Point de Vue

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’est la sixième fois de son histoire que le Tour de France prend son essor des Pays- Bas, royaume du vélo ! Samedi 4 juillet, le prologue contre la montre aura lieu à Utrecht, d’où sera donné, le jour suivant, le départ de la première étape en ligne. Le temps est bien loin où le Tour de France, fondé en 1903 par le journal L’Auto, s’inscrivait dans les frontières de l’Hexagone. Le premier vainqueur, Maurice Garin, ancien ramoneur d’origine italienne, avait empoché la jolie somme de 3000 francs-or, après avoir rallié Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes en dix-huit jours, à une moyenne de 25 km/h. « Du geste large et puissant que Zola, dans La Terre , donne à son laboureur, L’Auto, journal d’idées et d’action va lancer à travers la France dès aujourd’hui les inconscients et rudes semeurs d’énergie que sont les grands routiers professionnels. » Henri Desgrange, créateur du Tour, a été bon prophète. Au fil de ses 102 éditions, l’épreuve mythique s’est peu à peu affranchie de ses limites nationales, multipliant les esca- pades en Europe, de Berlin-Ouest à Saint-Sébastien, Cambridge ou Dublin. C’est en 1947 que les champions font leur première halte dans une capitale étrangère, en l’occurrence Bruxelles. Le 8 juillet 1954, la course s’élance d’Amsterdam, première ville non-française à avoir ce pri- vilège. À l’époque, le Breton Louison Bobet est à l’apogée de sa carrière, tandis que Diên Biên Phu vient de tomber aux mains du Viêt-minh et que Jean Gabin s’illustre dans Touchez pas au grisbi… Le succès est au rendez-vous, comme le constate un journaliste: « Toute la Hollande semblait s’être donnée rendez-vous sur les routes de Wassenaar, de Delft, de Rotterdam, de Breda, des villes et des villages que le Tour traversait hier.» Avec Utrecht, les coureurs découvriront une cité au passé flamboyant. Plus ancienne qu’Amsterdam, elle a le charme des villes intemporelles. Décorée de ses fameuses maisons hollandaises, elle est parsemée de canaux. Déjà utilisés par les Romains pour entreposer des marchan- dises, les quais et les anciennes caves, inscrits au patri- moine mondial de l’Unesco abritent de petits bars et terrasses où la bière coule à flots. La ville doit son essor à sa position géographique centrale, mais également au mis- sionnaire anglais Willibrord qui entreprend, en 695, C Du 2 au 5 juillet, Utrecht pavoisera à la couleur jaune du Tour de France. Le roi Willem- Alexander sera présent sur place le samedi 4 juillet, pour le départ de la première étape contre la montre, durant laquelle les coureurs parcourront 13,7 kilomètres à travers la cité. Comme chaque été – sauf pendant les deux guerres mondiales – les forçats de la route écrivent la légende de la Grande Boucle. Cette année, Willem-Alexander et Maxima des Pays-Bas donneront, le 4 juillet, à Utrecht, le coup d’envoi de cette 102 e édition. Par Jérôme Carron et Philippe Delorme Tour de France PREMIÈRE ÉTAPE ROYALE À UTRECHT PlINT DE VUE 65 HISTOIRE 64 PlINT DE VUE © ADOC-PHOTOS, PIETER STAM DE JONGE/VI IMAGES/ PRESSE SPORTS, ACTION PRESS / BESTIMAGE HISTOIRE

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’est la sixième fois de son histoire que leTour de France prend son essor des Pays-Bas, royaume du vélo! Samedi 4 juillet,le prologue contre la montre aura lieu àUtrecht, d’où sera donné, le jour suivant,

