non par un procès mais par une convention, sont aujourd’hui officialisées grâce

à une réforme de la procédure pénale du 4 janvier 199210. Nous pourrons revenir sur ces

dépénalisations qui prennent une forme contractuelle dans la deuxième partie. Le législateur a

procédé à des dépénalisations plus directes. Concernant les contrats, les auteurs11 citent en 1 Articles L. 121-1 et s., L. 121-18, L. 121-23 du Code de la consommation. 2 Par exemple, articles R. 154-1 ou R. 153-2 du Code du travail. 3 Articles 425 et 437 de la loi de 1966. 4 Articles 465 et s. de la loi de 1966. 5 G. Lesguillier, L’aggravation des peines en droit des sociétés, Bulletin Joly 1994, p. 155. 6 Articles 223-8 du Code pénal ou article L. 326-1 du Code de la santé publique. 7 Voir supra n° 15 et s. 8 P. Truche, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12, p. 11, spéc. p. 13. M. Delmas-Marty, Les grands systèmes de politique criminelle, PUF 1992, p. 279. 9 Voir notamment les articles 132-59 et 132-60 du Code pénal sur la dispense de peine ou les ajournements. 10 Dernier alinéa de l’article 41 du Code de procédure pénale. Voir infra notre deuxième partie, n° 489 et s. 11 Notamment, M. Delmas-Marty, Les conditions de rationalité d’une dépénalisation partielle du droit pénal de l’entreprise, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 89. J. Azema, La dépénalisation du droit de la concurrence, Rev. sc. crim. 1989, p. 651 ; Droit pénal et relations interentreprises, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989. F. Derrida, La dépénalisation dans la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, Rev. sc. crim.

Page 3: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

32

général la loi du 25 janvier 1985 modifiant les procédures de redressement et de liquidation

judiciaire qui dépénalisent partiellement les banqueroutes et l’ordonnance du 1er décembre

1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence. La loi de 1985 a supprimé les cas de

banqueroute les moins graves, pour lesquels le législateur n’exigeait pas d’intention

délictueuse. L’ordonnance de 1986 a abrogé les infractions de l’ordonnance du 30 juin 1945

sur les prix et confie la poursuite de certains comportements d’entente illicite au Conseil de la

concurrence.

Pénalisation d’un côté, dépénalisation de l’autre. Ces deux courants

contradictoires sont-ils le reflet de deux politiques criminelles concurrentes ? Existe-t-il une

politique dite libérale qui tenterait de déréglementer les rapports sociaux et tout

particulièrement les rapports contractuels alors qu’une autre tendrait vers la régulation

généralisée, dont celle des faits économiques ? Il convient de relativiser l’ampleur de ces

dépénalisations. Pour reprendre les deux exemples notoires précédemment évoqués, on

constate notamment que les peines d’un des quatre cas de banqueroute ont été aggravées et

qu’un plus grand nombre de personnes peuvent être poursuivies : les agriculteurs, les artisans

et les dirigeants de société qui n’ont pas la qualité de commerçant peuvent être poursuivis sur

le fondement d’une incrimination jadis réservée aux seuls commerçants12. Quant à

l’ordonnance de 1986, elle maintient de lourdes sanctions pénales pour toute une série de

comportements intentionnels (les pratiques anticoncurrentielles en particulier) et confie à une

instance administrative la poursuite d’autres comportements : l’Etat ne relâche pas la pression

et confie même la répression à une instance devant laquelle rien n’assure la tenue d’un débat

contradictoire ou autres garanties offertes par le procès pénal. La dépénalisation est partielle et

consiste essentiellement en des réajustements. L’accroissement du rôle des instances

administratives est principalement motivé par l’encombrement des tribunaux qui ne peuvent

assumer la masse des petits litiges. Il ne s’agit pas de laisser ces comportements impunis : les

juridictions classiques sont désinvesties pour que ces infractions soient plus sûrement et plus

efficacement réprimées ; il en est ainsi par exemples des litiges liés aux chèques ou à certaines

pratiques anticoncurrentielles. Aux sanctions pénales sont substituées des sanctions

administratives ou disciplinaires13, prononcées par des organismes spécialisés tels que la

Commission des opérations de bourse ou le Conseil de la concurrence. Domaine restreint,

sanctions équivalentes prononcées par des autorités étatiques, … les dépénalisations sont donc

très relatives au point que certains auteurs émettent des doutes sur leur réalité14. Sont-elles

réellement souhaitables ? M. Mayaud exprime des regrets face à cette dépénalisation qui

1989, p. 658. A. Roger, Ethique des affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261, spéc. p. 267 et s. P. Kolb, Recherches sur l’ineffectivité des sanctions pénales en droit des affaires, Thèse Poitiers 1993, p. 409 et s. 12 Voir infra n° 132. Article 196 de la loi du 25 janvier 1985. 13 Y. Mayaud, La justice pénale dans le monde des affaires, libres propos sur une crise d’autorité, Justice et économie, Justices n° 1, 1995, p. 35. P. Kolb, Recherches sur l’ineffectivité des sanctions pénales en droit des affaires, Thèse Poitiers 1993, p. 230 et s. 14 C. Gavalda, C. Lucas de Leyssac, Commentaire de l’ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, ALD n° spécial 1988, n° 156 et s. ; sur la banqueroute, J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 507.

Page 4: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

33

« prive la matière pénale de ce qui fait à la fois sa diversité et sa richesse »15, alors que ces

comportements répondent toujours au critère de gravité qui avait présidé à leur incrimination

et que la sanction pénale est caractéristique d’une réaction de l’ensemble du corps social. En

réalité, la règle pénale et les interventions des juridictions répressives contribuent à

l’instauration d’une économie saine, constituée d’entreprises dirigées de façon transparente et

dynamique où chacun, du plus petit consommateur à la plus puissante entreprise doit pouvoir

trouver sa place. De façon plus générale, elles tendent à garantir l’équilibre et la sécurité dans

tous les rapports contractuels. Le juge pénal peut légitimer le droit pénal des conventions en

contribuant, par son application, à orienter les relations contractuelles vers de nouveaux

principes et de nouveaux objectifs plus en accord avec les aspirations de la société civile

(Titre I).

29. En raison de cette importance quantitative du droit pénal des

conventions, le juge pénal est nécessairement amené à manier les notions du droit privé des

contrats. Au stade de la qualification des faits constatés, il doit rechercher si tous les éléments

du texte d’incrimination sont réunis : il peut être conduit à se prononcer sur l’existence d’un

contrat, la qualité d’un contractant, la portée d’une clause, l’existence ou la portée d’une

obligation, l’exécution de celle-ci … Ces éléments peuvent être directement envisagés par le

texte pénal ou être invoqués par le demandeur ou le défendeur qui pensent cette circonstance

susceptible d’orienter la qualification.

Ce travail de qualification, quoique rarement évoqué, est pourtant fondamental

dans l’activité du juriste puisque le choix de tous les régimes applicables découle de la

traduction des faits en termes juridiques16. De cette étude du juge dépend la juridiction

compétente, mais aussi la sanction du délinquant et parfois même, le régime de réparation de

la victime : depuis peu, la jurisprudence n’applique plus systématiquement le régime de

responsabilité délictuelle pour indemniser les conséquences des infractions et tient compte de

régimes plus spécifiques, notamment la responsabilité contractuelle17.

Le juge pénal a la tâche de poursuivre des actes graves et de prononcer des

sanctions portant sur la liberté du délinquant et sur son patrimoine qui, traditionnellement, est

le prolongement même de la personne ; il se doit de respecter une rigueur toute particulière

dans ce travail de qualification. Or le droit des conventions a développé de nombreuses

fictions, poussé par les nécessités d’efficacité ou l’aspiration à de meilleures garanties

d’exécution. Les fictions peuvent être définies comme des procédés artificiels de technique

juridique qui rompent avec la réalité, avec les faits observables ; ce sont des affirmations

« assurément et objectivement fausses » mais qui relèvent de constructions intellectuelles

utiles et certainement pas d’« élucubrations hasardeuses ». « Pourvu qu’il s’accorde avec un 15 Y. Mayaud, préc., p. 40. 16 O. Cayla, La qualification ou la vérité du droit, in La qualification, Droits n° 18, 1993, p. 3. P. Jestaz, même revue, p. 45. 17 Voir infra n° 275 et s.

Page 5: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

34

interlocuteur susceptible d’épouser la même vision du monde, il est loisible à tout un chacun

de proposer une caractérisation des choses dont il importe peu qu’elle corresponde à la

réalité, du moment qu’elle est reçue et communément admise et fait ainsi la démonstration de

son efficacité pragmatique »18. La fiction est très répandue en droit des contrats puisque les

lois et la jurisprudence en composent et les contractants, eux-mêmes, l’organisent. Par

exemple, le principe d’autonomie de la volonté (première fiction) ayant pris l’envergure de

principe fondamental, le transfert de propriété solo consensu (seconde fiction) est devenu un

pilier incontournable du droit de la vente, quelle que soit la forme prise par cette convention

(meuble ou immeuble, vente à crédit, …). Afin de garantir l’exécution des obligations, la loi

et les contractants ont mis au point des garanties, telles que les clauses de réserve de propriété

qui conservent la propriété au vendeur jusqu’à complet paiement, alors que la chose est entre

les mains de l’acquéreur qui en use librement, aux vues de chacun. Citons encore l’exemple

de la nullité des contrats dont l’effet est de remettre les parties dans l’état où elles étaient

avant la conclusion de la convention annulée, en niant qu’il se soit passé quoi que ce soit entre

elles ; pourtant, il est indéniable que la convention, même nulle, a existé et a pu produire des

effets.

Le droit pénal contemporain octroie un certain pouvoir normatif au juge

pénal19. Celui-ci peut faire preuve d’autonomie, ce qui ne consiste pas en une indépendance

libertaire ou un esprit de contradiction systématique, mais en la possibilité d’opérer une

nouvelle analyse, d’envisager les textes de droit privé, les faits litigieux, les qualifications

classiques, d’un point de vue nouveau. Cette autonomie dans l’analyse des faits et dans

l’application du droit privé des contrats contribue à l’affirmation d’objectifs eux-aussi

autonomes. Concernant la convention elle-même, le juge pénal cherchera essentiellement la

protection de la partie faible, la restauration de l’équilibre, de la justice contractuelle, écornant

ainsi parfois le principe de l’autonomie de la volonté et l’importance attribuée au

consentement. S’agissant des rapports entre les tiers et la convention invoquée, le juge pénal

poursuivra essentiellement la sécurité juridique, non des contractants, mais de l’ensemble de

la société. La qualification choisie ne doit pas entamer cette sécurité, ce qui doit pousser le

juge pénal à refuser les fictions ou présomptions juridiques élaborées par le droit privé des

conventions20, en particulier lorsque leur effet dépend de la volonté d’un des contractants.

Il ne faut pas se méprendre sur ce rejet de certaines fictions juridiques : en

aucun cas il ne s’agit d’un rejet du juridique au profit de la réalité ce qui supposerait qu’il

existe toujours une frontière entre le fait et le droit et qu’une qualification correcte des faits

18 O. Cayla, préc., p. 3 et 12. Voir aussi Yan Thomas, L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales, Droits n° 18, 1993, p. 17 : « La fiction est un procédé qui appartient à la pragmatique du droit ». 19 Voir supra n° 21. 20 J. Larguier , A.-M. Larguier , Le rejet de l’analyse rétroactive en matière pénale, Rev. sc. crim. 1972, p. 759, spéc. p. 769.

Page 6: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

35

exigerait une « déjuridisation » du droit pénal21. Au stade de l’examen de l’élément matériel,

c’est une démarche éminemment juridique que le juge entreprend, souvent fondée sur une

théorie elle-aussi très juridique : celle de l’« apparence ». Le juge pénal constate que

« objectivement tout s’est passé comme si »22 tel contrat, telle qualité de contractant, étaient

présentes ou absentes, afin de mettre en lumière la réalité juridique telle qu’elle peut

apparaître aux yeux du corps social. Lors de l’examen de l’élément moral, le juge prend en

compte les intentions réelles du contractant23 (d’appropriation par exemple) et non celles qui

ressortent de la convention ou qui pourraient être déduites des systèmes de qualification du

droit privé des contrats, élaborés pour des objectifs différents. Enfin, certaines abstractions et

fictions du droit privé des conventions ne sont repoussées que pour mieux retrouver les

principes essentiels gouvernant de bonnes relations contractuelles. D’une façon générale, le

juge pénal pourra refuser les fictions juridiques « potestatives », dont les effets dépendent de

la bonne volonté d’un des contractants et qui compromettent la sécurité juridique des tiers,

ainsi que les approximations opportunistes (flexibles) issues du droit privé des conventions24.

Il peut ainsi réinterpréter certaines notions : le consommateur, le commerçant, le groupe de

société ne seront pas toujours compris de la même façon par le juge pénal que par le juge

naturel des conventions en cause (Titre II).

Titre I – Pouvoirs du juge pénal définis par le droit pénal des conventions.

Titre II – Autonomie du juge pénal à l’égard du droit civil des conventions.

21 Tendance pourtant affichée par M. Ancel, La défence sociale nouvelle, Cujas 1981, p. 204 et s., déjà cité en introduction. Voir aussi J. Vérin, La défense sociale nouvelle contre les fictions, Mélanges Ancel, T. II, Pédone 1975, p. 73. 22 Voir notamment P. Conte, L’apparence en matière pénale, thèse Grenoble 1984, n° 45 et s. 23 Voir notamment R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 155. 24 Pour un exemple de cette flexibilité en droit des affaires, voir C. Champaud, L’idée d’une magistrature économique, in Justice et économie, Justices n° 1, 1995, p. 61, spéc. p. 75 et s.

Page 7: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

36

Titre I – Pouvoirs de la juridiction pénale définis par le droit pénal des conventions.

Page 8: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

37

30. La juridiction pénale intervient dans les conventions grâce à des

incriminations en grand nombre constituant le droit pénal des conventions. La criminalisation

du droit des conventions participe d’une réaction de responsabilisation et l’individualisme25 :

chacun souhaite mener son activité et assouvir ses désirs librement et n’entend, en aucun cas,

subir sans réagir les conséquences du travail, des loisirs ou des aspirations d’autrui. Il en va de

même entre les contractants. Cependant, que chacun des contractants trouve son intérêt, sans

subir les ambitions de l’autre, passe par la recherche de l’équilibre des forces et amenuise

nécessairement l’importance de la volonté : l’équilibre constitue le butoir de cette volonté, la

liberté doit être bien répartie. Puisque l’autonomie de la volonté n’a finalement qu’une

importance relative, le consentement redevient une condition de formation de la convention

parmi d’autres : les préoccupations sont ailleurs, s’orientant vers l’équilibre des parties

contractantes ou de leurs prestations, problème qui se pose indifféremment au moment de la

formation de la convention comme à celui de son exécution. Le moment de l’expression du

consentement qui marquait la formation du contrat au fer rouge, n’est plus aussi décisif et la

distinction académique entre formation et exécution du contrat se dilue. Puisque la société

civile aspire à une responsabilisation, puisque l’équilibre paraît être un butoir suffisant à la

volonté, cette volonté a moins besoin de limites externes à la convention : la notion d’ordre

public classique s’efface. Le droit pénal n’a plus pour rôle de régir les bonnes mœurs qui sont

laissées à l’appréciation et la liberté de chacun. Ici encore, le butoir de la liberté et de

l’autonomie est l’équilibre. La notion d’objet illicite de la convention est peu à peu

abandonnée au profit de l’observation du rapport de force entre les contractants : ceci est

flagrant en matière d’expérimentations médicales sur le corps humain qui sont admises à

condition que le patient ait donné son consentement dans des formes très précises26.

Avant d’étudier l’activité du juge pénal en matière contractuelle, la

criminalisation de cette branche du droit doit être justifiée et décrite. Il n’est pas de notre

propos d’entreprendre une énumération exhaustive des infractions pénales sanctionnant

chaque défaut contractuel. Il convient cependant de préciser à quelles conditions et dans

quelles circonstances le juge pénal sera sollicité, afin de mieux connaître son pouvoir (s’il

l’utilise) et en quoi ces infractions accompagnent certaines tendances marquées du droit des

conventions. Afin de tenter une nomenclature au moins indicative de cette activité répressive,

les critères classiques de l’étude du contrat peuvent être utilisés ; ceux-ci, à défaut d’être

significatifs pour le juge pénal, ont le mérite de la clarté et facilitent la confrontation aux

principes civilistes de cette tâche confiée aux juridictions répressives. Les pouvoirs des

juridictions répressives sont croissants au stade de la formation de la convention (Chapitre I)

comme au moment de l’exécution contractuelle (Chapitre II). 25 Voir supra n° 18. 26 Article 223-8 du Code pénal.

Page 9: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

38

Chapitre I – Les pouvoirs du juge pénal dans la formation des conventions.

31. L’intervention persuasive du juge pénal en matière contractuelle couvre

de vastes domaines. Elle s’est particulièrement perfectionnée et développée au cours des

dernières décennies. Au plan théorique, dans quelles circonstances exactes la juridiction

pénale interviendra-t-elle dans la formation du contrat ? Les juridictions répressives ont pour

tâche naturelle de sanctionner les valeurs importantes et elles ne se préoccupent que de

comportements qui nuisent à l’ensemble de la société. Les associer aux sanctions civiles

obligeant les contractants à respecter l’ordre public semble donc tout indiqué. Cependant, tout

ce qui est d’ordre public n’est pas forcément sanctionné par le droit pénal27. Si le juge civil

peut apprécier librement ce concept puisqu’il n’existe pas de définition légale (l’ordre public

peut être légal ou judiciaire), les sources de l’ordre public pénal sont limitées. Le juge pénal

est tenu au respect de la règle « nullum crimen ... sine lege » et ne peut sanctionner l’atteinte

aux valeurs sociales que lorsque la loi elle-même sanctionne cette atteinte. Le droit pénal

s’attache à interdire, nommément et plus précisément que le droit civil, les illicéités les plus

graves : c’est l’existence d’une infraction qui détermine l’intervention du juge pénal. Dès lors,

l’intervention du juge pénal au stade de la formation de la convention n’est concevable a

priori que s’il existe des infractions renforçant l’article 1108 du Code civil.

Que doit-on retrouver de ces défauts de formation de la convention dans les

éléments matériels et moraux de l’infraction ? Il n’est pas nécessaire que le défaut lui-même

soit visé par le texte pour que la juridiction pénale le sanctionne. L’infraction peut viser

davantage l’origine du défaut de formation du contrat que ce défaut lui-même. Prenons

l’exemple de l’infraction de tromperie : elle constitue l’origine de l’erreur de l’acheteur

potentiel. Retenons par conséquent que l’origine du défaut doit correspondre aux éléments

matériels, voire à l’élément moral de l’infraction sans qu’il soit nécessaire que le défaut lui-

même constitue le résultat pénal de l’incrimination.

32. Les conditions d’ordre public de validité du contrat sont au nombre de

quatre dans l’article 1108 du Code civil : le consentement, la capacité, l’objet et la cause. La

capacité du contractant est certes envisagée par le droit pénal, mais sans être le thème d’une

infraction précise. Les notions d’état de faiblesse, d’incapacité et plus précisément de minorité

servent essentiellement à accabler le délinquant de circonstances aggravantes, s’il est constaté

que la victime appartient à ces catégories, ou à appliquer un régime de peine particulier, si le

délinquant est lui-même mineur. Le droit pénal instaure aussi diverses interdictions

27 R. Ottenhof, Le droit pénal et la formation du contrat civil, LGDJ, 1970, p. 109 et 110.

Page 10: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

39

professionnelles à raison de la qualité de l’agent28 ou à titre de sanction pénale29. Certaines

conventions ne peuvent être conclues que par des personnes ayant les capacités requises : de

multiples dispositions du Code de la santé publique ou de déontologie médicale exigent que

les activités médicales ou paramédicales soient accomplies par des personnes soumises à des

exigences de compétence et de régularité30. Le caractère impérieux de ces exigences peut être

déduit de plusieurs incriminations telles que celles de l’exercice illégal de la médecine31 ou

d’usurpation de titre32. Ces infractions appuient les dispositions civiles précitées. Toutes ces

règles interdisent à certaines personnes de contracter, mais elles ne viennent pas relayer et

appuyer des dispositions de droit privé des conventions en matière d’incapacité.

