Préface de _ Henri Lefebvre, Critique of Everyday Life. Volume III

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10/08/14 Préface de : Henri Lefebvre, Critique of Everyday Life. Volume III. (1981) www.ihtp.cnrs.fr/Trebitsch/pref_lefebvre3_MT.html 1/20 6/05/04 Henri Lefebvre, Critique of Everyday Life. Volume III. (1981) Vingt ans après Présentation de Michel Trebitsch Ce livre est un adieu – et d’abord pour Henri Lefebvre lui-même, puisqu’il vient clore un long cycle, qui n’avait rien de planifié à l’origine, menant du premier volume de Critique de la vie quotidienne, publié en 1947, à ce troisième volume, qui date de 1981. Le philosophe, qui a pris sa retraite en 1973, disparaîtra dix ans plus tard, à l’âge de 90 ans. Comment mieux dire qu’à travers ces trois volumes, c’est près d’un demi-siècle d’histoire intellectuelle que l’on parcourt, surtout si l’on ajoute, d’un côté, que le questionnement d’Henri Lefebvre s’inspire de pistes théoriques remontant à l’avant-guerre et, de l’autre côté, qu’il faut évidemment adjoindre à cet ensemble, sans même parler d’un certain nombre d’articles, un des livres emblématiques des années 1968, La Vie quotidienne dans le monde moderne [1] . Voilà pourquoi cette préface ne sera pas seulement – comme pour les deux précédents volumes – une présentation ou plutôt une mise en contexte, les décennies séparant chacun des ouvrages étant si lourdement chargées de bouleversements historiques. Ici, rien de moins simple que de faire le saut entre ces années 1968, postérieures au 2 e volume, et, pour s’en tenir à la France, l’arrivée de la gauche au pouvoir, contemporaine de ce livre-ci, sans même parler des effondrements qui s’esquissent à l’Est avec les événements polonais. Mais il faut aller plus loin, il aurait peut-être fallu le faire dans les précédentes préfaces, en pensant non seulement au contexte, à la reconstitution des conditions de production de chacun de ces ouvrages pris à part, mais aussi aux effets qu’ils ont pu produire, c’est-à-dire aux conditions de leur réception. Ainsi, on le sait bien, c’est le premier volume de Critique de la vie quotidienne qui a eu l’effet essentiel sur Cobra, puis sur les situationnistes, et le second volume (pourtant fort théorique, et même abstrait), directement contemporain des relations les plus étroites avec ces derniers, a donc été lu par eux comme une confirmation de l’appel à la révolution totale qu’ils avaient cru déchiffrer dans le premier et dans les textes de Lefebvre qu’ils considérèrent d’abord comme de vrais manifestes, notamment sur le « romantisme révolutionnaire ». C’est pourquoi il n’est pas inutile de revenir sur ce qui est en fait au cœur de la réception de la conception lefebvrienne du quotidien, la relation étroite entretenue entre cet effort de conceptualisation et une partie de la « pensée 68 », celle précisément qui échappe – tant ils sont obsédés par l’anti-humanisme – à l’analyse si unilatérale de Luc Ferry et Alain Renaut [2] . Surtout, il faudra prolonger cette réflexion en essayant de comprendre l’évolution qui mène Henri Lefebvre de la « critique radicale » des années 1960, à la posture plus complexe, même

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Henri Lefebvre, Critique of Everyday Life. Volume III. (1981)

Vingt ans après

Présentation de Michel Trebitsch

Ce livre est un adieu – et d’abord pour Henri Lefebvre lui-même, puisqu’il vient clore un long

cycle, qui n’avait rien de planifié à l’origine, menant du premier volume de Critique de la vie

quotidienne, publié en 1947, à ce troisième volume, qui date de 1981. Le philosophe, qui a

pris sa retraite en 1973, disparaîtra dix ans plus tard, à l’âge de 90 ans. Comment mieux dire

qu’à travers ces trois volumes, c’est près d’un demi-siècle d’histoire intellectuelle que l’on

parcourt, surtout si l’on ajoute, d’un côté, que le questionnement d’Henri Lefebvre s’inspire de

pistes théoriques remontant à l’avant-guerre et, de l’autre côté, qu’il faut évidemment adjoindre

à cet ensemble, sans même parler d’un certain nombre d’articles, un des livres emblématiques

des années 1968, La Vie quotidienne dans le monde moderne[1] .

Voilà pourquoi cette préface ne sera pas seulement – comme pour les deux précédents

volumes – une présentation ou plutôt une mise en contexte, les décennies séparant chacun des

ouvrages étant si lourdement chargées de bouleversements historiques. Ici, rien de moins

simple que de faire le saut entre ces années 1968, postérieures au 2e volume, et, pour s’en

tenir à la France, l’arrivée de la gauche au pouvoir, contemporaine de ce livre-ci, sans même

parler des effondrements qui s’esquissent à l’Est avec les événements polonais. Mais il faut

aller plus loin, il aurait peut-être fallu le faire dans les précédentes préfaces, en pensant non

seulement au contexte, à la reconstitution des conditions de production de chacun de ces

ouvrages pris à part, mais aussi aux effets qu’ils ont pu produire, c’est-à-dire aux conditions de

leur réception. Ainsi, on le sait bien, c’est le premier volume de Critique de la vie quotidienne

qui a eu l’effet essentiel sur Cobra, puis sur les situationnistes, et le second volume (pourtant

fort théorique, et même abstrait), directement contemporain des relations les plus étroites avec

ces derniers, a donc été lu par eux comme une confirmation de l’appel à la révolution totale

qu’ils avaient cru déchiffrer dans le premier et dans les textes de Lefebvre qu’ils considérèrent

d’abord comme de vrais manifestes, notamment sur le « romantisme révolutionnaire ». C’est

pourquoi il n’est pas inutile de revenir sur ce qui est en fait au cœur de la réception de la

conception lefebvrienne du quotidien, la relation étroite entretenue entre cet effort de

conceptualisation et une partie de la « pensée 68 », celle précisément qui échappe – tant ils

sont obsédés par l’anti-humanisme – à l’analyse si unilatérale de Luc Ferry et Alain Renaut[2].

Surtout, il faudra prolonger cette réflexion en essayant de comprendre l’évolution qui mène

Henri Lefebvre de la « critique radicale » des années 1960, à la posture plus complexe, même

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si elle est toujours marquée par le besoin de radicalité critique, qui caractérise les années

1980.

Mais cette ultime préface doit être aussi l’occasion d’un bilan plus global. Moins sur le

marxisme à la française et sa crise dans le second XXe siècle, sur laquelle tant de gloses, et

non des meilleures, ont été produites à l’envi, que sur la place d’une véritable pensée

lefebvrienne dans la recomposition philosophique et idéologique qui a caractérisé cette

période, sur la place de cette pensée dans un paysage allant de la phénoménologie puis de

l’existentialisme à la française jusqu’au structuralisme et aux théories déconstructionnistes de

l’après 1968. Les remarques, même assez sommaires, que je serai amené à faire ne

compenseront certes pas la surprenante absence d’Henri Lefebvre dans les (d’ailleurs assez

rares) histoires de la philosophie contemporaine, que l’on pense par exemple aux travaux de

Vincent Descombes ou de Christian Delacampagne[3]. Trop sociologue et pas assez

philosophe patenté ? Trop marxiste, mais pas de la bonne orthodoxie post-althussérienne ?

Sans se lancer dans une explication excessivement générale, on tentera de lire l’oubli dans

lequel est en partie tombée l’œuvre d’Henri Lefebvre comme un des symptômes de cette fin

d’une époque de la pensée qui se dessine au tournant des années 1980.

*

Il faut pourtant faire un peu d’histoire. 1961-1981 : vingt ans séparent ce volume du précédent,

vingt ans marqués par de profonds bouleversements historiques, vingt ans aussi au cours

desquels Henri Lefebvre parvient au sommet de sa notoriété, d’abord comme une des têtes

pensantes de la critique radicale des années 1960, mais aussi, dans une relation complexe

avec l’institué et l’institutionnel, comme un des pionniers d’une pensée de l’espace et de la ville,

en particulier au cours des années 1970, avant que les divers reflux et tournants de la fin de la

décennie ne tendent à l’écarter et le marginaliser. On pourrait ainsi le suivre dans une grande

chevauchée à travers des événements qui, d’un côté, continuent de courir sur l’erre de la

prospérité et de la croissance des Trente Glorieuses et, de l’autre, demeurent dominés par

l’idée de révolution, même si, précisément , les échecs se succèdent et s’accumulent.

Amusons-nous aux symboles. 1961, lorsque paraît le second volume de Critique de la vie

quotidienne, est l’année du procès Eichmann, du premier homme (Gagarine) dans l’espace, du

Mur de Berlin. De la télévision en couleur au RER, de Concorde à la mission Apollo sur la Lune,

les percées technologiques s’accélèrent et généralisent, dans les pays développés, ce qu’on

appellera la société de consommation, celle-là même que Lefebvre analyse et dénonce en

tentant, sans succès, de la définir de manière plus complexe comme une « société

bureaucratique de consommation dirigée ». Face à cette croissance et à ses effets politiques,

sociaux et culturels, le grand mouvement de contestation qui domine la décennie a pour signe

de ralliement le rejet du modèle soviétique dont la crise, officialisée depuis 1956, se cristallise

dès la chute de Khrouchtchev et les années Brejnev. La recherche de modèles alternatifs, plutôt

martiaux au début des années 1960 (Vietnam, révolution culturelle chinoise, Che Guevara),

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plutôt démocratiques ensuite (le « socialisme à visage humain » tchèque, la courte expérience

Allende au Chili, l’eurocommunisme et, en France, le Programme commun), débouche

néanmoins, à chaque fois, sur des échecs. Cette phase encore dominée par l’idée qu’une

perspective révolutionnaire est possible est évidemment symbolisée par le choc des

événements de mai 68.