le départ de la première étape en ligne. Le temps est bienloin où le Tour de France, fondé en 1903 par le journalL’Auto, s’inscrivait dans les frontières de l’Hexagone. Lepremier vainqueur, Maurice Garin, ancien ramoneurd’origine italienne, avait empoché la jolie somme de3000 francs-or, après avoir rallié Paris, Lyon, Marseille,Toulouse, Bordeaux et Nantes en dix-huit jours, à unemoyenne de 25 km/h. «Du geste large et puissant queZola, dans La Terre, donne à son laboureur, L’Auto, journald’idées et d’action va lancer à travers la France dèsaujourd’hui les inconscients et rudes semeurs d’énergieque sont les grands routiers professionnels. » HenriDesgrange, créateur du Tour, a été bon prophète. Au filde ses 102 éditions, l’épreuve mythique s’est peu à peuaffranchie de ses limites nationales, multipliant les esca-pades en Europe, de Berlin-Ouest à Saint-Sébastien,Cambridge ou Dublin. C’est en 1947 que les championsfont leur première halte dans une capitale étrangère, enl’occurrence Bruxelles. Le 8 juillet 1954, la course s’élanced’Amsterdam, première ville non-française à avoir ce pri-vilège. À l’époque, le Breton Louison Bobet est à l’apogéede sa carrière, tandis que Diên Biên Phu vient de tomberaux mains du Viêt-minh et que Jean Gabin s’illustre dansTouchez pas au grisbi… Le succès est au rendez-vous,comme le constate un journaliste : «Toute la Hollandesemblait s’être donnée rendez-vous sur les routes deWassenaar, de Delft, de Rotterdam, de Breda, des villeset des villages que le Tour traversait hier.» Avec Utrecht, les coureurs découvriront une cité au passéflamboyant. Plus ancienne qu’Amsterdam, elle a lecharme des villes intemporelles. Décorée de ses fameusesmaisons hollandaises, elle est parsemée de canaux. Déjàutilisés par les Romains pour entreposer des marchan-dises, les quais et les anciennes caves, inscrits au patri-moine mondial de l’Unesco abritent de petits bars etterrasses où la bière coule à flots. La ville doit son essor àsa position géographique centrale, mais également au mis-sionnaire anglais Willibrord qui entreprend, en 695,

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Du 2 au 5 juillet,Utrecht

pavoisera à lacouleur jaune duTour de France.Le roi Willem-Alexander seraprésent sur place

le samedi4 juillet, pour le départ de lapremière étapecontre la montre,durant laquelleles coureursparcourront

13,7 kilomètres à travers la cité.

Comme chaque été – sauf pendant les deux guerres mondiales –les forçats de la route écrivent la légende de la Grande Boucle.

Cette année, Willem-Alexander et Maxima des Pays-Bas donneront,le 4 juillet, à Utrecht, le coup d’envoi de cette 102e édition.

Par Jérôme Carron et Philippe Delorme

Tour de FrancePREMIÈRE ÉTAPE ROYALE

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d’évangéliser la région. Centre névralgique, la ville obtientune charte municipale dès 1122, mais demeure sous laférule de ses évêques. Ses ruelles lui confèrent un charmegothique, renforcé par l’immense tour du Dôme, la plushaute des Pays-Bas. Commencée en 1257, elle abrite qua-torze cloches, qui sonneront poursaluer le peloton. À l’origine, elle fai-sait partie de la cathédrale Saint-Martin d’Utrecht, dont la majeurepartie a été détruite au cours d’unouragan en 1674. Mais ce sont lesdeux traités signés en avril et juil-let 1713, entre la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne, qui ont inscritle nom d’Utrecht dans l’histoire euro-péenne. Mettant fin à la guerre deSuccession d’Espagne, ces accordsconfirment le petit-fils de Louis XIV,Philippe V d’Anjou, sur son trônemadrilène, au prix d’amputationsterritoriales, et à la condition qu’ilrenonce, pour lui et ses descendants, à tout droit sur lacouronne de France. La ville ne pouvait pas échapper auTour de France. Avec 90000 cyclistes présents dans la citéchaque jour – 84% des sujets de Willem-Alexander pos-sèdent une bicyclette – la circulation à deux-roues dépasse

les déplacements en automobiles. À Utrecht, chaque ruepossède sa piste cyclable et des feux spécifiques sont ins-tallés à chaque carrefour. La ville a installé des parkings,où d’ingénieux systèmes de rampes et de rangementshydrauliques permettent de garer son vélo sans effort. À

la fin de 2015, un parc de 12500places sera terminé non loin de lagare, offrant à Utrecht le plus grandparking à vélos du monde. Comme en 1954, la deuxième étapeen ligne du Tour partira d’Anvers, le6 juillet. Avec plus d’un demi-milliond’habitants, la métropole flamandeest la ville la plus peuplée du pays duroi Philippe et le deuxième portd’Europe après Amsterdam. LesAnversois ont d’ailleurs une telleestime pour leur cité qu’ils la sur-nomment « ’t Stad», la Ville ! Bâtievers 900 sur un terrain surélevé –aanwerp – surplombant l’Escaut,

