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POUVOIR CONSTITUANT ET TRANSFERTS DE SOUVERAINETE LES EXPERIENCES D’INTEGRATION REGIONA- LE : DE LA CEE A L’UNION EUROPEENNE. Marie-Françoise MERCADIER Maître de conférences à l’Université de Provence Je tiens en premier lieu à remercier l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel de m’avoir invitée à participer à ces journées ainsi que de leur accueil chaleureux. Je voudrais également saluer l’esprit d’ouverture des organisateurs de ce colloque qui m’ont confié la tâche de traiter d’un sujet qui semble a priori relever des seules compétences d’un constitutionnaliste. En effet, la question du « pouvoir constituant et des transferts de souveraineté : de la CEE à l’Union européenne » renvoie aux notions de Constitution, d’État, de souveraineté, à la divi- sion des pouvoirs. Pour la communautariste que je suis, un tel sujet évoque les mécanismes de répartition des compétences et des pou- voirs, leur fondement et leur légitimité sur les plans institutionnel et matériel et par voie de conséquence, ces thèmes convergent vers un questionnement comparable à celui que se pose un constitutionnaliste. L’étude du pouvoir constituant et des transferts de souveraineté dans le cadre de l’Union européenne présente toujours un vif intérêt, un an après le rejet, par la voie du referendum, du traité sur la Constitution européenne par la France et les Pays-Bas, alors que le processus de ra- tification se poursuit comme « un bateau ivre », que certains ont an- noncé la mort de la Constitution et que d’autres élaborent des projets de relance. Le terme d’ « oxymore » a d’abord été utilisé par Jean-Pierre CHE- VÈNEMENT pour qualifier l’expression de « fédération d’États- Nations » 1 , caractérisant, selon Jacques DELORS, l’Union européen- ne. Ce terme est alors repris par de nombreux auteurs pour souligner la contradiction ou l’abus de langage engendrés par la juxtaposition d’éléments antinomiques : « traité constitutionnel » 2 , « autorité de 1 V. « La démocratie en péril à Laeken », Le Monde, 17 décembre 2001, p 1. 2 Michel CLAPIÉ : « Traité ou Constitution ? A propos du projet de Constitution de l’Union européenne », Recueil Dalloz 2004, n° 17, p 1176 ; Joël-Benoît

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POUVOIR CONSTITUANT ET TRANSFERTS DE SOUVERAINETE

LES EXPERIENCES D’INTEGRATION REGIONA-LE : DE LA CEE A L’UNION EUROPEENNE.

Marie-Françoise MERCADIER Maître de conférences à l’Université de Provence

Je tiens en premier lieu à remercier l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel de m’avoir invitée à participer à ces journées ainsi que de leur accueil chaleureux. Je voudrais également saluer l’esprit d’ouverture des organisateurs de ce colloque qui m’ont confié la tâche de traiter d’un sujet qui semble a priori relever des seules compétences d’un constitutionnaliste. En effet, la question du « pouvoir constituant et des transferts de souveraineté : de la CEE à l’Union européenne » renvoie aux notions de Constitution, d’État, de souveraineté, à la divi-sion des pouvoirs. Pour la communautariste que je suis, un tel sujet évoque les mécanismes de répartition des compétences et des pou-voirs, leur fondement et leur légitimité sur les plans institutionnel et matériel et par voie de conséquence, ces thèmes convergent vers un questionnement comparable à celui que se pose un constitutionnaliste.

L’étude du pouvoir constituant et des transferts de souveraineté dans le cadre de l’Union européenne présente toujours un vif intérêt, un an après le rejet, par la voie du referendum, du traité sur la Constitution européenne par la France et les Pays-Bas, alors que le processus de ra-tification se poursuit comme « un bateau ivre », que certains ont an-noncé la mort de la Constitution et que d’autres élaborent des projets de relance.

Le terme d’ « oxymore » a d’abord été utilisé par Jean-Pierre CHE-VÈNEMENT pour qualifier l’expression de « fédération d’États-Nations »1, caractérisant, selon Jacques DELORS, l’Union européen-ne. Ce terme est alors repris par de nombreux auteurs pour souligner la contradiction ou l’abus de langage engendrés par la juxtaposition d’éléments antinomiques : « traité constitutionnel »2, « autorité de

1 V. « La démocratie en péril à Laeken », Le Monde, 17 décembre 2001, p 1. 2 Michel CLAPIÉ : « Traité ou Constitution ? A propos du projet de Constitution de l’Union européenne », Recueil Dalloz 2004, n° 17, p 1176 ; Joël-Benoît

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l’Union »3. Que l’on considère ou non le recours au concept de « Constitution » comme galvaudé, son usage généralisé traduit bien sa force suggestive dès lors qu’il s’agit de signifier le caractère fonda-mental d’un texte, miroir d’une culture au sens historique et sociolo-gique4 ou de rendre compte d’une structure, d’un ordonnancement ju-ridique5. Ces errements ou ces commodités de langage, ces « oxymo-res » s’inscrivent dans une dialectique qui n’est pas nouvelle puis-qu’elle a surgi dès l’institution de la Communauté économique euro-péenne par le traité de Rome de 1957, nourrissant les discussions sur la nature du traité CEE, puis sur celles du traité sur l’Union européen-ne ou du traité sur la Constitution européenne. Ces questions engen-drent corrélativement d’autres controverses sur la nature juridique de la structure ainsi instituée et de la répartition subséquente des pouvoirs et des compétences. La quête du juriste est que cette contradiction soit, selon le postulat d’Hegel, « l’acte par lequel la raison s’élève au-dessus des limitations de l’entendement et les dissout »6.

Afin de parvenir à ce dépassement dialectique, nous poserons, dans un premier temps, les termes du débat, s’agissant de la nature des instru-ments instituant les Communautés puis l’Union européenne pour ten-ter de déterminer, dans une première partie, la nature juridique de ces organisations, dans une perspective systématique et dynamique sus-ceptible de surmonter les clivages doctrinaux pour expliquer, dans une deuxième partie, l’insertion de la Communauté et de l’Union euro-péenne dans un processus de « constitutionnalisation » et d’intégration croissante orchestré, en grande partie, par la Cour de justice des

d’ONORIO : « La pseudo-« Constitution européenne » : de l’abus de langage à l’abus de droit », Recueil Dalloz 2005, n°20, p 1307. 3 Loïc AZOULAI : « Les fondements de l’autorité de l’Union », in « L’autorité de l’Union européenne », L. AZOULAI et Laurence BURGORGUE-LARSEN (dir.), BRUYLANT 2006, p 3. 4 Le doyen Gérard CORNU a ainsi qualifié le Code civil de 1804 comme étant la « Constitution civile » de la France. 5 L-J CONSTANTINESCO a considéré que le traité CEE constituait la « Constitu-tion économique » de la Communauté : « La Constitution économique de la C.E.E », RTDE 1977 p 244, voir infra. 6 V. « contradiction » et « dialectique » in G. LEGRAND : « Vocabulaire de la phi-losophie », Bordas, collection « les référents ».

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Communautés européennes. Nous évoquerons ainsi l’évolution de la « Constitution économique » à une « Communauté de droit » à travers l’observation des règles matérielles du traité, de la répartition des compétences et des pouvoirs entre les institutions communautaires et les États membres.

I. LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE : UNE « CONSTITU-TION ÉCONOMIQUE » Les débats parfois virulents sur l’opportunité ou l’existence d’une Constitution européenne démontrent de manière récurrente, l’absence de consensus sur la nature juridique de la Communauté européenne. C’est pourtant son caractère singulier, très tôt souligné par la Cour, qui permet de saisir les mécanismes de répartition des compétences entre les institutions communautaires et les États membres. Il conviendra donc de rappeler les controverses sur la nature juridique des Communautés avant d’admettre sa nature particulière découlant d’une analyse systémique, à travers la notion de « Constitution éco-nomique ».

A. Les controverses sur la nature juridique des Communautés La question de la nature juridique des Communautés apparaît interdé-pendante de celle des traités les instituant. En effet, la détermination de la nature des traités emporte des conséquences juridiques et politi-ques en ce qui concerne non seulement la nature des institutions mais également le droit s’appliquant à son interprétation.

Si l’on prend en considération l’origine conventionnelle des Commu-nautés, fruit de la volonté des États, ainsi que les modalités de révision des traités requérant le consentement unanime des États, il apparaît in-contestablement que les traités de Rome, de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice sont des traités internationaux, instituant une organisation internationale et devant être interprétés au regard des principes du Droit international public. Cette position a été confortée dans un pre-mier temps par la Cour dans l’arrêt Van Gend en Loos7. La Commu-nauté constituerait ainsi « un nouvel ordre juridique de droit interna-tional au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domai-

7 CJCE, 5 février 1963, affaire 26/62, Rec. 23.

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nes restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seu-lement les États membres mais également leurs ressortissants ».

Cependant, peu de temps après, la Cour devait consacrer l’autonomie de l’ordre juridique communautaire, le détachant ainsi de l’ordre in-ternational. Dans l’arrêt Costa c/ Enel,8 elle affirme : « … en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d’institutions propres, de la personnalité juridique, d’une capacité de représentation internationa-le et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation de compétences ou d’un transfert d’attributions des États à la Commu-nauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes ». La Cour opère, en quelque sorte, une dissociation entre la naissance de la Communauté, qui relèverait du droit international, et son existence, se déroulant dans le cadre d’un ordre juridique spécifique.

