Pour des arts politiques ?

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1 Jeremy Sebbane www.thinktankdifferent.com Créativité Pour des arts politiques ? Jeremy Sebbane Lorsque Yves Klein saute dans le vide, dans un vol qui semble durer une éternité, il fait une exploration fulgurante des valeurs immatérielles de notre environnement pour mieux les saisir et ainsi en imprégner son art. Cet envol vers l'inconnu est semblable à celui d'un pays qui, à chaque grand élan démocratique, se lance corps et âme dans un voyage immatériel et politique de cinq ans. De toute évidence, la puissance extraordinaire que partagent les grands artistes et les grands politiques réside dans cette capacité à structurer le réel par le plus pur pouvoir de l'esprit sur la matière. C'est en captant des concepts, des valeurs, des symboles, des couleurs, qu'ils parviennent en les synthétisant à influencer la réalité, à en modifier la perception individuelle et collective. Cela nécessite d’ailleurs une hauteur de vue si paradoxale que Camus disait de l'œuvre d'art qu'elle naît du renoncement de l'intelligence à raisonner le concret. Dans ce monde ou la dématérialisation semble ne plus avoir de limites ni de frontières, la culture, l'argent, les rapports humains, l'architecture s'adaptent et se modifient à une vitesse hypersonique. Les artistes toujours précurseurs ont saisi ces changements bien avant les autres en repoussant depuis les années 60 les nouveaux horizons de l'art à travers la maîtrise de la lumière et de la sensorialité tel que Dan Flavin ou James Turrell et ont ouvert de nouvelles portes inaccessibles jusqu'alors. Il est temps pour l'homme politique de réadapter son art à ce nouveau monde en se démultipliant au sein de ces nouvelles architectures invisibles, structurées par les réseaux sociaux, qui sont habitées par toute la jeunesse du monde contemporain et une grande partie de nos concitoyens. Ces nouveaux espaces offrent une chance unique dans l'histoire de l'humanité pour nous permettre d'être substantiellement plus actifs sur notre environnement mais surtout d'offrir au politique une chance d'être plus que jamais à l'écoute et en lien direct avec les émotions de chacun. L’abolition des barrières, des distances, des classes sociales n’est aujourd’hui plus une chimère ou une utopie, elle se vit concrètement au quotidien dans ces nouveaux espaces qui créent enfin l’opportunité de promouvoir nos idées. Ainsi, dans un futur proche, le politique visionnaire maîtrisera parfaitement ces nouveaux territoires, associera au discours le pouvoir de l'image tel un artiste nous permettant de visualiser notre destin en nous projetant dans une nouvelle réalité. Nous devrions être en permanence incités à participer à des appels à projets sur l'évolution de notre société. Notre jeunesse que l’on accuse trop souvent à tort d’être apathique alors qu’elle a de tous temps été aux avant-postes du changement en politique doit être stimulée sans cesse et appelée à une participation citoyenne plus intense et en être récompensée, ce que permettent désormais ces architectures de la communication, sorte de grande « agora virtuelle ». Joseph Beuys à travers Fluxus considérait que nous sommes tous des artistes, mais nous sommes aussi des êtres politiques et des citoyens et c'est en associant puissamment l’homme, l’art et la vie jusque dans ses engagements les plus profonds que nous pourrons vivre ensemble au sein d'une sculpture sociale qui a du sens.

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Pour des arts politiques ? par Jérémy Sebbane

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Jeremy Sebbane – www.thinktankdifferent.com

Créativité

Pour des arts politiques ?

