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Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social? Colloque du Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents 2018

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Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence.

Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

INVITATION

Éd. resp. : F. Delcor - Bd Léopold II, 44 - 1080 Bruxelles | Graphisme : Dircom

Colloque« Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social ? »

Frédéric Delcor, Secrétaire général, a le plaisir de vous inviter à la rencontre d’experts des processus de radicalisation violente et de polarisation sociale, organisée par le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le vendredi 14 décembre 2018 de 9h à 17h

Palais des AcadémiesRue Ducale 1, 1000 Bruxelles

Inscription obligatoire avant le 30 novembre : www.extremismes-violents.cfwb.be

Plus d’infos : [email protected] – 0800/111 72

Colloque du Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents 2018

INVITATION

Éd. resp. : F. Delcor - Bd Léopold II, 44 - 1080 Bruxelles | Graphisme : Dircom

Colloque« Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social ? »

Frédéric Delcor, Secrétaire général, a le plaisir de vous inviter à la rencontre d’experts des processus de radicalisation violente et de polarisation sociale, organisée par le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le vendredi 14 décembre 2018 de 9h à 17h

Palais des AcadémiesRue Ducale 1, 1000 Bruxelles

Inscription obligatoire avant le 30 novembre : www.extremismes-violents.cfwb.be

Plus d’infos : [email protected] – 0800/111 72

INVITATION

Éd. resp. : F. Delcor - Bd Léopold II, 44 - 1080 Bruxelles | Graphisme : Dircom

Colloque« Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social ? »

Frédéric Delcor, Secrétaire général, a le plaisir de vous inviter à la rencontre d’experts des processus de radicalisation violente et de polarisation sociale, organisée par le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le vendredi 14 décembre 2018 de 9h à 17h

Palais des AcadémiesRue Ducale 1, 1000 Bruxelles

Inscription obligatoire avant le 30 novembre : www.extremismes-violents.cfwb.be

Plus d’infos : [email protected] – 0800/111 72

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Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIEComprendre les radicalisations violentes: contextes et enjeux actuels

Daesh a perdu ses territoires... mais qu’en est-il de son pouvoir d’attraction?Rik Coolsaet (EGMONT-Institut Royal des Relations Internationales)

Radicalisés? Futurs terroristes? De qui parle-t-on au juste?Laurent Bonelli (Université Paris Nanterre)

De la radicalisation à la polarisation et inversementBart Brandsma (Inside Polarisation snc)

Quels sont les ressorts du basculement dans la violence dijhadiste?Corinne Torrekens (Université libre de Bruxelles)

Où est la barbarie?Edouard Delruelle (Université de Liège)

DEUXIÈME PARTIEConstats, analyses et pistes pour les pratiques professionnelles

Quelle prévention dans le monde éducatif?David Le Breton (Université de Strasbourg), Anne-Marie Dieu (Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse), Karin Heremans (GO! Atheneum Antwerpen & RAN-education)

Quelle prise en charge pour les jeunes «radicalisés»?Pauline Diez (IPPJ de Saint-Servais), Alice Jaspart (CAPREV), Raphaël Noiset (SAJ Bruxelles), Pierre Thys (Université de Liège)

Quel accompagnement pour les personnes incarcérées pour des faits de radicalisation?Nora Abed (Terra Psy - Psychologues sans frontières), Fabienne Brion (Université catholique de Louvain), Nicolas Cohen (Barreau de Bruxelles), Karim El Khmlichi (Etablissement pénitentiaire de Saint-Gilles), René Michel (Aide Sociale aux Justiciables asbl, Liège).

Comment contrer la propagande extrémiste?Hasna Hussein (Sociologue des médias et du genre, spécialiste de la propagande djihadiste), Vanessa Reggio (Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, Canada), Patrick Verniers (Conseil supérieur de l’éducation aux médias)

CONCLUSION

LE RÉSEAU DE PRISE EN CHARGE DES EXTRÉMISMES ET DES RADICALISMES VIOLENTS

Annexe: présentation des orateurs - colophon

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Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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Malgré la perte de ses derniers territoires en Syrie, Daesh continue son travail de propagande, de sé-

duction et de recrutement en Europe et dans le monde.

Cette persistance nécessite le main-tien des efforts de compréhension pour mieux cerner et désamorcer les mécanismes qui sont à l’œuvre ainsi que des dispositifs de prévention pour éviter que le phénomène ne s’amplifie

et limiter le risque qu’il se répète, appa-raisse sous d’autres formes.

Car comme le relèvent de nombreux obser-vateurs, d’autres idéologies radicales à portée

violente, comme celle d’extrême droite, émergent, se développent et gagnent du terrain. Les constats ne font aucun doute dans certaines contrées de l’Europe mais ils sont également pointés chez nous, avec l’appa-rition de mouvements tels que Schild & Vrienden.

Dès lors, le questionnement doit dépasser le phéno-

mène Daesh et porter plus globalement sur le contexte. En quoi peut-il constituer un terreau propice au déploiement de ces mouvements extrêmistes qui suscitent des convictions, des engagements, créent des peurs, des tensions et une polarisation grandissante au sein de la société?

C’est sur ce questionnement que le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents s’est proposé de se pencher à l’occasion de son deuxième colloque.

La première partie de la journée avait pour objectif de contextualiser la situation de radicalisation violente et de polarisation à partir de différentes perspectives: géopolitique, sociologique et philosophique, mais aussi d’identifier les enjeux actuels de la prévention.

La seconde partie était davantage axée sur les réponses et pistes de réponses pour contrer ces mouvements et leurs effets de polarisa-tion, au-delà d’une approche sécuritaire. Des tables rondes ont ainsi permis à des professionnels et chercheurs de croiser leurs constats, analyses et pratiques sur des thématiques directement en lien avec les domaines ou terrains de compétences de la Fédération Wallo-nie-Bruxelles: l’aide à la jeunesse, l’enseignement, l’éducation perma-nente, l’aide aux justiciables ou encore l’éducation aux médias.

I n t r o d u c t i o n

Qu’est-ce qui dans nos sociétés favorise l’émer-

gence d’idéologies radicales? Et, à l’inverse, quel a été l’impact de Daesh et du radicalisme

violent sur nos sociétés? Quel(s) lien(s) entre ra-dicalisation et polarisation? Quels sont aujourd’hui

les enjeux pour les politiques de prévention ? Quels constats pertinents tirés du terrain et des expériences menées dans les différents secteurs

concernés? Quelles sont les erreurs à éviter? Quelles sont les pistes à creuser, les

leviers sur lesquels agir?

?

Le 14 décembre 2018, le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents organisait son deu-xième colloque annuel, intitulé «Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social ?». L’intention de cette journée était d’offrir un moment de rencontre entre praticiens et chercheurs pour stimuler les échanges autour des clés de compréhension et des réponses apportées au développement de la polarisation et des extrémismes violents dans notre société. Les textes de ce livret ont été rédigés par l’Observa-toire, à la demande du Réseau, sur base des interventions des orateurs du colloque. Ils en synthétisent les idées princi-pales et inspirantes pour les actions de prévention et de prise en charge.

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Bonne nouvelle, le Daesh qu’on a connu, qui a attiré plusieurs dizaines de milliers de jeunes de Belgique, de France et d’ailleurs, a perdu la quasi-totalité de ses territoires. La défaite militaire de Daesh en Syrie a été proclamée.

Mais cette perte de territoires signifie-t-elle pour autant une perte d’attractivité de l’idéologie djihadiste en Occident ?

Est-ce pour autant qu’il n’y aura plus d’attentats, plus de jeunes qui rêveront de partir en Syrie ou dans une autre contrée, de groupuscules qui tenteront de déstabiliser nos sociétés en semant la peur, le chaos?

Cessons de croire que Daesh a inventé le terrorisme

Rik Coolsaet nous rap-pelle que le terrorisme n’a rien de nouveau et, loin de se restreindre au seul djihadisme, il s’est développé sous de multiples bannières idéologiques.

Pensons par exemple aux actions des anarchistes de

la fin du 19ème siècle, de l’ex-trême-droite dans l’entre-deux- guerres et, plus proche de nous, de l’extrême-gauche et notam-ment des Cellules Communistes Combattantes (CCC) dans les années 80. Certains de ces groupes ont en réalité produit davantage d’attentats et de vic-times que le djihadisme actuel.

Demandons-nous plutôt ce qui en favorise l’émergence, com-ment, à un certain moment de l’histoire, une vague de terro-risme s’étend ainsi sur plusieurs pays, parfois plusieurs conti-nents, avec les mêmes mots d’ordre, les mêmes méthodes, les mêmes formes de violence ?

Une vague terroriste ne vient pas du néant. Il faut un

contexte, un terreau pro-pice, soit une situation d’injustice largement par-tagée, réelle ou perçue.

Cependant, ce terreau, à lui seul, ne peut suffire à faire

naître une vague de terrorisme. Il faut également une opportunité, une offre d’engagement qui soit suffisamment crédible et attrac-

tive, mais aussi des passeurs, des prêcheurs qui se chargent de convaincre les opprimés qu’en s’engageant dans la voie proposée, ils pourront effacer l’injustice, changer le cours de l’histoire… et de leur propre vie.

Nous retrouvons là, d’après Rik Coolsaet, deux des ingrédients qui expliquent le succès de Daesh.

Un terreau très fertile

Par-delà la diversité de leurs profils, de leurs parcours et même de leurs origines, les nombreux jeunes qui sont partis pour la Syrie et l’Irak ou ont participé à des attentats en Europe, partageaient un même sentiment d’injustice, d’aban-don, de «no future». Ils étaient convaincus qu’ici, ils n’avaient aucune perspective d’avenir, ne seraient jamais acceptés et res-teraient toujours des citoyens de seconde zone.

Daesh a parfaitement com-pris qu’il pouvait exploiter ce «terreau de désespérance», ce malaise et ce ressentiment qui

animent une partie des jeunes et comment il pouvait les rallier à sa cause en leur faisant une offre qui réponde à toutes leurs frustrations, tous leurs rêves, toutes leurs ambitions.

Une offre alléchante

Voyons plus en détails ce qui fait la force de l’offre de Daesh.

Tout d’abord, l’idéologie de Daesh peut être interprétée de diverses manières et parler aux exclus de tout genre comme aucune autre idéologie n’a pu le faire depuis les années 80. A tous, Daesh donne des réponses. Il leur fournit des lunettes pour mieux voir encore l’injustice qu’ils ressentent et les différentes formes qu’elle peut prendre, mais aussi pour comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre. Daesh explique les travers de notre société qui crée des inégalités, génère plus de pauvres que de riches, devient de plus en plus amorale, en perte de sens et de valeurs.

Mais Daesh n’est pas qu’une idéologie, son offre est aussi

Daesh a perdu ses territoires... mais qu’en est-il de son pouvoir d’attraction?

... les nombreux jeunes qui sont par-tis pour la Syrie et l’Irak ou ont parti-cipé à des attentats ici en Europe, par-tageaient un même sentiment d’injus-tice, d’abandon, de

«no future».

Rik COOLSAET, professeur à

l’Université de Gand et Senior Associate Fellow

à EGMONT-Institut Royal des Relations

Internationales

RADICALISMEVIOLENT

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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concrète. Jusqu’il y a peu, ce qui distinguait Daesh d’Al-Qaï-da, des CCC et de bien d’autres groupes terroristes qui ont terni l’histoire, c’est d’avoir conquis un vaste territoire, une terre d’accueil pour ses élus. Cette conquête lui a permis de bénéficier d’une image de «vainqueur» auprès de ses re-crues, mais aussi d’augmenter l’attractivité de son offre: il les invitait à se retrouver dans son «Califat», où les attendait un catalogue de solutions instan-tanées à même de satisfaire une large palette de motiva-tions personnelles: perspective d’avenir, fraternité, respect, reconnaissance, aventure, héroïsme, sens à la vie, avan-tages matériels (salaire, villa avec piscine, etc.), alternative à la drogue et la petite criminalité, identité sans tensions, rapports de genre hyper-structurés, société avec des règles claires, simples et absolues…

Cette analyse de Rik Coolsaet permet de controverser deux idées avancées jusqu’il y a peu à propos de l’engagement dans le dijhad.

Premièrement, la radicalisa-tion est motivée dans la très grande majorité des cas par des raisons personnelles liées à une situation de vie sociale, économique, familiale,

amoureuse non satisfaisante; les convictions religieuses n’in-terviennent dès lors que pour un faible pourcentage.

Ainsi, contrairement aux idées reçues, la religion ne joue qu’un rôle secondaire, la plupart du temps et en particulier chez les plus jeunes recrues. Elle sert surtout à vernir, justifier a posteriori l’engagement dans l’extrémisme violent.

Deuxièmement, il est faux de croire que la radicalisation est un processus nécessaire-ment lent. A la différence des combattants extrémistes des générations antérieures, la dé-cision des jeunes de participer à un attentat ou de partir vers les zones de guerre est parfois le résultat d’un empressement, d’une décision précipitée (on parle de «flash radicalization»).

Selon Rik Coolsaet, en matière de prévention et de lutte contre le radicalisme, beaucoup trop d’énergie intellectuelle et politique a dès lors été consacrée au com-bat contre l’idéologie de Daesh, a fortiori contre sa dimension religieuse. C’était une erreur. Mais c’était sans doute plus confortable de pointer les dangers d’une idéo-logie que de se regarder dans le miroir et d’admettre les failles de notre société…

Si Daesh n’existe plus, faut-il encore craindre des attentats?

Oui car si l’État islamique a été réduit à quelques poches dissé-minées sur le bord de l’Euphrate, des jeunes du monde entier continuent de les rejoindre et, du reste, des actes isolés sont en-core commis ici et là en Europe.

Oui car le sentiment d’injustice est toujours bien là. Et si l’on veut s’assurer que, dans un futur plus ou moins proche, il n’y ait pas une nouvelle offre d’extrémisme violent qui, sous quelque ban-nière idéologique que ce soit, vienne profiter de ce terreau, il y a urgence à prendre au sérieux la fracture entre la société et une partie de ses composantes, dont la jeunesse…

Non car orphelin de ses ter-ritoires, Daesh a bel et bien perdu une partie substantielle de sa force d’attraction.

Non car les scénarios catas-trophes imaginés ne se sont pas produits. Même si la sur-médiatisation de quelques faits isolés peut donner l’impression inverse, les départs pour la Syrie se font plus rares et les attentats, en Europe, ont eux aussi sensiblement diminué. Cela a logiquement conduit

l’OCAM à baisser le niveau de la menace terroriste.

Non car de plus en plus de citoyens se mobilisent pour revendiquer une société plus altruiste, moins inégalitaire, plus responsable et respectueuse de l’humain et de la planète. Ainsi, d’autres offres voient le jour, les choses bougent et appellent au changement. En matière de prévention, des initiatives ci-toyennes, impulsées notamment par des mères de jeunes partis et parfois morts au combat, ont vu le jour.