Dès lors, la Cour œuvrera à la construction de cet ordre juridique pro-pre en établissant, par voie d’interprétation, les principes de primauté générale et absolue de tout le droit communautaire sur tout le droit na-tional9, de l’effet direct de ses dispositions en vertu duquel les normes communautaires s’intégrant de plein droit dans les ordres juridiques nationaux, créent des droits au profit de leurs ressortissants dont ils peuvent se prévaloir devant leurs juridictions nationales. Bien que le traité CE dans ses versions successives effectue uniquement un rappel du principe classique d’attribution des compétences10, la Cour procè-dera à une répartition des compétences entre les institutions commu-nautaires et les institutions nationales, étendant le champ des compé-tences communautaires par l’emprunt aux juridictions fédérales de la théorie de la préemption et imposant le principe du caractère définitif et irréversible de l’attribution des compétences communautaires11. De 8 CJCE, 15 juillet 1964, affaire 6/64, Rec. 1441. 9 Dans l’arrêt Costa c/ Enel, la Cour souligne : « issu d’une source autonome, le droit né du traité ne peut se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ». 10 L’article 7 CE (ex- article 4) prévoit à son deuxième alinéa : « Chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par le présent traité ». 11 Voir l’arrêt Costa c/ Enel précité dans lequel la Cour fait référence à « une limita-

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la spécificité de l’ordre communautaire, la Cour va progressivement imposer le concept de « charte constitutionnelle de base » pour quali-fier le traité CE12. L’introduction par l’Acte unique européen de la coopération politique, la création de l’Union européenne par le traité de Maastricht avec l’adjonction au pilier communautaire d’un pilier « Politique étrangère et de sécurité commune » (PESC) et d’un pilier « Coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieu-res » (JAI), les principes fondateurs de liberté, de démocratie, du res-pect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit contenus dans l’article 6 du traité d’Amsterdam, ne pouvaient que conduire à la question du caractère constitutionnel du traité sur l’Union européenne puis du traité établissant une Constitu-tion pour l’Europe. Si les critiques les plus modérées reconnaissent, sur le plan matériel, un ensemble de normes constitutionnelles dans les notions de « citoyenneté européenne », d’ «État de droit », de res-pect des droits fondamentaux et dans l’affirmation de valeurs commu-nes et de principes démocratiques, ses détracteurs les plus virulents y voient une « coquille vide » en l’absence d’État et par conséquent de ses éléments constitutifs : un territoire, un peuple, une souveraineté. Il n’y aurait pas de véritable Constitution en l’absence du pouvoir cons-tituant, de peuple européen et certains nient également l’existence d’un peuple européen.

A cet égard, on notera la formule lapidaire du Conseil constitutionnel français dans sa décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 concernant le traité portant établissement d’une Constitution pour l’Europe13. Se référant aux modalités de son entrée en vigueur et à celles relatives à sa révision requérant l’accord unanime des États, au droit de retrait unilatéral prévu à l’article I-60, le Conseil Constitu-tionnel en déduit que ce traité « … conserve le caractère international souscrit par les États signataires du traité instituant la Communauté et du traité sur l’Union européenne ». Et en toute logique, le Conseil tion définitive » des droits souverains des États et l’arrêt du 14 décembre 1971 (af-faire 7/71, Commission c/ France, Rec 1003) dans lequel elle confirme que le non-exercice par la Communauté d’une compétence ne saurait avoir pour effet de la res-tituer aux États membres. 12 CJCE, 23 avril 1983, affaire 294/83, « les Verts c/ Parlement européen, Rec. 1333. 13 Voir JCP A 2004, 1847, note O. Gohin ; JCP A 2005, 1025, note M. Gautier.

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conclue que le terme de « Constitution pour l’Europe » « … est sans incidence sur l’existence de la Constitution française et sa place au sommet de l’ordre juridique interne ». Cependant, contrairement aux conséquences qui s’inféraient dès lors, du principe de primauté inscrit à l’article I-6 du traité portant établissement d’une Constitution pour l’Europe14, le Conseil n’estime pas nécessaire de subordonner la rati-fication du traité à une révision constitutionnelle préalable. Comme l’observe le professeur Denis SIMON15, cette démarche procèderait « d’une lecture visant à vider l’article I-6 de son « venin supraconsti-tutionnel » ou à en « minimiser la portée » ».

Ni véritable traité international, ni véritable Constitution, il convient d’admettre la nature particulière du traité sur l’Union européenne, ce qui nous autorise à anticiper sur l’affirmation du caractère spécifique de l’organisation qu’il institue.

Même si l’intégration politique était l’un des objectifs visés lors de l’institution de la Communauté économique européenne, ses pères fondateurs restaient indubitablement conscients des difficultés à la mettre en place par une approche fédéraliste immédiate. Ainsi, Jean MONNET et Robert SCHUMAN considéraient que la construction de l’Europe par une intégration économique engendrerait une solidarité de fait entre les États, une fusion d’intérêts dont découlerait, à terme, par un « système d’engrenage », une construction politique. Si la créa-tion de l’Union européenne par le traité de Maastricht a contribué à l’approfondissement de l’objectif politique, elle a singulièrement ravi-vé les ambiguïtés sur la nature juridique de l’Union en mettant en pla-ce à côté du pilier d’intégration communautaire, les piliers PESC et JAI fondés sur une coopération intergouvernementale. En outre, si la Communauté européenne dispose de la personnalité juridique, le traité sur l’Union européenne ne contient aucune disposition relative à

14 Selon l’article I-6 : « la Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres ». 15 D. Simon : « L’examen par le Conseil constitutionnel du traité portant établisse-ment d’une Constitution pour l’Europe : fausses surprises et vraies confirmations », Revue Europe, février 2005, p 6 ; en ce sens, voir notamment F. Chaltiel : « une première pour le Conseil constitutionnel, juger un traité établissant une Constitu-tion », RMCUE, n° 484, janvier 2005, p 5.

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l’attribution d’une telle faculté à l’Union. La fusion des trois piliers prévue par le traité organisant une Constitution pour l’Europe appor-tait à cet égard une simplification utile. Ces ambiguïtés, qu’exprime par ailleurs le choix du concept d’ « Union européenne » et non d’ « État fédéral » ou de « fédération d’États », expliquent la variété des opinions doctrinales sur la nature juridique des Communautés et de l’Union européenne. Ces controverses doctrinales peuvent être en-gendrées aussi dès l’origine, par le choix de la méthode d’analyse. Ainsi, le professeur Vlad CONSTANTINESCO16 fait observer que, « comme toute entité juridique rassemblant des États, les Communautés européennes sont susceptibles d’être appréhendées par le biais du droit interne et par celui du droit international. En effet, selon que l’on adopte l’un ou l’autre point de vue, on mettra l’accent soit sur le lien qui unit ces États entre eux, soit sur l’aspect étatique de leur as-sociation. »

De l’analyse précédente concernant la nature des traités instituant la Communauté européenne et l’Union européenne, on peut affirmer que l’Union européenne ne constitue pas un État fédéral, bien que certains éléments la rapprochent de ce statut. Ainsi, les organes prévus par les traités peuvent être comparés, de prime abord, à des organes étati-ques : un principe de séparation des pouvoirs régissant la répartition des pouvoirs entre un exécutif (la Commission), un organe législa-tif (le Conseil et le Parlement européen), un pouvoir judiciaire (la Cour de justice). Le traité établissant une Constitution européenne a complété ce schéma en institutionnalisant le Conseil européen, en créant un Président du Conseil et un Ministre des affaires étrangères. Mais l’examen des pouvoirs confiés à ces organes ne résiste pas à l’analyse. S’agissant du Conseil des ministres, il est également un or-gane exécutif possédant l’essentiel du pouvoir de décision. Bien que les traités d’Amsterdam, de Nice et le traité sur la Constitution euro-péenne aient accru les pouvoirs du Parlement européen, celui-ci ne dispose pas pleinement d’un pouvoir législatif, étant associé au Conseil soit à titre consultatif soit par une procédure de co-décision. Enfin, il n’a pas été réellement associé, en tant que pouvoir consti-tuant, à l’élaboration du traité sur la Constitution européenne. 16 V. Constantinesco : « Compétences et pouvoirs dans les Communautés européen-nes », L.G.D.J 1974, p 13.

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S’agissant de l’applicabilité immédiate et de l’effet direct du droit communautaire en vertu desquels le droit communautaire crée des droits et des obligations non seulement à l’égard des États membres mais aussi de leurs ressortissants, ces principes relèvent de la structure d’un État fédéral. Mais ils ne doivent pas occulter le fait majeur que l’Union européenne ne dispose pas de la compétence de la compéten-ce, la « Kompetenz-Kompetenz ». La révision des traités requiert, en effet, l’accord unanime de tous les États membres et cette règle est maintenue dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe.

L’Union européenne ne constituerait donc pas un État fédéral. Elle ne serait pas davantage une confédération. En effet, la confédération pouvant être définie comme une association d’États souverains, ne possède pas la personnalité juridique et internationale et « (…) ne peut faire appliquer les décisions de ses organes que par l’intermédiaire des États membres. C’est dire qu’il n’existe pas d’immédiateté entre l’ordre confédéral et les citoyens »17.

Enfin, il résulte de la jurisprudence Costa c/ Enel18 que, les traités ayant institué « un nouvel ordre juridique », la Communauté ne consti-tue plus une organisation internationale. En ce sens, le principe de primauté, celui de l’applicabilité immédiate et directe des règles cons-tituent des exceptions dans des organisations inter-étatiques19. De même, l’idée d’une citoyenneté d’une organisation internationale se-rait inédite20. Encore convient-il de nuancer les effets de la citoyenne-té européenne par les remarques suivantes. D’une part, la notion de ci-toyenneté européenne se situe dans le prolongement de la libre circu-lation des personnes comportant un droit d’accès et de séjour sur le territoire de tout État membre pour les travailleurs ressortissants d’un État membre21, ces droits ayant été étendus ultérieurement et sous cer-

17 Dominique Turpin : « Droit constitutionnel », PUF, 4ème édition, p 55. 18 CJCE, 15 juillet 1964, op. cit.; voir également avis 1/91 du 14 décembre 1991, Rec I-6079. 19 Voir Jean-Paul Jacqué : « Droit institutionnel de l’Union européenne », Dalloz, 4ème édition, p 101. 20 Ibidem. 21 Articles 40 à 44 du traité CE

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taines conditions, aux non actifs22. La notion de « citoyenneté euro-péenne » instaurée par l’article 18 du traité CE présente à cet égard une portée limitée dans la mesure où elle ne fait que consacrer une li-berté existante. D’autre part, la citoyenneté européenne confère le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes dans l’État de résidence du citoyen mais une citoyenneté « à part entière » n’impliquerait-elle pas que le citoyen puisse partici-per à l’exercice de la souveraineté par l’expression de son pouvoir constituant ? Enfin, comme le précise le traité,23 la citoyenneté euro-péenne est subordonnée à la citoyenneté d’un État membre et il n’existe donc pas un mécanisme d’acquisition de la citoyenneté propre à l’Union24.