C’est autour de 1968 que se situe pour Henri Lefebvre la période de la plus grande

productivité, de la plus grande influence intellectuelle, de la tentative de penser un modèle de

critique radicale dont il ne se détachera progressivement qu’à la fin des années 1970. Il faut ici

revenir sur quelques points concernant cette période, évoqués assez rapidement, notamment à

propos des situationnistes, dans ma préface au second volume de Critique de la vie

quotidienne. C’est l’occasion de combler quelques lacunes et de corriger quelques erreurs[4].

Rappelons en effet qu’après avoir lancé en 1960 un « Groupe de recherche sur la vie

quotidienne » au Centre d’études sociologiques du CNRS, Lefebvre est élu en 1961

professeur à Strasbourg, où il restera jusqu’à son élection à la toute récente faculté de Nanterre

en 1965. À Strasbourg comme ensuite à Nanterre, il inaugure une pratique universitaire peu

conventionnelle pour l’époque, incitant les étudiants à travailler dans le cadre de groupes

autogérés, passant des contrats avec des institutions publiques et lançant des études de

marché, notamment d’ailleurs pour financer un certain nombre de jeunes intellectuels. C’est

dans ces conditions, selon Eleonore Kofman et Elizabeth Lebas, qu’entré en contact dès 1958,

à travers les milieux de la Nouvelle Gauche, avec le jeune Georges Perec, alors au service

militaire, il l’aurait employé à certaines études en Normandie et dans l’Oise[5]. Une amitié va

naître, Perec fera plusieurs séjours à Navarrenx, la maison pyrénéenne de Lefebvre, et c’est

vraisemblablement là qu’il s’engagera pleinement dans l’écriture. Rencontre donc marquante

pour les deux hommes, comme l’avait déjà souligné le biographe de Perec, David Bellos[6]. Et

influences réciproques, comme le montrent plusieurs travaux récents menés dans le cadre du

séminaire de l’association Georges Perec organisé à l’Université Paris 7[7]. Ainsi, dans

Introduction à la modernité (1962), Henri Lefebvre met-il la Ligne générale, petit groupe

d'avant-garde auquel appartient Perec, en parallèle avec le groupe situationniste comme un

des fers de lance d'un « nouveau romantisme » de nature révolutionnaire ; surtout, il évoque à

plusieurs reprises l’œuvre de Perec, notamment Les Choses (1965) dans La Vie quotidienne

dans le monde moderne. Quant à Perec, l’influence de Critique de la vie quotidienne et, plus

généralement, de la réflexion lefebvrienne sur l’aliénation, sur le culte des objets et des

marchandises, sur le banal, « l'infra-ordinaire » trouve de nombreux échos, non seulement dans

Les Choses, mais aussi dans Un homme qui dort (1967), voire dans Espèces d’espaces

(1974) et La Vie mode d’emploi (1978).

Le voisinage esquissé entre Georges Perec et Guy Debord incite à revenir aussi sur les

relations entre Henri Lefebvre et les situationnistes. Lors de la parution du 2e volume de

Critique de la vie quotidienne, elles sont au beau fixe, si tant est, comme je l’avais évoqué

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dans ma précédente préface, qu’elles aient été jamais simples, les situationnistes ne cessant

de reprocher à Lefebvre, d’une part ses relations avec la « nouvelle gauche » et le groupe

d’Arguments, d’autre part l’absence de projet politique révolutionnaire. À la bibliographie que

j’avais utilisée alors, outre les numéros de l’Internationale situationniste et le livre

autobiographique de Lefebvre, Le Temps des méprises (1975), sont venus s’ajouter, non

seulement une nouvelle brassée d’études d’inégale valeur, mais surtout la correspondance de

Guy Debord, dont trois volumes (1957-1960, 1960-1964, 1965-1968) ont été publiés

jusqu’ici[8]. Cette correspondance confirme et précise en effet les liens très étroits qui les

unissent, même assez brièvement, tout en tendant à relativiser la cohérence des positions si

hautement affirmées des situationnistes. C’est, on le sait, l’article de Lefebvre « Vers un

romantisme révolutionnaire », publié en octobre 1957 dans la NRF, qui a attiré leur attention

dès le premier numéro de l’Internationale situationniste (juin 1958). Mais c’est apparemment

par Asger Jorn que Debord prend connaissance de la théorie des « moments » telle que

Lefebvre vient de la définir dans La Somme et le Reste (lettre de Debord à Asger Jorn, 2 juillet

1959). L’année 1960 semble être l’apogée de leur amitié, comme en témoignent les échanges

de lettres assez nombreux entre Lefebvre et Debord entre janvier et mai ; c’est de cette période

que datent les grandes virées à Navarrenx comme les soirs de débats avinés dans le

minuscule réduit où vivent Guy Debord et Michèle Bernstein. En outre, c’est Lefebvre, à qui

Raoul Vaneigem a adressé son manuscrit Fragments pour une poétique (lettre de Vaneigem

à Lefebvre, 18 juillet 1960), qui le fait lire à Debord, met en contact le jeune Belge et contribue à

son intégration au groupe situationniste. Cet accord idéologique et politique, marqué par la

signature commune du Manifeste des 121, par l’exposé de Debord au Groupe de recherches

sur la vie quotidienne en mai 1961, ne dépassera pas l’année 1962. Les situationnistes

réagissent vivement aux conclusions d’Introduction à la modernité où celui qu’ils surnomment

Amédée, reprenant et modifiant son analyse du « romantisme révolutionnaire », assimile leur

action à une révolte de la jeunesse. Surtout, l’épisode est connu et je l’ai moi-même déjà

évoqué, ils accusent Lefebvre de plagiat à propos de pages sur la révolution comme fête

parues dans Arguments et annonçant son livre de 1965, La Proclamation de la Commune. La

rupture est violente, sanctionnée par le tract « Aux poubelles de l’histoire » (21 février 1963), et

les attaques reviendront dans les trois derniers numéros de l’Internationale situationniste (en

1966, 1967 et 1969) contre le « Versaillais de la culture ». Ce que la publication de la

correspondance nous apprend de plus sur cette affaire, c’est que Guy Debord est d’abord prêt

à renouer, sous condition en tout cas d’une explication publique (lettre à Michèle Bernstein, fin

février 1963), mais aussi que la rupture politique se double de querelles personnelles assez

laides[9]. Le conflit sera définitif, Debord traitant Lefebvre de « vieil as de pique » à la vie

ordurière, tandis que ce dernier ira encore en 1965 de sa lettre d’injures à Asger Jorn, qualifié

de « rat pourri » pour avoir rappelé l’accusation de plagiat des situationnistes[10].

S’il y avait de bonnes raisons - les publications récentes dont je n’avais pas pu faire état

précédemment - de revenir sur les relations d’Henri Lefebvre avec les situationnistes, il en est

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aussi de mauvaises, cette vague démesurée de « debordmania », relayée notamment par

quelques figures de pointe de l’ex-avant-garde, qui tend à servir de cache-sexe à « l’ère du

vide » diagnostiquée il y a déjà pas mal d’années. À cet égard, on est pour le moins surpris par

la forme de cette correspondance publiée de Guy Debord, surtout chez un grand éditeur

comme Fayard, parce qu’elle néglige les règles scientifiques minimum en la matière : une

minceur des volumes, dotés de marges démesurées, aucun moyen de s’assurer qu’il s’agit

d’une correspondance intégrale ou choisie, aucun appareil critique, sinon quelques « notes »

d’humeur. Ce genre de publications autour de Debord en particulier, maintenant de Vaneigem,

sont loin d’être sans intérêt mais participent d’une sorte de divinisation, à tout le moins de

starisation qui sont aux antipodes de l’intention situationniste. Quelle que soit la part très lourde

du modèle André Breton (infiniment plus pontifical que son descendant, il est vrai), Guy Debord

traverse, jusqu’à son suicide en 1994, la période d’eaux troubles des années 1960 aux années

1990 sans jamais faire la moindre concession à ce qui a permis à maint autre intellectuel,

parmi ses contemporains, de tenir boutique et de vendre à tous vents sa camelote. C’est

pourquoi, il apparaît d’autant plus choquant de le voir instrumentalisé dans les conditions

marchandes et éditoriales d’aujourd’hui. Et il apparaît d’autant plus important de rappeler,

même de manière un peu virulente ici, cette rectitude intellectuelle et même morale, d’une part

à cause des problèmes de réception que cela pose, notamment les déviations qu’entraîne telle

ou telle lecture anglo-saxonne de la « French theory », d’autre part et surtout parce que c’est

aussi dans ces termes, de joie et de rigueur, qu’ont pu fonctionner les relations intellectuelles et

amicales de Debord avec Lefebvre dans les années 1960, et que l’on peut décrypter non

seulement ce qu’a pu être à ce moment l’influence du second sur le premier, mais par la suite

l’effet à plus long terme de certains thèmes situationnistes sur Lefebvre.