Le juge pénal, en revanche, renforce la lutte du droit civil en matière d’intégrité

du consentement ou contre les contrats dont l’objet est illicite : ainsi, l’infraction

d’escroquerie peut prolonger un vice du consentement puisque l’article 313-1 du Code pénal

permet de sanctionner des manœuvres frauduleuses trompant une personne et « la déterminant

à fournir un service ou consentir un acte opérant obligation ou décharge » ; l’article 511-4 du

même code incrimine « le fait d’obtenir d’une personne le prélèvement de tissus, de cellules

ou de produits de son corps contre un paiement », tout ceci ne formant pas un objet licite pour

un contrat à titre onéreux. Cependant, l’activité du juge pénal ne se cantonne pas à l’intégrité

du consentement des contractants, à la licéité et la moralité de l’engagement. Les critères

classiques du droit des conventions sont devenus insuffisants : les références aux vices

classiques du consentement, au caractère immoral ou illicite de l’objet sont peu significatives

pour le juge pénal puisqu’elles n’influent pas véritablement sur ses décisions et ne permettent

pas de dresser un tableau complet du droit pénal contractuel. Les développements récents de

la législation obligent à considérer les fondements et les préoccupations plus larges du droit

contemporain des contrats que nous avons décrits en introduction. De nombreuses

incriminations sont le révélateur de l’évolution des concepts contractuels plus protecteurs vers

la chasse aux déséquilibres. A titre d’exemple, la désacralisation de la libre volonté et du

consentement immuable conduit le droit pénal à admettre la modification de la volonté et la

disparition du consentement. Il conviendra de revenir, au sein de chacune des subdivisions

évoquées précédemment, sur l’activité des juridictions pénales en fonctions des objectifs

contemporains du droit des contrats : les deux grands axes d’action du juge pénal en matière

de formation de la convention conservent pour cible d’une part le consentement (section 1),

d’autre part l’objet et la cause de la convention, que nous regrouperons sous la notion de

contenu de la convention (section 2).

28 Nous pensons aux incompatibilités qui interdisent d’exercer cumulativement certaines professions : par exemple, celle de commissaire aux comptes et d’administrateur de société. On peut aussi songer aux interdictions d’exercer certaines professions sans les qualités requises : médecin, pharmacien,... 29 Articles 131-6, 11° et 131-27 et s. du Code pénal. 30 Articles L. 372 et s., L. 375 et s. du Code de la santé publique. 31 Articles L. 372 et s. du Code de la santé publique. 32 Article 433-17 du Code pénal.

Page 11: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

40

Section 1 - Le juge pénal et la protection du consentement.

33. Le juge pénal intervient en matière de protection du consentement

lorsqu’un défaut de ce dernier a pour origine un comportement correspondant aux éléments

matériels et moraux d’une infraction. Classiquement, les juridictions répressives soutiennent

l’action du juge civil contre les vices du consentement grâce à des infractions sanctionnant les

manquements les plus graves à la loyauté contractuelle : ainsi, l’infraction de chantage tend à

empêcher la remise de signature ou engagement sous la menace d’une diffamation33 ; si cette

remise est faite sous la menace d’une violence, c’est une extorsion34 ; l’infraction de faux en

écriture privée peut protéger contre des contrats fabriqués ou transformés sans consentement35

; citons enfin l’escroquerie dont les peines sont encourues si les manœuvres ont été employées

à l’obtention d’un service36. Mais le législateur est allé beaucoup plus loin à partir des années

soixante-dix : la juridiction pénale n’est plus un juge annexe du droit contractuel. Elle détient

même un rôle prépondérant, puisque le Code de la consommation recensant un grand nombre

des nouveaux modes de protection du consentement recourt constamment à la sanction pénale.

On constate même un amoindrissement du rôle du droit civil classique, en particulier des

vices du consentement, tandis que le droit pénal devient incontournable offrant des solutions

beaucoup plus efficaces, rapides, dissuasives et accessibles. M. Carbonnier observe, au sujet

de la théorie des vices du consentement : « Un temps viendra peut-être où ce ne sera plus

qu’une technique de luxe pour objets exceptionnels ou contractants singuliers »37. Il semble

que nous assistions à l’avènement de ce temps. Le champ d’action du juge pénal rejoint

parfois les préoccupations des vices classiques du consentement (paragraphe 1) mais les

dépasse souvent pour s’attacher aux objectifs du droit contemporain des conventions

(paragraphe 2).

Paragraphe 1 - Le juge pénal et les vices classiques du consentement.

34. Le droit pénal renforce la sanction classique et bien civiliste des vices

du consentement. Il convient d’étudier quels types de vices pourront être pris en compte dans

une infraction. Le droit civil sanctionne par la nullité relative du contrat des erreurs, dols ou

violences viciant le consentement du contractant. Le dol semble le comportement le plus visé

par le droit pénal, nous l’envisagerons en premier (A). La violence conserve une certaine

importance (B). Si l’erreur ne joue pas encore un rôle capital en droit pénal, elle jouit

cependant d’une reconnaissance nouvelle (C).

33 Article 312-10 du Code pénal. La liste des choses susceptibles d’être remises est plus longue en réalité... 34 Article 312-1 du même Code ... même remarque qu’en note précédente. 35 Articles 441-1 et s. 36 Articles 313-1 et s. 37 J. Carbonnier, Les obligations, préc., n° 46.

Page 12: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

41

A - Renfort des protections civiles contre le dol.

35. Si toute faute pénale est aussi une faute civile, le principe d’identité des

fautes civiles et pénales ne fonctionne que dans ce sens. En effet, toute faute civile, même

intentionnelle, n’est pas forcément une faute pénale : elle ne le sera que si un texte

d’incrimination en prévoit la sanction. Dès lors, si le dol décrit par l’article 1116 est une faute

civile, il ne sera pénalement sanctionné que si un texte d’incrimination le prend en compte. Il

convient de comparer les notions de dol en droit civil et en droit pénal (1) avant de rechercher

si des infractions soutiennent la sanction civile du dol (2).

1 - Comparaison des notions de dol en droit civil et en droit pénal.

36. Rappelons qu’en matière civile, si l’article 1116 du Code civil définit le

dol comme des « manœuvres pratiquées par l’une des parties ... telles qu’il est évident que,

sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté », les auteurs ont retenu une

définition plus complète : « Toute tromperie par laquelle l’un des contractants provoque chez

l’autre une erreur qui le détermine à contracter »38. Mais la jurisprudence civile a édulcoré

cette dernière définition. Les manœuvres, tout d’abord, sont entendues dans un sens très

large : chacun connaît la notion de réticence dolosive39. Quant à l’erreur utilisée dans la

définition, son exigence devient incertaine. Alors que certains considéraient que seul le dol

entraînant une erreur sur les qualités substantielles pouvaient être retenu, peu à peu, tous types

d’erreur ont été retenus40 et des cas de dol furent admis sans que l’on puisse relever une

quelconque erreur, alors que le consentement avait été obtenu par harcèlement de la victime41.

Il conviendrait dès lors d’apprécier le dol en fonction de ses éléments constitutifs, matériel et

moral42, et en fonction de son résultat, non sur l’esprit du cocontractant (l’erreur), mais sur la

convention conclue43 : la manœuvre a-t-elle été déterminante ou pas de cette conclusion ?

38 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF 1998, V° dol. 39 Par exemple, Cass. 3e civ., 15 janvier 1971, JCP 1971, IV, 43, Bull. civ. III, n° 38. Cass. 3e civ., 25 février 1987, Bull. civ. III, n° 36. 40 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 229. J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 568. Voir par exemple Cass. 3e civ., 2 octobre 1974, Bull. civ. III, n° 330 : « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat ». 41 CA Colmar, 30 janvier 1970, JCP 1971, II, 16609, note Y. Loussouarn ; D 1970, p. 297, note Alfandari . Contra : Cass. 3e civ., 1er mars 1977, D. 1978, J., p. 91, note C. Larroumet ; Cass. com, 2 juin 1981, Bull. civ. IV, n° 259 : « La seule insistance (fréquentes démarches, harcèlements pour convaincre une personne dépressive de contracter) n’est pas constitutive de manœuvre dolosive » ; Cass. 1re civ., 10 juillet 1995, D. 1997, J., p. 20, note P. Chauvel : « Ne caractérise pas le dol … la cour d’appel qui retient les pressions et violences morales, … sans constater des manœuvres destinées à provoquer une erreur de nature à vicier le consentement ». 42 L’élément matériel étant les manœuvres et l’élément moral, l’intention de tromper. 43 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrat, préc., n° 452 ; P. Conte, Cours de droit des obligations, DEUG II, Bordeaux I, 1989-90. D’où l’intérêt de la notion de dol principal et dol incident, utilisée par la jurisprudence de façon implicite : par exemple, Cass. 1re civ., 12 novembre 1987, Bull. civ. I, n° 293 (dol incident à l’occasion de la vente d’un camion puisque la réticence n’a pas été déterminante du consentement ; la nullité n’est donc pas encourue mais la victime pourra obtenir des dommages et intérêts). Contra, notamment : J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 576. Ces auteurs citent Cass. com. 18 janvier 1984, Bull. civ. IV, n° 23 ; J. Flour, J.-L. Aubert , Les obligations, l’acte juridique, Armand Colin 1996, 7ème éd., n° 212.

Page 13: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

42

Quoi qu’il en soit, la notion de dol en droit civil décrit un comportement, une faute

intentionnelle destinée à provoquer le consentement à une convention.

37. Cette notion n’est pas utilisée de la même manière en droit pénal. Le dol

est un outil servant à mesurer la faute pénale. Les juridictions répressives, afin de caractériser

précisément la culpabilité d’un prévenu, recherchent le dol général : la volonté de l’agent

était-elle d’accomplir un acte qu’il savait contraire à la loi pénale44 ? Par exemple, en matière

d’abus de bien social incriminé dans l’article 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, les dirigeants

doivent avoir agi dans un but « qu’ils savaient contraire à l’intérêt de (la société) » : ils

doivent avoir conscience d’aspirer à un résultat contraire à la loi pénale45. Il sera parfois

nécessaire de rechercher le dol spécial, aussi appelé mobile, car certaines infractions répriment

un comportement à condition qu’il ait été commis dans un but précis : c’est, une fois encore,

le cas de l’abus de bien social, puisque les dirigeants doivent avoir agi « à des fins

personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient

intéressés directement ou indirectement »46. Enfin, la notion de dol est utilisée pour mesurer

l’imprudence de l’agent. Ainsi, on parle de dol indéterminé lorsque l’acte illicite est commis

délibérément, mais provoque un résultat dommageable plus important que prévu : l’agent n’a

pas prévu le résultat qu’il aurait pourtant dû envisager47. Par exemple, il y aura dol

indéterminé si une personne gifle une autre ce qui provoque le décès de cette dernière qui est

cardiaque48. Il y a dol éventuel, lorsque l’agent a prévu la possibilité du résultat mais ne l’a

pas souhaité : il a commis délibérément une imprudence mais espère que les dommages

prévisibles ne se produiront pas. Ainsi, on parlera de dol éventuel lorsqu’un dirigeant de droit

d’une société laisse toute latitude à un dirigeant de fait qui commet des malversations49.

Il n’est pas possible de s’appuyer sur la notion pénale de dol pour sérier les

catégories de dols civils prises en compte par le droit pénal. Pourtant, même si la notion de

dol est comprise de façon distincte en droit civil et en droit pénal, ce dernier se révèle être un

appui efficace pour tous les types de dol civil, ce que nous pouvons constater à l’examen de

quelques infractions exemplaires.

44 E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey 1959, art. I, n° 77. P. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 381. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 266. R. Merle, A. Vitu , Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 542. M.-L. Rassat, Droit pénal général, PUF 1987, n° 251. J. Pradel, Droit pénal général, Cujas 1994, 9ème éd. n° 463. 45 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 384. 46 Sur cette notion de dol spécial, notamment : G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 266. P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 384. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 559 et s. M.-L. Rassat, préc., n° 254. J. Pradel, préc., n° 463. 47 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 389. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 268. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 563. M.-L. Rassat, préc., n° 254. J. Pradel, préc., n° 465. 48 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 394 et s. 49 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 269. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 563. P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc. n° 390 et 391. M.-L. Rassat, préc., n° 257.

Page 14: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

43

2 - Les cas de dols civils susceptibles de sanctions par le juge pénal.

38. La notion de dol au sens civil trouve soutien dans des infractions

pénales diverses, mais l’escroquerie50 semble l’exemple fondateur de cette tendance. Sont

incriminées les manœuvres accomplies dans le but de se faire remettre certains biens

énumérés, liste qui, dans le texte du nouveau Code pénal, laisse explicitement la place aux

conventions : les manœuvres peuvent avoir provoqué la fourniture d’un service ou le

consentement à un acte opérant obligation ou décharge. Le droit civil et le droit pénal sont dès

lors complémentaires. Le droit pénal permet en effet une sanction plus sévère et plus

dissuasive (cinq ans d’emprisonnement et de 250000 francs d’amende) que la simple nullité

du contrat, reconnue par chacun comme peu intimidante.

Avant de rechercher quels sont les cas de dol civil pouvant être sanctionnés

pénalement, il convient de remarquer que certains cas de dol insusceptibles de recevoir une

sanction civile peuvent être réprimés grâce à cette infraction. Ainsi, le dol d’un tiers n’a pas sa

place dans le cadre de l’article 1116 du Code civil, sauf quelques exceptions telles que le dol à

l’occasion de donations ou d’actes unilatéraux ou émanant du représentant ou du gérant

d’affaires du cocontractant51. En dehors de ces cas, la sanction civile n’est encourue que par le

cocontractant qui a perpétré le dol ou, éventuellement, qui en a simplement pris connaissance

et en a profité52. L’infraction d’escroquerie permet cependant de réprimer le dol perpétré par

un tiers au contrat. Ainsi, il est arrivé à plusieurs reprises qu’un particulier, voulant obtenir un

prêt important d’une société de crédit, fasse intervenir un tiers vendeur de matériel. Celui-ci,

grâce à une facture anticipée, certifiait des conditions du marché qu’il savait cependant

inexactes voire fictives. Ce vendeur a pu être condamné pour escroquerie53.

Si l’infraction d’escroquerie est de nature à apporter un intéressant appui pénal

à la sanction civile du dol, elle ne recouvre pas tous les cas de dol civil. En effet, si le droit

civil sanctionne le dol principal (déterminant du consentement) par la nullité du contrat, mais

aussi le dol incident (portant sur un élément accessoire du contrat) par des dommages et

intérêts, le droit pénal ne sanctionnera que le dol principal par l’infraction d’escroquerie : les

manœuvres employées doivent avoir été déterminantes de la fourniture de service ou du

consentement à l’acte. Par ailleurs, le droit civil sanctionne tout type de manœuvre y compris

le mensonge54 ou la réticence de renseignement55. Ce n’est pas le cas de l’infraction

50 Article 313-1 du Code pénal. 51 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 227. J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 572 et 573. Voir notamment Cass. com. 24 mai 1994, Bull. civ. IV n° 184, RTD civ. 1995, p. 99, obs. J. Mestre : le représentant du vendeur qui avait été chargé par un établissement de crédit-bail de contacter des clients potentiels n’est pas un tiers vis à vis de cet établissement. 52 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., p. 188, note 6. J. Ghestin, préc., n° 573. 53 Notamment : Cass. crim., 11 janvier 1968, Bull. crim. n° 9 ; 9 novembre 1977, Bull. crim. n° 344, D. 1978, I.R. 71, Rev. sc. crim. 1978, p. 359, Bouzat. Pour d’autres types d’affaire, voir par exemple : Cass. crim., 16 mars 1987, Bull. crim. n° 124 ; 17 janvier 1991 (intervention du préposé de l’escroc), Droit pénal 1991, n° 201 ; 15 mai 1997, Bull. crim. n° 189. 54 J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 564. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 224. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Le contrat, préc., n° 463. Cass. req. 6 février 1934, S. 1935.1.296 ;

Page 15: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

44

d’escroquerie qui ne sanctionne pas l’omission56. En matière pénale, les manœuvres doivent

être positives et consister en des mises en scène. Seuls certains mensonges sont admis et

réprimés : l’usage du faux nom ou de la fausse qualité, à l’exclusion de tous les autres57.

Cependant, la jurisprudence a parfois admis des manœuvres très proches du simple

mensonge58. Le fait de faire intervenir un tiers est considéré comme une manœuvre

frauduleuse ; or la Cour de cassation a admis l’escroquerie alors que le tiers était

imaginaire59 : un notaire fut ainsi condamné alors que, désirant convaincre ses clients de

renseignements inexacts, il avait fait semblant de téléphoner à un tiers. Dans ce cas, l’élément

d’extériorité à l’agent que suppose la notion de manœuvre n’est qu’apparent, mais cette

apparence suffit au juge pénal60. Quoi qu’il en soit, l’infraction d’escroquerie est parfois

insuffisante à réprimer tous les cas de dol civil. C’est sans doute la raison pour laquelle le

législateur a élaboré d’autres incriminations, palliant ainsi certaines failles laissées par l’article

405 de l’ancien Code pénal61.

39. Les comportements dolosifs par mensonge au sens du droit civil

trouvent de nombreux soutiens autres que l’infraction d’escroquerie dans le droit pénal des

contrats. Ainsi, l’infraction de publicité mensongère62 issue de la loi du 27 décembre 1973

réprime directement les contrevérités proférées en vue de faire contracter le consommateur.

Quoique admis par la Cour de cassation63, le biais de l’escroquerie était parfois contestable et

certainement insuffisant pour réprimer de façon efficace ces comportements. En effet, la

publicité mensongère n’est jamais qu’un mensonge écrit ; or la notion de manœuvre peut être Cass. 3e civ., 6 novembre 1970, JCP 1971, II, 16942, note J. Ghestin, Defrénois 1971, p. 1264, obs. J.-L. Aubert ; Cass. com., 30 mai 1985, JCP 1985 IV p. 280. CA Poitiers, 30 mars 1994, JCP 1995, IV, 2525. 55J. Ghestin, préc. n° 565 et s. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 225. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, préc., n° 465. Cass. 1re civ., 19 mai 1958, Bull. civ. I, n° 251. Puis, par exemple, Cass. com. 21 avril 1959, Bull. civ. II, n° 178 ; Cass. 3e civ., 2 octobre 1974, Bull. civ. III, n° 330, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, 10ème éd. 1996, n° 87 ; Cass. 1re civ., 23 juin 1987, D. 1987, IR p. 168 ; Cass. 3e civ., 27 mars 1991, D. 1991, IR p. 131, Bull. civ. III, n° 108, Rep. Defrénois 1991, art. 35142, n° 102, p. 1265, obs. Aubert ; Cass. 3e civ., 20 décembre 1995, D. 1996, IR p. 32, Contrats, Conc., Consom., 1996, n° 55, obs. Leveneur. 56 J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 124. Cass. crim. 5 juillet 1956, Bull. crim. n° 520, D. 1956, p. 753 ; 2 octobre 1978, D. 1979 , IR p. 116. Voir cependant Cass. crim., 20 mars 1997, Droit pénal 1997, n° 108, qui sanctionne pour escroquerie l’héritier qui continue à percevoir la retraite de son père décédé en faisant fonctionner le compte sur lequel il a une procuration. 57 F. Alt-Maes, L’autonomie du droit pénal, mythe ou réalité d’aujourd’hui ou de demain ?, Rev. sc. crim. 1987, p. 347, spéc. p. 356. J. Larguier, P. Conte, préc., n° 123. Cass. crim. 20 juillet 1960, D. 1961, p. 191, note Chavanne, JCP 1961, II, 11973, note Guyon ; 9 mars 1992, Droit pénal 1992, p. 256 ; 29 novembre 1993, Droit pénal 1994, n° 85, M. Véron, Rev. sc. crim. 1994, p. 766, obs. R. Ottenhof. 58 J. Larguier, P. Conte, préc., n° 123. M.-P. Lucas de Leyssac, L’escroquerie par simple mensonge ?, D. 1981, chron. p. 117. 59 Cass. crim., 8 janvier 1976, Bull. crim. n° 7. 60 R. Ottenhof, Le droit pénal et la formation du contrat civil, thèse, LGDJ 1970, n° 47. P. Conte, L’apparence en matière pénale, Thèse Grenoble 1984, n° 371 et s. 61 R. Ottenhof, préc., n° 42. 62 Articles L. 121-1 et s. du Code de la consommation. R. Merle, A. Vitu , Traité de droit criminel, Droit pénal spécial T. I, Cujas 1984, n° 849. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 169 et s. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz Précis, 3ème éd. 1998, n° 395 et s. Carreau, Publicité et escroquerie, D. 1996, chron. p. 257. J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 116 et s. 63 Par exemple : Cass. crim. 10 mai 1978, Bull. crim. n° 148, D 1978, IR, 348, note G. Roujou de Boubée.