Face aux difficultés à circonscrire la nature de l’Union européenne et prenant en compte son caractère hybride, qui tient par certains aspects au droit international et, par d’autres, à l’État fédéral, l’expression d’ « ensemble de type fédéral » a été proposée par le professeur Jean-Paul JACQUÉ25. Cet auteur souligne ainsi qu’ « (…) il devient de plus en plus difficile de nier ce que l’Union doit au modèle fédéral dès lors que l’on admet que l’État n’est pas l’unique forme d’organisation fé-dérale. Le terme peut aussi s’appliquer à une structure qui repose sur une répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, sur l’existence d’un ordre juridique autonome et sur l’établissement de rapports directs entre l’Union et ses citoyens. Dans ces conditions, il est possible de voir dans ce que l’on appelle les traités la constitu-tion d’un ensemble fédéral »26.

22 Directive 90/365 du 13 juillet 1990 accordant un droit de séjour aux travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle ; directive 93/96 du 29 octobre 1993 relative au droit de séjour des étudiants ; directive 90/364 du 13 juillet 1990 accordant un droit de séjour aux ressortissants communautaires qui ne bénéficient pas de ce droit en vertu d’autres dispositions du droit communautaire. 23 Article 17 CE 24 Voir Jean-Paul Jacqué : « Droit institutionnel de l’Union européenne », op. cit. p 99 25 Ibidem, p 102. 26 Ibidem p 103.

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Pour tenter de dépasser ces controverses doctrinales et rendre compte du caractère fondamental de la répartition des compétences, il paraît essentiel de prendre en considération le caractère dynamique et évolu-tif de la construction européenne en analysant l’Union européenne en tant que système.

B. La Communauté européenne : un système

La méthode systémique27 ou systématique, empruntée à la philosophie des sciences et aux biologistes, est une méthode d’approche de la complexité28. Elle consiste à appréhender un système sous un aspect structurel et fonctionnel. Sur le plan structurel, le système est composé d’éléments établissant entre eux un réseau de relations, d’interactions. Sur le plan fonctionnel, tout système est organisé en fonction d’un but (approche téléologique) qui engendre des interactions entre les dif-férents éléments ou les réseaux du système, et entre le système et son environnement, selon une boucle de rétroaction (feed-back). Ce pro-cessus de feed-back ne serait pas une simple relation de cause à effet mais « une relation plus complexe dans laquelle l’effet obtenu rétroa-git à son tour sur la cause »29. Ce qui caractérise donc un système, c’est son caractère évolutif et dynamique qui justifie précisément une double approche structurelle et fonctionnelle, téléologique. C’est la méthode d’interprétation qu’applique en principe la Cour de justice des Communautés lorsqu’elle identifie la nature et l’attribution de la compétence soumise à son examen.

27 Voir notamment : C. Atias, J.L Le Moigne, E. Morin : « Science et conscience de la complexité », Aix-en-Provence, éditions de la Librairie de l’Université, 1984 ; G. Bachelard : « Le nouvel esprit scientifique », Paris, PUF, 1966 ; L. Bertalanf-fy (Von) : « Théorie générale des sytèmes », Dunod, Paris, 1980 ; J. lesour-ne (dir.) : « La notion de systèmes dans les sciences contemporaines », Aix-en-Provence, Librairie de l’Université, 2 vol. 1981 ; D.Durand : « La systémique », que sais je ? PUF, 1976 ; E. Morin : « Le paradigme perdu : la nature humaine », Paris, le Seuil, 1973 ; Ibid. : « La méthode », 4 vol., Paris, le Seuil, 1977, 1991… 28 Le terme grec sustêma exprime l’idée d’un « ensemble cohérent ». De manière plus précise, M. E. MORIN considère qu’ « un système est une unité globale organi-sée d’interrelations entre des éléments, actions ou individus » ( in « la méthode » op. cit.). 29 D. Durand : « La systémique », op. cit. p 39.

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Appliquée à la Communauté européenne, la méthode systématique est contenue dans les observations de Léontin-Jean CONSTANTINES-CO : « L’intégration européenne n’est pas un être mais un devenir ; elle n’est pas une situation acquise, mais un processus ; elle n’est pas un résultat, mais l’action devant mener à ce résultat »30.

Dans la continuité des travaux de la doctrine allemande31, Léontin-Jean CONSTANTINESCO a ainsi appliqué le concept de « Constitu-tion économique » à la Communauté européenne. Il précise que cette expression ne renvoie pas « (…) à un ensemble de normes constitu-tionnelles, mais (à) un complexe de normes juridiques déterminant et régissant le déroulement du processus économique qu’il soit ou non contenu dans un document constitutionnel »32. Il importe donc d’identifier d’abord les buts poursuivis par le système communautaire avant d’analyser les dispositions matérielles, les règles économiques contenues dans les traités formant la « Constitution économique ». Pour la clarté des débats, il ne sera fait référence au système de l’Union européenne (ou au sous-système du pilier de coopération in-tergouvernementale si l’on considère l’Union européenne de manière globale) et aux interactions qu’il entretient avec le système commu-nautaire, que dans la deuxième partie.

L’examen des dispositions matérielles permet de déterminer les com-pétences que possèdent les Communautés européennes et celles qui appartiennent aux États membres et leur degré d’autonomie. Celui-ci ne peut se mesurer que par l’étude des rapports, des interactions qui se nouent entre États membres et institutions communautaires, c’est-à-

30 « La nature juridique des Communautés européennes », conférence P.-H. Spaak, Liège, 1980. 31 V. notamment E. Benda : „ Die aktuellen Ziele der Wirtschaftspolitik und die tra-genden Grundsätze der Wirtschaftsverfassung“, NJW, 1967, p 849 et s; J.S Sche-rer:“ Die Wirtschaftsverfassung der EWG“, Baden Baden, Nomos, 1970; C.F Ophuls :“ Grundzüge Europäischer Wirtschaftsverfassung“, ZHR 124 (1962), p 136: voir également Colloque de Liège: « La Constitution économique européenne », IE-JE, 1971 ; ME Streit, W. Mussler : « The Economic Constitution of The European Community : from Rome to Maastricht », European Law Journal, Vol I, mars 1995, p 5. 32 L.-J. Constantinesco : « La Constitution économique de la CEE », RTDE, 1977, p 244.

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dire la répartition des compétences entre États membres et Commu-nauté. Ces rapports apparaissent modelés par l’objectif central qui est la création d’un marché commun33, puis d’un marché intérieur et l’objectif corrélatif, sur le plan externe, de la mise en place d’un tarif douanier commun et d’une politique commerciale commune. Cette in-tégration économique se traduit par une intégration sur le plan juridi-que qui aurait dû, en toute logique, s’accompagner d’une répartition claire des compétences entre la Communauté et les États membres. Or, jusqu’au traité établissant une Constitution européenne, les traités CE n’ont pas proposé de classification précise des compétences. C’est la Cour de justice qui a pallié le silence du Traité CE, d’une part, en distinguant entre compétences exclusives et compétences concurren-tes, (domaine dans lequel, depuis le traité d’Amsterdam, la répartition des compétences entre États membres et Communauté s’opère par l’application du principe de subsidiarité) et d’autre part, en précisant la nature des compétences et leur attribution selon les domaines consi-dérés34.

Le traité établissant une Constitution européenne comprend un titre III intitulé les compétences de l’Union35. Après avoir défini les catégo-ries de compétences36, la Constitution distingue les domaines de com-

33 Article 2 du traité CE 34 Ainsi, la Déclaration 23 annexée au traité de Nice et celle du Conseil européen de Laeken de 2001 soulignaient la nécessité d’établir « une distinction plus claire entre les différentes compétences (afin de) garantir l’absence d’un élargissement furtif des compétences de l’Union ». 35 A l’article I-11, la Constitution rappelle les principes fondamentaux d’attribution des compétences, de subsidiarité et de proportionnalité en ce qui concerne l’exercice de ses compétences par l’Union. 36 Article I-12. Cet article distingue entre les compétences exclusives, pour lesquel-les « …seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s’ils sont habilités par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union » ; les compétences partagées avec les États membres, pour lesquelles « …l’Union et les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans ce domaine. Les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l’exercer » ; les compétences de l’Union « pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États mem-bres, sans pour autant remplacer leur compétence dans ces domaines ».

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pétence exclusive37 parmi lesquels figurent l’union douanière, l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionne-ment du marché intérieur, la politique monétaire pour les États mem-bres dont la monnaie est l’euro, la politique commerciale commune38 et les domaines de compétence partagée dans lesquels elle range, sans autre précision, le marché intérieur. Cette classification présente, selon nous, des incohérences à plusieurs titres.

En premier lieu, il paraît illogique de dissocier le régime des compé-tences dans les domaines de l’union douanière et de la politique com-merciale commune avec celui du marché intérieur alors que la corréla-tion étroite entre ces domaines a toujours été soulignée par la Cour, le marché intérieur étant souvent présenté comme le volet interne de l’union douanière. Ainsi, dans l’arrêt « Diamantarbeiders » du 13 dé-cembre 197339, la Cour souligne clairement les liens nécessaires entre volet externe et volet interne de l’union douanière en vue d’éviter tout détournement de trafic et toute distorsion dans la libre circulation in-terne et dans les conditions de concurrence. La politique de concur-rence, pour laquelle le projet de Constitution européenne prévoit éga-lement une compétence exclusive est conçue par le Traité CE comme un instrument au service du marché intérieur. Selon l’article 3 g), en effet, « … l’action de la Communauté comporte…un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur ». Or, il peut paraître illogique de conférer une compétence exclusive à la Communauté s’agissant de la politique de concurrence et de refuser un tel caractère à l’objectif dont elle constitue l’instrument.