*

Ce rappel des relations entre Lefebvre et les situationnistes a aussi pour rôle de rouvrir le

débat sur mai 68 et la place réelle qu’y tient le philosophe. Situation paradoxale : présenté

souvent, au moment même des « événements » comme une sorte de deus ex machina de

l’agitation étudiante, notamment par ses collègues les plus conservateurs, comme Didier

Anzieu/Épistémon[11], c’est ensuite le silence sur son rôle qui l’emporte, au point que, plus on

s’éloigne des années immédiatement postérieures aux « événements », moins apparaissent

les références à Lefebvre, en tout cas dans les « grandes » histoires de mai 68[12]. Quant à son

livre écrit à chaud, comme quelques autres essais contemporains, il a longtemps disparu des

bibliographies et plus encore des historiographies, jusqu’à sa réédition récente, sous un titre

d’ailleurs stupidement tronqué[13]. En vérité, hors l’étrange et brillant essai de Greil Marcus sur

la culture des années 1960, Lipstick Traces, où Lefebvre fait figure de personnage

romanesque, il faut attendre la toute récente thèse de Bernard Brillant pour que son rôle soit

rappelé de manière équilibrée et surtout que ses propres idées sur 68 soient analysées de

manière un peu détaillée[14].

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Lefebvre, qui avait été élu professeur à la Faculté de Strasbourg en 1961, arrive à Nanterre en

1965. À cette date, la rupture avec les situationnistes est consommée. Mais il n’est pas interdit

de penser que le sociologue atypique, dont les cours attirent de préférence les étudiants les

plus disposés à la contestation et dont la réputation est vite sulfureuse auprès de la bourgeoisie

strasbourgeoise , va cristalliser un certain nombre d’interrogations dans le milieu étudiant.

C’est néanmoins après son départ qu’auront lieu les scandales situationnistes de Strasbourg,

qui en feront avant 1968 une capitale de la révolte étudiante. Ces scandales visent d’ailleurs le

département de sociologie et nommément, en 1965-1966, le cybernéticien Abraham Moles,

qu’Henri Lefebvre avait pris comme assistant et que les situationnistes traitent de « robot

conforme » s'adonnant à la « programmation des jeunes cadres ». Après plusieurs chahuts, ils

l’empêchent en octobre 1966 de tenir le cours inaugural de sa chaire de psycho-sociologie. Le

second « scandale de Strasbourg », évoqué dans l’Internationale situationniste et dans la

presse locale, est contemporain de la prise de pouvoir des situationnistes à l’UNEF locale, qui

l’accusant de réformisme, décident de la dissoudre et de vendre ses biens. L’affaire est portée

devant les tribunaux et les biens mis sous séquestre, ce qui provoque la réaction du des

enseignants du département de sociologie de Nanterre[15]. Entre temps, les situationnistes ont

dépêché sur place Mustapha Khayati, qui rédige au nom des étudiants un manifeste – lu lors de

la rentrée universitaire - appelé à un certain retentissement, qui sera vite diffusé dans nombre

d'universités, De la misère en milieu étudiant, considérée sous son aspect économique,

politique, psychologique, sexuel, et notamment intellectuel, et de quelques moyens pour y

remédier, publié en 1967[16]. Rappelons que c’est de 1967 que datent aussi les deux

principaux textes situationnistes : La société du spectacle de Guy Debord et Traité de savoir

vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem

Il y a un paradoxe Lefebvre en 1968, surtout par rapport au silence actuel. Alors que ses

contemporains, en tout cas ses collègues les plus opposés à l'agitation, ont cru déceler en lui le

deus ex machina des troubles nanterrois, Lefebvre est assez peu visible au cours des

événements, notamment après le mois de mai 1968, lorsque la dramaturgie principale se

transporte à Paris. Son influence n'est pourtant pas niable, dès avant 68. Nommé à Nanterre en

1965, il a d'abord l'aura d'un prof insolite. Directeur un an du département de sociologie, Alain

Touraine lui succède en 1967. François Bourricaud, Michel Crozier, puis Henry Reymond, René

Lourau, Jean Baudrillard : Lefebvre s’entoure d’enseignants non conventionnels (certains ne

sont pas agrégés), qu’il convie tous les vendredis avec quelques étudiants à venir banqueter

dans son bureau. Sans pratiquer lui-même la pédagogie institutionnelle, apanage de Georges

Lapassade et René Lourau, il pratique un enseignement non directif, une pédagogie

spontanéiste, invitant par exemple le 10 février 1967 Jean-Jacques Lebel pour une conférence-

démonstration sur le happening, ou encore, sans qu'on puisse parler de quelque paternité que

ce soit, en 1966-1967, il fait un cours sur « Sexualité et société » qui est contemporain des

premiers affrontements à la résidence universitaire pour que les garçons obtiennent le droit

d’aller dans le bâtiment des filles. Ainsi, Lefebvre est-il la figure de proue d’un département de

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sociologie indiscutablement agité. Il n'est pas tout à fait niable que, tant chez les enseignants

que chez les étudiants, les sociologues aient joué un rôle important dans les « événements ».

On a assez souvent signalé que les étudiants de sociologie sont particulièrement dynamiques à

Nanterre, y compris dans l'UNEF exsangue : c'est d’ailleurs un jeune sociologue militant

chrétien, Philippe Meyer, qui lance le mouvement contre la sélection, et il paraît inutile de

rappeler le rôle de Dany Cohn-Bendit, qui reconnaîtra à plusieurs reprises, à côté de l'influence

de Socialisme et Barbarie, des textes anarchistes et situationnistes, sa dette envers Lefebvre.

Dette purement intellectuelle, car Lefebvre, détaché de tout appartenance politique, n'a pas de

relation ès qualités avec les « groupuscules », trotskistes, maoïstes, anarchistes,

situationnistes, qui se partagent le campus à partir de cette époque.

L'agitaton commence à Nanterre en mars 1967 par l’occupation du bâtiment des filles, mais

c’est surtout à la rentrée de novembre que le mouvement lancé sur la question des

équivalences entre anciens et nouveaux diplômes de premier cycle, prend pour thème-clé,

notamment à l'initiative de Philippe Meyer, la lutte contre la sélection. Très rapidement, les

enseignants de sociologie appellent à la grève et la fameuse agitation commence dès la fin

novembre avec l’occupation des locaux, y compris administratifs, par les étudiants, qui rompent

ainsi avec les méthodes traditionnelles de lutte syndicale et imposent plus ou moins (le doyen

Grappin a accepté le dialogue) leurs propres structures de discussion. Lefebvre, accusé par

ses collègues de fomenter la révolte, jouera un rôle lors de l'Assemblée de Faculté

extraordinaire réunie le 25 en présence d'une délégation étudiante, qui aboutira à la mise en

place de comités paritaires[17]. Dans ce grand meeting permanent qui se tient désormais à

Nanterre où règnent les « enragés » porteurs des slogans provocateurs, il est physiquement

très présent, participant aux réunions paritaires comme à l'agitation culturelle dans cette

ambiance de happening et de fête qui préfigure mai, notamment, par exemple, lors de la venue

du Living Theatre en décembre ou, en mars 1968, lors de la conférence de Mme Revault

d'Allonnes sur La Révolution sexuelle de Reich[18]. En janvier, Cohn-Bendit est menacé de

renvoi après l'épisode célèbre de la piscine (8 janvier) où il avait interpellé le ministre François

Misoffe, dont le « Livre blanc » sur la jeunesse était silencieux sur la sexualité. Le 26, une

manifestation de soutien, qui dénonce de prétendues « listes noires » contre les étudiants,

tourne à l'émeute et aux agressions contre le doyen Grappin. Lors du Conseil universitaire et de

l'Assemblée générale de la Faculté réuni le 27, Lefebvre, tout en condamnant les violences,

prend la défense de Cohn-Bendit et dénonce à son tour les « listes noires »[19]. L'agitation, qui

n'a pas cessé, notamment en février à la résidence, débouchera, on le sait, le 22 mars, sur

l'occupation du bâtiment administratif pour protester contre l'arrestation d'étudiants ayant

manifesté contre la guerre du Vietnam et sur la formation du Mouvement du 22 mars. Les

Enragés ne se privent d’ailleurs pas de dénoncer le « métastalinien » Henri Lefebvre[20].

Pendant ce mois de février, celui-ci part au Japon, où il entre en contact avec les étudiants du

Zengakuren et se fait remplacer par Edgar Morin à Nanterre. Le doyen Grappin convoque une

Assemblée de la faculté de 26 mars et, malgré les interventions de Touraine et Lefebvre,

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décide la fermeture de la Faculté en avril, à la veille des vacances de Pâques. L'agitation

reprenant de plus belle après les vacances, il demandera derechef la fermeture le 2 mai. On

connaît la suite. L'occupation se déplace à la Sorbonne, violemment évacuée par la police les 3

et 4 mai, ce qui donne le signal du cycle des grandes manifestations et des barricades à partir

du 6 mai. Le lundi 8, Cohn-Bendit et sept autres étudiants de Nanterre sont convoqués pour les

troubles du 2 mai devant le Conseil de discipline de l'Université de Paris qui réunit, sous la

présidence de Robert Flacelière, directeur de l'ENS, les doyens des facultés. Quatre

enseignants viennent défendre les étudiants : Henri Lefebvre, Guy Michaud, Paul Ricoeur et

Alain Touraine. On est alors entré dans la crise de société, comme le constate le grand appel,

signé notamment par Lefebvre, publié dans Le Monde du 9 mai. Emblématique en serait le

lendemain 10 mai, marqué par des événements aussi disparates que la conférence d’Herbert

Marcuse à l’UNESCO, l’ouverture des négociations américano-vietnamiennes et la « nuit des

barricades » qui enflamme le Quartier latin. Le 14 mai, une assemblée enseignants-étudiants

proclame Nanterre faculté « libre et autonome » (selon Ricoeur, c’est à Lefebvre que revient la

paternité de l’expression). Fin mai et en juin, au moment des grandes grèves, on ne voit plus

Lefebvre. Nanterre était-il devenu si inaccessible avec les grèves de transport ? Mais on ne le

verra guère plus à la Sorbonne ou à l'Odéon, encore moins juché sur une caisse à Billancourt.