Page 16: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

45

définie comme un mensonge corroboré par des éléments extérieurs à l’agent64. Le simple écrit

n’est pas forcément susceptible de comporter des éléments d’extériorité suffisants : les auteurs

considèrent que l’annonce publicitaire est la simple manifestation du mensonge65. Cependant,

la jurisprudence n’admet généralement l’escroquerie que lorsque la publicité en cause est

répétée, voire intensive66. Une incrimination spéciale fut créée destinée à combler le vide

juridique dans les autres cas. Dès lors, tout mensonge dolosif au sens civil, formulé sous

forme publicitaire peut être pénalement réprimé67.

40. Le dol par réticence n’est pas abandonné du droit pénal. Des auteurs

utilisent la notion de tromperies afin de définir le dol en droit civil68. Il est dès lors tout

indiqué de rapprocher de cette notion de dol l’infraction de tromperie et falsification en

matière de produits et de services de la loi du 1er août 190569. En termes civilistes, cette

infraction est à rapprocher du mensonge dolosif et permet aussi de réprimer pénalement

certaines réticences dolosives, soit en cas de complicité du contractant qui n’a pas lui-même

falsifié, mais qui connaît les faits, soit en cas de réticence de renseignements qui, s’ils avaient

été en la possession du cocontractant, l’aurait incité à ne pas contracter. Cette incrimination

permet d’infliger une peine préventive du dol puisqu’elle est constituée avant même que la

victime éventuelle n’ait été contactée70.

Le dol par manœuvre, par mensonge ou par réticence peut trouver sanction

auprès du droit pénal. Cependant, un dernier type de dol consiste en l’obtention du

64 J. Larguier, P. Conte, préc., n° 128. 65 Garçon, Code pénal annoté, Sirey 1959, art. 405 n° 32 ; Garraud , Traité de droit pénal, T VI, 1935, n° 2553 ; Voin, D. 1951, 490. 66 Par exemple : Cass. crim. 28 novembre 1968, Bull. crim. n° 321 ; 7 mai 1974, Bull. crim. n° 160, J.C.P. 1976. II. 18285, Fourgoux ; Cass. crim. 6 octobre 1980, Bull. crim. n° 248. 67 D’autres infractions appuient l’article 1116 sanctionnent le mensonge dans le cadre des warrants (agricole, hôtelier, pétrolier, … Article L. 342-14 du Code rural, article 13 de la loi du 8 août 1913, article 14 de la loi du 21 avril 1932. J. Larguier, P. Conte, préc., n° 123) : cette sûreté consistant en des gages sans dépossession, il peut être tentant de déclarer plus de produit que l’on en a réellement. Citons enfin la loi du 23 juin 1989 portant réglementation de diverses pratiques commerciales. Cette loi, en son article 6, punit des peines de l’escroquerie les agents matrimoniaux qui présentent à leurs clients des personnes faisant en réalité partie de leur personnel, donc absolument pas candidates au mariage, voire qui promettent des rendez-vous avec des personnes fictives. Ces comportements, très courants, ne pouvaient constituer une escroquerie puisqu’ils n’étaient constitutifs que de simples mensonges (Cass. crim. 20 juillet 1960, Bull. crim. n° 382 ; D. 1961, p. 191, Chavanne ; J.C.P. 1961, II, 11973, Guyon ; G.P. 1960, 2, p. 252 ; S. 1961, p. 175 ; 11 octobre 1990, Droit pénal 1991, p. 44). Le vide juridique pénal fut ainsi réduit par une loi au domaine extrêmement pointu. 68 Voir supra n° 36 et la citation du dictionnaire juridique Cornu. 69 Code de la consommation, articles L. 213-1 à L. 217-10. R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial T. I, préc., n° 1050 et s. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 408. D. Garreau, Fraudes : tromperies et falsifications, Juris-classeur concurrence consommation, fasc. 1010. 70 Des réticences dolosives peuvent aussi trouver sanctions dans le droit pénal des sociétés qui contient de nombreuses infractions par omission. Citons par exemple l’omission d’indiquer sur tous les actes ou documents qui émanent d’une société, la dénomination sociale, la forme sociale, une mise en liquidation, le capital social pour les S.A.,… (Voir par exemple les articles 462 ou 464-2 de la loi du 24 juillet 1966 ou les articles 8, 16 et 17 du décret du 23 mars 1967. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 1027. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 363. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 274). D’autres peuvent être incriminées dans les infractions de publicités fausses ou de nature à induire en erreur : sont ainsi réprimées les publicités qui ne contiennent aucune allégation mensongère mais qui ne mentionnent pas (ou en caractères minuscules) des informations importantes sur la nature du produit, ses conditions de vente, etc. (Voir par exemple, Cass. crim, 8 octobre 1985, Bull. crim. n° 304 ; 18 mai 1994, Bull. crim. n° 195, Rev. sc. crim. 1995, obs. Bouloc ; 28 mai 1997, Bull. crim. n° 211. R. Merle, A. Vitu , préc., n° 849 ; J. Larguier, P. Conte, préc., n° 172 ; W. Jeandidier, préc., n° 399).

Page 17: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

46

consentement par harcèlement et lassitude du contractant71. Il semble qu’une illustration

pénale de ce cas de dol puisse être trouvée dans l’infraction récente d’abus de faiblesse d’un

mineur ou d’un majeur très vulnérable physiquement ou psychiquement, pour obliger

frauduleusement cette personne à un acte ou une abstention72. Cette infraction concerne le

secteur contractuel puisqu’elle est directement inspirée de deux infractions décrivant le mobile

contractuel de façon beaucoup plus précise : d’une part, l’article 406 de l’ancien Code pénal

sanctionnait l’abus des besoins, faiblesses ou passions d’un mineur « pour lui faire souscrire

des obligations quittances ou décharges, pour prêt d’argent ou de chose mobilière ou d’effets

de commerce ou de tout autre effet obligatoire » ; d’autre part, l’article L. 122-8 du Code de la

consommation incrimine l’abus de faiblesse à l’occasion du démarchage à domicile73. Le

législateur rapproche cet abus de faiblesse de l’infraction d’escroquerie74 et, par conséquent,

du vice civiliste de dol. Cette infraction sanctionne l’agent qui use d’une persuasive

insistance. L’article précité du Code de la consommation réprime cet abus dans le cadre du

démarchage à domicile, lieu où le harcèlement est sans doute facilité. Cette infraction peut

utilement appuyer les cas de dol tel qu’ils ont été admis par la Cour d’appel de Colmar en

197075, affaire concernant une donation signée par une dame âgée au terme d’une nuit où elle

fut "chambrée" par les bénéficiaires de cette donation. Cette sombre affaire, comme les

affaires d’abus de faiblesse, sont proches du vice de violence morale. Mais il ne s’agit pas à

proprement parler de menace d’un mal plus grand en cas de refus de contracter. C’est

pourquoi il convient de rattacher ces comportements aux manœuvres destinées à obtenir le

consentement. Cette incrimination de l’abus de faiblesse rattachée à l’escroquerie tend même

à renforcer cette conception du dol suggérée par la Cour de Colmar de façon encore quelque

peu isolée.

Le droit civil est efficacement secondé par le droit pénal et des cas de dol très

variés peuvent encourir des sanctions pénales. En est-il de même pour la violence ?

B - Renfort du vice civiliste de violence.

41. Le vice du consentement dû à la violence, sanctionné par le Code civil

de façon aussi peu dissuasive que le dol, se voit opposer une répression plus énergique par le

71 Voir infra n° 101. 72 Article 313-4 du Code pénal ; voir infra n° 59. Sur cette infraction : W. Jeandidier, préc., n° 442. J. Larguier, P. Conte, préc., n° 475. Contre le rapprochement de cette infraction avec le dol en raison de l’absence de manœuvre : B. Belloir-Caux, Le délit d’abus de faiblesse ou d’ignorance : une protection excessive ?, Petites affiches 1993, n° 70, p. 19. 73 Voir notamment J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 146 et s. 74 L’article 313-4 du Code pénal est situé dans une section II intitulée « Des infractions voisines de l’escroquerie ». 75 CA Colmar, 30 janvier 1970, JCP 1971, II, 16609, note Y. Loussouarn ; D. 1970, p. 297, note Alfandari . Une affaire proche a été qualifiée d’abus de faiblesse par la chambre criminelle de la Cour de cassation : il s’agissait de vente à domicile de services de table ; la victime, âgée de soixante-dix ans et atteinte d’une cécité partielle, a cédé, épuisée par l’insistance des vendeurs (19 juin 1997, pourvoi n° 96-82. 191 ; voir aussi même date, Bull. crim. n° 70).

Page 18: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

47

droit pénal. Rappelons que c’est la crainte qui constitue le vice du consentement à proprement

parler ; la violence n’en est que l’origine76. Dès lors, en droit civil, c’est l’origine du vice du

consentement qui est considérée et examinée, beaucoup plus que le vice de consentement lui-

même, ce qui constitue un premier point commun avec le droit pénal : les infractions

décrivent un genre particulier de violence afin de le sanctionner. Il existe différents genres de

violences (1) qui tous doivent comporter certains caractères pour être sanctionnés (2).

1 – La nature des violences susceptibles de sanctions.

42. Selon certains auteurs, les articles 1111 à 1115 du Code civil ne traitent

que de la violence morale, de la « menace d’un mal qui fait naître un sentiment de crainte »77.

En effet, la violence physique directe dépasse la simple crainte mentionnée par l’article 1112

du Code civil. « La violence fait pression sur la volonté mais ne l’abolit pas »78. Dès lors, en

cas de telles violences physiques, il n’y a plus vice, mais inexistence du consentement qui

entraîne, non pas la nullité relative, mais la nullité absolue de la convention. Seules les

menaces de violences physiques pourraient être prises en considération dans le cadre de la

théorie des vices du consentement. Pourtant, comme chacun le sait, la jurisprudence et la

doctrine majoritaire ne s’en tiennent plus à ces distinctions79 : qu’elle soit physique ou morale,

la violence est sanctionnée en droit civil par la nullité relative de la convention.

Le droit pénal prend aussi en considération différents genres de violence. Ainsi,

les violences directes et physiques sont sanctionnées par les articles 222-7 et suivants du Code

pénal. Grâce à l’infraction d’extorsion80, ces violences physiques sont plus particulièrement

réprimées lorsqu’elles ont comme objectif l’obtention d’une signature, d’un engagement ou

d’une renonciation, … ou la remise d’un bien quelconque. Les violences morales trouvent,

elles aussi, maille à partir avec le droit pénal grâce à l’incrimination de menaces en tout genre.

Ainsi, les menaces de violences physiques peuvent constituer une contravention de troisième

classe81 et suffisent à caractériser l’extorsion dont la définition n’exige pas des violences

consommées. Les menaces de commettre un crime ou un délit sont elles aussi sanctionnées82.

Le chantage, incriminé par les articles 312-10 et suivants du Code pénal, concerne directement

le domaine contractuel puisqu’il sanctionne le fait d’obtenir une signature, un engagement, ...

grâce à une menace de diffamation qui constitue, elle aussi, une violence morale.

76 J. Carbonnier, Les obligations, préc., n° 43. J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 579. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 234. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Le contrat, préc., n° 476. 77 Définition de la violence par A. Breton, La notion de violence en tant que vice du consentement, thèse Caen 1925. 78 J. Carbonnier, préc., n° 43. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, préc., n° 478. 79 J. Ghestin, préc., n° 579 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 236. 80 Articles 312-1 et s. du Code pénal. R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial T. I, préc., n° 2292. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 108. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Infractions des et contre les particuliers, Dalloz Précis 1997, n° 151 et 157. 81 Article R. 623-1 du Code pénal. 82 Article 222-17 du Code pénal.

Page 19: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

48

Dès lors, toute violence, physique ou morale, peut éventuellement être prise en

considération et trouver sanction auprès de la juridiction pénale. Les situations de droit privé

les plus variées peuvent être envisagées en droit pénal. Par exemple, le volet "social" de la

violence civiliste est aujourd’hui relayé par le droit pénal. En effet, les juges civils

sanctionnent par la nullité pour violence, les contrats de travail désavantageux conclus dans la

nécessité83 et le nouveau Code pénal incrimine les conditions de travail ou d’hébergement

contraires à la dignité de la personne, imposées aux personnes vulnérables ou dépendantes84.

Cependant, le droit civil exige que la violence recouvre certains caractères pour entraîner

l’annulation du contrat. Ces mêmes caractères se retrouvent-ils en matière pénale ?

2 - Les caractères de la violence susceptible de sanctions.

43. Le droit civil sanctionne tout type de violence à deux conditions : la

violence doit être illégitime et suffisamment grave pour être déterminante du consentement85.

L’illégitimité s’entend des moyens employés ou des buts poursuivis : le créancier ne doit pas

se rendre coupable de « cupidité illégitime »86. Selon M. Ottenhof, cette même condition de

l’illégitimité est exigée en droit pénal87 : il est possible de menacer d’exercer un droit ou une

contrainte, à condition d’évoquer les moyens que donne la loi au créancier88 ; on est aussi

autorisé à se montrer menaçant, voire à se défendre physiquement en cas d’agression contre sa

personne ou contre ses biens89. Cependant, si cette exigence du caractère illégitime se retrouve

en droit pénal, il n’est pas nécessaire que ces violences aient été déterminantes de l’expression

d’un consentement pour être pénalement sanctionnées.

En droit civil, la violence doit être déterminante puisqu’elle n’est sanctionnée

que si la crainte éprouvée a, en raison de sa gravité, déterminé le consentement de la

victime90. Cette exigence ne semble pas se retrouver en matière pénale91. La juridiction pénale

sanctionne un comportement répréhensible plus que ses conséquences sur la victime. Que le

mobile - la conclusion d’une convention - n’ait pas été atteint n’empêche pas l’intervention

d’une sanction. Certes, le critère de la gravité est présent : les menaces prises en compte par le

droit pénal sont au moins aussi graves que celles susceptibles d’entraîner l’annulation d’un

83 Par exemple, Cass. soc., 5 juillet 1965, Bull. civ. IV n° 545. A l’occasion d’une démission, Cass. soc., 13 novembre 1986, JCP 1987, IV, p. 27. J. Ghestin, préc., n° 579. 84 Articles 225-13 à 225-16 du Code pénal. 85 J. Ghestin, préc., n° 587 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 237. 86 R. Ottenhof, Le droit pénal et la formation du contrat civil, Thèse LGDJ 1970, n° 73 et s. et la jurisprudence citée ; Par exemple, Cass. crim., 27 février 1908, S. 1909, I, 423. 87 R. Ottenhof, préc., n° 70 et s. 88 E. Garçon, Code pénal annoté, sous article 400, n° 61 et s., n° 89 et s. Ainsi, le chantage (article 312-10 du Code pénal, 400 de l’ancien Code) est exclu en cas de menace de recourir aux voies légales pour obtenir le paiement d’une dette (Cass. crim. 12 mars 1985, Bull. crim. n° 110, RTD civ. 1988, p. 129, obs. J. Mestre). 89 Articles 122-5 et suivants du Code pénal qui consacrent la légitime défense des biens. 90 Voir, par exemple, J. Carbonnier, Les obligations, préc., n° 43 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 241. J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 590. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Le contrat, préc., n° 489. 91 Contra : R. Ottenhof, préc., n° 63 et s.

Page 20: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

49

contrat. Mais que la victime ait finalement résisté et ait refusé de conclure n’empêchera pas la

culpabilité. Commençons par une lapalissade : la violence est pénalement sanctionnée

indépendamment de tout mobile d’ordre contractuel de la part de l’auteur. Ainsi, les violences

physiques ou menaces de violences sans mobile contractuel particulier sont incriminées. Il en

est de même pour certaines violences morales telles que les diffamations ou injures92. De

façon plus significative, les infractions mentionnant un mobile contractuel dans leurs éléments

constitutifs peuvent être sanctionnées en cas de simple tentative : c’est le cas de la tentative

d’extorsion ou de la tentative de chantage qui sont incriminées respectivement dans les

articles 312-9 et 312-12 du Code pénal. En de telles circonstances, des violences ou des

menaces ont été perpétrées contre la victime qui pourtant n’a pas accepté la signature,

engagement ou renonciation, etc. prévues aux articles 312-1 et 312-10 incriminant l’extorsion

et le chantage consommés.

44. Une question particulière s’est posée dans la jurisprudence civile : peut-

on envisager qu’une violence détermine le consentement d’une personne morale ? La

formulation de l’article 1112 ne semble recouvrir que la violence perpétrée à l’encontre d’une

personne physique : la violence doit « faire impression » ou provoquer une « crainte » qui

sont des sentiments ; l’article fait référence à « la personne raisonnable », à l’âge, au sexe,

tous critères qui supposent que l’on parle bien d’une personne physique. La jurisprudence n’a

admis la violence viciant le consentement d’une personne morale, que si cette violence avait

été exercée clairement à l’encontre de ses représentants - personnes physiques93. Les articles

1112 et suivants ne peuvent sanctionner des actes d’abus de puissance économique pouvant

être perpétrés entre sociétés contractantes.

Le droit pénal apporte ici son concours au droit civil, grâce à des infractions

telles que les violences ou séquestrations94. En outre, il complète le droit civil puisque des

violences à l’égard de personnes morales peuvent être réprimées. Ainsi, l’ordonnance du 1er

décembre 1986 sanctionne pénalement l’exploitation abusive par les entreprises d’une

position dominante, ou de l’état de dépendance dans lequel se trouve une entreprise cliente ou

92 Article R. 621-1 et R. 621-2 du Code pénal. 93 Cass. soc. 8 novembre 1984, Bull. civ. V, n° 423. des syndicalistes de la CFDT étaient montés à bord du navire Global Med, avaient empêché le travail de l’équipage, séquestré et menacé les officiers, jusqu’à ce que la société propriétaire du navire accepte d’adhérer à une réglementation du travail d’une fédération dite "ITF", de verser une cotisation à cet organisme et des suppléments de salaires aux membres de l’équipage. Les organisations firent grief à la cour d’appel d’avoir exigé le remboursement de ces sommes en raison de violences qui avaient vicié le consentement de la société, alors qu’il est impossible d’appliquer l’article 1112 à une personne morale. La Cour de cassation approuva pourtant la cour d’appel. Effectivement, cet article ne peut s’appliquer à une personne morale, ce que les juges du fond se sont bien gardés de faire : la Cour de cassation relève qu’ils n’ont pas parlé d’« abus de force économique », mais de « voie de fait » (La chambre commerciale avait exclu, le 20 mai 1980 (Bull. civ. IV, n° 212) que l’on invoque la violence en cas d’abus de force économique). C’est le consentement des « représentants légaux de la société, personnes physiques » qui est vicié par la violence. La violence n’est concevable à l’égard d’une personne morale que si elle est exercée à l’encontre des personnes physiques qui la représentent. 94 Pour un exemple de séquestration de chef d’entreprise traité par le droit pénal, voir Cass. crim. 18 mars 1980, jurisprudence sociale 1980, p. 434 ; 23 décembre 1986, JCP 1987 éd. E., I, 16746, p. 371, n° 11, obs. O. Godard.

