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L’Europe reste à la traîne dans l’exploitation des données électroniques. Des géants étrangers dominent ce secteur stratégique et déterminant Les données, puissance du futur N ous vivons une période de rupture, celle de la numéri- sation de tout : l’homme, la société, les organisations, le savoir, les interactions, le corps biologique de cha- cun, etc. Tout devient donnée numérique, et par là même a vocation à une existence dans le monde virtuel en émergence. L’écart entre le monde des données et le monderéel, bien anticipé par Jorge Luis Bor- ges dans sa nouvelle visionnaire De la rigueur de la science, évoluera pour devenir de plus en plus subtil. Il y a un avant et il y a un après-numérisation.Il nous est aussi dif- ficile d’imaginerles évolutions de la société de l’information qu’il l’était de prévoir au milieu du XIX e siècle les possibilités permi- ses par l’électricité. Les données constituent les briques de base de la société de l’information. Leur quantité est en croissance exponentielle. Alors que la loi de Moore, prédisant le dou- blement de la capacité de calcul des ordina- teurs tous les dix-huit mois, touche à sa fin, les données semblent avoir usurpé à leur profit cette prédiction. Désormais quali- fiées de Big Data dans le monde anglo- saxon, elles représentent déjà des masses considérables pour lesquelles on recourt à de nouvelles mesures. L’infrastructurephy- sique de la société de l’information, les sys- tèmes de télécommunications, les centres de stockage et de traitement des données, les nouveaux services en ligne, constituent des secteurs industriels qui connaissent une croissance inégalée. Les centres de don- nées consommeront bientôt autant d’élec- tricité qu’un pays comme la France. Les données en elles-mêmes offrent un potentiel extraordinaireque l’on commen- ce à exploiter. Elles permettent de générer des connaissances, qui étaient soit hors d’atteinte, soit inexistantes, parce que hors du domaine du pensable. Une nouvelle médecine se développe, qui, grâce aux don- nées personnelles, sera en mesure de pro- poser des traitements adaptés à chacun et non plus calibrés pour des populations. De nouveaux champs scientifiques sont ouverts avec des découvertes réalisables sur les masses de données accessibles. Une nouvelle économie émerge, qui exploite les données pour des services à valeur ajoutée. Par exemple, Google réalise, grâce à ses données, un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros en France. Dans un autre registre, le cabinet de consultants McKinsey estime le potentiel économique annuel du Big Data pour le système de san- té américain à 300 milliards de dollars, soit 1 000 dollars par habitant et par an ! La société de l’information est apparue au début des années 1990 avec l’émergen- ce de la Toile. La multiplication rapide des pages Web a très vite nécessité l’invention de nouveaux outils pour accéder aux pages pertinentes : les moteurs de recherche. Deux révolutions majeures accompa- gnent l’introduction de ces systèmes : le développement d’une industrie du traite- ment des données à des échelles ambitieu- ses, et l’établissement du modèle économi- que qui domine la Toile, un service gratuit en échange de données personnelles. Les moteurs de recherche exploitent ainsi les requêtes faites par les utilisateurs, dont ils peuvent dériver des profils qui permettent de cibler des publicités, mais également de dégager des connaissances globales, com- me l’extension des épidémies de grippe au niveau mondial. Cette révolution prend son essor dans les années 2000 avec le développement des systèmes interactifs et collaboratifs comme les réseaux sociaux, qui permet- tent aux utilisateurs de contribuer.Les don- nées personnelles, tant celles produites par les usagers (textes, photos, vidéos, etc.) que celles générées par les systèmes que nous utilisons souvent à notre insu, sont au cœur de l’économie de la société de l’infor- mation, et donc de l’économie. Les données sont devenues une ressour- ce, peu différente des matières premières, comme le charbon ou le minerai de fer, et dont l’importance économique dépassera celle du pétrole. La comparaison avec le pétrole illustre une caractéristique essen- tielle de l’économie des données personnel- les : la concentration. Le pétrole est, pour des raisons géologiques, concentré dans des puits, d’où il est extrait et acheminé après transformation dans les foyers des particuliers sur toute la surface de la terre. Les données personnelles du Web 2.0 sont à l’inverse récoltées chez les particuliers sur la surface de la terre, pour être achemi- nées vers les centres de données de multi- nationales, qui ont le monopole de leur trai- tement, comme Google, Facebook ou Ama- zon, et qui concentrent 80 % de ces don- nées aux Etats-Unis. La décision rendue le 3 janvier par la Federal Trade Commission aux Etats-Unis de ne pas poursuivre Goo- gle pour la manière dont son moteur de recherche