Selon son propre témoignage, il aurait participé à une soirée très dramatique à la télévision, le

soir du 13 mai, avec tous les leaders du mouvement, mais dans une émission qui n'eut jamais

lieu car il manquait un « représentant de la classe ouvrière »[21].

La question de mai 68, on s’en doute bien, ne se limite pas au rôle d’Henri Lefebvre au cours

des événements. Il s’agit aussi et bien plus de la réception de ses idées auprès du public

étudiant. Ou plus exactement des publics étudiants. Et c’est là que nous nous retrouvons avec

une lecture frontalement opposée à celle de Luc Ferry et Alain Renaut. Georges Labica, dans

sa préface à la réédition de Métaphilosophie, l’expression qui sert de sous-titre à ce troisième

volume de Critique de la vie quotidienne, rappelle que le livre, qui paraît en 1965, passe

totalement inaperçu, au moment où Althusser publie ces deux rouleaux compresseurs que sont

Pour Marx et Lire le Capital[22]. Par rapport à une orthodoxie althussérienne, qui s’impose de

manière terroriste un peu comme, quelques décennies plus tard, Bourdieu, on ne peut pourtant,

comme tend à le faire Labica, réduire Henri Lefebvre à une culture de la dissidence et de

l’hérésie. Lui-même s’oppose alors très abruptement, non seulement à Althusser, mais à tout

ce qui a à voir peu ou prou avec le structuralisme qu’il condamne sans appel comme une

« idéologie technocratique »[23]. Au torrent Althusser, répondent une multitude de ruisselets

lefebvriens. C’est cela que je désigne comme ses divers publics. Il y a d’abord le public, assez

large, du petit « Que sais-je ? » sur le marxisme de 1948, qui vient encore de faire son miel

avec la Sociologie de Marx parue aux PUF dans la collection universitaire « Sup » (1966) et

qui se plonge aussi dans la collection « Idées » chez Gallimard, où Lefebvre vient de publier

coup sur coup Le Langage et la société et La Vie quotidienne dans le monde moderne. Il

faudrait ajouter l’influence, plus diffuse, des revues, notamment Autogestion et L’Homme et la

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société à la fondation desquelles il participe en 1966. Il y a aussi d’autres publics, plus

restreints à coup sûr, comme celui qui, après le second volume de Critique de la vie

quotidienne va chercher dans La Proclamation de la Commune (1965) comment retrouver le

chemin de la révolution, en renouant avec cette utopie de la révolution totale qui est en même

temps révolution politique et révolte de l’esprit. Ou encore, mais c’est presque le même public,

celui qui, réuni autour des questions d’urbanisme, participe en 1968 avec Lefebvre aux

expériences d’autogestion de l’Institut d’urbanisme[24] et aux activités du groupe et de la revue

Utopie (1967-1969), animés par Hubert Tonka, Jean Baudrillard et les architectes du groupe

Aérolande[25]. Autrement dit, certes plus diffuse, moins doctrinale, l’influence du sociologue

nanterrois, animateur de revues, auteur prolifique, ne vaut-elle pas celle du philosophe cloîtré

dans sa tour d’ivoire de la rue d’Ulm ?

Pour autant, Henri Lefebvre est-il un des maîtres à penser de 1968 ? La question doit se poser,

me semble-t-il, en d'autres termes, qui s'opposent pour une bonne part aux analyses

développées par Alain Touraine dans un entretien publié dans le catalogue d’une exposition

organisée par la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, « L'apparition

d'une nouvelle sensibilité sur la scène politique », qui me semblent fournir un cas presque

caricatural de reconstruction a posteriori[26]. Touraine y fonde toutes ses explications sur une

dichotomie rudimentaire et gratifiante, entre les « enseignants irresponsables » et les rares

clairvoyants présents, surtout en sociologie, une sociologie marginalisée et contestataire par

opposition aux disciplines plus nobles, ce qui lui permet de mettre en valeur son propre rôle, en

effet important, mais en gommant toutes les contradictions, sa prudence initiale, son jeu

ambigu entre les autorités académiques et politiques et le mouvement, son influence

intellectuelle alors inexistante auprès des étudiants, en tout cas jusqu’à son livre écrit à chaud,

Le Communisme utopique. Le mouvement de Mai 1968 (1968). Est-il besoin de préciser qu'il

ne mentionne même pas le nom d'Henri Lefebvre. Or, il faut en effet faire un lien entre

l’idéologie de mai 68 et ce qui s’est produit en sociologie au sens où cette discipline apparaît

comme un des creusets de la réflexion critique, sans pour autant tomber dans une mythification

de la relation entre sociologie et contestation[27]. Le thème-clé, parce qu’appuyé sur une

pratique professionnelle, c’est le thème de la critique de la vie quotidienne et de la lecture que

Lefebvre en retire de la modernité. La modernité apparaît à Lefebvre fondamentalement non

pas comme la domination des grandes puissances économiques, même pas comme

l’avènement d’une bureaucratie étatique, mais comme ce qui a déshumanisé, aliéné l’homme.

La notion de critique radicale, qui illumine ces années, et qui est le contraire de l’anti-

humanisme, renvoie chez Lefebvre à une conception, permanente chez lui depuis l'expérience

avant-gardiste des années 1920, d'une révolution conçue en termes de totalité. Le projet

révolutionnaire fondamental, qui tourne autour de ces notions de fête, de rupture de la vie

quotidienne, de détournement, a pour objectif ultime de refonder l’homme. C’est par là qu'il

rencontre, sinon qu'il influence la contestation de 1968 et son aspiration à la globalité. Derrière

la notion de « révolution culturelle », de prise de pouvoir symbolique, de prise de parole, tous

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ces mots qui tentent de rendre compte du « mystère 68 », Lefebvre décèle une innovation,

incompréhensible et inacceptable à toute pensée orthodoxe de la révolution : les

« infrastructures » économiques et sociales n'ont pas été renversées, le pouvoir d'État est resté

sur ses bases, mais ce sont les « superstructures » intellectuelles, morales, psychologiques qui

se sont effondrées, et il n'est pas loin de penser que là est l'essentiel.

C’est pourquoi, en définitive, si l’on veut suivre Lefebvre dans sa réflexion sur mai 68, le mieux

n’est-il pas de reprendre son essai contemporain, L’Irruption de Nanterre au sommet, si

négligé de la plupart des historiens ?[28] Henri Lefebvre y propose une première classification

en distinguant trois tendances dans l'idéologie de mai 68 : ceux qu’il appelle les

« archaïques », d’un côté le parti de l'ordre qui rejette la subversion, de l’autre les dogmatiques

du type Althusser ; puis les « modernistes », principaux récupérateurs du mouvement ; et enfin

les « possibilistes », plus préoccupés des virtualités que du réel, prêts à dépasser le réel, à

proclamer le primat de l'imagination sur la raison. On se doute bien que c'est dans cette

catégorie que Lefebvre se range lui-même. Mais l’intérêt principal du livre n’est pas dans le

jugement porté sur les événements de 68. Il est dans l’analyse du phénomène Nanterre, traité

sur le même mode que ce qu’il a déjà pu écrire sur la « ville nouvelle ». La Faculté de Nanterre,

qui s'est ouverte en 1964, a été présentée par un certain nombre de témoins de ce moment là

comme un espèce d’abcès de fixation. « Nanterre La Folie-complexe universitaire » : ceux qui

ont pratiqué Nanterre dans ces années n'ont pas oublié ce panneau indicateur de la petite gare

de La Folie, qui reliait alors, avant le RER, la petite faculté à la grande ville. C’est à ce moment-là

une fac, pas tout à fait finie, des bidonvilles, pas tout à fait disparus, des transports

incommodes, une résidence universitaire, la seule qui soit sur un campus. Il y a eu beaucoup

d’analyses de témoins sur le thème : « on a réuni dans ce lieu toutes les contradictions

possibles pour que cela éclate ». Dans L’Irruption de Nanterre au sommet, Lefebvre part lui

aussi du « paysage désolé » de cette « Faculté parisienne hors Paris », mais ne s'en tient pas

à la description du contraste. « La Faculté a été conçue selon les catégories mentales de la

production et de la productivité industrielles [...] Les bâtiments disent le projet et l'inscrivent sur

le terrain. Ce sera une entreprise, destinée à la production d'intellectuels moyennement

qualifiés et de "petits cadres" pour cette société ». Serait-ce un lieu maudit ? C'est au contraire

un vide, « l'anomique, le social extra-social » : l'absence, c'est le lieu « où le malheur prend

forme ». « La Ville, au loin – passée, absente, future – prend une valeur utopique pour des

garçons et des filles installés dans l'hétérotopie génératrice de tensions, d'images

fascinantes ». Sur place, c'est la double ségrégation, fonctionnelle et sociale, industrielle et

urbaine, qui enferme la culture dans un ghetto, réduit au minimum la fonction d'habiter, maintient

« les séparations traditionnelles – entre garçons et filles, entre travail, loisir et vie privée » et

qui va faire du moindre contrôle et des bâtiments emblématiques, la Cité, la Tour

administrative, les symboles de la répression. Autrement dit, débordant l'analyse psycho-

sociologique de la révolte contre le père, contre l'autorité, du conflit des générations, Lefebvre

propose de lire à travers Nanterre « une crise autrement profonde qui va de la vie quotidienne

aux institutions et à l'État qui tient l'ensemble » (p. 115-118 de l’édition originale).