Jeremy Sebbane Lorsque Yves Klein saute dans le vide, dans un vol qui semble durer une éternité, il fait une exploration fulgurante des valeurs immatérielles de notre environnement pour mieux les saisir et ainsi en imprégner son art. Cet envol vers l'inconnu est semblable à celui d'un pays qui, à chaque grand élan démocratique, se lance corps et âme dans un voyage immatériel et politique de cinq ans. De toute évidence, la puissance extraordinaire que partagent les grands artistes et les grands politiques réside dans cette capacité à structurer le réel par le plus pur pouvoir de l'esprit sur la matière. C'est en captant des concepts, des valeurs, des symboles, des couleurs, qu'ils parviennent en les synthétisant à influencer la réalité, à en modifier la perception individuelle et collective. Cela nécessite d’ailleurs une hauteur de vue si paradoxale que Camus disait de l'œuvre d'art qu'elle naît du renoncement de l'intelligence à raisonner le concret. Dans ce monde ou la dématérialisation semble ne plus avoir de limites ni de frontières, la culture, l'argent, les rapports humains, l'architecture s'adaptent et se modifient à une vitesse hypersonique. Les artistes toujours précurseurs ont saisi ces changements bien avant les autres en repoussant depuis les années 60 les nouveaux horizons de l'art à travers la maîtrise de la lumière et de la sensorialité tel que Dan Flavin ou James Turrell et ont ouvert de nouvelles portes inaccessibles jusqu'alors. Il est temps pour l'homme politique de réadapter son art à ce nouveau monde en se démultipliant au sein de ces nouvelles architectures invisibles, structurées par les réseaux sociaux, qui sont habitées par toute la jeunesse du monde contemporain et une grande partie de nos concitoyens. Ces nouveaux espaces offrent une chance unique dans l'histoire de l'humanité pour nous permettre d'être substantiellement plus actifs sur notre environnement mais surtout d'offrir au politique une chance d'être plus que jamais à l'écoute et en lien direct avec les émotions de chacun. L’abolition des barrières, des distances, des classes sociales n’est aujourd’hui plus une chimère ou une utopie, elle se vit concrètement au quotidien dans ces nouveaux espaces qui créent enfin l’opportunité de promouvoir nos idées. Ainsi, dans un futur proche, le politique visionnaire maîtrisera parfaitement ces nouveaux territoires, associera au discours le pouvoir de l'image tel un artiste nous permettant de visualiser notre destin en nous projetant dans une nouvelle réalité. Nous devrions être en permanence incités à participer à des appels à projets sur l'évolution de notre société. Notre jeunesse que l’on accuse trop souvent à tort d’être apathique alors qu’elle a de tous temps été aux avant-postes du changement en politique doit être stimulée sans cesse et appelée à une participation citoyenne plus intense et en être récompensée, ce que permettent désormais ces architectures de la communication, sorte de grande « agora virtuelle ». Joseph Beuys à travers Fluxus considérait que nous sommes tous des artistes, mais nous sommes aussi des êtres politiques et des citoyens et c'est en associant puissamment l’homme, l’art et la vie jusque dans ses engagements les plus profonds que nous pourrons vivre ensemble au sein d'une sculpture sociale qui a du sens.

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Le point de fuite qui réunit l'artiste et le politique se situe précisément dans cette quête de sens, de cohérence, là où l'on cherche à relier le réel à l'idéal, pour réussir à aller vers ce lieu pur décrit par Simone Weil où les contraires sont un. Ainsi, l’art de la politique c’est finalement l’art d’unir ce qui est différent, c’est rassembler des gens qui n’ont a priori aucun point commun autour de quelque chose de plus fort pour qu'ils se dépassent. Aristote a écrit à la fois Poétique et Politique. C’est bien que les deux sont liés. Le politique veut le soutien de l’artiste. L’artiste ne se sent jamais aussi puissant que lorsqu’il est engagé. Le seul poème mythifié d’Eluard est sa vibrante dénonciation du nazisme dans « Liberté, j’écris ton nom ». Et a contrario, les nombreux détracteurs de Céline continuent de penser que les choix politiques de l’auteur condamnent son œuvre. L’art est puissamment politique et la politique est un art mais il doit redevenir l’art des possibles et non celui des compromis. Si Marcel Proust n’a dans « Le temps retrouvé » jamais vraiment choisi entre une définition de l’art qui serait « l’invention d’un nouveau monde » ou « l’imitation de celui déjà existant », prenons la liberté d'en faire la synthèse : la politique est un art du réel car elle est l’expression de l’ensemble des phénomènes qui touchent concrètement la société mais elle est aussi et surtout la création d’un nouveau monde par le médium de la perception. Certes, depuis la chute du mur de Berlin et la fin des idéologies qui ont causé tant de carnages au cours du siècle dernier, le citoyen a pourtant bien du mal à envisager que le politique puisse « changer le monde ». Or, sur notre planète qui vole à trente mille kilomètre/secondes à travers l'espace et le temps autour du soleil, l'humanité cherche depuis toujours une façon de laisser des traces éternelles de son bref passage. Le politique, l'artiste et le citoyen doivent se réunir autour de cette seule question car si selon Kant le principe de finalité n'est pas constitutif mais régulateur, c'est bien cette seule réflexion essentielle sur l'éternité qui devrait être au cœur des choix de cette même trinité...