favorise ses propres outils de vente en ligne contribuera au renforce- ment de sa position dominante et montre la tendance lourde à la concentration dans l’industrie de la donnée. Pour le pétrole, comme pour les autres matières premières, nous nous sommes attachés à développer une chaîne indus- trielle cohérente allant de la prospection à la production de produits finis, en passant par l’exploitation, le transport, la transfor- mation… Cela n’a pas été simple. Il a fallu acquérir des connaissances, construire de grandes entreprises, mettre au service de ces enjeux une volonté politique forte. Qu’en est-il pour les données numériques ? Dans ce domaine, l’Europe a fait l’impasse. En ne construisant pas d’industrie du Web 2.0, elle s’est privée de l’accès à la res- source, y compris à celle provenant de son territoire. Pour des raisons historiques et politiques, l’Europe a peur des données. Elle voit dans la société de l’information une menace qu’il convient de circonscrire, et qui semble inhiber toute vraie ambition. La faiblesse en données et en capacité de traitement de la donnée résulte d’une une asymétrie d’information. L’économiste Joseph Stiglitz a montré les conséquences sur les marchés de cette asymétrie. Grâce à l’analyse des requêtes sur son moteur, Goo- gle sait, ou est en capacité de savoir, plus de choses que l’Insee sur la France. La maîtrise de la donnée permet aussi la maîtrise de certains marchés qui transitent déjà dans certains domaines par les outils de commerce électroniqueaméricains.Fau- te de développer cette industrie, il est pro- bable qu’à brève échéance nous achèterons de nombreux biens et services, produits et consommés en France comme nos billets de train ou notre électricité, à un prestatai- re étranger qui dégagera une part impor- tante de la valeur ajoutée et aura le contrôle de la chaîne industrielle. La maîtrise de la société de l’informa- tion donne une puissance qu’on soupçon- ne encore peu et qui dépasse de loin les sec- teurs de l’économie marchande. A titre d’exemple, les systèmes de cours en ligne, qui connaissent une croissance rapide aux Etats-Unis, et qui finiront par révolution- ner l’enseignement, permettront aussi une maîtrise des ressources humaines au niveau mondial, stratégique au moment où les pays industrialisés feront face à un déficit croissant de personnels scientifi- ques. La société de l’information pénètre des domaines moins visibles. Certains ser- vices régaliens, comme l’identité des per- sonnes, pourraient même être assurés demain par des multinationales. Le réseau social Facebook permet une authentifica- tion des personnes qui n’a pas d’égale en qualité et pourrait devenir incontourna- ble. Le Royaume-Uni envisage d’ailleurs de l’utiliser pour l’accès aux services publics en ligne. La maîtrise des données est en fin de compte liée à la sécurité et à l’indépen- dance nationales. L’absence de l’Europe des systèmes du Web 2.0 est-elle une fatalité ? La captation de données est la priorité absolue des Etats- Unis, qui dominent la société de l’informa- tion à l’échelle planétaire. Mais d’autres pays ont des vues stratégiques dans ce domaine. La Chine tout d’abord, qui détient 16 % des 50 premiers sites mon- diaux, à côté des 72 % américains. Dans ces deux pays, les données nationales restent sous contrôle de l’industrie nationale. Et tous deux ambitionnent de récolter la don- née à l’international. Quant aux pays plus petits, certains parviennent à équilibrer leur industrie. La Corée du Sud s’appuie sur un petit tiers de sites nationaux, un tiers de sites américains et un tiers de sites chinois. D’autres pays aussi différents que le Brésil, la Russie ou l’Iran sont en avance sur l’Euro- pe en la matière. En Europe, il y a un usage monolithique des sites américains. En France, Google détient l’une de ses plus grosses parts de marché mondial (92 %) et il en va de même pour Facebook. Quant aux premiers sites français, aucun n’accumule de la donnée. Cette situation est plus qu’alarmante. Nous disposons pourtant en France d’un moteur de recherche, Exalead, développé par Dassault Systèmes. Pourquoi ne fait-on pas de son développementune cause natio- nale ? Il existe par ailleurs des moteurs qui ne conservent pas de données personnel- les, comme Ixquick. Sans entrer dans la compétition interna- tionale, sans disposer de géants du stocka- ge et du traitement des donnéeset des servi- ces, et en particulier d’un moteur de recher- che, de réseaux sociaux, de systèmes de blogs et de micro-blogs, de cloud, détenant des parts de marché importantes, non seu- lement en Europe, mais également dans le reste du monde, il est peu probable que la voix de l’Europe puisse se faire entendre et qu’elle contribue à façonner les grandes orientations de la société de l’information. Nos pays sont condamnés à un rôle subalterne, à la protection illusoire d’in- dustries, dont les modèles sont en pleine évolution, et que nous sommes incapables de réinventer. Trois aspects fondamen- taux