Page 21: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

50

fournisseur, pouvant consister par exemple en la rupture de relations commerciales95. La

poursuite ne se fait que sur l’initiative du Conseil de la concurrence instauré par cette

ordonnance et sont encourues une peine d’emprisonnement de quatre ans et une amende de

500000 francs96. Les violences, conçues comme abus de puissance économique entre

personnes morales, sont ici sanctionnées dans le cadre des relations commerciales.

Est-ce une influence de ces textes à caractère pénal97 ? La jurisprudence civile

n’en est pas restée à son refus d’examiner la violence à l’égard des personnes morales elles-

mêmes et semble en passe d’admettre une extension du domaine des articles 1112 et suivants

du Code civil. En effet, dans un arrêt du 21 février 199598, les juges ont recherché si une

violence avait été perpétrée à l’encontre d’une personne morale partie au contrat. La célèbre

société de produits ménagers Saint-Marc se plaignait du comportement de la société DRT qui

menaçait de ne plus la fournir en matière première à défaut d’une clarification de leurs

relations contractuelles. Si les juges refusent d’admettre la violence au sens de l’article 1112,

ce n’est pas parce que la victime qui l’invoque est une personne morale ; c’est en raison de

son caractère légitime : le comportement menaçant de la DRT, décrit par le pourvoi comme

une contrainte morale laissant redouter un mal d’ordre pécuniaire, était légitime compte tenu

des circonstances. La cour d’appel a constaté cette légitimité, mais a aussi motivé sa décision

en constatant que le refus de vente n’était pas établi, ce qui permet de soupçonner une filiation

entre cette nouvelle conception de la violence au sens du Code civil et les lois à caractère

pénal destinées à préserver la libre concurrence.

Le dol comme la violence, sous leurs formes les plus variées, trouvent

sanctions auprès du droit pénal. En est-il de même pour l’erreur ?

C – Renfort du vice civiliste d’erreur.

45. L’erreur sera invoquée par le défendeur au procès pénal et non par la

victime, contrairement au dol ou à la violence. L’erreur ne peut être envisagée que comme

moyen de défense et non pour être sanctionnée. Ni ses composantes, ni son origine ne se

retrouveront dans les éléments matériels ou moraux d’une quelconque infraction. Faut-il pour

autant passer ce vice sous silence ici ? Les récentes évolutions du droit pénal général nous

incitent à quelques développements sur ce point.

Rappelons que ce vice du consentement, dont traite le Code civil dans l’article

1110, peut se définir comme une fausse représentation de la réalité. Seules sont opérantes en

droit civil les erreurs sur la qualité substantielle de la chose objet de la convention, l’erreur sur

95 Article 8 de l’ordonnance. 96 Article 17 de l’ordonnance. 97 Pour MM. B. Fages et J. Mestre, l’ordonnance dans son ensemble a fait évoluer l’acception de la violence « en donnant à la violence morale une place privilégiée » ; ils citent notamment les articles 36-3 et 36-4 de l’ordonnance. L’emprise du droit de la concurrence sur le contrat, in Colloque : droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998, p. 71, spéc. p. 78. 98 Cass. com., 21 février 1995, Bull. civ. IV, n° 50.

Page 22: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

51

la personne ou les erreurs dites « obstacles » portant sur la nature de la chose ou du contrat99.

Quelles sont les fausses représentations prises en compte par le droit pénal ? La distinction

classique entre l’erreur de fait (1) et l’erreur de droit (2) doit être reprise ici.

1 - L’erreur de fait.

46. Le droit pénal prend en considération l’erreur de fait100 qui peut se

définir comme une « erreur sur l’existence d’un fait ou dans l’appréciation d’une

situation »101. Les notions de dol éventuel ou de dol indéterminé102, imprudences graves,

pourraient être définies respectivement comme des erreurs de fait sur les chances d’éviter

l’infraction en cas de prise de risque délibérée, et comme une erreur sur l’évaluation du

dommage qui doit résulter d’un acte. Il s’agit donc ici d’erreurs sur les conséquences

dommageables d’un comportement, dont le résultat pénal, redouté par le législateur, n’a

cependant pas été désiré par l’agent. Il est difficile de rapprocher ces erreurs de fait de l’erreur

civiliste sur un des éléments de la convention et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les

erreurs au sens civil peuvent fort bien être commises par de « bon père de famille », alors que

ces erreurs de fait sont des imprudences confinant à la mise en danger d’autrui, dont ne

pourrait se rendre coupable l’homme précité. De plus, davantage que d’erreur d’appréciation

sur un élément d’une décision à prendre ou d’un acte à accomplir, il s’agit d’erreur sur les

conséquences de ces actes ou décisions. Enfin, cette erreur cause plus de dommage aux autres,

ici les victimes de l’infraction pour laquelle le prévenu est poursuivi, qu’à soi-même, comme

le fait une erreur civile. Enfin le juge pénal ne peut tenir compte de ce type d’imprudence pour

déclarer une éventuelle culpabilité indépendamment d’une disposition expresse d’un texte

d’incrimination, conformément à l’article 121-3 du Code pénal103.

D’autres erreurs de fait peuvent être commises en matière pénale, portant, non

plus sur le résultat dommageable d’un comportement et son ampleur, mais sur le caractère

illégal de ce comportement. L’illégalité peut être masquée ou rendue imprévisible par les

circonstances. Ainsi, un individu peut soustraire un objet qu’il croit lui appartenir : puisqu’il

n’a pas voulu soustraire la chose d’autrui, il ne peut être coupable de vol104. De même, un

médecin peut commettre une erreur de diagnostic et ainsi, mésestimer un danger encouru par

l’un de ses patients. Si cette erreur entraîne la mort de son client, le médecin ne pourra être

poursuivi pour omission de porter secours : il n’y a pas d’intention délictueuse puisque celle-

ci est gommée par l’erreur. Si l’on voulait rapprocher cette erreur pénale d’une notion

99 J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 490 et s. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 200 et s. J. Carbonnier, Les obligations, préc., n° 41 et 45. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Le contrat, préc., n° 402 et s. 100 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 438 et s. P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 393 et s. 101 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF 1998, V° Erreur. 102 Voir supra n° 37. 103 Modifié par la loi du 13 mai 1996. 104 Exemple cité par P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 394.

Page 23: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

52

civiliste, il s’agirait d’erreur obstacle quant au premier exemple. Le second exemple rejoint les

problèmes d’inexécution contractuelle. Rapprocher les notions d’erreur en droit pénal et civil

est une entreprise éminemment aléatoire. Quoi qu’il en soit, les juges répressifs utilisent cette

notion d’erreur avec beaucoup de circonspection : alors que des médecins ont pu arguer d’une

erreur de diagnostic, les juges ont retenu l’omission de porter secours car ils ont vu dans la

décision du prévenu « qui s’écarte avec trop d’évidence de celle qu’aurait prise dans les

mêmes circonstances un praticien normalement conscient de son devoir, la preuve de

l’intention coupable »105.

Par ailleurs, une erreur peut être commise lorsque l’agent se comporte sans la

vigilance requise car les apparences sont trompeuses. Il ne se trompe pas : il agit sans

vigilance, car il ne connaît pas tous les éléments de la réalité. L’erreur se situe alors davantage

sur le terrain de l’élément matériel que celui de l’élément moral106. Ainsi, un chasseur qui

avait tiré sur un gibier interdit de chasse a pu échapper à la sanction car il n’avait « ni connu ni

pu connaître l’animal sur lequel il faisait feu »107. Ce type d’erreur se rapprocherait davantage

de la notion d’erreur civiliste, puisqu’il s’agirait d’erreur sur la nature de l’objet ou sur la

personne victime de l’infraction. Mais la jurisprudence criminelle en tient compte très

rarement car les juges continuent de considérer ces fautes non pas au stade de l’élément

matériel, mais à l’examen de l’élément moral : ils considèrent que l’élément matériel est

présent et que l’erreur invoquée est une manifestation de l’imprudence incriminée par les

infractions considérées108.

Comme en matière de dol, le rapprochement des notions d’erreur en droit pénal

et en droit civil est hasardeuse et ne donne pas de résultat significatif, d’autant plus que le rôle

de l’erreur est très faible dans l’activité du juge répressif. L’étude de l’erreur de droit peut se

révéler plus fructueuse car le nouveau Code pénal en tient compte désormais.

2 - L’erreur de droit.

47. Le vice de l’erreur simple, non provoqué par une intervention extérieure

n’était pas pris en considération dans le droit pénal, jusqu’à l’avènement du nouveau Code

pénal. Si l’erreur de fait est peu opérante aux yeux du juge pénal et ne semble intéresser le

secteur contractuel que de façon très relative, l’erreur de droit est désormais prise en compte

par le droit pénal grâce à l’article 122-3 du nouveau Code. La présomption « Nemo censetur

ignorare legem » est devenue réfragable puisque la personne peut démontrer « avoir cru, par

une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir

105 Tribunal correctionnel de Béthune, 19 octobre 1950, JCP 1951, 5990, note Pageaud, cité par P. Conte et P. Maistre du Chambon, préc., n° 394. 106 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 396. 107 Cass. crim. 16 novembre 1866, S. 1867, 1, p. 344, cité par P. Conte et P. Maistre du Chambon, préc., n° 396. 108 Cass. 4 janvier 1973, GP 1973, 1, p. 380, cité par P. Conte et P. Maistre du Chambon, préc., n° 396.

Page 24: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

53

l’acte »109. Les auteurs s’accordent à affirmer que le domaine d’application de ce texte serait

cependant très limité110, malgré sa rédaction relativement imprécise quant aux circonstances

de l’erreur. En effet, un vaste champ d’application conduirait à rendre inefficace toute une

série de textes dit de droit pénal « artificiel » par certains111, comportant, il est vrai, un

caractère essentiellement réglementaire ou disciplinaire : citons à titre d’exemple les

infractions en matière d’urbanisme, de protection de l’environnement, le Code de la route, etc.

Il est possible de rapprocher cette notion d’erreur de droit du vice civiliste du

consentement entaché d’erreur dans l’hypothèse où l’un des contractants a donné son

consentement par erreur, l’autre contractant lui apportant la démonstration de la légalité de

son projet, autorisations administratives à l’appui. Pourtant, en matière contractuelle, cette

notion d’erreur de droit s’apparente beaucoup plus à des affaires d’illicéité de l’objet qu’à des

manifestations erronées de consentement. En outre, ce texte permet aux contractants ayant

conclu dans l’illégalité d’éviter les sanctions pénales ; il ne s’agit donc pas à proprement

parler de soutien de l’ordre public civil.

48. Le juge pénal est en mesure d’appuyer efficacement les sanctions

civilistes du dol, de la violence et, dans une faible mesure, de l’erreur. Cependant, sérier les

domaines d’action du juge pénal en fonction de critères civilistes classiques de la protection

du consentement est insuffisant car cela ne permet pas d’envisager l’ensemble du droit pénal

de la formation de la convention. De nombreuses infractions du Code de la consommation, du

travail, en matière médicale, etc. n’ont pu ici être envisagées. Le droit civil de la protection du

consentement s’est largement modifié grâce à l’expansion de l’ordre public de protection. Les

vices du consentement étaient jadis davantage un instrument de liberté contractuelle que de

protection. S’ils font aujourd’hui partie de l’ordre public de protection, ils ne le résument pas.

Le droit pénal des contrats se reconnaît peu dans les concepts classiques axés sur la liberté du

consentement et sa préservation ; il s’identifie davantage dans des préoccupations d’équilibre,

109 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., 3ème éd., n° 398. 110 Par exemple, G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 434. J. Pradel, Le nouveau Code pénal, partie générale, ALD 1993, commentaire légilatif, p. 163, n° 44 ; P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 397 ; F. Desportes et F. Le Gunehec, Présentation des dispositions du nouveau Code pénal, JCP 1992, I, 3615, n° 35. Cet article 122-3 pourrait jouer tout d’abord en cas de défaut de publication d’un texte normatif, voire en cas de publication extrêmement récente d’une règle pénale trop précise ou particulière pour toucher le grand public. Jusqu’alors, grâce à un décret du 5 novembre 1870, seules les contraventions pouvaient être méconnues, pendant trois jours francs à compter du texte (G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 435 ; P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 382). L’article 122-3 du Code pénal permettra sans doute d’élargir, dans l’esprit, cette disposition. L’erreur de droit pourrait aussi être invoquée lorsque, interrogée préalablement, l’autorité administrative, fournit une information erronée qui conduit à la commission de l’infraction. « Les juges devront tenir compte de la culture juridique du prévenu, de la qualité de l’agent ayant donné la réponse (son degré d’autonomie, son pouvoir de décision), voire de l’importance du point de droit (sa modicité pouvant s’accompagner de la décision d’un subalterne, sa grande importance imposant la décision d’un chef de service ou même du ministre) » (J. Pradel, préc., n° 45). Cependant, l’erreur n’est pas admise si la consultation de juristes qualifiés aurait permis de l’éviter (Cass. crim. 5 mars 1997 et 19 mars 1997, Droit pénal 1997, n° 107 ; 19 mars 1997, JCP 1998, II, 10095, note O. Fardoux). 111 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 397. En ce sens, par exemple, G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 43.

Page 25: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

54

de protection, et contribue ainsi à modifier les schémas contemporains de formation du

contrat.

Paragraphe 2 - Le juge pénal et la protection contemporaine du consentement.

49. Le droit contemporain aspire à l’équilibre du contrat112 et de

nombreuses dispositions assorties de sanctions pénales rejoignent ces préoccupations.

Cependant, on peut douter que le législateur veuille réellement protéger la personne en raison

de sa qualité de contractant : les infractions qui tendent à protéger le consentement

n’appartiennent pas toutes à la branche contractuelle du droit pénal. Prenons l’exemple du

traitement d’informations dans des fichiers informatiques qui a fait son entrée dans le nouveau

Code pénal. L’article 226-19 fait référence à l’exigence du consentement de l’intéressé sur les

données le concernant113. Cette infraction vise la protection de la vie privée plutôt que le droit

des contrats. De façon plus générale, lorsque le législateur protège pénalement les personnes,

particulièrement leur consentement, il défend souvent la loyauté et la confiance, ce qui

dépasse les préoccupations exclusivement contractuelles.

Pourtant, de nombreuses sanctions pénales appuient des dispositions à caractère

contractuel apparues en même temps que le droit privé contractuel qui leur correspond,

comme on l’observe en droit de la consommation. C’est même la nécessité de sanctions

pénales qui a orienté le droit des contrats ces dernières décennies : le droit pénal n’est pas

venu se greffer sur un droit privé contractuel préexistant. Les contrats ne sont certes pas

centraux en droit pénal, mais les préoccupations de loyauté et de confiance sont majeures en

droit des contrats.

Le droit pénal des contrats affiche même des objectifs spécifiques qui tendent à

modifier considérablement l’étude classique de la formation du contrat. L’autonomie de la

volonté ne suffit pas à fonder le contrat et connaît un butoir : l’équilibre entre les contractants.

Certains contractants, particulièrement vulnérables, méritent une protection renforcée et le

droit pénal interdit qu’une simple expression du consentement à un moment donné les

enchaîne inexorablement : le juge peut tenir compte d’un état de faiblesse du contractant et

même de son inconstance. La formation du contrat n’est plus liée uniquement à l’expression

des consentements mais à l’équilibre des parties et la convention ne sera correctement et

définitivement formée que si cet équilibre est assuré, de façon suffisamment durable. Comme

ont pu le souligner Mme Berlioz-Houin et M. Berlioz, « on assiste à la naissance d’un droit

de catégories professionnelles où la formation comme l’exécution des contrats sont définies

non pas par un ensemble de règles objectives, mais en fonction de considérations subjectives

112 Voir supra n° 10 et s. 113 « Le fait, hors des cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans l’accord exprès de l’intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les mœurs des personnes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 2 000 000 francs d’amende »

Page 26: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

55

tenant à la personnalité des contractants »114. Il convient de rechercher plus précisément

quels sont les contractants que la loi pénale contribue à protéger (A). Les défauts entachant le

consentement, susceptibles d’être pris en compte par le juge pénal, protègent toujours ces

contractants faibles et sont le reflet de l’évolution profonde des fondements de la force

obligatoire (B).

A - Les contractants protégés.

50. Il apparaît que l’un des critères essentiels de l’intervention du droit

privé contemporain des conventions est l’état de faiblesse ou de dépendance économique d’un

des contractants, notion vague, « ferment révolutionnaire »115 selon certains qui voient dans

ces expressions un risque « de subversion des concepts juridiques par des standards

économiques, peu propices au maintien d’une véritable sécurité juridique »116. Il est vrai qu’il

n’y a qu’un pas entre la simple influence, la capacité de persuasion d’une personne sur une

autre, inhérentes à toute relation humaine, et le pouvoir manipulateur que peut s’arroger l’un

des contractants sur l’autre. Dès lors, ce déséquilibre plus ou moins flagrant se rencontre dans

tous les types de relations contractuelles et ses excès sont pris en compte dans toutes les

branches du droit des contrats.

51. Le droit du travail a pour objectif essentiel le rééquilibrage du contrat

de travail au profit du salarié puisque cette discipline « est née de l’inégalité qui est au cœur

des relations du travail »117. Et puisque « le droit du travail constate que les salariés ne

peuvent équilibrer le pouvoir du capital que par des actions collectives suivies de négociation

collective ... »118, le Code du travail contient de nombreuses dispositions destinées à assurer la

formation de telles conventions collectives et leur application. Le droit pénal relaie souvent

les sanctions de droit privé : le Code du travail contient de nombreuses dispositions

répressives destinées à assurer la conclusion d’un contrat de travail dans des conditions

décentes119. Le contractant protégé contre un employeur peu scrupuleux peut être le simple

114 B. Berlioz-Houin, G. Berlioz, Le droit des contrats face à l’évolution économique, Mélanges R. Houin, Dalloz 1985, p. 32. 115 J. Mestre, obs. RTD civ. 1989, p. 538. 116 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 240. Expression utilisée aussi par A. Pirovano et M. Salah, L’abus de dépendance économique : une notion subversive ?, Petites affiches 1990, n° 114, p. 4. 117 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, Dalloz Précis, 1996, 18ème éd., p. 32, n° 45. Voir aussi A. Jeammaud, Justice et économie : et le social ?, in Justice et économie, Justices n° 1, 1995, p. 107, spéc. p. 108 : « Le social s’entend d’une famille de valeurs, objectifs, critères de choix (la solidarité, la justice distributive, la promotion de la personne, la négociation), mais aussi actions et normes juridiques, qui prétendent réaliser un certain équilibre, dans la répartition et la production des richesses, entre les individus ou groupes rendus inégaux, sur le plan des revenus comme du pouvoir, par les mécanismes de l’économie capitaliste ». Sur l’absence d’autonomie de la volonté dans le contrat de travail, A. Supiot, Le juge et le droit du travail, thèse Bordeaux I, 1979, p. 104 et s. 118 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, préc., p. 8, n° 10. A. Jeammaud, M. Le Friant, A. Lyon-Caen, L’ordonnancement des relations de travail, D. 1998, chron, p. 359, spéc. n° 22 et s. 119 Pour un panorama de ces infractions, voir notamment C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière-Schiele, Droit pénal du travail, Dalloz 1997 ; A. Cœuret, E. Fortis, Droit pénal du travail, Litec 1998.

Page 27: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

56

salarié, mais aussi le groupe de salariés. Les sanctions pénales concernent non seulement le

contrat de travail classique, mais aussi les conventions collectives : par exemple, l’employeur

est soumis à une obligation de négocier de tels accords concernant la rémunération et le temps

de travail et, tout particulièrement, de répondre aux sollicitations des groupements

syndicaux120. Les dispositions pénales du Code du travail protègent le salarié, cette simple

qualité suffisant à caractériser une faiblesse digne de protection.