En Flandre, comme en Wallo-nie et à Bruxelles, les politiques mettent désormais l’accent sur la lutte contre la polarisation de la société plutôt que sur la lutte contre le radicalisme djihadiste. C’est le signe d’une meilleure compréhension de ce qui est à l’œuvre dans notre société et risque de la diviser, ce qui ferait à nouveau le jeu de Daesh mais également de l’extrême droite qui compte aussi parmi ses rangs des jeunes prêts à en découdre.

... contrairement aux idées reçues,

la religion ne joue qu’un rôle secon-

daire, la plupart du temps et en parti-culier chez les plus jeunes recrues. Elle sert surtout à ver-nir, justifier a pos-

teriori l’engagement dans l’extrémisme

violent.

INJUSTICE

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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Jeunes radicalisés? De qui parle-t-on au juste?Une hétérogénéité de com-portements

«Radicalisés», en voie de «ra-dicalisation»… Ces étiquettes sont aujourd’hui employées à tort et à travers pour qualifier des situations, des trajectoires, des comportements extrême-ment hétéroclites. Qu’ont en effet en commun la conversion d’un adolescent à l’islam pour provoquer ses parents, la com-mission d’un attentat, l’apologie du terrorisme pour déstabiliser un enseignant ou un éducateur, et le départ vers une zone de guerre?

S’appuyant sur l’étude de 133 dossiers judiciaires de mineurs poursuivis en France pour des affaires de terrorisme ou signalés par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse pour «radicalisation»1, Laurent Bonelli et Fabien Carrié constatent ainsi la grande diver-sité des comportements, des attitudes et des actes classés sous cette appellation.

Mais ils découvrent aussi que ces différents modes d’usage et d’appropriation de la cause djihadiste ne concernent pas un même profil de mineurs. Ils distinguent ainsi deux groupes de jeunes clairement différen-ciés sur le plan de leurs carac-téristiques sociales, scolaires et familiales.

Deux profils de jeunes

Le premier groupe rassemble les mineurs aux trajectoires sociales et familiales les plus chaotiques. Issus de familles dites «à problèmes», bien connues des services sociaux et judiciaires, beaucoup d’entre eux ont une longue expérience de prise en charge institution-nelle. Le décrochage scolaire et la petite délinquance parsèment leur parcours.

Le second groupe rassemble des mineurs inscrits dans des trajectoires et des configura-tions familiales beaucoup plus

conformes aux normes domi-nantes: inconnus des institu-tions judiciaires et des services sociaux, ayant suivi une sco-larité régulière dans une filière générale, provenant de familles sans histoire, etc. Leurs pa-rents, souvent originaires des pays du Maghreb et immigrés de première génération, misent beaucoup sur l’intégration.

Contrairement aux idées reçues...

A contrepied des clichés sur les «délinquants terroristes», les mineurs du premier groupe ne sont pratiquement pas concernés par les modes d’ap-propriation les plus graves du djihadisme. Le registre radical permet surtout à ceux-ci de créer du chaos, de déstabiliser les institutions, la famille, l’état, l’école, l’autorité avec lesquels ils ont eu des rapports compli-qués et douloureux. Ce sont des jeunes qui recherchent la provocation, ils veulent se faire remarquer, créer le malaise, ac-caparer l’attention des adultes. D’autant qu’ils en ont souvent manqué: ce sont des enfants qui ont bénéficié d’un faible

encadrement familial ou qui ont été placés parfois depuis leur naissance. Ils sont en colère mais, pour eux, le registre djihadiste n’est qu’un prétexte, un moyen pour arriver à leur fin. C’est par exemple dans une visée provocatrice que certains de ces jeunes ont, à la suite des attentats de janvier 2015, chahuté des minutes de silence en lançant des «Allah Akhbar», saisissant ainsi l’occasion pour choquer et se distancier de l’injonction officielle à se solida-riser avec les victimes. Et plus ces jeunes perturbateurs, que Laurent Bonelli et Fabien Carrié nomment les «révoltés», sont pris au sérieux (réprimandes, sanctions, réunions extraordi-naires des acteurs de l’institu-tion, …), plus ils ont tendance à persister dans leur (op)position.

C’est au sein du second groupe que les chercheurs trouvent

Laurent BONELLI, Fabien

CARRIÉ, chercheurs attachés à l’Uni-versité de Paris-

Nanterre

NO FUTURE1. L. BONELLI, F. CARRIÉ, Radicalité engagée, radicalités révoltées - Une enquête sur les mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, France, Ministère de la justice, 2018. L’étude est accessible par le biais du site du Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents : https://extremismes-violents.cfwb.be/?outils-comprendre

Radicalisation violente: engagement d’un individu ou d’un groupe dans un projet politique en rupture avec l’ordre existant, fondé sur une idéo-logie qui rejette le pluralisme et la di-versité, et qui considère que, malgré le caractère démocratique de notre système, la violence est un moyen légitime pour atteindre ses objectifs.

(https://extremismes-violents.cfwb.be)

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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les passages à l’acte les plus sérieux et les plus précoces: ten-tatives de départ pour la Syrie, projets d’attentat collectivement organisés et parfois mis à exé-cution, participations actives aux réseaux djihadistes sur Internet. Assumant cette violence pour des raisons idéologiques, ces «engagés», comme les ap-pellent Laurent Bonelli et Fabien Carrié, se caractérisent par une identification forte au registre dji-hadiste (adoption de codes vesti-mentaires strictes, fréquentations limitées à des individus engagés dans la même cause, …), un investissement intellectuel de la cause et la volonté puissante de faire advenir un projet politique.

De la déception à l’engage-ment dijhadiste: la trajectoire des «engagés»

Mais tout cela ne nous dit pas encore pourquoi ce sont les mineurs issus des familles les plus stables qui sont les plus concernés par les formes de radicalité les plus dures et les plus précoces ?

C’est parce que, analysent les deux sociologues, les anticipa-tions de ces jeunes quant à leur avenir sont plus brutalement et plus définitivement démenties que celles des jeunes aux par-cours délinquants.

En effet, du fait de leur histoire familiale et de leurs trajectoires migratoires, leurs parents se situent dans une logique d’inté-gration et d’ascension sociale qui se traduit notamment par un investissement soutenu dans la scolarité de leurs enfants. Ils placent beaucoup d’efforts, de moyens, d’espoirs dans leur réussite. Mais si, dans leur collège de quartier, ces jeunes sont à la hauteur de cette mission, quand ils intègrent le lycée du centre-ville, leur statut peut basculer et les désillusions prendre vite le dessus. Les exigences et la compétition scolaires sont plus fortes, ils ne parviennent pas à rester en tête du peloton, ils deviennent des élèves moyens, voire médiocres, des jeunes mal dans leur peau car, aux difficultés scolaires, s’ajoutent les difficultés liées à l’adoles-cence, à l’estime de soi face aux railleries des autres, aux premières expériences de ra-cisme et d’atteinte narcissique. Leurs rêves se dégonflent, ils ne pourront pas grimper dans l’échelle sociale comme au-raient tant aimé leurs parents car, pour eux, le jeu est truqué et l’injustice palpable.

Le malaise qu’éprouvent ces jeunes peut déboucher sur différents échappatoires et

Et plus ces jeunes provocateurs, que Bonelli et Carrié nomment les «ré-voltés», sont pris au sérieux (répri-

mandes, sanctions, réunions extraordi-naires des acteurs

de l’institution, …), plus ils ont

tendance à persis-ter dans leur (op)

position.

modes d’expression, l’ano-rexie, la fugue, la dépression, le suicide... Mais l’engagement dans l’idéologie djihadiste est une solution particulièrement séduisante car elle leur permet de reconvertir leurs attentes antérieures, de restaurer leur ego meurtri et de reprendre du pouvoir sur ceux qui les ont fourvoyés, humiliés, déçus.

Le djihadisme leur permet aussi de se sentir moins seuls, ils rencontrent, notamment sur la toile, d’autres jeunes déçus qui, comme eux, entretiennent désormais des positions très critiques envers leur famille, l’école et plus globalement la société. Ainsi, se forment de petites communautés de jeunes qui ont connu le même déclassement, le même désen-chantement. Émotionnellement liés, ils se retrouvent autour de mêmes valeurs qui leur tiennent à cœur et les soudent encore davantage, comme la loyauté, le respect. Peu à peu, l’échec personnel se mue en une expé-rience collective porteuse.

C’est là que des intermédiaires, plus âgés et aguerris, vont jouer un rôle-clé pour politiser les désajustements scolaires et familiaux de ces jeunes et les inscrire dans le champ de la radicalité. Ces acteurs vont

en effet graduellement donner un sens à leur situation, en la reliant à d’autres évènements (de l’Histoire aux relations inter-nationales) et en instaurant des chaines de causalités qui l’ex-pliquent. Ils vont leur fournir du matériau pour étayer leurs dires (discours, textes, films, …) et, le cas échéant, leur offrir des moyens pour s’engager (tech-niques de sécurité, itinéraires, contacts, financements, …).

Mûri par ces rencontres, l’en-gagement de ces jeunes est à la fois idéologique, politique et religieux. Il va se traduire, chez un certain nombre d’entre eux, par un départ pour la Syrie. Ils y projettent tous les rêves qu’ils ne peuvent avoir ici: une école qui ne serait pas corrom-pue, un travail, un salaire, une épouse ou un mari, tout ce qui a trait à l’affect et à la sexualité trouverait aussi sa solution. Une fois sur place, cependant, leur déception sera souvent grande.

Beaucoup de ces jeunes veulent également devenir des intellectuels de la cause, des «Moudjahidines du clavier» pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux. Dans cette optique, nombre de filles, qui représentent pas moins d’un tiers de cette population

RADICALISME

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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des «engagés» identifiée par Laurent Bonelli et Fabien Carrié, sont par exemple très actives sur les réseaux sociaux, les applications de messagerie chiffrée, etc.

Enfin, certains seront poussés à commettre des attentats. Encore très jeunes, sans liens avec le monde de la délin-quance, ils se montrent souvent hésitants, maladroits, naïfs dans leur manière d’agir. Les passages à l’acte sont cepen-dant possibles car la dyna-mique émotionnelle qui anime leurs groupes peut être très forte.

Du coup de gueule au pas-sage à l’acte: la trajectoire des «révoltés»

A la différence de leurs homo-logues «engagés», les mineurs «révoltés», compte tenu de leurs configurations familiales et de leurs expériences, ont très tôt pris conscience du «non avenir» qui les attend. Ils sont moins dupes des promesses du système scolaire. L’incertitude quant à leur futur les enferme dans l’immédiateté, leur interdit les investissements à plus long terme. L’improvisation, le coup de tête l’emportent sur la pla-nification, y compris d’ailleurs dans leurs actes délinquants.

Cependant, une minorité d’entre eux finiront tout de même par s’engager plus durablement et fermement dans le djihadisme quand ils auront atteint un certain âge et épuisé les dispositions qu’ils avaient à leur portée pour changer, amé-liorer leur vie, ou quand ils se-ront fatigués de mener une vie de délinquant, voire auront en-vie de tourner la page et de se racheter une vertu en quelque sorte. Cela prendra généra-lement des années, comme en témoignent les parcours d’Amedy Coulibaly, Mohamed Merah, et d’autres terroristes. Si leur passé de délinquant leur assure une certaine aisance et un certain savoir-faire, à manier des armes par exemple, ils hésitent à passer à l’acte, que ce soit pour l’engagement en zone de combat et plus encore, pour la commission d’attentats. Ils sont alors déjà bien entrés dans l’âge adulte (23-24 ans ou plus).

• Attention à ne pas réagir de manière disproportionnée à quelque chose qui est surtout de l’ordre de la provocation; pour éviter que les comportements ne s’amplifient, il vaut mieux opter pour la désescalade.

• Sous le vocable «radicalisation», on classe des comportements extrêmement différents; éviter de trop vite étiqueter.

• Une grande partie de ces comportements s’inscrivent dans une vi-sée de provocation, de défiance envers la famille ou les institutions, et n’ont en fait qu’un lien très distendu avec le djihadisme.

• Contrairement à une idée répandue, il n’existe pas strictement un continuum, une échelle de la radicalisation qui irait de la provoca-tion au stade 1, jusque, par exemple, au stade 4 ou 5 qui serait le passage à l’acte terroriste.

• Ce n’ est pas parce qu’un jeune a crié «Allah Akhbar» qu’il va demain partir pour la Syrie ou poser des bombes dans l’école. De manière générale, plus la provocation est flagrante, plus l’engage-ment dans le radicalisme est faible.

• Il existe, d’après l’investigation de Laurent Bonelli et Fabien Carrié, deux profils de jeunes qui peuvent s’engager dans le radica-lisme, ces jeunes ont des histoires sociale et familiale différentes. Leur engagement éventuel dans le djihadisme se fera aussi avec un tempo différent.

• S’intéresser, tenter de comprendre le cheminement de ces jeunes, décrypter leur trajectoires particulières aide à éclairer les pistes de prévention.

A R E T E N I R suite à l’exposé de Laurent Bonelli

ESCALADE

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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Comment contrecarrer la polari-sation?

La polarisation se nourrissant en partie d’inégalités, d’injustices, de rapports de domination qui tra-versent la société, lutter contre celle-ci nécessite la mise en place d’une politique structurelle ambitieuse qui amène davantage d’équité et de justice sociale.

Cependant, en parallèle et de façon pragmatique, les intervenants sociaux et autres professionnels confrontés à des situations de polarisation dans le cadre de leurs fonctions, ont eux aussi un rôle à jouer.

Bart Brandsma propose à cet égard, dans son livre “Polarisation: Unders-tanding the dynamics of us versus them”, mais aussi à travers des formations modelées en fonction des situations2, un cadre conceptuel pour comprendre la dynamique de la polarisation et des conseils pra-tiques pour l’enrayer.

terrorisme dijhadiste, la polarisation dans notre société inquiète et mérite qu’on s’interroge plus avant.

Définition

La polarisation est le processus par lequel des groupes, au sein d’une société ou à une échelle plus petite (une prison, une classe, ...), en viennent à se poser réciproquement en ennemis: «nous» contre «eux». Elle se nourrit de préjugés, de géné-ralisations, d’assignations identitaires réciproques.

Si la polarisation ne conduit évidem-ment pas systématiquement à la radicalisation, elle peut néanmoins favoriser le contexte propice au dé-veloppement de celle-ci en amplifiant des facteurs psychologiques et so-ciaux qui rendent les individus plus vulnérables aux tentatives d’embri-gadement de groupes extrémistes. Une communauté fortement divisée, dont les groupes sont en conflit et éprouvent un sentiment aigu d’opposition entre «nous» et «eux», constitue en effet un terreau idéal pour les idéologies extrémistes, pour les recruteurs qui exploitent la peur, la méfiance et le rejet de «l’autre».

Attention! Cercle vicieux!

Polarisation et radicalisation ont en outre tendance à s’entretenir mutuellement.