Anvers a prospéré dès le Moyen Âge comme place com-merciale et financière, rivale de Bruges. À l’époquemoderne, le négoce vers les Indes et les Amériques ren-force son rayonnement. Cœur culturel et artistique desPays-Bas espagnols, elle connaîtra les affres de la guerre

au cours du XVIe siècle. La paix rétablie, Anvers s’enrichitde la présence des grands peintres Rubens, Van Dyck ouJordaens, ainsi que d’imprimeurs, facteurs de clavecins etdiamantaires. Après la Révolution et l’occupation fran-çaise, elle sera rattachée au royaume des Pays-Bas puis àla nouvelle Belgique. Les matières premières, importéesde la colonie africaine du Congo, ne tarderont pas à rani-mer sa prospérité. Le lendemain 7 juillet, la caravane du Tour repartira de Seraing, ancien centre industriel, aux portes de Liège.Haut lieu du charbonnage et de l’industrie sidérurgiquewallonne, en lisière des Ardennes, Seraing apparaissait auxyeux de Victor Hugo comme une image du Tartare deVirgile ou de l’Enfer de Dante: «Toute la vallée sembletrouée de cratères en éruption. […] On croirait qu’unearmée ennemie vient de traverser le pays, et que vingtbourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit téné-breuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie…»Après avoir traversé la localité de Gognies-Chaussée, quiprésente la particularité d’être coupée en deux par la fron-tière franco-belge, les coureurs arriveront à Cambrai, patriede Fénelon et de Blériot, mais davantage connue pour ses

Ci-dessus: le traitéd’Utrecht,

le 11 avril 1713,met fin à laguerre deSuccessiond’Espagne(gravure de

l’almanach royalpour 1714). À droite: les

quais d’Utrechtvers 1875… et le mêmeendroit

aujourd’hui. Ci-contre: HenriDesgrange(1865-1940), le créateur du Tour.

Le 7 juillet 1954,à Amsterdam,l’équipe de

France s’apprêteà parcourir les4656 kilomètres

qui lesconduiront en 23 étapesjusqu’à Paris où LouisonBobet (lepremier à

gauche) arriveraen vainqueur.

«bêtises». C’est vers 1830 qu’un confiseur de l’endroit,Émile Afchain, aurait mélangé par erreur de l’arôme dementhe à une préparation de berlingot. Cette «bêtise»ayant rencontré l’assentiment du public, elle est devenueune spécialité locale. Quant au Tour, les Cambrésiens ontdû attendre le IIIe millénaire pour l’accueillir… Enfin, mercredi 8 juillet, les sportifs parcourront189,5 km d’Arras à Amiens, dans les paysages qui ont été,il y a un siècle, le théâtre des batailles de la Somme, durantla Première Guerre mondiale. Ville de foire à l’époquemédiévale, Arras s’enorgueillit de sa Grand-Place, classéeau patrimoine de l’Unesco. Quant à la capitale picarde,dont les environs étaient déjà peuplés au paléolithique,l’antique Samarobriva de Jules César, elle aurait reçu dansses murs Clodion le Chevelu et Mérovée, les rois francsancêtres de Clovis, si l’on en croit une douteuse tradition.Ravagée par les deux conflits du XXe siècle, Amiens s’estrelevée de ses cendres, autour de sa cathédrale Notre-Dame, la plus vaste de France, joyau du gothique mira-culeusement épargnée par les bombardements. lEn savoir plus : Office néerlandais du Tourisme et desCongrès, holland.com Le Tour de France, letour.fr

189,5 kilomètres dans des paysages, théâtre des batailles de la Somme.

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