Cependant l’état de faiblesse doit parfois être plus marqué et correspondre à

une situation particulière de la personne. Les articles 225-13 à 225-16 du Code pénal

répriment le fait d’obtenir des services insuffisamment rétribués ou de soumettre la personne à

des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La seule

qualité de salarié n’est pas suffisante : ces sanctions pénales ne sont encourues que si ces

conditions de travail sont imposées à une personne « vulnérable » ou en « situation de

dépendance ». La circulaire du 14 mai 1993 précise que cette dépendance peut être

« notamment » économique et que cette formulation générale vise tout particulièrement

l’exploitation des personnes immigrées en situation irrégulière. Cet état de particulière

vulnérabilité est indispensable puisque la seule constatation d’une rémunération inférieure au

SMIC121 ou toute autre infraction à la réglementation du travail, ne suffit pas à constituer

l’infraction.

52. Le droit de la concurrence tend à promouvoir une organisation sociale

qui nécessite, pour son bon fonctionnement un certain nombre de conditions : « l’autonomie

des acteurs, la liberté d’accès aux marchés, la transparence de l’offre, l’absence de

discrimination abusive, l’absence de tromperies, l’identification des biens et des services

échangés et la clarté dans les conditions de leur rémunération »122. Le droit pénal intervient

de façon limitée, essentiellement pour protéger une autre catégorie de contractants faibles :

l’ordonnance du 1er décembre 1986 sanctionne pénalement les pratiques anticoncurrentielles

menées par des entreprises qui exploitent une situation de « position dominante » ou profitent

de « l’état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou

fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente »123. Le texte ne précise pas les critères

d’évaluation du déséquilibre entre l’entreprise en état de faiblesse et celle qui la domine. La

comparaison des deux entreprises par leurs chiffres d’affaires ne suffit pas124 : l’état de

dépendance se mesure aussi par l’influence de chacune sur le marché 125. La jurisprudence a 120 Articles L. 132-27 et s. du Code du travail. 121 Salaire minimum interprofessionnel de croissance ; le SMIC horaire s’élève à 40,22 francs au 1er juillet 1998. 122 C. Babusiaux, La répression et le contrôle administratif de la régulation concurrentielle, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Colloque Dalloz 1997, p. 113, spéc. p. 115. Cet auteur ajoute que le droit s’interpose pour empêcher tout obstacle à la concurrence tels que « La disparition des incitations à accroître la productivité, la constitution de rentes, la stérilisation de capacités nouvelles, l’abaissement de la compétitivité nationale ou de l’innovation, l’insatisfaction des consommateurs » 123 Articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, pénalement sanctionnés par l’article 17. 124 Cass. com. 28 janvier 1992, Bull. civ. IV, n° 50 ; D. 1995, p. 538. 125 W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 344 : Il convient de mesurer « l’importance de la part de marché détenue par l’entreprise en cause, sa progression sur le marché, l’appartenance à une entente, les

Page 28: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

57

pu préciser que la notion de position dominante « suppose que l’entreprise considérée occupe

sur le marché une place prépondérante que lui assure notamment l’importance des parts

qu’elle détient dans celui-ci, la disproportion entre celle-ci et celles de l’entreprise

concurrente, comme éventuellement son statut et ses modes d’action commerciale »126. M.

Virassamy, dans sa thèse, retient qu’il y a état de dépendance en droit du travail lorsque

« l’ouvrier appuie sur son maître son travail et son existence tandis que l’entrepreneur ne

compte que sur lui-même » ; les critères sont les suivants : il n’y a dépendance économique

que s’il est établi entre eux une relation contractuelle, si ces liens contractuels présentent une

réelle importance pour la survie de l’assujetti, et s’ils ont une certaine permanence ou

régularité127.

53. Quant au consommateur128, il est tellement protégé dans le Code qui

lui est consacré que des auteurs se demandent si l’on peut encore parler d’authentique

consentement au contrat129. Le rôle désormais dévolu à la volonté semble être en réalité anti-

contractuel puisque les seules latitudes qui lui sont concédées sont de refuser le contrat après

un temps de réflexion130. Consommer serait-il devenu si périlleux ? En fait, c’est bien plus la

dégradation de l’image du consommateur qui motive ces textes. Celui-ci est considéré comme

« un individu impuissant à résister aux sollicitations trop habiles ou trop pressantes, ou aux

abus de puissance économiques, et inapte à apprécier sainement ses besoins, à en

proportionner la satisfaction à l’étendue de ses ressources, à mesurer la portée de ses

engagements. Bref, un personnage incapable d’un calcul économique, d’un choix libre et

éclairé, d’une décision mûrie et que l’on doit protéger non seulement contre autrui mais aussi

contre lui-même. »131 Cette surprotection des contractants qui les ravalent au rang de

perpétuels incapables est souvent critiquée. Cette impression est confirmée par l’article 313-4

du nouveau Code pénal qui réunit dans un même texte l’article 406 de l’ancien Code pénal,

incriminant l’abus des besoins, des faiblesses ou des passions d’un mineur pour lui faire

souscrire à son préjudice des obligations, et le texte sur l’abus de faiblesse consacré aux

majeurs. Cette incrimination permet pourtant de renforcer la protection de personnes

avantages financiers dont dispose l’entreprise ». Contra : Y. Guyon, Rapport de synthèse, colloque Droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998, p. 121, spéc. p. 127. 126 CA Paris, 17 octobre 1990, D. 1990, IR 273 ; 7 juillet 1995, GP 1995, 2, somm. p. 489. 127 G.-J. Virassamy, Les contrats de dépendance. Essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, LGDJ 1986, n° 185 et s. Cette définition, élargie à toute situation de dépendance, a comme origine la définition de dépendance du salarié donnée en droit du travail par P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. Hebd. 1932, p. 101. 128 Sur cette notion, voir infra n° 266 et s. 129 Par exemple, D. Ferrier , Les dispositions d’ordre public visant à préserver la réflexion des contractants, D. 1980, chron p. 177 ; R. Baillod, Le droit de repentir, RTD civ. 1984, p. 227. 130 Dès 1894, Huc proposait l’idée selon laquelle la véritable autonomie de la volonté résidait moins dans le pouvoir de s’obliger que dans celui de se soustraire à une obligation ; Commentaire théorique et pratique du Code civil, 1894, 132. 131 G. Rouhette, Droit de la consommation et théorie générale du contrat, Etudes offertes à René Rodière, D. 1981, p. 247 et s, n° 10.

Page 29: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

58

particulièrement vulnérables et dignes d’attention, telles que des personnes âgées132, des

chômeurs qui souffrent de problèmes pécuniaires, de manque d’expérience et d’isolement133,

des personnes au faible niveau d’instruction, malades ou infirmes134. Le législateur protège

certes, mais ne fulmine des sanctions pénales que pour défendre ces personnes face à des

vendeurs « gangstérisés »135.

54. Le milieu des affaires, si cette vague qualification peut être retenue,

n’est pas le seul à multiplier les conventions en mal d’équilibre. Il est ainsi possible de trouver

des contractants protégés dans le domaine médical, puisque le consentement du patient au

contrat de soins est une exigence, certes inhérente à la qualification de convention, mais aussi

rappelée par le Code de déontologie médicale dans son article 36 : « Le consentement de la

personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en

état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit

respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences... ». La nécessité du

consentement est encore rappelée en matière de prélèvement d’organe, d’interruption de

grossesse,... afin que le corps humain ne soit jamais considéré dans sa seule dimension

biologique136. Les sanctions disciplinaires sont relayées par d’énergiques dispositions

pénales137. Certaines incriminations peuvent être invoquées alors qu’elles ne se rattachent pas

spécifiquement à l’activité médicale. Ainsi, une intervention médicale sans consentement

pourrait être qualifiée de violence, s’il y a atteinte à l’intégrité du corps humain ou de non-

assistance à personne en péril. Ces infractions constituent un appui persuasif de plusieurs

articles du Code de déontologie médicale138 : l’article 10 rappelle que les personnes privées de

liberté bénéficient du même droit à l’intégrité de leur personne et au secours en cas de

mauvais traitements ; l’article 9, plus général, exige la diligence du médecin à toute personne

malade, blessée ou en péril. Il existe aussi des incriminations spéciales qui sanctionnent tout

particulièrement l’absence de consentement à certains actes médicaux particuliers139. Notons 132 En application de l’article L. 122-8 du Code de la consommation : Cass. crim. 19 juin 1997, pourvoi n° 96-82.191; autre arrêt, même date, Bull. crim. n° 70. 133 En application de l’article L. 122-8 du Code de la consommation : Tribunal correctionnel d’Albi, 11 juillet 1985, GP, 2, 1985, J, p.588, note J.-P. D. Cass. crim. 3 juillet 1991, Droit pénal 1992, 12 ; 19 février 1997, Bull. crim. n° 70. 134 B. Belloir-Caux, Le délit d’abus de faiblesse ou d’ignorance : une protection excessive ?, Petites affiches 1993, n° 70, p. 19 135 Pour reprendre une expression de M. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 442. 136 D. Thouvenin, La personne et son corps : un sujet humain, pas un individu biologique, in Bioéthique : Les lois du 29 juillet 1994, Petites affiches 1994, n° 149 (n° spécial), p. 25. 137 Voir notamment B. Py, Recherche sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse Nancy 1990, p. 369 et s. ; R. Nerson, Le respect par le médecin de la volonté du malade, Mélanges Marty, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 853 ; A. Giudicelli , Le droit pénal de la bioéthique, Petites affiches 1994, n° 19 consacré à la bioéthique, p. 79. 138 Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 (JO 8 septembre 1995). 139 Ainsi, en matière de recherches biomédicales, l’absence de consentement (Dont les modalités sont précisées aux articles L.209-9 et L.209-10 du Code de la santé publique) est incriminée par l’article 223-8 du Code pénal ; il en est de même de l’interruption volontaire de grossesse, avec l’article 223-10. L’éventail des protections pénales est longtemps demeuré limité (J.-H. Robert, Les techniques biomédicales en face du droit pénal, in Droit et science, APD T. 36, Sirey 1991, p. 71), mais s’étend peu à peu. Ainsi, des lois récentes créent des incriminations tendant à la protection de l’identification génétique (Article 226-25 du Code pénal, loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance

Page 30: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

59

enfin que la notion de patient doit s’entendre au sens large : il est « l’usager des services de

soins de santé qu’il soit sain ou malade »140. L’état de faiblesse ne vient pas de la maladie,

mais de la simple infériorité « technique » du patient face au médecin.

Le déséquilibre entre contractants est extrêmement fréquent. Il donne lieu à de

multiples dispositions de droit privé destinées à protéger le consentement du contractant

faible, souvent relayées par le droit pénal. Ces dispositions, de forte résonance en raison de la

sanction qui les accompagnent, tendent à infléchir les fonctions classiques du droit des

conventions.

B - Le consentement protégé.

55. Le droit contemporain des conventions ne se contente plus de vérifier la

seule intégrité du consentement et de garantir ainsi la liberté contractuelle. Les préoccupations

de l’ordre public de protection ont envahi le contrat en formation et les défauts du

consentement sont désormais plus largement définis. Lorsque le Code civil examine l’intégrité

du consentement, il tient compte de défauts imputables au contractant lui-même - l’erreur - ou

ayant pour origine une intervention extérieure, en général celle du cocontractant - le dol ou la

violence. Lorsque le droit contemporain déploie l’arsenal législatif pour protéger le

consentement, il recherche encore l’intervention malveillante du cocontractant en traquant ses

abus (1) et oblige le cocontractant fort à se soumettre aux changements d’avis du contractant

faible : la disparition du consentement du faible est admise et pénalement défendue (2).

1 – L’abus d’état de faiblesse.

56. Par abus d’état de faiblesse, nous entendons ici le fait de profiter de la

faiblesse du partenaire pour en retirer des avantages indus, la convention déséquilibrée qui en

résulte se traduisant en général par des obligations disproportionnées, qu’elles soient

avantageuses pour l’« abuseur » ou que le contractant faible soit spolié. L’infériorité d’un des

contractants devient une préoccupation majeure du droit privé (a) et l’abus connaît une

importante traduction en matière pénale (b).

médicale à la procréation et au diagnostic prénatal), des embryons humains contre un trafic éventuel (Articles L. 152-1 et s. du Code de la santé publique, loi de 1994 préc), des produits humains, en particulier sanguins (Articles L. 666-4 et s. du Code de la santé publique instaurés par la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993), etc. Notons cependant que l’embryon ne bénéficie pas de protection directe puisque seul un projet parental lui octroie un début d’humanité potentielle (Voir les articles L. 152-1 et s. du Code de la santé publique et, notamment, D. Vigneau, Dessine-moi un embryon, in Bioéthique : Les lois du 29 juillet 1994, Petites affiches 1994, n° 149 (n° spécial), p. 62. Memeteau, L’embryon législatif, D. 1994, chron p. 355) ; ce sont donc les parent qui sont protégés : les cocontractants). 140 Définition donnée par la Déclaration du Conseil de l’Europe sur la promotion des droits des patients en Europe, 1994. Voir H. Scicluna, Droits des patients dans les textes du Conseil de l’Europe, in La situation juridique des patients, Petites affiches 1997, n° 61 (n° spécial), p. 31.

Page 31: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

60

a – L’abus de faiblesse, préoccupation majeure du droit privé des conventions.

57. On aurait pu croire la notion d’abus réservée aux systèmes juridiques

anglo-saxon, pragmatiques, attribuant aux juges une mission confinant à la réglementation :

celle de préciser le contenu de la loi141. Mais l’ampleur des déséquilibres entre contractants

devient difficilement contrôlable en raison de leur nouveauté et de leur constante évolution.

Le système de protection du consentement, traditionnellement cartésien, revêt aujourd’hui des

aspects très pragmatiques, encouragé en cela par les interventions répétées du droit européen,

lui-même sous l’influence du droit anglo-saxon. Ses orientations sont quelque peu

désordonnées et souvent guidées par l’opportunisme : les branches du droit et les règles

particulières se multiplient. Il devient, dès lors, malaisé de définir des critères précis

d’intervention du droit contractuel privé142. Le juge pénal intervient lorsque le défaut du

consentement a pour origine un comportement qui correspond aux éléments matériels et

moraux d’une infraction143. L’objectif, voire le fondement de la convention contemporaine,

est sans doute son caractère juste et équilibré144. En matière de protection du consentement,

cette notion se traduit par le souci d’éviter de donner efficacité à un consentement incertain

donné par le contractant en état de faiblesse. Les critères en lice sont alors ceux de l’abus, ou

sa manifestation psychologique, la mauvaise foi, difficilement quantifiables, mais qui

connaissent un franc succès dans les textes de loi ou dans la jurisprudence de droit privé.

Ainsi, l’article L. 132-1 du Code de la consommation répute non écrites les

clauses « abusives », définies comme créant un déséquilibre significatif au détriment du

consommateur et, avant la réforme de 1995, devant, en plus, être imposées par un « abus » de

puissance économique145. Ce dernier critère fut supprimé : tant qu’à être vague dans la

définition des clauses abusives, autant l’être complètement. Si ces clauses devaient être à

l’origine clairement et précisément énumérées par le Conseil d’Etat, le juge est aujourd’hui

« émancipé » de toute prescription légale et décide librement du caractère abusif d’une

clause146. Rapprocher cette notion des catégories du droit classique est difficile. Ainsi, il n’est

guère possible de parler de violence : il n’y a aucune crainte d’un danger de la part de celui

141 Sur ces différences entre les traditions romano-germaniques et anglo-saxonne, voir, par exemple M. Delmas-Marty , Pour un droit commun, Seuil 1994, p. 77 et s. 142 Sur les règles aux notions indéterminées, M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, préc., p. 121 et s, qui évoque par exemple les notions d’équité, d’homme raisonnable, de délai raisonnable, l’expression « manifestement disproportionné », etc. Voir aussi D. Ferrier , Les apports des décisions du 1er décembre 1995 au droit des obligations, in La détermination du prix, RTD com. 1997, p. 49, spéc. p. 59. 143 Voir supra n° 31. 144 Voir supra n° 10 et s. 145 J. Huet, Propos amers sur la directive du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives, JCP éd. E. 1994, 309. J. Ghestin, I. Marchessaux-Van Melle, L’application en France de la directive visant à éliminer les clauses abusives après l’adoption de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, JCP 1995, I, 3854. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 305 et s. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrat, préc., n° 655 et s. J. Flour, J.-L. Aubert , Les obligations, préc., n° 193 et s. J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 162 et s. 146 Cass. 1re civ., 14 mai 1991, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 1991, p.449, note J. Ghestin ; RTD civ. 1991, 526, obs. Mestre, jurisprudence confortée par la nouvelle formulation de l’article L. 132-1, issue de la loi n° 95-96 du 1er février 1995.

Page 32: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

61

qui consent à cette clause. Un rapprochement avec le dol est aussi à écarter, puisque rien dans

le texte ne fait penser à des manœuvres ou des réticences destinées à extorquer le

consentement. Il s’agit bien d’un déséquilibre des prestations contractuelles, passé inaperçu

aux yeux de la victime au moment de la formation du contrat ou qui n’a pu être refusé, face à

un interlocuteur intimidant ou trop assuré. Le rapprochement avec la lésion est le seul

possible si cette clause impose une obligation trop lourde au contractant qui la subit, au regard

des obligations demeurant à la charge de celui qui l’impose. Il faut alors considérer que la

définition de la lésion a évolué. Si le Code civil originel ne traitait que des déséquilibres

monétaires entre les obligations, le domaine de la lésion s’élargit et correspond mieux à la

définition générale qui lui est donnée par M. Carbonnier : « défaut d’équivalence objective

entre les prestations »147.

58. La jurisprudence favorise, elle aussi, les notions proches de l’abus. Le

débat majeur du début des années 1990 en droit civil fut incontestablement celui de

l’indétermination du prix148. Or, bien plus que de prix indéterminé, ce qui posait problème

était l’abus dans la fixation du prix, comme l’attestent définitivement les arrêts d’Assemblée

plénière du 1er décembre 1995149 : ces décisions abandonnent en matière de prix l’application

de l’article 1129 du Code civil qui exige un objet déterminé, disposition auparavant appliquée

au prix qui devait être déterminé dès le premier volet des contrats à exécution successive. Les

juges n’envisagent plus que la sanction d’un « abus dans la fixation du prix » lors des contrats

d’exécution, le prix pouvant rester vague dans le contrat cadre et à l’arbitraire du seul

fournisseur150. Cette notion d’abus fonde le contrôle du juge sur l’équilibre du contrat151.