En second lieu, il nous paraît conforme à l’interprétation systémati-que40 et téléologique des traités, de partir de l’idée fondamentale qui

37 Article I-13. 38 La conservation des ressources biologiques de la mer et la conclusion d’un accord international « lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l’Union » relèvent également des domaines de compétence exclusive de l’Union. 39 CJCE, 13 décembre 1973, Diamandarbeiders, 37 et 38/73, Rec. 1609, attendus 5 à 9. 40 Selon cette méthode, une disposition doit « être considérée dans son contexte, en relation avec les autres paragraphes du même article et à sa place dans le système général du traité », CJCE, 3 février 1976, Manghéra, 59/75, Rec.91. S’agissant d’interpréter les dispositions du traité ou du droit dérivé, la Cour utilise souvent de

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sous-tend l’intégration des marchés nationaux et la construction com-munautaire : celle de l’ « intérêt commun » ou de l’ « intérêt global » de la Communauté à l’intérieur duquel les intérêts des États membres doivent trouver à s’ajuster41. Dans le droit fil de ces observations, l’intérêt commun constitue le critère fondamental sur lequel repose l’affirmation par la Cour d’une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune42. Il est remarquable que la Cour renvoie conjointement au fonctionnement du marché commun et à l’intérêt global de la Communauté pour en déduire l’exclusivité des compétences communautaires en matière de politique commerciale.

A cet égard, c’est par une interprétation systématique des dispositions du traité43 et en se fondant précisément sur l’existence d’une compé-tence communautaire interne que la Cour a forgé la théorie des com-

manière conjointe les méthodes systématique et téléologique. Par exemple, dans l’arrêt Continental Can du 21 février 1973 (6/72, Rec. 244), elle estime qu’il convient « … d’envisager à la fois l’esprit, l’économie et les termes de l’article 86, compte tenu du système du traité et des finalités qui lui sont propres ». 41 C’est, en effet, « l’intérêt commun » qui assure la cohérence du système commu-nautaire en s’imposant aux États membres même dans l’hypothèse de contrariété de leur intérêt national avec l’intérêt global de la Communauté (voir, par exemple, CJCE, 7 février 1973, Commission c/ Italie, 39/72, Rec. 10), en consacrant la pri-mauté du droit communautaire originaire et dérivé sur toutes dispositions de droit national, en créant à la charge des États les obligations corrélatives d’abstention de toute action unilatérale qui porterait atteinte à l’intérêt communautaire d’une part, et de solidarité entre États membres et entre les États membres et la Communauté d’autre part (CJCE, 7 février 1973, Commission c/Italie, op. cit. ).. 42 CJCE, 11 novembre 1975, Arrangement O.C.D.E. concernant les dépenses loca-les, avis 1/75, Rec. 1355. Dans cet avis, la Cour pose en principe que la politique commerciale « est conçue (…) dans la perspective du fonctionnement du marché commun, pour la défense de l’intérêt global de la Communauté, à l’intérieur duquel les intérêts particuliers des États membres doivent trouver à s’ajuster mutuelle-ment ». 43 En ce sens, voir notamment, P. Reuter, « organisations européennes », PUF, coll. Thémis, 1965, p 215, pour qui la définition des compétences communautaires suit un « procédé punctiforme » ; R. Kovar : « les compétences implicites : jurisprudence de la Cour et pratique communautaire » in « Relations extérieures de la Communau-té et marché intérieur : aspects juridiques et fonctionnels »P. Demaret éd., Collège d’Europe, n° 45, p 23 ; V. Michel : « les compétences externes implicites : continui-té jurisprudentielle et clarification méthodologique », Europe, octobre 2006, p4.

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pétences externes implicites44. En vertu du principe du parallélisme des compétences sur le plan interne et sur le plan externe, elle lie, de manière automatique, jusqu’à l’avis 2/9145, l’existence d’une compé-tence externe implicite à son caractère exclusif. Il apparaît donc indé-niable qu’une lecture systémique des dispositions du traité implique une corrélation entre volet interne et volet externe et, par voie de conséquence, conduit à ne pas dissocier la nature des compétences communautaires, sur le plan interne et sur le plan externe.

Si l’on se reporte aux dispositions du traité CE relatives au marché in-térieur, il met à la charge des États deux types d’obligations : une obligation de faire, « l’abolition (…) des obstacles à la libre circula-tion des marchandises, des personnes, des services et des capi-taux (…) » dans les échanges intracommunautaires46 et une obligation d’abstention posée à l’article 31.2 du Traité CE, ne pas ériger de bar-rières nouvelles aux échanges intracommunautaires. Il s’agit de la clause de « standstill »47. Cette méthode dite d’ « intégration négati- 44 Voir CJCE, 31 mars 1971, 22/70, Commission contre Conseil, Rec. 263 ; avis 1/76, 26 avril 1977, Fonds européen d’immobilisation de la navigation intérieure, Rec. 741. Dans l’avis 2/94 ( 28 mars 1996, Convention européenne des droits de l’homme », Rec. 1759) relatif à l’adhésion de la Communauté à la Convention euro-péenne des droits de l’homme, la Cour se fondant sur le fait « qu’aucune disposition du traité ne confère aux institutions communautaires, de manière générale, le pou-voir d ‘édicter des règles en matière de droits de l’homme » en déduit l’absence de compétence, sur le plan externe, pour adhérer à la Convention. 45 CJCE, 19 mars 1993, avis 2/91 relatif à la compétence de la Communauté pour conclure la convention n°170 de l’OIT. Dans cet avis, elle souligne la nécessité « (…) d’examiner (…) si la convention relève du domaine de la compétence de la Communauté et, le cas échéant, si la compétence de la Communauté revêt un carac-tère exclusif ». Dans l’avis 1/03 du 7 février 2006 relatif à la nouvelle Convention de Lugano, elle confirme cette approche nuancée : pour déterminer le caractère exclusif ou non d’une compétence, « il y a lieu d’effectuer une analyse globale et concrè-te…de la relation qui existe entre l’accord envisagé et le droit communautaire en vi-gueur ». 46 Article 3 c) du Traité CE. 47 Le professeur Denys SIMON analyse cette clause comme « la suppression pure et simple de toute compétence normative d’introduire ou de maintenir dans les échan-ges des droits de douane ou taxes d’effet équivalent, des restrictions quantitatives ou mesures d’effet équivalent, des entraves à la libre circulation des personnes et des services, cette prohibition correspondant à une limitation définitive des droits souve-rains des États membres au sens de la jurisprudence de la Cour », in « Le système

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ve »48, vise à l’élimination des obstacles aux échanges intracommu-nautaires et il convient de préciser, comme l’observe le professeur Denys SIMON49, que « cette prohibition correspondant à une limita-tion définitive des droits souverains des États membres » ne s’accompagne pas pour autant « d’un transfert de compétence à la Communauté, les institutions étant elles aussi privées de tout pouvoir d’adopter des mesures incompatibles avec les interdictions posées par les traités »50. Il est clair, par ailleurs, que l’interdiction pesant sur les États membres et visée aux articles 25, 28 et 29 du traité CE ne vise que les échanges intracommunautaires, les États demeurant compé-tents pour réglementer le commerce sur leur territoire, dans le respect des principes communautaires. Il faut donc considérer, à l’instar du professeur V. CONSTANTINESCO51, que la prohibition des entraves à la libre circulation s’accompagne de la « renonciation unanime des États membres à l’exercice autonome d’une compétence ».

La méthode d’ « intégration négative » a été complétée par le Traité CE et la jurisprudence de la Cour de justice par une « intégration posi-tive »52 fondée sur le rapprochement des législations par la voie de l’harmonisation ou de la « reconnaissance mutuelle »53. Ces deux ac-tions se sont développées en premier lieu dans le cadre de la libre cir-culation des marchandises avant de s’étendre aux autres libertés. juridique communautaire », PUF, collection droit fondamental, 1998 p.76. 48 D. SIMON: « Le système juridique communautaire », op. cit., p. 28. 49 Ibidem. 50 CJCE, 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, Rec. 2173. En ce sens, voir no-tamment: P. OLIVER : « la législation communautaire et sa conformité avec la li-bre circulation des marchandises », CDE, 1979, 245 ; G. JAZOTTES : « la notion d’exigences impératives dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communau-tés européennes : contribution à l’étude du principe de libre circulation », thèse de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 1997, spé. p 10 : « (…) cette obliga-tion d’abstention à la charge des États membres n’entraîne aucun transfert corrélatif d’une compétence identique au profit de la Communauté » ; V. MICHEL : « Re-cherches sur les compétences de la Communauté », l’Harmattan, 2003, spé. p 179. 51 V. CONSTANTINESCO : « Compétences et pouvoirs dans les Communautés eu-ropéennes. Contribution à l’étude de la nature juridique des Communautés », Paris, LGDJ, Bibliothèque de droit international, 1974, p. 118. 52 D. SIMON: « Le système juridique communautaire », op. cit. p. 28. 53 CJCE, 20 février 1979, Cassis de Dijon, 120/78, Rec. 649.

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S’agissant de l’harmonisation, elle repose sur un fondement spécifi-que, l’article 95 CE (ex article 100 A) et sur un fondement plus géné-ral, l’article 308 CE.

Selon les termes de l’article 95 CE, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après consultation du Comité économique et social, peut arrêter des mesures « (…) relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et ad-ministratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». Ces mesures excluent, en principe, la possibilité pour les États membres de prendre des disposi-tions nationales54. De manière plus générale, l’article 308 CE dispo-se : « si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réali-ser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le (…) traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet », des dispositions pourront être prises par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. Il s’agit de la clause dite « des compétences implicites ». On peut y voir une clause d’adaptation ou de révision des traités dans la mesure où elle attribue une compétence fonctionnelle au Conseil, en l’absence d’une compétence explicite-ment prévue par le traité.