Notre société vit une situation de crise. Le néolibéralisme avec la mondialisation, la délocalisation des emplois, la compétition effré-née, le profit à tout prix, creuse les inégalités. L’emploi se fait plus rare, plus précaire et il ne protège plus nécessairement de la pauvreté. Cela génère de l’incertitude, de même que l’éclatement des familles, la perte des repères, et dans un autre registre, des scandales alimentaires, des catastrophes climatiques, ... alors que dire des attaques dijhadistes (explosions, camions béliers, coups de couteau, ...), si ce n’est qu’elles rajoutent de la peur à la peur.

Dans un tel contexte, avec un tel terreau dirait Rik Coolsaet (voir article précédent), inévitablement, la cohésion sociale en prend un coup. Apparaissent, de plus en plus, des rivalités, des concurrences, des ostracismes qui tendent à liguer les individus les uns contre les autres, à susciter la colère, le rejet et même la haine vis-à-vis d’une minorité, d’une communauté, d’un coupable envers et contre tout.

Quand le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents a dessiné les lignes de ce deuxième colloque, c’est à ce risque réel mais encore mal perçu qu’il a pensé et souhaité faire réfléchir. Au-delà des attentats, au-delà du

2. L’ouvrage existe en néerlandais et en anglais : Bart BRANDSMA, “Polarisation : Understanding the dynamics of us versus them”, BB in Media, 2017.

Pour plus d’informations : https://insidepolarisation.nl/en/contact/

Bart BRANDSMA, philosophe politique et formateur au sein de Inside Polarisa-

tion snc

La polarisation, quels liens avec la radicalisation?

POLARISATION ?!

Ces dernières années, des jeunes, radicalisés en partie en raison du contexte de polarisation qui les a fait se sentir exclus, ont commis des at-tentats en Europe. Ces attentats qui ont créé une vive émotion au sein de la population, émotion entretenue et reprise en boucle par les médias, ont à leur tour renforcé cette polarisation qui s’est manifestée notamment en abondance sur les réseaux sociaux au travers de messages simplistes, fantaisistes et le plus souvent aux relents racistes: «Les musulmans ont dansé à l’occasion des atten-tats», «Les mosquées sont des nids à terroristes», ... Daesh a parfaite-ment compris qu’en revendiquant les attentats, il aiguisait la polarisation et celle-ci ne pouvait que mieux servir ses desseins puisqu’elle jette littéralement dans ses filets tous les jeunes, qu’ils soient musulmans ou non, qui se sentent exclus, rejetés par la société.

Ainsi, une approche préventive de la radicalisation violente ne peut aujourd’hui se concevoir sans prendre en compte ce phénomène de polarisation. Il paraît en effet indispensable d’en comprendre la dynamique pour pouvoir imaginer, dégager des pistes d’action pour la contenir, la combattre.

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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Mieux on comprend ce qui peut provoquer le basculement dans le djihadisme - et comprendre ne veut pas dire excuser - mieux on pourra l’empêcher, le prévenir.

C’est dans cette perspec-tive explicative que Corinne Torrekens mène, depuis 2015, une recherche sur ce phéno-mène. Elle a collecté, pour ce faire, différents matériaux dont seize entretiens semi-directifs3.

L’objectif de son étude n’est pas de mettre en évidence de nouveaux facteurs explicatifs mais plutôt de voir ce que leurs interconnexions peuvent révéler quant aux trajectoires des personnes concernées. Les analystes ont trop souvent ten-dance, souligne-t-elle, à mettre l’accent sur les facteurs tantôt idéologiques, tantôt psycholo-giques, tantôt sociaux, sans les penser dans leurs articulations.

Quels sont les ressorts du basculement dans la violence djihadiste ?

La chercheuse a isolé quatre grandes sphères de facteurs qui sous-tendent le processus de basculement dans la vio-lence djihadiste.

La première sphère est «macro» ou contextuelle

Plusieurs éléments relevant du contexte sont relevés.

• au niveau international, le conflit israélo-palestinien: beau-coup de jeunes s’identifient à la cause palestinienne, et l’inter-vention américaine en Irak qui pèse encore dans les esprits de nombreux musulmans;

• au niveau national: en Bel-gique, comme dans d’autres pays, les discriminations et l’islamophobie sont une réalité; elles nourrissent un sentiment de frustration et d’injustice chez les musulmans de notre pays,

sentiment que les groupes dji-hadistes politisent et exploitent dans leur propagande. S’y ajoute une absence totale de confiance dans les institutions politiques, dont certaines sont considérées comme «maltrai-tantes», de même que dans les autorités religieuses islamiques qui leur apparaissent de plus en plus déconnectées.

Les jeunes et moins jeunes individus interrogés par Corinne Torrekens ont fait montre d’une réelle conscience politique, s’interrogeant sur la chose publique, les inégalités, la façon dont la société est organisée, … Une des clés de la prévention ne serait-elle pas dès lors, sug-gère-t-elle, de convertir positi-vement cet engagement? D’of-frir à ces personnes davantage d’alternatives, d’opportunités d’engagement dans un projet collectif positif, constructif?

La deuxième sphère se com-pose d’éléments «micros» liés à la personnalité de l’individu

Par éléments «micros», la chercheuse entend des fac-teurs psychosociaux, qui peuvent rendre un individu plus vulnérable, plus susceptible de basculer dans la violence djiha-diste: agressivité, impulsivité, fragilité, dépression, troubles de la personnalité, mais aus-si tendance à la fascination, sentiment d’humiliation, quête d’identité...

La troisième sphère concerne les facteurs envi-ronnementaux

Les facteurs environnementaux ont trait au parcours de l’indi-vidu, à son intégration et son rapport aux institutions.

Ainsi, parmi les individus étudiés, nombreux sont ceux qui ont connu échecs et décro-chage scolaires, qui ont un pas-sé délinquant et/ou encore des histoires familiales compliquées (abandons, ruptures, …), …

3. Avec et sous la direction de F. Brion, ces 16 entretiens semi-directifs ont été menés avec des personnes incarcérées ou qui ont été poursuivies pour des affaires de terrorisme. Les autres matériaux utilisés sont des dossiers judiciaires ainsi que des sources secondaires (18 profils de personnes radicalisées sur base de sources de presse en quatre langues, littérature de propagande de Daesh, vidéos de propagande de groupes belges, plongées numériques sur les réseaux sociaux, etc.)

Corinne TORREKENS, professeure et chercheuse

au sein du Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Égalité (GERME) de

l’ULB

BASCULEMENT

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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Pour certains jeunes, notam-ment ceux qui ont voulu mourir en martyr, se sacrifier pour le djihad leur donne l’opportunité de «faire rédemption», d’effacer leurs crimes et «péchés».

La quatrième sphère concerne la socialisation, les fréquentations

Les personnes qui entourent ou que les individus poursuivis pour terrorisme ont fréquen-tées, peuvent avoir joué un rôle important dans leur embrigade-ment.

Que l’on pense aux familles de djihadistes (comme il y a des familles de militants d’ex-trême-droite, ...) et à la fratrie en particulier.

Que l’on songe aussi à ces pe-tites communautés, ces tribus ou «grappes» d’amis qui se sont radicalisés et sont partis ou ont tenté de partir ensemble en Syrie. Avant de prendre le chemin de la radicalisation, ils étaient d’abord des copains, leurs liens se sont resserrés au fur et à mesure de leurs confidences. Éprouvant les mêmes ressentis d’exclusion, d’injustice, ils ont fini par former les mêmes rêves. Dans ces groupes, la pression des pairs peut être forte: les plus radica-

lisés poussant les autres à faire les mêmes choix, sous peine d’être exclus du groupe.

A partir des interconnexions, quatre profils types appa-raissent

L’une ou l’autre ou plusieurs de ces quatre sphères d’influence peuvent avoir une incidence majeure dans le basculement vers l’extrémisme violent.

En étudiant leur interconnexion, Corinne Torrekens distingue quatre profils ou idéaux-types.

Le profil du «romantique». A la croisée de la sphère des facteurs contextuels et de celle des facteurs de personnalité, on trouve les romantiques, les em-preints d’idéalisme. La plupart des jeunes femmes qui se sont engagées dans la voie du radi-calisme appartiennent à cette catégorie. Elles se sont laissées convaincre, séduire par l’idée qu’elles partaient pour faire de l’humanitaire, pour venir en aide au peuple syrien. Dans cette catégorie, on peut aussi trouver des personnes fragilisées qui ont connu un «choc moral»: une expérience, un contact avec la mort d’un ami, d’un parent, d’une grand-mère, etc. qui les a soudainement confrontées à la question de l’au-delà.

Le profil du «soldat». En combinant la sphère des facteurs contextuels, avec celle des facteurs environnementaux, on obtient le profil du «soldat». Ce sont des individus plus rationnels, parfois des produc-teurs de l’idéologie de Daesh ou du moins des colporteurs de celle-ci, des petits prophètes. Ils voient dans cette idéologie un exutoire à leur sentiment d’injustice, leur colère, voire leur haine, avec un ennemi identifié à détruire. Ils veulent prendre leur revanche contre le sys-tème, le monde occidental, etc.

Le profil du «délinquant». En croisant cette fois la sphère des facteurs environnemen-taux avec celle des facteurs de socialisation, c’est le profil du «délinquant» qui émerge. C’est celui qui a été le plus mis en évidence dans les enquêtes qui ont suivi les attentats du 22 mars (Bruxelles) ou du 13 novembre (Paris et sa péri-phérie). Ces «délinquants» se radicalisent en association avec d’autres individus, au sein d’un petit groupe ou avec un ou des membres de leur famille. Leur engagement est une façon de remettre les pendules à zéro. Il leur permet de sortir de leur statut de délinquant en s’en pre-nant aux «vrais mauvais», les occidentaux qui sont dépravés,

ne croient en rien, etc.

Le profil du «suiveur». A l’interconnexion entre la sphère des facteurs de sociali-sation et celle des facteurs de personnalité, les «suiveurs» sont ceux qui ont toujours été dans l’ombre des leaders. Leur engagement au sein d’une idéologie radicale leur permet de se retrouver dans la lumière, d’être un caïd ou un héros, de faire peur... en tout cas, de ne plus laisser indifférent.

A noter, précise Corinne Torrekens, que la recherche étant en cours, cette typologie pourrait encore évoluer.

TRAJECTOIRES

Pour certains jeunes, notamment ceux qui ont voulu mourir en martyr, se sacrifier pour le djihad leur donne l’opportunité de «faire rédemp-

tion», d’effacer leurs crimes et «péchés».

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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!BARBARIE

Edouard DELRUELLE, professeur de philosophie politique et co-directeur du centre de recherche Maté-

rialités de la politique, à l’Université de Liège

un univers complètement fictif, dé-réalisé, et finissent par emprunter des voies d’expression dissidentes. Font partie de celles-ci les mutine-ries électorales de type populiste (qui alimentent la polarisation, en diabolisant par exemple les élites et/ou les étrangers), les émeutes, mais aussi les actions plus violentes comme le terrorisme, devenant le seul exutoire et mode d’expression possible et entendable dans un monde de sourds qui s’évertue à faire croire que tout va bien.

Sous cet angle, la violence terro-riste est moins la résultante d’une conflictualité excessive, que celle d’une conflictualité empêchée.

Dès lors, se référant à la philo-sophe Chantal Mouffe, pour qui l’expression de l’antagonisme est une condition de l’exercice de la démocratie, Edouard Delruelle soutient que la prévention de la radicalisation doit passer par la création d’espaces publics légi-times d’expression des conflits. C’est en assumant de nouveau cette conflictualité qu’elle pourra s’institutionnaliser et donc être canalisée. Ce serait, plus fonda-mentalement encore, une façon de restaurer la démocratie!

Inacceptables, inadmissibles, im-pardonnables, les attentats commis sous l’égide de Daesh sont naturel-lement dénoncés comme des actes de barbarie. Marquant les chairs et les esprits, ils sèment le chaos et frappent bien au-delà du moment de l’impact ou de la déflagration.

Mais la barbarie est-elle seu-lement là où on l’attend? Et si cette barbarie, cette décivilisa-tion, commençait avec la domi-nation du plus fort?

Selon Edouard Delruelle, l’assimila-tion du terrorisme à de la barbarie, dans un contexte teinté d’émotion, ne doit pas nous faire perdre de vue que ces actes - hautement condamnables, il en convient bien évidemment - sont l’expression d’un malaise qui n’a pas trouvé les moyens de s’exprimer autrement dans une société qui admet de moins en moins la contestation.

Quand les individus ne peuvent ex-primer leurs désaccords profonds dans des espaces publics légi-times, quand ils ne peuvent entrer en conflit par des voies institution-nalisées avec les autorités, les institutions, les groupes dominants, ils se replient dans une idéologie,

Dans la même ligne de pensée, Edouard Delruelle estime qu’il n’y a pas nécessairement de conti-nuum qui irait de la polarisation à la violence.

La polarisation montre à quel point notre société est désolidarisée, en perte de cohésion. Les pôles ne sont cependant pas sur un pied d’égalité, il y a toujours un domi-nant et un dominé.

Et si Edouard Delruelle convient, comme Bart Brandsma, qu’il faut investir le «milieu» et créer un espace commun, il soutient que celui-ci doit demeurer un espace de conflit où les dominés pourront contester la position des dominants.

Dans un tel espace, l’enseignant, l’intervenant social, le professionnel aurait effectivement à prendre une position de tiers, mais sans pour autant être neutre: il doit parfois oser prendre position aux côtés des dominés.

Où est la barbarie?

?

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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Malgré ses défaites sur les champs de bataille en Syrie et en Irak, Daesh continue de répandre sa propagande sur le terrain numérique. Chaque mois, l’orga-nisation inonde ainsi la Toile de centaines de nouvelles produc-tions médiatiques, encourageant par exemple la réalisation d’actes terroristes isolés.

En parallèle, d’autres idéolo-gies radicales faisant l’apologie de la haine et de la violence, notamment dans les rangs de l’extrême-droite, naissent et se développent.

Pour répondre à cette propa-gande extrémiste, pour la contrer ou plus largement s’en préser-ver, différentes initiatives ont été développées ces dernières années en Belgique, en France et ailleurs. Trois grandes ap-proches, parfois en tension, sont présentées ici.

C’est en s’appuyant sur ces recherches que l’ARACDRV s’est lancée dans la réalisation d’outils numériques de contre-discours (projet AGORA). S’inspirant du projet «Rien à faire, rien à perdre»1 développé en Belgique par la journaliste et sociologue clinicienne Isabelle Seret et son équipe, l’association a réalisé des capsules vidéo à partir des témoignages de jeunes qui ont succombé au discours de Daesh puis, réalisant avoir été manipu-lés, ont fait marche arrière. Ces vidéos de «repentis» constituent le matériau de base

d’un kit pédagogique que les professionnels peuvent utiliser lors d’une animation participative sur la prévention de la radicalisa-tion djihadiste. Tout en traitant de cas très différents (un adolescent d’origine maghrébine vivant dans un quartier sensible de banlieue, une adolescente issue d’une famille de classe moyenne supé-rieure de tradition catholique…), ces supports vidéo sont traver-sés par des thèmes communs tels que la quête identitaire et le rôle des réseaux sociaux dans le basculement et l’adhésion à l’idéologie radicale.