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C’est en termes de questions sur l’espace et l’urbain que Lefebvre se pose le problème 1968,

et non en termes de « prise de parole » (Michel de Certeau) ou de « brèche » (Edgar Morin,

Claude Lefort, Jean-Marc Coudray), parce que c’est là, dans la « révolution urbaine », que se

jouent pour lui toutes les contradictions de la modernité. C’est en tout cas dans la foulée des

« années 68 » et de l’ensemble de la décennie suivante – entre 1965 et 1975 - qu’Henri

Lefebvre parvient au sommet de sa notoriété et de son influence intellectuelle, au moment

même où il s’apprête à pendre sa retraite en 1973[29]. Cette décennie marque le passage de la

critique radicale à une posture plus réservée, mais qui reste dominée par la recherche d’un

marxisme critique. On peut se demander, avec quelques autres, si, malgré (ou avec) le coup de

tonnerre de L’Archipel du Goulag, les années 1970 n’ont pas été l’âge d’or d’un certain

« French marxism », précisément pas celui du structuralisme et de l’althussérianisme, mais

celui des penseurs dégagés du communisme, de Lucien Goldmann à François Châtelet, de

Kostas Axelos à Edgar Morin, Claude Lefort, Cornélius Castoriadis. C’est alors que,

poursuivant une réflexion globale déjà marquée par Introduction à la modernité (1962) et

Métaphilosophie (1965), Henri Lefebvre défend un projet théorique d’ensemble (La fin de

l'histoire, 1970 ; Le Manifeste différentialiste, 1971) scandé par une nouvelle attaque en règle

contre le structuralisme (Au-delà du structuralisme, 1971, réédité en partie sous le titre

L'Idéologie structuraliste, 1975) et une lecture ambitieuse du « mode de production étatique »

(De l'État, 1976-1978, 4 volumes). Cet ensemble théorique est pourtant moins bien reçu que

les oeuvres des autres marxistes dédogmatisés de la période. En revanche, c’est sa réflexion

sur la ville et l’urbain (Le Droit à la ville, 1968 ; Du rural à l'urbain et La Révolution urbaine,

1970 ; La Pensée marxiste et la ville, 1972), plus largement sur l’espace (Espace et politique.

Le droit à la ville II, 1973), et surtout, ouvrage essentiel, La Production de l'espace (1974, ) qui

lui vaut une reconnaissance, d’ailleurs étrangement décalée, moins chez les philosophes et les

sociologues que chez les géographes, urbanistes et architectes. Les années 1970 sont celles

du « changer la vie, changer la ville », tant à gauche, du côté du Programme commun, qu’à

droite, avec la nouvelle politique de la ville inaugurée sous Giscard par Olivier Guichard. Dès

les années années1960, grâce à ses réseaux personnels et sociaux, grâce aux missions de

recherche des ministères, c’est autour de Lefebvre que s’était organisée en partie la recherche

urbaine, par exemple dans ce lieu pluridisciplinaire qu’est le Centre de recherche d’urbanisme

ou encore à la revue Espaces et sociétés, dont il est le co-fondateur en 1970, avec Anatole

Kopp, Manuel Castells, Serge Jonas, Raymond Ledrut, avant de rompre brutalement en grande

partie face aux positions de plus en plus althussériennes d e Manuel Castells. Celui-ci avait

repris en fanfare la « question urbaine » dans ses rapports avec le capitalisme et l’État, en

particulier dans un article provocateur, « Y a-t-il une sociologie urbaine ? » datant de 1968[30]

C’est aussi dans cette période, ou dans les quelques années qui suivent, qu’à travers de

multiples traductions, son oeuvre connaît un rayonnement international. En Allemagne, dans

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cette phase encore en quelque sorte pré-habermasienne et sous l’impact des divers

mouvements alternatifs et autonomes nés de 1968, il est accueilli comme un équivalent français

de Marcuse, voire des philosophes de l’école de Francfort. C’est l’époque où se développe,

notamment chez les historiens (Lutz Niethammer ), le thème d’une histoire « vue d’en bas »,

mais aussi chez les sociologues et philosophes une lecture « ethnométhodologique » qui

débouche sur une théorie de l’action. Deux livres sont consacrés à Henri Lefebvre dans cette

période, dont l’un, celui de Thomas Kleinspehn, traite directement de la vie quotidienne[31].

Mais c’est à la fin des années 1970 et au début des années 1980 qu’Henri Lefebvre va trouver

toute sa légitimité dans le monde anglo-saxon, parce qu’il est replacé par les divers

spécialistes dans un courant beaucoup plus vaste, incluant l’ensemble du marxisme hétérodoxe

qui a essayé de penser sa propre crise depuis les grandes ruptures autour de 1956, qu’on

appelle cet ensemble « Western marxism » comme Perry Anderson, « New Left » comme

Arthur Hirsh, « Existential marxism » comme Mark Poster[32]

*

Au début des années 1980, lorsque paraît ce 3e volume de Critique de la vie quotidienne,

achevé au moment même de la victoire électorale de la gauche, Henri Lefebvre se trouve dans

une posture un peu paradoxale. D’un côté, il vit encore, pourrait-on dire, sur la lancée des

travaux qui ont fait de lui, au milieu des années 1970, l’un des penseurs de ce « French

marxism » dégagé du communisme que je viens d’évoquer. Tout d’abord, sa production

contemporaine semble marquer un retour à la philosophie. C’est ce que soulignent Olivier

Corpet et Thierry Paquot, deux des animateurs d’Autogestion avec lesquels il va rompre juste

après, dans l’un des principaux articles jamais parus sur lui dans la grande presse française, un

entretien du Monde intitulé « Henri Lefebvre philosophe du quotidien » :

« Les deux premiers volumes de Critique de la vie quotidienne apparaissent d’abord comme

des ouvrages sociologiques. Ils comportaient nombre d’analyses concrètes, accompagnées

d’une réflexion théorique, sur les instruments et les catégories nécessaires à l’élaboration d’une

“sociologie de la quotidienneté”. Avec ce nouveau volume, sous-titré “Pour une

métaphilosophie du quotidien”, vous paraissez changer quelque peu de démarche, aller vers

une abstraction plus poussée, en couvrant un champ plus vaste, des questions plus

fondamentales. À quel registre appartient donc votre oeuvre et précisément tout ce qui relève

de la vie quotidienne ? »[33]

De fait, les principaux titres de Lefebvre, en ce début des années 1980, marquent, non sans

résonances heideggeriennes, ce retour à l’ambition philosophique : La Présence et l'absence,

Une pensée devenue monde, Qu'est-ce que penser?, Le Retour de la dialectique[34]. Une

ambition qu’on peut certes expliquer par l’éloignement, depuis sa retraite, de l’activité

professionnelle de sociologue, mais plus encore, sans doute, par la volonté de renouer, comme

l’indique le sous-titre même de ce dernier volume de Critique de la vie quotidienne, avec ce

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qu’il a défini dès son ouvrage de 1965 comme « métaphilosophie ». Il s’agissait alors, en

pleine phase de critique radicale, d’affirmer hautement que la sociologie ne pouvait être

critique qu’en s’inscrivant dans une interrogation plus ambitieuse d’ordre philosophique. Mais il

s’agissait aussi, à partir de Marx, d’échapper à l’alternative entre l’institutionnalisation de la

philosophie, le maintien de la figure du sage, et, au contraire, la liquidation de la spéculation

philosophique au nom d’une posture que Lefebvre, visant Althusser, qualifiait de positiviste ou

de scientiste. La métaphilosophie se définissait donc comme dépassement de la philosophie,

et c’est encore cette objectif de transgression qui caractérise la pensée lorsqu’il analyse le

préfixe méta dans Qu’est-ce que penser ?[35]

D’un autre côté, il faut replacer ce livre de 1981 dans son contexte. Notamment celui de

l’arrivée de la gauche au pouvoir. Lefebvre a pu espérer, dans le tourbillon intellectuel qui

marqua le début des années Mitterrand, trouver sa place sur des questions clés de la société

en mutation, la ville, l’espace, etc. Ainsi a-t-il joué un rôle sinon d’expert du moins de conseil,

par exemple à propos des lois Auroux. Ne disait-on pas que Michel Delebarre , le ministre de

la Ville, avait sur son bureau de ministre Le Droit à la ville qu’il n’hésitait pas à citer ?[36]. Mais

cette réflexion est devenue en partie inaudible, et non seulement à cause de l’attaque

idéologique contre le marxisme. Au début des années 1980, Lefebvre choisit en effet une

retrouvaille paradoxale, sur laquelle bien des bêtises ont été écrites, avec le PCF déclinant. Ou,

comme l’écrit assez perfidement Olivier Corpet dans sa nécrologie de 1991 : « Surprenant,

voire attristant nombre de ses amis, Henri Lefebvre entame à partir de 1978 un rapprochement

qu’il veut “critique” avec le Parti communiste »[37]. C’est à cette date en effet qu’il publie, aux

éphémères Éditions Libres-Hallier, un livre d’entretiens avec une jeune militante communiste,

Catherine Régulier, La Révolution n'est plus ce qu'elle était[38]. Le titre est significatif et signe

déjà à sa manière le commentaire de cet aphorisme d’Adorno qui parcourra tous les derniers