Parallèlement à l’œuvre d’harmonisation des institutions communau-taires, le principe de « reconnaissance mutuelle » dégagé par la Cour s’oppose à ce que des marchandises légalement produites et commer-cialisées dans un État membre puissent se heurter à des barrières à l’importation justifiées par des divergences de réglementations.

Enfin, il convient de rappeler que les mesures restrictives à la libre circulation qu’un État serait autorisé à prendre soit sur le fondement de l’article 30 (ex article 36) soit sur celui de la théorie prétorienne des « exigences impératives d’intérêt général » sont d’interprétation stricte et doivent s’effacer dès lors que la Communauté a exercé sa compétence en ce domaine. La compétence des États membres appa-raît donc comme étant résiduelle. Comme le fait observer la profes-

54 Les articles 95-4, 95-5, 95-10 prévoient des mécanismes de sauvegarde pouvant être invoqués par les États membres, sous le contrôle de la Commission.

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seure Valérie MICHEL55, « l’harmonisation emportera, en effet, par application de la théorie de la préemption, la substitution progressive d’une compétence communautaire exclusive à la compétence étati-que ».

Par conséquent, il conviendrait d’admettre une conception évolutive et dynamique des compétences communautaires en ce qui concerne la mise en œuvre du marché intérieur : tant que le législateur communau-taire n’a pas exercé sa compétence, les États membres demeurent li-bres de réglementer sur leur territoire, par exemple, les conditions de commercialisation et de production d’un bien, les mesures visant la protection de la santé publique, sous le contrôle de la Commission et de la Cour de justice. Ce contrôle porte sur l’existence ou l’absence d’effets préjudiciables à la libre circulation, sur le caractère discrimi-natoire ou non de la mesure nationale. Dès lors que, par application de la théorie de la préemption56, la Communauté a exercé sa compétence de manière exhaustive, les États membres sont dessaisis, de manière définitive, de leurs compétences.

Si l’on considère la pratique suivie par les institutions communautai-res, elle illustre la dynamique propre à la « Constitution économique » par un phénomène d’intégration croissante, un effet de « spill-over » (débordement) selon lequel tout progrès dans l’intégration ap-pelle nécessairement d’autres progrès. Il se produit un phénomène d’absorption dans le domaine des compétences communautaires concernant l’harmonisation du marché intérieur de matières relevant des compétences nationales. On peut citer notamment, le domaine de la propriété intellectuelle dans lequel la Cour tend à faire prévaloir les critères contenus dans les directives communautaires d’harmonisa-tion57, celui de la santé publique ou de l’environnement dans la mesu-

55 V. MICHEL : « Recherches sur les compétences de la Communauté », l’Harmattan, 2003, p. 180. 56 Inspiré des critères d’attribution des compétences utilisés dans les États fédéraux, le concept de préemption s’applique dans les domaines de compétences concurren-tes. Il signifie que, dans les domaines de compétence concurrente, les États membres sont autorisés à exercer la compétence dans la mesure où la Communauté n’a pas exercé la sienne. Mais l’exercice par la Communauté de sa compétence entraîne un dessaisissement définitif pour les États de leur compétence. 57 Voir, par exemple, en matière de marques, la directive 89/104 du Conseil, du 21

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re où la possibilité pour les États membres de faire obstacle à la libre circulation de produits présentant des risques potentiels scientifique-ment démontrés, par le recours au principe de précaution, est soumise à l’absence d’exercice par la Communauté de ses compétences58, celui du droit civil et en particulier du droit des contrats59, celui de la pro-tection des données personnelles organisée par la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 199560 adoptée sur le fondement de l’article 95 CE, l’objectif étant d’atteindre un niveau de protection équivalent des droits et libertés des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans les États mem-bres, afin d’ « (…) éliminer les obstacles à la libre circulation (de ces données) »61. Ce phénomène d’absorption vaut également pour des matières relevant des piliers de la coopération intergouvernementale, comme nous le verrons dans la deuxième partie.

décembre 1988 établissant des règles communes en matière de signes constitutifs, de motifs de refus ou de nullité et de droits conférés par les marques ; le règlement 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993, instituant une marque communautaire coexistant avec les marques nationales ; CJCE, 11juillet 1996, Paranova, C 71/94, C 72/94 et C 73/94, Rec I-3461 ; CJCE, 29 septembre 1998, Canon c/ MGM, C 39/97, Dalloz affaires 1998, p 1782. G. Bonet, chroniques « Propriétés intellectuelles », RTDE 2000, p 99 ; M.-F. Mercadier : « L’articulation entre les systèmes nationaux de protection des droits de la propriété industrielle et le principe communautaire de la libre circulation des marchandises » in « le Plurijuridisme », Actes du 8ème congrès de l’Association internationale de Méthodologie juridique, Presses Univer-sitaires d’Aix-Marseille 2005, pp 185-212. 58 Voir notamment CJCE, Royaume-Uni/Commission, « The Queen c/ Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, « National Farmers’ Union », C-157/96 et C-180/96 ; CJCE, 22 octobre 2002, National Farmers’Union c/ Secrétariat général du gouvernement, C-241/01, Rec.I-9079 ; CJCE, 9 septembre 2003, Commission c/ Danemark, C-192/01, Rec. I-9693 ; CJCE, 9 septembre 2003, Monsanto, C 236/01, Rec. I-8105. 59 L’harmonisation des contrats serait nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, selon le Parlement européen et la Commission CE, ce qui a soulevé un émoi dans la doctrine. Le doyen G. Cornu a ainsi déclaré que le Code civil était « la Constitution civile » de la France. 60 JO L 281 du 23 novembre 1995, p 31. 61 8ème considérant. La Cour a donné une interprétation large du champ d’application de la directive : CJCE, 20 mai 2003, Osterreichischer Rundfunk, C-465/00, C-138/01, C-139/01 ; CJCE, 6 novembre 2003, Lindqvist, C-101/01.

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Par conséquent, dans le silence ou les ambiguïtés des dispositions du traité CE, compte tenu de l’ « ordre juridique autonome » instauré par celui-ci qui implique que son interprétation se fasse au regard du seul droit communautaire, on peut noter que le « pouvoir constituant » dans la révision ou l’adaptation de la « Constitution économique » est un pouvoir qui relève, en grande partie de l’œuvre « constructive » de la Cour de justice mais également des institutions communautaires el-les-mêmes. Il en résulte un transfert continu de compétences au profit de la Communauté pour la réalisation d’un objectif économique mais également, depuis l’instauration de l’Union européenne, d’un objectif politique. Ces considérations permettent de comprendre la transmuta-tion d’une « Constitution économique » en « une charte constitution-nelle de base » qui, de manière globale, s’inscrit dans « un processus de constitutionnalisation » continu.

II. D’UNE «CONSTITUTION ÉCONOMIQUE» À UNE «CHARTE CONSTITUTIONNELLE DE BASE» : UN PROCES-SUS DE «CONSTITUTIONNALISATION» Même si l’objectif politique était présent dès la constitution de la C.E.E., dans l’esprit de ses fondateurs, il n’apparaît de manière expli-cite que dans l’Acte Unique européen et recevra une consécration avec le traité de Maastricht. Mais la Cour de justice avait anticipé cette évo-lution, en érigeant la Communauté au rang de « Communauté de droit », en instituant le traité CE comme sa « charte constitutionnelle de base », en imposant le respect des droits fondamentaux avant que les traités ne viennent les consacrer de manière officielle. On peut donc s’interroger sur le « pouvoir constituant » de la Cour de justice des Communautés européennes.

A. L’Union européenne, une « Communauté de droit ».

Dans l’arrêt du 23 avril 1986, « Les Verts c/ Parlement européen »62, la Cour affirme que « (…) la Communauté économique européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité ». Au-delà du fait que la Cour se comporte en pouvoir constituant en comblant une lacu-

62 Affaire 294/83, Rec. 1339.

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ne du traité par la reconnaissance au Parlement européen de la « légi-timation passive », c’est-à-dire du droit de voir la validité de ses actes contestée devant elle, les fondements de l’État de droit sont ainsi po-sés : d’une part, la soumission de l’action des institutions au respect de la hiérarchie des normes instituées par le traité ; d’autre part, le princi-pe d’une protection juridictionnelle complète et effective impliquant l’existence d’un contrôle de la conformité des actes des institutions à la « charte constitutionnelle de base ».

La Cour a étendu les effets de l’ « État de droit » aux États membres en leur imposant le respect des droits fondamentaux, lorsqu’ils agis-sent dans le champ du droit communautaire63.

Cette construction prétorienne de l’ « État de droit » a été élevée, avec les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au rang de principes fonda-mentaux de l’Union européenne par l’article 6 du traité d’Amsterdam

Ces valeurs fondamentales démocratiques, l’État de droit, constituent des obligations qui s’imposent non seulement aux « systèmes de gou-vernement » des États membres mais encore aux États candidats à l’adhésion et aux institutions communautaires64. La proclamation de la Charte des droits fondamentaux par le Conseil de Nice, même si el-le revêt une valeur symbolique par sa situation en annexe du traité de Nice, renforce l’attachement de l’Union européenne à ces valeurs dé-mocratiques. L’inclusion de la charte dans la Constitution européenne contribue, sur le fond, au « processus de constitutionnalisation ».

Ce processus s’observe non seulement sur le plan des valeurs mais aussi quant aux interactions qui se produisent entre le système com-munautaire et le système intergouvernemental (piliers PESC et JAI).

63 CJCE, 4 octobre 1991, Grogan, C-159/91, Rec. 4865 ; 11 juillet 1986, Cinéthèque, 60/84 et 61/84, Rec 2605 ; 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, Rec 3719 ; 1er fé-vrier 1996, Perfili, C-177/94, Rec.I-161 ; 18 décembre 1997, Annibaldi, C- 309/96, Rec.I-7483. 64 Dans l’arrêt du 29 octobre 1980, Roquette ( 138/79, Rec 3333), la Cour de justice définit les prérogatives du Parlement européen comme « le reflet, bien que limité, au niveau de la Communauté, d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée re-présentative ».