font le succès des systèmes améri- cains : la qualité de service, le génie des applications et la pertinence du modèle économique associé. Pour réussir, l’Euro- pe doit promouvoir un modèle original compatible avec ses principes, mais qui répond autant à des besoins que les systè- mes que les Américains ont développés et qui ont changé le monde. p décryptages le grand débat La France dispose d’un moteur de recherche, Exalead. Pourquoi ne pas faire de son développement une cause nationale ? Stéphane Grumbach Directeur de recherche à l’Institut national en recherches informatiques avancées et ancien conseiller scientifique en Chine. Il travaille sur les nouveaux équilibres induits par la société de l’information Stéphane Frénot Professeur des universités au laboratoire CITI de l’Institut national des sciences appliquées de Lyon. Ses recherches portent sur les systèmes informatiques communicants au cœur du Web et de ses applications LE SUCCÈS des réseaux sociaux surprend. Facebook est bien plus qu’un réseau social, c’est un service, nouveau certes, mais qui deviendra aussi important que le sont l’eau, l’électricité, les transports et les télécommuni- cations. Les systèmes informatiques subis- sent une révolution majeure. D’abord, il n’y a presque plus de secteurs d’activité qui ne soient pas contrôlés, ou en passe de l’être, par des systèmes informatiques. Ces systèmes doivent donc s’adapter et monter en gamme pour garantir la sécurité requise par une socié- té devenue dépendante, comme elle l’est de l’électricité. Ensuite, les systèmes informati- ques connaissent une révolution technologi- que. Ils sont interconnectés et permettent un accès continu, universel et authentifié. Ils per- mettent le stockage d’une quantité de don- nées considérable propre à chaque utilisa- teur, personne ou entreprise, sur une durée indéterminée. Ils permettent l’utilisation de ces données par un nombre extensible d’ap- plications, qui y accèdent avec l’accord de leurs utilisateurs. Nos ordinateurs sont en train de disparaî- tre au profit d’outils comme les tablettes, mobiles et connectées en permanence à des systèmes stockant et traitant les données, et désormais accessibles n’importe où et n’im- porte quand. C’est un progrès considérable, que permet la dématérialisation, comparable dans le domaine de l’électricité à la décorréla- tion du consommateur des producteurs. C’est ce type de services qu’offre Facebook et qui explique à la fois son succès et son caractè- re incontournable. Il s’agit d’un système qui a bouleversé le monde numérique, comme Microsoft Windows dans les années 1990. Gestion ultraperformante Dans sa version initiale, Facebook est un système d’enregistrement et de rediffusion ciblée d’informations et d’opinions person- nelles, accessible de n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel équipement informatique équipé d’un navigateur Inter- net. Si, de sa création en 2006 à 2012, le nom- bre d’utilisateurs n’a fait que croître, ce n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une gestion d’entreprise ultraperformante typi- que de la Californie. Facebook propose un système d’accès per- mettant à un acteur économique tiers d’hé- berger des pages représentant la marque, mais surtout d’accéder aux informations des utilisateurs avec leur consentement. Connais- sant à la fois un utilisateur et les données per- sonnelles qu’il accepte de fournir, une appli- cation tierce fournit un service de qualité sans avoir à gérer ni les iden- tifications, ni une grande partie des données déjà connues de Facebook. Ainsi, les formalités administrati- ves numériques sont prises en char- ge par un guichet unique. Une der- nière amélioration technologique permet à ces acteurs économiques de produire des informations authentiques au cœur du journal de l’utilisateur. Celui-ci peut alors en fonction de son humeur ou de ses besoins choisir d’afficher ou non ces informations, à un cercle plus ou moins restreint d’amis, sur une durée plus ou moins limitée. En huit ans, le service Facebook a muté d’un outil de stockage et de dif- fusion de données personnelles à un système d’exploitation complet de ces mêmes données. Une exploi- tation qui profite à Facebook, aux utilisateurs et aux acteurs tiers. Face- book a démarré avant les autres et va maintenir son avance en termes de services offerts. Sans alternative, cela conduit au milliard d’utilisa- teurs constaté. p Des réseaux sociaux en pleine mutation 2011 13 15 17 19 20 23 2025 3 55 Amérique du nord Europe Asie et Pacifique Reste du monde Facebook QZone V Kontakte Odnoklassniki Cloob Chine Russie Ukraine Moldavie Iran Biélorussie En 1986 0,3 En 1993 1,9 En 2000 6,8 En 2007 36,8 ESTIMATION DES REVENUS DE FACEBOOK PAR RÉGION DU MONDE En milliards de dollars ÉVOLUTION DES CAPACITÉS DE STOCKAGE MONDIALES En exaoctets LES RÉSEAUX SOCIAUX DOMINANTS DANS LE MONDE EN DÉCEMBRE 2012 SOURCE : WIRED.COM SOURCE : VINCOS.IT SOURCE : SCIENCE JOURNAL (2011) 18 0123 Mardi 8 janvier 2013