Comment contrer la propagande extrémiste?

Hasna HUSSEIN,

sociologue des médias et du

genre

L’objectif principal des animations proposées est de favoriser une réflexion distanciée et collective des jeunes autour des situations et des moments clés de l’histoire de ces «repentis». Les fiches pédagogiques sont en libre accès (https://cdradical.hypotheses.org/) et les capsules peuvent être obtenues auprès de Hasna Hussein.

Une stratégie plus indirecte : prévenir les attitudes qui peuvent conduire à la radicali-sation violenteUne autre voie passe par le développement d’une approche préventive moins directement et explicitement orientée contre la propagande extrémiste de Daesh ou d’autres groupes.Le Centre de prévention de la ra-dicalisation menant à la violence (CPRMV), au Québec, a adopté une telle approche, en se don-nant pour objectifs de prévenir des phénomènes de radicalisa-tion menant à la violence mais aussi, plus généralement, de contrecarrer les discours ou les gestes à caractère haineux. En collaboration avec l’Unesco,

Une stratégie frontale: dé-construire la propagande et produire des contre-discours

Une première voie consiste à contrer directement la propa-gande extrémiste en produisant des contre-discours ou discours alternatifs.

C’est celle choisie, en France, par l’«Association recherche-ac-tion contre discours radical violent» (ARACDRV), créée en 2016 par Hasna Hussein.

Cette association mo-bilise tout d’abord les sciences humaines et sociales pour étudier et comprendre les mécanismes de la propagande djihadiste et la déconstruire.

Des articles courts et acces-sibles, produits par la socio-logue et d’autres chercheurs de diverses disciplines (science po-litique, histoire, linguistique, isla-mologie, etc.), sont proposés sur la plateforme https://cdradical.hypotheses.org. Ils s’adressent, entre autres, aux enseignants, intervenants sociaux et autres professionnels travaillant avec des jeunes. DÉCONSTRUIRE

1. Cet outil est disponible sur le site du Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents: https://extremismes-violents.cfwb.be/ressources/soutiller/rafrap/

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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! certitudes.

La campagne a été en partie conçue par des jeunes, de ma-nière à ce que le ton, le langage, le style utilisés soient les plus attractifs et les plus parlants possible. Le Centre a en effet misé sur l’implication des jeunes tant dans les processus de création que de déploiement de la campagne, considérant qu’il est essentiel d’offrir à ceux-ci des espaces et des opportunités pour s’engager dans des projets com-

munautaires et contribuer à la société d’une façon positive.

La campagne se décline en cinq thèmes: «Nous contre eux», «Je n’ai pas ma place

ici», «Ils sont tous pareils» et «Ça ne me regarde pas».

Identifiés comme des facteurs à la racine de la radicalisation vio-lente chez les jeunes, ils peuvent être explorés via des ateliers de sensibilisation animés par des enseignants, des éducateurs et autres intervenants grâce à un guide pédagogique élaboré à leur intention.

Mais la campagne propose aussi d’autres formes de sensibilisation où, de cibles, les jeunes de-viennent les acteurs, les moteurs de la prévention. Ils peuvent ainsi être invités à réaliser une petite vidéo qui met en scène une situa-tion de mise en doute «Et si j’avais tort?» ou participé à un concours

en soumettant un texte, une photo ou une chanson qui propose leur regard sur le sujet, etc.

Une stratégie éducative plus globale et à long terme: l’éducation aux médias

Selon Patrick Verniers, si ces approches peuvent s’avérer utiles dans cer-tains cas, une stratégie éducative plus large est indispensable: l’éduca-tion aux médias.

Les problèmes et les inquiétudes suscitées par la propagande radicale sur les réseaux sociaux, mais aussi les fake news, les théories du complot ou même le cyber-harcèlement ou l’hy-per-sexualisation sont d’après lui, au moins en partie, les symp-tômes d’un même déficit chro-nique de compétences média-tiques du citoyen contemporain.

Si nos systèmes éducatifs au sens large, formels et infor-mels, ont tôt pris en compte les premiers médiums de société, à savoir la lecture et l’écriture, ils accusent un retard considérable pour ce qui est de ces formes médiatiques contemporaines. L’école, où l’éducation aux mé-dias est généralement ponctuelle et requise comme palliatif à des situations de crise, n’a que très peu intégré les compétences nouvelles qu’elles requièrent.

Le citoyen d’aujourd’hui n’est plus seulement lecteur, il devient aussi producteur, navigateur, organisa-teur… au sein de médias qui ne sont par ailleurs plus seulement textuels: images, sons, jeux vidéos, logiciels, réseaux sociaux, etc. Son activité médiatique, les compétences qu’il doit mobiliser,

ne se limitent plus seulement à la dimension informationnelle des médias (traiter d’un sujet), mais concernent également

leur aspect technique (fabriquer, transmettre, organiser, contrôler le niveau de publicité de ses mes-sages, etc.) et social (interagir avec d’autres utilisateurs, se créer de nouveaux contacts, faire partie de communautés en ligne, etc.).

Plutôt que de multiplier les dispositifs spécialisés contre la propagande extrémiste et tous les autres dangers présents dans les médias contemporains, Patrick Verniers appelle ainsi à miser davantage sur l’éducation aux médias, à leur utilisation réfléchie, aussi bien en réception qu’en production et dans cha-cune des dimensions précitées.

Cette éducation aux médias présente également l’avantage d’éviter une focalisation sur la propagande extrémiste, qui peut avoir des effets contre-productifs auprès de certains publics. En effet, la stratégie frontale, les contre-discours, a fortiori quand

Patrick VERNIERS,

président du Conseil supérieur

de l’éducation aux médias (CSEM)

Vanessa REGGIO, coordina-

trice des communica-tions et partenariats au

Centre de prévention de la radicalisation menant à

la violence (CPRMV)

le Centre a ainsi initié la cam-pagne de sensibilisation «Et si j’avais tort? J’en parle, j’apprends!» (http://etsijavaistort.org).

Cette campagne, lancée en 2017, vise à promouvoir chez les ado-lescents et jeunes adultes des aptitudes favorisant le processus de résilience et le développement d’un esprit critique comme fac-teurs de protection face aux dis-cours radicalisants et extrémistes menant à la violence.

Comme l’explique Vanessa Reggio, la campagne ne prend pas ouvertement position contre les discours de propa-gande en tentant de les décrédibiliser ou d’en pointer les aspects négatifs, pas plus qu’elle ne cherche à convaincre quiconque d’aban-donner ses croyances, ses idées, pour les remplacer par d’autres. Plus indirectement, elle met l’ac-cent sur les différentes attitudes qui peuvent conduire à la radica-lisation violente: les convictions idéologiques inébranlables, l’entêtement doctrinal sans remise en cause, l’isolement cognitif, ou encore l’intolérance face aux idées, aux valeurs ou aux croyances différentes des nôtres. Elle vise à amener cha-cun à réfléchir sur ses propres perceptions, convictions, valeurs et croyances, et à interroger ses

RÉSILIENCE

Le citoyen d’aujourd’hui n’est

plus seulement lec-teur, il devient aussi producteur, naviga-teur, organisateur… au sein de médias qui ne sont par ail-

leurs plus seulement textuels

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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ils sont soutenus par un gouver-nement, une préfecture de police ou tout autre instance officielle, peuvent amener des jeunes sen-sibles aux thèses complotistes - ils sont aujourd’hui nombreux ! - à y voir la preuve qu’on essaie de les manipuler…

Cette approche permet également de dépasser une logique sécuri-taire (toujours plus de régulation, d’interdictions, de filtrage des contenus, etc.) qui, non seule-ment menace nos libertés, mais surtout se heurte à l’impossibilité de contrôler in extenso un envi-ronnement médiatique contem-porain de plus en plus complexe, mondialisé, participatif, interactif, réticulaire… Il faut apprendre aux jeunes à composer avec le fait que l’espace médiatique est, qu’on le veuille ou non, truffé de dangers. Les aider à transformer ces derniers en risques conscien-tisés, problématisés.

Mais qu’est-ce qu’au juste cet «esprit critique» visé par l’édu-cation aux médias? A quelles pratiques, quelles attitudes renvoie-t-il?

Se référant au modèle développé par Eduscol1, Verniers explique que cet esprit critique se déve-

loppe et s’exerce en plusieurs phases: s’informer (en prenant le temps, en cherchant à com-prendre, …), évaluer l’informa-tion (recherche et critique des sources, se méfier des préjugés, …), distinguer les faits des inter-prétations (qui les relie et les ex-plique), confronter celles-ci entre elles (et donc ne pas s’arrêter à la première explication), évaluer enfin les interprétations (en distin-guant les interprétations validées par l’expérience, les hypothèses et les simples opinions). Ces différentes phases de mise en œuvre de l’esprit critique nourrissent et, en même temps, sont elles-mêmes alimentées par des attitudes fondamentales telles que la curiosité, l’autono-mie, la lucidité, la modestie ou encore l’écoute. Mais ces pratiques, ces attitudes, ne sont jamais données une fois pour toutes: on est toujours susceptible de manquer d’esprit critique à un moment donné, de nous laisser emporter par nos opinions, nos préjugés, nos émotions, de laisser de côté des aspects de la réalité qui nous dérangent. Cet esprit critique doit donc sans cesse être entretenu, actualisé, remis à l’ouvrage. Et il se forge sur le long terme: ce n’est pas en proposant deux animations de 45 minutes à des jeunes que, du jour au lendemain, ils seront parés contre le propa-

1. http://eduscol.education.fr/cid107295/former-l-esprit-critique-des-eleves.html

listes de l’éducation aux médias, d’enseignants et d’étudiants du secondaire, sur les phénomènes médiatiques. Cela a donné lieu à l’ouvrage «Vivre ensemble dans un monde médiatisé» (2016). Destiné au degré supérieur des établis-sements secondaires, il fournit les supports nécessaires pour conduire des réflexions sur des questions comme la liberté d’ex-pression, la liberté de la presse, la laïcité, l’idéologie, les rumeurs et complots, l’émotion dans l’infor-mation médiatique, l’évaluation de la fiabilité d’une information, les réseaux sociaux, etc.

ÉDUCATION AUX MÉDIAS

gande extrémiste ou d’autres tentatives de manipulation.

C’est pourquoi le CSEM, re-groupant une cinquantaine de membres (acteurs de terrain, centres de recherche, …) issus de tous les secteurs en Fédéra-tion Wallonie-Bruxelles, plaide en faveur d’un déploiement plus structurel et systématique de l’éducation aux médias, à l’école, mais pas seulement. Au-delà du monde scolaire, les éducateurs et autres travailleurs sociaux quotidiennement en contact avec des jeunes ont également tous un rôle à jouer en la matière.

Le CSEM a développé de nombreux outils pour former et sensibiliser à cet esprit critique (www.csem.be/outils).

Citons-en deux.

Depuis plusieurs années, il produit des petits ouvrages d’une dizaine de pages qui permettent de donner des bases en ma-tière d’éducation aux médias et d’aller vers des ressources plus pointues en fonction des théma-tiques et du public-cible. C’est la collection «Repères».

Les difficultés rencontrées par les enseignants et éducateurs devant des classes plongées dans l’émo-tion et divisées par des réactions contradictoires, ont également amené le CSEM à croiser les regards de chercheurs, de spécia-

De la raison critique... à l’émotionOn le sait, la propagande radicale violente, pour recruter des jeunes et des moins jeunes, s’adresse en grande partie à leurs ressentis, leur colère, leurs blessures psychiques, leurs frustrations… à leurs émotions. Il est dès lors important, nous dit Patrick Liebermann (CREA), que les outils dévelop-pés pour contrer cette propagande n’invitent pas seulement les jeunes à faire preuve d’es-prit critique, mais prennent aussi en compte cette part d’émotionnel, sollicitent, touchent au vécu de ces jeunes, à leur empathie, à leur corps, … Le CREA a promu divers outils en ce sens. C’est le cas, par exemple, du projet «Rien à faire, rien à perdre» basé sur les récits de «repentis» ou encore de pièces de théâtre sur des thèmes liés au radicalisme djihadiste violent telles que «Lettre à Nour» de Rachid Benzine..

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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L’adolescence constitue une période-clé dans la socialisation et la construction des valeurs, des normes, des représentations. Mais c’est aussi une phase critique, traversée par les tensions avec les parents et autres adultes enca-drants, les doutes identitaires, le souci de trouver sa place au sein d’un groupe, dans la société, …

Si certains jeunes traversent cette période sans encombre, pour d’autres, moins bien armés, c’est plus compliqué, et cette vulné-rabilité les rend plus facilement manipulables et perméables aux tentatives d’embrigadement des groupes extrémistes.

Les acteurs du monde éducatif, entendu au sens large, ont dès lors un rôle majeur à jouer pour colmater ces fragilités identitaires et prévenir le risque de radica-lisation. Deux secteurs sont ici explorés. D’une part, l’école, dont la place primordiale dans la so-cialisation des jeunes n’est plus à présenter, et d’autre part, le monde associatif et plus généralement le «tiers secteur», trop rarement pris en compte dans les réflexions et pistes d’action.

dements assurés et consensuels de l’identité, le jeune devient, à défaut d’autorité sociale, l’auteur de lui-même. En permanence, dans tous les domaines de l’existence, il est invité à choisir parmi une multitude de réfé-rences sociales et culturelles.

Cette liberté est une chance pour une immense majorité, mais pour d’autres qui ne possèdent pas la boussole pour réussir à se situer, elle peut être problématique. Dé-sorientés, ces jeunes cherchent désespérément qu’on leur dise quoi faire. Et Daesh leur apporte la réponse, la vérité absolue, indiscutable.

Mais ce sont aussi des jeunes qui se vivent sans attaches, qui ne se sentent pas liés à un terri-toire, au pays dans lequel ils ont grandi. Là encore, le djihadisme vient combler le manque en leur donnant une appartenance, le sentiment de faire partie d’une grande communauté qui trans-cende les frontières et où chacun a une place précise sous l’égide de Dieu.

Sans nier la diversité des profils des radicalisés, le sociologue rappelle qu’il s’agit le plus sou-

vent de jeunes issus de couches sociales populaires, avec un parcours de délinquance mais aussi des échecs ou des pro-blèmes d’intégration scolaire, une difficulté à trouver un emploi et à s’y maintenir, des blessures d’en-fance, une famille déstructurée avec des manques affectifs, des séparations, des maltraitances ou des tensions...

A cet égard, l’adhésion à l’is-lamisme radical répond aussi au sentiment d’insignifiance, d’infériorité et d’humiliation qu’éprouvent souvent ces jeunes. Cet engagement alimente en effet leur narcissisme grandiose, convaincus d’agir sous le regard et avec la bénédiction de Dieu, et vient colmater leurs fissures intérieures. Il donne un sens à leur histoire, à leurs cassures, ils entendent enfin ce qu’ils dési-raient qu’on leur dise et un mode d’emploi leur dicte comment redresser leur situation.