Nous pouvons encore relever l’exemple de la notion de cause, qui semble être

utilisée aujourd’hui pour rétablir l’équilibre entre les prestations contractuelles152, ou la notion

147 J. Carbonnier, Les obligations, préc., n° 44. 148 Voir notamment M.-A. Frison-Roche, L’indétermination du prix, RTD civ. 1992, p. 270. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 274 et s. ; B. Starck, H. Roland, L. Boyer, préc., n° 514 et s ; J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 704 à 759. Colloque : La détermination du prix : nouveaux enjeux un an après les arrêts de l’Assemblée plénière, RTD com. 1997 n° 1. 149 Cass. Ass. plen., 1er décembre 1995 (4 arrêts), GP 9 décembre 1995, note P. de Fontbressin ; JCP 1995, II, 22565, concl. Jéol, note J. Ghestin ; JCP 1996, éd. E., II, 776, note Leveneur ; JCP éd. N., I, 93, obs. D. Boulanger ; D. 1996, p. 13, note Aynès ; Petites affiches, 27 décembre 1995, n° 155, p. 11, note D. Bureau et N. Molfessis ; RTD civ. 1996 p. 153 obs. J. Mestre ; Defrénois 1996, p. 748, obs. Delebecque. 150 Cependant, il est possible de se demander si telle n’était pas déjà la préoccupation des juges qui appliquaient l’article 1129 du Code civil. En effet, dès 1978, lorsqu’ils décidèrent de l’application de cet article, la simple constatation que la libre négociabilité suffisait à conclure que le prix était « déterminable ». Exiger que le prix futur ne dépende pas de l’arbitraire du fournisseur revient à éviter une attitude abusive de sa part. De plus, les célèbres arrêts de revirement de Cass. 1re civ., 29 novembre 1994 (D. 1995, p. 122, note Aynès, JCP 1995, II, 22371, note Ghestin, Defrénois 1994, 335, obs. Delebecque) considèrent l’article 1129 respecté même si le contrat cadre prévoit une détermination arbitraire du prix : la référence à un tarif. Ce qui doit être examiné, c’est l’absence de mauvaise foi, d’abus, lors de la détermination ultérieure du prix par le fournisseur. Sur cette notion d’abus, voir notamment C. Jamin, Réseaux intégrés de distribution : de l’abus dans la détermination du prix au contrôle des pratiques abusives, JCP 1996, I, 3959 et Les apports au droit des contrats-cadre, RTD com. 1997, p. 19. 151 C. Bourgeon, Les apports économique des décisions du 1er décembre 1995, RTD com. 1997, p. 7, spéc. p. 15. 152 Par exemple, J. Mestre, RTD civ. 1987 p. 750, au sujet de l’arrêt Cass. 1re civ., 16 décembre 1986 (Bull. civ. I, n° 301). J. Ghestin, La formation du contrat, préc., n° 878, ainsi que l’exposé des thèses de Capitant (n° 830)

Page 33: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

62

de dol, dont l’élément moral tend à être défini au regard de la notion générale de bonne foi et

non plus par l’intention de tromper153, ou la violence qui est conçue plus largement et permet

même de sanctionner des abus commis contre des personnes morales154. Le législateur

cherche à ce que l’activité contractuelle se déroule dans un climat de confiance et traduit cette

préoccupation dans des incriminations pénales. Il est difficile de rattacher ces infractions aux

notions classiques du droit des contrats, rattachement d’autant plus vain que ces notions

classiques elles-mêmes sont utilisées à l’aune de ces nouvelles préoccupations.

b - De nombreuses incriminations de l’abus de faiblesse.

59. L’abus de faiblesse est ici entendu largement. Celui-ci est constitutif

d’infractions précises, incriminées dans le Code de la consommation ou le Code pénal155. Il

existe cependant de nombreuses incriminations qui sanctionnent le fait de profiter de la

faiblesse de son cocontractant. Certaines infractions peuvent être rapprochées des notions

classiques de vices du consentement : l’infraction d’abus de faiblesse est comparable au dol156

et l’abus de l’état de dépendance économique mentionné à l’article 8 de l’ordonnance du 1er

décembre 1986 a pu être rapprochée de la violence157. Mais ces rapprochements ne sont guère

significatifs, d’autant plus que l’ascendant de ces notions classiques diminue dans le droit

privé des conventions. En réalité, ces infractions ont toutes ce même objectif général de

protéger le consentement du contractant en état de faiblesse et d’empêcher le contractant

dominant d’obtenir indûment une convention à caractère déséquilibré. L’exposé de ces

infractions ne sera certes pas exhaustif : nous mentionnerons quelques exemples, parmi les

infractions classiques qui se sont adaptées à ces nouvelles préoccupations (α), puis parmi les

textes récents qui illustrent un mouvement d’ensemble, quasi-militant, en faveur du faible et

de sa liberté, de l’équité et de l’équilibre (β).

α - Les infractions traditionnelles.

60. L’infraction d’escroquerie est susceptible de relayer au plan pénal

certains cas de dol. Il convient cependant de remarquer que l’objectif originel de cette

infraction n’est pas, à proprement parler, de protéger le consentement ou la liberté

contractuelle. Cette infraction de l’article 405 de l’ancien Code pénal tendait à la protection de

la propriété puisqu’elle appartenait à un chapitre intitulé comme tel. La formulation donnée

et de Maury (n° 832). Plus récemment : Cass. 1re civ., 3 juillet 1996, Bull. civ. I, n° 286, RTD civ. 1997, p. 903, obs. J. Mestre. 153 Voir supra n° 12 dans notre introduction. 154 Voir supra n° 44. 155 Article 313-4 du Code pénal ou article L. 122-8 du Code de la consommation qui incrimine l’abus de faiblesse dans le cadre du démarchage à domicile. 156 Voir supra n° 40. 157 Voir supra n° 44.

Page 34: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

63

par le nouveau Code pénal modifie la nature même de cette infraction, confirmant d’ailleurs

de précédentes orientations jurisprudentielles favorables à la prise en compte d’intérêts

contractuels158. Le juge pénal a contribué largement à cette évolution.

Des auteurs doutaient que l’on puisse escroquer autre chose qu’un objet

matériel, en se référant à la liste d’objets proposée par l’article 405 du Code pénal. Escroquer

un contrat était donc impossible, exception faite de l’instrumentum159. Mais, les juridictions

répressives ont admis que le contrat puisse être l’enjeu de l’infraction : si les manœuvres

avaient été déterminantes, non de la remise d’un document opérant obligation, mais seulement

d’un consentement à une obligation, l’escroquerie était constituée160. Le juge pénal se

préoccupait bien de la conclusion de l’acte puisqu’il relevait que les remises n’avaient pas été

« librement consenties »161. L’article 313-1 du nouveau Code pénal redéfinit l’infraction de

façon large162 et consacre cet élargissement jurisprudentiel en favorisant la prise en compte de

situations contractuelles de toutes sortes. Le texte dispose : « L’escroquerie est le fait … de

tromper une personne physique ou morale et la déterminer ainsi à son préjudice ou au

préjudice d’un tiers … à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou

décharge ». Le contractant abusé est désigné de façon extrêmement large : la victime peut être

une personne physique ou morale et la remise peut être faite au préjudice de la victime elle-

même, mais aussi au préjudice d’un tiers. Ceci ne peut que favoriser la protection du

contractant. Le résultat des manœuvres peut être le consentement à « un acte opérant

obligation », « un bien quelconque » : un contrat et en particulier un contrat de fourniture de

service. La circulaire du 14 mars 1993 confirme l’extension de l’escroquerie, notamment dans

le but d’incriminer l’escroquerie de service (immatériel), mentionné dans la nouvelle

disposition. Cet ajout élargit la jurisprudence qui admettait déjà l’escroquerie d’une quittance

de prestations de service, telles que des places de stationnement ou des communications

téléphoniques163.

Les types de sollicitation, comme les choses pouvant être remises, sont

aujourd’hui plus nombreux et l’incrimination s’est « contractualisée ». Ces élargissements

modifient la nature même de l’infraction. Les juges l’affirmaient de longue date :

158 Une comparaison des découpages de l’ancien et du nouveau Code pénal montre que l’atteinte à la propriété n’est sans doute plus, en tant que telle, une préoccupation majeure du droit contemporain. Alors que l’ancien Code pénal traitait de l’escroquerie dans un Chapitre II intitulé « Crimes et délits contre les propriétés », le nouveau Code en traite dans le livre Troisième nommé « Des crimes et délits contre les biens ». Certes, le titre premier, contenant plus précisément cette incrimination, s’intitule « des appropriations frauduleuses », rappelant ainsi notre vénérable institution, mais ces atteintes à la propriété ne sont qu’une sorte d’atteinte aux biens parmi d’autres, dont il est fait état dans le titre deuxième : « Des autres atteintes aux biens » 159 R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial T. I, préc., n° 2309. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 97. 160 Voir notamment Cass. crim. 20 juin 1983, Bull. crim. n° 189 ; 15 juin 1992, Bull. crim. n° 234, Droit pénal 1992, p. 282. 161 En ce sens, J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 138. 162 Le texte parle de la remise d’un bien quelconque … et les manœuvres frauduleuses n’ont plus d’objectifs précis, comme dans l’ancien Code, où elles devaient avoir comme résultat soit de faire croire à l’existence d’une fausse entreprise, d’un pouvoir, d’un crédit imaginaire, soit de faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, accident ou tout autre événement chimérique. 163 Cass. crim., 4 mai 1987, Bull. crim. 1987, n°175 : obtention d’une quittance téléphonique minorée. Cass. crim., 10 décembre 1970, D. 1972, p. 155, note Roujou de Boubée, JCP 1972, II, 17277, note Gassin.

Page 35: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

64

« l’escroquerie est indépendante de l’appropriation »164. La volonté de se voir transmettre la

propriété d’une chose est devenue une considération inutile. D’une façon générale, la volonté

de protection de la propriété n’est plus très apparente dans le Code pénal ; le droit pénal ne

fait que suivre une tendance existant déjà dans le droit privé où la propriété est en recul165.

L’intérêt pour le contrat est croissant ; ajoutons que l’idée de valeur a pris une importance

nouvelle ce qui prouve encore l’émergence des préoccupations axées sur l’équilibre des

prestations ou des parties. L’ancien Code parlait de la remise d’une chose, ce qui supposait

une matérialité, éventuellement dépourvue de valeur ; la jurisprudence avait admis qu’une

missive, un bulletin de vote puissent faire l’objet d’une escroquerie166. Ces solutions risquent

de ne pouvoir être reprises sous l’empire du nouveau texte qui vise « une valeur ou un bien

quelconque » ; or un bien a nécessairement une valeur vénale167. C’est sans doute pour éviter

ce que M. Ottenhof appelle « l’éclosion et la prolifération de professionnels de la tromperie »,

que les juridictions criminelles, puis le législateur, ont étendu la qualification d’escroquerie en

transformant le fondement de l’infraction168. D’infraction contre la propriété, elle est devenue

infraction contre la confiance, notamment la confiance et la liberté contractuelle, qui ne

peuvent être effectives que si les contractants sont sur un pied d’égalité. Le nouveau Code

pénal a d’ailleurs créé une circonstance aggravante de l’escroquerie dans le fait d’abuser une

victime particulièrement vulnérable en raison de son âge, une maladie, une infirmité, un état

de grossesse, …169

61. Le chantage, comme l’escroquerie, a pour objectif contemporain de

protéger la liberté et la confiance, bien plus que la propriété170. Il consiste en l’obtention d’un

bien quelconque au moyen d’une menace de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter

atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime171. Dans le domaine des conventions

qui nous intéresse, cette incrimination est destinée à protéger des personnes dont on exploite

l’état d’infériorité dû à leur qualité de débitrice172. Prenons l’exemple, fréquemment traité en

jurisprudence, du directeur d’un magasin qui, constatant un vol, exige du coupable le

paiement de sommes exorbitantes afin de lui épargner des poursuites, donc éviter la

connaissance et la divulgation du forfait173. La menace de poursuite n’est pas en cause ici : la

164 Cass. crim. 1er février 1902, Bull. crim. n° 50, confirmé ensuite ; par exemple, 28 avril 1966, Bull. crim. n° 130. 165 Voir notamment F. Terré, L’évolution du droit de propriété dans le Code civil, in La propriété, Droits 1985, p. 33, spéc. p. 37. 166 M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 98. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 136. 167 M.-L. Rassat, préc., n° 98. P. Malaurie, L. Aynès, P. Théry, Droit civil, les biens, Cujas 4ème éd. 1998, n° 6. 168 R. Ottenhof, Le droit pénal et la formation du contrat civil, LGDJ 1970, n° 44. 169 Article 313-2 du Code pénal. 170 R. Ottenhof, préc., n° 76 et s., pour un exposé complet. 171 Article 312-10 du Code pénal. 172 J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 114. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 161. 173 Pour un exemple caricatural : Cass. crim. 27 janvier 1960, Bull. crim. n° 46 ; D. 1960, p. 247 ; GP 1960, 1, p. 225 ; pour le vol d’un poulet et de trois tranches de jambon, la somme obtenue était de 500 F avec la promesse de

Page 36: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

65

loi ne peut interdire ce que par ailleurs, elle autorise. La transaction consistant en un paiement

d’une somme contre l’absence de poursuite est aussi admise174. Ce n’est pas non plus la

recherche d’un gain illégitime175 : la cupidité est indifférente et ne doit pas motiver la

condamnation puisque le texte n’en fait pas un élément constitutif ; dans l’infraction de

chantage, peu importe que le gain soit légitime ou pas. C’est l’abus de droit qui entraîne la

qualification de chantage puisque ces menaces de poursuite judiciaires ont pour but d’obtenir

des valeurs supérieures à celles que le directeur était en droit d’exiger. Comme le relève

Garçon, « la menace de la révélation d’un fait diffamatoire est punissable dès qu’elle est

susceptible d’exercer, sur la volonté de la victime, la pression que la loi a pu prévoir »176.

L’infraction d’extorsion, proche de celle de chantage dans sa définition, peut être sanctionnée

de façon aggravée s’il est constaté que la victime est particulièrement vulnérable, en raison de

son âge ou d’une déficience physique ou psychique, ...177

Il existe encore de très nombreux exemples d’infractions classiques (faux en

écriture de commerce ou de banque, ...) dont la répression vise à restaurer la confiance dans

les activités économiques. Cependant, des dispositions législatives plus récentes ont

considérablement accru le champ d’action du juge pénal dans ce domaine. Ici encore, notre

exposé ne fera que donner un aperçu de ces dispositions.

β – La législation récente.

62. Le juge porte nécessairement un jugement moral sur les actes venant à

sa connaissance et tente de départager, de donner à chacun ce qui lui revient178. Le droit pénal

ne pouvait rester longtemps insensible au développement d’abus en matière de formation du

contrat, essentiellement générés par des rapports de force déséquilibrés entre parties

contractantes. Tout déséquilibre n’est pas blâmable, toute faiblesse ne permet pas de présumer

un abus du cocontractant. L’article 111-1 du Code pénal rappelle que « les infractions pénales

sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». L’intervention des

lois pénales est envisageable lorsque ces déséquilibres contractuels présentent un certain degré

de gravité et risquent d’entamer la confiance générale de la catégorie de contractants

concernée. Ces textes répressifs auraient dû échapper, a priori, aux termes vagues, indéfinis,

non quantifiables, afin de respecter le principe de légalité des délits et des peines qui impose

une définition claire de toute incrimination et une interprétation stricte de la loi179. Il n’en est

rien : le droit pénal s’allie désormais au droit civil pour chasser l’injustice contractuelle

verser 1500 F supplémentaires, sous la menace d’être traduit devant les tribunaux et de devoir alors verser 200000 F (anciens francs). 174 Par exemple, Cass. crim. 20 février 1963, D. 1963, somm. 103 ; GP 1963, 2, p. 119 ; Rev. sc. crim. 1964, p. 143 obs. Bouzat. 175 M.-L. Rassat, préc., n° 162 176 E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey 1958, Article 400, n° 72, cité par R. Ottenhof, préc. n° 76. 177 Article 312-2 du Code pénal. 178 L. Cadiet, Découvrir la justice, Dalloz 1997, p. 23. 179 Articles 111-3 et 111-4 du Code pénal.

Page 37: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

66

flagrante, décrite souvent sans plus de précision comme un « abus », à l’encontre des

contractants considérés comme en état de faiblesse. Ces textes, quelle que soit la branche du

droit envisagée, ont en commun un caractère militant, opposant, que ce soit contre la

consommation aliénante, contre l’employeur abusif, contre la concurrence éreintante, contre

l’opacité scientifique, …

63. Ainsi, le Code de la consommation a pour objectif fondamental

d’éviter que le professionnel ne profite de l’infériorité économique du consommateur, mais

aussi de ses éventuelles lacunes techniques ou de ses faibles capacités de résistance aux

vendeurs de choc. C’est un droit du consommateur plus que de la consommation : on a parlé

de droit d’opposition, de droit militant contre la consommation aliénante180. De nombreuses

sanctions pénales tentent de prévenir ces abus des professionnels ou de les sanctionner s’ils

ont déjà eu lieu, dès le stade de la fabrication avec les fraudes, la publicité, l’offre et la

formation du contrat - formation notablement étendue dans le temps. Ainsi, de multiples

exigences informatives sont relayées par des sanctions pénales, imposant notamment des

indications quant aux prix, aux conditions particulières de vente, aux limitations de

responsabilité181, aux normes de présentation et d’inscription de ces informations182.

L’incrimination de « publicité mensongère »183, fort connue, retient particulièrement

l’attention, car elle permet d’apporter un soutien pénal à de nombreuses dispositions

environnantes, à commencer par l’obligation générale d’information des articles L. 111-1 et

suivants184 : l’émergence des obligations d’information, phénomène si marquant en droit

civil 185, est largement accompagnée et encouragée par le droit pénal. D’autres infractions

poursuivent ces mêmes objectifs d’information correcte et loyale du contractant186. Toutes ces

précautions prises pour la formation des contrats de consommation confirment l’altération du

180 J. Beauchard, Remarques sur le Code de la consommation, Mélanges Cornu, PUF 1994, p. 11. G. Rouhette, Droit de la consommation et théorie générale du contrat, Mélanges Rodière, Dalloz 1987, p. 247. 181 Article L. 113-3 du Code de la consommation. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 390. 182 Loi n° 94-665 du 4 août 1994, relative à l’emploi de la langue française. 183 R. Merle, A. Vitu , Droit pénal spécial T. I, préc., n° 849. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 169 et s. W. Jeandidier, préc., n° 395 et s. 184 Cass. crim. 29 septembre 1979, D. 1980, IR 131. J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 116 et s. 185 Phénomène décrit et expliqué par M. Fabre-Magnan, De l’obligation d’information dans les contrats. Essai d’une théorie, LGDJ 1992. 186 Articles L. 121-1 à L. 121-15 du Code de la consommation, les sanctions encourues étant, pour l’essentiel, celles prévues à l’article L. 213-1. Citons aussi les exigences spéciales d’information pénalement sanctionnées imposées comme préalables aux ventes à distance (Article L. 121-18 du Code de la consommation), vente par l’intermédiaire d’émissions de télé-achat (Article L. 121-17) ou par démarchage à domicile (Article L. 121-23, sanctions à l’article L. 121-28), aux contrats de crédits à la consommation (Articles L. 311-4 à L. 311-13, sanctions prévues à l’article L. 311-34) ou de crédits immobiliers (Articles L. 312-4 à L. 312-8. Le taux effectif global doit être mentionné pour tout type de contrat de crédit : article L. 313-2 du même Code). Les pratiques persuasives des professionnels pouvant parfois être très insidieuses, voire insistantes, des dispositions pénales sanctionnent les loteries publicitaires ne respectant pas les règles très précises de présentation et de conditions établies aux articles L. 121-36 à L. 121-38 ; sont aussi incriminées les ventes sans commande préalable (Article L. 122-2) ou obtenues par le procédé dit de la « boule de neige » (Article L. 122-3). Les célèbres tromperies, fraudes et falsifications ont ce même objectif de préserver la loyauté des échanges (Article L. 213-1 et s. du Code de la consommation. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 392. D. Garreau, Fraudes : tromperies et falsifications, Juris-classeur concurrence consommation, fasc. 1010. J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 194 et s.).

Page 38: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

67

principe d’autonomie de la volonté187 puisqu’en aucun cas le consommateur n’est considéré

comme capable d’une volonté libre, d’un raisonnement rationnel rapide et de la mesure

spontanée de ses intérêts.

64. Dans le même courant de préoccupations, de nombreuses infractions du

droit du travail 188 ont pour objectif d’assurer au salarié, par définition en situation de

faiblesse économique, des conditions de travail décentes. Les auteurs constatent que

l’inflation pénale que connaît le droit du travail ne rencontre que très peu de contestation alors

que, par ailleurs, la mode est à la dépénalisation et à la déjudiciarisation189. Le droit pénal du

travail a contribué à une meilleure organisation des entreprises et du travail et on s’est habitué

peu à peu à son caractère engagé et militant, la nécessité d’une protection du faible contre le

fort devenant une évidence incontestée : « Réclamée par l’Etat ou par les syndicats,

l’application de la loi pénale se révèle alors comme l’un des instruments, sinon de "lutte des

classes", du moins d’équilibre des rapports entre partenaires sociaux »190. Le droit pénal du

travail a tout particulièrement exercé sa force persuasive dans le cadre de l’embauche : le droit

pénal garantit une rémunération correcte dans son montant qui ne doit pas être inférieur au

SMIC191 ou au minimum prévu dans la convention collective192, mais aussi correcte dans son

mode de versement, qu’il s’agisse de la périodicité193, de la forme monétaire utilisée194, des

mentions portées sur le bulletin de paie195, prohibition du travail clandestin196, etc.