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L’Europeresteàlatraînedansl’exploitationdesdonnéesélectroniques.Desgéantsétrangersdominentcesecteurstratégiqueetdéterminant

Lesdonnées,puissancedufutur

Nous vivons une période derupture, cellede lanuméri-sationde tout: l’homme, lasociété, lesorganisations,lesavoir, les interactions, lecorps biologique de cha-

cun, etc. Tout devient donnée numérique,et par làmême a vocation à une existencedans le monde virtuel en émergence.L’écart entre le monde des données et lemonderéel,bienanticipéparJorgeLuisBor-ges dans sa nouvelle visionnaire De larigueurdelascience,évoluerapourdevenirdeplusenplussubtil. Il yaunavantet ilyaunaprès-numérisation.Ilnousestaussidif-ficiled’imaginerlesévolutionsdelasociétéde l’information qu’il l’était de prévoir aumilieuduXIXesiècle lespossibilitéspermi-sespar l’électricité.

Les données constituent les briques debase de la société de l’information. Leurquantité est en croissance exponentielle.Alorsque la loi deMoore, prédisant le dou-blementdelacapacitédecalculdesordina-teurstouslesdix-huitmois, toucheàsafin,les données semblent avoir usurpé à leurprofit cette prédiction. Désormais quali-fiées de Big Data dans le monde anglo-saxon, elles représentent déjà des massesconsidérables pour lesquelles on recourt àdenouvellesmesures.L’infrastructurephy-siquede la sociétéde l’information, les sys-tèmes de télécommunications, les centresde stockage et de traitement des données,lesnouveauxservicesenligne,constituentdes secteurs industriels qui connaissentunecroissanceinégalée.Lescentresdedon-néesconsommerontbientôtautantd’élec-tricitéqu’unpays commelaFrance.

Les données en elles-mêmes offrent unpotentielextraordinairequel’oncommen-ce à exploiter. Elles permettent de générerdes connaissances, qui étaient soit horsd’atteinte,soit inexistantes,parcequehorsdu domaine du pensable. Une nouvellemédecinesedéveloppe,qui,grâceauxdon-nées personnelles, sera enmesure de pro-poser des traitements adaptés à chacun etnonpluscalibréspourdespopulations.Denouveaux champs scientifiques sontouverts avec des découvertes réalisablessur lesmassesdedonnéesaccessibles.

Une nouvelle économie émerge, quiexploite les données pour des services àvaleurajoutée.Parexemple,Googleréalise,grâceà sesdonnées,unchiffred’affairesdeplus d’unmilliard d’euros en France. Dansunautre registre, le cabinet de consultantsMcKinsey estime le potentiel économiqueannuelduBigDatapour le systèmedesan-téaméricainà300milliardsdedollars, soit1000dollarsparhabitantetpar an!