Comme ils sont socialement en échec, ces jeunes sont aussi plus enclins à une interprétation du monde en termes de complot à leur égard ou envers l’islam dont ils se découvrent soudainement

Le monde éducatif face à la radicalisation des jeunes?

Le djihadisme: nouveau refuge pour une jeunesse en perte de sens?

Selon David Le Breton1, nos sociétés prodiguent un bien-être matériel mais laissent en friche les aspirations à une forme quelconque de transcendance. Certes, le religieux ne disparait pas, mais il se fragmente à l’infini, les croyances s’individualisent et composent avec le pluralisme des systèmes de spiritualité dis-ponibles sur le marché.

L’islamisme radical est l’une des propositions à la carte pour des jeunes en rupture de perspec-tive et en quête de références puissantes pour se sentir enfin exister. Cet islam déraciné de tout ancrage social leur offre une réponse totalisante et totalitaire pour échapper à la profusion de sens, de valeurs de nos sociétés contemporaines ainsi qu’à la peur d’une liberté sans mode d’emploi.

Le djihadisme peut en effet, dit encore David Le Breton, s’appré-hender comme une pathologie de la liberté. Dans nos sociétés d’individus où il n’y a plus de fon-

David LE BRETON, sociologue et

anthropologue à l’Université de

Strasbourg

IDENTITÉ1. Pour une analyse plus détaillée, voir l’ouvrage de D. LE BRETON édité par Yapaka: http://www.yapaka.be/livre/livre-jeunes-et-radi-calisations

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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les représentants éminents. En s’identifiant à l’islam, ils changent d’identité et donnent une signifi-cation et une valeur renouvelée à leur existence. Non seulement, ils ne sont plus jugés négative-ment pour leurs actes délictueux, mais ceux-ci sont versés à leur crédit comme une forme antici-pée de leur dissidence.

Mais, au final, ils sont davantage mus par la frustration et la haine que par la volonté d’instaurer le règne de Dieu. A l’instar des au-teurs de tueries scolaires étudiés antérieurement par Le Breton, ils veulent marquer en lettres de feu leur présence sur terre… Ils veulent renverser les choses et devenir des héros et des caïds.

L’école, lieu incontournable de la prévention…

Convaincue comme David Le Breton que l’école a ici un rôle de premier plan à jouer, Karin Heremans a multiplié les initiatives dans son école, mais aussi plus largement au sein du système éducatif fla-mand, pour prévenir la radicalisa-tion des adolescents.

Directrice de l’Athénée Royal d’Anvers depuis 17 ans, Karin Heremans est également, depuis 2016, responsable de la politique visant à prévenir la radicalisation et la polarisation au sein de GO!, le système de l’enseignement

flamand. Par ailleurs, elle co-pré-side le groupe de travail «édu-cation» du RAN, le réseau de sensibilisation à la radicalisation de la Commission européenne. Il faut dire que l’école dirigée par Karin Heremans, comprenant pas moins d’une soixantaine de nationalités et notamment un grand nombre de musulmans (de Syrie, d’Afghanistan, de Turquie, du Maroc, etc.), a été au cours des dernières années le théâtre de nombreux conflits identitaires et de toute une série de pro-blèmes en lien avec le radica-lisme et l’extrémisme violent.Des jeunes qui sont partis en Syrie; qui ont voulu partir mais qui ont été arrêtés avant; qui sont morts là-bas; des returnees et des

enfants de returnees; l’infiltration de pensées salafistes, qui ont parfois favorisé ces départs ou d’autres formes d’expres-sion du djihadisme. Mais

aussi le développement des idées d’extrême droite; la polari-sation croissante parmi les élèves alimentée par le développement de ces idéologies et des conflits ou crises politiques à l’étranger, etc. Un certain nombre de ces jeunes en sont venus, d’abord, à réduire leur identité à leur seule religion, leur avenir à la seule dévotion à celle-ci, oubliant tout ce qui compo-sait par ailleurs leur identité (famille, amis, école, club de foot, etc.).

Pour répondre à ce type de difficultés, et surtout pour les pré-venir, Karin Heremans mobilise et promeut divers outils et cadres de pensée (modèle des niveaux logiques de Gregory Bateson, modèle de la polarisation de Bart Brandsma, etc.) qui vont favori-ser la confiance en soi, l’esprit critique, le dialogue, la tolérance, le vivre-ensemble... En voici un petit aperçu.

Trois grandes approches en matière de communication

pour la prévention

Les connective narratives: susciter, produire des récits, des discours, des actions qui visent à stimuler le sentiment d’appar-tenance et de «connexion» des jeunes pour contrer les tentatives d’embrigadement extrémistes qui, comme David Le Breton l’a souligné, cherchent à les couper de leurs différents environne-ments (famille, école, commu-nauté locale, etc.).

Les alternative narratives: permettre aux jeunes de jouer un rôle positif, d’assumer une citoyenneté active, de participer à des activités extra-scolaires, des projets artistiques, de volontariat, etc. Plutôt que de se centrer sur leurs problèmes, il faut leur per-mettre de se donner un but, une mission, une raison d’être.

Comme on le verra plus loin avec Anne-Marie Dieu, cela peut no-

tamment passer par leur partici-pation au «troisième secteur».

Les counter-narratives: offrir aux jeunes d’autres pers-pectives par rapport aux discours extrémistes, ou leur donner les armes pour qu’ils développent par eux-mêmes des points de vue différents. Par exemple, en leur proposant une analyse contextuelle et historique du Co-ran par des experts de l’islam, en développant leur esprit critique, notamment vis-à-vis des médias, en investissant dans les cours d’histoire (investigation et critique des sources, etc.). Dans une op-tique semblable, David Le Breton suggère l’instauration de débats réguliers avec des responsables religieux sous l’égide des ensei-gnants pour que les élèves com-prennent mieux les ressorts des différentes religions et constatent que leurs porte-paroles sont capables d’échanger avec amitié malgré leurs différences. Il insiste, de façon plus générale, sur le fait que l’école est le pre-mier lieu d’apprentissage d’une culture générale pour se situer de manière réflexive dans le monde, acquérir le sens de la civilité et du respect de l’autre, même en situation de désaccord.

La pyramide de prévention de Johan Deklerck

Ces trois approches s’inscrivent dans une perspective plus large

L’islamisme radical est l’une des pro-

positions à la carte pour des jeunes en

rupture de pers-pective et en quête de références puis-

santes pour se sentir enfin exister.

Karin HEREMANS, directrice de

l’Athénée Royal d’Anvers

APPARTENANCE

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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partagée par Karin Heremans et David Le Breton. L’idée est la sui-vante: plutôt que de se focaliser uniquement sur la radicalisation, il faut en sus développer une prévention plus globale du senti-ment de non appartenance et du vide existentiel, des conflits, des violences, de l’intolérance, des crispations et replis identitaires, etc. Karin Heremans se réfère à cet égard à la pyramide de la prévention de Johan Deklerck, qui invite à considérer plusieurs niveaux d’action.

Tout en haut de la pyramide, fi-gure le niveau 4 qui concerne les mesures strictement curatives et à court terme, centrées sur la ré-solution d’un problème bien iden-tifié, situationnel. Par exemple, des mesures concernant un petit groupe de jeunes qui se radica-lisent, des returnees, etc.

Le niveau 3 relève de la pré-vention et non plus seulement d’une approche curative, mais reste directement orienté vers le problème (la radicalisation, dans notre cas). Par exemple, des ateliers de sensibilisation au phénomène de la radicalisation à destination de l’ensemble des élèves.

Le niveau 2 a trait à la prévention générale. Si celle-ci peut avoir pour horizon de lutter contre le risque de radicalisation, ce problème n’est pas mentionné tel

quel et les mesures sont plus glo-bales: travailler sur le relationnel au sein de l’école, y promouvoir le bien-être et le vivre-ensemble, etc.

Le niveau 1 se réfère à la pré-vention fondamentale. Plus large encore, elle vise à améliorer la qualité de vie au sein de l’école, à y développer la culture scolaire, la participation et la citoyenneté active des élèves, etc.

Enfin, la base de la pyramide, le niveau 0, concerne plus large-ment encore le contexte sociétal, sur les plans politique, social, culturel, écologique (inégalités, démocratie, vivre-ensemble au sein de la société, etc.). Les mesures à prendre ici sont donc très structurelles et les pouvoirs publics ont bien entendu un rôle majeur à jouer.

Dans l’urgence, suite aux atten-tats, la tendance générale a été de placer toute l’attention et les efforts sur les mesures curatives et de prévention spécifique. Or, pour être réellement et dura-blement efficace, la lutte contre la radicalisation ne doit pas se centrer sur les seuls symptômes (radicalisation, comportements violents, etc.), mais doit se déve-lopper concomitamment à tous les niveaux de la pyramide, dans une approche globale et intégrée.

Grâce à des formations et à des

activités de mise en réseau, cette pyramide de la prévention est devenue la pierre angulaire du plan d’action du système édu-catif flamand. Mais ce modèle, souligne Karin Heremans, est transposable dans d’autres orga-nisations que les écoles, et dans l’ensemble de la société.

La participation au «troisième secteur», une alternative au radicalisme violent ?

Si l’école est un lieu essentiel de la prévention, en particulier générale et fondamentale, de la radicalisation, d’autres lieux sont également à investir. A ce propos, dans le vaste débat actuel sur la radicalisation, ses causes et les solutions pour la contrer, très peu d’attention a été accordée au rôle que peut jouer le «troisième sec-teur», à savoir les divers acteurs (associations, ONG, etc.) à but non lucratif qui n’appartiennent ni au secteur public, ni au secteur privé marchand.

Pourtant, selon Anne-Marie Dieu, ces corps intermédiaires peuvent représenter un an-tidote ou une alternative à des formes d’engagement radicales et violentes ou très fusionnelles.

Support de confiance en soi et de compétences

Dans le cadre de ses recherches, l’OEJAJ a ainsi constaté que les

jeunes actifs depuis un certain temps dans des organisations comme des mouvements de jeunesse, des centres de jeunes, mais aussi des associations culturelles et même des clubs sportifs, développent davantage de confiance en soi et toute une série de compétences compara-tivement à leurs pairs qui ne parti-cipent pas à de telles structures. Dans le même sens, des adoles-cents reliés à plusieurs groupes, multi-affiliés, estiment davantage que les autres qu’ils peuvent donner leur avis, influencer celui des adultes et même influencer la société.

Un autre intérêt de la participation des jeunes à de telles organisa-tions, ajoute Anne-Marie Dieu, est que celles-ci leur permettent d’expérimenter et de se mettre à l’épreuve dans un cadre protégé, de procéder par essais-erreurs, de rater quelque chose et de re-commencer sans que cela ne soit sanctionné… Autant de choses

qu’il est beaucoup plus difficile, voire impossible

de faire dans le monde scolaire.

Dans le cadre d’autres enquêtes de l’OEJAJ

auprès de jeunes qui ont connu une situation

de décrochage social total, mais qui ont pu reprendre pied via des AMO, des centres de jeunes ou

Pour être réellement et durablement efficace, la lutte

contre la radicalisa-tion ne doit pas se

centrer sur les seuls symptômes (radica-lisation, comporte-ments violents, etc.)

Anne-Marie

DIEU, directrice des recherches et coordina-

trice de l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse

et de l’aide à la jeu-nesse (OEJAJ)

CONFIANCE

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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encore des programmes comme le service citoyen, l’importance de ces possibilités d’expéri-mentation a été largement mise en exergue par les personnes concernées.

De telles formes d’engagement pourraient ainsi constituer un rempart contre les sentiments de non appartenance, d’insigni-fiance et d’infériorité qui, comme l’a analysé David Le Breton, animent nombre de jeunes qui cèdent aux sirènes de Daesh. Elles leur permettent de déve-lopper une identité positive, de trouver du sens et un but à leur existence, mais aussi de se sen-tir davantage connectés avec le pays, la société où ils ont grandi.

Des obstacles…

Cependant, l’OEJAJ a aussi constaté que les diverses orga-nisations dont il est question ici touchent davantage des jeunes qui avaient déjà, avant de s’y affilier, certaines compétences, certains avantages ou encore qui étaient déjà un peu reliés socialement.

Par ailleurs, quand un jeune, en raison par exemple d’une situation familiale compliquée, se désaffilie d’une organisation, il va avoir tendance à se désaffilier sur tous les plans. Ainsi, les jeunes, le plus souvent issus de milieux

défavorisés, qui décrochent de l’école, ont tendance à peu à peu quitter également leurs autres groupes d’affiliation: club spor-tif, mouvement de jeunesse, … Parce qu’ils perdent confiance en eux, mais aussi parfois parce que leur entourage, les adultes qui les encadrent, les y encouragent: «Tu es en échec, cesse donc tes activités extrascolaires afin de te recentrer sur l’école !» Or, ces groupes extrascolaires exercent une influence positive sur eux et s’y maintenir aurait même pu contribuer à les faire raccrocher plus tard à l’école. Parents, éducateurs et autres adultes entourant les jeunes doivent ainsi prendre garde à ne pas, malgré eux, nourrir ce cercle vicieux et renforcer encore davantage la désaffiliation du jeune…

Enfin, selon les observations de l’OEJAJ, il existe chez une frange non négligeable de la jeunesse une certaine réticence à rejoindre des organisations qui leur semblent trop structurées, trop formelles, trop hiérarchisées. Ce constat invite ces structures à penser d’autres manières, plus souples, plus informelles, plus horizontales de travailler avec les jeunes, et intégrant aussi da-vantage les enjeux numériques contemporains, réseaux sociaux et autres.

Les ressorts de l’engagement politique

Dans l’Éducation permanente, l’Aide à la jeunesse et même les décrets de l’Enseignement, Anne-Marie Dieu rappelle qu’il faut faire des jeunes des citoyens actifs, critiques responsables et solidaires. Des citoyens qui puissent par exemple s’inscrire dans un engagement politique au sens large, c’est-à-dire dans des actions de transformation sociale: engagement pour une cause humanitaire, un monde plus écologique, l’égalité sociale, le droit des femmes, etc.

Des études sur ce type d’en-gagement montrent que, pour le favoriser, plusieurs éléments doivent être réunis.

Premièrement, il faut qu’émerge un sentiment de responsabilité morale: face à une situation (la société) qu’il juge injuste, le jeune souhaite faire quelque chose pour la changer. Deuxièmement, il faut également que se présente une opportunité concrète d’engage-ment, à travers une organisation, une association, un mouvement qui soit visible et considéré comme efficace ou du moins, comme crédible. Troisièmement, ces études soulignent l’impor-tance de modèles projectifs, c’est-à-dire de pairs ou de figures exemplaires qui symbolisent la

cause et auxquels le jeune peut s’identifier, sur lesquels il peut se projeter parce qu’il ressent une certaine proximité avec eux (même origine, même généra-tion, même genre, etc.). Karin Heremans précise qu’elle invite elle-même régulièrement de telles figures exemplaires dans ses classes.