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Comme nous l’avons observé, le système communautaire reste domi-né par un phénomène d’autorité verticale qui correspond à la logique d’une intégration continue. Mais la coopération intergouvernementale participe également au processus de constitutionnalisation. Ainsi, les révisions des traités ont provoqué le passage du pilier « coopération intergouvernementale » au pilier communautaire s’agissant de la poli-tique en matière de visas et d’immigration et de la coopération judi-ciaire en matière civile. Le transfert de ces matières dans le pilier communautaire devrait donc s’accompagner du passage de modalités de vote à l’unanimité à la majorité qualifiée. Le traité organisant une Constitution pour l’Europe, en fusionnant les trois piliers, achevait ce processus en élevant la coopération judiciaire en matière pénale au rang de politique communautaire. Cette politique reste dominée au-jourd’hui par un mode de coopération intergouvernementale.

En ce qui concerne la coopération judiciaire en matière civile, outre l’harmonisation progressive des procédures, elle se voit appliquer le principe de reconnaissance mutuelle, développé dans le cadre de la li-bre circulation. Le phénomène d’autorité verticale se conjugue ainsi avec un phénomène d’autorité horizontale, par lequel, selon les termes du professeur Loïc AZOULAI, « L’Union n’impose pas seulement ses propres normes dans les ordres juridiques internes (mais) elle a le pouvoir d’imposer la reconnaissance et l’autorité des normes, des procédures et des décisions de tout État membre dans les autres États membres de l’Union »65. Le principe de sa communautarisation a en-core été renforcé par l’application à ce domaine par la Cour de la théo-rie des compétences externes implicites. Saisie par le Conseil de l’Union européenne d’une demande d’avis sur la compétence de la Communauté pour conclure la nouvelle Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, la Cour estime que la nouvelle Convention de Lugano pourrait affecter l’application uni-forme et cohérente des règles communautaires tant en ce qui concerne la compétence judiciaire que la reconnaissance et l’exécution des dé-cisions et le bon fonctionnement du système global institué par ces rè-gles. Par conséquent, elle juge que la Communauté européenne dispo- 65 L. Azoulai : « Les fondements de l’autorité de l’Union européenne », in « L’autorité de l’Union européenne »op. cit. p 7.

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se d’une compétence exclusive pour conclure la nouvelle Convention de Lugano66. Le processus de constitutionnalisation et le phénomène d’absorption par le droit communautaire sont donc confirmés en ma-tière de coopération judiciaire civile.

Bien que la coopération judiciaire et policière en matière pénale relève encore du troisième pilier, le principe de reconnaissance mutuelle trouve également à s’appliquer. Il connaît de nombreux prolonge-ments avec le mandat d’arrêt européen, la mise en place d’Eurojust, ce qui a conduit le Ministère français de la Justice à s’interroger sur l’existence d’ « une culture judiciaire européenne ». L’émergence d’une Europe judiciaire contribuerait ainsi à la « constitutionnalisa-tion » de l’Union européenne. Le phénomène d’attraction du pilier communautaire est favorisé par l’existence, dans le troisième pilier, de « clauses passerelles ».

Ainsi, aux termes de l’article 42 du traité sur l’Union européenne, la Commission ou un État membre, peut prendre l’initiative de proposer au Conseil que « des actions dans les domaines visés à l’article 29 du traité sur l ‘Union européenne » relèveront du titre IV du traité CE et, en même temps, déterminer « les conditions de vote qui s’y ratta-chent ». Le Conseil, statuant à l’unanimité après consultation du Par-lement européen, recommande l’adoption de cette décision par les États membres, selon leurs traditions constitutionnelles respectives67. L’usage de la clause passerelle de l’article 42 conduit donc à une communautarisation progressive de la coopération judiciaire en matiè-re pénale et, par voie de conséquence, revient ainsi à atteindre l’objectif du traité instituant une Constitution pour l’Europe. A cet égard, la Cour a semble-t-il, encore une fois, anticipé ces évolutions, par un contournement de la clause passerelle, en rendant un arrêt fort contesté68 concernant les sanctions pénales en matière d’environne-

66 CJCE, 7 février 2006, avis 1/03, « nouvelle Convention de Lugano ». 67 La Commission s’est prononcée deux fois en faveur d’une initiative au titre de cette disposition (« Mise en œuvre du programme de La Haye : la voie à suivre » COM (2006)331). 68 Voir notamment, D. Simon, Revue Europe, novembre 2005, p 26 ; C. Philip «Quelle compétence pénale pour l’Union européenne », Gazette du Palais, mercredi 12, jeudi 13 avril 2006, p 9 ; D. Pichoustre « La compétence pénale de la Commu-nauté », Journal des Tribunaux, Droit européen, n° 125, 2006, p 10 ; V. Mi-

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ment69. En l’espèce, la Cour a annulé la décision-cadre 2003/80 du 27 janvier 2003, prise au titre du troisième pilier (JAI) par le Conseil de l’Union européenne en matière de protection de l’environnement par le droit pénal et affirme l’existence d’une compétence communautaire pour légiférer en ce domaine. Elle revient ainsi sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt Casati du 11 novembre 198170, dans le-quel elle admettait qu’ « en principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale restent de la compétence des États membres ». Se fondant sur le lien désormais classique de la politique en matière d’environnement avec le marché intérieur71, la Cour, par une démar-che fonctionnelle, dégage deux critères à la reconnaissance de la com-pétence communautaire : les mesures communautaires doivent être in-dispensables et elles doivent être nécessaires pour garantir la pleine ef-ficacité des normes communautaires. Cet arrêt « bouleverse la réparti-tion des compétences entre (le premier et le troisième) piliers, et revêt dès lors une envergure « constitutionnelle » »72. La Cour aurait ainsi « jeté les bases d’un édifice dont le développement pratique est poten-tiellement impressionnant »73.

Enfin, on notera le rôle joué dans le « processus de constitutionnalisa-tion » par certaines clauses du traité comme les clauses de « rendez-vous » fixant un agenda, un bilan des actions menées pouvant donner lieu à une révision des traités. Ainsi, le Protocole d’Amsterdam pré-voyait une révision des traités liée à l’élargissement, dont la mise en œuvre, organisée par le traité de Nice, a donné lieu aux travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe.

chel : « Droit pénal communautaire : le dragon aux pieds d’argile terrassé ? », Peti-tes Affiches, 20 avril 2006, p 4. 69 CJCE, 13 septembre 2005, Commission des Communautés européennes c/ Conseil de l’Union européenne, C- 176/03, Rec-I-1627. 70 203/80, Rec. 2595. 71 C’est en se fondant sur ce lien que la Cour a statué en matière de droits fondamen-taux ou qu’elle reconnaît à la Communauté une compétence exclusive pour conclure la nouvelle convention de Lugano. 72 C. Philip : « Quelle compétence pénale pour l’Union européenne », Gazette du Pa-lais, mercredi 12, jeudi 13 avril 2006, p 9. 73 A. Raynouard, Revue de jurisprudence commerciale, 2005, p 502.

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Les clauses établissant le passage des modalités de vote de l’unanimité à la majorité qualifiée traduisent de manière particulière « le processus de constitutionnalisation », mettant en exergue un recul de l’inter gou-vernementalisme.

Cependant, pour certains auteurs, ce processus s’essouffle. Ainsi, le professeur Loïc AZOULAI remarque que « ces mécanismes ont at-teint leurs limites. (…) Le projet de Constitution européenne est d’abord une recherche de reconnaissance. Il ne s’analyse pas, classi-quement, comme un acte de « commandement institutionnel », mais comme un moyen de donner forme et corps à une entité politique par-ticulière. Il faut y voir une manière de transférer des procédures de légitimation davantage encore que des compétences et des pou-voirs »74.

Or, les procédures de révision des traités font ressortir toutes les diffi-cultés à passer d’un « processus de constitutionnalisation » à l’expression d’un véritable « pouvoir constituant européen » et d’une « souveraineté européenne ». François LUCHAIRE constate, à cet égard, qu’ « il manque en effet à l’Union européenne un élément in-contournable de la souveraineté ; c’est la compétence de sa propre compétence. L’Union n’a que des attributions limitativement énumé-rées. La compétence de principe, c’est-à-dire la souveraineté, reste à l’État »75.

Ainsi la clause générale de révision des traités prévue par l’article 48 du traité sur l’Union européenne comporte une première phase com-munautaire à laquelle succède une phase intergouvernementale. L’initiative de la révision revient à un État membre ou à la Commis-sion qui fait l’objet d’un vote au sein du Conseil, à la majorité quali-fiée, après consultation du Parlement, le cas échéant de la Commission et de la Banque centrale européenne si l’objet de la révision concerne le domaine monétaire. Les négociations sont ensuite menées au sein d’une conférence des représentants des États membres et les modifica-tions n’entreront en vigueur qu’après ratification par tous les États 74 L. Azoulai : «Les fondements de l’autorité de l’Union européenne », in « L’autorité de l’Union européenne »op. cit. p 11. 75 In Didier Maus, O. Passelecq (dir): « Le traité d’Amsterdam face aux constitutions nationales », la documentation française, 1998, p 108.

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membres. Le pouvoir constituant appartient donc, tout au moins s’agissant de la révision, aux États membres. Les oppositions et les blocages susceptibles de se manifester au sein d’une Conférence inter gouvernementale (CIG) et le succès rencontré par l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux dans le cadre d’une Convention, sont à l’origine du mandat confié à la Convention européenne pour l’élaboration du projet de Constitution. Cependant, l’expérience a montré les limites de cette procédure, d’une part, en raison du fait que cette Convention n’avait pas le statut d’une assemblée constituante et, d’autre part, que ses travaux ont dû être soumis, en dernier lieu, à l’approbation de la Conférence Intergouvernementale.