La société de l’information est apparueau début des années 1990 avec l’émergen-ce de la Toile. Lamultiplication rapide despagesWeb a très vite nécessité l’inventiondenouveauxoutilspouraccéderauxpagespertinentes: les moteurs de recherche.Deux révolutions majeures accompa-gnent l’introduction de ces systèmes: ledéveloppement d’une industrie du traite-mentdesdonnéesàdes échellesambitieu-ses,et l’établissementdumodèleéconomi-quequi domine la Toile, un service gratuiten échange de données personnelles. Lesmoteurs de recherche exploitent ainsi lesrequêtes faites par les utilisateurs, dont ilspeuventdériverdesprofilsquipermettent

decibler despublicités,maiségalementdedégager des connaissances globales, com-mel’extensiondesépidémiesdegrippeauniveaumondial.

Cette révolution prend son essor dansles années 2000 avec le développementdes systèmes interactifs et collaboratifscomme les réseaux sociaux, qui permet-tentauxutilisateursdecontribuer.Lesdon-néespersonnelles,tantcellesproduitesparlesusagers (textes,photos,vidéos,etc.) quecelles générées par les systèmes que nousutilisons souvent à notre insu, sont aucœurde l’économiede la sociétéde l’infor-mation,et doncde l’économie.

Lesdonnéessontdevenuesuneressour-ce, peu différente desmatières premières,comme le charbon ou leminerai de fer, etdont l’importance économique dépasseracelle du pétrole. La comparaison avec lepétrole illustre une caractéristique essen-tielledel’économiedesdonnéespersonnel-les: la concentration. Le pétrole est, pourdes raisons géologiques, concentré dansdes puits, d’où il est extrait et acheminéaprès transformation dans les foyers desparticuliers sur toute la surface de la terre.Les données personnelles duWeb2.0 sontà l’inverse récoltées chez les particuliers

sur la surfacede la terre, pour être achemi-nées vers les centres de données demulti-nationales,quiontlemonopoledeleurtrai-tement,commeGoogle,FacebookouAma-zon, et qui concentrent 80% de ces don-nées aux Etats-Unis. La décision rendue le3janvier par la Federal Trade Commissionaux Etats-Unis de ne pas poursuivre Goo-gle pour la manière dont son moteur derecherche favorise ses propres outils devente en ligne contribuera au renforce-ment de sa position dominante etmontrela tendance lourde à la concentrationdansl’industriede ladonnée.

Pour le pétrole, comme pour les autresmatières premières, nous nous sommesattachés à développer une chaîne indus-trielle cohérente allant de la prospection àla productiondeproduits finis, enpassantpar l’exploitation, le transport, la transfor-mation… Cela n’a pas été simple. Il a falluacquérir des connaissances, construire degrandes entreprises, mettre au service deces enjeux une volonté politique forte.Qu’enest-ilpourlesdonnéesnumériques?Dans ce domaine, l’Europe a fait l’impasse.En ne construisant pas d’industrie duWeb2.0, elle s’est privée de l’accès à la res-source, y compris à celle provenant de son

territoire. Pour des raisons historiques etpolitiques, l’Europe a peur des données.Elle voit dans la société de l’informationunemenace qu’il convient de circonscrire,etquisembleinhibertoutevraieambition.

Lafaiblesseendonnéesetencapacitédetraitementde la donnée résulte d’une uneasymétrie d’information. L’économisteJoseph Stiglitz a montré les conséquencessur lesmarchésde cette asymétrie.Grâce àl’analysedesrequêtessursonmoteur,Goo-glesait,ouestencapacitédesavoir,plusdechosesque l’Insee sur la France.

Lamaîtrisede ladonnéepermetaussi lamaîtrisedecertainsmarchésquitransitentdéjà dans certains domaines par les outilsdecommerceélectroniqueaméricains.Fau-te de développer cette industrie, il est pro-bablequ’àbrèveéchéancenousachèteronsdenombreuxbiens et services, produits etconsommés en France comme nos billetsde trainounotre électricité, à unprestatai-re étranger qui dégagera une part impor-tantedelavaleurajoutéeetauralecontrôlede la chaîne industrielle.