L’employeur est tenu de négocier annuellement avec les organisations syndicales qui ont pu se

constituer dans l’entreprise ; les ignorer lui ferait encourir des sanctions pénales197. Le droit

pénal des conventions collectives permet aux salariés de participer plus activement au

fonctionnement de l’entreprise : à nouveau, « la loi pénale est utilisée comme un instrument

d’organisation de la vie sociale »198.

65. Les lois pénales veillent aussi à la loyauté des marchés puisque les

entreprises économiquement puissantes ne peuvent fausser le jeu de la concurrence et

imposer des règles qui pourraient mettre en péril leurs clients, fournisseurs ou concurrents :

187 En ce sens, G. Rouhette, Droit de la consommation et théorie générale du contrat, Mélanges Rodière, Dalloz 1987, p. 247 ; J. Calais-Auloy, L’influence du droit de la consommation sur le droit des contrats, in Colloque : droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998, p. 115. 188 Voir notamment : A. Cœuret, E. Fortis, Droit pénal du travail, Litec 1998 ; C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière-Schiele, Droit pénal du travail, Dalloz 1997. E. Fortis, Les infractions du nouveau Code pénal créées ou remaniées, Droit social 1994, p. 623. O. Godard, Droit pénal du travail, Masson 1980. 189 Voir supra n° 28 et s. R. Ottenhof, R. Cario, Droit pénal et relation de travail dans l’entreprise, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 123. 190 R. Ottenhof, R. Cario, préc., p. 124. Voir aussi A. Jeammaud, Justice et économie : et le social ?, Justices n° 1, 1995, p. 107 spéc. p. 108 ; A. Supiot, Le juge et le droit du travail, thèse Bordeaux I, 1979, p. 151 et s. 191 Article R. 154-1 du Code du travail. 192 Article R. 153-2 du Code du travail. 193 Articles L. 143-1 et L. 143-2 du Code du travail. 194 Article L. 143-1 du Code du travail. 195 Articles L. 143-5 et R. 154-3 du Code du travail. 196 Articles L. 324-9 et s du Code du travail. 197 Article L. 132-27 du Code du travail. 198 R. Ottenhof, R. Cario, préc., p. 132.

Page 39: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

68

comme en droit de la consommation, la puissance n’est pas répréhensible en elle-même ; c’est

son utilisation qui est contrôlée199. Cette branche du droit pénal des conventions, comme les

deux précédentes, relève sans doute d’un droit militant, engagé, à en croire les réactions

qu’elle suscite à son encontre de la part d’auteurs qui déplorent la mauvaise influence de cette

« furie répressive »200 sur les marchés et la croissance économique201. Pourtant ces

incriminations peuvent apporter beaucoup à la modernisation des entreprises et de l’économie

libérale, et protègent la confiance qui semble une donnée fondamentale de la prospérité

économique202. En outre, la dépénalisation, pourtant fort réclamée, a été très relative avec

l’ordonnance de 1986 qui pose la plupart des incriminations de cette branche du droit pénal

des contrats203 : ce texte abroge l’ordonnance de 1945, transforme quelques délits en

contraventions204 et supprime certaines infractions relevant de pratiques individuelles

restrictives, telles que le refus de vente, la prohibition des ventes liées et les pratiques

discriminatoires de vente entre professionnels, devenus délits civils. En fait, ont pu faire

l’objet de dépénalisation des textes qui protégeaient un contractant dont on ne pouvait

caractériser le véritable état de faiblesse : ainsi, l’infraction de refus de vente de l’ordonnance

du 30 juin 1945 avait été conçue pour empêcher l’accumulation des marchandises dans un but

spéculatif ou de marché noir. Cette protection ne se justifiant plus par la suite et ce

comportement fut dépénalisé par l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; le délit civil qui

subsistait fut aboli par la loi du 1er juillet 1996205. Le refus de vente ne demeure une infraction

que lorsqu’il caractérise un abus de position dominante contre une entreprise206 ou lorsqu’il

est pratiqué à l’encontre d’un consommateur207, deux situations où un véritable état de

faiblesse du cocontractant est exploité.

Lors de l’examen du vice de consentement de violence, nous n’avions évoqué

que l’abus de position dominante, constitutif d’une violence à l’égard d’une personne

morale208. Les comportements incriminant des abus de faiblesse en droit pénal des entreprises

sont pourtant beaucoup plus nombreux : toutes les pratiques anticoncurrentielles, dont cet

abus n’est qu’une manifestation, sont épinglées par les articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er

199 W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 339. 200 B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 377, spéc. p. 382. 201 Voir notamment les colloques déjà cités en introduction La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12 ou Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997. ; M.-T. Calais-Auloy, La dépénalisation en droit des affaires, D. 1988, chron. p. 315. 202 Voir supra n° 18 et s. Voir notamment C. de Boissieu, Les risques collectifs encourus par le système économique et financier et S. Mogini, Droit pénal, contrôle des marchés et autorégulation des acteurs, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 179 et 185. A. Pirovano, Justice étatique, support de l’activité économique, in Justice et économie, Justices n° 1 1995, p. 15. 203 J. Azema, Droit pénal et relations interentreprises, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 135. 204 Article 33 du décret du 29 décembre 1986 ; la possibilité de cumuler les peines contraventionnelles réduit à peu de choses cet adoucissement de la sanction pénale. 205 A. Decocq, Sur l’abolition du délit civil de refus de vente, JCP 1997, I, 3997. 206 Article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. 207 Article L. 122-1 du Code de la consommation. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 481. W. Jeandidier, préc., n° 362 et 426. 208 Voir supra n° 44.

Page 40: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

69

décembre 1986 209 et sont constitutives d’abus de faiblesse au sens large. Cependant, le champ

de la répression pénale est réduit, manifestation de la dépénalisation précédemment évoquée :

les actes décrits dans ces articles 7 et 8 ne sont constitutifs d’infractions, ouvrant le recours

devant les juridictions répressives, que lorsqu’ils sont commis par une personne physique qui

« frauduleusement, aura pris une part personnelle et déterminante dans la conception,

l’organisation ou la mise en œuvre » de ces pratiques210. Tout comportement où n’apparaît

pas un esprit frauduleux, ou bien commis par une personne morale211, est traité par le Conseil

de la concurrence et non par les juridictions pénales, ce qui constitue une forme de

dépénalisation du droit économique212 ; cette dépénalisation est fort relative puisque la

répression est confiée à un organe administratif qui n’est nullement tenu aux principes

protecteurs de la procédure pénale et qui, ayant comme seule tâche la poursuite de ces

comportements, y consacre toute son énergie et permet à la répression de gagner en

effectivité213.

66. Un autre exemple d’intervention du droit pénal entre professionnels de

puissance inégale peut être donné par la loi Doubin du 31 décembre 1989214. Les juridictions

commerciales considéraient que la qualité de professionnels des victimes de franchiseurs leur

permettaient de s’informer ; des dispositions sont venues protéger ces personnes à la

recherche d’une activité qui se heurtaient aux exigences démesurées et aux pressions de

franchiseurs puissants et organisés. Ce texte impose une information correcte à l’occasion des

contrats de franchise ou de concession, sur l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise,

l’importance du marché et du réseau d’exploitation. Le futur franchisé ou concessionnaire ne

doit pas être contraint à un engagement trop rapide dans un réseau ne lui apportant que

d’illusoires avantages, moyennant souvent un droit d’entrée très élevé. Les sanctions prévues

font de l’absence d’information une contravention de cinquième classe215. L’émergence des

obligations d’information, élément essentiel d’un rééquilibrage des parties contractantes, est

largement accompagnée, voire initiée par le droit pénal des contrats : le mouvement est

identique entre professionnels216à ce que l’on constate en droit de la consommation217. La

209 J. Larguier, P. Conte, préc., n° 492 et s. W. Jeandidier, préc., n° 339 et s. 210 Article 17 de l’ordonnance. W. Jeandidier, préc., n° 350. 211 Dekeuwer-Defossez, Responsabilité pénale des personnes morales à la lumière éphémère de l’article 17-1 JCP éd. E. 1994, II, 356. Boutard-Labarde, Petites affiches, 6 octobre 1993, p. 29. 212 J. Azéma, La dépénalisation du droit de la concurrence, Rev. sc. crim. 1989, p. 651. 213 Voir infra n° 138. Pour compléter la liste de ces infractions, le titre IV de l’ordonnance de 1986 sanctionne pénalement, le non-respect des règles de facturation (Article 32 de l’ordonnance du 1er décembre 1986), la non-communication des conditions générales de vente (Article 33), les prix imposés (Article 34), la revente à perte ou les délais de paiement non conformes aux conditions légales (Article 35), incriminations visant encore à protéger les intérêts du contractant le plus faible, lui permettant de participer au système concurrentiel (W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 357 et s.). Enfin, dans le but préserver la liberté et l’égalité d’accès sur les marchés publics, la loi du 3 janvier 1991 a créé le délit de « favoritisme » (Article 432-14 du Code pénal. W. Jeandidier, préc., n° 351 ; J. Larguier, P. Conte, préc., n° 285). 214 Voir notamment le colloque La loi Doubin : première étape vers le partenariat, Paris 1990, Petites affiches 1990 n° 147 et le guide pratique de la loi Doubin, Petites affiches 1990 n° 51 et 52. 215 Article 2 du décret n° 91-337 du 4 avril 1991, portant application de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989. 216 En ce sens, B. Fages, J. Mestre, L’emprise du droit de la concurrence sur le contrat, in Colloque : droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998, p. 71, spéc. p. 74.

Page 41: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

70

liberté contractuelle n’est plus absolue puisque les conditions du contrat sont encadrées et le

consentement est parfois privé de sa spontanéité (la loi Doubin impose un délai de réflexion

de vingt jours, par exemple). L’autonomie de la volonté est limitée par le souci de l’équilibre

des contractants, même lorsque ceux-ci ont la qualité de professionnels218.

67. L’exploitation de l’état de faiblesse pénalement sanctionnable est sans

doute plus délicate à définir en matière médicale. Cette préoccupation existe pourtant : le

Code civil dans son article 16-3 n’admet les interventions qu’à but thérapeutique et impose de

recueillir le consentement du patient. Le Code de déontologie médicale exige le respect du

patient, tout particulièrement en ce qui concerne son consentement à l’acte médical

envisagé219. La question médicale intéresse aujourd’hui le droit pénal : un important corpus

d’incriminations en matière de bioéthique fut largement complété par les lois du 1er et du 29

juillet 1994. Certains n’hésitent pas à parler depuis d’un « droit pénal de la bioéthique »220.

Les préoccupations exprimées dans le Code civil ou dans le Code de déontologie médicale

quant au consentement du patient sont relayées par des incriminations qui sanctionnent les

carences d’informations ou de recherche du consentement dans certaines circonstances bien

définies (il n’existe pas d’incrimination posant de façon générale l’exigence d’un

consentement exprès et informé du patient). La loi impose des formes précises au

consentement qui, en ce qui concerne les recherches biomédicales, doit être donné par écrit et

après une information précise et complète de l’opération prévue221. De même,

l’hospitalisation des personnes atteintes d’un trouble mental n’est possible qu’avec leur accord

ou celui de leur représentant légal et de nombreuses garanties informatives sur l’état réel du

patient sont exigées. Ici encore, des sanctions pénales caractérisant les délits sont prévues222.

La femme enceinte est particulièrement protégée : sa décision d’interrompre sa grossesse doit

être totalement libre, personnelle et exempte de toute contrainte extérieure223. Le législateur

ne veut pas qu’on lui en donne l’idée : la provocation à l’avortement est réprimée224. Si elle

souhaite cette interruption, son consentement libre et éclairé doit être soigneusement

217 Voir supra n° 63. 218 En ce sens, G.-J. Virassamy, Les contrats de dépendance. Essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, LGDJ 1986, p. 5. 219 Les articles 32 et 35 du Code de déontologie médicale précisent que son accord doit être éclairé, ce qui suppose – une fois encore – une information précise, claire et compréhensible sur le diagnostic, sur les actes envisagés et leurs raisons d’être (Les mêmes droits sont affirmés au niveau européen. H. Scicluna, Droits des patients dans les textes du Conseil de l’Europe, in La situation juridique des patients, Petites affiches 1997, n° 61 (n° spécial), p. 31) ; le patient lui-même doit être informé, mais aussi son entourage, et le secret gardé sur certains points ne peut l’être que dans l’intérêt du malade. 220 A. Giudicelli , Le droit pénal de la bioéthique, in Bioéthique : les lois du 29 juillet 1994, Petites affiches 1994, n° spécial 149, p. 79. 221 Article L. 209-9 du Code de la santé publique ; sanctions pénales à l’article 209-19 de ce même Code et 223-8 du Code pénal. Auby, La loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, JCP 1989, I, 3384 ; F. Alt-Maes, L’apport de la loi du 20 décembre 1988 à la théorie du consentement de la victime, Rev. sc. crim. 1991, p. 244. B. Py, Recherche sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse Nancy 1990, p. 407 et s. 222 Articles L. 352 et s. du Code de la santé publique. 223 Pour un exposé complet, thèse de B. Py, préc., p. 320 et s. 224 Article L. 645 et s. du Code de la santé publique.

Page 42: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

71

vérifié225. Sa décision d’interruption doit être respectée, les menaces ou intimidations étant

elles-aussi pénalement sanctionnées depuis 1993226. Enfin, le consentement préalable et écrit

est indispensable au test ou identification génétique227.

Cependant, la protection pénale du consentement à l’acte médical et du refus de

soins demeure limitée228 : il n’existe pas de sanction pénale générale, en cas de soin ou autre

acte médical administrés sans recueillir le consentement de la personne. Seuls des cas précis

ont été envisagés par la loi pénale, tels que ceux précédemment cités. De plus, de nombreuses

dérogations aux exigences informatives229 et de consentement existent : dans des

circonstances où l’expression du consentement est plus difficile à obtenir, le législateur a

autorisé le médecin à agir. Ainsi, l’identification génétique à des fins médicales peut être

effectuée sans le consentement si elle est accomplie dans l’intérêt du patient … ce qui ouvre

tout grand les portes des dérogations à une infraction pourtant sanctionnée par une peine

d’emprisonnement de un an et de 100 000 francs d’amende230. Les recherches médicales en

psychologie peuvent faire l’objet d’une information succincte, puisque des informations

détaillées risquent de fausser les résultats ; en cas d’urgence, les recherches biomédicales

peuvent être entreprises sans aucun consentement231. M. Salvage relève que le délinquant est

soumis parfois à des soins obligatoires232. Ainsi, les personnes sous contrôle judiciaire

peuvent devoir se soumettre à des examens, soins ou hospitalisations233. Les toxicomanes se

voient fortement incités à subir une cure de désintoxication234. Les délinquants sexuels

peuvent être soumis à un suivi médical et psychologique obligatoire après qu’ils aient subi

leur peine235.

S’il n’existe pas d’incrimination contre les actes médicaux accomplis sans

consentement, il est pourtant possible d’envisager une poursuite sur le fondement de violence

ou de mise en danger d’autrui. La situation la plus délicate concernant le recueil du

consentement est celle de l’urgence : le médecin peut hésiter - ou pas ... – entre la nécessité de

porter secours et celle de demander l’avis du patient. Le Code civil et le Code de

déontologie236 évoquent ces situations d’urgence et en font une cause d’exception aux

obligations d’information ou de recueil du consentement. Le médecin peut s’en passer si le

225 Article 223-10 du Code pénal. 226 Articles L. 162-15 et L. 162-15-1 du Code de la santé publique. 227 Articles L. 145-15 et L. 145-19 du Code de la santé publique. 228 I. Lucas-Gallay, Le domaine d’application du refus de soins : une "peau de chagrin", Petites affiches 1997, n° 6, p. 6. G. Giudicelli-Delage, Droit à la protection de la santé et droit pénal en France, Rev. sc. crim. 1996, p. 13, spéc. p.20 et s. Voir aussi, sur ce refus de soin, J.-C. Baste, Le point de vue du médecin, in La situation juridique des patients, Petites affiches n° spéc. 1997, n° 61, p. 20. 229 Les preuves de l’information étant facilement admises. Y. Dagorne-Labbé, L’obligation d’information du médecin à l’égard de son patient, et Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, Petites affiches 1998, n° 31, p. 18. 230 En ce sens, A. Giudicelli , Le droit pénal de la bioéthique, in Bioéthique : les lois du 29 juillet 1994, Petites affiches 1994, n° spécial 149, p. 79, spéc. p. 80. 231 Article L. 209-9 du Code de la santé publique. A. Retault, L’expérimentation sur le malade : soins ou recherche ? A propos de l’application de la loi Huriet en psychiatrie, RTD civ. 1998, p. 57. 232 P. Salvage, Les soins obligatoires en matière pénale, JCP 1997, I, 4062. 233 Article 138, 10° du Code de procédure pénale. 234 Article L. 628-1 du Code de la santé publique. Voir infra n° 457. P. Salvage, préc., n° 28 et s. 235 Article 131-36-4 du Code pénal, Loi n° 98-468 du 17 juin 1998. 236 Article 16-3 du Code civil et articles 36, 41 et 42 du Code de déontologie médicale.

Page 43: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

72

malade ou son représentant légal ne sont pas en mesure de le donner237. Il en est de même

lorsque c’est un enfant mineur qui nécessite des soins : le médecin doit en principe rechercher

« l’avis de l’intéressé »238 et le consentement du représentant légal239 ; mais, il peut passer

outre en cas d’urgence240, ou si les parents refusent les soins : « Le médecin doit être le

défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal

préservé par son entourage »241. Dès lors, qu’un médecin accomplisse des actes médicaux

sans consentement du patient est loin d’impliquer l’application par le juge pénal des

dispositions du Code pénal incriminant les violences ou la mise en danger d’autrui : encore

faut-il que l’acte soit injustifiable, n’ait pas été bénéfique ou ait causé un préjudice242. Selon

les juges, c’est au médecin d’apprécier seul le caractère urgent de son intervention244 ; seul le

respect des règles déontologiques est vérifié a posteriori par les tribunaux245. Enfin,

l’incrimination de l’omission de porter secours à une personne en péril incite fermement les

médecins à agir. D’une façon générale, l’exigence d’un consentement comporte de très

nombreuses dérogations souvent dénoncées par les auteurs246.

68. La juridiction pénale détient des pouvoirs de sanction croissants,

destinés à lutter contre ce nouveau vice du consentement qu’est l’abus de faiblesse.

L’autonomie de la volonté avérée illusoire, on impose aux contractants « forts »

(économiquement, intellectuellement, …) des obligations d’informations complètes et

sincères : l’abus peut consister en un simple manque d’information. Les textes interdisent

aussi des manœuvres, mensonges, harcèlements, … tout un éventail d’attitudes abusives qui

aliéneraient le consentement. Ces mesures permettent d’espérer un rééquilibrage minimal des

rapports entre ces contractants inégaux. Pourtant, toutes ces dispositions ne connaissent

qu’une faible effectivité : leur traduction dans le contentieux est modeste247. Des auteurs

justifient cette situation par le caractère artificiel de ces infractions, dans lesquelles le juge

pénal ne reconnaît pas de véritable sens éthique et ne peut accomplir sa mission de blâme

social248. En fait, c’est sans doute par manque de moyen que les actions ne sont pas

237 B. Py, Recherche sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse Nancy 1990, p. 509 et s. R. Nerson, Le respect par le médecin de la volonté du malade, Mélanges Marty, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 853. 238 Article 42 alinéa 3 du Code de déontologie médicale. 239 Article 42 alinéa 1 du Code de déontologie médicale. B. Py, préc., p. 434. 240 Article 42 alinéa 2 du Code de déontologie médicale. B. Py, préc., p. 514. 241 Article 43 du Code de déontologie médicale. 242 Voir infra n° 114. B. Py, préc., p. 152. 244 B. Py, thèse préc., p. 509 et s. 245 Cass. crim., 31 mai 1949, D. 1949, 317. 246 G. Giudicelli-Delage, Droit à la protection de la santé et droit pénal en France, Rev. sc. crim. 1996, p. 13, spéc. p.20 et s. G. Mémeteau, Droit pénal et techniques médicales modernes, rapport français, RID pen. 1988, p. 885, spéc. p. 896, concernant les prélèvement d’organes sur les mineurs qui peuvent subir la pression affective familiale. 247 Sur l’ineffectivité du droit du travail : E. Serverin, L’application des sanctions pénales en droit social : un traitement juridictionnel marginal, Droit social 1994, p. 654. En droit des affaires : B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 377. 248 Voir notamment B. Bouloc, préc., p. 377, spéc. p. 383 : La liberté par l’ineffectivité.