Par ailleurs, on peut redouter non plus une dilution du pouvoir consti-tuant mais son « éclatement » s’il était fait usage de la Déclaration 30 annexée à la Constitution européenne, qualifiée de « Déclaration concernant la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ». En effet, selon les termes de cette Déclaration, « si à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la signature du traité éta-blissant une Constitution pour l’Europe, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu’un ou plusieurs États mem-bres ont rencontré des difficultés pour procéder à la dite ratification, le Conseil européen se saisit de la question ». Outre les incertitudes pesant sur l’expression « se saisit de la question », qui serait le pou-voir constituant dans un « sauvetage politique » ?

Ainsi qu’on peut le constater, la notion de « pouvoir constituant » dif-fère selon que l’on considère la « Constitution économique » régie en grande partie par une dynamique d’intégration et dans laquelle le « pouvoir constituant », de fait, relève des institutions communautai-res et le pilier politique, pour lequel ce pouvoir appartient aux États, puisqu’ils ont, en quelque sorte, « le dernier mot » en matière de révi-sions des traités. Cependant, la question est rendue encore plus com-plexe dans une organisation qui n’est pas statique mais dynamique, par les interactions qui s’établissent entre les piliers communautaire et de coopération intergouvernementale, les transferts de domaines d’un pilier à l’autre, les changements qu’ils impliquent sur les modalités de vote et il serait plus opportun de parler d’un « pouvoir constituant par-tagé » ou « dilué », comme le proposait le thème du colloque. Avant de clore ces propos, il convient de rappeler à cet égard, l’œuvre de la

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Cour de justice, de s’interroger sur son « pouvoir constituant » ou sur « une fonction constituante ».

B. La Cour de justice des Communautés européennes, « pouvoir constituant » ou « fonction constituante » ? Nul ne conteste le rôle fondamental de la Cour de justice des Commu-nautés européennes dans la construction communautaire. Par une mé-thode d’interprétation systématique et téléologique, elle a comblé les lacunes du traité en dégageant des principes fondateurs qui seront en-suite consacrés au cours des révisions successives des traités et, en dernier lieu, par le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Les principes de primauté, de l’effet direct du droit communautaire, le principe de proportionnalité, le principe de subsidiarité, le principe d’irréversibilité et d’intangibilité des compétences attribuées aux insti-tutions communautaires qui constituent des principes structurels sont d’abord des principes prétoriens. On peut également rappeler que la répartition des compétences entre les institutions communautaires et nationales est l’œuvre de la Cour. On pourrait résumer l’œuvre de la Cour en paraphrasant le Chief Justice Hugues dans l’affaire « Marbury v Madison » : « Nous sommes régis par une Constitution, mais cette Constitution est ce que les juges disent qu’elle est ».

Outre son interprétation constructive des principes institutionnels et des objectifs économiques tenant à l’achèvement du marché intérieur et à la mise en œuvre d’une politique commerciale commune, la Cour a édifié un système de protection des droits fondamentaux, dans le si-lence des traités, ceux-ci poursuivant une finalité économique. Elle a ainsi contribué à doter la Communauté de valeurs constitutionnelles et à l’engager dans le « processus de constitutionnalisation ».

Sur la base de l’article 164 (article 220 nouveau) du traité, selon le-quel la Cour assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité, elle s’est fondée, dans un premier temps sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres, en affir-mant que « (…) le respect des droits fondamentaux fait partie inté-grante des principes généraux du droit dont la Cour assure le res-pect (…) ; la sauvegarde de ces droits, tout en s’inspirant des tradi-tions constitutionnelles communes aux États membres, doit être assu-rée dans le cadre de la structure et des objectifs de la Communau-

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té »76. Elle s’est ensuite progressivement référée à la Convention eu-ropéenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui devait devenir un instrument majeur de son interprétation s’agissant d’étendre le catalo-gue des droits protégés : droit à un procès équitable77, droit de pro-priété78, droit au respect de la vie privée et familiale79, liberté d’expression80…Dans l’avis du 28 mars 199681, elle affirme que « (…) la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle il est, notamment fait référence dans l’article F (article 6 actuel) du traité sur l’Union européenne, revêt une importance considérable ». Cependant, la protection des droits de l’homme par la Cour n’est ef-fective que dans la mesure où elle présente un lien avec le droit com-munautaire (libre circulation des personnes, par exemple).

Dans des affaires récentes, la Cour a également admis qu’un droit fondamental, comme la liberté d’expression puisse constituer, pour un État membre, une « exigence impérative d’intérêt général » l’autorisant à déroger à la « liberté fondamentale » de circulation des marchandises82.

Il convient enfin de souligner que la compétence préjudicielle que la Cour détient en matière pénale sur le fondement de l’article 34§ 2 du traité sur l’Union européenne83 lui a permis d’étendre la catégorie des droits fondamentaux protégés et permet d’augurer d’extensions futu-res en ce domaine. Ainsi, dans un arrêt du 16 juin 200584 concernant l’interprétation de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil de l’Union européenne, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes 76 CJCE, 17 décembre 1970, affaire 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, Rec 1125. 77 CJCE, 8 juillet 1999, C-235/92, Montecatini, RTDH, 2000, note F. Sudre 78 CJCE, 13 décembre 1979, affaire 44/79, Hauer, Rec. 3727 79 CJCE, 18 mai 1989, affaire 249/86, Commission c/ RFA, Rec. 1263 80 CJCE, 18 juin 1991, C-260/89, ERT, Rec I-2951. 81 2/94, Rec.I-1759. 82 CJCE, 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. I-5659. 83 Selon cet article, la Cour dispose d’une compétence pour statuer à titre préjudiciel sur les décisions –cadre du troisième pilier à condition qu’il y ait une déclaration d’acceptation de cette compétence de la part de chaque État membre. 84 CJCE, 16 juin 2005, Maria Pupino, C-105/03.

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dans le cadre de procédures pénales, la Cour rappelle que l’interprétation de la décision-cadre par la juridiction nationale doit être compatible avec les principes fondamentaux du droit de l’État membre concerné. Elle réaffirme le respect, par l’Union européenne, des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et résultant des traditions constitu-tionnelles communes aux États membres, en tant que principes géné-raux du droit. Dès lors, la Cour considère que la décision-cadre doit être interprétée de manière à ce que soient respectés ces droits fonda-mentaux et parmi eux, le droit à un procès équitable.

L’un des facteurs ayant contribué pour une large part au « pouvoir » ou à la « fonction » constituante de la Cour réside dans les pouvoirs juridictionnels qui lui sont conférés, notamment par le recours préju-diciel85 et le recours en manquement86. Par conséquent, si sur le plan matériel, l’application du droit communautaire apparaît partagée entre juridictions nationales et juridictions communautaires, sur le plan fonctionnel, l’interprétation du droit communautaire demeure large-ment le monopole de la Cour.

S’agissant du recours préjudiciel, la Cour a ainsi rappelé fermement, dans un arrêt du 6 décembre 200587, que l’article 234, troisième alinéa du traité CE impose à une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, de saisir la Cour d’une question relative à la validité de dispositions d’un règlement même lorsque la Cour a déjà déclaré invalides des disposi-tions correspondantes d’un règlement comparable. Elle souligne que les compétences qui lui sont reconnues par l’article 234 CE ont essen-tiellement pour objet d’assurer une application uniforme du droit

85 Selon l’article 234, la Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudi-ciel, sur l’interprétation du traité CE. Si la question préjudicielle est soulevée devant une juridiction nationale, le renvoi préjudiciel est facultatif. Il est obligatoire si la question est soulevée dans une affaire pendante « devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit inter-ne ». 86 Selon les articles 226 à 228 du traité de Rome, la Commission ou un État membre peuvent saisir la Cour d’un recours en manquement contre un État ayant violé les règles communautaires. 87 CJCE, 6 décembre 2005, Gaston Schul Douane expediteurBV, C-461/03.

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communautaire par les juridictions nationales. Des divergences entre les juridictions des États membres quant à la validité des actes com-munautaires seraient susceptibles de compromettre l’unité même de l’ordre juridique communautaire et de porter atteinte à l’exigence fon-damentale de sécurité juridique.

En ce qui concerne la mise en œuvre du droit communautaire et no-tamment, la sauvegarde des droits que les particuliers tirent de l’effet direct du droit communautaire, il apparaît que l’autonomie procédura-le88 dont jouissent les juridictions nationales est encadrée strictement par la Cour. Non seulement les procédures nationales doivent répon-dre aux principe d’effectivité89 et du traitement national90, mais l’exigence d’effectivité et l’obligation de coopération loyale énoncée à l’article 10 du traité CE devront conduire le juge national à écarter le droit national lorsqu’il est susceptible de porter atteinte à l’efficacité du droit communautaire : « serait incompatible avec les exigences in-hérentes à la nature même du droit communautaire, toute disposition d’un ordre national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit com-munautaire, par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions nationales formant

88 Dans deux arrêts du 16 décembre 1976 (33/76, Rewe, Rec. P 1990 et 45/76, Co-met, Rec. P 2043), la Cour affirme que : « en l’absence de réglementation commu-nautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque Etat membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédu-rales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justi-ciables tirent de l’effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces moda-lités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne… Les modalités et délais déterminés par la règle nationale ne peuvent aboutir à rendre, en pratique, impossible l’exercice de droits que les juri-dictions ont l’obligation de sauvegarder » 89 Ce principe signifie que les modalités procédurales nationales ne doivent pas « être aménagées de manière à rendre impossible en pratique l’exercice des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder » (arrêts du 16 dé-cembre 1976, op. cit.). 90 Les modalités procédurales nationales ne peuvent pas être moins favorables que celles régissant des recours similaires de droit interne.

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obstacle, même temporaire, à la pleine efficacité des normes commu-nautaires »91.