La maîtrise de la société de l’informa-tion donne une puissance qu’on soupçon-neencorepeuetquidépassedeloin lessec-teurs de l’économie marchande. A titred’exemple, les systèmes de cours en ligne,qui connaissentune croissance rapideauxEtats-Unis, et qui finiront par révolution-nerl’enseignement,permettrontaussiunemaîtrise des ressources humaines auniveau mondial, stratégique au momentoù les pays industrialisés feront face à undéficit croissant de personnels scientifi-ques. La société de l’information pénètredes domainesmoins visibles. Certains ser-vices régaliens, comme l’identité des per-sonnes, pourraient même être assurésdemainpardesmultinationales. Le réseau

social Facebook permet une authentifica-tion des personnes qui n’a pas d’égale enqualité et pourrait devenir incontourna-ble. LeRoyaume-Unienvisaged’ailleursdel’utiliser pour l’accès aux services publicsen ligne. Lamaîtrisedesdonnées est en finde compte liée à la sécurité et à l’indépen-dancenationales.

L’absence de l’Europe des systèmes duWeb2.0 est-elle une fatalité? La captationdedonnéesestlaprioritéabsoluedesEtats-Unis, quidominent la sociétéde l’informa-tion à l’échelle planétaire. Mais d’autrespays ont des vues stratégiques dans cedomaine. La Chine tout d’abord, quidétient 16% des 50 premiers sites mon-diaux, à côté des 72% américains.Dans cesdeux pays, les données nationales restentsous contrôle de l’industrie nationale. Et

tousdeuxambitionnentderécolterladon-née à l’international. Quant aux pays pluspetits, certains parviennent à équilibrerleurindustrie.LaCoréeduSuds’appuiesurunpetittiersdesitesnationaux,untiersdesitesaméricainsetuntiersdesiteschinois.D’autrespaysaussidifférentsque leBrésil,laRussieoul’Iransontenavancesurl’Euro-peen lamatière.

EnEurope, il y aunusagemonolithiquedes sites américains. En France, Googledétient l’une de ses plus grosses parts demarchémondial (92%)et il envademêmepour Facebook. Quant aux premiers sitesfrançais, aucun n’accumule de la donnée.Cette situation est plus qu’alarmante.Nous disposons pourtant en France d’unmoteur de recherche, Exalead, développéparDassaultSystèmes.Pourquoinefait-onpasdesondéveloppementunecausenatio-nale? Il existe par ailleurs desmoteurs quine conservent pas de données personnel-les, commeIxquick.

Sansentrerdanslacompétitioninterna-tionale, sans disposer de géants du stocka-geetdutraitementdesdonnéesetdesservi-ces,etenparticulierd’unmoteurderecher-che, de réseaux sociaux, de systèmes deblogset demicro-blogs,de cloud, détenantdespartsdemarché importantes,nonseu-lement en Europe,mais égalementdans lereste dumonde, il est peu probable que lavoixde l’Europepuisse se faireentendreetqu’elle contribue à façonner les grandesorientationsde la sociétéde l’information.

Nos pays sont condamnés à un rôlesubalterne, à la protection illusoire d’in-dustries, dont les modèles sont en pleineévolution,etquenoussommesincapablesde réinventer. Trois aspects fondamen-taux font le succès des systèmes améri-cains : la qualité de service, le génie desapplications et la pertinence du modèleéconomique associé. Pour réussir, l’Euro-pe doit promouvoir un modèle originalcompatible avec ses principes, mais quirépond autant à des besoins que les systè-mes que les Américains ont développés etquiont changé lemonde. p

décryptages le granddébat

LaFrancedisposed’unmoteurderecherche,Exalead.Pourquoinepas

fairedesondéveloppementunecausenationale?