Page 44: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

73

nombreuses : les victimes, pourtant nombreuses, ne connaissent pas toujours leurs droits ;

cependant, peu à peu, elles s’organisent et les moyens d’actions octroyés aux associations ont

permis des avancées notables. La misère chronique de l’institution judiciaire fait qu’elle a

beaucoup de mal à traiter la délinquance classique … Il lui est difficile de s’emparer de ces

infractions récentes qui nécessitent souvent des moyens d’informations particuliers249. Enfin,

les infractions en droit des affaires ou en droit du travail connaissent souvent un traitement

préalable par des organes administratifs (Conseil de la concurrence, conseil des opérations de

bourse, inspection du travail, etc.) qui filtrent largement les recours aux juridictions

pénales250. L’impunité est relative et semble destinée à disparaître peu à peu.

L’éventail d’incrimination des abus de faiblesses est important. Cependant, le

droit contemporain des conventions a pris en compte une autre forme de « vice du

consentement », toujours dans le but de protéger le contractant faible : afin de s’assurer de la

valeur du consentement, le législateur a voulu s’assurer de sa durabilité. En dépit de tous les

principes fondamentaux du droit des conventions (autonomie de la volonté, consensualisme,

…) le contractant fort doit désormais admettre que le « faible » puisse changer d’avis : on tient

compte de la disparition du consentement. Ces dispositions, très souvent assorties de

sanctions pénales marquent une dilution évidente des étapes de formation et d’exécution du

contrat.

2 - La disparition du consentement.

69. Les critères civilistes de classification des vices du consentement n’ont

aucune incidence sur l’activité du juge pénal. Le droit pénal accompagne et oriente les

préoccupations du droit contemporain des conventions : de nombreuses incriminations

demeurent inclassables en fonction des notions civilistes classiques ; il faut alors envisager de

nouveaux critères. Ainsi, contrairement au droit civil traditionnel, les infractions pénales

permettent au juge répressif de sanctionner la disparition du consentement. Jadis, l’échec était

accepté ; seule était préservée la liberté des contractants : l’intégrité du consentement était

seule contrôlée. Aujourd’hui, on a pris conscience des dangers de la liberté absolue d’autant

plus que le contractant refuse de se tromper, abhorre l’erreur et invoque alors la protection

totale de la loi. Le refus traditionnel de l’imprévision laisserait penser que cette disparition du

consentement est parfaitement inenvisageable en droit civil. Pourtant, le droit des contrats a

dû s’accoutumer à ces notions apparues dans certaines incriminations. C’est sans doute grâce

au besoin de sanctions pénales que le droit des conventions prend en considération le simple

changement d’avis, tenant compte de la gravité de certains comportements ou déséquilibres

contractuels. L’ordre public pénal est plus sévère, plus exigeant et dépasse parfois l’ordre

249 H. Haenel, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, Rapport Sénat, à paraître ; « L’Express » juin 1998, n° 2450, p. 52. 250 Voir infra n° 427 et s, 514 et s.

Page 45: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

74

public civil en sanctionnant, dans les textes d’infractions, de nouveaux défauts de formation

des conventions, au risque de déstabiliser quelque peu le droit classique251 : afin que

l’information soit pleinement acquise et le consentement mûrement réfléchi, la durée de

formation des conventions s’allonge et le contractant faible peu arguer d’un changement

d’avis alors même que l’exécution a commencé.

La force obligatoire des conventions deviendrait-elle illusoire ? Le fondement

du contrat et de sa force obligatoire serait, bien plus que l’autonomie de la volonté, son

objectif d’équilibre, entre les patrimoines ou entre les contractants252. Ceux-ci doivent

respecter leurs obligations car elles sont équilibrées et visent à former un nouvel ordre des

patrimoines qui présente une utilité pour chacune des parties. Dès lors, si les obligations

semblent à l’un désavantageuses, il devient justifié de lui laisser toute latitude pour revenir sur

son consentement ou pour renégocier le contrat. La convention gravement déséquilibrée (mais

où commence le déséquilibre ?) n’a plus lieu d’imposer sa force obligatoire. Le droit civil

n’est pas insensible à cette évolution des consentements et des intérêts : la théorie de

l’imprévision253 qui refusait toute révision du contrat, même lorsque les obligations

devenaient iniques, au nom de la force obligatoire absolue des contrats, doit être relativisée :

ainsi, un arrêt de 1992 admet l’octroi de dommages et intérêts pour compenser le caractère

déséquilibré d’une convention de distribution, au nom de la bonne foi dans l’exécution du

contrat254. La jurisprudence établie par le célèbre arrêt Canal de Craponne255 pourrait

connaître quelques dissidences. Le droit des contrats admet de plus en plus que le contractant

révise son jugement et revienne sur son consentement lorsque le rapport de force entre les

parties est inégal ou lorsque les obligations souffrent de déséquilibre. Les sanctions pénales

appuient le droit des contrats en cas de grave déséquilibre : seuls sont protégés les

contractants les plus menacés, les plus faibles256. Le droit pénal impose au contractant le plus

fort le droit de revenir sur une relation contractuelle par nature déséquilibrée. Ces entorses à la

force obligatoire n’ont lieu que sous la surveillance pénale, ce qui tendrait à nous rassurer : la

remise en cause du consentement n’est pas rendue possible de façon systématique, à la simple

constatation d’un indéfinissable déséquilibre ; la cohérence du droit des contrats et la sécurité

juridique sont sauvegardées.

251 G. Rouhette, Droit de la consommation et théorie générale du contrat, Mélanges Rodière, Dalloz, 1987, p. 247, spéc. p. 265. Voir cependant P. Rémy, Droit des contrats : questions, positions, propositions, in Le droit contemporain des contrats, Economica 1987, p. 271 spéc. n° 26 ; J.-P. Pizzio, La protection des consommateurs par le droit commun des obligations, in Colloque : Droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998, n° 1, p. 53, spéc. n° 9 et s. 252 Voir supra n° 10 et s. 253 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 441 et s. J. Ghestin, La formation du contrat, préc., 4ème éd. n° 169. B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrat, préc., n° 1213 et s. 254 Cass. com. 3 novembre 1992, JCP 1993, II, 22164, note Virassamy ; Defrénois 1993, 1377, obs. Aubert ; RTD civ. 1993, 124, obs. Mestre. Cependant, un arrêt récent de la CA Paris, 17 septembre 1997 semble appeler à un retour vers l’ortodoxie classique (inédit, cité par B. Fages, J. Mestre, L’emprise du droit de la concurrence sur le contrat, in Colloque : droit du marché et droit commun des obligations, RTD com. 1998, n° 1, p. 71, spéc. p. 80). 255 Cass. civ., 6 mars 1876, DP. 1876, p. 193 note Giboulot, S. 1876, 1, p. 161. 256 Voir supra n° 50 et s.

Page 46: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

75

Ces préoccupations apparaissent nettement lors de libres propos de

représentants d’associations de consommateurs qui, au cours d’entretiens, critiquent la

consommation reposant sur la notion de contrat entendue comme engagement définitif. Le

consentement devrait être compris comme un accord donné en fonction de certaines données

circonstancielles précises, en particulier le niveau de revenu, accord qui devrait être considéré

comme caduc si ces circonstances changent257 : quel est le poids de valeurs telles que

l’exigence d’exécuter ses engagements ou la sécurité juridique, si elles ont comme perspective

de mettre des familles en situation de détresse ? Le Code civil admet de longue date que les

contractants conviennent entre eux d’une faculté de renonciation au contrat déjà conclu, grâce

aux facultés de rachat ou de réméré des articles 1659 et suivants. Cependant, à côté de ces

facultés conventionnelles et enfermées dans un délai légal, existent aujourd’hui un certain

nombre de délais de réflexion légaux et pénalement sanctionnés.

70. Le code de la consommation offre quelques exemples de ces

conventions qui autorisent une prise en compte de la disparition du consentement, du

changement d’avis et, souvent, une remise en cause discrétionnaire de l’engagement258. Le

consentement doit parfois subsister un certain temps après la conclusion du contrat entre le

professionnel et le consommateur259. Celui-ci est valable et parfait, mais ne devient définitif

qu’au terme d’un certain délai de repentir ou d’essai. Quoique les textes désignent ces délais

sous des dénominations très diverses, le délai de repentir est un délai de réflexion situé après

l’échange des consentements, mais qui retarde l’exécution du contrat afin de laisser au

consommateur la faculté de revenir sur son engagement. De tels délais sont imposés pour les

contrats négociés à l’occasion d’un démarchage à domicile260, en matière de crédit à la

consommation261 ou de jouissance d’immeuble à temps partagé262, les textes parlant de

possibilité « de revenir sur son engagement », de « rétractation », de « renonciation ». Des

peines d’amendes et même d’emprisonnement peuvent être encourues si le délai, variant

d’une semaine à trente jours, n’est pas respecté, où si le consommateur n’en est pas informé.

La période d’essai qui peut parfois précéder la conclusion du contrat, a souvent lieu après sa

conclusion, après l’échange des consentements. Le Code de la consommation impose de telles

périodes d’essai sous la forme de faculté de restitution assortie de sanctions pénales, pour les

257 Voir déjà G. Rouhette qui affirme que le consentement du consommateur n’en est plus un mais une simple promesse : Droit de la consommation et théorie générale du contrat, Mélanges Rodière, Dalloz, 1987, p. 247, n° 21. 258 G. Rouhette, article préc. 259 D. Ferrier , Les dispositions d’ordre public visant à préserver la réflexion des contractants, D. 1980, chronique p. 177. R. Baillod, Le droit de repentir, RTD civ. 1984, p. 277. V. Christianos, Délai de réflexion, théorie juridique et efficacité de la protection des consommateurs, D. 1993, chron. p. 28. J. Calais-Auloy, L’influence du droit de la consommation sur le droit des contrats, in Colloque : droit des marchés et droit commun des obligations, RTD com. 1998, n° 1, p. 115, spéc. p. 116. 260 Articles L. 121-25 et s. du Code de la consommation ; sanctions pénales à l’article L. 121-28. J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 102. 261 Articles L. 311-15 et s. du Code de la consommation ; sanctions pénales à l’article L. 311-34. 262 Article L. 121-63 du Code de la consommation (loi n° 98-566 du 8 juillet 1998) ; sanctions pénales aux articles L. 121-70 et s.

Page 47: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

76

opérations de vente à distance263, par exemple sur catalogue ou par émission de « télé-

achat »264. Le contrat est bien conclu et la chose est livrée, mais une clause résolutoire est

imposée265. Des délais comparables suivent l’offre de contracter en matière de crédits à la

consommation ou immobiliers266. Ces délais se situent certes avant l’expression du

consentement du demandeur de crédit, en réponse à l’offre qui lui est faite par

l’établissement ; ils se situent donc avant la formation du contrat. Mais toutes ces situations

ont un point commun, comme le souligne M. Rouhette : la volonté du consommateur est

impuissante à former définitivement l’obligation contractuelle ou à lier juridiquement, pour un

temps267. Il s’agit ici encore de tenir compte d’un changement d’avis du contractant en

situation d’infériorité économique. Ces obligations de respecter la réflexion du contractant

sont ici encore, pénalement sanctionnées268.

Afin de rapprocher ces dispositions du droit classique, on pourrait envisager

que le législateur a eu l’intention d’éviter au consommateur qu’il commette une erreur. Ces

dispositions seraient une prévention de ce vice du consentement. C’est le cas parfois ; mais il

s’agit aussi, bien souvent, de permettre au consommateur de s’assurer que l’état de ses

finances lui permet bien d’acheter le bien ou que l’achat n’est pas inutile. Or, l’erreur sur le

mobile est inopérante en droit civil. Le législateur est passé par des solutions nouvelles qui

allongent la durée de formation du contrat, favorisent l’information et laissent planer sur le

professionnel l’ombre d’un éventuel retour en arrière.

71. Si une telle possibilité de revenir sur son consentement n’est pas

souvent sanctionnée en droit des affaires, on assiste pourtant au même allongement de la

durée de formation de contrat : la loi Doubin sur les franchises, impose au candidat et au

franchiseur un délai de réflexion de vingt jours avant l’expression du consentement du

franchisé269 ; le franchiseur ne respectant pas ce délai et récidivant dans ce comportement,

s’expose aux peines des contraventions de cinquième classe270. En outre, la jurisprudence déjà

évoquée sur l’abus dans la fixation du prix271 montre que le monde des affaires, entre

professionnels ou avec consommateurs, admet le changement d’avis : la modification d’une

donnée importante du contrat (le prix en l’occurrence) est possible bien après l’échange des

consentements : la seule condition est l’absence d’abus dans cette fixation du prix.

263 Article L. 121-16 du Code de la consommation, sanction par les peines d’amende prévues pour les contraventions de cinquième classe (décret n° 88-539 du 5 mai 1988). Voir notamment Paisant, La loi du 6 janvier 1988 sur les opérations de vente à distance et le "télé-achat", JCP 1988, I, 3350. 264 Voir aussi la loi du 12 juillet 1971 relative à l’enseignement à distance : ce texte prévoit une période d’essai de trois mois au profit de l’élève qui peut résilier le contrat. Sanctions pénales à l’article 16 de cette loi. 265 G. Paisant, La loi du 6 janvier 1988 sur les opérations de vente à distance et le télé-achat, JCP 1988, 3350. 266 Articles L. 311-8 et L. 312-15 du Code de la consommation. 267 G. Rouhette, Droit de la consommation et théorie générale du contrat, Mélanges Rodière, Dalloz, 1987, p. 247, n° 20. 268 Articles L. 311-34 et L. 312-32 du Code de la consommation. 269 Article 1 alinéa 4 de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989. 270 Article 2 du décret n° 91-337 du 4 avril 1991. 271 Voir supra n° 57.

Page 48: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

77

72. La convention médicale offre un autre exemple significatif de cette

prise en compte de la disparition du consentement. En effet, le législateur autorise le patient à

changer d’avis à tout moment, même en cours de traitement et, par conséquent, à retirer son

consentement à la convention précédemment conclue, éventuellement exécutée en partie.

Alors que la force obligatoire du contrat subsiste encore en matière de consommation, puisque

le contrat devenu définitif après l’écoulement des divers délais doit être respecté et exécuté,

ici, le principe disparaît en ce qui concerne le patient. « Le consentement donné par le malade

est un élément essentiel pour la validité du contrat mais, le contrat une fois conclu, le patient

ne renonce nullement à son libre arbitre et dans l’exécution des obligations nées du contrat,

le médecin doit respecter la liberté du malade : il doit informer le malade et solliciter son

assentiment à l’occasion de tout acte médical »272. Selon M. Py, le consentement à l’acte

médical ne se réduit pas au consentement au contrat, car celui-ci donnera lieu à de nombreux

actes qui devront recueillir l’assentiment du patient273.

Les sanctions pénales viennent renforcer les exigences de consentement

durable à la convention médicale, mais dans certaines circonstances particulières seulement.

Comme en matière d’abus de l’état de faiblesse, il n’existe pas de sanction générale de la

disparition du consentement et le Code de déontologie médicale n’évoque rien à ce sujet. Ces

textes particuliers sont apparus essentiellement à l’occasion de la réforme du Code pénal.

Ainsi, en matière de recherche biomédicale, le consentement doit être recueilli dans des

formes précises et à la suite d’une information détaillée274 ; ces recherches doivent être

interrompues si le patient retire son consentement275. Les sanctions applicables le cas échéant

sont les mêmes que lorsque le consentement n’a pas été recueilli avant le commencement des

recherches : la persistance du consentement a la même importance que sa manifestation

censée former la convention. De même, hors les cas précis des hospitalisations d’office ou sur

demande d’un tiers, un malade atteint de troubles mentaux ne peut être hospitalisé sans

consentement276. Ce consentement doit durer puisque l’article L. 326-1 du Code de la santé

publique interdit le « maintien » en hospitalisation d’une personne qui n’y consent plus.

L’hospitalisation d’office ou sur demande d’un tiers peut être contestée par le malade ; le

directeur de l’établissement hospitalier ou le médecin ne peuvent s’opposer à une requête ou

une réclamation du malade adressée aux autorités judiciaires ou administratives, sous peine de

sanctions pénales277. On peut encore citer le cas de la femme enceinte qui souhaite

interrompre sa grossesse et dont le consentement n’est considéré comme définitif qu’après un

272 R. Nerson, Le respect par le médecin de la volonté du malade, Mélanges Marty, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 853, spéc. p. 862. 273 B. Py, Recherche sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse Nancy, p. 133. 274 Voir supra n° 67. 275 Article 223-8 alinéa 2 du Code pénal. 276 Voir supra n° 67. 277 Articles L. 353, 7° et L. 354, 1° du Code de la santé publique. Les peines encourues sont un emprisonnement de un an et une amende de 25000 francs.

Page 49: PREMIERE PARTIE LA CONVENTION INSTRUMENT DE …droit.wester.ouisse.free.fr/textes/.../1_droit_penal_des...27_et_s.pdf · « pénalisation » est observable dans les domaines les plus

http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

78

temps de réflexion permettant diverses consultations informatives278. Ce caractère révocable à

tout moment du consentement est enfin précisé dans l’article L. 665-11 du Code de la santé

publique, en ce qui concerne le prélèvement d’éléments du corps humain et la collecte de ses

produits279.

73. La juridiction pénale détient d’importants pouvoirs répressifs grâce à

ces incriminations nombreuses favorisant un consentement éclairé et durable à la convention.

La faible effectivité de ces textes semble essentiellement dûe à leur caractère récent et au

manque de moyens dont souffre l’institution judiciaire. Si une comparaison de ces infractions

avec les vices classiques du consentement est hasardeuse, il est possible en revanche de faire

apparaître, au travers du droit pénal de la formation du contrat, les nouvelles préoccupations

du droit contemporain : l’objectif dominant est la protection du contractant faible,

économiquement, techniquement, intellectuellement ou physiquement. Afin d’y parvenir, le

droit pénal des conventions permet de tenir compte de nouveaux vices du consentement : sa

disparition et son obtention par abus de faiblesse. Ces évolutions confirment que la place de

l’autonomie de la volonté est devenue très relative : le droit pénal rappelle avec le réalisme

qui le caractérise, qu’il s’agit là d’une simple présomption qu’il convient de vérifier ; la liberté

contractuelle n’est pas absolue et doit être limitée par l’aspiration à un équilibre minimum

entre les contractants par ailleurs inégaux. Cette recherche de l’équilibre se retrouve à

l’examen du contenu des conventions et des prestations auxquels ils s’engagent. Ici encore, la

quête de l’équilibre prime et, si cet équilibre est respecté, autorise une liberté contractuelle

alors considérable. Les considérables pouvoirs du juge pénal en font un acteur majeur de cette

évolution.

278 Article L. 162 -5 du Code de la santé public qui exige le renouvellement par écrit de la demande d’IVG, après une semaine de réflexion au cours de laquelle diverses consultations devront être entreprises, selon les articles L. 162 -3 et s. L’absence de consentement est pénalement sanctionnée par l’article 223-10 du Code pénal. 279 Ainsi que dans l’article L. 671-3 ; sanctions aux articles 511-5 et 511-3 du Code pénal et rappelées dans les articles L. 674 -5 et L. 674 -3 du Code de la santé publique.