Ces mécanismes, ces trois éléments combinés ne sont finalement pas très différents de ceux pointés dans les études sur les processus de radicalisation violente…

Cependant, précise Anne-Marie Dieu, ce qui représente véritable-ment le socle d’un engagement citoyen, c’est le sentiment de compétence, de capacité d’action. Il faut que le jeune ait le sentiment qu’il peut apporter quelque chose à l’organisation et donc qu’il a des savoirs, des compétences qu’il a pu développer ailleurs et qui ont été reconnus d’une manière ou d’une autre.

Raison de plus pour encourager, au sein de toutes les couches de la société, le développement et la fréquentation d’organisations comme les centres de jeunes, les mouvements de jeunesse, des organisations culturelles, dès lors qu’elles permettent précisé-ment de nourrir ce sentiment de compétences. CITOYENNETÉ

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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Dans la foulée des attentats, s’est propagée la peur que de nom-breux jeunes s’engagent dans la voie du dijhadisme, deviennent une menace pour la société et se mettent eux-mêmes en danger.

L’Aide à la jeunesse a ainsi été sollicitée pour diverses situations concernant des adolescents, dont les comportements inquiétaient la famille, leurs proches, l’école, mais aussi de jeunes enfants dont les parents étaient sous l’emprise des discours dijhadistes, voulaient partir en Syrie ou étaient déjà partis.

Au final, ces situations ont été moins nombreuses qu’annoncé, moins graves et moins dramatiques aussi dans la grande majo-rité des cas. Mais elles existent et continuent à exister, à ques-tionner. Elles pourraient aussi prendre demain d’autres formes d’expression radicale car le contexte de désenchantement social suscitant chez les jeunes malaise, injustice, révolte ne semble pas devoir changer de si tôt.

L’Aide à la jeunesse n’est pas non plus la seule à être concernée car le phénomène s’installe dans toute la société et les faits les plus inquiétants sont du reste commis par des jeunes qui ont plus de 20 ans.

Pour répondre à l’ensemble de ces situations dans toute leur va-riation et complexité, la Fédération Wallonie-Bruxelles a créé en janvier 2016 un dispositif d’écoute et d’accompagnement psycho-social, le Centre d’Aide et de Prise en charge de toute personne concernée par les Extrémismes et Radicalismes Violents (CA-PREV). Celui-ci s’adresse à toute personne, mineure ou majeure, concernée directement ou indirectement par le radicalisme et l’extrémisme violent.

De l’importance de relativiser

Lorsque les premières situations se sont présentées, l’émotion n’était pas encore retombée et l’impression d’être face à une nouvelle problématique a amené son lot de questionnements. Fal-lait-il mettre en place des prises en charge particulières? Com-ment faire pour «déradicaliser» ces jeunes? Qui étaient-ils?

Malgré ces interrogations, l’Aide à la jeunesse n’a cependant pas voulu déroger à sa ligne de conduite - d’abord protec-tionnelle, éducative plutôt que répressive - ni au principe de hiérarchisation des mesures, réaffirmé depuis par le nouveau Code de l’Aide à la jeunesse. A l’époque, pourtant, la sidération, conjuguée à la peur, réclamait de manière systématique des réactions fermes, exemplaires, sécuritaires, mais l’Administration générale de l’Aide à la jeunesse a refusé de s’engager dans cette voie.

Ainsi, explique Raphaël Noiset, lorsque le Service d’Aide à la jeunesse de Bruxelles a,

par exemple, été interpellé pour des jeunes qui avaient semé l’effroi en proclamant des «Allah Akhbar» en classe, lors des mi-nutes de silence en mémoire des victimes ou lors de discussions à propos des attentats, il ne les a pas d’emblée considérés comme de potentiels et redoutables combattants islamistes. Et de fait, dans la plupart des cas, l’en-quête menée par les délégués a révélé qu’il s’agissait de jeunes qui jouaient du registre djihadiste par goût de la provocation ou pour, d’une manière ou d’une autre, se faire remarquer ou se faire entendre.

Certaines situations, plus inquié-tantes, ont néanmoins donné lieu à des mesures d’encadrement renforcé. Ainsi, nous dit Pierre Thys, chargé par l’Aide à la jeunesse de mener une étude sur le sujet1, de 2013 à 2017, 27 jeunes ont été déférés devant les Tribunaux de la Jeunesse et confiés à des IPPJ, API et SAMIO2 en raison de faits qualifiés infractions (FQI),

à savoir «une participation aux activités d’un groupe terroriste». Sans doute

Quelle prise en charge pour les jeunes «radicalisés»?

1. P THYS P., Rapport «Les mineurs d’âge et leur participation aux activités d’un groupe terroriste – Rapport descriptif de la prise en charge en Fédération Wallonie-Bruxelles», décembre 2018 (https://cetr.be/pierre-thys-rapport-les-mineurs-dage-et-leur-participation-aux-activites-dun-groupe-terroriste-rapport-descriptif-de-la-prise-en-charge-en-federation-wallonie-bruxelles/).

2. IPPJ : Institution Publique de Protection de la Jeunesse, API : service d’Accompagnement post-institutionnel , SAMIO : section d’accompagnement, de mobilisation intensifs et d’observation; à noter que suite à l’entrée en vigueur du Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse (01/01/2019), ces deux derniers ont été fusionnés pour former les Equipes mobiles d’accompagnement (EMA).

Raphaël NOISET, réfé-

rent radicalisme et délégué en chef au

SAJ de Bruxelles

Pierre THYS, professeur

honoraire et membre du Centre d’Etude du Terrorisme et de la

Radicalisation (CETR)à l’Université de

Liège

ECOUTE

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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!ce nombre ne reflète-t-il pas la réalité. D’autres jeunes, moins maladroits ou moins démons-tratifs, ont pu ne pas éveiller d’inquiétudes et échapper à la vigilance de leurs proches ou des professionnels. Mais il n’em-pêche, souligne Pierre Thys, ce nombre contraste avec le battage politico-médiatique mené après les attentats autour du risque de voir des centaines de jeunes se radicaliser.

Quant aux faits qui leur étaient reprochés, il s’agissait, pour la plupart, de contacts avec des individus radicalisés et de partage sur le net de photos, de vidéos, de textes faisant l’apolo-gie du dijhad et témoignant d’une certaine fascination pour cette forme de violence. Un seul avait en projet un acte de possible attentat, huit avaient l’intention de rejoindre la Syrie, mais un seul a tenté de partir et a été arrêté à l’aéroport. Aucun n’avait le profil d’un «terroriste» au moment de son interpellation.

Quelle prise en charge?

Les professionnels de l’Aide à la jeunesse se sont vite rendus compte que les situations qui leur étaient rapportées différaient finalement peu de celles qu’ils avaient l’habitude de traiter. L’analyse de la demande laissait

ainsi paraître des problèmes semblables, allant de la détresse psychologique à la crise ado-lescentaire, en passant par les difficultés familiales, scolaires, sociales... Dès lors, les outils, les dispositifs et les réseaux existants pouvaient être utilisés et déjà apporter des réponses adéquates.

Raphaël Noiset a ainsi expliqué que lorsqu’un endoctrinement parental était suspecté, les en-fants étaient confiés à un service partenaire de type SOS enfants, avec lequel il travaille réguliè-rement, pour une évaluation clinique et un suivi thérapeutique.

Les jeunes qui avaient joué du registre dijhadiste à l’école, ont été convoqués chez le Conseiller de l’Aide à la jeunesse qui, après les avoir écoutés, leur a proposé de se rendre dans un hôpital où étaient soignées les victimes des attentats en vue de les aider dans leur processus de respon-sabilisation. Ils y ont rencontré les urgentistes qui leur ont expli-qué leur travail et la réalité des blessés, leur permettant ainsi de prendre pleinement conscience de la gravité de ce qu’il s’était passé.

Au niveau des 27 jeunes poursuivis pour des faits liés à une activité terroriste, 21 ont été placés en IPPJ en régime

fermé; 4 en régime ouvert; 2 ont été suivis dans leur famille par un service d’accompagnement hors les murs. Le temps de prise en charge a été extrêmement variable, entre 2 et 35 mois, mais dans deux tiers des cas, elle a duré en moyenne une année. Du point de vue de Pierre Thys, ces variations sont l’expression d’une politique de prise en charge individualisante, soucieuse d’agir au cas par cas, comme le préco-nise la philosophie de l’Aide à la jeunesse.

Il constate également que la prise en charge en IPPJ de ces jeunes «radicalisés» n’a de fait pas été très différente de celle qui est généralement proposée. Il salue ce souci de non différenciation qui a protégé ces jeunes d’un risque d’étiquetage toujours stigmatisant. Même si, par ailleurs, il épingle, dans certains cas, une prise en compte insuffisante de la part des équipes encadrantes de ce qui a pu amener ces jeunes à emprun-ter la voie de la radicalisation.

Au niveau de l’IPPJ de St Servais, qui accueille exclusivement des

filles, Pauline Diez explique que si la prise en charge s’est appuyée sur des outils déjà existants, elle s’est affinée, précisée au fil du temps et

de leurs observations. Ainsi, le travail de l’équipe s’est da-vantage centré sur la confiance

en soi et l’estime de soi, avec le principe de gratification, de regard bienveillant, de mise en avant des acquis et du potentiel. La relation éducative et la vie collective dans les pavillons ont permis de renfor-cer les capacités de ces jeunes à se lier aux autres, à ne plus être dans le rejet ou le rapport de force systématique. Les rencontres avec les psychologues ont porté sur tout ce qui créait chez elles des tensions, des blessures, mais aussi sur les faits qui leur étaient reprochés et le regard, l’analyse qu’elles pouvaient en faire. Enfin, des activités à l’extérieur ont par-ticipé à ce souci de leur proposer d’autres lunettes pour regarder le monde.

Depuis janvier 2017, les pro-fessionnels de terrain, dont les intervenants de l’Aide à la jeunesse, peuvent faire appel au CAPREV quand ils sont face à des situations de radicalisation ou de risque de radicalisation. Le CAPREV, précise Alice Jaspart, travaille en partenariat avec les professionnels. Il peut leur ap-porter un soutien, un décryp-tage plus spécialisé, renforcer aussi leurs compétences. Un protocole de collaboration a été signé entre le CAPREV et l’Aide à la jeunesse de manière à en définir les modalités.

Mais le CAPREV peut aussi in-tervenir en direct via son numéro

Pauline DIEZ, responsable péda-gogique à l’IPPJ de

Saint-Servais

Alice JASPART, directrice de la recherche au

CAPREV

PARTENARIAT

L’analyse de la demande laissait ainsi paraître des problèmes sem-blables, allant de

la détresse psycho-logique, à la crise adolescentaire, en passant par les dif-ficultés familiales,

scolaires, sociales...

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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!d’appel gratuit, le 0800 111 72. Celui-ci permet un premier accueil et une première écoute. Dans certaines situations, la prise de contact débouche sur des entre-vues qui peuvent elles-mêmes se structurer en un accompagne-ment plus ou moins long. L’ac-compagnement vise à soutenir la personne dans sa propre réflexion sur le comment, le pourquoi, le ‘en quoi’ l’offre radicale a fait écho chez elle, et est venue percuter son propre parcours.

Qui sont ces jeunes?

Alice Jaspart donne un aperçu de situations (il s’agit de pré-noms fictifs) qui peuvent être rapportées au CAPREV en ce qui concerne des mineurs.• Géraldine, 14 ans, traine avec des «arabes» et n’écoute plus son père, raconte celui-ci;• Anaïs, 17 ans, s’est convertie à l’islam malgré l’interdiction de sa mère; • Abdel, 18 ans, s’est muré dans le silence depuis un débat à l’école sur la justice qui a mal tourné;• John, 15 ans, ne veut plus aller à la piscine car c’est impur;• Bilal, 16 ans a traité son éduca-trice de mécréante quand elle lui a interdit l’accès à une activité.

En regard d’une définition de la radicalisation qui peut servir de point de repère à l’analyse de ces

situations (voir p.5), ces compor-tements n’ont pas grand chose à voir avec le radicalisme violent. Pour autant, cela ne signifie pas que ces jeunes ne connaissent pas de difficultés. Ce sont des difficultés liées au contexte familial, des impasses dans la communication, des comporte-ments adolescentaires alertants, un besoin de provocation, un fort questionnement identitaire ou encore un important sentiment d’isolement.

Les observations menées par les équipes de St Servais ont égale-ment mis en évidence une série de caractéristiques contextuelles ou psychologiques pouvant expliquer l’attrait des jeunes filles pour l’idéologie djihadiste et leur envie de s’envoler pour la Syrie.

Pauline Diez cite ainsi: • un profond sentiment d’injustice; • une recherche identitaire; • une difficulté dans l’affirmation de soi avec une communication compliquée au sein de la famille; • une méfiance vis-à-vis de tous les adultes; • la certitude que ce qui est proposé va leur permettre de combler le sentiment de vide, d’inutilité qu’elles éprouvent dans ce monde «malade», «perdu» pour reprendre leurs termes; • le souhait de venir en aide aux plus faibles, à ceux qui sont injustement traités;

• un attrait pour l’ appartenance à une communauté; • la recherche d’un mari, d’un homme viril pour les protéger en réponse aux regards des hommes qu’elles perçoivent comme des «prédateurs»; • un désir de maternité pour donner un sens à leur vie.

Ce qu’elles ont énoncé ou mon-tré à voir traduit un mal être et des questionnements communs à de nombreux adolescents. Qui je suis, d’où je viens, où je vais? Quel est mon avenir? Quelle place va me donner la société? Mais ils sont ici peut-être davan-tage aiguisés.

Pour terminer, signalons que Pierre Thys attire de son côté l’attention sur le fait qu’un quart seulement des jeunes concernés par un fait qualifié infraction lié au terrorisme était précédem-ment connu pour des faits de délinquance (violence à l’école, stupéfiants, ...). Le lien entre délinquance et radicalisme, sou-vent mis en avant, ne s’est donc pas trouvé confirmé dans l’étude qu’il a menée.

Agir sur quels leviers?

L’étude de Pierre Thys a égale-ment tenté de voir quelle était l’évolution de ces jeunes placés en IPPJ et quels leviers sem-

blaient les plus bénéfiques, les plus à même de les sortir de la spirale idéologique.

Il semble que le renoncement aux discours haineux et aux contacts avec des sites ou des individus propageant des idées extrémistes aille de pair avec la reprise d’une scolarité régulière et la fréquen-tation de pairs pro-sociaux. Chez ceux pour lesquels l’évolution a été la plus favorable, d’autres le-viers apparaissent encore, comme le développement du doute sur soi, l’aptitude à supporter des sen-timents ambivalents, et enfin, le désaveu, la prise de distance par rapport au recours à la violence.