StéphaneGrumbachDirecteurde rechercheà l’Institutnational en recherches informatiquesavancéesetancien conseiller scientifique enChine. Il travaille sur lesnouveauxéquilibres

induitspar la sociétéde l’information

StéphaneFrénotProfesseur des universités au laboratoire CITI de l’Institut national des sciences

appliquées de Lyon. Ses recherches portent sur les systèmes informatiquescommunicants au cœur duWeb et de ses applications

LE SUCCÈSdes réseauxsociauxsurprend.Facebookestbienplusqu’unréseausocial,c’estunservice,nouveaucertes,maisquideviendraaussi importantque le sont l’eau,l’électricité, les transportset les télécommuni-cations. Les systèmes informatiquessubis-sentune révolutionmajeure.D’abord, il n’y apresqueplusde secteursd’activitéquinesoientpascontrôlés, ouenpassede l’être, pardes systèmes informatiques.Ces systèmesdoiventdoncs’adapteretmonter engammepourgarantir la sécurité requiseparunesocié-tédevenuedépendante, commeelle l’estdel’électricité.Ensuite, les systèmes informati-ques connaissentune révolution technologi-que. Ils sont interconnectésetpermettentunaccèscontinu,universel et authentifié. Ilsper-mettent le stockaged’unequantitédedon-néesconsidérablepropreà chaqueutilisa-teur,personneouentreprise, suruneduréeindéterminée. Ilspermettent l’utilisationdecesdonnéesparunnombreextensibled’ap-plications,quiyaccèdentavec l’accorddeleursutilisateurs.

Nosordinateurssonten traindedisparaî-treauprofitd’outils commeles tablettes,mobileset connectéesenpermanenceàdessystèmesstockantet traitant lesdonnées, etdésormaisaccessiblesn’importeoùetn’im-

portequand.C’estunprogrèsconsidérable,quepermet ladématérialisation,comparabledans ledomainede l’électricitéà ladécorréla-tionduconsommateurdesproducteurs.C’est ce typedeservicesqu’offre Facebooketquiexpliqueà la fois sonsuccèset soncaractè-re incontournable. Il s’agitd’unsystèmequiabouleversé lemondenumérique, commeMicrosoftWindowsdans lesannées 1990.

Gestion ultraperformanteDanssaversion initiale, Facebookestun

systèmed’enregistrementet de rediffusioncibléed’informationsetd’opinionsperson-nelles, accessibleden’importeoù,n’importequandet surn’importequeléquipementinformatiqueéquipéd’unnavigateur Inter-net. Si, de sa créationen2006à2012, lenom-bred’utilisateursn’a fait quecroître, cen’estpas le fruit duhasard,mais le résultatd’unegestiond’entrepriseultraperformantetypi-quede laCalifornie.

Facebookproposeunsystèmed’accèsper-mettantàunacteuréconomiquetiersd’hé-bergerdespages représentant lamarque,mais surtoutd’accéderaux informationsdesutilisateursavec leurconsentement.Connais-santà la foisunutilisateuret les donnéesper-sonnellesqu’il acceptede fournir, uneappli-

cationtierce fournitunservicedequalité sansavoir à gérerni les iden-tifications,niunegrandepartiedesdonnéesdéjàconnuesdeFacebook.

Ainsi, les formalitésadministrati-vesnumériquessontprises enchar-geparunguichetunique.Uneder-nièreamélioration technologiquepermetàces acteurséconomiquesdeproduiredes informationsauthentiquesaucœurdu journaldel’utilisateur.Celui-cipeut alorsenfonctionde sonhumeuroudesesbesoinschoisird’afficherounoncesinformations,àuncercleplusoumoinsrestreintd’amis, suruneduréeplusoumoins limitée.

Enhuitans, le service Facebookamutéd’unoutilde stockageetdedif-fusiondedonnéespersonnellesàunsystèmed’exploitationcompletdecesmêmesdonnées.Uneexploi-tationquiprofiteà Facebook,auxutilisateursetauxacteurs tiers. Face-bookadémarréavant les autresetvamaintenir sonavanceen termesdeservicesofferts. Sansalternative,celaconduit aumilliardd’utilisa-teursconstaté.p

Desréseauxsociauxenpleinemutation

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ESTIMATION DES REVENUS DE FACEBOOKPAR RÉGION DUMONDEEn milliards de dollars

ÉVOLUTION DES CAPACITÉS DE STOCKAGE MONDIALESEn exaoctets

LES RÉSEAUX SOCIAUXDOMINANTS DANS LE MONDE EN DÉCEMBRE 2012

SOURCE : WIRED.COM SOURCE : VINCOS.IT SOURCE : SCIENCE JOURNAL (2011)

18 0123Mardi 8 janvier 2013