écrits de Lefebvre : le temps de la réalisation de la philosophie est passé. Mais pour l’heure, le

rapprochement avec le PCF, trop avide en ces temps de disette de mettre la main sur un

penseur marxiste, se traduit par de nombreux entretiens dans la presse communiste. Dès la

sortie du livre, sous le titre « Ne pas rester prisonnier du passé », au moment du Congrès du

PCF, présenté comme un tournant important, il rappelle, non sans amertume et cicatrices :

« J’ai quitté le Parti par la gauche ». Ce rapprochement est donc lui-même le produit d’une

élimination, entre des gauchistes devenus « terriblement dogmatiques et groupusculés » et la

pression « plus insidieuse de la social-démocratie » vecteur à ses yeux de l’informatisation et

de la multinationalisation, sous influence américaine[39]. D’autres articles suivront, au point

même qu’on peut dire que la presse communiste est presque la seule à entendre Henri

Lefebvre dans les années 1980, d’autant qu’il s’associe à plusieurs reprises aux appels

d’intellectuels à voter communiste. Son oeuvre est rappelée, notamment lorsque sort le 3e

volume de Critique de la vie quotidienne[40]. Mais ses propres interventions portent toutes sur

le refus de « hurler avec les loups » en considérant comme irréversible du déclin du PCF, sur la

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nécessité sociologique et politique de sa survie pour maintenir une dimension de radicalité à

rapprocher de nouveaux mouvements sociaux, alternatifs, urbains, écologistes, pacifistes[41].

Pour Lefebvre, ce rapprochement tardif et, somme toute, limité, est dans le droit fil d’une

posture qui a toujours été refus de l’orthodoxie : face au consensus ambiant, il a cru pouvoir

repérer, ne serait-ce qu’à l’état de vestiges, les traces d’une contre-culture, d’un pouvoir de dire

non, dans ce qui reste de la pratique communiste.

C’est sur de telles bases que s’achèvera sa vie. Chassé de son appartement parisien, lui

penseur de l’« habiter », et non pas retiré, comme on l’a stupidement dit, dans sa maison de

Navarrenx, c’est après sa mort en 1991 que sa pensée va connaître un renouveau surprenant

quoique limité. La question n’est plus désormais de le réinsérer dans un quelconque courant du

marxisme. Le renewal va prendre deux aspects complémentaires. Il y a d’abord un « spatial

turn », qui inclut bien évidemment les divers aspects du quotidien. Même si son influence court

pendant la quinzaine d’années précédentes, la traduction en anglais de La Production de

l’espace en 1991 marque un premier tournant. Elle recoupe en grande partieles interrogations

des géographes, sociologues, anthropologues, notamment américains[42]. Mario Rui Martins,

Kristin Ross, Stuart Elden, mais surtout Edward W. Soja, Fredric Jameson et Mark Gottdiener

jouent un rôle essentiel pour introduire la pensée de l’espace de Lefebvre aux États-Unis.

S’opposant aux métaphores spatiales à la Althusser ou à la Bourdieu, il introduisent deux

idées-clés : la première, c’est que la vie quotidienne est l’équivalent de l’espace social ; la

seconde, et sans doute la plus importante, c’est qu’ils présentent Lefebvre comme un

précurseur du postmodernisme[43]. Phénomène classique de la « French theory » à la suite de

ce « spatial turn » anglo-saxon, le retour en France et la réacclimatation d’une pensée

lefebvrienne new look. Il y a d’abord ce numéro-bilan d’Annales de la recherche urbaine en

1994, pour les dix ans du plan urbain ; si Manuel Castells n’y prononce même pas le nom

d’Henri Lefebvre, un article stimulant d’Isaac Joseph, « Le droit à la ville, la ville à l’oeuvre. Deux

paradigmes de la recherche », y analyse l’évolution de la recherche en même temps que

l’évolution de l’urbanisation pendant les Trente Glorieuses, en comparant la notion de « droit à

la ville », titre d’un ouvrage de Lefebvre publié en 1968, que celui-ci définit comme un des

droits sociaux, et qui renvoie encore alors à une utopie urbaine, et un livre de Jean-Christophe

Bailly, publié en 1992, La Ville à l’oeuvre[44]. Toujours en 1994, c’est presque tout un numéro

d’Espaces et sociétés, la revue qu’il avait contribué à fonder, qui lui est consacré ; deux

articles,notamment, y marquent l’importation en France de la thématique de la postmodernité,

en essayant d’y déceler l’ouverture épistémologique et l’absence de dogmatisme du marxisme

de Lefebvre[45]. C’est au même type de revival qu’on doit encore un tout récent (2001) numéro

de la revue Urbanisme significativement intitulé « Henri Lefebvre au présent », qui est de

l’ordre du témoignage plutôt que de l’analyse, même si l’objectif est de déceler la présence

« souterraine » de Lefebvre, y compris pendant les années de reflux du marxisme[46].

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La notion de critique de la vie quotidienne a été cardinale chez Henri Lefebvre, surtout

lorsqu’elle venue croiser la thématique de l’espace et de la ville. Outre Thomas Kleinspehn en

1975, elle a suscité d’assez nombreux travaux, de valeur inégale[47]. Cet ulltime volume n’est-il

pas empreint d’une véritable nostalgie ? « Vingt ans après », devrait-on intituler l’évocation de

cette période si agitée, politiquement et intellectuellement, qui sépare les deux derniers

volumes de Lefebvre. Il est tout entier dominé par la thématique polysémique de la « crise » : il

ne s’agit pas seulement des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, de l’échec de tout modèle

révolutionnaire, de la mort de Mao (1976), de Sartre, d’Althusser qui étrangle sa femme (1980).

Il y a que des possibles sont devenus impossibles : « Il était possible, à la fin du XIXe siècle et

au début du XXe, que la classe ouvrière européenne se consolide, entre sur la scène politique,

s’érige en sujet politique et, par diverses voies, en classe dominante »[48]. Ce n’est plus

possible. Avec le troisième volume de Critique de la vie quotidienne, l’heure des bilans a

sonné (« Ce qui continue », « Les discontinuités »). Plus tragique peut-être, du moins du point

de vue de l’itinéraire personnel d’Henri Lefebvre, c’est qu’on entrevoit à maintes reprises dans

cet ultime volume que, lui aussi, sans pouvoir quitter le cadre structurant du marxisme, sans

vouloir « abandonner Marx », sent bien que c’en est fini d’un certain nombre de ces notions,

concepts ou même réalités sur lesquels s’est construite une pensée de la révolution qui se

voulait aussi révolution de la pensée. C’en est fini, il l’écrit tout de go, de la notion de peuple

(p. 33)[49], du travail comme valeur (p. 18), du projet révolutionnaire lui-même (p. 34). C’est ainsi

qu’il faut comprendre l’expression « le temps de la réalisation de la philosophie est passé ».

Or, c’est cette perspective d’ensemble qui débouche sur le constat le plus tragique – la fin

d’une époque de la pensée. Le grand apport de Lefebvre est à coup sûr d’avoir fait du

quotidien, ou plus exactement de la critique du quotidien, sur la double base du marxisme et de

l’expérience avant-gardiste, un champ essentiel d’exploration sociologique et de réflexion

philosophique sur le changement social en même temps que la base théorique de la

revendication du « changer la vie » qui a inspiré les divers mouvements apparus autour de mai

1968 comme de la pensée de la gauche officielle, qui le reprend à son compte et

l’instrumentalise en même temps. Ce que fait découvrir ce 3e volume, c’est que le marxisme,

« incontournable » des années 1930 aux années 1960 pour penser le contemporain, n’a pas

seulement cédé devant les coups de boutoir du « Marx est mort » des « nouveaux

philosophes ». Il est désormais concurrencé et dépassé par d’autres modes d’interprétation,

d’autres « manières de voir ». Plus besoin du marxisme pour penser le quotidien et la critique

de la vie quotidienne, c’est après tout la leçon de Michel de Certeau[50]. S’il y a possibilité de

relecture aujourd’hui, c’est dans une tout autre configuration intellectuelle, en décalage, en

différé. Au milieu des années 1990, et avant même la vague Bourdieu, un floraison d’ouvrages

sur le marxisme tentent de l’aborder autrement qu’aux beaux temps où il incarnait la pensée

dominante. C’est ce qu’on a par exemple entrevu au colloque international de la revue Actuel

Marx sur le bilan et les perspectives du marxisme (septembre 1995) ou encore en mai 1998 à

l’occasion des 150 ans du Manifeste communiste. Ce regain d’intérêt provient d’ailleurs

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d’univers souvent très différents de la pensée marxiste au sens classique du terme, et se

rattache, en tout cas en France, au réveil de la philosophie politique sous l’influence,

notamment, de la pensée de Cornélius Castoriadis et de Claude Lefort[51], sans parler de

l’essor, aux États-Unis, d’un marxisme « analytique » rejetant la logique hégélienne et cherchant

à concilier Marx avec John Rawls. Marx serait-il devenu « intempestif », au sens quasi

nietzschéen du terme ?[52] Du moins n’a-t-il pas acquis ce statut distancié, mais vénérable de

« penseur du XIXe siècle » dont bénéficient Guizot, Tocqueville, Renan ou Taine. Il mord

encore !

Dans la présentation du numéro d’Espaces et sociétés qui lui est consacré, les auteurs

évoquaient métaphoriquement le « fantôme d’Henri Lefebvre ». Ce n’est pas sous forme de

métaphore que Jacques Derrida a tenté de débusquer les « spectres de Marx »[53]. À travers la

notion de spectre, il s’interroge sur l’esprit du marxisme et s’oppose au nouveau discours

dominant qui se réjouit de son effondrement . En ce sens, « la fin de l’histoire » est une sorte

d’acte de spiritisme pour conjurer le fantôme de Marx. Le marxisme demeure comme

« esprit », ni mort, ni vif, il hante le néo-capitalisme, au nom de la critique radicale et de la

capacité autocritique. La Fin de l’histoire est un ouvrage d’Henri Lefebvre datant de 1970....

« Le temps de la réalisation de la philosophie est passé ». N’est-ce pas dire dans un vrai style

de philosophe-poète ou de poète-philosophe, et alors même que rien n’est encore tout à fait

joué, ce que François Furet annonçait déjà dans Penser la Révolution française en 1978 et

qu’il analysera après coup assez pesamment dans Le Passé d’une illusion : la fin du régime

d’historicité révolutionnaire, la fin de l’illusion que la révolution est la seule modalité du

changement historique[54].

[1] Sur l’avant-guerre, je renvoie à ma préface au volume 1 de Critique de la vie quotidienne (où j’évoque l’articled’Henri Lefebvre et Norbert Guterman, « La mystification : notes pour une critique de la vie quotidienne », Avant-Poste, n° 2, août 1933, p. 91-107). Voir aussi Henri Lefebvre, La Vie quotidienne dans le monde moderne, Paris,Gallimard, 1968, coll. « Idées ». Signalons enfin que, dès 1982, dans un entretien avec Olivier Corpet et ThierryPaquot (« Henri Lefebvre philosophe du quotidien », Le Monde Dimanche, 19 décembre 1982), Lefebvre indiquaitqu’il comptait poursuivre cette réflexion par un travail sur les rythmes, autour du concept de « rythmanalyse »,dont le projet n’aboutira qu’après sa mort, avec la publication avec Catherine Régulier du livre Éléments derythmanalyse. Introduction à la connaissance des rythmes, Paris, Syllepse, 1992.

[2] Luc Ferry et Alain Renaut, La Pensée 68 : essai sur l’anti-humanisme contemporain, Paris, Gallimard, 1985.

[3] Vincent Descombes, Le Même et l’autre. Quarante-cinq ans de philosophie française (1933-1978), Paris,Minuit, 1979 (L’auteur ignore-t-il vraiment que le titre de son ouvrage est celui-là même de l’introduction rédigéepar Henri Lefebvre aux Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine de Schelling, parues chezRieder en 1926 ?) ; Christian Delacampagne, Histoire de la philosophie au XXe siècle, Paris, Seuil, 1995.

[4] Certaines concernent même le volume 1. Je remercie en particulier Francis Crémieux des précisions etcorrections qu’il m’a fournies à partir de ses archives personnelles (lettre du 17 février 1996). Me signalant qu’encharge de la culture à Radio-Toulouse en 1944, c’est lui et non Tzara qui y fait entrer Lefebvre, il assure, enm’adressant copie du contrat Grasset de Critique de la vie quotidienne (octobre 1945) et de plusieurs lettres deLefebvre, que ce sont des manoeuvres et luttes intestines à la maison d’édition qui expliquent que le livre, remis

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en février 1946, ne sera publié qu’en 1947 (mais ces luttes intestines, dans lesquelles Crémieux est directementimpliqué, ne sont-elles pas de nature essentiellement politiques ?).

[5] Il s’agit d’une étude sur la vie quotidienne d’une communauté de mineurs de Caen menacés par la fermeturede la mine (1960) et d’une autre sur une riche communauté agricole de l’Oise au début de la politique agricolecommune (1961). Cf. Henri Lefebvre, Writing on cities, translated and edited by Eleonore Kofman et ElizabethLebas, Oxford, Blackwell, 1996, p. 15, note 9.

[6] David Bellos, Georges Perec. Une vie dans les mots, trad. fr., Paris, Seuil, 1994. Voir aussi : Derek G.Schilling, Mémoire du quotidien : les lieux de Georges Perec, thèse Université Paris 7, 1997 (dir. Jacques Neefs) ;Michael Sheringham, « Attending to the everyday : Blanchot, Lefebvre, Certeau, Perec », French Studies(University of London), vol 54, n° 2, 2000 ; Georges Perec, Entretiens et conférences, éd. critique établie parDominique Bertelli et Mireille Ribière, Nantes, Joseph K., 2003.

[7] Voir l’intervention de Matthieu Rémy (doctorant à l’Université de Nancy 2), « Georges Pérec et Henri Lefebvre,critiques de la vie quotidienne », Séminaire Georges Pérec, Université Paris 7, 24 novembre 2001.

[8] Guy Debord, Correspondance, juin 1957-août 1960, volume 1, Paris, Fayard, 1999 ; Correspondance,septembre 1960-décembre 1964, volume 2, Paris, Fayard, 2001 ; Correspondance, janvier 1965-décembre 1968,volume 3, Paris, Fayard, 2003.

[9] Notamment des histoires assez sordides concernant la jeune étudiante strasbourgeoise devenue alors lacompagne de Lefebvre. Cf. Guy Debord, Correspondance, volume 2, cité, lettres à Béchir Tlili (15 avril 1964,p. 284-285) et à Denise Cheype (2, 27 avril 1964, p. 287).

[10] Guy Debord, Correspondance, volume 3, cité, lettre à Mustapha Khayati (9 juin 1965, p. 40).

[11] Épistémon (Didier Anzieu), Ces idées qui ont ébranlé la France. Nanterre, novembre 1967 – juin 1968, Paris,Fayard, 1968.

[12] Ce paragraphe sur mai 68 reprend en partie un exposé fait devant le séminaire de recherche « Les années68 : événements, cultures politiques et modes de vie » (IHTP, 17 mars 1997) : « Henri Lefebvre et la critiqueradicale », Lettre d’information, n° 23, juillet 1997, p. 1-23.

[13] Henri Lefebvre, L’Irruption de Nanterre au sommet, Paris, Anthropos, 1968 ; rééd. L’Irruption..., Paris,Syllepse, 1998.

[14] Greil Marcus, Lipstick Traces. Une histoire secrète du vingtième siècle, traduction française, Paris, Allia,1998. (éd. orig. Boston, Harvard University Press, 1990) ; Bernard Brillant, Les Clercs de 68, Paris, PUF, 2000.

[15] Lettre collective – signée par Lefebvre - dénonçant la répression et esquissant une analyse de la crise del’université, Le Monde, 17 février 1967

[16] Pascal Dumontier, Les Situationnistes et Mai 68 : théorie et pratique de la révolution, 1966-1972, Paris,Lebovici, 1990, p. 80-97 ; Jean-Pierre Duteuil, Nanterre 1965-1966-1967-1968. Vers le Mouvement du 22 mars,Mauléon, Éd. Acratie, 1988, p. 129

[17] Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération, t. 1 :Les années de rêve, Paris, Seuil, 1987, p. 390.

[18] Henri Lefebvre, Le Temps des méprises, Paris, Stock, 1975, p. 117.

[19] Yvon Le Vaillant, « Nanterre-la-folie », Nouvel Observateur, n° 171, 21-27 février 1968 ; AlainSchnapp, PierreVidal-Naquet, Journal de la Commune étudiante. Textes et documents, novembre 1967 – juin 1968, Paris, Seuil,1969, p. 122 ; Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération, op.cit., p. 400-401 ; Jean-Pierre Duteuil, Nanterre 1965-1966-1967-1968, p. 95.

[20] Guy Debord, Correspondance, volume 3, op.cit., p. 259.

[21] Henri Lefebvre, Le Temps des méprises, op.cit., p. 120.

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[22] Henri Lefebvre, Métaphilosophie, Paris, Éditions de Minuit, 1965, coll. « Arguments » ; rééd. Paris, Syllepse,2000, p. 6.

[23] Henri Lefebvre, Position : contre les technocrates, Paris, Gonthier, 1967. Notons que le livre est soutenu parJean-François Revel dans L’Express en 1967-1968.

[24] Et en été à l’« Université critique » de Pau avec les ouvriers de Péchiney de Noguères (Bernard Brillant, LesClercs de 68, op.cit., p. 445).

[25] Cf. Hubert Tonka, Thierry Paquot, Annie Zimmermann, « Utopie, la parole donnée », p. 49-52, Urbanisme,mai-juin 1998, numéro spécial Mai 68. Voir aussi : Jean-Louis Violeau, « L’Internationale Situationniste et laville », p. 41-44 ; Laurent Devisme, « Henri Lefebvre penseur de l’Urbain », p. 45-49

[26] Alain Touraine ,« L'apparition d'une nouvelle sensibilité sur la scène politique », in Geneviève Dreyfus-Armand,Laurent Gervereau, Mai 68. Les mouvements étudiants en France et dans le monde, Paris, BDIC, p. 82-86.

[27] Michel Amiot, Les Sociologues contre l’État, Paris, Éd. de l’EHESS, 1986.

[28] Et d’autant plus contemporain qu’il a d’abord paru dans L’Homme et la société, n° 8, avril-mai-juin 1968.

[29] On peut prendre plusieurs instruments de mesure. L’un serait celui des traductions, dont Rémi Hess a faitune recension appliquée (Henri Lefebvre et l’aventure du siècle, Paris, A.-M. Métailié, 1988, p. 327-334). Un autreindicateur serait les nombreuses émissions de radio auxquelles Lefebvre a participé à cette époque, en particulierune « Radioscopie » de Jacques Chancel (2 octobre 1975).

[30] Manuel Castells, « Y a-t-il une sociologie urbaine ? », Sociologie du travail, n° 1, 1968. Voir aussi : ManuelCastells, La Question urbaine, Paris, Maspero, 1972.

[31] Kurt Meyer, Henri Lefebvre. Ein romantischer Revolutionär, Wien, Europa Verlag, 1973 ; Thomas Kleinspehn,Der verdrängte Alltag. Henri Lefebvres marxistische Kritik des Alltagslebens, Gießen, Focus-Verlag, 1975. Enrevanche les auteurs cités par Rémi Hess, Henri Lefebvre et l’aventure du siècle, op.cit., p. 305-311, n’ont aucunepostérité et en tout cas pas l’influence qu’il leur attribue

[32] Mark Poster, Existential Marxism in Postwar France : From Sartre to Althusser, Princeton, PrincetonUniversity Press, 1975 ; Perry Anderson, Considerations on Western Marxism, London, New Left Books, 1976(trad. fr., Sur le marxisme occidental, Paris, Maspero, 1977) ; Russell Jacoby, Dialectic of Defeat : Contours ofWestern Marxism, London, Cambridge University Press, 1981 ; Alfred Hirsch, The French New Left : AnIntellectual History from Sartre to Gorz, Boston, South End Press, 1981 ; Michael Kelly, Modern French Marxism,Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1982 ; Martin Jay, Marxism and Totality : The Adventures of aConcept from Lukács to Habermas, Berkeley, University of California Press, 1984.

[33] « Henri Lefebvre philosophe du quotidien », Le Monde Dimanche, 19 décembre 1982, p. IX-X.

[34] La Présence et l'absence. Contribution à une théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980 ; Unepensée devenue monde. Faut-il abandonner Marx ?, Paris, Fayard, 1980 ; Qu'est-ce que penser?, Paris,Publisud, 1985 ; Le Retour de la dialectique, Douze mots clefs pour le monde moderne, Paris, Messidor-Éditionssociales, 1986.

[35] « L’être humain va toujours au-delà de soi », Qu'est-ce que penser?, op. cit., p. 131.

[36] Jean-Pierre Garnier, « La vision urbaine de Henri Lefebvre », in « Actualités de Henri Lefebvre », Espaces etsociétés, n° 76, 1994, p. 123. Un Roland Castro, animateur du programme Banlieue 1989 a reconnu sa detteenvers Lefebvre (Civilisation urbaine ou barbarie ?, Paris, Plon, 1994).

[37] Olivier Corpet, « La mort du philosophe Henri Lefebvre », Le Monde, 2 juillet 1991, p. 15.

[38] Henri Lefebvre et Catherine Régulier, La Révolution n'est plus ce qu'elle était, Paris, Éditions Libres-Hallier,1978. Le microscosme parisien a beaucoup glosé, de manière souvent abjecte, sur ces relations avec une trèsjeune communiste que le Parti aurait envoyé en mission auprès du philosophe vieillissant. Vision classique du

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complot, à quoi s’ajoute la réputation lassante de Don Juan qu’Henri Lefebvre a traîné après lui toute sa vie.Catherine Régulier, qui deviendra sa femme, sera à ses côtés jusqu’à la fin de sa vie.

[39] « Ne pas rester prisonnier du passé. Le philosophe marxiste Henri Lefebvre a rencontré le XXIIe Congrès duP.C.F. », L’Humanité, 2 mars 1978.

[40] « L’invité de L’Humanité » : « Henri Lefebvre, sociologue, philosophe », entretien avec Jacques de Bonis,L’Humanité, 2 février 1981, p. 13.

[41] Henri Lefebvre, « Hurler contre les loups », Le Matin, 5 juillet 1984 ; « Quo vadis ? », entretien avec Jacquesde Bonis, Révolution, n° 236, 7 septembre 1984 ; Henri Lefebvre, « La société sans le P.C. ? », L’Humanité, 19novembre 1985. Cette tentation d’une radicalité sociale et politique que Lefebvre cherche encore dans le PCF, ira,notons-le, jusqu’à un soutien assez critiqué à la grève de la faim des militants d’Action directe arrêtés selon luipour « délit politique » (Libération, 2 février 1988).

[42] Excellente analyse dans Henri Lefebvre, Writing on cities, translated and edited by Eleonore Kofman etElizabeth Lebas, op. cit., p. 42-52.

[43] Bilan le plus récent dans Stuart Elden, « Politics, Philosophy, Geography. Henri Lefebvre in recent anglo-american scholarship », Antipode : a Radical Journal of Geography, vol. 33, n° 5, November 2001, p. 809-821.Voir aussi : Mario Rui Martins, « The Theory of Social Space in the Work of Henri Lefebvre », in Ray Forrest, JeffHenderson & Peter Williams (eds.), Urban Political Economy and Social Theory: Critical Essays in UrbanStudies, Aldershot, Gower, 1982 ; Kristin Ross, The Emergence of Social Space : Rimbaud and the ParisCommune, Houndmills, Macmillan, 1988 ; et surtout : Edward W. Soja, Postmodern Geographies. TheReassertion of Space in Critical Social Theory, London, Verso, 1989 ; Fredric Jameson, « The Politics of Theory :Ideological Positions in the Postmodern Debate », in The Ideologies of Theory, Essays, 1971 – 1986 : Vol. 2 TheSyntax of History, London, Routledge, 1988 ; Mark Gottdiener, The Social Production of Urban Space, Austin,University of Texas Press, 1984 (rééd. 1994) ; id., The New Urban Sociology, New York, Mc Graw Hill, 1994(rééd. 1995) ; id., « Lefebvre and the Bias of Academic Urbanism », City, n°4/ 1, April 2000 ; id., « Henri Lefebvreand the Production of Space », Sociological Theory, n° 11, 1, March 1993

[44] « Parcours et positions », Annales de la recherche urbaine, n° 64, septembre 1994 ; cf. Isaac Joseph, « Ledroit à la ville, la ville à l’oeuvre. Deux paradigmes de la recherche », p. 4-10 ; Manuel Castells, « L’écolefrançaise de sociologie urbaine vingt ans après. Retour au futur ? », p. 58-60. Voir aussi Jean-Christophe Bailly,La Ville à l’oeuvre, Paris Éd. J. Bertoin, 1992

[45] « Actualités de Henri Lefebvre », Espaces et sociétés, n°76, 1994 ; cf en particulier : Michael Dear, « Lesaspects postmodernes de Henri Lefebvre », p. 31-39 ; Pierre Hamel, Claire Poitras, « Henri Lefebvre, penseur dela postmodernité », p. 41-58.

[46] « Henri Lefebvre au présent », Urbanisme, n° 319, juillet-août 2001. Voir les articles de Maïté Clavel, « Laville comme œuvre » ; Michèle Jolé, « Henri Lefebvre à Strasbourg » ; « Rencontre avec Nicole Beaurain » ;Laurent Devisme, « Henri Lefebvre, curieux sujet, non ? »

[47] Donatella Carraro, L’Avventura umana nel mondo moderno : Henri Lefebvre e l’« homo quotidianus », Milano,Unicopli, 1981 ; PhilipWander, « Introduction », H. Lefebvre Everyday Life in the Modern World, New Brunswick,NJ: Transaction Publishers, 1984, p. vii-xxii ; Catherine Régulier, « Quotidienneté », in Georges Labica (dir.),

Dictionnaire critique du marxisme, Paris, PUF, 2e édition augmentée, 1985 ; Alice Kaplan & Kristin Ross,« Everyday life », Yale French Studies, n° 73, Fall 1987 ; Alberto Suarez-Rojas, La « Critique de la viequotidienne » chez Henri Lefebvre. Romantisme et philosophie : genèse d’une critique du moderne, Mémoire demaîtrise Paris 10 (dir. G. Labica), 1991 ; Rob Shields, Lefebvre, Love and Struggle. Spatial Dialectics, London,Routledge, 1998 ; Rob Shields, « Everyday Marxism : The convergent analyses of Roland Barthes and HenriLefebvre », in James Dolamore (ed.) Making Connections: Essays in French Culture and Society in Honour ofPhilip Thody, Bern, Peter Lang, 1999, p. 135-146 (voir aussi le site de Rob Shields :http://www.carleton.ca/~rshields/lefebvre.htm).

[48] Henri Lefebvre, Une pensée devenue monde, op. cit., p. 233.

[49] On se permettra un rapprochement audacieux entre ce diagnostic désenchanté et les travaux de PierreRosanvallon sur la « désociologisation du politique », la rupture de l’ancien lien entre classes sociales et partis

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politiques, en particulier dans Le Peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998.

[50] Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, 2 vol., Paris , Gallimard, 1990 et 1994, coll. « Folio-Essais ».

[51] Cornélius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975 ; Claude Lefort, L’Invention dupolitique, Paris, Fayard, 1981.

[52] Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif. Grandeurs et misères d’une aventure critique, Paris, Fayard, 1995. Voir,parmi les autres titres : Étienne Balibar, La Philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 1993 ; Michel Vadée,Marx, penseur du possible, Paris, Méridiens Klincksieck, 1993 ; Henri Maler, Convoiter l’impossible. L’utopie avecMarx, malgré Marx, Paris, Albin Michel, 1995 ; Yvon Quiniou, Figures de la déraison politique, Paris, Kimé, 1995.

[53] Jacques Derrida, Spectres de Marx. L’état de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale, Paris,Galilée, 1993.

[54] François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978 ; Le Passé d’une illusion. Essai surl’idée communiste au XXe siècle, Paris, Robert Laffont/Calmann-Lévy, 1995.