A l’IPPJ de St Servais, des leviers semblables ont été activés. Dans les ateliers d’affirmation de soi, les jeunes filles apprennent à sortir de la pensée unique, à prendre du recul par rapport aux discours qui les ont séduites. Elles sont ainsi amenées à réfléchir à leurs besoins, leurs envies, leurs manques. Parmi ceux-ci, re-marque Pauline Diez, il en est un qu’elles partagent avec les jeunes embrigadées dans des bandes organisées, et qui nécessite d’être exploré. C’est celui de l’apparte-nance, à défaut d’une famille, à un groupe, à une communauté, avec en corollaire, la solidarité entre les pairs, et en toile de fond, un sentiment partagé d’injustice et du «nous» contre «vous».

LEVIERS

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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Pour Alice Jaspart, passer du temps à essayer de comprendre ce qui a pu séduire ces jeunes, favoriser leur engagement, per-met aussi de mieux cerner ce qui pourra, à l’inverse, faciliter leur désengagement. Ce qui signifie que ce qui fonctionne pour l’un ne fonctionne pas nécessaire-ment pour l’autre.

Par ailleurs, le basculement est toujours provoqué par un dé-clencheur: un événement, une rencontre, un ressenti lors de circonstances particulières, ... qu’il s’agit d’aider la personne à identifier. Car le désengagement pourra éventuellement s’enclen-cher en empruntant le même chemin, les mêmes ressorts.

En guise d’illustration, Alice Jaspart propose d’entendre Redouane. Parti combattre en Syrie et incarcéré à son retour en Belgique, il évoque ces rencontres qui ont marqué son parcours, avec des prêcheurs d’abord, puis avec le personnel pénitentiaire. «Je crois qu’on est dans un moment fragile, chacun avec son histoire, ça permet une ouverture... qui vient faire sens, car sur le moment, ces rencontres sont très positives. Ça te donne de l’importance, de l’in-térêt, ça te responsabilise, parce que ces personnes, elles te font confiance.». Puis «...un jour,

j’ai changé de section et la chef quartier m’a dit avec beaucoup d’humour, «on m’a annoncé un terroriste et qu’est-ce que je vois un gamin qui a l’âge de mon fils» Juste ça, ces mots ont beaucoup changé pour moi...».

Les grands principes d’intervention

Il faut éviter de croire que l’on peut facilement sortir ces jeunes de l’emprise des discours, des convictions et surtout des commu-nautés dijhadistes qu’ils avaient ralliées. L’attraction de celles-ci est forte et la relance fréquente pour tenter de séduire à nouveau ceux et celles qui leur échappent.

La seconde erreur, précise Pau-line Diez, est de vouloir, à tout prix et trop vite, les convaincre qu’ils se trompent, qu’il n’y a rien de bon, rien de vrai, rien de valable dans les discours qui les ont tant séduits. Cette attitude ne fait en définitive que renforcer leurs convictions et leur détermi-nation à s’y accrocher, même si, en apparence, ils nous laissent parfois croire le contraire.

Alice Jaspart partage cet avis. Que ce soit au niveau de l’accueil téléphonique ou dans le cadre de l’amorce d’un suivi psycho-so-cial, le CAPREV n’essaie pas de démontrer aux personnes enga-

gées dans la voie de la radicali-sation qu’elles ont tort. Leur angle d’approche ne porte d’ailleurs pas sur l’idéologie, du moins pas directement. L’interlocuteur va plutôt s’attacher à interroger leur rapport à la violence car la plupart des jeunes gens radicalisés en-tretiennent un lien problématique avec celle-ci, parfois depuis leur enfance, ce qu’avait également repéré Pierre Thys.

L’ensemble des intervenants s’accordent aussi sur le fait que, quels que soient le lieu et la modalité de prise en charge, la pluridisciplinarité permet une lec-ture plurielle des situations, une meilleure analyse de celles-ci; de même, le travail en réseau favo-rise une prise en charge globale et dès lors plus adéquate.

Pour éviter de tomber dans cer-tains travers, comme la dramati-sation ou la simplification, Alice Jaspart plaide aussi pour un travail de complexification. Ra-phaël Noiset parle de décryptage de la demande. Ces approches permettent de dépasser les faits et l’interprétation première qui peut leur être donnée. Mais leur intérêt réside aussi dans le fait qu’elles requièrent l’implication des personnes elles-mêmes. Ce sont elles qui vont partir à la recherche d’elles-mêmes, tenter de trouver des explications, des

clés, des leviers, des issues pos-sibles, accompagnées dans cet exercice par les professionnels.

Cette exploration peut être menée avec les personnes qui se sont engagées dans la voie de la radicalisation mais également avec leurs proches, leur famille ou encore d’autres professionnels quand la demande d’aide émane de ceux-ci. L’intérêt est ici de leur redonner confiance en leurs capacités et leurs compétences de parents ou d’éducateurs.

Ne pas stigmatiser, être à l’écoute, aller vers, c’est agir préventivement, avant que la situation ne s’aggrave, qu’une rupture s’amorce, qu’un passage à l’acte soit vu comme la seule issue possible.

On ne peut ainsi que recom-mander aux écoles de prendre contact avec l’Aide à la jeunesse ou le CAPREV pour solliciter de l’aide. Il faut ouvrir le dialogue plutôt que d’exclure ces jeunes qui sont alors davantage encore livrés à eux-mêmes, fragilisés et peut-être perméables aux idées extrémistes. Comme le dit Laurent Bonelli (voir article précédent), il faut se prémunir des conséquences non voulues de réponses institutionnelles inadéquates qui provoquent une escalade dangereuse.ADÉQUATION

Ne pas stigmatiser, être à l’écoute, aller vers, c’est agir pré-ventivement, avant que la situation ne s’aggrave, qu’une rupture s’amorce, qu’un passage à

l’acte soit vu comme la seule issue

possible.

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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En 2015, à la suite des attentats perpétrés ou de justesse évités, le gouvernement a fait de la lutte contre la radicalisation en prison une priorité.

En préambule, ce plan stipule que «l’arme la plus puissante dans la lutte contre la radicalisa-tion au sein des prisons est sans aucun doute une politique de détention humaine qui respecte les droits fondamentaux des détenus et une concentration soutenue sur la réhabilitation et la réinsertion»1.

D’aucuns soulignent que, dans les faits, ce plan, pensé par la Sûreté de l’état, vise avant tout le contrôle et omet complètement la question de la réinsertion.

La prison un terreau propice à l’engagement radical violent?

La prison a une fonction sécuri-taire, elle met hors de la société, derrière des murs, des indivi-dus qui ont porté atteinte aux droits, aux biens, à la sécurité des personnes. Or, selon Karim El Khmlichi, cette fonction ne concerne en définitive qu’une portion de 20 à 25% des personnes incarcérées, ce qui signifie que, dans 75 à 80 % des cas, la prison est utilisée à des fins de contrôle social, d’instrument de régulation des masses. A défaut de pouvoir intégrer l’ensemble de ses membres, la société enferme ceux qui ne parviennent pas, bon gré mal gré, à répondre à ses attentes et à rentrer dans ses rangs.

Dès lors, les sentiments d’injus-tice, d’abandon, de relégation ha-bitent nombre de détenus et l’on comprend que, dans ces condi-tions, le discours radical puisse aisément y prendre racine.

D’autre part, dénonce Karim El Khmlichi, la prison est par elle-même un terreau radicalisant.Outre les conditions de détention

sur lesquelles il y a déjà beau-coup à dire, la prison réduit le monde accessible à un espace limité, fait de béton et de proces-sus de sécurité. Les échanges sont restreints et se résument pour l’essentiel à ceux que les dé-tenus ont avec les gardiens dans un rapport de coercition. Elle les

dépossède enfin du pouvoir d’agir sur leur vie et de la changer.

René Michel ne dit pas autre chose quand il

affirme que la prison étant ce qu’elle est, tout le monde peut potentiellement s’y ra-dicaliser. Par ailleurs, il observe que c’est toujours le même public qu’on retrouve en prison, avec les mêmes lacunes, les mêmes désaffiliations.

Le plan de lutte contre la radica-lisation en prison a été établi en partant du principe que des grou-pements d’inspiration idéologique radicale tentent de recruter et de développer leur réseau en prison par le biais de sympathisants déjà incarcérés.

Ce plan comprend différents axes et repose en grande partie sur les compétences d’observa-

tion des agents pénitentiaires. Cependant, dans les faits, ces observations se révèlent com-pliquées et laissent largement place à l’arbitraire.

Ainsi, explique Fabienne Brion, pour faciliter l’observation et le remplissage des supports d’évaluation, les agents pénitentiaires sont invités à cocher des cases en regard de questions

telles que: «le détenu est-il docile, arrogant, rebelle, poli?»; «manifeste-t-il un sentiment de frustration, un

rejet des valeurs occiden-tales...,»; «porte-t-il un vête-

ment, une coiffure, un tatouage, des blessures suspects?».

L’observation, renchérit Nicolas Cohen, est intrusive et perma-nente; elle ne s’arrête jamais: en cellule, dans le préau, durant le travail pénitentiaire, lors des visites, pendant le culte, lors des entretiens avec les services externes.

Elle s’applique aux individus qui ont été condamnés pour des faits en lien avec le radicalisme violent - il s’agit de faits mineurs dans la plupart des cas - mais également,

Quel accompagnement pour les personnes incarcérées pour des faits de radicalisation?

Fabienne BRION, professeure à la Faculté de droit et de criminologie

de l’UCL

1. https://justice.belgium.be/sites/default/files/downloads/Pl-land%27actionradicalisation-prison-FR.pdf

PRISON

Karim El KHMLICHI,

directeur au sein de l’établissement pénitentiaire de

Saint-GillesRené

MICHEL, directeur de l’asbl Aide Sociale aux Justiciables de

Liège

Nicolas COHEN, avocat au barreau

de Bruxelles au cabinet JUS

COGENS

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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à ceux chez lesquels des actes ou des propos suspects ont pu être repérés, alors qu’ils n’ont été ni poursuivis, ni condamnés pour une infraction terroriste.

Cette assimilation, dénonce Fabienne Brion, met à mal le prin-cipe de légalité des infractions et des peines qui énonce qu’il n’y a ni crime, ni peine sans une loi qui les prévoie. Par ailleurs, elle en-traine par un effet de simplification la désignation de ces détenus par un même terme. En prison, on les appelle tous des «terros», sans distinction, avec toutes les consé-quences que cela peut avoir.

Pour Nicolas Cohen, les condi-tions de détention pour les «terros» sont telles qu’il les appelle les «parias de l’impensé carcéral». Ainsi, explique-t-il, en plus de la logique de séparation du corps social que le système pénitentiaire impose à tous, les «terros» font l’objet d’un contain-ment à l’intérieur même de la pri-son par peur d’une «contagion».

D’autre part, si les détenus ordi-naires perdent leur liberté d’aller et venir, ils conservent (sauf exceptions) leur droit de visite, de téléphoner, d’avoir des contacts avec l’extérieur, de suivre des formations, de travailler à leur insertion ou leur réinsertion, et donc de préparer leur libération anticipée, dont tout le monde

s’accorde à dire qu’elle est un facteur permettant de limiter la récidive. Les «terros», quant à eux, peuvent perdre tous ces droits du jour au lendemain sans savoir pourquoi. Ils ne sont en outre pas davantage suivis sur le plan psychologique que les autres alors que considérés comme plus dangereux. Ils peuvent aussi être brusquement changés de cellule, or quand on vit dans un univers aussi inhospitalier que la prison, on s’attache parfois à «ses» quelques mètres carrés.

Pour lui, le plan de lutte contre la radicalisation en prison se résume à: isolement, ostraci-sation et déresponsabilisation renforcée par la répartition des compétences et l’absence de concertation.

Pour Fabienne Brion, l’obsession à vouloir définir des critères pour mettre les personnes dans des cases augmente le risque de faire de la prison un facteur favorable et même incitant à la radicalisa-tion... Comment en effet ne pas ressentir de la frustration, de l’injustice quand un tel système nécessairement arbitraire est mis en place et peut vous faire basculer dans un régime de dé-tention plus strict. La sociologie de l’activisme violent a d’ailleurs mis en évidence le risque de bascule-ment lorsqu’il y a une résonance existentielle entre le discours d’un

groupe radical et l’expérience de vie personnelle. Daesh affirme que les musulmans ne sont pas considérés dans les pays occiden-taux comme les autres citoyens et qu’ils sont par exemple plus vite arrêtés, mis en prison. Dans la réalité, il y a bien effectivement une surreprésentation des mu-sulmans en prison, qui s’explique par une diversité de facteurs sans ressortir pour autant d’une volonté d’exclusion. On comprend dès lors qu’aux yeux de certains, l’Etat apparaisse défaillant et la radica-lisation comme la solution pour faire changer les choses.

Pour terminer sur ce point, Cohen met en parallèle la transparence exigée du détenu qui est scruté, mis à nu, observé en continu et l’opacité de l’institution péniten-tiaire qui refuse de communiquer ce qu’elle observe. L’accès aux fiches de renseignement est en effet refusé au détenu, à son avo-cat mais également au juge. Cette absence de contrôle montre bien comment l’opacité du système nie les droits des personnes et, avec eux, le fonctionnement de notre démocratie qui repose sur la transparence, le débat contra-dictoire, le contrôle (pour éviter l’arbitraire)...

Penser autrement la prison et la lutte contre la radicalisation

Karim El Khmlichi plaide pour

qu’au niveau de la politique générale, on inverse la tendance actuelle. Plutôt que de construire de nouvelles prisons pour résoudre le problème de surpo-pulation carcérale, gérer les flux et les masses d’individus, mieux vaudrait s’intéresser aux indivi-dus eux-mêmes, à leur trajec-toire, aux processus d’entrée, de sortie, aux causes, aux effets et aux boucles de récidive.

Pour René Michel, il faut opti-maliser, positiver, rentabiliser le temps de la détention en l’axant sur la réinsertion. Pour commen-cer, il faut tenter de minimiser, dès l’entrée en détention, les rup-tures avec la société et mettre en place des activités qui aideront les détenus à lutter contre l’isole-ment et à préparer leur sortie.

Karim El Khmlichi partage l’idée que c’est au niveau des pre-mières périodes de détention, lors des préventives, qu’il faut prioritairement agir. Pour casser le chemin de la délinquance, éviter la spirale. Quand les jeunes ont encore de la mobilité psychique, que celle-ci n’a pas encore été figée par l’univers carcéral ou captée par des influenceurs.

La lutte contre la radicalisation en prison a convoqué des moyens importants alors que la probléma-

CONTRÔLE

Comment en effet ne pas ressentir de la frustration, de

l’injustice quand un tel système néces-

sairement arbitraire est mis en place

et peut vous faire basculer dans un

régime de détention plus strict.

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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tique ne concerne en définitive qu’une faible proportion de la population carcérale, de l’ordre de 0,5%, constate Brion. Elle déplore également que le plan de lutte contre la radicalisation vise essentiellement le contrôle et n’envisage de ce fait la préven-tion de la radicalité qu’à travers le repérage et l’étiquetage; en outre, il ne propose rien pour pré-parer les détenus à la réinsertion.