Mais, certainement, l’obligation « d’interprétation conforme » des di-rectives pesant sur le juge national est la plus révélatrice de la primau-té du droit communautaire et par voie de conséquence, de la compé-tence exclusive de la Cour de justice pour l’interpréter. Les arrêts ré-cents rendus en la matière confirment la volonté de la Cour de justice de contribuer à l’effet attractif du droit communautaire.

Dans un arrêt du 5 octobre 200492, la Cour rappelle que les disposi-tions d’une directive, même claires et inconditionnelles, ne peuvent pas créer d'obligations à la charge d'un particulier ni être invoquées en tant que telles contre lui. En second lieu, une jurisprudence constante impose aux États membres l'obligation d'atteindre le résultat prévu par la directive et celle-ci s'impose à toutes leurs autorités, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles. Par conséquent, en vertu du principe d'interprétation conforme, le juge na-tional doit interpréter l'ensemble de son droit national de manière à at-teindre le résultat voulu par la directive.

Dans un arrêt du 3 mai 200593, s’agissant de l’interprétation conforme d’une directive « sociétés » prévoyant des sanctions pénales, la Cour saisira cette opportunité pour poser un principe procédural commun, celui de l’application rétroactive de la peine plus légère. Ce principe relevant des traditions constitutionnelles communes aux États mem-bres, il s'impose, par conséquent, au juge national lorsque celui-ci ap-plique le droit interne adopté pour mettre en œuvre le droit commu-nautaire94.

Enfin, dans l’arrêt du 16 juin 2005,95 la Cour avait à se prononcer sur la portée qu’il convient de donner aux décisions-cadres prévues à l’article 34 du traité sur l’Union européenne. Selon cet article, le 91 CJCE, 19 juin 1990, C-213/89, Rec. P 2467 ; 9 mars 1978, Simmenthal, 106/78, Rec. 629. 92 C-397/01 à C-403/01 93C-387/02, C-391/02 et C-403/02. 94 Il s’agissait, en l'espèce, des directives sur le droit des sociétés. 95 Maria Pupino, op. cit.

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Conseil, à l'unanimité et à l'initiative de tout État membre ou de la Commission, peut arrêter des décisions-cadres aux fins du rapproche-ment des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière de coopération judiciaire et policière, ces actes liant « les États membres quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux ins-tances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Après avoir relevé que le libellé de l'article 34 du traité de l'Union re-latif aux décisions cadres est très étroitement inspiré de celui de l'arti-cle 249, troisième alinéa, CE qui concerne les directives, la Cour en déduit que le principe d'interprétation conforme s'impose également au regard des décisions-cadres adoptées dans le cadre du traité sur l'Union européenne. Par conséquent, le juge national devra interpréter son droit national dans toute la mesure du possible à la lumière du tex-te et de la finalité de la décision-cadre afin d'atteindre le résultat visé par celle-ci.

On peut donc constater à travers ces quelques exemples, comment la Cour a conjugué les principes de primauté et de l’effet direct du droit communautaire d’une part, pour renforcer l’intégration juridique selon un processus de « spill over », d’autre part, pour étendre corrélative-ment les compétences communautaires et ses propres compétences et, enfin, pour construire, arrêt après arrêt, par la voie de la compétence préjudicielle dont elle dispose au titre de l’article 35 du traité sur l’Union européenne, le dernier volet de la constitutionnalisation de l’Union, l’Europe judiciaire. Recréant ainsi une « communautarisa-tion » de la politique judiciaire pénale qui figurait dans le traité sur la Constitution européenne, elle dégage progressivement des principes fondateurs communs : le droit à un procès équitable, l’application ré-troactive de la peine plus légère.

En considération de l’importance de l’œuvre normative accomplie ainsi par la Cour de justice, est-il possible de la considérer comme un « pouvoir constituant » ? La professeure Hélène GAUDIN96 y voit une « fonction constituante », une « fonction » étant définie, selon le doyen Gérard CORNU97 comme l’ensemble des actes qu’ « un organe 96 H. Gaudin : « La « fonction constituante » de la Cour de justice des Communautés européennes », in « Les procédures de révision des traités communautaires : du droit international au droit constitutionnel », Bruylant, 2001, p 25 97 G. Cornu : « Vocabulaire juridique » Quadrige, PUF, 2000.

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déterminé est appelé à faire pour un but supérieur et commun ». La fonction devrait ainsi être distinguée du pouvoir, « assimilé à la puis-sance, ou encore à la prérogative juridique »98. La Cour n’en possè-derait pas les attributs : la souveraineté et l’origine, le pouvoir souve-rain ne pouvant « (…) être détenu que par le titulaire de la souverai-neté dans l’ordre juridique en cause »99. Sur le plan matériel, l’œuvre d’interprétation judiciaire ne saurait être assimilée en totalité à une procédure de révision des traités dans la mesure où il n’y a pas de mo-dification des règles du traité mais adaptation de ses dispositions, par « une interprétation évolutive, c’est-à-dire une lecture modernisée du traité, tenant compte des besoins nouveaux apparus après sa rédac-tion »100. Ainsi, la Cour a-t-elle souligné que « chaque disposition de droit communautaire doit être replacée dans son contexte et interpré-tée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses fina-lités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite »101. Enfin, cette fonction s’exercerait sous le contrôle des juridictions constitutionnelles natio-nales. Ainsi, la Cour Constitutionnelle Fédérale allemande avait, en forme d’avertissement, adressé un message très clair sur les limites de l’interprétation : « Si par exemple des institutions ou des organes eu-ropéens utilisaient ou développaient le traité d’Union de manière à ne plus recouvrir le traité tel qu’il a servi de fondement à la loi d’incorporation, les actes juridiques pris sur ce fondement ne seraient plus obligatoires sur le territoire de la puissance publique alleman-de ».102

Il nous semble néanmoins possible d’introduire une nuance en distin-guant selon que la Cour est confrontée à une lacune du traité ou à une carence103. 98 H. Gaudin : « La « fonction constituante » de la Cour de justice des Communautés européennes », op. cit. p 29. 99 Ibidem, p 30. 100 G. Isaac : « Droit communautaire général », Masson, 1999, p 159. 101 CJCE, 6 octobre 1982, CILFIT, affaire 283/81, Rec. 3415. 102 CCF, 12 octobre 1993, arrêt relatif à la constitutionnalité du traité de Maastricht, RUDH, 1993, p 286. 103 M.F. Mercadier : « Le vide juridique et ses conséquences institutionnelles en droit communautaire », RTDeur. 30 (4), oct.-déc. 1994, pp 579-608.

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Dans l’hypothèse d’une lacune du traité, le juge communautaire se heurte au « silence de la loi ». Or, de la même manière qu’en droit français, l’article 4 du Code civil fait obligation au juge de statuer sous peine de déni de justice, la Cour a affirmé très tôt la prohibition du non liquet104. Elle dispose alors d’un véritable pouvoir créateur qui transparaît de sa jurisprudence relative à l’affirmation des principes de primauté et de l’effet direct du droit communautaire, à la théorie des compétences exclusives, à celle des compétences externes implicites, à la légitimation active et à la légitimation passive du Parlement euro-péen. Il y a, dans toutes ces hypothèses, création de règles ou de prin-cipes nouveaux ex nihilo, le plus souvent repris dans les versions révi-sées du traité (comme le principe de subsidiarité) ou dans la Constitu-tion. Dans l’hypothèse de « lacune » du traité, la Cour fait véritable-ment œuvre de pouvoir constituant.

Les « carences » correspondent aux hypothèses dans lesquelles le légi-slateur communautaire devait agir, sur le fondement d’une politique commune prévue par le traité par exemple, et s’est abstenu. Si les me-sures à prendre ne peuvent être individualisées, la Cour ne peut que constater la carence, exercer une fonction constituante en palliant l’absence de réglementation par un rappel des principes, par exemple le principe de reconnaissance mutuelle à défaut d’harmonisation communautaire, celui de la libre prestation de services à défaut d’une harmonisation suffisante des soins de santé…

Au terme de ces quelques observations, on ne peut que conclure dans le même sens que nos propos introductifs, le miracle du « dépasse-ment dialectique » ne s’étant pas produit. L’impression dominante qui se dégage de l’analyse des pouvoirs et des compétences, de leur répar-tition demeure celle de la complexité. Une certitude s’impose néan-moins, celle de l’impossibilité de transposer au droit communautaire les méthodes d’étude du droit interne. Si en droit interne, le pouvoir constituant ne peut être possédé que par le peuple, sa perception se di-lue dès lors que l’on tente de l’approcher dans le cadre de l’Union eu-ropéenne, pouvoir relevant des institutions communautaires dans la dynamique de l’intégration, pouvoir des États membres dans les pro-cédures de révision des traités, pouvoir de la Cour de justice des

104 CJCE, 12 juillet 1957, Algera, 7/56 et 3 à 7/57, Rec., 81.

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Communautés pour certains ou pouvoir réduit à l’état de « fonction constituante » pour d’autres, et même pouvoir indirectement accordé aux peuples si l’on se réfère à la décision de la Cour Constitutionnelle fédérale allemande : « dans l’association d’États de l’Union euro-péenne, la légitimation démocratique s’effectue donc nécessairement par le rattachement de l’agissement des organes européens aux par-lements des États membres »105. C’est donc une « pluralité de pou-voirs constituants »106 ou un partage du pouvoir constituant qui carac-tériserait l’Union européenne avec pour corollaire une confusion dans la répartition des compétences, confusion que le traité établissant une Constitution pour l’Europe ne résout pas. Là encore s’entrecroisent et se superposent phénomènes d’intégration et de coopération, d’autorité verticale et horizontale dans un kaléidoscope aux multiples facettes… Mais n’est-ce pas là l’une des valeurs de l’Union…le pluralisme ?

105 Cour Constitutionnelle fédérale allemande, 12 octobre 1993, RUDH, 1993, 289. 106 J. Gerkrath : « L’émergence d’un droit constitutionnel pour l’Europe », éditions de l’Université de Bruxelles, 1997, p 260.