Plus critique encore, Nicolas Cohen affirme qu’en prison, on ne vise pas l’accompagnement vers la déradicalisation, on est juste dans la détention jusqu’à ce qu’un autre service veuille bien faire le travail.

De son côté, René Michel plaide pour que la problématique de la radicalisation en prison soit abor-dée et traitée avec davantage d’ouverture d’esprit. Il explique ainsi que, depuis les attentats, les conversions à l’islam sont ra-pidement vues comme suspectes alors qu’elles étaient auparavant considérées comme positives.

Il milite par ailleurs pour une ap-proche globale comprenant des initiatives pensées et organisées pour tous et non pas pour tel groupe à risques (radicalisés ou autres) qui n’en est alors que plus stigmatisé. Ainsi, compte tenu du profil de la majorité des détenus, il propose de s’atta-

quer en priorité à la précarité, à la vulnérabilité, au sentiment d’injustice qu’ils connaissent et qui constituent un terreau propice au basculement vers une délin-quance plus affirmée ou encore vers la radicalisation. Il faut agir pour réduire ces facteurs d’in-fluence; or, on a actuellement plutôt tendance à les amplifier.

Quelques pistes peuvent être ten-tées pour aller dans cette voie.

Pour René Michel, penser la prison autrement passe par un changement dans la manière de communiquer entre les différents acteurs concernés. Le sys-tème carcéral est un système qui fonctionne de manière très pyramidale, ce qui conditionne la communication dans la vertica-lité. Selon lui, un système plus coopératif induirait une meilleure collaboration entre la direction, les agents pénitentiaires et les services extérieurs intervenant en prison et permettrait d’axer davantage la détention sur la sortie et la réinsertion.

Au niveau des détenus, il évoque un module «Vivre ensemble» ex-périmenté il y a quelques années à Lantin et à Paifve. Ce type de module concourt à lutter contre l’isolement dont souffrent les per-sonnes incarcérées mais il leur permet également d’acquérir une

plus grande ouverture d’esprit, de la tolérance, de meilleures habilités sociales.

El Khmlichi plaide également pour la constitution de groupes de parole où les détenus pour-raient apprendre à s’exprimer, à mettre en mots leur point de vue, à entendre celui de l’autre, à argumenter et contre-argu-menter, à accepter d’avoir tort et l’autre raison, etc. La démocratie repose sur l’autonomie du sujet et la rationalité du peuple, et elle s’apprend, nous rappelle-t-il.

Comme le relève Nora Abed, ces espaces de parole sont particulièrement impor-tants dans le cadre de la lutte contre la radica-lisation en prison car ils donnent à ces individus que l’on a tendance à tous rassem-bler sous une même étiquette, la possibilité d’exprimer leur singu-larité. Habitués à être stigmati-sés, souvent en grande difficulté face au regard de l’autre, il leur est ici donné l’occasion de se retrouver dans une expérience collective où ils peuvent, sans le risque d’être jugés suspects, se parler, faire une invocation, discuter d’ouvrages religieux, ...

Le rapport au religieux est en effet la porte d’entrée utilisée par Nora Abed et sa collègue dans le cadre des groupes de parole,

qu’elles animent au Centre péni-tentiaire du Havre.

Leurs guides d’intervention sont l’altérité, l’humanisation de la rencontre et la surprise, à savoir, explique Nora Abed, «s’autoriser à être surpris de ce que l’on va découvrir chez l’autre, le lais-ser aller à dire les choses sans essayer de les formater pour qu’elles ressemblent à ce à quoi on voudrait qu’elles soient».

Par rapport à leur posture en tant qu’intervenantes, Nora Abed in-

siste sur le fait qu’elles n’ani-ment pas le groupe mais

qu’elles en font partie, ce qui signifie qu’elles acceptent d’emblée d’être interrogées

comme n’importe quel autre participant. Les

détenus leur demandent: «qu’est-ce qui prouve que vous n’êtes pas de la Sécurité?, com-bien on vous paie?, vous êtes qui pour venir faire ça?». Ces questions peuvent parfois mettre en difficultés les intervenantes qui doivent absolument être à l’aise avec les aspects transférentiels et contre-transférentiels, mais y répondre, c’est insuffler de l’altérité, augmenter les chances d’obtenir de la part des détenus des réponses aux questions qui leur seront adressées quand viendra leur tour.

REINSERTION

Nora ABED, psy-chologue référente du

dispositif d’accompagne-ment psychologique dans le processus de religiosité

extrême au sein de Terra Psy

... s’autoriser à être surpris de ce que l’on va découvrir

chez l’autre, le lais-ser aller à dire les

choses sans essayer de les formater pour qu’elles ressemblent à ce à quoi on vou-drait qu’elles soient.

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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Si Daesh a pu attirer dans les mailles de son filet des milliers de jeunes européens, ce n’est pas par la seule force de son idéologie. Il a exploité leurs sentiments d’injustice, d’exclusion, de désespé-rance, d’insignifiance. Car, on le sait aujourd’hui, la radicalisation est davantage motivée par des raisons personnelles (difficultés sociales, économiques, familiales, etc.) que par des convictions religieuses solidement ancrées.

Ainsi, même en cas de disparition complète de Daesh, le risque que des jeunes ou des moins jeunes s’engagent dans l’extrémisme violent restera palpable. D’autant que, dans le contexte actuel marqué par la polarisation, les tensions et les replis identitaires, d’autres idéologies prônant la haine et la violence émergent, tentent de séduire et d’ériger de nouvelles dissensions.

D’où l’importance de prévenir la radicalisation, sous quelque bannière idéologique que ce soit, et de réfléchir les prises en charge avec une vision plus large qui englobe mais ne se réduit pas au dijhadisme violent.

Dans ce but, le colloque du Réseau de prise en charge des extré-mismes et des radicalismes violents a veillé d’une part à améliorer la compréhension des phénomènes en présence et, d’autre part, à susciter, au sein d’ateliers thématiques, de nombreux échanges entre professionnels de terrain.

Que ce soit en matière de prévention ou de prise en charge, il est apparu que la généralisation, la simplification, la focalisation sur l’idéo-logie radicale ou sa dimension religieuse doivent être évitées car elles peuvent renforcer la stigmatisation, alimenter la polarisation, avoir des effets contre-productifs, ...

Ainsi, est pointé le recours indifférencié à l’étiquette de «radicalisa-tion» pour qualifier et traiter des comportements très divers et parfois plus provocateurs que fanatiques. De même, certaines idées reçues ont été interrogées telles que: «les terroristes sont tous à la base des petits délinquants de quartiers sensibles», «la radicalisation est la conséquence du fanatisme religieux», etc.

De nombreuses pistes d’action et de prévention, en lien avec les diffé-rents domaines de compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ont été proposées. Il serait trop long de toutes les énumérer ici, mais citons-en quelques-unes:

• travailler sur le vivre-ensemble et le sentiment d’appartenance, • stimuler l’esprit critique et la vigilance face aux tentatives de manipulation, • renforcer la confiance et l’estime de soi, • offrir des opportunités de participation et d’engagement positifs, • favoriser la rencontre de pairs qui ont le souci de l’autre, de l’en-traide, et la confrontation à des modèles inspirants, • miser sur la réinsertion et le développement des habilités sociales, • (re)créer des espaces publics légitimes d’expression des conflits et des désaccords, • développer des dispositifs de sensibilisation qui tiennent égale-ment compte de la part affective, émotionnelle, de la radicalisa-tion, etc.,• mettre à disposition des personnes concernées, de leur entou-rage, des professionnels des différents secteurs, un lieu d’écoute spécialisé et pluridisciplinaire pour une lecture plurielle, «complexi-fiée» des situations,• proposer une prise en charge, non ségrégeante, basée sur un accompagnement individualisé et impliquant la participation des personnes dans la recherche de changements, de solutions,• utiliser pour le désengagement les mêmes ressorts que ceux qui ont pu favoriser l’engagement dans la voie du radicalisme violent, comme le besoin d’être entendu, reconnu, compris, investi...

Sans oublier la nécessité, à un niveau plus macro, de lutter contre les inégalités, les discriminations et la polarisation... qui consti-tuent le terreau de ces phénomènes qui fragmentent la cohésion sociale.

C o n c l u s i o nRéseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents

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Deux services composent ce dispositif:

• le CAPREV (Centre d’Aide et de Prise en charge de toute personne concernée par les Extrémismes et Radicalismes Violents),

• le CREA (Centre de ressources et d’appui du Réseau).

Le Réseau inclut également :

• le Service des équipes mobiles de l’Enseignement obligatoire, qui intervient à la demande et en appui aux directeurs d’école ou de centres PMS, en cas de problème lié à des phénomènes d’extrémisme et de radicalisme violent.

• les référents radicalisme dési-gnés au sein des administrations gé-nérales du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Aide à la jeunesse, Maisons de justice, Enseignement, Culture, Sport), pour apporter des ré-ponses adéquates aux acteurs de leur secteur.

Le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violentsCréé par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en janvier 2016, le Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents, propose aux citoyens et aux professionnels une aide et un soutien en matière de prévention de toute forme d’extrémisme ou de radicalisme violent.

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Appel gratuit

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Le dispositif global est accessible via un numéro d’appel gratuit (0800 111 72), tous les jours ouvrables, de 8h à 18h. Ce numéro constitue le point d’entrée unique de la Fédération Wallonie-Bruxelles en matière de prévention des extrémismes et radicalismes violents.

Le CREA est chargé d’accompagner les institutions et les opérateurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles (ser-vices publics et privés, associations culturelles, sportives, de jeunesse, écoles, etc.) dans leurs actions de préven-tion des extrémismes et des radicalismes violents.

Le CAPREV propose à toute personne concernée, di-rectement ou indirectement, une écoute active, un soutien professionnel ou un accompagnement pluridisciplinaire personnalisé (psycho-social et juridique).

https://www.extremismes-violents.cfwb.beextremismes-violents(at)cfwb.be

Polarisation sociale et radicalisation menant à la violence. Quelles perspectives pour l’éducation et le travail social?

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Nora ABED, psychologue clinicienne et référente du dispositif d’accompagnement psychologique dans le processus de religiosité extrême au sein de l’association Terra Psy au Havre (France).

Laurent BONELLI, maître de conférences en science politique et membre de l’institut des sciences sociales du politique (ISP) à l’Université Paris Nanterre. Co-rédacteur en chef de la revue Cultures & Conflits et éditeur associé de Inter-national Political Sociology (Oxford University Press).

Bart BRANDSMA, philosophe, formateur et consultant social et politique au sein de la société Inside Polarisation. Le dialogue, les conflits et la polarisation sont au cœur de son travail.

Fabienne BRION, professeure à la Faculté de droit et de criminologie de l’Université catholique de Louvain. Actuellement en charge d’une re-cherche sur les politiques publiques de contre-ra-dicalisation et d’une autre sur les trajectoires de jeunes qui ont été poursuivis ou condamnés pour des infractions terroristes.

Nicolas COHEN, avocat en droit pénal et en droit pénitentiaire au barreau de Bruxelles au sein du cabinet Jus Cogens. Membre de la section belge de l’Observatoire international des prisons, qu’il a coprésidée.

Rik COOLSAET, professeur ordinaire émérite à

l’Université de Gand et Senior Associate Fellow à EGMONT-Institut Royal des Relations Interna-tionales (Bruxelles). A notamment fait partie de la Commission d’Experts sur la radicalisation violente de la Commission européenne (établie en 2006) et ensuite du European Network of Experts on Radicalisation (ENER).

Edouard DELRUELLE, professeur de phi-losophie politique et co-directeur du centre de recherche «Matérialités de la politique» à l’Université de Liège.

Anne-Marie DIEU, directrice de recherches et coordinatrice a.i. à l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse. Doc-teure en sociologie et politologue.

Pauline DIEZ, responsable pédagogique à l’IPPJ de Saint-Servais. Licenciée en psychologie cli-nique et formée aux interventions et thérapies systémiques institutionnelles et familiales.

Karim EL KHMLICHI, directeur « régime » au sein de la prison de Saint-Gilles (Bruxelles). Parmi ses missions spécifiques au sein de celle-ci, il est responsable de la thématique de la radicalisation violente.

Karin HEREMANS, directrice de l’Athénée Royal d’Anvers et coordinatrice de la prévention de la radicalisation pour le département des politiques et stratégies de GO !, la structure d’enseignement

de la Communauté Flamande. Egalement coprési-dente du réseau de sensibilisation à la radicalisa-tion (RAN) de la Commission européenne.

Hasna HUSSEIN, chercheuse associée au Centre Emile Durkheim de l’Université de Bordeaux et membre du conseil scientifique du Centre d’Ana-lyse et de Prévention de la Radicalisation des Individus (Gironde). Ingénieure de recherche du projet européen PRACTICES H200 sur la Préven-tion de la radicalisation dans les Villes (Université de Toulouse 2, Jean Jaurès) et fondatrice de l’as-sociation Recherche action sur le contre-discours radical violent (ARACDRV).

Alice JASPART, directrice de la recherche du Centre d’accompagnement et de prise en charge de toute personne concernée par les radicalismes et extrémismes violents (CAPREV). Licenciée en anthropologie et docteure en criminologie.

David LE BRETON, professeur de sociologie et membre de l’unité de recherche Dynamiques Eu-ropéennes à l’Université de Strasbourg. Membre de l’Institut Universitaire de France.

René MICHEL, président de l’Aide Sociale aux Justiciables (asbl) de Liège. Diplômé en tant qu’assistant social, licencié agrégé en criminolo-gie et licencié en sociologie.

Raphaël NOISET, référent radicalisme et délé-gué en chef au SAJ de Bruxelles. Diplômé en tant

qu’assistant social, il a longtemps travaillé dans un SAAE avec des jeunes placés par les autorités mandantes.

Vanessa REGGIO, coordinatrice des communi-cations et partenariats au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV).

Pierre THYS, professeur honoraire et membre du Centre d’Etude du Terrorisme et de la Radi-calisation à l’Université de Liège. Dans le secteur de l’Aide à la Jeunesse, il a été expert et consul-tant, puis directeur au centre fédéral fermé pour jeunes délinquants de Saint-Hubert et enfin direc-teur au service des méthodes et de la Formation.

Corinne TORREKENS, professeure de sciences politiques, docteure en sciences sociales et politiques, managing director de DiverCity, cher-cheuse au Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Egalité (GERME) de l’Université libre de Bruxelles.

Patrick VERNIERS, président du Conseil supé-rieur de l’éducation aux médias de la Fédéra-tion Wallonie-Bruxelles. Professeur et président du Master en éducation aux médias à l’IHECS et maître de conférences invité à l’UCL.

Livret édité à l’initiative du Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents de la Fédération Wallonie-Bruxelles https://extremismes-violents.cfwb.be

Editeur responsable: Frédéric Delcor

Réalisation (écriture & mise en page): Colette Leclercq & Romain Lecomte, L’Observatoire, créateur d’échanges et de transversalité dans le Social, asbl https://www.revueobservatoire.be

MAI 2019

ANNEXE

Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents