Pierre ROCCA et Patrick SITBON

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Les Chambres régionales des comptes Pierre ROCCA Patrick SITBON Clefs proposées (base Jade) : 18-01-04-07 (gestion de fait) 18-01-04-07-01 (procédure - non-lieu) 11-01-04 (association syndicale - tutelle) 11-01-06 (association syndicale - fonctionnement). CRC Ile-de-France, jugement n o 02-0632 J du 26 juin 2002, gestion de fait des deniers de la voie privée « passage Saint-Paul » à Paris-IV CRC Ile-de-France, jugement n o 02-0631 J du 26 juin 2002, gestion de fait des deniers de la voie privée « passage Choiseul » à Paris-II. Résumé : Sur les réquisitions du Ministère public, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait prononcé deux déclarations provisoires de gestion de fait des deniers des associations syndicales des voies privées « passage Saint-Paul » et « passage Choiseul » à Paris, considérant que les syndics de ces deux associations syndicales régies par la loi du 22 juillet 1912 s’étaient ingérés, en méconnaissance des articles 15 et 16 de ladite loi, dans le recouvrement et le maniement des fonds de ces associations, alors que seul le comptable public était habilité pour se faire. A l’issue de la procédure contradictoire, la chambre régionale d’Ile-de-France a prononcé un non-lieu à déclaration définitive de gestion de fait sur chacune de ces deux affaires. Cette décision de justice, fondée tant sur l’analyse des dispositions de la loi de 1912 que des circonstances de l’espèce, prend acte de la jurisprudence récemment adoptée en appel par la Cour des comptes dans une espèce analogue. Références jurisprudentielles : • financières : sur une association syndicale forcée de la loi de 1912 : CRC Ile-de-France, jugement n o 99-0350 J du 24 mars 1999, gestion de fait des deniers du syndicat de la voie privée dite « passage Saint-Avoye » CC, 4 e Ch., 29 novembre 2001, gestion de fait des deniers du syndicat de la voie privée dite « passage Saint-Avoye » (extraits infra) sur des gestions de fait relatives à des associations syndicales autorisées (loi du 21 juin 1865 modifiée) : CRC Corse, 28 avril 1988, Association syndicale de Péri CRC Midi-Pyrénées, 6 juin 1988 et 18 janvier 1989, ASA d’irrigation du Lauragais tarnais CC, 4 e Ch., 10 février 1983 et 22 janvier 1987, ASA de drainage et d’irrigation du Morbihan CC, 4 e Ch., 10 janvier 1991, ASA d’irrigation du Lauragais tarnais CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur, 29 juin 1993, 12 juillet 1994 et 21 février 1995, Associations territoriales d’Arles CC, 4 e Ch., 15 décembre 1995, ASA des arrosants de la Crau et du canal d’irrigation Boisgelin-Craponne CC, 4 e Ch., 15 décembre 1995, Associations territoriales d’Arles. Textes de référence : Code des juridictions financières loi de finances n o 63-156 du 23 février 1963, notamment son article 60-XI décret n o 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique loi du 22 juillet 1912 modifiée, notamment ses articles 2, 4, 5, 15 et 16. Doctrine : Christian Descheemaeker, Jurisclasseur, fasc. 1265, éd. 2001 Jacques Magnet, « Les gestions de fait », LGDJ, 1998 Pro- fesseur Liet-Veaux, Jurisclasseur, fasc. 142, n os 22 à 42 Professeur L’Huillier, encyclopédie Dalloz, associations syndicales, n o 178-202) chroniques R. Ludwig, La Revue du Trésor, août-septembre 1991, p. 560 ; août-septembre 1996, p. 508. Commentaires : L’intérêt des affaires « passage Saint-Paul » et « passage Choiseul » tient tout autant au régime juridique particulier des associations syndicales concernées qu’à la solution adoptée dans ces deux espèces par la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France. La majeure partie des associations syndicales est régie par la loi du 21 juin 1865 modifiée. Ce texte prévoit la constitution d’associations, libres ou autorisées, en vue de la réalisation de travaux définis par le législateur. Les associations libres sont des personnes morales de droit privé ; les associations syndicales autorisées par décision du préfet constituent, selon la jurisprudence administrative, des établissements publics (TC, 9 décembre 1899, Syndicat du canal de Gignac ; TC, 28 mars 1955, Effimieff). Les fonds des associations syndicales autorisées ne peuvent être détenus ou maniés que par le comptable public. En cas d’ingérence sans titre dans le maniement des deniers d’une ASA, le juge des comptes peut ouvrir une procédure de gestion de fait (à titre d’exemple : versement de subventions destinées à une ASA sur un compte bancaire alors que ces derniers auraient dû être déposés au Trésor Public ; espèce association syndicale de Péri sus-référencée). Les gestions de fait des associations syndicales des voies privées « passage Saint-Paul » et « passage Choiseul » sont singulières car les deux syndicats concernés relèvent non pas de la loi du 21 juin 1865, mais de la loi du 22 juillet 1912. Selon ce texte, les propriétaires des voies privées doivent se grouper en association syndicale en vue de la réalisation de certains travaux d’assainissement d’intérêt commun. Sur injonction de l’administration, les propriétaires peuvent se constituer en association syndicale autorisée, ce dont un arrêté préfectoral prend acte. A défaut, l’autorité administrative peut saisir le président du tribunal de grande instance qui désigne un syndic par ordonnance. L’article 15 de la loi du 22 juillet 1912 dispose que l’encaissement des recettes, le paiement des dépenses et le maniement des fonds de l’association ressortissent à la seule compétence du comptable public. Dans ses deux jugements provisoires, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait relevé que, pour certains exercices, les fonds des deux associations syndicales avaient été gérés par le syndic en dehors du comptable public, ce dernier n’ayant plus produit les comptes de gestion des syndicats. Les circonstances de ces deux espèces sont, au demeurant, quelque peu différentes : 111 84 e année - nº 2 - février 2004

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Les Chambres régionales des comptes

Pierre ROCCA Patrick SITBON

Clefs proposées (base Jade) : 18-01-04-07 (gestion de fait) � 18-01-04-07-01 (procédure - non-lieu) � 11-01-04 (association syndicale -tutelle) � 11-01-06 (association syndicale - fonctionnement).

CRC Ile-de-France, jugement no 02-0632 J du 26 juin 2002, gestion de fait des deniers de la voie privée « passage Saint-Paul »à Paris-IV � CRC Ile-de-France, jugement no 02-0631 J du 26 juin 2002, gestion de fait des deniers de la voie privée « passage Choiseul »à Paris-II.

Résumé : Sur les réquisitions du Ministère public, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait prononcé deux déclarationsprovisoires de gestion de fait des deniers des associations syndicales des voies privées « passage Saint-Paul » et « passage Choiseul »à Paris, considérant que les syndics de ces deux associations syndicales régies par la loi du 22 juillet 1912 s’étaient ingérés, enméconnaissance des articles 15 et 16 de ladite loi, dans le recouvrement et le maniement des fonds de ces associations, alors queseul le comptable public était habilité pour se faire.

A l’issue de la procédure contradictoire, la chambre régionale d’Ile-de-France a prononcé un non-lieu à déclaration définitive de gestionde fait sur chacune de ces deux affaires. Cette décision de justice, fondée tant sur l’analyse des dispositions de la loi de 1912 que descirconstances de l’espèce, prend acte de la jurisprudence récemment adoptée en appel par la Cour des comptes dans une espèceanalogue.

Références jurisprudentielles :

• financières : sur une association syndicale forcée de la loi de 1912 : CRC Ile-de-France, jugement no 99-0350 J du 24 mars1999, gestion de fait des deniers du syndicat de la voie privée dite « passage Saint-Avoye » � CC, 4e Ch., 29 novembre 2001, gestionde fait des deniers du syndicat de la voie privée dite « passage Saint-Avoye » (extraits infra) � sur des gestions de fait relatives àdes associations syndicales autorisées (loi du 21 juin 1865 modifiée) : CRC Corse, 28 avril 1988, Association syndicale dePéri � CRC Midi-Pyrénées, 6 juin 1988 et 18 janvier 1989, ASA d’irrigation du Lauragais tarnais � CC, 4e Ch., 10 février 1983 et22 janvier 1987, ASA de drainage et d’irrigation du Morbihan � CC, 4e Ch., 10 janvier 1991, ASA d’irrigation du Lauragais tarnais � CRCProvence-Alpes-Côte d’Azur, 29 juin 1993, 12 juillet 1994 et 21 février 1995, Associations territoriales d’Arles � CC, 4e Ch., 15 décembre1995, ASA des arrosants de la Crau et du canal d’irrigation Boisgelin-Craponne � CC, 4e Ch., 15 décembre 1995, Associationsterritoriales d’Arles.

Textes de référence : Code des juridictions financières � loi de finances no 63-156 du 23 février 1963, notamment son article60-XI � décret no 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique � loi du 22 juillet 1912modifiée, notamment ses articles 2, 4, 5, 15 et 16.

Doctrine : Christian Descheemaeker, Jurisclasseur, fasc. 1265, éd. 2001 � Jacques Magnet, « Les gestions de fait », LGDJ, 1998 � Pro-fesseur Liet-Veaux, Jurisclasseur, fasc. 142, nos 22 à 42 � Professeur L’Huillier, encyclopédie Dalloz, associations syndicales,no 178-202) � chroniques R. Ludwig, La Revue du Trésor, août-septembre 1991, p. 560 ; août-septembre 1996, p. 508.

Commentaires : L’intérêt des affaires « passage Saint-Paul » et « passage Choiseul » tient tout autant au régime juridique particulierdes associations syndicales concernées qu’à la solution adoptée dans ces deux espèces par la chambre régionale des comptesd’Ile-de-France.

La majeure partie des associations syndicales est régie par la loi du 21 juin 1865 modifiée. Ce texte prévoit la constitution d’associations,libres ou autorisées, en vue de la réalisation de travaux définis par le législateur. Les associations libres sont des personnes moralesde droit privé ; les associations syndicales autorisées par décision du préfet constituent, selon la jurisprudence administrative, desétablissements publics (TC, 9 décembre 1899, Syndicat du canal de Gignac ; TC, 28 mars 1955, Effimieff). Les fonds des associationssyndicales autorisées ne peuvent être détenus ou maniés que par le comptable public. En cas d’ingérence sans titre dans le maniementdes deniers d’une ASA, le juge des comptes peut ouvrir une procédure de gestion de fait (à titre d’exemple : versement de subventionsdestinées à une ASA sur un compte bancaire alors que ces derniers auraient dû être déposés au Trésor Public ; espèce associationsyndicale de Péri sus-référencée).

Les gestions de fait des associations syndicales des voies privées « passage Saint-Paul » et « passage Choiseul » sont singulières car lesdeux syndicats concernés relèvent non pas de la loi du 21 juin 1865, mais de la loi du 22 juillet 1912. Selon ce texte, les propriétairesdes voies privées doivent se grouper en association syndicale en vue de la réalisation de certains travaux d’assainissement d’intérêtcommun. Sur injonction de l’administration, les propriétaires peuvent se constituer en association syndicale autorisée, ce dont unarrêté préfectoral prend acte. A défaut, l’autorité administrative peut saisir le président du tribunal de grande instance qui désigneun syndic par ordonnance. L’article 15 de la loi du 22 juillet 1912 dispose que l’encaissement des recettes, le paiement des dépenseset le maniement des fonds de l’association ressortissent à la seule compétence du comptable public.

Dans ses deux jugements provisoires, la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France avait relevé que, pour certains exercices, lesfonds des deux associations syndicales avaient été gérés par le syndic en dehors du comptable public, ce dernier n’ayant plus produitles comptes de gestion des syndicats. Les circonstances de ces deux espèces sont, au demeurant, quelque peu différentes :

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Dans l’espèce « passage Saint-Paul », les propriétaires avaient désigné un syndic en 1951 conformément aux dispositions de la loidu 22 juillet 1912, ce dont le préfet leur avait donné acte par arrêté. Près de quarante ans plus tard, un autre syndic avait été élu parles propriétaires de la voie privée selon la procédure de droit commun (loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété desimmeubles bâtis) et sans qu’il fût fait référence à la loi de 1912. Dans l’espèce « passage Choiseul », c’est l’autorité judiciaire qui,après mise en demeure préfectorale, avait désigné le syndic, par une ordonnance de 1986, en vue de réaliser certains travauxd’assainissement reconnus indispensables par le maire de Paris. Aucun compte de ce syndicat n’avait été présenté par le comptablepublic à partir de l’exercice 1990. Or, ce n’est que par une ordonnance rendue en 1995, et confirmée en appel en 1999, que le jugejudiciaire a désigné un administrateur provisoire de la voie privée considérant que, les travaux d’assainissement étant achevés, lamission du syndic désigné par l’autorité judiciaire en 1986 avait cessé.

Il appartenait donc au juge des comptes de déterminer si, dans ces deux affaires, il convenait de faire application de la loi du 22 juillet1912 et de son article 15 et donc de déclarer la gestion de fait à titre définitif. S’agissant tout particulièrement de la procédure « passageChoiseul », une telle option n’aurait peut-être pas été dénuée de fondement. En effet, il était permis de considérer que, le syndicayant été nommé par l’autorité judiciaire en application de la loi de 1912, il ne pouvait être mis un terme à ses fonctions que par uneautre ordonnance du président du tribunal de grande instance et que, jusqu’à l’intervention de cette ordonnance, le comptable publicavait seul compétence pour manier les deniers du syndicat.

La chambre régionale en a cependant décidé autrement. Par une lecture des dispositions combinées des articles 2, 4 et 5 de la loi du22 juillet 1912, elle a considéré que la mission confiée au syndic en vertu de ce texte était strictement limitée à la période d’exécutiondes travaux ayant justifié la nomination de ce dernier. Après avoir constaté que lesdits travaux étaient achevés lorsque le trésoriermunicipal a cessé de présenter un compte, elle en a déduit que la gestion du syndic s’était alors exercée selon le droit commun etqu’il n’y avait donc pas lieu de déclarer la gestion de fait à titre définitif. La chambre régionale des comptes se range ainsi à lajurisprudence précédemment adoptée par la Cour des comptes statuant en appel sur une espèce très similaire (CC, 4e Ch., 29 novembre2001, gestion de fait des deniers du syndicat de la voie privée dite « passage Saint-Avoye », extraits infra). On relève avec grand intérêt,ainsi que le mentionne dans l’un de ses attendus le jugement rendu à propos du « passage Choiseul », que cette lecture de la loi estpartagée par le juge judiciaire.

JugementPassage Saint-Paul

La chambre régionale des comptesd’Ile-de-France,

(...) Vu les comptes de l’association syndi-cale du « passage Saint-Paul » pour les exer-cices 1987 à 1992 ;

Vu les réquisitions en date du 13 mars 1997du commissaire du Gouvernement près lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France tendant à ce qu’il plaise à la juridic-tion financière d’ouvrir une procédure envue de déclarer certaines opérations rele-vées constitutives de gestion de fait desdeniers de l’association syndicale du « pas-sage Saint-Paul » à Paris (IVe arrondisse-ment) ;

Vu les éléments recueillis au cours de l’ins-truction ;

Vu les conclusions du commissaire du Gou-vernement ;

Après avoir entendu M. Mesmin-d’Estienne,conseiller, en son rapport ;

Attendu qu’aux termes de l’article 2 de laloi susvisée du 22 juillet 1912 : « Les proprié-taires de toute voie privée et les proprié-taires des immeubles riverains sont tenus,sur la réquisition du maire ou, à son défaut,du préfet, (...) de se constituer en syndicatet de désigner un syndic chargé d’assurerl’exécution de tous travaux intéressant lavoie et de pourvoir à son entretien et à sagestion (...) » ; qu’aux termes de l’article 4de la même loi : « Si, dans le délai d’un mois,les propriétaires n’ont pas obéi à l’injonc-tion de l’autorité administrative et n’ontpas constitué le syndicat, il sera procédé,sur la réquisition de celle-ci, par le présidentdu tribunal de grande instance du ressort,à la désignation d’un syndic qui pourra êtrechoisi parmi les personnes non proprié-taires dans la voie » ; qu’aux termes del’article 5 de ladite loi : « Le syndic désignéen application du quatrième alinéa del’article précédent a qualité, comme lesyndic désigné en application du premieralinéa du même article, pour exercer toutesles attributions prévues à l’article 2, jusqu’àl’achèvement des travaux prescrits, (...) » ;

Attendu, d’une part, qu’il résulte des dis-positions combinées des articles 2, 4 et 5de la loi du 22 juillet 1912, modifiée, que lespouvoirs accordés au syndic après consti-tution d’une association syndicale forcéesont limités à la période d’exécution destravaux d’assainissement ayant justifiél’application de la loi précitée ;

Attendu, d’autre part, qu’il résulte del’ensemble des dispositions de la même loidu 22 juillet 1912 que, si la constitution dusyndicat d’entretien de la voie et la pre-mière nomination d’un syndic sont subor-données à une réquisition de l’autoritémunicipale, il appartient ensuite auxorganes compétents du syndicat, selon lapériodicité et la procédure prévues par lesstatuts de cet organisme, de procéder aurenouvellement des fonctions du syndic ;

Attendu que, par un arrêté municipal du27 juillet 1950, les propriétaires riverains du« passage Saint-Paul », voie privée fermée àla circulation du IVe arrondissement deParis, ont été mis en demeure de se consti-tuer en syndicat conformément à la loi du22 juillet 1912, avec pour mission pour lesyndic qui serait désigné de procéder à laréfection du pavage de la chaussée et destrottoirs ;

Attendu que les propriétaires du « passageSaint-Paul », à la majorité requise par la loi,ont désigné comme syndic M. L... ; que lepréfet de la Seine, par arrêté en date du10 juin 1951, leur donnait acte de ce choix ;qu’à la suite du décès de M. L..., les proprié-taires se réunissaient de nouveau le 10 juin1963 et désignaient M. P... comme syndic,que le préfet de la Seine, par arrêté en datedu 3 décembre 1963, leur donnait égale-ment acte de ce choix ; que M. P... étantdécédé, les riverains désignaient alorsM. Le... comme nouveau syndic ; et que lemaire de Paris leur donnait acte de cettenouvelle désignation par un arrêté du27 janvier 1986 ;

Attendu que le trésorier principal de Paris,comptable des établissements publicslocaux, a produit, au titre de l’exercice1989, le dernier compte de gestion de cesyndicat ;

Attendu qu’à la suite de la démission en1989 du syndic précité, le cabinet H... a étéélu syndic lors d’une assemblée généraletenue le 20 juin 1994 par les propriétairesriverains du passage, sans qu’il fût fait tou-tefois référence à la loi du 22 juillet 1912 etsans qu’un arrêté prenant acte de cettenomination eût été promulgué par le mairede Paris et que le syndic eût procédé àl’apurement des comptes du syndicat ;

Attendu qu’il ressort des termes du procès-verbal de l’assemblée générale du 20 juin1994 que le cabinet H..., nommé en qualitéde syndic selon la procédure et dans lesconditions fixées par la loi du 10 juillet 1965,modifiée, fixant le statut de la copropriétédes immeubles bâtis, l’a bien été non paspour réaliser les travaux de « réfection dupavage de la chaussée et des trottoirs » quevisait l’arrêté précité du 27 juillet 1950 dupréfet de la Seine, mais bien pour gérer le« passage Saint-Paul » jusqu’à qu’il soittransféré dans le domaine public de la villede Paris ;

Attendu que, par arrêté en date du 9 mai1996, le maire de Paris, dont il est établi queles services avaient été, dès le 7 novembre1994, avisés de la résolution de transfertprise par l’assemblée générale des proprié-taires riverains le 20 juin 1994, a décidé leclassement du « passage Saint-Paul » dansle domaine public de la ville ;

Attendu cependant que le cabinet H... aassuré entre le 20 juin 1994 et le 14 juin1996, date à laquelle le cabinet a clôturé lescomptes de l’association syndicale avant deles adresser avec les pièces justificatives etun chèque correspondant au reliquat de latrésorerie à la mairie de Paris, la gestion dela voie privée dans le cadre fixé par la loi du10 juillet 1965 jusqu’à l’intervention del’arrêté de classement dans le domainepublic de celle-ci ;

Attendu qu’il ressort de l’examen despièces du dossier qu’aucune opérationenregistrée dans la comptabilité du syndicne permet de conclure à la réalisation,entre 1984 et 1986, de travaux pouvantêtre rattachés à ceux visés par l’arrêté pré-fectoral du 27 juillet 1950 ;

Attendu, par suite, qu’il n’y a pas lieu àdéclaration de gestion de fait à l’encontre

chronique financière

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du cabinet H..., représenté par Mme F...,syndic de l’association syndicale du « pas-sage Saint-Paul » ;

Par ces motifs (non-lieu à déclaration).

JugementPassage Choiseul

La chambre régionale des comptesd’Ile-de-France,

(...) Après avoir entendu M. Mesmin-d’Estienne, conseiller, en son rapport ;

Attendu qu’aux termes de l’article 2 de laloi susvisée du 22 juillet 1912 : « Les proprié-taires de toute voie privée et les proprié-taires des immeubles riverains sont tenus,sur la réquisition du maire ou, à son défaut,du préfet, (...) de se constituer en syndicatet de désigner un syndic chargé d’assurerl’exécution de tous travaux intéressant lavoie et de pourvoir à son entretien et à sagestion (...) » ; qu’aux termes de l’article 4de la même loi : « Si, dans le délai d’un mois,les propriétaires n’ont pas obéi à l’injonc-tion de l’autorité administrative et n’ontpas constitué le syndicat, il sera procédé,sur la réquisition de celle-ci, par le présidentdu tribunal de grande instance du ressort,à la désignation d’un syndic qui pourra êtrechoisi parmi les personnes non proprié-taires dans la voie » ; qu’aux termes del’article 5 de ladite loi : « Le syndic désignéen application du quatrième alinéa del’article précédent a qualité, comme lesyndic désigné en application du premieralinéa du même article, pour exercer toutesles attributions prévues à l’article 2, jusqu’àl’achèvement des travaux prescrits (...) » ;

Attendu, d’une part, qu’il résulte des dis-positions combinées des articles 2, 4 et 5de la loi du 22 juillet 1912, modifiée, que lespouvoirs accordés au syndic après consti-tution d’une association syndicale forcéesont limités à la période d’exécution destravaux d’assainissement ayant justifiél’application de la loi précitée ;

Attendu, d’autre part, qu’il résulte del’ensemble des dispositions de la même loidu 22 juillet 1912 que, si la constitution dusyndicat d’entretien de la voie et la pre-mière nomination d’un syndic sont subor-données à une réquisition de l’autoritémunicipale, il appartient ensuite auxorganes compétents du syndicat, selon lapériodicité et la procédure prévues par lesstatuts de cet organisme, de procéder aurenouvellement des fonctions du syndic ;

Attendu que, par un arrêté municipal du27 juillet 1950, les propriétaires riverains du« passage Saint-Paul », voie privée fermée àla circulation du IVe arrondissement de Paris,ont été mis en demeure de se constituer ensyndicat conformément à la loi du 22 juillet1912, avec pour mission pour le syndic quiserait désigné de procéder à la réfection dupavage de la chaussée et des trottoirs ;

Attendu que les propriétaires du « passageSaint-Paul », à la majorité requise par la loi,ont désigné comme syndic M. L... ; que lepréfet de la Seine, par arrêté en date du10 juin 1951, leur donnait acte de ce choix ;qu’à la suite du décès de M. L..., les proprié-taires se réunissaient de nouveau le 10 juin1963 et désignaient M. P... comme syndic ;que le préfet de la Seine, par arrêté en datedu 3 décembre 1963, leur donnait égale-ment acte de ce choix ; que M. P... étantdécédé, les riverains désignaient alors M. Le...

comme nouveau syndic et que le maire deParis leur donnait acte de cette nouvelledésignation par un arrêté du 27 janvier 1986 ;

Attendu que le trésorier principal de Paris,comptable des établissements publicslocaux, a produit, au titre de l’exercice1989, le dernier compte de gestion de cesyndicat ;

Attendu qu’à la suite de la démission en1989 du syndic précité, le cabinet H... a étéélu syndic lors d’une assemblée généraletenue le 20 juin 1994 par les propriétairesriverains du passage, sans qu’il fût fait tou-tefois référence à la loi du 22 juillet 1912 etsans qu’un arrêté prenant acte de cettenomination eût été promulgué par le mairede Paris et que le syndic eût procédé àl’apurement des comptes du syndicat ;

Attendu qu’il ressort des termes du procès-verbal de l’assemblée générale du 20 juin1994 que le cabinet H..., nommé en qualitéde syndic selon la procédure et dans lesconditions fixées par la loi du 10 juillet 1965,modifiée, fixant le statut de la copropriétédes immeubles bâtis, l’a bien été non paspour réaliser les travaux de « réfection dupavage de la chaussée et des trottoirs » quevisait l’arrêté précité du 27 juillet 1950 dupréfet de la Seine, mais bien pour gérer le« passage Saint-Paul » jusqu’à qu’il soittransféré dans le domaine public de la villede Paris ;

Attendu que, par arrêté en date du 9 mai1996, le maire de Paris, dont il est établi queles services avaient été, dès le 7 novembre1994, avisés de la résolution de transfertprise par l’assemblée générale des proprié-taires riverains le 20 juin 1994, a décidé leclassement du « passage Saint-Paul » dansle domaine public de la ville ;

Attendu, cependant, que le cabinet H... aassuré entre le 20 juin 1994 et le 14 juin1996, date à laquelle le cabinet a clôturé lescomptes de l’association syndicale avant deles adresser avec les pièces justificatives etun chèque correspondant au reliquat de latrésorerie à la mairie de Paris, la gestion dela voie privée dans le cadre fixé par la loi du10 juillet 1965 jusqu’à l’intervention del’arrêté de classement dans le domainepublic de celle-ci ;

Attendu qu’il ressort de l’examen despièces du dossier qu’aucune opérationenregistrée dans la comptabilité du syndicne permet de conclure à la réalisation,entre 1984 et 1986, de travaux pouvantêtre rattachés à ceux visés par l’arrêté pré-fectoral du 27 juillet 1950 ;

Attendu, par suite, qu’il n’y a pas lieu àdéclaration de gestion de fait à l’encontredu cabinet H..., représenté par Mme F...,syndic de l’association syndicale du « pas-sage Saint-Paul » ;

Par ces motifs (non-lieu à déclaration).

Conclusions

Sur la procédure et les faits à l’originede l’instance :

Tenons à rappeler que les réquisitions duMinistère public prises par notre prédéces-seur le 13 mars 1997, à la suite de faitssignalés par le receveur général desfinances de Paris, au titre de ses fonctions,dans une correspondance en date du24 septembre 1996, enregistrée le 26 sep-tembre 1996, sont à l’origine de la présenteinstance ; que le receveur général des

finances, conformément aux dispositionsde l’article R. 212-19 du Code des juridic-tions financières, à l’époque article 24 dudécret du 23 août 1955, ne saisit pas lecommissaire du Gouvernement mais luisignale des faits susceptibles de recevoir laqualification de gestion de fait et qu’ilappartient au Ministère public de vérifiercette présomption ;

Que, dans lesdites réquisitions, il était rap-pelé les circonstances à l’origine de l’ins-tance, à savoir qu’« il résulte des disposi-tions de la loi du 22 juillet 1912 quel’autorité administrative peut enjoindre auxpropriétaires d’immeubles riverains desvoies privées à Paris de se constituer ensyndicat et de désigner un syndic à l’effetd’exécuter des travaux d’assainissement etd’entretien de ces voies » ou les ycontraindre par la voie d’ordonnance judi-ciaire ; « que le syndicat ainsi constitué pourl’exécution de cette injonction n’est pasune association syndicale libre, mais un syn-dicat forcé de propriétaires ayant le carac-tère d’un établissement public, soumis auxrègles de la comptabilité publique et dispo-sant d’un comptable public » ;

Rappelons qu’une procédure identique designalement a concerné trois associationsprésumées forcées de copropriétaires, syn-dicats de voie privée relevant des disposi-tions de la loi du 22 juillet 1912, dont celleobjet du rapport susvisé et que votreChambre a déjà eu l’occasion de se pro-noncer sur le syndicat et l’association syn-dicale du « passage Sainte-Avoye », àParis (IIIe), par jugement définitif du 2 janvier2001 dont appel a été interjeté (arrêt de laCour no 30948 du 29 novembre 2001 rendusur conclusions contraires du procureurgénéral et transmis pour information le28 février 2002) ;

Que, dans le cas d’espèce précité, les argu-ments de l’appelant, M. O..., pouvaient êtreainsi résumés :

– les travaux par lesquels le syndic a éténommé (ordonnance du juge des requêtesau tribunal de grande instance de Paris) ontbien été exécutés ;

– la préfecture aurait mis fin, par lettre, àl’application de la loi du 22 juillet 1912 ;

– une association syndicale libre a été crééeet a succédé à l’association forcée qui auraitainsi disparu avec l’achèvement des tra-vaux.

Sur l’interprétation faite par la Chambred’Ile-de-France de la loi du 22 juillet1912 :

Si la loi du 22 juillet 1912 est claire sur lesprocédures de constitution éventuelle d’unsyndicat et de désignation du syndic judi-ciaire, ainsi que sur le cadre dans lequelcelui-ci exerce ses fonctions, elle est enrevanche muette sur le caractère libre ouforcé de l’association ainsi que sur la façondont il est mis fin aux fonctions du syndicjudiciaire, après achèvement des travaux,pour la réalisation desquels il avait éténommé, ou bien classement de la voieprivée dans le domaine de la ville. La procé-dure permettant de liquider les comptes desa gestion restait donc à inventer. Cettecarence de la loi est à l’origine de la plupartdes dysfonctionnements observés. C’estainsi que votre Chambre, par l’intermédiairede son Ministère public, avait proposé demettre fin aux fonctions des syndicsnommés par l’autorité judiciaire en appli-quant le principe de parallélisme des

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formes et des compétences : constat del’achèvement des travaux par la ville de Paris,avis de la commission des logements insa-lubres, décision du président du tribunal degrande instance de Paris veillant, au besoin,en liaison avec les services de la recettegénérale et le comptable, à la désignationd’administrateurs provisoires chargés derégler et répartir les comptes de clôtureconformément aux règles de la comptabilitépublique. La poursuite de l’activité sous uneforme privée n’étant envisageable qu’aprèsl’accomplissement de ces formalités.

Sur l’interprétation donnée de la loi du22 juillet 1912 par la Cour des comptesstatuant en appel dans une affaire pré-sentant des points communs avec leprésent dossier :

Constatons que la décision d’infirmation,sur le fond, du jugement de la Chambreprise par la Haute Juridiction financièredans l’affaire déjà citée syndicat de la voieprivée dite « passage Sainte-Avoye » à Paris(IIIe arrondissement) repose sur un raison-nement en trois points qui appellerait deséclaircissements et n’est pas forcémenttransposable au cas de l’espèce présente :

– les dispositions combinées des articles 2,4 et 5 de la loi du 22 juillet 1912 accorde-raient au syndic, dans le cadre de l’associa-tion syndicale forcée, des pouvoirs « limitésà la période d’exécution des travaux d’assai-nissement ayant justifiés l’application de laloi précitée ». Au terme des travaux, termedûment constaté, les copropriétaires peu-vent être réputés avoir constitué une asso-ciation syndicale libre, qui ainsi ne relèveraitplus des règles budgétaires et comptablesapplicables aux établissements publicsadministratifs, et assureraient des opéra-tions de gestion purement privées ;

– la Cour voit enfin, dans l’absenced’approbation des budgets de l’associationpar l’autorité préfectorale, le signe de cettetransformation, sur laquelle elle appuie sonraisonnement, et, dans « le fait que la findes fonctions de M. O... (le syndic) n’ait étéprononcée par ordonnance judiciaire quele 14 octobre 1999 », c’est-à-dire postérieu-rement « au maniement irrégulier dedeniers, une " simple " carence de l’autoritémunicipale, seule compétente pour saisir lejuge judiciaire ».

Ce faisant, la Cour ne précise pas complète-ment la notion de compte public qu’elleretient pour qualifier les deniers maniésselon le degré d’achèvement des travaux. Unautre point appelle quelques commentaires.

La correspondance préfectorale adressée àM. O... et produite par lui dans l’affaireSainte-Avoye, lettre signée par le sous-directeur de l’urbanisme, du logement etdes équipements, où est affirmé le refusd’approuver les budgets des voies privéesqui ne comportent plus de dépensesd’assainissement, ne peut guère être inter-prétée comme le signe d’un changementstatutaire de l’association ; il est clairementrappelé dans cette situation, note trèsdocumentée, quoique malaisée à lire, queles associations syndicales relèventd’un « régime de tutelle allégée »,lorsqu’un syndic professionnel repré-sente la copropriété, et que dans cecadre le service de l’urbanisme de lapréfecture recentre son activité surl’approbation des seules dépenses obli-gatoires ; une telle affirmation ne saurait,d’après nous, valoir autre chose que

définition d’une politique générale detutelle par l’Administration et certainementpas disparition de l’établissement publicrelevant d’un régime de contributions for-cées (deniers publics).

D’ailleurs, dans cette même affaire, lepréfet de Paris écrivant à la Chambre, le22 mars 2000, évoquait clairement le risquede gestion de fait (« le syndic... qui paraîtavoir effectué une gestion de fait ») etmanifestait sans ambiguïté la tutelle del’Etat sur l’association syndicale, en se pro-nonçant sur un supplément d’honorairesdont M. O... s’estimait créancier.

La question de fond posée par la loi du22 juillet 1912 et les comptes relatifs àl’assainissement des voies privées :

Ainsi que l’a déjà exposé le Ministère publicdans ses conclusions no 516/GF du26 février 1996 (gestion de fait dite du« passage Sainte-Avoye [1] ») auxquellesnous nous référons sur les principes et ledroit applicable, les associations syndicalesforcées, telles qu’elles résultent de l’appli-cation de la loi modifiée du 22 juillet 1912relative à l’assainissement des voies privées,se constitueraient sur réquisition du maire,ou à défaut du préfet, et désignent unsyndic « chargé d’assurer l’exécution detous travaux intéressant la voie et de pour-voir à son entretien et à sa gestion » (art. 2).

Une fois constituées, ces associations syn-dicales relèvent du droit commun, c’est-à-dire des dispositions prévues par la loi du21 juin 1865 (art. 3) et, parallèlement, endépit de débats doctrinaux non tranchés(cf. Jurisclasseur, Association syndicale depropriétaires), des principes qui régissentles « syndicats forcés de propriétaires » quileur conféreraient automatiquement lestatut d’établissement public administratifsui generis *. Le comptable est le « receveurde la commune » qui encaisse les taxes dueset exécute les dépenses sur mandatementdu syndic (art. 15).

La désignation du syndic par voie judiciaire(ordonnance du président du tribunal degrande instance) n’intervient que dansdeux cas éventuellement cumulables :

– carence des copropriétaires riverains quise refusent à constituer le syndicat,

– ou carence du syndicat qui ne réalise pasles travaux nécessaires à l’assainissementde la voie (art. 4). La mission d’un tel syndics’étend jusqu’à l’achèvement des travaux(art. 5).

En cas d’inaction du syndic, l’autorité admi-nistrative et l’autorité judiciaire conjuguentleurs efforts pour désigner un nouveausyndic (art. 9).

La question, très disputée (cf. supra Juris-classeur déjà cité), de savoir si la loi de 1912crée des associations syndicales forcées,dès lors qu’un syndicat de copropriétairesest constitué, ou si celui-ci reste une asso-ciation libre, de droit privé, quand ellerésulte d’un accord de volontés des rive-rains (même si ceux-ci ont agi sur injonctionde l’Administration), devrait néanmoinsrester à l’arrière-plan, même si elle transpa-raît implicitement dans la décision de laCour déjà évoquée.

En revanche, l’arrêt infirmant le jugementde gestion de fait « du passage Sainte-Avoye » met en pleine lumière l’hypothèseque notre prédécesseur avait abordéedans ses conclusions (2) précitées pourvous proposez aussitôt de ne pas y

adhérer : en l’absence de volonté des rive-rains de constituer un syndicat (art. 2, loi1912), le régime autoritaire prévu parl’article 4 (1er al.) permet au syndic judiciairede pallier l’absence de structure syndicale.Dès lors et nonobstant le problème nonrésolu posé par l’existence de comptes enapparence publics non soldés, on com-prendra que le juge d’appel constatantl’achèvement de la mission du syndic, sanssyndicat, ait refusé de reconnaître auxfonds que ce dernier maniait le caractèrede deniers publics.

Selon certaines analyses, en l’absenced’association syndicale forcée dûmentconstituée, il n’y aurait pas d’établissementpublic quand bien même un syndic auraitagi dans le cadre défini par la loi de 1912.

En présence d’une association syndicalelibre (la loi de 1912 est-elle compatible aveccette catégorie juridique ?) préexistant ausyndic, la réponse à fournir oblige à entrerdans les débats doctrinaux déjà évoqués.

En revanche, en présence d’une associationsyndicale forcée et en l’absence de disso-lution et de dévolution de ses actifs, lemaniement de deniers, nécessairementpublics, par d’autres que le comptable assi-gnataire, constituerait assurément les élé-ments d’une comptabilité de fait.

Toute la problématique peut donc serésumer à cette double question : l’injonc-tion de l’Administration et la désignation dusyndic judiciaire créent-elles une associa-tion syndicale forcée ? Une comptabilitépublique peut-elle exister sans per-sonne morale de droit public et, plusencore, disparaître sans formalités par-ticulières ?

Sur les faits de l’espèce :

Rappelons les éléments suivants, dansl’ordre chronologique, selon les pièces dudossier-liasse-rapport :

– les propriétaires riverains du « passageChoiseul », sans jamais s’être constitués enassociation, adoptent, le 11 juin 1827, unrèglement intérieur destiné à organiserleurs rapports (document extérieur audossier) ;

– par arrêté du 21 mars 1968 (documentnon retrouvé dans le dossier-liasse-rap-port), le préfet de Paris leur enjoint deconstituer une association syndicale selonles modalités de la loi du 22 juillet 1912 ;

– par l’ordonnance du juge des référés du22 octobre 1986, M. O..., administrateur debiens, est désigné comme syndic, le mêmejuge des référés rétractant le 29 mars 1994une ordonnance qu’il avait prise le 14 jan-vier, par laquelle il mettait fin à la missionde M. O... ;

– à compter de 1990, les comptes du tré-sorier de Paris-EP, comptable patent, neretracent plus les opérations du passage etdes certificats d’inactivité sont produits de1990 à 1997 ;

– il ressort cependant de cette ordonnancedu 29 mars 1994, qui maintient donc M. O...dans ses fonctions, que « la mission confiéepar l’ordonnance du 22 octobre 1986 a pris

(1) CE, 13 avril 1983, Jean-Paul Walter.(2) « C’est précisément le cas de figure des articles appli-cables aux articles 4 et 5 de la loi de 1912 applicable aucas du passage Sainte-Avoye, où la nomination judiciaired’un syndic vient pallier l’absence de volontés des pro-priétaires », démonstration appuyée sur l’interprétationdu commissaire du Gouvernement du Conseil d’Etatconcluant sur l’affaire « Villa de Mulhouse » (CE, 29 juin1973, Ville de Paris c/ Association syndicale libre des pro-priétaires de la « Villa de Mulhouse »).

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fin » depuis que le « 1er janvier 1989 l’Admi-nistration a constaté que les travauxd’assainissement résultant de l’injonctionmunicipale... avaient été exécutés » ;qu’ainsi « depuis le 1er janvier 1989, M. O...n’a pu continuer à assurer la gestion du" passage Choiseul " non pas en vertu del’ordonnance du 22 octobre 1986, mais enraison du mandat que les copropriétairesdu " passage Choiseul " lui ont confié » ;

– le juge constate la fin de la mission judi-ciaire de M. O... et discute le droit pour« l’Administration » de « saisir le présidentdu tribunal de grande instance sur le fon-dement de l’article 9 de la loi 1912 à la suitede la pétition de certains riverains souhai-tant un changement de syndic ». Ultérieu-rement, la même juridiction déboute lesriverains qui souhaitent la désignation d’unadministrateur provisoire ;

– le jugement du tribunal de grande ins-tance de Paris, en date du 12 mai 1995,rendu à la demande des riverains du pas-sage, énonce encore plus distinctementque « la mission confiée à M. O... a néces-sairement cessé comme le prévoitl’article 5 de la loi qui dispose que l’accom-plissement des travaux prescrits constituele terme de la mission dévolue au syndic »,et que ce dernier ne peut se prévaloir dumandat d’une association libre (désignationde M. Pl... en tant qu’administrateur provi-soire chargé de réunir les copropriétairesafin qu’ils s’organisent conformément àleur règlement de 1827 qualifié de « seulcadre... d’organisation des rapports entreles riverains ») ;

– l’arrêt de la cour d’appel de Paris du30 juin 1999 confirme beaucoup plus net-tement encore les termes du jugement :l’arrêt de la Cour, particulièrement motivé,relève que si « il est constant que les travauxpour lesquels cette association foncièreurbaine a été constituée ont été exécutésdepuis leur achèvement, en vertu de laspécialité des personnes morales, sacompétence et ses pouvoirs ont cessé » etla cour d’appel de Paris rappelle encore,dans son arrêt, que le préfet de Paris aconfirmé que « l’injonction préfectoralemettant en demeure les propriétaires rive-rains du « passage Choiseul » d’exécuter destravaux d’assainissement dans ce passagea... cessé ses effets et qu’elle ne justifie plusen particulier que les frais de fonctionne-ment du syndicat soient recouvrés commeen matière de contributions directes », laCour s’est reconnue compétente pourconnaître de cette affaire et juger que lestatut de la copropriété régi par la loi du10 juillet 1965 s’appliquait.

Sur les solutions jurisprudentiellesenvisageables :

Nous référons sur les solutions à adopter àNos conclusions du même jour no 139/GF/2002 portant sur une affaire non pas sem-blable mais voisine ;

Constatons, cependant, que nonobstantl’absence de solution au problème posé parle maintien d’une comptabilité publique en« suspens » depuis 1989, solution quen’avait pas à donner le juge judiciaire, cedernier a, par deux fois, affirmé l’inexis-tence d’une association syndicale forcée,reconnu l’existence d’une association « defait » de copropriétaires et, au passage,reconnu l’achèvement de la mission deM. O... dans le cadre de la loi de 1912 ;

N’oublions pas que ces décisions conser-vent l’autorité relative de la chose jugée ;

Estimons cependant que ce raisonnementqui, par plusieurs aspects, plaide en faveurdu non-lieu à déclaration provisoire de ges-tion de fait, en fournissant une assise juri-dique au raisonnement suivi par la Cour descomptes dans l’affaire de la gestion de faitdite du « passage Sainte-Avoye », laisseentier le problème du compte public ;

Pensons que votre Chambre ne pourra, enconséquence, éviter de s’interroger sur lanature des opérations de recettes et dedépenses effectuées, dans sa comptabilité,par M. O... entre 1991 et 1994, voire au-delà,pour lesquelles l’étude comptable effec-tuée par la Fiduciaire CODA, diligentée en1995 par l’administrateur provisoire Me Pl...,fournit des éléments imprécis ;

Estimons qu’une analyse complémentaireserait nécessaire afin de lever le doute surces dépenses et ces encaissements où appa-raissent avec des charges de copropriété« classiques » quelques travauxsusceptibles de rentrer dans le champd’application de la loi de 1912 selon l’inter-prétation que l’on retient ; qu’en effettoutes les opérations de « voirie » et d’assai-nissement effectuées postérieurement à1989 au moyen de recettes encaissées surles propriétaires riverains, dans le cadre dela loi de 1912, sont de nature à constituer,nonobstant le point de vue du juge civil, unecomptabilité de fait dont devrait pouvoirjustifier successivement M. O... et Me Pl...

Sur les questions de prescription :

Estimons que la nature même de la gestionde fait plaide en faveur d’une entrée envigueur immédiate du régime de prescrip-tion décennale introduit par la loi du21 décembre 2001 ; qu’en effet, l’article 38de la loi prévoit que les articles L. 131-2,L. 231-3 et L. 262-33 et 35 du CJF sont com-plétés par un alinéa disposant que « l’actionen déclaration de gestion de fait est pres-crite pour les actes constitutifs de gestionde fait commis plus de dix ans avant la dateà laquelle la (juridiction) en est saisie ou s’ensaisit d’office ».

Cette règle doit, par ailleurs, être conciliéeavec le principe de l’autorité de la chosejugée lorsqu’un précédent jugement défi-nitif a été rendu dans la même affaire lorsd’une séquence procédurale antérieure.

Constatons qu’en l’espèce, la Chambreayant été saisie par réquisitoire du 13 reçule 14 mars 1997, toutes les opérations pos-térieures au 13 mars 1987 peuvent êtreprises dans une comptabilité de fait.

Gilles MILLER.

Arrêt d’appelPassage Sainte-Avoye

Syndicat de la voie privée dite « passageSainte-Avoye » à Paris (IIIe arrondissement) -Appel d’un jugement de la chambre régio-nale des comptes (CRC) d’Ile-de-France -Gestion de fait - Arrêt d’appel, Cour descomptes, 4e Chambre - No Arpèges : 30948.

La Cour,

(...) Sur le fond :

Attendu que le jugement attaqué reprocheà M. O..., nommé syndic de l’association

syndicale forcée de la voie privée dite « pas-sage Sainte-Avoye » par ordonnance judi-ciaire du 26 février 1986 pour faire exécuterdans cette voie les travaux d’assainissementjugés nécessaires par l’autorité municipale,d’avoir, après l’achèvement des travauxprescrits, continué à gérer le passage sansdisposer de budget ni d’état de répartition,et à percevoir des recettes et payer desdépenses en dehors de toute interventiondu comptable public ; que les opérations encause ont été considérées comme uneingérence sans titre dans le recouvrementet le maniement de deniers publics, consti-tutive d’une gestion de fait ;

Attendu que M. O... fait valoir que les tra-vaux prescrits par l’autorité municipale ontbien été exécutés par ses soins entre 1986et 1988, et qu’à compter de cette date, lepréfet de Paris, après avoir constaté la réa-lisation des travaux en cause, a décidé dene plus approuver les budgets de l’associa-tion syndicale forcée ; qu’à la suite de ladécision préfectorale, les propriétaires rive-rains du passage Sainte-Avoye ont décidéde créer une association syndicale librechargée de la gestion du passage et ontmandaté M. O... pour qu’il en exerce lesfonctions de syndic ; qu’en conséquence,M. O... soutient être intervenu, au cours dela période courant du 26 février 1986, datede sa nomination en qualité de syndic parl’autorité judiciaire, au 14 octobre 1999,date à laquelle cette dernière a mis fin à sesfonctions, au titre de deux gestions dis-tinctes, l’une, entre 1986 et 1988, dans lecadre d’une association syndicale forcéesoumise aux dispositions de la loi du22 juillet 1912 susvisée, l’autre, à compterde 1988, dans le cadre d’une associationsyndicale libre non assujettie aux disposi-tions de ladite loi ;

Attendu qu’il résulte des dispositions com-binées des articles 2, 4 et 5 de la loi du22 juillet 1912 que les pouvoirs accordés ausyndic après constitution d’une associationsyndicale forcée sont limités à la périoded’exécution des travaux d’assainissementayant justifié l’application de la loi précitée ;qu’il n’est pas contesté que les travaux encause ont bien été exécutés et qu’ils ontpris fin en 1988 ; qu’à compter de cettedate, la préfecture de Paris a d’ailleursdécidé de ne plus approuver les budgets del’association retraçant, en recettes et endépenses, les opérations afférentes auxditstravaux ; que, dans ces conditions, M. O...est fondé à soutenir que la gestion, par sessoins, du passage Sainte-Avoye à compterde 1988 relevait du droit commun et n’étaitplus soumise aux dispositions dérogatoiresde la loi du 22 juillet 1912 ; que, nonobstantle fait que la fin des fonctions de M. O...n’ait été prononcée par ordonnance judi-ciaire que le 14 octobre 1999, ce qui meten évidence la carence de l’autorité muni-cipale, seule compétente pour saisir le jugejudiciaire, les opérations de gestion du pas-sage effectuées par le requérant entre1988 et 1999 relevaient d’un cadre exclusi-vement privé ; qu’il en résulte qu’enjugeant que lesdites opérations étaientconstitutives d’un maniement irrégulier dedeniers publics, la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France a commis uneerreur de droit ;

Par ces motifs (infirmation).

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Clefs proposées (base Jade) : 18-01-03-02 (obligations du comptable) � 18-05-06 (pièces justificatives) � 33-02-04 (établissementspublics - régime financier et comptable).

CRC de Nord-Pas-de-Calais, jugement nº 2003-0205 du 25 juin 2003, Caisse de crédit municipal de Lille.

CRC de Rhône-Alpes, jugement nº 2003-0147 du 15 mai 2003, Centre hospitalier universitaire de Grenoble.

Résumé : La responsabilité du comptable du Crédit municipal de Lille est ici engagée à quatre reprises pour défaut de production depièce justificative. La Chambre constate ainsi successivement, par référence à l’annexe IV de l’article D. 1617-19 du Code général descollectivités territoriales, que :

– les primes versées à des agents contractuels n’ont pas été justifiées par un contrat ou, à défaut, par une délibération et un arrêtéindividuel ;

– les primes des agents titulaires n’ont pas été justifiées par une délibération et un arrêté individuel ;

– les honoraires de maîtrise d’œuvre n’ont pas – et sans qu’importe leur montant – été justifiés par un contrat écrit passé selon lesmodalités spécifiques instituées par le Code des marchés publics ;

– certaines prestations intellectuelles malgré le dépassement du seuil réglementaire n’ont pas été justifiées par la production d’unmarché passé, au moins, selon la procédure négociée.

In fine, la juridiction écarte des marchés et délibérations de « régularisation » qui n’exonèrent pas le comptable de sa responsabilitéqui s’apprécie au moment du paiement.

Le jugement sur les comptes du CHU de Grenoble illustre également la mise en jeu de la responsabilité du comptable pour absencede production des pièces justificatives adéquates et insuffisance du contrôle de l’exacte liquidation, précision étant apportée par laChambre que l’émission d’un titre de recette en vue du recouvrement des sommes payées à tort reste sans effet sur l’engagementde la responsabilité pécuniaire du comptable dès lors que la preuve du recouvrement dudit titre n’est pas apportée.

Jugement du 25 juin 2003Caisse de crédit municipal de Lille

(...) Après avoir entendu M. Gérard Mata-mala, conseiller, en son rapport ;

Ordonne ce qui suit :

En ce qui concerne les exercices 1985 à1994 :

Statuant définitivement,

Injonction nº 1 : prime de responsabi-lité - agents contractuels :

Attendu que, par jugement susvisé du29 mars 2002, il a été enjoint à M. Jean-Claude C... de justifier, dans le délai de deuxmois à compter de la date de notificationdu jugement, du versement dans la Caissede crédit municipal de Lille, au besoin surses deniers propres, de la somme de42 167,90 c, correspondant au paiementd’une prime de responsabilité à des agentscontractuels dudit établissement durant lesexercices 1991 à 1994, ou toute autre jus-tification à sa décharge ;

Attendu que les contrats, arrêtés de recru-tement, de Mmes Cl... et La... et deMM. L...e..., M..., P... et S... ne prévoient pasl’attribution de cette prime et que la déli-bération du 19 novembre 1997, produiteen réponse au premier jugement, neconstitue qu’une autorisation donnéea posteriori non susceptible d’exonérer lecomptable de sa responsabilité ; que dèslors les paiements ne sont appuyésd’aucune pièce justificative ;

Attendu que, dans sa réponse au jugementdu 29 mars 2002, le comptable ne fait valoiraucun élément de contradiction ; qu’iln’apporte pas la preuve du reversement dela somme précitée de 46 167,90 c ;

Attendu qu’ainsi M. Jean-Claude C... setrouve dans le cas prévu par le para-graphe VII de l’article 60 de la loi susviséedu 23 février 1963 ; qu’il y a donc lieu de leconstituer débiteur de la Caisse de créditmunicipal de Lille pour la somme de42 167,90 c ;

Par ces motifs,

– l’injonction nº 1 est levée ;

– M. Jean-Claude C... est constitué débiteurenvers la Caisse de crédit municipal de Lille

de la somme de 42 167,90 c, ce montantportant intérêt à compter du 27 décembre1994, date du dernier paiement.

Injonction nº 2 : prime de responsabi-lité - agents titulaires :

Attendu que, par jugement susvisé du29 mars 2002, il a été enjoint à M. Jean-Claude C... de justifier, dans le délai de deuxmois à compter de la date de notificationdu jugement, du versement dans la Caissede crédit municipal de Lille, au besoin surses deniers propres, de la somme de169 143,60 c, correspondant au paiementd’une prime de responsabilité à des agentstitulaires dudit établissement durant lesexercices 1991 à 1994, ou tout autre justi-fication à sa décharge ;

Attendu que les paiements effectuésn’étaient pas appuyés des pièces justifica-tives prévues en annexe de l’arti-cle D. 1617-19 du Code général des collec-tivités territoriales, que la délibération du19 novembre 1997 produite en réponse aupremier jugement ne constitue qu’uneautorisation donnée a posteriori non sus-ceptible d’exonérer le comptable de sa res-ponsabilité, laquelle s’apprécie au momentdu paiement ;

Attendu que, dans sa réponse au jugementsusvisé du 29 mars 2002, le comptable nefait valoir aucun élément de contradiction ;qu’il n’apporte pas la preuve du reverse-ment de la somme précitée de169 143,60 c ;

Attendu qu’ainsi M. Jean-Claude C... setrouve dans le cas prévu par le para-graphe VII de l’article 60 de la loi susviséedu 23 février 1963 ; qu’il y a donc lieu de leconstituer débiteur de la Caisse de créditmunicipal de Lille pour la somme de169 143,60 c ;

Par ces motifs,

– l’injonction nº 2 est levée ;

– M. Jean-Claude C... est constitué débiteurenvers la Caisse de crédit municipal de Lillede la somme de 169 143,60 c, ce montantportant intérêt à compter du 27 décembre1994, date du dernier paiement.

Injonction nº 3 : honoraires versés àMme H... :

Attendu que, par jugement susvisé du29 mars 2002, il a été enjoint à M. Jean-Claude C... de justifier, dans le délai de deuxmois à compter de la date de notificationdu jugement, du versement en faveur dela Caisse de crédit municipal de Lille, aubesoin sur ses deniers propres, de lasomme de 45 023,04 c correspondant aupaiement d’honoraires pour une étude demaîtrise d’œuvre en 1994 à Mme H..., saufproduction de toute autre justification à sadécharge ;

Attendu que, selon l’article 313 bis du Codedes marchés publics alors en vigueur, lesmarchés d’études sont dits de maîtrised’œuvre lorsqu’ils ont pour objetd’apporter une réponse architecturale,technique et économique au maîtred’ouvrage conformément à la loi nº 85-704du 12 juillet 1985 qui précise en son article 9que la mission de maîtrise d’œuvre donnelieu à une rémunération fixée contractuel-lement ;

Attendu que l’article 314 bis du même codeprévoyait des dispositions spéciales applica-bles aux marchés de maîtrise d’œuvre,ouvrant notamment la possibilité de passerun marché négocié, après mise en compé-tition limitée à l’examen des compétenceset des moyens des candidats, lorsque lemontant estimé du marché était inférieurà 450 000 F ; qu’ainsi, quel que soit leurmontant, les prestations de maîtrised’œuvre doivent faire l’objet d’un contratécrit ;

Attendu que le marché produit en réponseau premier jugement, et daté du28 novembre 1997 est un marché de régu-larisation et ne saurait exonérer le comp-table de sa responsabilité ; que les paie-ments susvisés ont été effectués enl’absence de pièces justificatives prévues àl’annexe de l’article D. 1617-19 du Codegénéral des collectivités territoriales ;

Attendu que, dans sa réponse susvisée aujugement du 29 mars 2002, le comptablene fait valoir aucun élément de contradic-tion ; qu’il n’apporte pas la preuve du rever-sement de la somme de 45 023,04 c ;

Attendu qu’ainsi M. Jean-Claude C... setrouve dans le cas prévu par le

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paragraphe VII de l’article 60 de la loi sus-visée du 23 février 1963 ; qu’il y a donc lieude le constituer débiteur de la Caisse decrédit municipal de Lille pour la somme de45 023,04 c ;

Par ces motifs,

– l’injonction nº 3 est levée ;

– M. Jean-Claude C... est constitué débiteurenvers la Caisse de crédit municipal de Lillede la somme de 45 023,04 c, ce montantportant intérêt à compter du 30 septembre1994, date du dernier paiement.

Injonction nº 4 : honoraires payés aucabinet D... :

Attendu que, par jugement susvisé du29 mars 2002, il a été enjoint à M. Jean-Claude C... de justifier, dans le délai de deuxmois à compter de la date de notificationdu jugement, du versement dans la Caissede crédit municipal de Lille, au besoin surses deniers propres, de la somme de39 777 c correspondant au paiementd’honoraires en 1991 au cabinet D..., outoute autre justification à décharge ;

Attendu qu’au cours de l’exercice 1991, lecabinet D... a bénéficié du paiement dedeux mandats nos 1806 et 1807 du 9 juillet1991 ; que le premier mandat, d’un mon-tant de 266 850 F (40 681,02 c), correspon-dait à des honoraires pour une missiond’analyse des procédures et de l’organisa-tion comptable, et le second, d’un montantde 260 920 F (39 777 c), à des honorairespour une mission de diagnostic et deconseil en restructuration et redressementd’activités ; qu’il ressort des pièces du dos-sier que ces interventions s’inscrivaientdans la préparation du plan de restructura-tion du Crédit municipal de Lille et rele-vaient de la même opération ; qu’elles s’éle-vaient à la somme totale de 527 770 F(80 458,02 c) et auraient dû faire l’objetd’un marché négocié en vertu del’article 308 du Code des marchés publics ;que le défaut de production d’un marchéaurait dû conduire le comptable à sus-pendre le paiement du mandat nº 1807d’un montant de 39 777 c qui a pour effetde dépasser le seuil de 300 000 F au-delàduquel le règlement sur simple mémoiren’était plus possible conformément àl’article 321 du Code des marchés publicsalors applicable ;

Attendu que le marché produit en réponseau premier jugement et daté du28 novembre 1997 de même que la délibé-ration du conseil d’orientation et de surveil-lance du 19 novembre 1997 ne sont passusceptibles d’exonérer le comptable de saresponsabilité, laquelle s’apprécie aumoment du paiement ;

Attendu que, dans sa réponse au jugementdu 29 mars 2002, le comptable ne fait valoiraucun élément de contradiction ; qu’iln’apporte pas la preuve du reversement dela somme de 39 777 c ;

Attendu qu’ainsi M. Jean-Claude C... setrouve dans le cas prévu par le paragraphe VIIde l’article 60 de la loi susvisée du 23 février1963 ; qu’il y a donc lieu de le constituerdébiteur de la Caisse de crédit municipal deLille pour la somme de 39 777 c ;

Par ces motifs,

– l’injonction nº 4 est levée ;

– M. Jean-Claude C... est constitué débiteurenvers la Caisse de crédit municipal de Lille

de la somme de 39 777 c, ce montant por-tant intérêt à compter du 9 juillet 1991,date du paiement.

Conclusions

Nous, commissaire du Gouvernement ;

Vu le rapport nº 2003-0205 communiquépar le greffe de la Chambre, ensemble lespièces à l’appui ;

Avons pris connaissance du rapport susvisésur lequel croyons devoir présenter lesobservations qui suivent ;

Constatons que, par jugement en date du29 mars 2002, votre juridiction a prononcéquatre injonctions de reversement àl’encontre de M. Jean-Claude C..., comp-table de la Caisse de crédit municipal deLille, motivées par le versement d’indem-nités ou d’honoraires sans pièces justifica-tives ; que ces injonctions faisaient suite àun premier jugement en date des 30 et31 janvier 1997 sur les comptes des exer-cices 1985 à 1994 et comportant vingt-quatre injonctions ;

Rappelons que ces deux jugements com-portaient également une réserve relativeaux conditions dans lesquelles les opéra-tions d’actif et de passif de la Caisse decrédit municipal de Calais ont été intégréesdans celle du crédit municipal de Lille ; quecette réserve rédigée dans les termes sui-vants par le premier jugement susvisé :« Réserve est faite jusqu’à régularisation dela situation juridique et comptable de laCaisse de crédit municipal de Calais » a étéreprise à l’identique dans le jugement du29 mars 2002 : « La réserve prononcée aujugement des 30 et 31 janvier 1997, relativeà l’intégration de la Caisse de crédit muni-cipal de Calais, est maintenue jusqu’à larégularisation complète de la situation juri-dique et comptable de la Caisse de créditmunicipal de Calais » ;

Sur le maintien de la réserve :

Relevons que si, lors de son délibéré endate du 29 mars 2002, la Chambre a biendécidé le maintien de la réserve prononcéeau jugement des 30 et 31 janvier 1997, il estégalement indiqué « et à dater du 1er janvier1994 » ; que cette formulation n’a pas étéreprise au jugement qui maintient cetteréserve sur l’ensemble de la période enjugement ; que, dès lors, il vous appar-tiendra de vous prononcer à nouveau surcette mention ;

Rappelons que, conformément aux dispo-sitions de l’article 60, paragraphe I, de laloi nº 63-156 du 23 février 1963 et « quelque soit le lieu où ils exercent leurs fonc-tions, les comptables publics sont person-nellement et pécuniairement responsa-bles... de la tenue de la comptabilité duposte comptable qu’ils dirigent » ; qu’àdéfaut de pouvoir mettre en jeu cette res-ponsabilité par la voie du débet, la Chambrepeut, comme au cas d’espèce, utiliser àtitre conservatoire une réserve sur la ges-tion du comptable ; qu’il importe, néan-moins, que cette réserve soit motivée parune défaillance du comptable qui doit luiêtre clairement exposée et à laquelle il doitêtre mis en demeure d’apporter, dans undélai fixé par la Chambre, toutes explica-tions ou justifications à sa décharge ;

Pensons que la formulation utilisée par laChambre dans les deux jugements susvisés« Réserve est faite jusqu’à la régularisationde la situation juridique et comptable de la

Caisse de crédit municipal de Calais » nerépond pas aux exigences rappelées ci-dessus et pourrait même laisser à penserqu’elle enjoint à M. Jean-Claude C... de régu-lariser une situation qui lui est étrangère ;

Ne sommes pas favorable, compte tenu dece qui précède, au maintien de la réservetelle que formulée précédemment ;

Sur le jugement du compte :

Constatons qu’aucune réponse du comp-table n’a été apportée à la Chambre concer-nant les quatre injonctions formulées parvotre jugement en date du 29 mars 2002 ;qu’en effet, la réponse en date du 9 janvier2003 a trait uniquement aux problèmes decommunications de pièces avec son assu-reur et des éventuels recours dont M. Jean-Claude C... pourrait disposer ; que, comptetenu de la nature de ce courrier, celui-ci afait l’objet d’une réponse, sous notre signa-ture, en date du 16 janvier 2003 ;

Rappelons que si votre rapporteur évoqueégalement la longueur de cette procédure,comme dans nos précédentes conclusions,et des pratiques actuelles de la Chambrequi seraient plus favorables aux comptablespublics pour justifier « en opportunité unemesure de clémence », il appartient égale-ment à la juridiction d’assurer une certainecohérence entre les différentes phasesd’un jugement ; qu’en l’occurrence, il seraitdifficilement compréhensible, alors mêmequ’aucune réponse satisfaisante n’a étéapportée, et à l’issue d’un troisième juge-ment, de constater, de votre part, unabandon de l’ensemble des charges rete-nues à l’encontre de ce comptable public ;

Observons, que le comptable n’a pas satis-fait aux quatre injonctions de versementsformulées par votre jugement susvisé du29 mars 2002 ;

Concluons, en conséquence, par les motifsqui précèdent, au prononcé de quatredébets d’un montant respectif de42 167,90 c (prime de responsabilité –agents contractuels), 169 143,60 c (primede responsabilité – agents titulaires),45 023,04 c (honoraires versés à Mme H...)et 39 777 c (honoraires payés aucabinet D...), lesdits débets portant respec-tivement intérêts à compter des27 décembre 1994 pour les deux premierscas, 30 septembre 1994 et 9 juillet 1991,date du dernier paiement s’agissant dedépenses de nature identique.

Frédéric ADVIELLE.

Jugement du 15 mai 2003CHU de Grenoble

(...) Sur le rapport de M. de Chergé ;

Vu les conclusions du Ministère public ;

Après avoir entendu le conseiller rappor-teur, en ses observations ;

Statuant définitivement,

Ordonne :

Compte de l’exercice 2000 :

Injonction nº 1 à M. L... - Exercice 2000 -Non-respect du seuil prévu à l’article 321du Code des marchés publics applicableen 2000 - Dépassement du seuil de300 000 F (45 734,71 f), de 94 729,94 F(14 441,49 f) - Mandats désignés ci-après :

Attendu que, par le jugement susvisé, laChambre avait relevé que, par mandats des1er décembre 2000, 8 décembre 2000,

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Page 8: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

22 décembre 2000 et 29 décembre 2000, lecomptable M. L... avait payé des travaux demaintenance d’équipements médicaux auprofit de la société O... et que le total desmandats émis à l’encontre de cette sociétépour l’exercice 2000 s’élevait à 414 959,98 F(63 260,24 c), alors que la commande deprestations de maintenance sur simple fac-ture, auprès du même fournisseur au coursde la même année civile, n’était possiblequ’en dessous du seuil de 300 000 F(45 734 c), selon les dispositions del’article 321 du Code des marchés publics,alors applicable ;

Attendu qu’ainsi la responsabilité person-nelle et pécuniaire de M. L... se trouvaitengagée pour l’exercice 2000 en applica-tion des dispositions du paragraphe IV del’article 60 de la loi de finances du 23 février1963 susvisée ;

Attendu qu’il avait été enjoint à M. L... deproduire, dans un délai de deux mois àcompter de la notification du jugementsusvisé, les pièces justifiant le dépassementdu plafond autorisé ou, à défaut, la preuvedu versement dans la caisse du centre hos-pitalier universitaire de Grenoble de lasomme de 14 441,49 c ; qu’il était enconséquence sursis à la décharge de M. L...pour sa gestion du 1er janvier au31 décembre 2000 ;

Attendu que, selon la réponse du comp-table M. L..., enregistrée au greffe de laChambre le 9 avril 2003, le mandatnº 2149-6 du 4 février 2000 correspond àune commande du 10 décembre 1999 etne devrait pas être décompté dans le totaldes règlements de l’exercice 2000 car il aété engagé sur 1999 ; que la société O... esten position monopolistique pour la répara-tion des endoscopes O... ; que lesdemandes d’intervention sont ponctuellessans possibilité de mise en concurrence etqu’aucune prévision de niveau de dépensesne peut être définie raisonnablement pourcontracter un marché ;

Attendu qu’en ce qui concerne le mandatnº 2149-6 du 4 février 2000 rappelé comme« montant non retenu » dans le tableaurécapitulatif, la Chambre avait considéré auvu du bon de livraison du 24 janvier 2000que cette commande était datée du10 décembre 1999 et ne pouvait donc êtreincluse dans le total des mandats pourl’exercice 2000 ; qu’ainsi le total des man-dats litigieux atteint 296 248 F (45 163 c) àpartir du mandat nº 52882-9 et que le seuilde 300 000 F (45 735 c) est dépassé aprèsle mandat nº 52883-0 du 1er décembre2000, soit un cumul irrégulier de94 729,94 F (14 441,49 c) comme indiquédans l’injonction ;

Attendu que le comptable reconnaît que lemontant précité dépasse le seuil de300 000 F (45 734 c) TTC en dessous duquella commande sur simple facture, de ser-vices de nature identique auprès d’unmême fournisseur au cours de la mêmeannée est possible, selon l’interprétationdes dispositions de l’ex-article 321 du Codedes marchés publics ; qu’il reconnaît lesirrégularités pratiquées en matière de com-mande publique mais qu’aucune réquisi-tion ou autre mesure technique n’a étéproduite pour tenter de les atténuer ;qu’en réalité le précédent marché à bonsde commande était arrivé à échéance en

1999 et qu’il n’avait pas été renouvelé avantoctobre 2001 (art. 35-III-4 du nouveau Codedes marchés publics ) ;

Attendu qu’ainsi M. L... n’a pas exercé lecontrôle de l’exactitude des calculs de liqui-dation, selon les dispositions de l’article 13du décret nº 62-1587 du 29 décembre1962 ; que M. L... se trouve dans le cas prévupar le paragraphe VII de l’article 60 de la loisusvisée du 23 février 1963 ; que l’injonc-tion n’ayant pas été satisfaite, il y a lieu dele constituer débiteur du centre hospitalieruniversitaire de Grenoble pour la somme de14 441,49 c ;

Attendu que, aux termes du paragraphe VIIIde l’article 60 de la loi précitée du 23 février1963, « les débets portent intérêt au tauxlégal à compter de la date du fait généra-teur ou, si cette date ne peut être fixéeavec précision, à compter de celle de leurdécouverte » ; qu’en l’espèce, cette dateest celle du dernier paiement litigieux del’exercice 2000, soit le 8 février 2000 ;

M. L... est constitué débiteur du centre hos-pitalier universitaire de Grenoble pour lasomme de 14 441,49 c, augmentée desintérêts de droit à compter du 8 février2000 ;

La décharge de M. L... à l’encontre duquela été prononcé un débet ne pourra êtredonnée qu’après apurement du débet ci-dessus prononcé ;

Injonction nº 2 à M. L... - Exercice 2000 -Paiement indu d’une indemnité pourun montant de 80 151,21 F (12 218,97 h) -Mandats désignés ci-après :

Attendu que, par le jugement susvisé, laChambre avait relevé que, par mandats des25 janvier 2000, 18 février 2000, 20 mars2000, 18 avril 2000, 22 mai 2000, 20 juin2000, 24 juillet 2000, 16 août 2000, 22 sep-tembre 2000, 19 octobre 2000,21 novembre 2000 et 19 décembre 2000,le comptable M. L... avait payé à M. ThierryB..., ingénieur en chef contractuel, uneprime de technicité codifiée 140 sur sonbulletin de paie pour un montant total de80 151,21 F (12 218,97 c) en 2000 ;

Attendu que cette prime de technicité avaitété versée sans avoir été ni prévue aucontrat de M. B... ni autorisée par une déci-sion de l’ordonnateur ; que le décretnº 91-870 du 5 septembre 1991 ne pré-voyait aucunement son versement à unagent contractuel ; qu’ainsi la responsabi-lité personnelle et pécuniaire de M. L... setrouvait engagée pour l’exercice 2000 enapplication des dispositions du para-graphe IV de l’article 60 de la loi de financesdu 23 février 1963 susvisée ;

Attendu qu’il avait été enjoint à M. L... deproduire, dans un délai de deux mois àcompter de la notification du jugementsusvisé, les pièces attestant de la correcteliquidation préalable au paiement de laditeindemnité, ou, à défaut, la preuve du ver-sement dans la caisse du centre hospitalieruniversitaire de Grenoble de la somme de12 218,97 c ; qu’il était en conséquencesursis à la décharge de M. L... pour sa ges-tion du 1er janvier au 31 décembre 2000 ;

Attendu que, selon la réponse du comptableenregistrée au greffe de la Chambre les13 mars et 9 avril 2003, le contrat de recru-tement de M. B... du 4 décembre 1989 pré-voyait l’application d’une grille indiciaire desagents techniques-chefs au 8e échelon,

indice brut 579 et majoré 483, ainsi que leversement d’une prime de service et d’uneprime des 13 heures ; qu’après plusieursavenants, M. B... a été rémunéré selon lagrille des ingénieurs en chef à l’échelon 5 au1er août 2000 et que la prime de technicitélui a été versée sans modification de contraten remplacement des primes de service etdes 13 heures pour un montant en 2000 de80 151,21 F (12 218,97 c) brut, soit 66 325 F(10 111 c) net des cotisations sociales ;

Attendu que le comptable reconnaîtqu’aucun avenant au contrat de M. B... niaucune décision de l’ordonnateur n’ontprévu le versement de la prime de techni-cité ; que le comptable a effectué de lui-même une compensation avec d’autresindemnités sans expliciter pourquoi cesindemnités ne sont plus versées à M. B... ;que cette compensation entre primes nerepose sur aucune décision ; que si les deuxprimes en cause ne pouvaient plus être ver-sées à M. B..., un avenant devait le prévoiret envisager l’octroi d’une autre indemnitéparticulière ;

Attendu que le comptable aurait dû sus-pendre le paiement de cette indemnité auvu du contrat de M. B... et des dispositionsdu décret nº 91-870 du 5 septembre 1991 ;

Attendu que le comptable a reconnu avoirversé à M. B... un trop-perçu de 40 279 F(6 143 c) ; que le total des primes dues en2000 était en réalité de 26 046 F (3 971 c),soit 12 436 F (1 896 c) pour la prime de ser-vice nette et 13 610 F (2 075 c) pour laprime de 13 heures (« indemnité de sujé-tion ») nette ; qu’un titre de recettenº 56242 de 6 143 c a été émis le 10 mars2003 et mis en paiement le 8 avril 2003 surle compte 77288 au nom de M. B... ; que ledécompte des charges sociales de ce trop-perçu sera prochainement intégré dans leséchéances globales de l’établissement ;

Attendu que la Chambre prend acte du titrede recette de 6 143 c produit en réponsepar le comptable ; que toutefois le montantde l’injonction portait sur un montant brutde 80 151,21 F (12 218,97 c) à reverser ;qu’en outre, la preuve de l’encaissementdu titre de recette dans la caisse du centrehospitalier universitaire de Grenoble n’a pasété apportée ; qu’ainsi l’injonction n’a pasété satisfaite ;

Attendu que M. L... n’a pas exercé lecontrôle de l’exactitude des calculs de liqui-dation, selon les dispositions de l’article 13du décret nº 62-1587 du 29 décembre1962 ; que M. L... se trouve dans le cas prévupar le paragraphe VII de l’article 60 de la loisusvisée du 23 février 1963 ; que l’injonc-tion n’ayant pas été satisfaite, il y a lieu dele constituer débiteur du centre hospitalieruniversitaire de Grenoble pour la somme de12 218,97 c ;

Attendu que, aux termes du paragraphe VIIIde l’article 60 de la loi précitée du 23 février1963, « les débets portent intérêt au tauxlégal à compter de la date du fait généra-teur ou, si cette date ne peut être fixéeavec précision, à compter de celle de leurdécouverte » ; qu’en l’espèce, cette dateest celle du dernier paiement litigieux del’exercice 2000, soit le 22 décembre 2000 ;

M. L... est constitué débiteur du centre hos-pitalier universitaire de Grenoble pour lasomme de 12 218,97 c, augmentée desintérêts de droit à compter du22 décembre 2000. (...)

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Clefs proposées (base Jade) : 18-01-04-07 : (gestion de fait) � 18-01-04-07-01 : (procédure [non-lieu provisoire et défi-nitif]) � 18-01-04-04-06 : (audience publique).

CRC d’Ile-de-France, jugement nº 03-687 J du 26 juin 2003 (lecture du 25 juillet 2003), Syndicat mixte « Agence de gestionet développement informatique » (AGEDI).

Résumé : Sur réquisitions du Ministère public la CRC d’Ile-de-France a ouvert une instruction en vue de l’ouverture d’une procédurede gestion de fait des deniers du syndicat mixte AGEDI, et a examiné en particulier les mouvements de fonds intervenus entre cetétablissement public de coopération intercommunale et une association du même nom. L’instruction a permis d’établir que certainessommes irrégulièrement perçues par l’association avaient été intégralement rétrocédées au syndicat mixte. D’autres versementseffectués au profit de la même association étaient par ailleurs fondés sur des délibérations prises par le conseil d’administration del’EPCI. La juridiction, considérant que la gestion de fait n’était pas constituée, a prononcé par un premier jugement un non-lieuprovisoire. Par un second jugement rendu en audience publique, la chambre régionale statuant définitivement a confirmé le non-lieuà déclaration de gestion de fait.

Références jurisprudentielles :

• juridictions financières : sur des hypothèses de régularisation : CC, 3 octobre 1990, Hôpital du Rouvray � CC, 4e Ch., 28 octobre1999, Office de tourisme de Thonon-les-Bains � sur un moyen tiré du défaut d’audience publique avant l’entrée en vigueurde la loi du 21 décembre 2001 : CC, 4e Ch., 2 mai 2002, Commune de Noisy-le-Grand � sur l’applicabilité des stipulations del’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme : CEDH, req. nº 53929/00, 7 octobre 2003,Mme R... c/ France.

Textes de référence : Code des juridictions financières (notamment art. L. 241-13, R. 245-1 et R. 241-30) � loi de finances nº 63-156du 23 février 1963, notamment son article 60-XI � décret nº 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur lacomptabilité publique.

Doctrine : Juris-classeur nº 1265, Christian Descheemaeker, éd. 2001, nos 24 et s. ; nos 224 et s. � Francis-J. Fabre et Anne Froment-Meurice, « Grands arrêts de la jurisprudence financière », Sirey, 4e éd., notamment nº 29, p. 261 et s. � Jacques Magnet, « Les gestionsde fait », LGDJ, éd. 1998, p. 87-89 et 92-93) � J.-Y. Bertucci et A. Doyelle, chronique AJDA 1997, nº 11, p. 852-862 � ChristianDescheemaeker, La Revue du Trésor, nº 5, mai 1998, p. 244, l’audience publique dans les juridictions financières � J.-Y. Bertucci,Courrier juridique des finances et de l’industrie, nº 18, décembre 2002, présentation du décret d’application de la loi du 21 décembre2001 � M. Rigou, P. Sitbon et Eric Thévenon, Observations et contrôles des CRC, La lettre du cadre, éd. 2002, introduction etp. 159 � Chronique P. Rocca et P. Sitbon, La Revue du Trésor, mai 2003, p. 290, et octobre 2003.

Commentaires : Deux précédentes chroniques de La Revue du Trésor (mai et octobre 2003) ont évoqué des hypothèses de non-lieupour défaut d’intérêt pratique et brièvement analysé la notion de régularisation en matière de gestion de fait. Dans l’espèce AGEDI,on retrouve pour partie un cas de régularisation puisque certains fonds indûment encaissés par l’association ont fait l’objet, ainsi quela Chambre l’a vérifié, d’un complet reversement avec prise en charge par le comptable public, ce qui constitue selon la jurisprudencedu juge d’appel (arrêts Hôpital du Rouvray et Office de tourisme de Thonon-les-Bains sus-référencés) une « véritable » régularisation.Les autres faits portés à la connaissance de la juridiction justifient également le non-lieu car, en présence de délibérations exécutoiresdu conseil d’administration, l’encaissement par l’association AGEDI de certains concours financiers de la part du syndicat mixte nepouvait être qualifié d’extraction irrégulière de deniers publics.

Si les motivations du jugement appellent peu de commentaires, certains aspects de la procédure méritent une mention succincte.On constatera, en premier lieu, que la Chambre a prononcé un non-lieu provisoire avant de statuer à titre définitif. Une telledémarche, qui confère une pleine ampleur à la règle du double arrêt, tranche avec la pratique courante des juridictions financièresqui, lorsque la gestion de fait n’est pas constituée, mettent fin à l’instance par un jugement, ou un arrêt, qui est « immédiatementdéfinitif » pour reprendre la formule de J. Magnet. Si la pratique du non-lieu provisoire ne s’impose pas, elle présente de réelsintérêts et, comme telle, est parfois utilisée par la Cour en matière d’amende comme en matière de gestion de fait. Le prononcéd’un non-lieu provisoire à déclaration de gestion de fait ou à amende permet, dans certaines affaires délicates, de recueillir, avantla fin de la procédure contradictoire, les observations des personnes susceptibles d’être déclarées comptables de fait, ainsi que del’ordonnateur dont on rappelle qu’il pourra dans une phase ultérieure interjeter appel d’un éventuel jugement de non-lieu définitif.Observons cependant que le silence gardé par l’ordonnateur au stade du non-lieu provisoire ne saurait lui ôter son intérêt à agirpar la voie de l’appel.

Conformément aux textes, seul le jugement statuant à titre définitif sur le non-lieu, et non celui prononçant un non-lieu provisoire,a été rendu en audience publique. L’audience publique, antérieurement réservée aux jugements définitifs en matière d’amende, aété étendue aux jugements de gestion de fait par la loi nº 2001-1948 du 21 décembre 2001 (art. L. 241-3 du CJF). Le décret d’applicationnº 2002-1201 du 27 septembre 2002 précise, en son article R. 245-1, que « sont publiques les séances de jugement au cours desquellesla chambre régionale des comptes statue à titre définitif sur une gestion de fait ou sur une amende », ce qui inclut les jugements denon-lieu par lesquels la juridiction clôt l’instance. Avant l’entrée en vigueur de ces dispositions, les juridictions financières ne retenaientpas les moyens tirés du défaut d’audience publique en matière de gestion de fait considérant que les stipulations de l’article 6 de laConvention européenne des droits de l’homme étaient inapplicables à de telles procédures. On relèvera cependant que, par unedécision récente qui fera sans doute l’objet de nombreux commentaires, la CEDH a considéré au contraire que lesdites stipulationsétaient bien applicables aux jugements de gestion de fait en se fondant sur le fait que, dans ces procédures, les contestations portentsur des obligations de caractère civil.

Vu le Code des juridictions financières,notamment ses articles L. 131-11, L. 211-1,L. 231-3, L. 231-5 et L. 231-11, R. 212.19 etR. 231.14 ;

Vu le Code général des collectivités territo-riales, notamment son article L. 2242-3 ;

Vu le Code civil, notamment ses arti-cles 894, 944 et 945 ;

Vu l’article 60-XI de la loi nº 63-156 du23 février 1963 modifiée ;

Vu les réquisitions en date du 19 mai 2000du commissaire du Gouvernement près lachambre régionale des comptes d’Ile-de-

France tendant à ce qu’il plaise à la juridic-tion financière d’ouvrir une procédure envue de déclarer certaines opérations rele-vées, constitutives de gestion de fait desdeniers du syndicat mixte « Agence de ges-tion et développement informatique »(AGEDI) ;

Vu les statuts en date du 3 novembre 1987,modifiés, de l’association « Association degestion et développement informatique »(AGEDI) ;

Vu l’arrêté du préfet de la Seine-et-Marne,en date du 22 janvier 1998, créant le syn-dicat mixte dénommé « Agence de gestionet développement informatique » ;

Vu les éléments recueillis au cours del’instruction, notamment les comptes dusyndicat mixte « Agence de gestion et dedéveloppement informatique » pour lesexercices 1998 à 2001 ainsi que la lettre duprésident de l’Association de gestion etdéveloppement informatique, en date du30 octobre 2002, adressée à la Chambre enréponse à la demande de communicationde pièces qui lui avait été faite le 1er octobre2002 ;

Vu le jugement du 18 décembre 2002rendu à titre provisoire par lequel lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France a jugé qu’il n’y avait pas lieu à

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déclaration de gestion de fait des deniersdu syndicat mixte « Agence de gestion etdéveloppement informatique » en ce quiconcerne les faits ci-dessus évoqués,notifié au président dudit syndicat, le28 janvier 2003 ;

Vu la lettre du greffier de la Chambre, endate du 11 juin 2003, informant le présidentdu syndicat mixte « Agence de gestion etdéveloppement informatique » de l’ordredu jour de l’audience publique du 26 juin2003 ;

Vu la lettre en date du 24 juin 2003, enre-gistrée le 26 juin 2003, émanant du prési-dent du syndicat mixte « Agence de gestionet développement informatique » parlequel celui-ci a fait connaître à la Chambrequ’il ne pourrait se rendre à l’audience du26 juin 2003 ;

Vu les conclusions du commissaire du Gou-vernement ;

Après avoir entendu en audience publiqueM. Mesmin d’Estienne, conseiller, en sonrapport, M. Genetaud, commissaire du Gou-vernement, en ses conclusions orales ;

Après avoir délibéré hors la présence durapporteur ;

Attendu que l’association dénommée« Association de gestion et développementinformatique » (AGEDI), créée le 3 novembre1987, dont le siège social était implantédans la commune de Brageac (15700) dansle Cantal avant d’être transféré en 1996 enla mairie de Dhuisy dans le département dela Seine-et-Marne, a pour objet, ainsi que lestipule l’article premier de ses statuts, de :« susciter, d’appuyer et de développertoute initiative visant à la réalisation de pro-jets et à la fourniture de prestations de ser-vices, de conseils, dans le domaine écono-mique, de nature à créer des emplois,notamment en milieu rural, ainsi que dansle domaine de l’information, de la forma-tion et de la communication » ; que cetteassociation a été dissoute au cours del’année 2000 ;

Attendu que le syndicat mixte dénommé,quant à lui, « Agence de gestion et déve-loppement informatique » (AGEDI), et dontle siège a été fixé en la commune de Dhuisy(77440), a été créé par arrêté du préfet dela Seine-et-Marne nº 3 B 98, en date du22 janvier 1998 ; que ce syndicat, ainsi quele précisent ses statuts tels qu’annexés àl’arrêté préfectoral précité du 22 janvier1998, a pour objet : « le développement del’informatisation des communes et établis-sements publics membres du syndicat, lafourniture de logiciels et matériels informa-tiques, bureautiques et télématiques, lafourniture de prestations de services liéesà l’informatique, à la communication et à laformation, la diffusion d’informations rela-tives à l’informatique auprès des collecti-vités territoriales, des groupements de col-lectivités territoriales et d’autres personnesmorales de droit public et la réalisationd’études pour l’informatisation de la ges-tion »;

I. En ce qui concerne l’encaissementpar l’association de fonds destinés ausyndicat :

Attendu, en premier lieu, que s’il estconstant que le bureau du syndicat mixte« Agence de gestion et de développementinformatique » a approuvé, par délibérationdu 7 octobre 1999, la convention intitulée« convention portant transfert de fonds au

profit d’un établissement public », concluele 15 mai 1998 avec l’Association de gestionet de développement informatique et quecette convention avait pour objet « de per-mettre à l’association... de manier et mani-puler les sommes reçues en lieu et place dusyndicat mixte, à l’effet de se libérer de cesfonds publics par restitution au profit dusyndicat mixte AGEDI » et qu’il y était stipuléque « l’association procédera au reverse-ment des fonds publics détenus pour lecompte du syndicat mixte AGEDI, chaquefois que les sommes reçues apparaîtrontsignificatives et au moins une fois l’an », ilressort des pièces du dossier que le comitédu syndicat mixte « AGEDI » a procédé, dèsle 21 février 2000, au retrait de ladite déli-bération ;

Attendu, en second lieu, que si le trésorierde Lizy-sur-Ourcq, comptable du syndicat,a produit un état en date du 16 décembre1998 ainsi que trois états en date des23 juin, 6 août et 10 septembre 1999 attes-tant de l’encaissement par l’association derecettes destinées au syndicat, pour desmontants respectifs de 63 520,10 F,41 365,80 F et 2 773,80 F, il résulte de l’ins-truction qu’il a bien été procédé par l’asso-ciation au reversement effectif de cessommes pour leur montant exact ;

Considérant que la seule circonstance quel’émission des titres de recettes par le syn-dicat AGEDI en direction de ses adhérents,ait donné lieu, de la part de ces collectivités,à des règlements au profit de l’associationAGEDI qui a procédé à leur encaissementavant d’en virer, par la suite, le montantaudit syndicat, ne saurait suffire à établirque l’association AGEDI s’est irrégulière-ment ingérée dans le recouvrement derecettes destinées à la personne publique,dès lors que ces recettes ont été effective-ment encaissées par le syndicat ;

II. En ce qui concerne l’encaissementpar le syndicat d’un concours financierde 600 000 F octroyé par l’association etsa restitution partielle :

Attendu, en premier lieu, que l’apport encapital d’un montant de 600 000 F, consentipar l’association AGEDI au syndicat dumême nom lors de sa création en 1998, nepouvait provenir de recettes qui auraientdû, en raison de leur nature, être encais-sées par la seule personne publique, dèslors que la décision de dissolution de l’asso-ciation a été concomitante à la création en1998 du syndicat, même si les opérationsaccompagnant cette dissolution n’ontconnu leur achèvement qu’au cours del’année 2000 ; que, par suite, la constitutionde cet apport initial de 600 000 F ne peutêtre considérée comme le résultat d’uneactivité qu’il appartenait au seul syndicatmixte d’exercer ;

Attendu, en second lieu, qu’il ressort destermes itératifs de la délibération du comitésyndical en date du 27 décembre 1999 etde la nouvelle délibération du mêmecomité en date du 5 novembre 2000, quel’apport initial de 600 000 F a eu le caractèred’un don ; que ce don a été accepté par lesyndicat par une délibération du comitésyndical en date du 7 février 1998 dont lepréfet de Seine-et-Marne a été rendu des-tinataire au titre du contrôle de légalité qu’ilexerce ;

Attendu, en troisième lieu, qu’aux termesde l’article 894 du Code civil : « La donationentre vifs est un acte par lequel le donateur

se dépouille actuellement et irrévocable-ment de la chose donnée, en faveur dudonataire qui l’accepte » et que l’article 944du même code précise que : « Toute dona-tion entre vifs faite sous des conditionsdont l’exécution dépend de la seule volontédu donateur, sera nulle » ; qu’aux termesde l’article 945 dudit code : « Elle [toutedonation] sera pareillement nulle, si elle aété faite sous la condition d’acquitterd’autres dettes ou charges que celles quiexistaient à l’époque de la donation ou quiseraient exprimées, soit dans l’acte dedonation, soit dans l’état qui devrait y êtreannexé » ;

Attendu que si le syndicat a restitué à l’asso-ciation AGEDI une fraction du don qu’il avaitreçu, ce remboursement d’un montant de370 000 F a été autorisé par une délibéra-tion du comité syndical en date du27 décembre 1999, reçue par la préfecturede la Seine-et-Marne, le 30 décembre 1999 ;que pour justifier cette restitution partielledu don initialement consenti au syndicat,l’association AGEDI a produit, d’une part, lacopie de la délibération de son conseild’administration du 11 novembre 1997accordant ce don, « associé d’une réserveselon laquelle en cas de nécessité pourrégler sa dette fiscale le moment venu,l’association puisse réclamer au syndicattoute ou partie du remboursement decette somme de 600 000 F » et, d’autrepart, la copie des pièces reçues des servicesfiscaux, établissant qu’une procédurede redressement était engagée à sonencontre et que le règlement du complé-ment d’impôt qui lui a été assigné avait puêtre effectué grâce aux fonds ainsi réunis ;que cette dette fiscale, existante à la datede la donation, était parfaitement connue,tant du donateur que du donataire, et qu’ilrésulte de l’instruction que la communeintention des parties était de laisser lacharge du règlement de la dette fiscalepesant sur l’association AGEDI au syndicatmixte ;

Considérant que la donation, sous condi-tion de payer les dettes existantes de l’asso-ciation ainsi que les charges grevantcelle-ci, a été consentie et acceptée par lesyndicat et que le remboursement, parcelui-ci, d’une fraction de ce don pouvaitêtre décidé, sans que cette restitutionpuisse être assimilée à l’attribution d’unesubvention ; que le reversement par le syn-dicat mixte de la somme de 370 000 F àl’association AGEDI ne peut donc, en consé-quence, être considéré comme une extrac-tion irrégulière de deniers publics ;

III. En ce qui concerne l’ensemble desmouvements financiers et de mise àdispositions de matériels et de locauxintervenus entre le syndicat et l’asso-ciation :

Considérant que s’il ne ressort pas del’ensemble des pièces contenues au dossierque les opérations de dissolution de l’asso-ciation AGEDI, que visaient les dispositionsde l’article X de ses statuts, aient revêtu lesformes et procédures prescrites à cet effet,notamment celles contenues à l’article 14du décret du 16 août 1901, cette seule cir-constance n’est pas de nature à donner,tant à l’octroi par l’association AGEDI d’undon de 600 000 F au syndicat AGEDI, qu’auxopérations de mise à la disposition dumême syndicat de matériels et de locaux,un caractère de maniement irrégulier dedeniers publics ;

chronique financière

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IV. En ce qui concerne le paiement decertaines dépenses de fonctionnementdu syndicat :

Considérant que s’il ressort des pièces dela comptabilité du syndicat mixte AGEDIafférentes aux exercices 1998 et 1999 queledit syndicat a servi de support financierpour la réalisation de plusieurs dépensesd’achat d’équipements et de travauxd’entretien destinés à un local dont l’usageexclusif au profit de cette personnepublique n’a pas été encore démontré, lesconditions dans lesquelles lesditesdépenses ont été effectuées ne relèventpas d’un mandatement fictif et ne sau-raient, par suite, suffire à justifier que laqualification d’extraction irrégulière dedeniers publics soit donnée auxdites opé-rations ;

Considérant, qu’il résulte de tout ce quiprécède, qu’il n’y a pas lieu à déclaration degestion de fait des deniers du syndicatmixte « Agence de gestion et développe-ment informatique » ;

Par ces motifs,

Statuant définitivement,

Dit n’y avoir lieu à déclaration de gestion defait des deniers du syndicat mixte « Agencede gestion et développement informa-tique » en ce qui concerne les faits ci-dessusévoqués ;

Conclusions (juin 2003)

Nous, commissaire du Gouvernement prèsla Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France,

Vu le Code des juridictions financières,

Vu le rapport revêtu du soit-communiquéde M. le Président de la Chambre régionaledes comptes,

Vu les pièces annexées audit rapport,

Avons pris connaissance du rapport susvisésur lequel nous formulons les observationssuivantes.

Sur l’origine de l’instance :

Rappelons que le Ministère public près lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France, suite à une communication du tré-sorier-payeur général de la Seine-et-Marne,effectuée dans le cadre de l’articleR. 212-19 du Code des juridictions finan-cières (CJF), a, par réquisitions du 19 mai2000, invité la Chambre à ouvrir une procé-dure visant à déclarer des opérations réali-sées par l’« Agence de gestion et de déve-loppement informatique » (AGEDI),constitutives de gestion de fait des deniersdu syndicat mixte, lui-même dénommé« Agence de gestion et de développementinformatique » (AGEDI).

Sur les faits susceptibles de constituerune gestion de fait :

Selon les informations communiquées parle trésorier-payeur général de Seine-et-Marne, le siège du syndicat mixte AGEDI,créé par arrêté préfectoral du 22 janvier1998 et comprenant à l’origine trente-deux communes situées dans douze dépar-tements, est localisé à la mairie de Dhuisy(77), laquelle héberge également le siègesocial d’une association de la loi du 1er juillet1901, AGEDI, fondée le 3 novembre 1987 ;par délibération nº 99/32 du 7 octobre1999, le bureau du syndicat a approuvé unprojet de convention portant habilitationde l’association à manipuler les fonds

publics reçus en lieu et place du syndicat,en vue de leur reversement audit syndicat(versements relatifs à des titres de recettesémis par le syndicat et recouvrés par l’asso-ciation) ; différents mouvements financierset de mise à disposition de matériels et delocaux seraient par ailleurs intervenus,entre l’association et le syndicat, accrois-sant la confusion juridique et patrimonialeexistant entre les deux entités, sises aumême lieu ; il pouvait être supposé, à partirde ces divers éléments, que l’associationAGEDI se serait ingérée dans le recouvre-ment de recettes destinées au syndicat dumême nom.

L’association aurait pu ainsi, dans le cadredes relations financières qu’elle a entrete-nues avec le syndicat, « servir d’intermé-diaire » dans le recouvrement de recettesdestinées à l’organisme public, en procé-dant à l’encaissement de sommes régléespar les collectivités adhérentes au syndicat,en contrepartie de titres émis par ce der-nier, et dont le montant aurait pu être fixéprovisoirement, selon les informationscommuniquées par le comptable du syn-dicat, à 143 219,10 F (21 833,61 c) ; l’asso-ciation avait par ailleurs consenti au syn-dicat, lors de sa création, un apport de600 000 F, somme qualifiée de don, maisqui aurait pu, le cas échéant, provenir derecettes qui auraient dû revenir au syndicat.

Il appartenait donc à la Chambre de déter-miner si, au vu des mouvements de fondsci-dessus décrits, des deniers syndicauxavaient été indûment détenus ou maniéssoit à raison de leur encaissement sans titre,soit de leur extraction irrégulière de lacaisse du comptable, ce qui aurait conduitla juridiction à prononcer une déclarationde gestion de fait, en application del’article 60-XI de la loi nº 63-156 du 23 février1963.

Sur la qualification des faits après ins-truction :

Rappelons, en nous référant pour cela ànos précédentes conclusions, et pour s’entenir aux grandes lignes, qu’au terme del’instruction conduite par le magistrat rap-porteur désigné à cet effet, il apparaissaitque le risque de comptabilité de fait devaitbeaucoup à la situation confuse entretenuepar la création du syndicat mixte « AGEDI »,en 1998, appelée à reprendre les compé-tences de l’association homonyme, dans lapériode transitoire qui s’en est suivie, etqu’au vu des pièces du dossier, les élé-ments matériels permettant d’identifierune comptabilité de fait manquaient sur lesdifférents points.

La convention portant transfert de fondsentre l’association appelée à disparaître etle syndicat mixte devait être regardéecomme l’instrument par lequel l’associa-tion se vidait les mains de sommes quidevaient désormais revenir au syndicatmixte, sommes qu’elle avait reçues indû-ment mais sans les solliciter, et que lerythme des versements au profit de l’éta-blissement public ne permettait pas deconclure à la détention irrégulière dedeniers syndicaux par l’association ;

L’apport initial de 600 000 F consenti parl’association au syndicat mixte n’était paspour des raisons identiques constitutif degestion de fait et la réserve, dont l’associa-tion avait assorti ce don, de réclamer lessommes nécessaires à l’acquittement dedettes fiscales, ne modifiait en rien cettesolution.

Concluons ainsi :

– que l’AGEDI n’avait ni détenu durable-ment, ni autrement que par le jeu normald’une confusion entre deux personnesmorales dont l’une succédant à l’autre, nimanié, autrement que pour les remettre àson bénéficiaire, de sommes devant revenirau syndicat mixte ;

– que celui-ci n’avait pas versé à l’associa-tion de sommes dont l’usage aurait étédéterminé à l’insu de l’établissement publicet en méconnaissance des obligations del’association.

Sur le déroulement de la procédure :

Après avoir délibéré sur l’affaire, laChambre régionale des comptes, statuantà titre provisoire, par jugement du18 décembre 2002, notifié aux parties le27 janvier 2003, a dit qu’il n’y avait pas lieuà déclaration de gestion de fait des deniersdu syndicat mixte « Agence de gestion etdéveloppement informatique » (AGEDI).

Cette audience publique se tient en appli-cation de l’article R. 245-1 du Code des juri-dictions financières, issu du décretnº 2002-1201 du 27 septembre 2002, quidispose que « sont publiques les séances dejugement au cours desquelles la chambrerégionale des comptes statue à titre défi-nitif sur une gestion de fait ou sur uneamende ».

Concluons que la juridiction, après avoirconstaté lors de cette audience qu’aucunélément nouveau n’est intervenu depuis lanotification du jugement susvisé, pourradécider, statuant à titre définitif, qu’il n’y apas lieu à déclaration de gestion de fait desdeniers du syndicat mixte AGEDI.

Gilles MILLER.

Conclusions (décembre 2002)

Nous, commissaire du Gouvernement prèsla chambre régionale des comptes d’Ile-de-France,

Vu le Code des juridictions financières ;

Vu le rapport revêtu du soit-communiquéde M. le Président de la chambre régionaledes comptes ;

Vu les pièces annexées audit rapport ;

Avons pris connaissance du rapport susvisésur lequel nous formulons les observationssuivantes.

Sur l’origine de l’instance :

Rappelons que le Ministère public près lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France, suite à une communication du tré-sorier-payeur général de la Seine-et-Marne,effectuée dans le cadre de l’articleR. 212-19 du Code des juridictions finan-cières (CJF), a, par réquisitions du 19 mai2000, invité la Chambre à ouvrir une procé-dure visant à déclarer des opérations réali-sées par l’« Agence de gestion et de déve-loppement informatique » (AGEDI),constitutives de gestion de fait des deniersdu syndicat mixte, lui-même dénommé« Agence de gestion et de développementinformatique » (AGEDI).

Nous référons, par ailleurs, aux observa-tions développées dans nos précédentesconclusions sur la même affaire (nº 664/GF/2002 du 24 mai 2002).

Sur les faits :

Selon les informations communiquées parle trésorier-payeur général de Seine-et-Marne, le siège du syndicat mixte AGEDI,

chronique financière

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Page 12: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

créé par arrêté préfectoral du 22 janvier1998 et comprenant à l’origine trente-deux communes situées dans douze dépar-tements, est localisé à la mairie de Dhuisy(77), laquelle héberge également le siègesocial d’une association de la loi du 1er juillet1901, AGEDI, fondée le 3 novembre 1987 ;apparemment, les communes membresayant considéré que le régime associatifétait mal adapté aux règles de fonctionne-ment des collectivités locales et auxcontraintes de la comptabilité publique,l’association laisse place à un syndicat mixteportant la même dénomination ; par délibé-ration nº 99/32 du 7 octobre 1999, le bureaudu syndicat a approuvé un projet deconvention portant habilitation de l’associa-tion à manipuler les fonds publics reçus enlieu et place du syndicat, en vue de leurreversement audit syndicat (versementsrelatifs à des titres de recettes émis par lesyndicat et recouvrés par l’association) ; dif-férents mouvements financiers et de miseà disposition de matériels et de locauxseraient par ailleurs intervenus, entre l’asso-ciation et le syndicat, accroissant la confu-sion juridique et patrimoniale existant entreles deux entités, sises au même lieu ; il pou-vait être supposé, à partir de ces divers élé-ments, que l’association AGEDI se seraitingérée dans le recouvrement de recettesdestinées au syndicat du même nom.

Relevons que la délibération nº 99/32 ci-dessus mentionnée a fait l’objet d’une déci-sion de retrait, prise par le syndicat le21 février 2000, alors qu’elle avait étédéférée devant le tribunal administratif parle préfet de Seine-et-Marne ; que toutefois,la convention litigieuse aurait pu recevoirun commencement d’application, dans lamesure où elle avait été conclue le 15 mai1998 (convention conclue entre l’associa-tion et le syndicat, ayant notamment pourobjet de permettre la régularisation desopérations enregistrées dans les comptesde l’association, postérieurement à la créa-tion du syndicat (le 22 janvier 1998).

L’association aurait pu ainsi, dans le cadredes relations financières qu’elle a entrete-nues avec le syndicat, « servir d’intermé-diaire » dans le recouvrement de recettesdestinées à l’organisme public, en procé-dant à l’encaissement de sommes régléespar les collectivités adhérentes au syndicat,en contrepartie de titres émis par ce der-nier, et dont le montant pourrait être fixéprovisoirement, selon les informationscommuniquées par le comptable du syn-dicat, à 143 219,10 F (21 833,61 c) ; l’asso-ciation a par ailleurs consenti au syndicat,lors de sa création, un apport de 600 000 F,somme qualifiée de don, mais qui pourrait,le cas échéant, provenir de recettes quiauraient dû revenir au syndicat.

Sur la qualification des faits :

L’article 60-XI de la loi nº 63-156 du23 février 1963 dispose notamment que

« toute personne qui sans avoir la qualitéde comptable public ou sans agir sous lecontrôle et pour le compte d’un comptablepublic, s’ingère dans le recouvrement derecettes affectées ou destinées à un orga-nisme public doté d’un poste comptable oudépendant d’un tel poste doit, nonobstantles poursuites qui pourraient être engagéesdevant les juridictions répressives, doitrendre compte au juge financier del’emploi des fonds ou valeurs qu’elle a irré-gulièrement détenus ou maniés. Il en estde même pour toute personne qui reçoitou manie directement ou indirectementdes fonds ou valeurs extraits irrégulière-ment de la caisse d’un organisme public etpour toute personne qui, sans avoir la qua-lité de comptable public, procède à desopérations portant sur des fonds ou valeursn’appartenant pas aux organismes publicsmais que les comptables publics sont exclu-sivement chargés d’exécuter en vertu de laréglementation en vigueur ».

Il appartient donc à la Chambre de déter-miner si, au vu des mouvements de fondsci-dessus décrits, des deniers syndicaux ontété indûment détenus ou maniés soit àraison de leur encaissement sans titre, soitde leur extraction irrégulière de la caisse ducomptable.

Rappelons que les réquisitions envisa-geaient trois situations qui ont été exami-nées dans le présent rapport :

– « ... le bureau du syndicat mixte aapprouvé un projet de convention portanthabilitation de l’association à manipuler lesfonds publics reçus en lieu et place du syn-dicat mixte en vue de leur reversementaudit syndicat, des versements relatifs à destitres de recettes émis par le syndicat ayantété recouvrés par l’association » ;

– « ... que différents mouvements finan-ciers et de mise à disposition de maté-riels et de locaux sont intervenus entrel’association et le syndicat mixte accroissantainsi la confusion juridique et patrimonialeexistant entre les deux entités, sises aumême siège social » ;

– « ... qu’au cas d’espèce, il apparaît quel’association AGEDI semble s’être ingéréedans le recouvrement de recettes des-tinées au syndicat mixte du même nom ».

Sur la solution à donner :

Constatons que le risque de comptabilitéde fait devait beaucoup à la situationconfuse entretenue par la création duditsyndicat mixte « AGEDI », en 1998, appeléeà reprendre les compétences de l’associa-tion homonyme dans la période transitoirequi s’en est suivie.

Estimons, au vu des pièces du dossier aprèsinstruction, que les éléments matériels per-mettant d’identifier une comptabilité defait manquent sur différents points.

La convention portant transfert de fondsentre l’association appelée à disparaître etle syndicat mixte doit (cf. nos concl. préci-tées) être regardée comme l’instrumentpar lequel l’association se vidait les mainsde sommes qui devaient désormais revenirau syndicat mixte, sommes qu’elle avaitreçues indûment mais sans les solliciter ;nonobstant les avatars de ladite conventionle rythme des versements au profit de l’éta-blissement public ne permet pas deconclure à la détention irrégulière dedeniers syndicaux par l’association ;

L’apport initial de 600 000 F consenti parl’association au syndicat mixte n’est paspour des raisons identiques constitutif degestion de fait et la réserve, dont l’associa-tion a accordé ce don, de réclamer lessommes nécessaires à l’acquittement dedettes fiscales ne modifie en rien cettesolution ;

L’absence d’acceptation formelle de cetteréserve sur le bénéficiaire n’entamait enrien le pouvoir budgétaire de son assem-blée de permettre, par une subvention, àl’association de régler ses dettes : à défautc’est le syndicat, transparent par rapport àl’association, qui aurait dû acquitter lesdettes de l’AGEDI.

Concluons ainsi :

– que l’AGEDI n’a ni détenu durablement,ni autrement que par le jeu normal d’uneconfusion entre deux personnes moralesdont l’une succédant à l’autre, ni manié,autrement que pour les remettre à sonbénéficiaire, de sommes devant revenir ausyndicat mixte ;

– que celui-ci n’a pas versé à l’associationde sommes dont l’usage aurait été déter-miné à l’insu de l’établissement public et enméconnaissance des obligations de l’asso-ciation ;

Rappelons que la Chambre pourra engagerla responsabilité du comptable patent quiaurait réglé des factures associatives sanss’assurer de la validité de la créance, ce quijustifiera un renvoi circonstancié au rappor-teur des comptes du syndicat « AGEDI »,mais renforce a contrario la présomption àl’encontre de l’immixtion dans les fonctionsde celui-ci.

Sur la procédure :

Attirons l’attention de la Chambre sur lesconséquences des dispositions désormaiscodifiées aux articles L. 241-13, secondalinéa et R. 245-1 du Code des juridictionsfinancières.

Sur les visas de procédure :

Indiquons que le visa ensemble les pièces àl’appui peut dispenser de viser tous lesactes de procédure utilement faits par lerapporteur, dont, en revanche, les apportsnécessaires à la solution devront figurerdans le jugement.

Gilles MILLER.

chronique financière

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Page 13: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

Clefs proposées (base Jade) : 18-01-03-01 (responsabilité du comptable) 18-01-04-06-02 � 18-01-03-01-05-01(débet) � 18-01-04-06-02 (fondement du débet) � 18-05-06-02 (contradiction entre pièces justificatives) � cautionnement : discor-dances entre une délibération et les stipulations d’un contrat de prêt garanti.

CRC d’Ile-de-France, jugement nº 03-0529 des 27 et 28 mars 2003, Commune de Courbevoie (injonctions nº 5 et 5 bis).

Résumé : Une commune avait, par délibération, accepté d’apporter une garantie d’emprunt à une association, à la seule conditionque le département accordât une « garantie conjointe ». Une convention avait d’ailleurs été signée sur ces bases entre la communereprésentée par le maire et ladite association. En revanche, le contrat de prêt, souscrit quelques mois plus tard, a mentionné seulementun engagement « subsidiaire » du département à titre de caution. A la première défaillance de l’association emprunteuse, la communea supporté seule le remboursement de l’emprunt garanti. Par jugement des 27 et 28 mars 2003, la chambre régionale des comptesd’Ile-de-France a engagé la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public au titre des paiements effectués lors de lamise en jeu de la garantie communale, considérant que, confronté à deux pièces justificatives jugées discordantes, le comptable auraitdû suspendre le paiement.

Références jurisprudentielles :

• administratives : CE, 5 février 1971, Ministre de l’Economie et des Finances c/ Sieur Balme (Rec. Lebon, p. 105) � CE, 7 juillet 1997,Ministre de l’Economie et des Finances c/ M. Braun, Rec. CC 1997, p. 228 � CE, section, 8 décembre 2000, Ministre de l’Economieet des Finances c/ Mme Kammerer, req. nº 212-718 � CE, 21 mars 2001, Morel, req. nº 195-508 ;

• financières : CRC Haute-Normandie, 9 novembre 1988, Commune de Heurteauville � CRC Bretagne, 20 février 1992, Communautéurbaine de Brest � CRC Rhône-Alpes, 19 mars 1997, Commune de Corps (Isère) � CRC Bretagne, 5 juin 2000, Syndicat intercommunalpour la construction du centre aquatique du pays fouesnantais, Rec. 2000, p. 41 � CC, 4e Ch., Centre hospitalier de Lorient � CC,4e Ch., 19 mai 1994, Département du Finistère � CC, 4e Ch., 18 décembre 1997, M. Morel, comptable de la commune de Corps(Isère), Rec. 1997, p. 196 � CC, 4e Ch., 2 juillet 1998, Mme Scaillerez, comptable de la commune d’Avion, Rec. CC 1998, p. 75, avecconclusions du procureur général.

Textes de référence : Code des juridictions financières � loi de finances nº 63-156 du 23 février 1963, notamment articles 60-III et60-IV � décret nº 62-1587 du 29 décembre 1962, notamment ses articles 12, 13 et 37.

Doctrine : Francis.-J. Fabre et Anne Froment-Meurice, « Grands arrêts de la jurisprudence financière », Sirey, 4e éd., nº 14 : responsabilitéà raison de paiements sur pièces justificatives insuffisantes ou irrégulières et nº 15 : non-lieu à raison des paiements effectués envertu de décisions illégales mais régulières en la forme � Professeur P. Simler, « Cautionnement et garanties autonomes », éd. Litec2000 � Pierre Collin, Revue administrative, nº 322, p. 363 (commentaires sur jurisprudences Mme Kammerer et M. Morel) � RFDA,vol. 17, nº 5, p. 1116 (note sous arrêt Morel) DGCP, instruction nº 01-057-M0 du 28 juin 2001 : étendue des contrôles de validité de lacréance des comptables publics (sur la jurisprudence Mme Kammerer) � Chroniques de La Revue du Trésor, notamment : 1991,p. 303-1994, p. 684 ; 1995, p. 368 ; 1998, p. 250 ; 2002, p. 219.

Commentaires : L’espèce Commune de Courbevoie (injonctions 5 à 6 bis) est intéressante en ce qu’elle illustre un cas de mise enjeu de la responsabilité du comptable public à l’occasion d’un paiement effectué sur pièces justificatives jugées discordantes. Dans laprésente affaire, un écart a été relevé par la chambre entre les termes d’une délibération d’un conseil municipal et les stipulationsd’une convention de prêt assortie d’une caution communale. En la matière, la nomenclature des pièces justificatives (§ 72, Garantiesd’emprunts) prévoit que le premier appel en garantie doit être accompagné de la délibération communale autorisant l’ordonnateurà signer la convention, de la convention d’octroi de la garantie et, le cas échéant, de la convention définissant les modalités de concoursentre les diverses collectivités ayant accordé leur garantie. On rappellera, en premier lieu, que la responsabilité du comptable peutêtre engagée dans le cas de paiements effectués sur la base de conventions non appuyées sur une délibération municipale (cf. arrêtde la Cour des comptes du 2 juillet 1998 et jugement de la CRC de Bretagne mentionnés en référence). En second lieu, le juge financierconsidère que le comptable qui paierait au vu de justificatifs contradictoires engagerait sa responsabilité (notamment jurisprudencesCommune de Heurteauville ; Communauté urbaine de Brest ; Centre hospitalier de Lorient et département du Finistère référencéessupra).

Dans l’espèce Commune de Courbevoie, la CRC Ile-de-France s’est précisément située sur le terrain de la divergence entre la délibérationet le contrat de prêt garanti. On relève, à cet égard, qu’un maire ne peut, sans outrepasser ses pouvoirs, signer au nom de la communeune convention de prêt mentionnant la garantie communale dont les stipulations méconnaîtraient les termes de la délibération duConseil municipal (sur un recours en appréciation de validité dans une affaire de cautionnement : CE, 20 octobre 2000, Société BFGBank Luxembourg SA, req nº 172-350, commentaire in « Panorama des marchés publics », 2000, éd. Weka, p. 341). Sans contester cepoint, le comptable de la commune de Courbevoie, dans sa réponse au jugement provisoire, fait valoir que, confronté à des justifi-cations discordantes, il ne pouvait suspendre le paiement sans porter une appréciation sur la légalité de ces pièces, alors qu’il n’avaitnulle compétence pour ce faire. Cette objection mérite un bref commentaire par référence à la jurisprudence récente du Conseild’Etat. De façon constante (CE, Balme, 5 février 1971) le juge administratif considère que les comptables n’ont pas compétence pourse faire juges de la légalité interne des décisions administratives, mais peuvent seulement en examiner la légalité externe en vérifiantnotamment la compétence de l’auteur de l’acte. Ainsi, dans sa jurisprudence Braun, Centre hospitalier de Besançon, du 8 septembre1997 (sus-référencée), le Conseil d’Etat a annulé un arrêt par lequel la Cour avait mis en jeu la responsabilité d’un comptable au motifqu’il n’avait pas relevé une contradiction manifeste entre les termes d’une délibération et les dispositions du décret sur lesquels ellese fondait. Sans revenir sur cette prohibition du contrôle de légalité interne, le Conseil d’Etat s’est récemment prononcé à deuxreprises sur la nature des contrôles mis à la charge des comptables publics, s’agissant des pièces justificatives de la dépense. Dans unarrêt Mme Kammerer, le Conseil a considéré qu’il revient aux comptables de procéder, lorsque cela apparaît nécessaire, à uneinterprétation des justificatifs qui leur sont produits sur le fondement des lois et règlements. Dans une autre décision Morel, le Conseild’Etat, confirmant un arrêt d’appel rendu par la Cour des comptes, a jugé que lorsqu’il est en possession de justificatifs contradictoiresentre eux, le comptable doit suspendre le paiement en l’attente de la production par l’ordonnateur des justificatifs adéquats.

Dans l’affaire Commune de Courbevoie, la chambre régionale des comptes procède à une lecture conjointe des deux pièces justifi-catives, en constatant que le contrat de prêt portant engagement de la garantie communale ne correspond pas aux termes de ladélibération du Conseil municipal. La CRC a ainsi considéré que, confronté à cette discordance, le comptable public aurait dû suspendrele paiement.

Si la démarche ainsi adoptée par la chambre ne semble pas contestable, les conclusions qu’elle en tire suscitent la réflexion. En effet,dans une matière aussi complexe que celle du cautionnement et des garanties autonomes, l’interprétation de la volonté des partieset l’évaluation des conséquences juridiques qui s’y attachent est toujours malaisée. En l’espèce, il nous semble audacieux d’affirmerque la commune de Courbevoie avait souhaité garantir une moitié de la dette, laissant au département le reste de la caution. Il paraîtplus vraisemblable que le conseil municipal a entendu que les garanties apportées par la commune et le département couvrentl’ensemble de la dette. Il semble en ce cas, sous réserve de l’éventuelle interprétation des juges du fond, que le qualificatif « subsidiaire »de l’engagement du département tel qu’il apparaît dans le contrat de prêt ne limite nullement son obligation de couvrir l’empruntde l’association. Par ailleurs, le fait que la garantie communale ait été appelée pour la totalité de l’obligation garantie ne change rien

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à l’affaire : conformément à la règle posée par l’article 2021 du Code civil, la caution solidaire est réputée avoir renoncé au bénéficede division, ce qui signifie qu’elle ne peut imposer au créancier de diviser ses poursuites en cas de pluralité de cautions (cf. P. Simmler,JCP, nº 46, 12 novembre 2003, p. 1983-1984, note sur CA Paris, 9 mai 2003). Pour autant, la commune ayant acquitté la totalité de ladette garantie continue de disposer, à l’encontre du département, qui est cofidéjusseur, du recours personnel de l’article 2033, alinéapremier du Code civil, lequel s’exerce contre les autres cautions « chacune pour sa part et sa portion ». On précisera que la commuen’aurait pu être privée de ce recours qu’en y renonçant de façon expresse (cf. P. Simler et P. Delebecque, « Droit civil ; les sûretés »,Dalloz, 2e éd., nº 163) ce qu’elle n’a pas fait. En définitive, il pourrait être envisagé que le glissement terminologique relevé par lachambre régionale entre la délibération et le contrat de prêt garanti, pour regrettable qu’il soit, n’a en rien modifié les obligationsréciproques du département et de la commune, pas plus qu’il n’a privé cette dernière de ses droits.

On conçoit ainsi qu’en certaines occurrences complexes, les principes récemment énoncés par le Conseil d’Etat dans ses jurisprudencesKammerer et Morel pourraient s’avérer, pour le comptable public comme pour le juge des comptes, d’un maniement délicat sinongrevé d’incertitudes.

CRC, jugement nº 03-0529des 27 et 28 mars 2003

Commune de Courbevoie

Vu le jugement nº 02-0647 J du 11 juillet2002 par lequel il a été statué sur lescomptes rendus pour les exercices 1995 à1999, en qualité de comptables de la com-mune de Courbevoie, par Mme V... du1er janvier 1995 au 2 juillet 1996, Mme L...du 3 juillet 1996 au 3 janvier 1999 et M. Vs...du 4 janvier 1999 ;

Vu les justifications produites en exécutiondu jugement susvisé, notamment lesréponses de M. Vs... du 3 février 2003, enre-gistrées au greffe de la Chambre le 5 févriersuivant, ainsi que celles de Mme L... effec-tuées par procuration par le comptable enposte, datées du 26 février 2003 et enre-gistrées au greffe le 27 ;

Vu les conclusions du commissaire du Gou-vernement ;

Après avoir entendu Mme Catherine Pailot-Bonnetat, conseiller, en son rapport ;

Ordonne :

Statuant définitivement,

Injonction nº 1 :

Considérant qu’il était demandé à Mme L...d’apporter toute justification relative àla différence constatée au 31 décembre1996 entre le compte de gestion et l’étatde développement des soldes ducompte 4014 « fournisseurs - exercicesantérieurs », ou à défaut de régulariser oude verser la somme de 20 081,38 F(3 061,39 c) ;

Considérant que les réponses parvenues àla Chambre se contentent d’indiquer que« les recherches sur cette discordance sesont avérées infructueuses » ;

L’injonction nº 1 est levée ;

Mme L... est constituée débiteur de lasomme de 20 081,38 F (3 061,39 c), qui por-tera intérêt au taux légal à compter du1er janvier 1997.

Injonction nº 2 :

Considérant qu’il était demandé à M. Vs...d’apporter toute justification relative à ladifférence constatée au 31 décembre 1997entre le compte de gestion et l’état dedéveloppement des soldes ducompte 4014 « fournisseurs - exercicesantérieurs », ou à défaut de régulariser lasomme de 2 073,13 F (316,05 c) ;

Considérant que le comptable répond queles recherches ayant été infructueuses, lasomme en cause a été versée au crédit ducompte 466 « excédents de versement » endécembre 2001 ;

Attendu qu’une régularisation a été effec-tuée ;

L’injonction nº 2 est levée.

Injonction nº 3 :

Considérant qu’il était demandé à M. Vs...d’apporter toute justification relative à ladifférence constatée au 31 décembre 1999entre le compte de gestion et l’état dedéveloppement des soldes ducompte 467-14 « créditeurs divers - exer-cices antérieurs », ou à défaut de régulariserla somme de 3 800 F (579,31 c) ;

Considérant que le comptable répond queles recherches ayant été infructueuses, lasomme en cause a été versée au crédit ducompte 466 « excédents de versement » endécembre 2001 ;

Attendu qu’une régularisation a été effec-tuée ;

L’injonction nº 3 est levée.

Injonction nº 4 :

Considérant qu’il était demandé à Mme L...de verser le solde subsistant au31 décembre 1998 au compte 429 « déficitset débets » pour 215,95 F (32,92 c), ou àdéfaut d’apporter toute autre justification ;

Considérant que les réponses parvenues àla Chambre se contentent d’indiquer que« l’origine de cette somme [...] n’a pu êtreretrouvée » ;

L’injonction nº 4 est levée ;

Mme L... est constituée débiteur de lasomme de 215,95 F (32,92 c), qui porteraintérêt au taux légal à compter du 1er janvier1999.

Injonction nº 5 :

Considérant qu’il était demandé à Mme L...de verser la somme de 338 312,73 F(51 575,44 c) ou à défaut d’apporter touteautre justification, le comptable ayant régléles échéances 1996 et 1998 correspondantà une garantie d’emprunt en présence depièces manifestement contradictoires etincompatibles entre elles au lieu de sus-pendre le paiement, engageant ainsi sa res-ponsabilité personnelle et pécuniaire ;

Considérant, en effet, que la délibérationdu Conseil municipal du 16 juin 1980 et laconvention signée par le maire le 17 juin1980 en vertu de cette délibération accor-daient une garantie d’emprunt à l’associa-tion La Montagne sous la condition suspen-sive de l’obtention d’une garantie conjointedu département des Hauts-de-Seine, maisque le contrat de prêt du 3 décembre 1980n’évoquait plus qu’une garantie subsidiairedu département ; que seule la commune aété sollicitée lorsque l’association s’estmontrée défaillante ;

Considérant que les réponses apportées àla Chambre font état du fait que la garantieconjointe du conseil général des Hauts-de-Seine a bien été consentie, mais que la déli-bération départementale relative à cet

engagement, datée du 2 juin 1980, préciseque sa mise en jeu ne devait s’exercer qu’ensecond lieu ;

Considérant que le comptable affirme quela commune a consenti à cette mise en jeusubsidiaire du Conseil général en signant laconvention de garantie passée entre lepréfet des Hauts-de-Seine agissant pour lecompte du département et le président duconseil d’administration de l’association du25 juillet 1980, convention qui n’a pasencore été fournie à la Chambre ;

Considérant qu’il estime dès lors qu’« unrefus de paiement par le comptable auraitété de nature à engager sa responsabilitépécuniaire, dans la mesure où la communes’exposait à payer des intérêts de retardpour non-respect de ses obligations » ;

Attendu que la construction des garantiesrespectives de la commune de Courbevoieet du département des Hauts-de-Seine est,au vu de cet argumentaire, largement dis-symétrique, puisque l’engagement dépar-temental est clairement secondaire, doncsubsidiaire et non conjoint dès la délibéra-tion du Conseil général du 2 juin 1980, alorsqu’il n’est reconnu comme tel par la com-mune que dans le contrat de prêt du3 décembre suivant ;

Attendu que cette construction est égale-ment incomplète ; que les modalitésconcrètes des garanties en sont notam-ment absentes, ce qui ne peut se concevoirqu’à partir du moment où seule la com-mune doit être sollicitée sans pouvoir sedégager en vertu des conventions qu’elle asignées de son côté ;

Attendu au surplus que la délibération et lagarantie communales, certes postérieuresà la délibération du départementpuisqu’elles datent des 16 et 17 juin 1980,évoquent une garantie conjointe sans rangde présentation exprimé ; que dès lors lasignature apposée par le maire de Courbe-voie sur la garantie départementale le25 juillet suivant ne saurait revenir sur lestermes de la délibération du Conseil muni-cipal et de la convention de garantie com-munale d’ailleurs signée par le représentantdu département, même s’il est regrettableque ces deux personnalités n’aient pas sou-ligné la différence que ces délibération etconvention expriment ;

Attendu que les documents départemen-taux fournis accentuent la contradictiondans l’ensemble des pièces, et que lecomptable n’a dès lors pas rempli son rôlevis-à-vis de l’ordonnateur municipal en nelui signalant pas ladite contradiction et ens’abstenant de procéder à la suspension dupaiement ;

L’injonction nº 5 est levée ;

Mme L... est constituée débiteur de lasomme globale de 338 312,73 F

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(51 575,44 c) représentant l’annuité de1996 d’un montant de 169 156,35 F(25 787,72 c), qui portera intérêt au tauxlégal à compter de la date de paiement dumandat nº 16387 du 12 décembre 1996,soit le 17 décembre 1996, et l’annuité de1998 d’un montant de 169 156,38 F(25 787,72 c), qui portera intérêt au tauxlégal à compter de la date de paiement dumandat nº 16017 du 3 novembre 1998, soitle 12 novembre 1998.

Injonction nº 5 bis :

Considérant qu’il était demandé à M. Vs...de verser la somme de 169 156,38 F(25 787,72 c) ou à défaut d’apporter touteautre justification, le comptable ayant réglél’échéance 1999 correspondant à la mêmegarantie d’emprunt que celle qui a faitl’objet de l’injonction précédente en pré-sence de pièces manifestement contradic-toires et incompatibles entre elles au lieude suspendre le paiement, engageant ainsisa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

Considérant que M. Vs... indique, sans enapporter la preuve, qu’il a sollicité à plu-sieurs reprises le service financier de lacommune afin d’obtenir le versement parle département d’une part de la dettegarantie ; qu’il a fait parvenir à la Chambredeux courriers municipaux datés des18 novembre 1999 et 24 mars 2000 ;

Considérant que le comptable estime parailleurs, sur le point particulier de la suspen-sion de paiement, que le caractère contra-dictoire des justifications ne libère pas lacommune de ses engagements, le contratde prêt n’étant assorti d’aucune réservepermettant le bénéfice de la discussion,mais que « ces pièces peuvent constituer lefondement de l’illégalité de ces actes »,« illégalité dont le comptable n’est pas jugeet qui ne constitue pas un obstacle au paie-ment » ;

Attendu toutefois que la question au fondne relève en aucun cas de l’illégalité desactes en cause, d’ailleurs tous pris sous lerégime de la tutelle administrative, mais deleur contradiction, aggravée comme il a étévu lors de l’examen des réponses à l’injonc-tion précédente par l’existence d’un sys-tème de garantie départemental totale-ment incompatible avec le système degarantie communal ; que le contrôle que lecomptable aurait dû effectuer en l’espècene portait en conséquence pas sur la régu-larité des pièces justificatives mais sur lacohérence de pièces susceptibles de modi-fier substantiellement la portée de l’enga-gement communal ;

Attendu que le comptable n’a dès lors pasrempli son rôle vis-à-vis de l’ordonnateurmunicipal en s’abstenant de procéder à lasuspension du paiement ;

L’injonction nº 5 bis est levée ;

M. Vs... est constitué débiteur de la sommede 169 156,38 F (25 787,72 c), qui porteraintérêt au taux légal à compter de la datede paiement du mandat nº 17511 du26 novembre 1999, soit le 2 décembre1999.

Injonction nº 6 :

Considérant qu’il était demandé à Mme L...de verser la somme de 1 109 367,46 F(169 121,97 c) ou à défaut d’apporter touteautre justification, le comptable ayant régléles échéances 1996 et 1998 correspondantà une garantie d’emprunt sans avoirobtenu de l’ordonnateur, d’une part, la

convention de mise en œuvre des engage-ments respectifs de la commune et dudépartement, d’autre part, le titre derecettes permettant le recouvrement de lapart de garantie du département, enga-geant ainsi sa responsabilité personnelle etpécuniaire ;

Considérant en effet que la délibération duConseil municipal du 29 mai 1978 et laconvention signée par le maire le mêmejour en vertu de cette délibération accor-daient une garantie d’emprunt à l’associa-tion La Montagne sous la condition suspen-sive de l’obtention d’une garantie conjointedu département des Hauts-de-Seine ; quele contrat de prêt du 20 décembre 1978évoquait une garantie conjointe et solidairedu département, mais que l’engagementsolidaire l’a de fait emporté sur l’engage-ment conjoint, seule la commune ayant étésollicitée lorsque l’association s’est mon-trée défaillante ;

Considérant que les réponses apportées àla Chambre font état du fait que la garantieconjointe du conseil général des Hauts-de-Seine a bien été consentie, mais que la déli-bération départementale relative à cetengagement, datée du 14 juin 1978, préciseque sa mise en jeu ne devait s’exercer qu’ensecond lieu ;

Considérant que le comptable affirme quela commune a consenti à cette mise en jeusubsidiaire du Conseil général en signant laconvention de garantie passée entre lepréfet des Hauts-de-Seine agissant pour lecompte du département et le président duconseil d’administration de l’association du19 juillet 1978, dont l’article 2 précise effec-tivement que « la mise en jeu de la garanties’exercera d’abord auprès de la communede Courbevoie et en second lieu seulementauprès du département » ;

Considérant qu’il estime dès lors qu’« unrefus de paiement par le comptable auraitété de nature à engager sa responsabilitépécuniaire, dans la mesure où la communes’exposait à payer des intérêts de retardpour non-respect de ses obligations » ;

Attendu que la construction des garantiesrespectives de la commune de Courbevoieet du département des Hauts-de-Seine est,au vu de cet argumentaire, totalement dis-symétrique, puisque l’engagement dépar-temental est clairement secondaire, doncsubsidiaire et non conjoint dès la délibéra-tion du 14 juin ;

Attendu que cette construction est égale-ment incomplète, les modalités de partageconcrètes des garanties en étant notam-ment absentes ; qu’en effet la volontédépartementale a abouti à ce qu’aucun par-tage de la charge de la garantie ne soitorganisé ni fixé, alors que ce partage étaitabsolument nécessaire à partir du momentoù l’engagement accepté par la communeétait conjoint et solidaire ;

Attendu au surplus que la délibération et lagarantie communales datées du 29 mai1978 évoquent une garantie conjointe sansrang de présentation exprimé ; que dès lorsla signature apposée par le maire de Cour-bevoie sur la garantie départementale le19 juillet suivant ne saurait revenir sur lestermes de la délibération du Conseil muni-cipal et de la convention de garantie com-munale d’ailleurs signée par le représentantdu département, même s’il est regrettableque ces deux personnalités n’aient pas sou-ligné la différence que ces délibération etconvention expriment ;

Attendu que le comptable n’a dès lors pasrempli son rôle vis-à-vis de l’ordonnateurmunicipal en ne lui signalant pas l’absencede tout recouvrement d’une part départe-mentale de la garantie ;

L’injonction nº 6 est levée ;

Mme L... est constituée débiteur de lasomme globale de 1 109 367,46 F(169 121,97 c) représentant deux annuitésde 554 683,73 F (84 560,99 c), la premièreportant intérêt au taux légal à compter dela date de paiement du mandat nº 16387du 12 décembre 1996, soit le 17 décembre1996, et la deuxième portant intérêt autaux légal à compter de la date de paiementdu mandat nº 16017 du 3 novembre 1998,soit le 12 novembre 1998.

Injonction nº 6 bis :

Considérant qu’il était demandé à M. Vs...de verser la somme de 554 683,73 F(84 560,99 c) ou à défaut d’apporter touteautre justification, le comptable ayant réglél’échéance 1999 correspondant à la mêmegarantie d’emprunt que celle qui a faitl’objet de l’injonction précédente sans avoirobtenu de l’ordonnateur, d’une part, laconvention de mise en œuvre des engage-ments respectifs de la commune et dudépartement, d’autre part, le titre derecettes permettant le recouvrement de lapart de garantie du département, enga-geant ainsi sa responsabilité personnelle etpécuniaire ;

Considérant que M. Vs... indique, sans enapporter la preuve, qu’il a sollicité à plu-sieurs reprises le service financier de lacommune afin d’obtenir le versement parle département d’une part de la dettegarantie ; qu’il a fait parvenir à la Chambredeux courriers municipaux datés des18 novembre 1999 et 24 mars 2000 ;

Considérant que le comptable indique parailleurs, sur le point particulier de l’émissiond’un titre de recettes permettant le recou-vrement de la part de garantie du départe-ment, « [qu’il] ne dispose pas des élémentspermettant de contrôler l’exactitude descalculs de liquidation de ce titre. Enl’absence de l’indication des bases de calculde liquidation, celui-ci aurait été entachéd’irrégularité » ;

Attendu toutefois qu’il était précisémentreproché aux comptables successifs d’avoirouvert leur caisse sans avoir demandé etobtenu la convention entre la commune etle département fixant les parts de garantiesrespectives de ces collectivités, puis l’émis-sion du titre de recettes à l’encontre dudépartement, ce qui aurait attiré l’attentionde l’ordonnateur sur le caractère indispen-sable de ces justifications ;

Attendu que le comptable n’a pas remplison rôle vis-à-vis de l’ordonnateur muni-cipal en ne lui signalant pas l’absence detoute mise en recouvrement de la partdépartementale ;

L’injonction nº 6 bis est levée ;

M. Vs... est constitué débiteur de la sommede 554 683,73 F (84 560,99 c), qui porteraintérêt au taux légal à compter de la datede paiement du mandat nº 17511 du26 novembre 1999, soit le 2 décembre1999.

Injonction nº 8 :

Considérant qu’il était demandé à Mme L...de faire reverser la somme de 292 379,83 F(44 572,94 c) représentant le paiement

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d’heures supplémentaires d’avril àdécembre 1997, à défaut de la verser ou deproduire toute autre justification ;

Considérant que le comptable a fourni unedélibération du Conseil municipal du6 février 1974 ainsi que les états liquidatifsdes heures supplémentaires versées pen-dant les mois de juin et juillet 1997, etexplique l’absence de mention du servicefait et de signature des états liquidatifs dela part de l’ordonnateur par la double cir-constance que « le décret nº 83-16 du13 janvier 1983 stipule simplement quel’ordonnateur doit produire un état deliquidation indiquant le nombre d’heureset les taux appliqués », et que « ce sont cesbulletins de paie récapitulatifs qui justi-fient les mandats signés par l’ordonna-teur » ;

Attendu toutefois que, en ce qui concernela délibération du 6 février 1974, ce docu-ment très ancien se contente « d’étendreaux infirmières diplômées, puéricultriceset directrices de crèche la dérogation » àl’arrêté interministériel du 1er août 1951relatif à l’indemnité horaire pour travauxsupplémentaires, tolérée par les seules cir-culaires ministérielles des 19 novembre1968 et 13 juillet 1972, « permettantd’allouer l’indemnité horaire pour travauxsupplémentaires aux agents ayant unindice de rémunération égal ou supérieurà 315 net » ; qu’elle ne correspond doncen aucune façon à la délibération exigéeen pareil cas par la nomenclature annexéeau décret nº 83-16 du 13 janvier 1983modifié, laquelle doit préciser les catégo-ries de bénéficiaires, les modalités de liqui-dation et le plafond du nombre d’heurespouvant être effectuées par les bénéfi-ciaires en vertu du paragraphe 2021 del’annexe au décret relatif aux pièces justi-ficatives ;

Attendu par ailleurs que, en ce quiconcerne l’attestation du service fait,l’explication avancée est d’autant moinsconvaincante qu’en l’absence de cetteattestation sur le seul document qui lui esttransmis à titre de justificatif à Courbevoie,les récapitulatifs n’étant d’ailleurs produitsque pour trois mois sur toute l’année1997, le comptable ne peut exercer soncontrôle sur la justification du service faitet donc sur l’exactitude des calculs deliquidation, comme l’exige pourtantl’article 13 du décret nº 62-1587 du29 décembre 1962 ; que l’instructionnº 88-65-MO du 20 mai 1988 prévoyaitd’ailleurs dans la sous-partie I.A.2.« Exhaustivité » que « les comptables doi-vent toujours s’assurer que leur sont pro-duites au minimum deux catégories depièces :

– (...) ;

– celles établissant la validité de la créanceet comportant les éléments de liquidation(facture, décompte, état détaillé...) ainsique l’attestation de la réalisation du servicefait » ;

L’injonction nº 8 est levée ;

Mme L... est constituée débiteur d’unesomme réduite à 292 374,83 F (44 572,26 c)laissant inchangé à 381 726,49 F(58 193,83 c) le total des sommes concer-nées pour l’exercice 1997, somme qui por-tera intérêt au taux légal à compter du31 décembre 1999, les paiements étantrépétitifs sur les exercices 1997 à 1999 et ladate du dernier paiement de cet exercicen’étant pas précisée.

Conclusions du commissairedu Gouvernement

Sur les injonctions 5 et 5 bis : garantiesd’emprunts - Association La Montagne,convention de prêt du 11 décembre1980, et 6 et 6 bis : garanties d’emprunts- Association La Montagne, conventionde prêt du 20 décembre 1978 :

Dans le jugement susvisé, la Chambre aengagé la responsabilité de Mme L... et deM. Vs..., pour le paiement de mandats émispar l’ordonnateur de la commune à lademande de la Caisse des dépôts et consi-gnations, afin d’opérer le règlement desommes dues par l’association défaillante,au titre du contrat de prêt signé le3 décembre 1980 avec la garantie de lacommune et, subsidiairement, en cas dedéfaillance, du département des Hauts-de-Seine, ainsi que le précise l’article premierdu contrat de prêt nº 27 005189 01, signépar le maire de la commune et secrétairegénéral de la préfecture des Hauts-de-Seine, pour le compte du département(injonctions 5 et 5 bis).

La Chambre a considéré qu’en présence depièces manifestement contradictoires etincompatibles entre elles, puisque lecontrat de prêt n’évoque qu’une garantiesubsidiaire lorsque la délibération de lacommune et la convention de garantiecommunale établissaient une garantieconjointe de la commune et du départe-ment, le comptable aurait dû suspendre lepaiement desdits mandats, en applicationdes dispositions des articles 8 et 37 dudécret nº 62-1587 du 29 décembre 1962.

La Chambre a ensuite engagé la responsa-bilité de Mme L... et de M. Vs..., pour lepaiement de mandats émis par l’ordonna-teur de la commune à la demande de laCaisse des dépôts et consignations, afind’opérer le règlement de sommes dues parl’association défaillante, au titre du contratde prêt signé le 20 décembre 1978 avec lagarantie de la commune et du départe-ment des Hauts-de-Seine (injonctions 6 et6 bis) ; l’article premier du contrat de prêtnº 27 001652 01, signé par le maire de lacommune et le secrétaire général de la pré-fecture des Hauts-de-Seine, pour lecompte du département, dispose à cetégard que « l’engagement de garantie estpris conjointement et solidairement », sansd’ailleurs que soient explicitées les moda-lités de mise en application de cet engage-ment.

La Juridiction a considéré dans ce cas qu’enraison des dispositions ci-dessus rappelées,le comptable aurait dû intervenir auprès del’ordonnateur afin d’obtenir, d’une part, laconvention de mise en œuvre des engage-ments respectifs de la commune et dudépartement, d’autre part, le titre derecettes permettant le recouvrement de lapart de garantie du département ; fauted’avoir sollicité l’ordonnateur en vue derecouvrer la part de garantie relevant duConseil général, le comptable avait engagésa responsabilité.

Sur la responsabilité des comptables, ren-voyons à nouveau à nos conclusions du7 juin 2002, lesquelles rappelaient notam-ment que si le Conseil d’Etat avait déjàadmis que le comptable, saisi de plusieurspièces justificatives affectées de contradic-tions telles qu’elles rendaient impossiblel’exercice de ses contrôles, avait engagé saresponsabilité personnelle et pécuniaire en

ne suspendant pas les paiements qui endépendaient, cette jurisprudence neparaissait pas applicable à l’espèce.

Rappelons que les conclusions précitéesindiquaient notamment que, tant à l’égarddes mandatements qui procédaient du prêtde 1980 où la garantie du départementn’était que subsidiaire, d’après le contrat,et cela en contradiction avec la délibérationcommunale, que de ceux qui concernaientle prêt de 1978 où la garantie des deux col-lectivités était réputée conjointe, il neparaissait pas possible de retenir àl’encontre des comptables une incompati-bilité entre les contrats de prêt et les déli-bérations ; que toutefois, si l’existenced’une caution conjointe ne justifiait pas quele comptable suspendît le paiement, elle leconduisait à conseiller à l’ordonnateurd’engager à l’encontre de son cofidéjus-seur le recours prévu à l’article 2033 duCode civil ; que la Chambre pourrait ainsiessayer de rechercher la responsabilité descomptables sur le terrain de la responsabi-lité à l’égard de la mise en recouvrementdes recettes, dans la mesure où ceux-ci,dans la limite des éléments à leur disposi-tion, se devaient d’attirer l’attention del’ordonnateur sur l’engagement conjointdu département, notamment, dans le casdu contrat de prêt de 1978.

Estimons à l’aune des rappels ci-dessuseffectués que la mise en cause des comp-tables au titre des paiements afférents aucontrat de prêt nº 27 005189 01 (injonc-tions 5 et 5 bis), qui s’appuie selon laChambre sur « la présence de pièces mani-festement contradictoires et incompatiblesentre elles, puisque le contrat de prêtn’évoque qu’une garantie subsidiairelorsque la délibération de la commune et laconvention de garantie établissaient unegarantie conjointe de la commune et dudépartement », ne paraît pas constituer unfondement incontestable pour engagerleur responsabilité ; qu’en effet, si lecontrôle du comptable ne se réduit pas àla vérification de l’existence matérielle despièces justificatives, il pourrait être soutenuque l’appréciation, en l’espèce, au momentdu paiement, du caractère contradictoiredes pièces justificatives, serait de nature àle conduire sur le terrain du contrôle delégalité des décisions de l’ordonnateur,lequel relève des seuls juges du fond.

Estimons a contrario que la mise en causedes comptables au titre des paiementsafférents au contrat de prêtnº 27 001652 01 (injonctions 6 et 6 bis), lajuridiction considérant que, selon lestermes de l’article premier, qui dispose que« l’engagement de garantie est pris conjoin-tement et solidairement », le comptableaurait dû intervenir auprès de l’ordonna-teur afin d’obtenir, d’une part, la conven-tion de mise en œuvre des engagementsrespectifs de la commune et du départe-ment, et, d’autre part, le titre de recettespermettant le recouvrement de la part degarantie du département, paraît reposersur des fondements mieux établis ; qu’eneffet, si la mise en recouvrement desrecettes incombe aux ordonnateurs, ainsique le précise le décret du 29 décembre1962 portant règlement général sur lacomptabilité publique, à son article 5, lescomptables sont chargés d’y veiller, c’est-à-dire de rappeler les ordonnateurs à l’exer-cice de leur fonction, cette vigilance s’exer-çant dans la limite des éléments dont ilsdisposent (art. 12 A du même décret),

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c’est-à-dire des documents dont ils sontdépositaires ou qui doivent réglementaire-ment leur être communiqués ; que, sur cefondement, les comptables concernés,Mme L... et M. Vs..., n’ont pas produit dejustification de nature à dégager leur res-ponsabilité, ainsi qu’il leur était enjoint parle jugement susvisé, et que la Chambrepourrait les constituer en débet, respecti-vement, pour le montant des mandatsdont ils ont effectué le paiement.

CC, 18 décembre 1997,Morel

(extraits)

(...) Après avoir entendu M. Thuillier,conseiller maître, en son rapport, et M. deMaistre, conseiller maître, en ses observa-tions ;

Statuant définitivement,

Sur la recevabilité :

Attendu que M. Morel, comptable constituéen débet par le jugement précité, a qualitéet intérêt à en relever appel ; que sarequête a été introduite dans les formes etdélais réglementaires ; qu’elle est en consé-quence recevable ;

Sur la demande d’annulation du juge-ment :

Attendu que l’appelant soutient que lejugement définitif dont est appel s’est abs-tenu de discuter les moyens qu’il avait pro-duits dans sa réponse au jugement provi-soire en date du 19 janvier 1997 ;

Mais attendu que ledit jugement définitif avisé les justifications produites en exécu-tion du jugement provisoire, et a discutéles arguments de M. Morel dans sesattendus nos 3 à 7 ; que ce moyen n’est pasfondé ;

Au fond :

Attendu que la chambre régionale descomptes de Rhône-Alpes a, par le jugementdont est appel, constitué M. Morel en débetenvers la commune de Corps de la sommede 200 000 F pour avoir réglé, le 4 août1988, un mandat de même montant à lasociété Agecom sans avoir exercé lescontrôles réglementaires sur les pièces jus-tificatives jointes audit mandat ;

Attendu, en premier lieu, que le comptablesoutient qu’il y a eu réellement service faitet qu’il produit des « préétudes finan-cières » sur quinze ans établies par la sociétéAgecom, datées de février 1988 et juillet1988 ;

Mais attendu que ces documents ne corres-pondent pas aux études prévues par lemarché du 15 juillet 1988 et ne peuventdonc tenir lieu de preuve de l’exécution dece marché ; que par délibération du 15 sep-tembre 1990, le conseil municipal de Corpsa renouvelé « sa demande de rembourse-ment des 200 000 F avancés par la com-mune à la société Agecom » ; qu’il en ressortque le mandat réglé le 4 août 1988 corres-pondait bien à une avance versée par lacommune, ainsi que le stipulait la délibéra-tion du Conseil municipal en date du1er juillet 1988, et non à un règlement défi-nitif ; que le moyen est donc sans fonde-ment ;

Attendu, en deuxième lieu, que le comp-table soutient que dès lors que le maireavait certifié le service fait et que la délibé-ration en date du 1er juillet 1988 autorisaitle versement de 200 000 F, il disposait dejustifications suffisantes ;

Mais attendu que l’appelant, de son propreaveu, se trouvait en présence de pièces jus-tificatives contradictoires ; que le marchéen date du 18 mai 1988 ne prévoyait pasd’avances, alors que la délibération précitéedu 1er juillet 1988 autorisait le mandate-ment de la somme de 200 000 F « paravance » ; que la note d’honoraires en datedu 24 mai 1988, produite à l’appui dumandat, s’élevait à la même somme de200 000 F, alors que le Code des marchéspublics interdit le versement d’avanceségales au montant total du marché ;

Considérant que devant l’incertitude despièces jointes au mandat, le comptableaurait dû suspendre le paiement de cettedépense ; que faute par lui de l’avoir fait, lepaiement opéré au vu de justificationscontradictoires a engagé sa responsabilité ;

Attendu, enfin, que le comptable se réfèreà une lettre du président de la 5e Chambrede la Cour, en date du 10 décembre 1991,relative à l’exonération de la responsabilitéd’un comptable en cas de certification duservice fait par l’ordonnateur, même s’il n’apas vérifié la réalité dudit service fait ;

Mais considérant, en droit, qu’une décisionprise dans une instance ne peut être trans-posée à une instance entre des parties dif-férentes ; que d’autre part, en fait, commeil a été ci-avant exposé, la responsabilité ducomptable est engagée, dans la présenteespèce, à raison de la contradiction entreles pièces produites à l’appui du mandatlitigieux, qui empêche de les considérercomme justificatives du service fait ;

Par ces motifs,

Ordonne ce qui suit :

La requête de M. Morel est rejetée.

En conséquence, le jugement de lachambre régionale des comptes de Rhône-Alpes en date du 19 mars 1997 estconfirmé.

Conseil d’Etat, 21 mars 2001,req. nº 195508

M. Morel

(...) Considérant qu’aux termes de l’article12 du décret du 29 décembre 1962 portantrèglement général sur la comptabilitépublique : « Les comptables sont tenusd’exercer : (...) B) En matière de dépenses,le contrôle : (...) De la validité de la créancedans les conditions prévues à l’article 13 ci-après... » et qu’aux termes de cet article 13 :« En ce qui concerne la validité de lacréance, le contrôle porte sur : la justifica-tion du service fait et l’exactitude des cal-culs de liquidation ; l’intervention préalabledes contrôles réglementaires et la produc-tion des justifications... » ; que l’article pre-mier du décret du 13 janvier 1983 portantétablissement de la liste des pièces justifi-catives des paiements des communes, desdépartements et des établissementspublics locaux dispose qu’avant de pro-céder au paiement d’une dépense, lescomptables ne doivent exiger que les

pièces justificatives prévues pour ladépense correspondante dans la listeannexée audit décret ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositionsque si le comptable n’a pas le pouvoir dese faire juge de la légalité des décisionsadministratives qui servent de fondementau mandat de paiement, il doit, afind’exercer son contrôle sur la productiondes justifications du service fait, être enmesure d’identifier la nature de ladépense ; que ce contrôle doit conduire lecomptable, dans la mesure où les piècesjustificatives produites sont à cet égardcontradictoires, à suspendre le paiementjusqu’à ce que l’ordonnateur lui ait produit,à cet effet, les justifications nécessaires ;

Considérant que la Cour des comptes, pourconfirmer par l’arrêt attaqué le jugementpar lequel la chambre régionale descomptes de Rhône-Alpes a constituéM. Morel, en sa qualité de comptable de lacommune de Corps, débiteur enverscelle-ci de la somme de 200 000 F, aconstaté qu’au vu des pièces, qui lui avaientété transmises à l’appui du mandat de paie-ment signé par le maire de Corps, le comp-table n’avait pu identifier la nature de ladépense, et n’avait donc pu exercer lecontrôle des justifications du service faitque l’ordonnateur lui produisait, et a relevéque les justifications produites à l’appui dumandat de paiement à la société Agecomde 200 000 F étaient entachées de contra-dictions et d’incertitudes ; qu’en l’état deces constatations qui ne relèvent que d’elle,la Cour a pu légalement considérer que,devant l’incertitude et la contradiction despièces jointes au mandat, le comptableaurait dû suspendre le paiement et que,faute de l’avoir fait, il devait être déclarédébiteur à l’égard de la commune ;

Considérant que la Cour des comptes, enmentionnant dans son arrêt que le marchépassé par le maire de Corps avec la sociétéAgecom ne prévoyait pas d’avance et enprécisant en outre que le versement d’uneavance correspondant au montant total dumarché était en contradiction avec le Codedes marchés publics, s’est contentéed’interpréter les stipulations du marchéconformément aux lois et règlements envigueur, comme aurait dû le faire le comp-table au moment du paiement, et n’a pas,contrairement à ce que soutient le requé-rant, exigé du comptable qu’il exerce uncontrôle de légalité sur les décisions del’ordonnateur ; qu’elle n’a donc pasentaché son arrêt d’une erreur de droit ;que cette précision n’entache pas non plusles motifs de l’arrêt attaqué d’une ambi-guïté qui ne permettrait pas au juge de cas-sation d’exercer son contrôle ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble dece qui précède que M. Morel n’est pasfondé à demander l’annulation de l’arrêt endate du 18 décembre 1997 par lequel laCour des comptes a rejeté son appel ten-dant à l’annulation du jugement en date du19 mars 1997 par lequel la chambre régio-nale des comptes de Rhône-Alpes l’aconstitué débiteur de la commune deCorps ;

Décide :

Article premier. – La requête de M. Morelest rejetée. (...)

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Clefs proposées (base Jade) : 18-01-03-01 (responsabilité du comptable) � 18-01-03-01-05-01 (débet) � 18-08-02 (régie derecettes) � responsabilité des comptables publics dans l’hypothèse d’une décharge accordée aux régisseurs ; notions de faute et deforce majeure.

CRC de Bretagne, jugement nº 2003-133 du 12 novembre 2003, Centre communal d’action sociale de Mael-Carhaix.

Résumé : Par jugement du 12 novembre 2003, la chambre régionale des comptes de Bretagne a engagé la responsabilité personnelleet pécuniaire d’un comptable public après qu’un vol eut été constaté dans une régie de recette de l’établissement public. Au casd’espèce, la juridiction a rappelé qu’un mandat de régularisation émis par l’ordonnateur suite à la décharge de responsabilité accordéeau régisseur était sans effet sur la responsabilité du comptable assignataire. Se fondant, en second lieu sur l’absence de force majeure,la chambre régionale a également décidé de ne pas faire application d’une décision récente du juge d’appel, selon laquelle la respon-sabilité du comptable public ne peut être mise en cause lorsque la décision ministérielle de décharge de responsabilité du régisseurénonce qu’il n’y a pas lieu d’émettre un ordre de versement à l’encontre du comptable en fonctions lors de la constatation du déficit.

Références jurisprudentielles :

• administratives : CE, 28 février 1997, Ministre de l’Economie et des Finances c/ M. Blémont � CE, 20 mars 2002, M. Thooris,comptable de l’ONIVINS ;

• financières : CRC Poitou-Charentes, 3 mars 1998, Commune de Montlieu-la-Garde � CRC Midi-Pyrénées, 4 octobre 2000, Communed’Auzits � CRC Bretagne, plénière, 12 octobre 2000, Commune de Vannes � CRC Midi-Pyrénées, 20 décembre 2000, Commune deSaint-Jory � CC, 4e Ch., 26 avril 2001, Commune de Montmorillon � CC, 4e Ch., 3 octobre 2002, Commune d’Auzits.

Textes de référence : Code des juridictions financières � loi de finances nº 63-156 du 23 février 1963, notamment articles 60-III et60-IV � décret nº 62-1587 du 29 décembre 1962 � décret du 15 novembre 1966 relatif à la responsabilité des régisseurs.

Doctrine : Francis.-J. Fabre et Anne Froment-Meurice, « Grands arrêts de la jurisprudence financière », Sirey, 4e éd., nº 5, le juge descomptes et le ministre des Finances � AJDA, nº 5-1997, p. 463 (concl. sur arrêt Blémont) � Lettre du financier territorial, nº 2-1999,p. 30 � Gazette des communes, nº 37, 7 octobre 2002, p. 66 - J.-P. Vachia, « Comptables publics et régisseurs : quel partage deresponsabilité ? » � Chroniques de La Revue du Trésor, notamment : décembre 1997, p. 738 ; juillet 1998, p. 426 ; juin 2001, p. 360 ;septembre 2001, p. 541.

Commentaires : Le jugement de la CRC de Bretagne invite à examiner, au regard d’une jurisprudence récente de la Cour des comptes,les questions relatives à la mise en cause de la responsabilité du comptable public dans le cas où un déficit serait constaté dans lacaisse d’un régisseur. Dans un arrêt de principe (CE, 28 février 1997, Ministre de l’Economie et des Finances c/ M. Blémont), confirméle 20 mars 2002 (arrêt Thooris), le Conseil d’Etat a, ainsi que l’on sait, souligné que nulle disposition du décret du 15 novembre 1966,relatif à la responsabilité des régisseurs, ne permet de considérer que la décharge accordée au régisseur bénéficie de plein droit aucomptable public, sauf décision explicite accordant audit comptable décharge ou remise gracieuse des sommes en cause. Au casd’espèce, la juridiction écarte deux moyens présentés par le comptable public en réponse à son injonction.

En premier lieu, la Chambre rappelle qu’une écriture de régularisation, ayant ultérieurement effacé le déficit, ne peut être opposéeau juge des comptes et n’entraîne donc pas ipso facto la décharge du comptable public (GAJF, p. 53 et, pour une espèce récente :CC, 7 mars 2002, TPG du Pas-de-Calais). L’émission de mandats de régularisation, qui est la conséquence de la décision de déchargeaccordée par le ministre n’interdit nullement à la chambre régionale de se prononcer sur la responsabilité du comptable, ce qui nesignifie pas pour autant que le juge des comptes est tenu de mettre en débet le comptable assignataire (sur ce point : étude deJ.-P. Vachia portée en référence).

En second lieu, la chambre régionale écarte ici l’application d’une jurisprudence du juge d’appel (espèce Commune d’Auzits, sus-référencée et reproduite infra). Cet aspect est le plus intéressant, parce que cet arrêt, rendu sur conclusions contraires, rompt avecla jurisprudence antérieure de la Cour, mais aussi du fait des motivations adoptées par la CRC pour en écarter l’application.

Dans son arrêt Commune d’Auzits, la Cour a écarté la responsabilité du comptable, soulevée en première instance après constatationd’un déficit dans la caisse d’un régisseur. Le juge d’appel a adopté cette position après avoir souligné qu’aux termes de l’article 12du décret du 15 novembre 1966, les sommes allouées en décharge aux régisseurs sont mises à la charge du comptable lorsque ledébet est lié à une faute commise par ce dernier. Or le juge d’appel a relevé que le ministre n’avait pas émis d’ordre de versement àl’encontre du comptable, reconnaissant que ce dernier n’avait pas commis de faute ayant conduit au déficit et que la force majeures’était imposée à lui. Le raisonnement ici adopté par la Cour des comptes tranche avec sa propre jurisprudence (espèce Communede Montmorillon citée en référence). Conformément à la jurisprudence du juge de cassation, notamment dans l’arrêt Thooris, ladécision Commune de Montmorillon prend acte de ce que le ministre décidant qu’il n’y a pas lieu d’émettre un ordre de reversementà l’encontre du comptable se prononce seulement sur l’absence de faute de ce dernier, ce qui n’écarte en rien sa responsabilité auregard des articles 60-III et 60-IV de la loi du 23 février 1963 et ne fait donc pas obstacle à la juridiction du juge des comptes. De mêmele pouvoir d’accorder décharge partielle ou totale de responsabilité au comptable en cas de force majeure (art. 60-IX de la loi du23 février 1963) ne fait pas échec aux compétences du juge des comptes (notamment GAJF, p. 56-57). On précisera, en particulier,que les chambres régionales, de même que la Cour des comptes, ne peuvent fonder leurs décisions que sur l’examen des élémentsmatériels des comptes soumis à leur juridiction et nullement sur l’appréciation du comportement personnel des comptables (notam-ment : CE, 20 novembre 1981, Rispail et autres), sous réserve, il est vrai, des récents apports de la jurisprudence de cassation (CE,27 octobre 2000, Mme Desvignes ; CE, 8 décembre 2000, Mme Kammerer ; CE, 21 mars 2001, M. Morel). En tout état de cause,l’appréciation de la faute du comptable et de l’existence d’éléments de force majeure reste de la seule compétence du ministre dansl’exercice des compétences qui lui sont attribuées par l’article IX de la loi du 23 février 1963 et non de celle des juridictions financières,du moins en l’état des textes.

CRC de BretagneJugement nº 2003-133du 12 novembre 2003

Centre communal d’action socialede Mael-Carhaix

Vu le jugement en date du 12 novembre2002 par lequel il a été statué sur lescomptes rendus pour les exercices 1997 à2000, notamment par Mme B..., en qualitéde comptable du centre communald’action sociale de Mael-Carhaix ;

Vu les justifications produites en exécutiondudit jugement ;

Vu le Code général des collectivités territo-riales ;

Vu le Code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 de la loi de finances nº 63-156du 23 février 1963, le décret du29 décembre 1962 portant règlementgénéral sur la comptabilité publique, et leslois et règlements relatifs à la comptabilitédes établissements publics communaux ;

Vu le décret nº 2002-982 du 12 juillet 2002portant création de trois sections à lachambre régionale des comptes de Bre-tagne ;

Vu les arrêtés du président de la chambrerégionale des comptes de Bretagnenos 2.2003 et 4.2003 fixant les attributionset la composition des sections, et 5.2003portant délégation de signature des prési-dents de section chacun en ce qui leconcerne ;

chronique financière

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Vu les conclusions du commissaire du Gou-vernement ;

Après avoir entendu le rapport de M. Vietti,conseiller, et les observations de M. Pirio,commissaire du Gouvernement ;

Ordonne ce qui suit :

Statuant définitvement,

En ce qui concerne l’injonction uniqueprononcée par le jugement susvisé :

Attendu que le compte 429 (« déficit etdébet des régisseurs et des comptables »)est débiteur au 31 décembre 2000 de1 439,15 F (219,39 c) suite à un vol constatéle 14 novembre 2000 à la régie de recettesde l’établissement ;

Attendu que le régisseur a porté plainte àla gendarmerie le 17 novembre 2000 et asollicité le 7 décembre 2000 une déchargede responsabilité auprès du ministre del’Economie, des Finances et de l’Industrie ;

Attendu qu’un arrêt du Conseil d’Etat (CEdu 28 février 1997, Ministre des Finances c/Blémont) est venu rappeler que les déci-sions prises par le ministre à l’égard durégisseur sont sans incidence sur la respon-sabilité du comptable en matière de man-quant en deniers dans la caisse publique ;qu’un arrêt de la Haute Juridiction en datedu 20 mars 2002 (Thooris) a confirmé la pré-cédente décision ;

Attendu que par le jugement susvisé, il avaitété enjoint à Mme B... d’apporter la preuvedu versement dans la caisse de l’établisse-ment de la somme en cause ou toute autrejustification à décharge ;

Attendu que dans sa réponse susvisée,Mme B... a apporté les justifications sui-vantes :

1. Un mandat de régularisation a été émispar le centre communal d’action sociale deMael-Carhaix pour solde du compte 429 ;

Attendu toutefois, s’agissant de ce premiermoyen, que la régularisation intervenuen’est pas de nature à exonérer le comp-table de sa responsabilité puisque le man-quant en caisse n’est pas comblé ;

2. La Cour des comptes a jugé dans unarrêt d’appel du 3 octobre 2002 (Communed’Auzits) qu’il n’y a pas lieu de mettre encause la responsabilité du comptablelorsque, à l’occasion d’une décision minis-térielle se prononçant sur la demande endécharge de responsabilité et en remisegracieuse du régisseur, il est égalementdécidé qu’il n’y pas lieu d’émettre un ordrede versement à l’encontre du comptableassignataire en fonctions au moment de laconstatation du déficit ;

Le 2 févier 2002, le secrétaire d’Etat auBudget a fait remise gracieuse au régisseurdu centre communal d’action sociale deMael-Carhaix du déficit de 1 439,15 Fconstaté dans ses écritures et décidé qu’iln’y pas lieu d’émettre un ordre de verse-ment à l’encontre du comptable assigna-taire en fonctions au moment de la consta-tation du déficit ;

Mme B..., demande, par voie de consé-quence, à être déchargée de toute respon-sabilité dans cette affaire ;

Attendu cependant, s’agissant de cedeuxième moyen, que l’espèce sur laquelles’est prononcée la Cour des comptes etcelle dont la Chambre a présentement àconnaître sont différentes ;

Qu’en effet, dans le premier cas, le juged’appel a pris en considération, pourécarter la mise en cause de la responsabilitédu comptable assignataire, le fait que lerégisseur avait bénéficié d’une décision dedécharge de responsabilité au motif queles circonstances d’apparition du déficitétaient constitutives de la force majeure etque ladite décision aux termes de laquelleil n’y a pas lieu à l’émission d’un ordre deversement à l’encontre du comptable assi-gnataire, a pour effet de reconnaître que lecomptable n’a pas commis de faute ayantpermis l’apparition du déficit, la forcemajeure s’étant imposée à lui comme aurégisseur ;

Alors que dans le cas présent, le ministre adécidé de rejeter la demande de déchargeen responsabilité du régisseur du centrecommunal d’action sociale de Mael-Carhaixau motif que les circonstances d’apparitiondu déficit n’étaient pas constitutives de laforce majeure ;

Qu’il s’ensuit que, conformément à la juris-prudence Blémont précitée, la décision deremise gracieuse dont a bénéficié le régis-seur du centre communal d’action socialede Mael-Carhaix ne saurait profiter aucomptable assignataire en fonctions aumoment de la constatation du déficit ;

Considérant dès lors que les justificationsapportées par Mme B... ne peuvent êtreretenues à sa décharge ;

Qu’elle n’a pas non plus apporté la preuvedu versement de la somme en cause ;

Qu’il y a lieu, par voie de conséquence, dela rendre débitrice de la somme de219,39 c ;

Qu’il y a lieu, par ailleurs, de fixer le pointde départ des intérêts du jour où a étécommis le vol à la régie de recettes de l’éta-blissement, soit le 14 novembre 2000 ;

Par ces motifs,

Mme B... est déclarée débitrice envers lecentre communal d’action sociale de Mael-Carhaix de la somme de deux cent dix-neufeuros et trente-neuf centimes (219,39 c) ;

Cette somme portera intérêt à compter du14 novembre 2000.

Conclusions du commissairedu Gouvernement

1º Injonction unique :

Depuis le jugement provisoire en date du12 novembre 2002 enjoignant à Mme B...de justifier du versement du déficit decaisse de la régie de recettes du CCAS, laChambre, prenant en considération unarrêt d’appel (3) de la Cour des comptes endate du 3 octobre 2002 (Communed’Auzits, 4e Ch.) se prononçant sur uneespèce identique, a jugé qu’il n’y avait paslieu de mettre en cause la responsabilité ducomptable lorsque, à l’occasion d’une déci-sion ministérielle se prononçant sur lademande en décharge de responsabilité eten remise gracieuse du régisseur, il est éga-lement décidé qu’« il n’y a pas lieud’émettre un ordre de versement àl’encontre du comptable assignataire enfonctions au moment de la constatation dudéficit ».

Cependant, l’espèce sur laquelle le juged’appel s’est prononcée et celle dont laChambre a à connaître sont différentes.

En effet, dans le premier cas, le juge d’appelavait pris en considération, pour écarter lamise en cause de la responsabilité ducomptable assignataire, la circonstance quele régisseur avait bénéficié d’une décisionde décharge de responsabilité « ... aumotif que les circonstances d’apparitiondudit déficit étaient constitutives de laforce majeure... » et que la décision auxtermes de laquelle « ... il n’y a pas lieu àl’émission d’un ordre de versement àl’encontre du comptable assignataire, apour effet de reconnaître que le comptablen’a pas commis de faute ayant permisl’apparition du déficit... la force majeures’étant imposée aussi bien au régisseurqu’au comptable dans les circonstances del’espèce » (4).

En revanche, dans le cas du CCAS de Mael-Carhaix, le ministre a décidé de rejeter lademande en décharge de responsabilité durégisseur, « ... les circonstances d’apparitiondu déficit n’étant pas constitutives de laforce majeure... ».

En conséquence, la Chambre pourraitécarter l’argumentation de Mme B... ense fondant sur la considération qu’enl’absence de circonstances constitutives deforce majeure, la décision de remise gra-cieuse, dont a bénéficié le régisseur, nesaurait profiter au comptable.

Et, dès lors, déclarer celle-ci débitrice de lasomme de 219,39 c avec intérêts à compterdu 14 novembre 2000, date de l’événementà l’origine du déficit de caisse.

Alain PIRIO.

Arrêt d’appel, Cour des comptes,4e Chambre, 26 avril 2001

Commune de Montmorillon (Vienne)Appel d’un jugement

de la CRC Poitou-Charentes (extraits)

Vu la requête de Mme L..., enregistrée le23 février 2000 au greffe de la chambre

(3) Dans cet arrêt, la 4e Chambre de la Cour est revenuesur une jurisprudence constante du juge de cassationmettant à la charge du comptable assignataire tout déficitde caisse. Et ce, en dépit non seulement des conclusionscontraires du Parquet général, mais également des arrêtsde différentes autres chambres de la Cour. Dans cet arrêt,la 4e Chambre a considéré que « ... la décision ministérielledécidant qu’il n’y a pas lieu à l’émission d’un ordre deversement à l’encontre du comptable assignataire a poureffet de reconnaître que le comptable n’a pas commis defaute ayant permis l’apparition du déficit... la forcemajeure s’étant imposée aussi bien au régisseur qu’aucomptable dans les circonstances de l’espèce... ; et qu’enconséquence... la décision précitée a pour effet d’exo-nérer pleinement le comptable de toute faute ayantconcouru à l’apparition du déficit... ».Il convient d’observer que, ce faisant, la 4e Chambre porteune appréciation sur le comportement du comptable,compétence qui n’appartient pas au juge des comptes,lequel, lorsqu’il s’y aventure, est régulièrement sanc-tionné par son juge de cassation.(4) Extraits de l’arrêt du 3 octobre 2002 :Attendu que, par une décision en date du 29 avril 1999,prise en application de la loi du 23 février 1963 et desdécrets des 29 décembre 1962, 29 septembre 1964 et15 novembre 1966 susvisés, le secrétaire d’Etat au Budgeta accordé décharge de sa responsabilité au régisseur derecettes des droits de photocopie d’Auzits à raison dudéficit de 540 F (82,32 c), constaté le 2 mai 1997 dans sacaisse, au motif que les circonstances d’apparition duditdéficit étaient constitutives de la force majeure ; que, parla même décision, il a constaté qu’il n’y avait pas lieu àl’émission d’un ordre de versement à l’encontre du comp-table assignataire en fonctions au moment de la consta-tation du déficit ;Attendu que l’article 12 du décret du 15 novembre 1966susvisé précise que les sommes allouées en décharge auxrégisseurs sont mises à la charge du comptable assigna-taire si le débet est lié à une faute commise par le comp-table, dont la liste limitative est énumérée au décret ; quela décision susmentionnée du secrétaire d’Etat au Budget,en décidant qu’il n’y a pas lieu à l’émission d’un ordre deversement à l’encontre du comptable assignataire, a poureffet de reconnaître que le comptable n’a pas commis defaute ayant permis l’apparition du déficit dans la caisse durégisseur, la force majeure s’étant imposée aussi bien aurégisseur qu’au comptable dans les circonstances del’espèce.

chronique financière

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régionale des comptes de Poitou-Cha-rentes, en appel du jugement du2 décembre 1999 qui, statuant définitive-ment sur les comptes de la commune deMontmorillon pour les exercices 1992 à1996, l’a constituée débitrice de la sommede 10 280,10 F, augmentée des intérêts dedroit, envers cette commune dont elle étaitla comptable ;

Vu l’avis de réception faisant preuve de lanotification de cette requête au maire deladite commune ;

Vu le réquisitoire du procureur général dela République, en date du 30 mai 2000 ;

Vu les pièces de la procédure suivie en pre-mière instance, ensemble le jugement pro-visoire du 23 mars 1999 et le jugement défi-nitif du 2 décembre 1999 dont il est faitappel ;

Vu le Code des juridictions financières ;

Vu les conclusions du procureur général dela République, en date du 19 avril 2001 ;

Après avoir entendu M. Boillot, conseillermaître, en son rapport, et M. Chabrol,conseiller maître, en ses observations ;

(...)

Au fond :

Attendu qu’un débit de 10 280,10 F, cor-respondant à un vol commis à la régie dela commune municipale, figurait en 1996 aucompte 419 de la commune de Montmo-rillon ;

Attendu que la chambre régionale descomptes de Poitou-Charentes a d’aborddemandé à la comptable alors en fonctionsde justifier ce débit, sous réserve du rever-sement de la somme en cause, puis, aprèsexamen de sa réponse, l’a constituée débi-trice de cette somme envers la communede Montmorillon, augmentée des intérêtsde droit calculés à compter du 30 octobre1996, date du vol ;

Attendu que la comptable, dans sa requêteen appel, fait valoir que le ministre de l’Eco-nomie, des Finances et de l’Industrie, parune décision du 8 juin 1998, et après avoirconstaté que les circonstances d’apparitiondu déficit en cause étaient constitutives dela force majeure, a donné décharge de saresponsabilité au régisseur alors en fonc-tions, en précisant que, « au regard destextes susvisés, il n’y avait pas lieud’émettre un ordre de reversement àl’encontre du comptable assignataire enfonctions au moment de la constatation dudéficit » ; que le ministre s’est ainsi « expres-sément prononcé » sur la propre situationde ce comptable ; que, dès lors, en appli-cation de la solution retenue par l’arrêt duConseil d’Etat du 28 février 1997 Blémont,le juge des comptes n’est plus en mesured’engager la responsabilité du comptableassignataire ; qu’elle ne peut donc pas êtrevalablement déclarée débitrice de lasomme litigieuse ;

Mais attendu que le ministre, en décidantqu’il n’y avait pas lieu d’émettre un ordrede versement à l’égard du comptable assi-gnataire, s’est seulement prononcé, dans lalimite des pouvoirs qui lui sont conférés parles décrets du 29 décembre 1964 relatif àla constatation et à l’apurement desdébets, et du 15 décembre 1966 modifiérelatif à la responsabilité personnelle etpécuniaire des régisseurs, sur l’absence defaute du comptable ;

Attendu, toutefois, qu’il ne pouvait pasexonérer ce comptable de sa responsabilitéau regard de la loi du 23 février 1963, etnotamment des dispositions de sonarticle 60-IV, qu’il appartient au seul jugedes comptes d’engager de façon objec-tive ;

Attendu, en conséquence, que l’argumentavancé en défense par Mme L... ne peutêtre admis ;

Arrêt d’appel, Cour des comptes4e Chambre, 3 octobre 2002

Appel d’un jugementde la CRC Midi-Pyrénées (extraits)

Vu la requête enregistrée au greffe de lachambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées le 5 février 2001, présentée parMme Marie-Claude G..., comptable de lacommune d’Auzits (Aveyron) pour les exer-cices 1994 à 1997, aux fins d’infirmationd’un jugement du 4 octobre 2000 parlequel ladite chambre régionale l’a consti-tuée débitrice des deniers de la communepour la somme de 540 F (82,32 c), portantintérêt au taux légal à compter du 2 mai1997 ;

Vu les avis de réception faisant preuve dela notification de la requête à toutes les par-ties désignées dans le jugement ;

Vu le réquisitoire nº 2001-20 en date du7 juin 2001 du procureur général de laRépublique appuyant la transmission de larequête ; (...)

Vu les conclusions du procureur général dela République ;

Après avoir entendu M. Alain Hespel,conseiller maître, en son rapport, etM. Alain Chabrol, conseiller maître, en sesobservations ;

(...)

Sur la mise en jeu de la responsabilitéde Mme Marie-Claude G... :

Attendu que, par une décision en date du29 avril 1999, prise en application de la loidu 23 février 1963 et des décrets des29 décembre 1962, 29 septembre 1964 et15 novembre 1966 susvisés, le secrétaired’Etat au Budget a accordé décharge de saresponsabilité au régisseur de recettes desdroits de photocopie d’Auzits à raison dudéficit de 540 F (82,32 c) constaté le 2 mai1997 dans sa caisse, au motif que les cir-constances d’apparition dudit déficitétaient constitutives de la force majeure ;que, par la même décision, il a constaté qu’iln’y avait pas lieu à l’émission d’un ordre deversement à l’encontre du comptable assi-gnataire en fonctions au moment de laconstatation du déficit ;

Attendu que l’article 12 du décret du15 novembre 1966 susvisé précise que lessommes allouées en décharge aux régis-seurs sont mises à la charge du comptableassignataire si le débet est lié à une fautecommise par le comptable, dont la listelimitative est énumérée au décret ; que ladécision susmentionnée du secrétaired’Etat au Budget, en décidant qu’il n’y a paslieu à l’émission d’un ordre de versement àl’encontre du comptable assignataire, apour effet de reconnaître que le comptablen’a pas commis de faute ayant permisl’apparition du déficit dans la caisse durégisseur, la force majeure s’étant imposéeaussi bien au régisseur qu’au comptabledans les circonstances de l’espèce ;

Attendu qu’en conséquence, et en consi-dération des dispositions de l’article 60-IXde la loi du 23 février 1963, la décision pré-citée a pour effet d’exonérer pleinement lecomptable de toute faute ayant concouruà l’apparition du déficit ;

Attendu que ladite décision est antérieureau jugement du 4 octobre 2000 dont estappel et qu’elle a été communiquée par lacomptable en réponse au jugement provi-soire du 17 février 2000 ; qu’il y a lieu enconséquence d’infirmer le jugement sus-visé de la chambre régionale des comptes ;

Ordonne :

La requête de Mme Marie-Claude G... estrecevable ;

Le jugement susvisé de la chambre régio-nale des comptes de Midi-Pyrénées estinfirmé ;

Il n’y a pas lieu de mettre en débet MmeMarie-Claude G..., comptable de la com-mune d’Auzits (Aveyron), de la somme de540 F (82,32 c).

Conclusions du Procureur généralprès la Cour des comptes

Rapport à fin d’arrêt sur appeld’un jugement de la CRC Midi-Pyrénées

Commune d’Auzits (extraits)

Nous, Procureur général de la République ;

(...)

Sur le fond :

Observons que la requête de Mme G... estfondée sur un moyen présenté en destermes presque en tous points identiquesà ceux retenus par deux autres comptables,l’un, M. Thooris, comptable de l’Officenational interprofessionnel des vins (ONI-VINS), établissement public de l’Etat, s’étantpourvu en cassation le 16 mars 2000 devantle Conseil d’Etat contre un arrêt de la Couret l’autre, comptable de la commune deMontmorillon, ayant fait appel le 5 février2001 d’un jugement de la chambre régio-nale des comptes de Midi-Pyrénées ;

Que, par décision du 20 mars 2002, le Conseild’Etat a confirmé sa décision antérieure (CE,section, 28 février 1997, Blémont), à l’originede la jurisprudence sur laquelle s’est fondéela chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées dans le jugement attaqué, et arejeté le pourvoi de M. Thooris ; qu’il a enparticulier rappelé que « aucune dispositiondu décret du 15 novembre 1966 relatif à laresponsabilité des régisseurs ne prévoit quela décharge (que peut accorder le ministredes Finances au régisseur) bénéficie de pleindroit au comptable » ; que toutefois, il aconsidéré que, comme « il ne résulte pas despièces du dossier soumis à la Cour descomptes que la décision de déchargeaccordée (...) au régisseur par le ministre (...)ait aussi comporté une décision accordant(au comptable) une décharge ou une remisegracieuse des sommes laissées à sa charge »,« le requérant n’est dès lors pas fondé àsoutenir que la Cour aurait méconnu laportée de la décision du ministre (...) etaurait empiété sur la compétence que lesarticles 5 et 7 du décret du 29 septembre1964 donnent au ministre pour apprécierl’opportunité d’accorder au comptable unedécharge ou une remise gracieuse » ; qu’il apar ailleurs réaffirmé, comme dans l’arrêtBlémont, que « lorsque le ministre a accordéune décharge de responsabilité au régisseursans s’être expressément prononcé sur la

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situation corrélative du comptable, la Courest tenue d’apprécier la régularité descomptes de ce dernier par seule référenceaux seules dispositions de l’article 60 de laloi du 23 février 1963 », desquelles le Conseild’Etat déduit que « tout déficit ou manquanten deniers constaté dans la caisse du régis-seur engage la responsabilité personnelle etpécuniaire du comptable assignataire »(cette affirmation résulte de la combinaisonde l’article 60-III : « la responsabilité pécu-niaire des comptables publics (...) s’étendaux opérations des comptables publicsplacés sous leur autorité et à celles des régis-seurs » avec l’article 60-IV : « la responsabilitépécuniaire (...) se trouve engagée dès lorsqu’un déficit ou un manquant en deniers ouen valeurs a été constaté (...) ») ;

Qu’a contrario, on pourrait certes déduiredu raisonnement du juge de cassation quela Cour commettrait une erreur de droit si,le dossier faisant ressortir que la décisiondu ministre à l’égard du régisseur compor-tait une décision de décharge ou de remiseà l’égard du comptable, elle choisissaitquand même d’engager la responsabilitéde ce dernier ; qu’en d’autres termes, si leministre se prononçait expressément sur lasituation du comptable et que la Cour enavait connaissance, elle ne pourrait plusappliquer la loi de 1963 dans sa plénitude,sauf à empiéter sur les pouvoirs du ministreen méconnaissant sa décision ;

Relevons néanmoins que, dans l’espèce del’ONIVINS, la mention « il n’y a pas lieud’émettre un ordre de versement àl’encontre du comptable assignataire »figurait bien dans la décision de déchargedu ministre au régisseur, comme d’ailleursdans toute décision analogue préparéedepuis 1998 par la Direction générale de laComptabilité publique à la suite d’unéchange de lettres avec Notre parquet ;que la Cour avait connaissance de cettemention dans le cas de M. Thooris, commeil ressort de l’exposé des faits dans lepourvoi en cassation ; que les chambresrégionales des comptes de Poitou-Cha-rentes (Commune de Montmorillon) et deMidi-Pyrénées (Commune d’Auzits) avaientpris connaissance de telles mentions dansles dossiers puisqu’elles les ont écartéesexplicitement dans les attendus de leursjugements ; que d’ailleurs, il en est demême dans tous les autres cas dans les-quels la juridiction a continué à appliquer lajurisprudence Blémont (cf. par exempleNos concl. 5392 du 7 septembre 2000 surles comptes du TPG de la Charente (1)) ;

Que, par exemple, les arrêts récents du8 octobre 2001 et du 4 mars 2002 pro-noncés par la 3e Chambre sur les comptesde la Comédie-Française ou de l’universitéde Paris-I sont tout à fait explicites : « ladécharge de responsabilité accordée par leministre au régisseur n’exonère pas lecomptable de sa responsabilité personnelleet pécuniaire et elle ne peut légalementfonder celle de la Cour dans l’exercice desa compétence juridictionnelle sur lescomptes des comptables publics » ;

Que le même raisonnement a été suivi enappel dans un cas identique à celui examinéaujourd’hui (4e Ch., 26 avril 2001, Communede Montmorillon) : « le ministre, en décidantqu’il n’y avait pas lieu d’émettre un ordrede versement à l’égard du comptable assi-gnataire, s’est seulement prononcé dans lalimite des pouvoirs qui lui sont conférés par

les décrets du 29 décembre 1964 et du15 décembre 1966, sur l’absence de fautedu comptable » et « il ne pouvait pas exo-nérer ce comptable de sa responsabilité auregard de la loi du 23 février 1963, etnotamment des dispositions de sonarticle 60-IV, qu’il appartient au seul jugedes comptes d’engager de façon objec-tive » (2) ;

Ajoutons que la circonstance que le déficitsoit effacé ultérieurement des comptes parune écriture d’ordre sur instruction duministre ne peut être opposée à la Cour ;que peuvent notamment être citées en cesens deux décisions toutes récentes de laCour :

– CC, 1re Chambre, 7 mars 2002, TPG duPas-de-Calais : « attendu que le comptable(TPG) indique que la somme (...) restant àrecouvrer (après reversement partiel par lesrégisseurs intéressés) a été admise en non-valeur par décision du secrétaire d’Etat auBudget ; attendu cependant que l’admis-sion en non-valeur, tout en faisant dispa-raître des comptes le reliquat non apuré (...)n’entraîne pas la décharge de responsabi-lité du comptable, il est enjoint au TPGd’apporter la preuve du versement » ;

– CC, 3e Chambre, 18 mars 2002, CROUS deParis : « attendu que le comptable préciseque, dans l’hypothèse où le ministreaccorde décharge ou remise gracieuse dudéficit au régisseur, ce déficit est réputéapuré, aussi bien dans la régie que dans lesécritures du comptable assignataire, qui n’adans le dispositif qu’une responsabilité sub-sidiaire (laquelle) est conditionnée parl’absence de faute de sa part dès lors qu’ila comptabilisé la décision de remise gra-cieuse et veillé au versement du déficitlaissé à charge du régisseur ; considérantcependant que (...) ni des décisions dedécharge ou de remise éventuellementaccordées aux régisseurs par l’ordonnateurou le ministre, ni une imputation à uncompte de dépenses exceptionnelles de lasomme qui serait ainsi allouée en déchargene peuvent avoir pour effet de rétablirmatériellement la caisse du comptable ;que le manquant ainsi apparu ne peut êtreapuré que par un reversement, au besoindes deniers propres du comptable » ;

Enfin, si cette situation n’est guère satisfai-sante pour les raisons exposées dansNos conclusions nº 6536 du 5 mars 2002 surles comptes du TPG de l’Essonne, notonsque la Cour en a pris conscience puisquela première Chambre a décidé d’évoquerles conditions d’engagement de la respon-sabilité des comptables en demandant unesaisine des chambres réunies, laquelle n’està Notre connaissance toujours pas inter-venue à ce jour ;

Rappelons que, dans le passé, sur avis pour-tant contraire des chambres réunies du19 juin 1978 qui avaient déjà été saisies decette question, la Cour, 2e Chambre, au rap-port de Mme Hackett, alors conseiller réfé-rendaire, avait estimé que le décret de 1966« n’a pour champ d’application que ledomaine des décisions administratives surla responsabilité (des comptables et desrégisseurs) et ne saurait dès lors êtreappliqué par le juge des comptes ni invoquédevant lui » (Muséum national d’histoirenaturelle, 29 novembre 1978), sur conclu-sions d’ailleurs conformes : « la Cour, si ellecroyait devoir fonder ses décisions sur le

comportement du comptable, apprécié auregard des dispositions de l’article 12 dudécret du 15 novembre 1966, remettrait encause la notion habituelle de débet juridic-tionnel (par opposition au débet adminis-tratif), et, partant, le partage de compé-tence que le droit positif établit entre lejuge des comptes, d’une part, et le ministredes Finances et le Conseil d’Etat, d’autrepart ; qu’en d’autres termes, le ministre nepeut pas exonérer d’avance le comptableassignataire de sa responsabilité en empê-chant par une voie administrative (la procé-dure d’apurement prévue par les décretsde 1964 et 1966) le juge des comptes de seprononcer par la voie juridictionnelle, maisqu’il lui sera naturellement loisible d’exa-miner ensuite, en cas de débet juridic-tionnel, si le comptable peut bénéficierd’une décharge ou d’une remise ;

Qu’à l’inverse, fonder la décision de la Coursur « l’absence de faute » du comptable quiserait manifestée par la décharge de res-ponsabilité accordée au régisseur en cas deforce majeure serait attribuer à la juridictiondes pouvoirs d’appréciation du comporte-ment personnel du comptable qui sontl’apanage exclusif du ministre dans le sys-tème actuel, ainsi que le rappelle régulière-ment le juge de cassation ; que la Cour n’apas franchi cette limite dans son arrêtd’appel précité sur la commune de Mont-morillon, alors que la décharge de respon-sabilité était fondée exactement comme enl’espèce sur un cas de force majeure ;qu’elle avait déjà estimé dans le passé quel’appréciation faite par le ministre d’un casde force majeure ne pouvait être opposéeau juge des comptes (3) ; qu’elle rappellerégulièrement, ainsi que le Conseil d’Etat,que les comptables ne peuvent faire valoirune situation de force majeure pour êtreexonéré de leur responsabilité qu’exclusi-vement devant le ministre, et non devantle juge des comptes, ce qui suppose quecelui-ci n’a pas à faire entrer ce critère dansceux qu’il utilise pour apprécier la respon-sabilité du comptable (4) ; que la circons-tance, selon laquelle une décision préalablede décharge de responsabilité prise par leministre s’imposerait ultérieurement aujuge des comptes en tant qu’elle rétabliraità due concurrence la situation du comp-table (selon. F. Fabre, GAJF, p. 57), n’a étérelevée par la Cour que dans un arrêt du19 décembre 1956, antérieur au régime deresponsabilité draconien établi par la loi de1963 ; reprenons à cet égard une formuleéclairante de M. Fabre : « il appartient enl’état des textes au ministre des Financesde remédier au besoin à la sévérité obligéede l’arrêt du juge des comptes par unedécision de décharge en cas de forcemajeure » et, non, ajoutons-Nous, de la pré-venir ;

(...)

Déduisons de ce qui précède qu’en l’étatactuel de la jurisprudence du Conseil d’Etatet de la Cour, tant en appel qu’en premièreinstance, en l’absence de modification destextes (cf. supra) et faute, de surcroît, dedisposer à ce jour d’un avis contraire deschambres réunies, il n’y a pas de raison deconsidérer que la chambre régionale descomptes de Midi-Pyrénées aurait commisune erreur de droit en appliquant le4 octobre 2000 une jurisprudenceconfirmée en appel par la Cour le 26 avril2001.

Hélène GISSEROT.

chronique financière

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Clefs proposées (base Jade) : 18-01-03-01 (responsabilité du comptable) � 18-01-03-01-05-01 (débet) � 18-05-09 (caractère libé-ratoire du paiement) � paiement au profit d’une personne autre que le véritable créancier.

CRC Bretagne, jugement nº 2003-140 du 24 juin 2003, Office public d’aménagement et de construction de la communautéurbaine de Brest.

Résumé : Le comptable de l’OPAC avait procédé au remboursement d’un trop-perçu de loyer au profit d’une personne autre que levéritable créancier, du fait d’une parfaite homonymie entre deux locataires. La chambre régionale, ayant constaté que ce règlementétait dénué de caractère libératoire, a déclaré le comptable public débiteur de la somme irrégulièrement payée, en se plaçant, nonsur le terrain du défaut de recouvrement mais sur celui de la dépense irrégulière.

Références jurisprudentielles :

• financières : CRC Rhône-Alpes, 16 mars 1988, Commune de Tain-l’Hermitage � CRC Rhône-Alpes, ?? octobre 1990, Syndicat mixted’aménagement du Voironnais � CRC Bretagne, 20 décembre 1990, Lycée d’Etat mixte de l’Iroise � CRC Nord - Pas-de-Calais,15 février 2001, Commune de Gravelines � CTC Nouvelle-Calédonie, plénière, 8 novembre 2001, Commune de Maré � CRC Aquitaine,3 septembre 2002, Communauté de communes de Saint-Ciers-sur-Gironde � CC, 3e Ch., 17 novembre 1994, Office public d’habitationà loyer modéré de la Haute-Corse � CC, 4e Ch., 14 juin 1996, ASA « A Niulinca » (Haute-Corse) ; Rec. CC 1995, p. 47 � CC, 4e Ch.,2 octobre 1996, Commune de Hallennes-lez-Haubourdin ; Rec. CC 1996, p. 114.

Textes de référence : Code des juridictions financières � loi de finances nº 63-156 du 23 février 1963, notamment articles 60-III et60-IV � décret nº 62-1587 du 29 décembre 1962, notamment ses articles 12, 13 et 35.

Doctrine : Francis.-J. Fabre et Anne Froment-Meurice, « Grands arrêts de la jurisprudence financière », Sirey, 4e éd., nº 20, responsabilitédes comptables patents à raison de règlements de dépenses non libératoires � Chroniques de La Revue du Trésor, notamment : 1990,nº 11, p. 732 ; 1993, nº 8-9, p. 553 ; 1995, nº 12, p. 774.

Commentaires : Le jugement rendu par la CRC de Bretagne sur les comptes de l’OPAC de la communauté urbaine de Brest présenteune hypothèse assez classique de débet fondé sur un paiement non libératoire car effectué entre les mains d’une personne autreque le véritable créancier. Aux termes de l’article 12 du décret nº 62-1587 du 29 décembre 1962, les comptables sont tenus d’exercer,en matière de dépenses, le contrôle du caractère libératoire du règlement. Selon l’article 35 du décret portant règlement général surla comptabilité publique un paiement présente un caractère libératoire lorsqu’il est effectué, d’une part, selon les modalités définiespar l’article 34 du même texte (notamment : remise de chèques ou espèces, virement ou remise de valeurs publiques, effets decommerce ou autres moyens prévus par la loi) et, d’autre part, « au profit du véritable créancier ou de son représentant qualifié ». Lajurisprudence présente, comme dans la décision OPAC de la communauté urbaine de Brest, quelques occurrences relativement simplesd’erreurs de créancier (par exemple : paiement en numéraire à des associations organisatrices de spectacle, en l’absence de contratet sans procuration établie par les artistes prestataires – jurisprudence Commune de Gravelines sus-référencée – ; paiement à uneentreprise d’une facture établie au nom d’une autre société – espèces Commune de Saint-Ciers-sur-Gironde et Commune de Maréégalement citées). En d’autres situations, la mise en jeu de la responsabilité du comptable au titre d’une erreur de créancier supposeraune motivation plus élaborée, voire complexe. C’est en particulier le cas dans le domaine des cessions de créances et nantissements(Code monétaire et financier, art. L. 313-23 à L. 313-35) où il peut arriver que les chambres régionales fondent leurs décisions sur unemotivation erronée (sur une prétendue obligation de payer à un cessionnaire en l’absence de signification ou de notification : arrêtd’appel Office public d’habitation à loyer modéré de la Haute-Corse mentionné en références ; sur un double paiement à l’entrepriseet au cessionnaire, arrêt d’appel Commune de Hallennes-lez-Haubourdin reproduit ci-après). Il est vrai qu’en cette matière, la déter-mination du véritable créancier impose au comptable public de maîtriser une jurisprudence abondante (notamment : sur les conditionsde régularité de la notification CE, 6 décembre 1999, Ville de Marseille, nº 189.407 ; sur le cas spécifique de deux notifications successivesconcernant la même créance : Cass. com., 12 janvier 1999, Société lyonnaise de banque c/ Société Schneider Electric et a.).

On soulignera enfin que dans le cas de paiements faits à une autre personne que le véritable créancier, le débet est normalementprononcé sur la base de l’irrégularité de la dépense et non du défaut de recouvrement. Ceci n’est bien entendu pas dénué deconséquences, s’agissant de la détermination du comptable dont la responsabilité est engagée, ainsi que le rappelle la CRC de Bretagnedans son jugement OPAC de la communauté urbaine de Brest.

CRC de BretagneJugement nº 2003-140 du 24 juin 2003

OPAC de la communauté urbainede Brest

Vu le jugement en date du 11 mars 2003par lequel il a été statué sur les comptesrendus pour les exercices 1997 à 2000,notamment par M. L..., en qualité de comp-table de l’office public d’aménagement etde construction de la communauté urbainede Brest ; (...)

Vu les conclusions du commissaire du Gou-vernement ;

Après avoir entendu le rapport de M. Vietti,conseiller, et les observations de M. Pirio,commissaire du Gouvernement ;

Ordonne ce qui suit :

Statuant définitivement,

En ce qui concerne l’injonction uniqueprononcée par le jugement susvisé :

Avis de remboursement payé le 24 août1998 au compte 4668 pour un montant de14 197,58 F (2 164,41 c) ;

Attendu que le décaissement susmen-tionné, correspondant au remboursementd’un trop-perçu de loyers, a été effectué

au profit de Mme T... Christelle née C... etnon à celui du véritable créancier,Mme T... Christelle née R..., ainsi quel’atteste le paiement intervenu au profit decette dernière le 31 août 2001 ;

Attendu que par le jugement susvisé, il avaitété enjoint à M. L... d’apporter la preuve duversement dans la caisse de l’établissementde la somme en cause ou toute autre jus-tification à décharge ;

Attendu que dans sa réponse susvisée,M. L... a apporté les justifications suivantes :

1. L’avis de remboursement en cause et lerelevé d’identité bancaire fourni par lebénéficiaire du paiement prouvent que lenom et l’adresse de la personne concernéesont strictement identiques ;

Il ne peut s’agir dès lors d’un faux paiementpuisque la justification exigée en matièred’acquit libératoire est fournie ;

L’instruction comptable nº 89-41-B2 M0 du3 avril 1989 dispose que lorsqu’il s’agit d’unpaiement réalisé par virement bancaire oupostal, l’indication du nom du créancierainsi que son numéro de compte bancaireou postal suffisent au comptable pour

effectuer le règlement et que la productiond’un relevé d’identité bancaire présente, àcet égard, toutes les garanties ;

Attendu toutefois, s’agissant de ce premiermoyen, que le règlement d’une dépensen’est libératoire que lorsqu’il intervient auprofit du créancier ou de son représentantqualifié, conformément aux dispositions del’article 35 du décret du 29 décembre 1962susvisé ;

Que tout paiement effectué à une autrepersonne que le véritable créancier engagela responsabilité du comptable dans le sensdéterminé par l’article 60 de la loi du22 février 1963 susvisée ;

Qu’au surplus, en sa qualité de comptablepublic de l’office public d’aménagement etde construction, chargé de l’encaissementdes recettes, notamment des loyers, et detenir la comptabilité de ces encaissements,M. L... ne pouvait ignorer que deux loca-taires portant les mêmes nom et prénomhabitaient dans le même immeuble et qu’illui appartenait par voie de conséquence deprendre les dispositions utiles pour éviterque cette homonymie ne génère desconfusions dans le suivi des sommes duespar ces deux locataires comme dans le suivides sommes à leur restituer ;

chronique financière

132 84e année - nº 2 - février 2004

Page 23: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

2. L’ordonnateur de l’établissement n’apris aucune mesure pour constater lacréance à l’encontre d’un locataire ayant lesmêmes nom, prénom et adresse et recréerla dette envers son homonyme ;

Il s’ensuit qu’il y aurait matière à s’inter-roger sur la régularité du paiementeffectué le 31 août 2001 sans ordre del’ordonnateur ;

Attendu cependant, s’agissant de cedeuxième moyen, que les décaissementsdes 24 août 1998 et 31 août 2001 n’ont pasété effectués à l’initiative de l’ordonnateurmais à celle du seul comptable, puisque lecompte qui a été mouvementé est uncompte de tiers dont l’utilisation relève dela responsabilité exclusive du comptable etnon un compte budgétaire ;

Que, par ailleurs, seul est ici en cause ledécaissement effectué le 24 août 1998 ;

3. M. L... étant sorti de fonctions le16 octobre 2000, sa responsabilité person-nelle et pécuniaire ne saurait être mise enjeu sur le fondement des réserves formu-lées par ses successeurs, puisque celles-ci luiayant été notifiées au-delà du délai imparti,à savoir le 21 septembre et le 26 décembre2001, ne lui sont pas opposables ;

Attendu, néanmoins, que ce troisièmemoyen est inopérant concernant le décais-sement en cause puisque c’est le comptableen fonctions le 24 août 1998 qui y a procédéet non ses successeurs ;

Que c’est du seul fait de ce décaissementque le compte 4668 présente une diffé-rence de 14 197,58 F entre le solde comp-table (444 534,11 F) et son état de dévelop-pement (458 731,69 F), qui reprend lescréances des redevables, puisqu’il a dû êtreprocédé à un règlement au véritable créan-cier le 31 août 2001 ;

4. La poursuite de l’apurement de lacréance et la justification des diligencesentreprises ressortissent aux comptablesqui lui ont succédé ;

Attendu, s’agissant de ce dernier moyen,que l’initiative d’accorder à Mme T..., néeC..., des délais et un échéancier pour par-venir au remboursement du paiement indu,a été prise le 17 décembre 1998 par M. L...et qu’il lui appartenait d’entreprendre lesdiligences utiles en vue du recouvrement dela totalité de la créance dès lors qu’il étaitpatent que, dès le mois de janvier 1999,l’intéressée ne respectait pas son engage-ment de s’acquitter de sa dette à raison d’unversement mensuel de 500 F ;

Qu’au demeurant, la responsabilité deM. L... n’est pas engagée sur le fondementde l’absence de recouvrement ou de lamise en recouvrement d’une créance maissur celui du décaissement non libératoireauquel il a procédé le 24 août 1998 ;

Considérant dès lors que les justificationsapportées par M. L... ne peuvent être rete-nues à sa décharge ;

Qu’il n’a pas non plus apporté la preuve duversement de la somme en cause ;

Qu’il y a lieu, par voie de conséquence, dele rendre débiteur de la somme de2 164,41 c ;

Qu’il y a lieu, par ailleurs, de fixer le pointde départ des intérêts du jour du décaisse-ment, soit le 24 août 1998 ;

M. L... est déclaré débiteur envers l’officed’aménagement et de construction de la

communauté urbaine de Brest de lasomme de deux mille cent soixante-quatreeuros et quarante et un centimes(2 164,41 c) ;

Cette somme portera intérêt à compter du24 août 1998.

Conclusions du commissairedu Gouvernement

Injonction unique (apostille nº 2) :

Le paiement concerné, destiné à rem-bourser un trop-payé ayant été effectué le24 août 1998, au profit d’une personne dif-férente du véritable créancier, il avait étéenjoint à M. L..., comptable responsable dudécaissement, de justifier du reversementde la somme en cause (2 164,41 c).

En réponse, le comptable développe uneargumentation en quatre points, en partiedéjà présentée à l’occasion de l’instruction,selon laquelle sa responsabilité ne sauraitêtre engagée.

En premier lieu, il indique que le bénéfi-ciaire du paiement ayant le même nom ethabitant à la même adresse, le comptableavait pu régulièrement procéder audit paie-ment dès lors qu’en effet, selon l’instruc-tion nº 89-41-B2 MO du 3 avril 1989,« ... l’indication du nom du créancier ainsique son numéro de compte bancaire oupostal suffisent... pour effectuer le règle-ment ».

Même s’il s’était agi d’un paiement aprèsmandatement, il n’aurait pas été admis quele comptable avait satisfait à ses obligationsde contrôle en se satisfaisant de l’identi-fiant du créancier (nom et compte ban-caire) joint à l’appui du mandat.

A fortiori, lorsque le comptable a, commeen l’espèce, l’initiative du règlement.

Aussi, la Chambre peut réfuter ce premieraspect de l’argumentation, en rappelantqu’au regard des dispositions de l’article 35du règlement général sur la comptabilitépublique tout paiement fait à une personneautre que le véritable créancier engage laresponsabilité du comptable au sens del’article 60 de la loi du 23 février 1963.

En deuxième lieu, M. L... fait valoirqu’aucune créance n’ayant été constatée àl’encontre du locataire bénéficiaire del’indu, la régularité du paiement effectuéultérieurement au profit du véritable créan-cier, sans ordre de l’ordonnateur, seraitcontestable.

A cet égard, il conviendrait de rappeler quele trop-payé constaté au profit d’un loca-taire dans la comptabilité du comptablen’implique pas, pour son remboursement,l’intervention d’un ordre de paiement del’ordonnateur, le comptable en prenantseul l’initiative.

En troisième lieu, M. L... estime que lesréserves de ses successeurs ayant étéémises au-delà du délai de six mois, prévuà cet effet par l’article 60-III de la loi du23 février 1963, ne sauraient être prises encompte.

Cet argument est infondé dès lors qu’eneffet, à supposer même les réserves irre-cevables, cette circonstance est sans effetà l’égard du comptable responsable d’unpaiement irrégulier, sa responsabilités’appréciant à la date du décaissement.

Enfin, en dernier lieu, il fait valoir qu’ilappartient à ses successeurs de « pour-suivre l’apurement et de justifier des dili-gences entreprises ».

Cet argument est également inopérantpuisqu’en effet la responsabilité de M. L...n’est pas recherchée au titre de l’absencede recouvrement ou de mise en recouvre-ment d’une recette (5), mais au titre d’undécaissement non libératoire.

C’est pourquoi, en définitive, la Chambrepourrait, après avoir réfuté l’argumenta-tion de M. L..., engager la responsabilité decelui-ci sur le fondement de l’article 35 dudécret du 29 décembre 1962 (cf. supra) et,en conséquence, le déclarer débiteur de lasomme de 2 164,41 c avec intérêts àcompter du 24 août 1998.

La Chambre pourrait, au demeurant, mêmesi un tel débet sanctionne l’irrégularité dupaiement non libératoire, indiquer qu’il adû être procédé à un deuxième paiementau véritable créancier, sans évidemmentfaire du préjudice ainsi subi par l’OPAC lacondition du débet.

Alain PIRIO.

CC, 4e Ch., 2 octobre 1996Commune

de Hallennes-lez-Haubourdin

(...) Au fond :

Attendu que la chambre régionale descomptes a, par le jugement dont est appel,constitué M. L... débiteur envers la communed’Hallennes-lez-Haubourdin de la somme de50 576,68 F pour avoir réglé à la société SFdeux factures s’élevant à 25 287,60 F et25 289,08 F le 25 juillet 1991 et le 8 août 1991alors que ces créances avaient fait l’objet dela cession, datée du 23 mars 1990, aux éta-blissements La..., mandataire de la Sociétélyonnaise de banque, et pour avoir ensuiteréglé auxdits établissements La... le montantdes mêmes factures le 22 avril 1992 et le22 octobre 1992 ;

Attendu que l’appelant soutient que lesmandats successifs étaient appuyés despièces justificatives originales, qui, prisesséparément, ne révélaient pas la double fac-turation, et qu’il ne lui était pas possible devérifier la régularité des dépenses payées surdeux exercices successifs ; qu’il allègue en cesens un arrêt rendu le 24 mars 1994 sur unappel du comptable de la commune deMiramas ;

Mais attendu que l’appelant ne conteste pasque la notification de la cession des créancesaux établissements La..., datée du 23 mars1990, est parvenue au poste comptable aucours de l’année 1990 ; qu’ainsi, les paie-ments faits les 25 juillet 1991 et 8 août 1991à la société SF, en méconnaissance de cettecession, étaient irréguliers et engagent saresponsabilité ; que si le cessionnaire a bienété désintéressé par les paiements faits les22 avril 1992 et 22 octobre 1992, cette régu-larisation à son égard n’a pas fait disparaîtrel’irrégularité du paiement antérieur et le pré-judice qui en résulte pour la commune ;

Attendu que l’autorité de la chose jugéedans une instance ne peut être étendue àune instance entre des parties différentes ;qu’au surplus, la responsabilité du comp-table est engagée dans la présente espèce àraison de l’irrégularité du premier paiementet non à raison d’un double paiement ;

Par ces motifs,

Ordonne ce qui suit :

La requête de M. L... est rejetée.

(5) Les tentatives de M. L... pour recouvrer la somme qu’ilavait indûment payée sont restées vaines.

chronique financière

133 84e année - nº 2 - février 2004

Page 24: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

Clefs proposées (base Jade) : 18-01-04-07 (gestion de fait) � 18-01-04-07-01-02 (procédure - comptes) � 18-01-04-07-04 (poursuitescorrectionnelles) � 33-02-04 (établissements publics - régime financier et comptable).

CRC Ile-de-France, jugement nº 2003-0685 du 26 juin 2003, Office public de HLM de Malakoff.

Résumé : Une personne déclarée comptable de fait de l’office HLM de Malakoff contestait non pas cette déclaration par la Chambremais la ligne de comptes arrêtée par la juridiction ; elle estimait en effet que les sommes laissées à sa charge ne pouvaient excéderle montant de la condamnation infligée par le tribunal de grande instance de Nanterre. La Chambre, après avoir rappelé l’effet de lachose jugée au pénal, repousse l’argumentation du comptable de fait, mais accède toutefois partiellement à sa demande suppléantde façon souverainement à l’insuffisance formelle de justifications de dépenses par des considérations (implicites) d’équité.

Jugement

Vu le Code des juridictions financières,notamment ses articles L. 211-1, L. 231-3,L. 231-5, R. 231-14 à R. 231-16-1 ;

Vu l’article 60-XI de la loi de financesnº 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;

Vu le décret nº 62-1587 du 29 décembre1962 portant règlement général sur lacomptabilité publique, notamment ses arti-cles 11, 12, 13 et 33 ;

Vu les lois et règlements relatifs à la comp-tabilité des collectivités territoriales et desétablissements publics locaux ;

Vu les comptes des exercices 1989 à 1994de l’office public d’habitation à loyermodéré de Malakoff ;

Vu le jugement du tribunal de grande ins-tance de Nanterre, en date du 17 octobre2000, condamnant M. V... à payer à l’OPHLMde Malakoff, partie civile, la somme de509 240 F (77 633,13 c) à titre dedommages-intérêts ;

Vu le jugement de la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France nº 01-0704 J du13 juin 2001 déclarant, à titre définitif,M. V... gestionnaire de fait de deniers del’OPHLM de Malakoff et fixant, à titre provi-soire, la ligne de compte à 974 977,22 F(148 634,32 c) en recettes ;

Vu l’appel interjeté le 15 février 2002 parM. V... contre le jugement du 13 juin 2001,appel à caractère non suspensif ;

Vu la lettre de M. V... adressée au présidentde la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France le 15 mars 2002 confirmant qu’ilconvenait de considérer sa requête enappel comme « sa réponse aux questionsposées par l’établissement de la ligne decompte de sa gestion de fait » ;

Vu la lettre de M. V..., reçue le 13 mars 2003au greffe, par laquelle celui-ci apporte deséléments de justification au sujet desommes qu’il souhaite voir écartées de laligne de compte ;

Vu les lettres de la greffière de la Chambre,en date du 11 juin 2003, informant les par-ties de l’ordre du jour de l’audiencepublique du 26 juin 2003 ;

Vu la lettre de M. V... adressée au présidentde la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France le 23 juin 2003 par laquelle il

indique ne pas être en mesure de se pré-senter à l’audience publique de la Chambrele 26 juin 2003 ;

Après avoir entendu, en audience publique,M. Le Guerer, conseiller, en son rapport etM. Genetaud, commissaire du Gouverne-ment, en ses conclusions ;

Après avoir délibéré hors la présence durapporteur ;

Attendu que M. V... a reconnu les faits quilui sont reprochés ; que, toutefois, ilconteste la ligne de compte fixée par laChambre à titre provisoire à 974 977,22 F(148 634,32 c) ; que la somme dont ils’estime redevable s’élève à 509 240 F(77 633,13 c), somme retenue dans le juge-ment du tribunal de grande instance deNanterre du 17 octobre 2000 ;

Attendu que cette dernière somme corres-pond au montant des dommages-intérêtsà payer à l’OPHLM de Malakoff ; que le totaldes détournements réalisés au préjudice decelui-ci ne saurait être inférieur à cettesomme ;

Attendu que l’autorité de la chose jugée aupénal ne s’impose aux juridictions adminis-tratives qu’en ce qui concerne les consta-tations de fait que les juges répressifs ontretenues et qui sont le support nécessairede leurs décisions ; qu’en l’espèce, la cir-constance que la décision du juge pénal soitdéjà intervenue ne saurait faire obstacle àl’action du juge financier, notamments’agissant de la fixation de la ligne decompte de la gestion de fait ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossierque lors de l’établissement de la ligne decompte provisoire, d’une part, des sommesont été reprises dans des montants glo-baux non identifiés correspondant notam-ment à des remises automatiques de chè-ques et que, d’autre part, d’autres sommesont été prises en compte alors que l’inté-ressé avait quitté l’OPHLM de Malakoff ;

Attendu qu’une nouvelle évaluation enfonction de ces éléments conduit à réduireles recettes à un montant de 731 350,08 F,soit 111 493,60 c ;

Attendu que si les justifications apportéespar M. V... au sujet de cinq sommesd’un montant total de 157 451,08 F(24 003,26 c), que celui-ci souhaite écarter

de la ligne de compte, ne sont pas déter-minantes, elles peuvent toutefois êtreacceptées par la juridiction financière ; quela ligne de compte peut, en conséquence,être réduite de ce montant ;

Attendu qu’en revanche trois chèques(9 659 F de la société « Auto export », 5 000 Fde « TF1-Publicité », 50 000 F de la « SCI 122,boulevard Brune »), d’un montant total de64 659 F (9 857,20 c) que M. V... souhaiteécarter, en recettes, de la ligne de compte,doivent y être maintenus ; qu’en effet, lepremier a donné lieu à l’établissement d’unreçu au titre de la participation de cetteentreprise à l’effort de construction et lesdeux autres ont été reconnus par M. V...,lors de son audition à la Chambre le7 octobre 1999, comme indûmentencaissés et constituant des recettes des-tinées à l’OPHLM de Malakoff ;

Attendu qu’aucune dépense susceptibled’être reconnue d’utilité publique n’a étéalléguée par le comptable de fait ; que, dèslors, il y a lieu de fixer, à titre définitif, lemontant en dépenses de la gestion de faità 0 F (0 c) ;

Attendu qu’aux termes du paragraphe VIIIde l’article 60 de la loi précitée du 23 février1963, « les débets portent intérêts au tauxlégal à compter de la date du fait généra-teur ou, si cette date ne peut être fixéeavec précision, à compter de celle de leurdécouverte » ; que dans les circonstancesde l’espèce, cette date peut être fixée au13 juin 2001, date du jugement déclarant,à titre définitif, M. V... comptable de fait dedeniers de l’office ;

Par ces motifs,

Statuant définitivement,

Ordonne ce qui suit :

La ligne de compte de la gestion de fait estfixée à 87 490,34 c (573 899 F) en recettes,à l’exclusion de toute dépense.

M. V... est constitué débiteur de l’officepublic d’habitation à loyer modéré de Mala-koff pour la somme de 87 490,34 c aug-mentée des intérêts de droit à compter du13 juin 2001.

Les sommes reversées par M. V... au titredes réparations prononcées par le jugepénal saisi de l’action civile par la personnepublique lésée s’imputeront sur le montantdu débet.

chronique financière

134 84e année - nº 2 - février 2004

Page 25: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

Le Conseil d’Etat

Michel LASCOMBE Xavier VANDENDRIESSCHEProfesseurs à l’Université de Lille-II, GERAP-GREEF

Gestion patente

patenteConseil d’Etat, 8 novembre 2002,

Buisson,req. nº 251376 (extraits)

Compétence du comptable public.

Vu le recours, enregistré le 31 octobre2002, du ministre de l’Economie, desFinances et de l’Industrie, qui demande aujuge des référés du Conseil d’Etat :

1º D’annuler l’ordonnance en date du16 octobre 2002 par laquelle le juge desréférés du tribunal administratif dePapeete, statuant en application des dispo-sitions de l’article L. 521-2 du Code de jus-tice administrative, a ordonné à la paieriedu territoire de la Polynésie française derestituer sans délai à M. Jean-Pierre Buissonla part de son salaire du mois de septembre2002 correspondant à la quotité insaisis-sable et de limiter à l’avenir les prélève-ments dans la même proportion ;

2º De rejeter la demande de première ins-tance de M. Buisson ;

Il soutient que le payeur du territoire aappliqué strictement l’interprétation,donnée par le juge des saisies sur salairesdu tribunal de première instance dePapeete, des articles 26 et 28 de la délibé-ration nº 91-005 AT de l’assemblée territo-riale de la Polynésie française du 17 janvier1991 portant application du chapitre VI dutitre I du livre I de la loi nº 88-845 du 17 juillet1986 ; (...)

En ce qui concerne la demande enréféré présentée par M. Buisson :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur lesautres moyens du recours :

Considérant que le trésorier-payeur du ter-ritoire de la Polynésie française a été saisi,d’une part, par une signification à tiersdébiteur, d’une demande de paiementdirect de pension alimentaire tendant auprélèvement, en application de la loi sus-visée du 2 janvier 1973, de la pension ali-mentaire due par M. Buisson, agent du ter-ritoire de la Polynésie française, à Mme BuiPhuong Kim, et, d’autre part, d’une ordon-nance de saisie-intervention du tribunal depremière instance de Papeete pour recou-vrement d’une somme due par M. Buissonà M. Jean-Jacques Baudry ; que le juge desréférés du tribunal administratif dePapeete, par l’ordonnance dont appel, aordonné au comptable public, sur le fon-dement de l’article L. 521-2 du Code de

justice administrative, la restitution àM. Buisson de la part de son salaire du moisde septembre 2002 correspondant à laquotité insaisissable et la limitation à l’avenirdes prélèvements dans la même propor-tion ;

Considérant que le comptable public étaittenu, en application, d’une part, des arti-cles premier et 2 de la loi du 2 janvier 1973et, d’autre part, de l’ordonnance juridic-tionnelle susmentionnée, de verser lesditessommes sans rechercher si elles excèdentle montant maximum autorisé par la régle-mentation en vigueur ; que seul le jugejudiciaire est en effet compétent pour seprononcer, à la demande du débiteur, surl’application des règles susceptibles delimiter le montant desdits prélèvements ;qu’il n’appartient pas ainsi au juge adminis-tratif de se prononcer sur ce point etnotamment sur la question de savoir siM. Buisson peut se prévaloir des disposi-tions de l’ordonnance susvisée du 24 juin1998, dont l’article 4 insère un nouvelarticle 22-2 dans la loi susvisée du 17 juillet1986 aux termes duquel « une somme est,dans tous les cas, laissée à la disposition dubénéficiaire de la rémunération dans desconditions fixées » par délibération del’assemblée territoriale ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précèdeque le ministre de l’Economie, des Financeset de l’Industrie est fondé à soutenir queles prélèvements réalisés par le comptablepublic n’ont pu revêtir le caractère d’uneatteinte manifestement illégale à uneliberté fondamentale, au sens de l’arti-cle L. 521-2 du Code de justice administra-tive, et à demander pour ce motif l’annu-lation de l’ordonnance attaquée ; (...)

Ordonne :

L’ordonnance du juge des référés du tri-bunal administratif de Papeete en date du16 octobre 2002 est annulée.

Rejet du surplus.

Observations

Le juge des référés a rarement l’occasiond’intervenir dans notre matière du moinspour déterminer les compétencesexactes du comptable public. Il résulte dela présente ordonnance, et c’est biennaturel, que si le comptable n’a pas à seprononcer sur la légalité des actes

administratifs (sauf incompétence del’auteur de l’acte ou faux manifeste), il n’apas non plus à se prononcer sur la « léga-lité » d’une demande de paiement directd’une pension alimentaire signifiée aucomptable par un tiers créancier ou surcelle d’une ordonnance de saisie-inter-vention prononcée par une juridictionjudiciaire. Il doit, dans ces cas, obtem-pérer, à charge pour la personne dont letraitement est saisi de saisir les juridictionscompétentes pour contester la validité deces actes juridiques ou juridictionnels.Tant qu’une annulation n’est pas inter-venue, ces actes doivent être appliquéspar toutes les autorités et le juge admi-nistratif ne peut pas ordonner au comp-table d’avoir à ne pas en tenir compte.

Conseil d’Etat, 30 juillet 2003,Marty (1),

req. nº 232430

Cassation (oui). Etendue du contrôle ducomptable.

Vu la requête présentée pour M. RaymondMarty demandant au Conseil d’Etatd’annuler, sans renvoi, l’arrêt, en date du7 décembre 2000, par lequel la Cour descomptes a confirmé le jugement du18 novembre 1999 rendu par la chambrerégionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur le constituant en débet enversle département des Bouches-du-Rhônepour un montant total de 133 512,63 F (...) ;

Considérant que, par un jugement rendu le18 novembre 1999 par la chambre régio-nale des comptes de Provence-Alpes-Côted’Azur, M. Marty a été constitué en débetenvers le département des Bouches-du-Rhône pour un montant total de133 512,63 F, pour avoir payé irrégulière-ment des dépenses correspondant àtrois factures, pour la réservation d’unstand d’exposition, la location du matérielnécessaire à son aménagement et des fraisde séjour, dans le cadre de la tenue à Bor-deaux du 10 au 12 juillet 1992 du congrèsd’un parti politique ; que pour confirmer,par l’arrêt attaqué, la mise en débet deM. Marty, la Cour des comptes s’est fondéesur le motif que les dépenses en cause nepouvaient pas se rattacher aux compé-tences dévolues aux départements et qu’ilaurait, dès lors, appartenu au comptable

(1) Nous remercions M. Guyomar de nous avoir commu-niqué ses conclusions.

chronique financière

135 84e année - nº 2 - février 2004

Page 26: Pierre ROCCA et Patrick SITBON

d’en suspendre le paiement et de réclamerà l’ordonnateur de justifier de leur intérêtdépartemental ;

Considérant qu’aux termes de l’article 12du décret du 29 décembre 1962 : « Lescomptables sont tenus d’exercer : (...) B) Enmatière de dépenses, le contrôle : de laqualité de l’ordonnateur ou de sondélégué ; de la disponibilité des crédits ; del’exacte imputation des dépenses aux cha-pitres qu’elles concernent selon leur natureou leur objet ; de la validité de la créancedans les conditions prévues à l’article 13 ci-après ; du caractère libératoire du règle-ment » ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositionsque si, pour apprécier la validité descréances, les comptables doivent exercerleur contrôle sur l’exactitude des calculs deliquidation et sur la production des justifi-cations, ils n’ont pas le pouvoir de se fairejuges de la légalité des décisions adminis-tratives ; que la question de savoir si undépartement peut prendre à sa charge unedépense au titre des compétences qui sontles siennes est une question de légalité quine relève pas du contrôle que doit exercerle comptable en vue du paiement ;

Considérant qu’en jugeant qu’il incombaità M. Marty de constater que les dépensesen cause ne pouvaient pas être rattachéesaux compétences départementales, alorsqu’il appartenait seulement à ce comptablede rechercher si ces dépenses n’étaient pasinsusceptibles d’être rattachées au chapitreoù elles avaient été imputées, la Cour descomptes a entaché son arrêt d’une erreurde droit ; que, par suite, M. Marty est fondéà en demander l’annulation ;

Décide :

Article premier. – L’arrêt de la Cour descomptes, en date du 7 décembre 2000, estannulé.

Art. 2. – L’affaire est renvoyée devant laCour des comptes.

Observations

L’affaire ici jugée fixe clairement la limitedes contrôles que le comptable peutopérer sur les pièces justificatives quiaccompagnent l’ordre de payer. Elle

permet aussi de fixer une jurisprudencede la Cour qui fut quelque peu fluctuante.La question ici était de déterminer jusqu’àquel degré de contrôle le comptable doitse livrer lorsqu’il vérifie l’exacte imputa-tion de la dépense. Pour ce faire, le comp-table doit vérifier que l’imputation bud-gétaire proposée par l’ordonnateur est,du moins s’agissant du chapitre unité despécialisation budgétaire dans le systèmeactuel, conforme à la nature de ladépense. La question posée ici est doncde savoir si ce contrôle lui permet derefuser une imputation au motif que ladépense en cause n’entre pas dans lescompétences de la personne publiqueconsidérée et donc ne présente pas, dansl’espèce, d’intérêt départemental. C’estainsi que la Cour avait mis le comptableen débet pour avoir payé des dépensesde relations publiques « engagées àl’occasion d’une manifestation d’ordrepolitique (qui) en raison de leur nature nepeuvent être rattachées à aucune descompétences départementales ». Commele note le commissaire du Gouvernement,la Cour avait déjà jugé dans ce sens par lepassé. Ainsi M. Guyomar signale que laCour avait rejeté, pour absence d’intérêtdépartemental, des dépenses engagées,lors de voyages à l’étranger, au béné-fice de conjoints ou d’invités de conseil-lers généraux (C. comptes, 8 janvier1981, Département du Loiret, Rec.C. comptes 359) ou encore pour absenced’intérêt communal la prise en charge defrais de déplacement de personnesn’exerçant pas de fonctions municipales(C. comptes, 7 novembre 1985, Com-mune de Rennes, Rec. C. comptes 132).Ensuite, tenant compte de la disparitionde la tutelle dans le cadre de la décentra-lisation, le juge d’appel a allégé le contrôlesur les exécutifs locaux en matière de« dépenses de relations publiques ». Ainsi,la Cour estime dès 1993 que « la questionde savoir si une commune peut légale-ment prendre à sa charge certainesdépenses n’est pas de la compétence ducomptable payeur, ni, par conséquent, dujuge des comptes, mais relève ducontrôle de légalité par la juridictionadministrative » (C. comptes, 7 octo-bre 1993, Commune de Marseille, Rec.C. comptes 109, attendu nº 11).

L’arrêt attaqué apparaît donc comme« un retour à un état antérieur » de lajurisprudence. Le Conseil d’Etat suivantson commissaire du Gouvernementchoisira de ne pas suivre cette jurispru-dence marqué(e) par la rigueur ducontrôle de l’intérêt public : « Nous vousproposons de faire vôtre le raisonne-ment tenu par la Cour des comptes, dansson arrêt du 7 octobre 1993, qui délimiteexactement ce que doit être, selon nous,la portée du contrôle du comptable surl’imputation des dépenses, ce qui revientà censurer le revirement de jurispru-dence qu’elle a effectué, le 7 décembre2000. En refusant de laisser le comptableprocéder à une vérification, au moyen ducontrôle de l’exactitude de l’imputationbudgétaire, de l’intérêt public desdépenses, vous éviterez le risque d’insti-tuer une tutelle financière sur les ordon-nateurs... Réserve faite des hypothèsesde dépenses dont l’objet est manifeste-ment étranger au chapitre d’imputation,le comptable ne saurait en effet, par lebiais d’un contrôle de légalité indirect, sefaire le juge de l’opportunité desdépenses décidées par l’ordonnateur ».

Voilà qui clôt un débat et redonne àl’ordonnateur un pouvoir d’apprécierl’opportunité de la dépense. Reste qu’ilappartient donc au juge administratif des’assurer que les dépenses engagéesrelèvent bien de la compétence de lapersonne publique qui les décide. Cecontrôle sera-t-il opéré avec rigueurdans le cadre du déféré préfectoral oufaudra-t-il attendre que le juge soit saisipar un contribuable ou plus largementun requérant ? Si, à la fin, plus aucuncontrôle de l’utilité locale des dépensesn’était effectué, le pouvoir des ordonna-teurs locaux serait vraiment très large.Reste à s’interroger sur l’attitude dulégislateur qui doit intervenir pourmettre en œuvre la révision constitution-nelle de 2003 qui devrait encore accen-tuer l’autonomie financière des collecti-vités territoriales. Prendra-t-il en comptecette évolution de la jurisprudence finan-cière pour donner au juge administratifles moyens d’assurer ce contrôle ? La lec-ture des textes récents ne semble pasl’indiquer.

Gestion de fait

faitConseil d’Etat, 30 juillet 2003,

Wach (2),req. nº 241260

Cassation (non). Gestion de fait (oui) ;mandat fictif ; deuxième cassation.

Vu la requête présentée pour Mme veuveWach, agissant en qualité d’héritière deM. Antoine Wach demandant au Conseild’Etat d’annuler l’arrêt du 4 juillet 2001 parlequel la Cour des comptes a rejeté sarequête tendant à l’annulation des juge-ments en date du 24 février 1995 et du3 mai 1996 par lesquels la chambre régio-nale des comptes d’Alsace a déclaréM. Wach comptable de fait des deniers dela commune d’Illkirch-Graffenstaden etdébiteur, conjointement et solidairement

avec M. Durr, des deniers de cette com-mune à hauteur de 470 558,40 F(71 736 c) ; (...)

Considérant que, pour confirmer les juge-ments de la chambre régionale descomptes d’Alsace déclarant Mme veuveWach, en qualité d’héritière de son mari,comptable de fait des deniers de la com-mune d’Illkirch-Graffenstaden et débitriceenvers cette commune, conjointement etsolidairement avec M. Durr, de la sommede 470 558,40 F (71 736 c), la Cour descomptes s’est fondée sur le fait queM. Wach avait accepté de signer un ordrede virement périodique à M. Durr portantsur la fraction de l’indemnité de fonctionde maire que ce dernier lui avait attribuéeaprès avoir pris un arrêté lui déléguant une

partie de ses fonctions ; qu’elle a relevé queM. Durr se trouvait ainsi être le créancierréel du mandat émis au profit de M. Wachet que ce mandat, qu’elle a qualifié de fictif,avait permis d’extraire irrégulièrement desdeniers de la caisse publique ;

Considérant qu’il ressort des termesmêmes de la décision attaquée que la Courdes comptes, si elle a pu légalement forgerson appréciation des faits de l’espèce au vudes énonciations du juge pénal, ne s’est pasestimée tenue par la qualification des faitsretenue par la cour d’appel de Colmar dansson arrêt du 17 décembre 1993 statuantsur les poursuites dirigées à l’encontre deM. Durr ; qu’ainsi Mme veuve Wach n’est

(2) Nous remercions M. Lamy de nous avoir communiquéses conclusions.

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pas fondée à soutenir que les juges descomptes se seraient regardés à tort commeliés par les appréciations du juge pénal ; quele moyen tiré de ce que l’arrêt attaqué estentaché d’erreur de droit doit donc êtreécarté ;

Considérant qu’aux termes de l’arti-cle L. 123-9 du Code des communes envigueur à l’époque des faits : « Les indem-nités de maires ou d’adjoints ne sont per-çues qu’à concurrence de la moitié lorsquele maire ou l’adjoint est membre del’Assemblée nationale ou du Sénat ; l’autremoitié peut être déléguée par l’intéressé àcelui ou à ceux qui le suppléent dans lesfonctions de magistrat municipal » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dos-sier soumis aux juges du fond que M. Wachn’était pas le destinataire réel du mandatde paiement émis à son profit et portantsur la partie de l’indemnité de fonction demaire que M. Durr lui avait attribuée ; qu’ilsuit de là que la Cour des comptes a exac-tement qualifié les faits de l’espèce en esti-mant que ce mandat avait un caractèrefictif et que les sommes versées sur sa pré-sentation avaient été irrégulièrementextraites de la caisse publique ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui pré-cède que Mme veuve Wach n’est pasfondée à demander l’annulation de l’arrêtde la Cour des comptes du 4 juillet 2001 ;

Décide :

Article premier. – La requête deMme veuve Wach est rejetée.

Observations

La présente décision montre, s’il en étaitbesoin, que les justiciables vont souventau bout des possibilités que leur offrent

les différents recours possibles (un autreexemple est donné ci-dessous parl’affaire Perrin et Deltana). L’affaire a, eneffet, déjà été portée devant le juge decassation (CE, 29 novembre 1999, LaRevue du Trésor 2000.452 et nos obser-vations) (3). L’arrêt de la Cour avaitconfirmé la déclaration définitive de ges-tion de fait prononcée à l’encontre deM. Wach en se basant sur une décision dujuge pénal n’ayant pas, à l’égard deM. Wach, l’autorité de la chose jugée. Leschambres réunies, sur renvoi, ont main-tenu la position primitive mais en la justi-fiant cette fois par un autre motif : l’exis-tence d’un mandat fictif. Cettesubstitution de motif permet à la Cour dene pas encourir le grief d’avoir méconnul’autorité de la chose jugée. Il fallait doncque le Conseil se prononce cette fois surl’existence de ce mandat fictif, c’est-à-dire un mandat régulier en apparence,émanant de l’ordonnateur compétentmais basé sur des pièces fausses ou descertifications mensongères. Ainsi, alorsque le comptable pense extraire desfonds de sa caisse pour honorer tellecréance, ces fonds ont en fait une autreutilité ou une autre destination. Enl’espèce, le destinataire réel des sommesn’était pas la personne pour laquelle lemandat avait été établi. Le maire de lacommune étant devenu député, il nepouvait plus percevoir (à l’époque) que lamoitié de son indemnité de maire, l’autremoitié pouvant « être déléguée par l’inté-ressé à celui ou à ceux qui le suppléentdans les fonctions de magistrat muni-cipal ». Le maire avait ainsi délégué cetteautre moitié à un conseiller, mais celui-cila lui reversait chaque mois par virementpériodique. Pouvait-il agir de la sorte ? Lejuge des comptes, comme le juge de

cassation, ne pense pas que cette facultélui ait été ouverte qu’il ait ou non exercéles fonctions qui lui étaient déléguées.Deux raisons semblent emporter laconviction du juge de cassation. D’unepart, le reversement était systématique ;d’autre part, le maire avait la faculté (etnon l’obligation) de déléguer tout oupartie de cette moitié d’indemnité à lapersonne le suppléant. Dès lors, s’il l’a faitc’est parce qu’il y avait eu, avant, accordsur le reversement systématique dessommes en question ; le mandat étaitdonc bel et bien fictif puisque le destina-taire réel des sommes était non pointM. Wach, mais le maire. Le Conseilconfirme donc l’arrêt de la Cour.

On notera pourtant que, selon le commis-saire du Gouvernement Lamy, la solutionn’était pas aussi nette. Tout d’abord, il nemanque pas de signaler que « la solutionde la Cour peut à première vue paraîtresévère en ce qui concerne (M. Wach) etplus encore en ce qui concerne sa veuve ».Mais surtout il indique : « Non sans avoirhésité, nous ne vous proposerons toute-fois pas de censurer l’arrêt attaqué ». Eneffet, M. Lamy indique : « S’il devaits’avérer que (M. Wach) avait exercé sesfonctions, les indemnités qui lui ont étéversées auraient alors eu leur contre-partie, et après tout on pourrait consi-dérer que, si M. Wach a accompli son ser-vice, il doit pouvoir disposer librement dessommes qu’il a perçues. Il pourrait lesverser à son fils, à sa femme, et celan’aurait pas pu justifier la gestion de faità son encontre. Il les a reversées à " celuiqui avait fait sa carrière politique " (...)Faut-il faire une différence ? Il est permisde s’interroger ».

Procédure

ProcédureConseil d’Etat, 13 février 2002,

Mme Cans (1re espèce),req. nº 213531

Cassation (non). Gestion de fait ; partici-pation du rapporteur au délibéré ; per-sonnes susceptibles d’être déclarées ges-tionnaires de fait ; contractuel de droitpublic.

Vu la requête présentée pour Mme ChantalCans qui demande au Conseil d’Etat :

1º D’annuler l’arrêt nº 22334 (4) du18 février 1999 par lequel la Cour descomptes, statuant définitivement, l’adéclarée comptable de fait des deniers del’Etat à raison de opérations exécutées enapplication des subventions nº 92-172 du24 novembre 1992 et nº 93-262 du12 octobre 1993 attribuées à la Sociétéfrançaise pour le droit de l’environnement(SFDE) ;

2º De condamner l’Etat à lui verser lasomme de 25 000 F en application del’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; (...)

Considérant qu’il ressort des pièces du dos-sier, notamment d’une lettre que le

premier président de la Cour des comptesa adressée le 11 septembre 1996 au prési-dent de Société française pour le droit del’environnement (SFDE), que les comptes etla gestion de cet organisme ont fait l’objetd’une vérification pour les exercices 1991 à1995 ; qu’une procédure juridictionnelle dedéclaration de gestion de fait ayant étéengagée à l’issue du contrôle, l’arrêtattaqué, nº 22334 du 18 février 1999, a défi-nitivement déclaré Mme Cans, conjointe-ment et solidairement avec d’autres per-sonnes, comptable de fait des deniers del’Etat à raison de l’emploi irrégulier des sub-ventions allouées à la SFDE ;

Considérant, en premier lieu, que le rappor-teur de l’arrêt attaqué n’avait pas pris partà la vérification des comptes et de la ges-tion de la SFDE ; que la participation du rap-porteur au délibéré n’est pas, par elle-même, de nature à méconnaître le principed’impartialité ; qu’ainsi le moyen tiré del’irrégularité de la formation de jugementdoit être écarté ;

Considérant, en second lieu, qu’eu égardaux responsabilités de Mme Cans qui étaitchef du service juridique, assurait la gestion

des crédits de recherche de la direction dela recherche, des affaires économiques etinternationales (DRAEI) du ministère del’Environnement et a pris une part activedans les opérations irrégulières, et alorsmême qu’elle ne bénéficiait pas d’une délé-gation de signature et était agent contrac-tuel, la Cour des comptes n’a pas fait uneapplication erronée des dispositions du XIde l’article 60 de la loi du 23 février 1960susvisée en déclarant la requérante comp-table de fait ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précèdeque Mme Cans n’est pas fondée àdemander l’annulation de l’arrêt attaqué,lequel est suffisamment motivé ;

Sur les conclusions de Mme Cans tendantau remboursement des frais exposés etnon compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l’arti-cle L. 761-1 du Code de justice administra-tive font obstacle à ce que l’Etat, qui n’estpas dans la présente instance la partie

(3) Voir également nos observations sous l’arrêt « Perrinet Deltana » ci-dessous.

(4) Voir La Revue du Trésor 2000.204 et nos obs.

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perdante, soit condamné à lui payer lasomme qu’elle demande au titre des fraisexposés par elle et non compris dans lesdépens ;

Décide :

Article premier. – La requête de Mme Cansest rejetée.

Conseil d’Etat, 13 février 2002,Mme Cans (2e espèce),

req. nos 213528, 213529, 213530

Cassation (oui). Gestion de fait ; participa-tion du rapporteur au délibéré.

Vu les requêtes présentées pourMme Chantal Cans qui demande au Conseild’Etat :

– d’annuler l’arrêt nº 22372 (5) du 18 février1999 par lequel la Cour des comptes, sta-tuant définitivement, l’a déclarée comp-table de fait des deniers de l’Etat à raisondes opérations exécutées en applicationdes subventions de recherche du 1er sep-tembre 1993 et du 12 décembre 1994 attri-buées à la Société de mathématiques appli-quées et de sciences humaines (SMASH) ;

– de condamner l’Etat à lui verser lasomme de 25 000 F en application del’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

– d’annuler l’arrêt nº 22371 (6) du 18 février1999 par lequel la Cour des comptes, sta-tuant définitivement, l’a déclarée comp-table de fait des deniers de l’Etat à raisondes opérations exécutées en applicationdes subventions nº 92-001 du 27 février1992 et nº 93-280 du 8 novembre 1993attribuées à la Société de mathématiquesappliquées et de sciences humaines(SMASH) ;

– de condamner l’Etat à lui verser lasomme de 25 000 F en application del’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

– d’annuler l’arrêt nº 22373 du 18 février1999 par lequel la Cour des comptes, sta-tuant définitivement, l’a déclarée comp-table de fait des deniers de l’Etat à raisond’opérations exécutées en application de lasubvention nº 94-001 du 11 avril 1994 attri-buée à la Société de mathématiques appli-quées et de sciences humaines (SMASH) ;

– de condamner l’Etat à lui verser lasomme de 25 000 F en application del’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; (...)

Jonction :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur lesautres moyens des requêtes :

Considérant, d’une part, qu’aux termes del’article L. 111-7 du Code des juridictionsfinancières : « La Cour des comptes peutexercer, dans des conditions fixées par voieréglementaire, un contrôle sur les orga-nismes qui bénéficient du concours finan-cier de l’Etat, d’une autre personne sou-mise à son contrôle ainsi que dela Communauté européenne » ; quel’article 38 du décret nº 85-199 du 11 février1985, aujourd’hui codifié à l’article R. 133-4du Code des juridictions financières, dis-pose : « Les organismes, dont la gestionn’est pas assujettie aux règles de la comp-tabilité publique et qui bénéficient de taxesparafiscales, de cotisations légalement obli-gatoires, de subventions ou d’autresconcours financiers de la part de l’Etat oud’une autre personne morale soumise au

contrôle de la Cour, peuvent faire l’objetd’un contrôle de la Cour des comptes, sousréserve des compétences attribuées auxchambres régionales des comptes... Lecontrôle est décidé, après avis du procu-reur général, par le premier président, surproposition du président de la Chambre ou,le cas échéant, du président de la sectioncompétente. Cette décision, qui précise lesexercices sur lesquels porteront lescontrôles et désigne les rapporteurschargés de l’enquête, est notifiée aux diri-geants de l’organisme concerné ; elle estportée à la connaissance du ministre chargédes Finances lorsque le concours financierne revêt pas la forme d’une taxe parafis-cale, d’une cotisation légalement obliga-toire ou d’une subvention. Le contrôleporte sur l’ensemble des comptes et de lagestion de l’organisme vérifié. Toutefois.lorsque le concours financier attribué sousforme d’une taxe parafiscale, d’une cotisa-tion légalement obligatoire ou d’une sub-vention est affecté à une dépense déter-minée et qu’il ne dépasse pas 50 % desressources totales de l’organisme bénéfi-ciaire, le contrôle se limite au compted’emploi du concours financier que l’orga-nisme doit établir. Si ce compte d’emploin’est pas produit, le contrôle porte surl’ensemble des comptes et de la gestion » ;

Considérant, d’autre part, que l’arti-cle L. 131-2 du Code des juridictions finan-cières prévoit que : « la Cour des comptesjuge les comptes que lui rendent les per-sonnes qu’elle a déclarées comptables defait. Elle n’a pas juridiction sur les ordonna-teurs, sauf sur ceux qu’elle a déclarés comp-tables de fait » ; que les articles 16, 17 et 18du décret du 11 février 1985, aujourd’huicodifiés aux articles R. 141-1, R. 141-2 etR. 141-3 du Code des juridictions finan-cières, disposent respectivement : « Art. 16.– Les contrôles de la Cour des comptes sontconfiés à des conseillers maîtres, à desconseillers maîtres en service extraordinaire,à des conseillers référendaires, à des audi-teurs ou à des rapporteurs mentionnés auxdeux premiers alinéas de l’article 12 ci-dessus, chargés d’en faire rapport devant leschambres réunies, une Chambre, une sec-tion de chambre ou une formation inter-chambres. Art. 17. – Pour l’exécution de leurmission, les rapporteurs procèdent à toutesinvestigations qu’ils jugent utiles sur pièceset sur place. Celles-ci comportent, en tantque de besoin, toutes demandes de rensei-gnements, enquêtes ou expertises dans lesconditions définies aux articles 18 à 21 duprésent décret. (...) Art. 18. – Les ordonna-teurs, les comptables, les dirigeants des ser-vices et organismes vérifiés et les autoritésde tutelle sont tenus de communiquer surleur demande aux rapporteurs de la Courdes comptes ayant ou non la qualité demagistrat tous documents et de fournirtous renseignements relatifs à la gestion desservices et organismes soumis au contrôlede la Cour. Ces rapporteurs peuvent serendre dans les services des ordonnateurset des comptables. Les responsables de cesservices prennent toutes dispositions pourque les rapporteurs aient connaissance desécritures et documents tenus, et en parti-culier, des pièces préparant et justifiant lerecouvrement des recettes, l’engagement,la liquidation et le paiement des dépenses.Les rapporteurs se font délivrer copie despièces qu’ils estiment nécessaires à leurcontrôle. Pour les gestions ou opérationsfaisant appel à l’informatique, le droit de

communication implique l’accès à l’en-semble des données ainsi que la faculté d’endemander la transcription par tout traite-ment approprié dans des documents direc-tement utilisables pour les besoins ducontrôle. Les rapporteurs ont accès à tousimmeubles, locaux et propriétés comprisdans les patrimoines de l’Etat, ou des autrespersonnes morales de droit public et orga-nismes soumis au contrôle de la Cour ; ilspeuvent procéder à toutes vérifications por-tant sur les fournitures, les matériels, les tra-vaux et les constructions » ;

Considérant, par ailleurs, que l’article 22 dudécret du 11 février 1985 aujourd’hui codifiéà l’article R. 141-7 du Code des juridictionsfinancières, prévoit que : « Les observationsauxquelles donnent lieu les contrôles sontconsignées dans un rapport. Les suites à leurdonner font l’objet de propositions moti-vées. Après communication au procureurgénéral s’il y a lieu, le président de chambreou, le cas échéant, le président de la sectionou de la formation interchambres transmetle rapport et les pièces annexées auconseiller maître ou au conseiller maître enservice extraordinaire, contre-rapporteur(...) » ; qu’enfin, aux termes de l’article 23 dumême décret, aujourd’hui codifié à l’arti-cle R. 141-8 du Code des juridictions finan-cières : « Le rapporteur présente son rapportdevant la formation compétente. Le contre-rapporteur fait connaître son avis sur cha-cune des propositions formulées. (....) Laformation délibère ensuite ; elle rend unedécision sur chaque proposition. S’il estnécessaire de procéder à un vote, le prési-dent recueille successivement l’opinion durapporteur, de chacun des conseillers maî-tres en service extraordinaire pour lesaffaires examinées au titre de l’article 6 bisde la loi nº 67-483 du 22 juin 1967, puis dechacun des conseillers maîtres dans l’ordreinverse de leur ancienneté dans le grade. Ilopine le dernier. En cas de partage, sa voixest prépondérante » ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble deces dispositions que lorsque la Cour descomptes procède à l’examen de la gestiond’une collectivité publique ou d’un orga-nisme soumis à son contrôle, son rappor-teur peut être appelé, par la nature mêmede la mission qui lui est impartie, à constaterdes manquements aux règles de la comp-tabilité publique qui peuvent conduire à ceque la Cour soit saisie, dans le cadre d’uneprocédure juridictionnelle, de ces constata-tions ; que les larges pouvoirs d’investiga-tion dont le rapporteur est investi pour pro-céder à la vérification de la gestion desorganismes et collectivités soumis aucontrôle de la Cour des comptes ne seconfondent pas avec ceux qui peuvent êtremis en œuvre par la formation de jugementcollégiale chargée de se prononcer sur unedéclaration de gestion de fait ;

Considérant, dès lors, que le principed’impartialité applicable à toutes les juridic-tions administratives fait obstacle à ce quele rapporteur de la Cour des comptes parti-cipe au jugement de comptes dont il a eu àconnaître à l’occasion d’une vérification degestion ; qu’il s’ensuit que la participation audélibéré de la formation de jugementchargée de se prononcer sur une déclara-tion de gestion de fait du rapporteur auquela été confiée la vérification de la gestion de

(5) Voir La Revue du Trésor 2001.195 et nos obs.(6) Voir La Revue du Trésor 2001.192 et nos obs.

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l’organisme dont les deniers sont en causeentache d’irrégularité la composition decette formation ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dos-sier, notamment d’une lettre que le pre-mier président de la Cour des comptes aadressée le 23 décembre 1996 à l’adminis-trateur trésorier de la Société de mathéma-tiques appliquées et de sciences humaines(SMASH), qu’un auditeur à la Cour descomptes, ainsi qu’un fonctionnaire visé àl’article 12 du décret du 11 février 1985, ontprocédé à la vérification des comptesd’emploi des concours financiers publicsattribués à cet organisme durant les exer-cices 1990 à 1996 ; qu’à la suite de leur rap-port, une procédure juridictionnelle dedéclaration de gestion de fait a été engagéeà l’encontre de dirigeants de la SMASH etde cadres du ministère de l’Environnement,au nombre desquels figurait Mme Cans, àraison de griefs tirés de ce que les subven-tions attribuées à la SMASH avaient irrégu-lièrement été utilisées pour pourvoir à desdépenses de fonctionnement et de per-sonnel qui auraient dû être prises en chargepar le ministère de l’Environnement ; quele même auditeur à la Cour des comptes aensuite, en tant que magistrat, occupé lesfonctions de rapporteur devant la 4e sec-tion de la 2e Chambre chargée de se pro-noncer sur les opérations présuméesconstitutives de gestion de fait des deniersde l’Etat ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précèdeque la composition de cette formation dejugement était irrégulière ; que Mme Cansest dès lors fondée à demander, pour cemotif, l’annulation des arrêts de la Cour descomptes nos 22371, 22372, et 22373 du18 février 1999 en tant qu’ils la déclarent,conjointement et solidairement avecd’autres personnes, comptable de fait desdeniers de l’Etat ;

Sur les conclusions de Mme Cans tendantau remboursement des frais exposés etnon compris dans les dépens :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circons-tances de l’espèce, de faire application desdispositions de l’article L. 761-1 du Code dejustice administrative et de condamnerl’Etat à verser à Mme Cans une somme de3 049 c au titre des frais exposés par elle etnon compris dans les dépens ;

Décide :

Article premier. – Les arrêts de la Cour descomptes nos 22371, 22372 et 22373 du18 février 1999 sont annulés en tant qu’ilsdéclarent Mme Cans, conjointement et soli-dairement avec d’autres personnes, comp-table de fait des deniers de l’Etat.

Art. 2. – Les affaires sont renvoyées devantla Cour des comptes.

Art. 3. – L’Etat versera à Mme Cans unesomme de 3 049 c au titre de l’article L. 761du Code de justice administrative.

Conseil d’Etat, 24 février 2003,Perrin et Deltana,

req. nº 227945

Cassation (non). Gestion de fait ; partici-pation du rapporteur au délibéré de pre-mière instance ; moyen de cassation (non) ;participation du contre-rapporteur au déli-béré ; préjugement, rapport public ;deuxième cassation.

Vu la requête présentée pour M. ThierryPerrin, (...), et la SARL Deltana, (...) quidemandent que le Conseil d’Etat annulel’arrêt du 14 juin 2000 (7) par lequel la Courdes comptes a condamné M. Perrin au ver-sement d’une amende de 500 000 F ; (...)

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

Considérant que le rapport du rapporteurprès les juridictions financières ne constituepas une pièce de la procédure d’instructionmais participe à la fonction de jugerdévolue à la formation collégiale dont cemagistrat est membre ; que par suite, etpas plus d’ailleurs que celui du contre-rap-porteur, il n’a à être communiqué auxrequérants préalablement au jugement del’affaire ;

Considérant que si, à l’appui de leur pourvoicontre l’arrêt du 6 octobre 2000 leur infli-geant une amende pour immixtion dans lesfonctions de comptable public, la SARL Del-tana et M. Perrin font valoir que la Cour descomptes a pris parti, de manière publique,dans son rapport au président de la Répu-blique pour l’année 1991, sur les faits quiont donné lieu à la procédure d’apurementde la gestion de fait, il ressort des termesmêmes de ce rapport que si la Cour descomptes a évoqué l’ouverture des procé-dures par la chambre régionale descomptes, elle n’a pas préjugé les apprécia-tions qu’elle a portées dans l’arrêt attaqué ;qu’il suit de là que les requérants ne sontpas fondés à soutenir que la Cour descomptes aurait méconnu le principed’impartialité et celui des droits de ladéfense ;

Considérant que le principe générald’impartialité ne fait pas obstacle à ce quele magistrat de la Cour des comptes investides fonctions de contre-rapporteur parti-cipe au délibéré de la formation de juge-ment appelée à statuer sur l’amende pourgestion de fait, dès lors que ce magistratn’a exercé aucun pouvoir d’investigation ;

Considérant que la SARL Deltana etM. Perrin ne sont pas recevables à soutenirpour la première fois devant le juge de cas-sation que la participation du rapporteurprès la chambre régionale des comptes audélibéré du jugement du 4 octobre 1994 améconnu le principe général d’impartialité,ni que l’audience n’aurait pas été publiquedevant la chambre régionale des comptes ;

Considérant que la Cour des comptes aindiqué avec précision les raisons pour les-quelles le comportement de M. Perrin etcelui de la société Deltana justifiaient desamendes du montant de celles qui ont étéinfligées ; que le moyen tiré de ce quel’arrêt attaqué ne serait, sur ce point, passuffisamment motivé doit donc êtreécarté ;

Sur la légalité de l’arrêt attaqué :

Considérant qu’en indiquant que les requé-rants étaient passibles de l’amende prévueà l’article L. 131-11 du Code des juridictionsfinancières dès lors qu’ils avaient étédéclarés comptables de fait par un arrêtdevenu définitif, la Cour des comptes n’apas entaché son arrêt de dénaturation ;

Considérant que, contrairement à cequ’indiquent les requérants, la Cour nes’est livrée à aucune substitution demotifs ;

Considérant que l’arrêt attaqué vise le para-graphe XI de l’article 60 de la loi de finances

du 23 février 1963, dont le dernier alinéadispose : « Les comptables de fait pourront,dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet despoursuites au titre du délit prévu etréprimé par l’article 433-12 du Code pénal,être condamnés aux amendes prévues parla loi », ainsi que le Code des juridictionsfinancières, dont l’article L. 131-11 prévoitl’amende pour immixtion dans les fonc-tions de comptable public ; qu’ainsi lesrequérants ne sont pas fondés à soutenirque l’amende qu’ils contestent a été pro-noncée en violation des stipulations duparagraphe 3, a), de l’article 6 de la Conven-tion européenne de sauvegarde des droitsde l’homme et des libertés fondamentalesau motif qu’ils n’auraient pas été informésqu’une immixtion dans les fonctions decomptable public leur était reprochée ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui pré-cède que M. Perrin et la SARL Deltana nesont pas fondés à demander l’annulationde l’arrêt du 14 juin 2000 de la Cour descomptes ;

Décide :

Article premier. – La requête de M. Perrinet de la SARL Deltana est rejetée.

Observations

Participation du rapporteur au déli-béré

La question traitée dans les trois espècesreproduites ci-dessus est aujourd’hui par-tiellement résolue puisque la loinº 2001-1248 du 21 décembre 2001 rela-tive aux chambres régionales descomptes et à la Cour des comptes (8) aajouté un alinéa à l’article L. 140-7 du Codedes juridictions financières qui prévoitdésormais que « lorsque la Cour descomptes statue en matière de gestion defait et d’amende, elle délibère hors la pré-sence du rapporteur. L’arrêt est rendu enaudience publique ».

Pourtant, intervenant sur des faits anté-rieurs à cette loi, le Conseil d’Etat jugeselon la jurisprudence qu’il avait dégagéeen particulier dans sa décision « Razel »(CE, 6 avril 2001, SA Entreprise RazelFrères, M. Le Leuch, La Revue duTrésor 2002.221 et nos observations ; RFDadm. 2001.1299, concl. Seban et notrenote. Voir également nos observationssous CE, 27 juillet 2001, Bernardeaux etPetit (2 espèces), La Revue duTrésor 2001.223). Dans la première espèce(Cans, req. nº 213531), le Conseil d’Etatrejette donc le pourvoi au motif que lerapporteur de l’arrêt attaqué n’avait paspris part à la vérification des comptes etde la gestion de la SFDE, la participationdu rapporteur au délibéré n’étant pas « enelle-même » de nature à méconnaître leprincipe d’impartialité. En revanche, dansla seconde espèce (Cans, req. nos 213528,213529, 213530) ce même principe faitobstacle à ce que le rapporteur de la Courparticipe au jugement de comptes dont ila eu à connaître à l’occasion d’une vérifi-cation de gestion. Le législateur a fait dis-paraître cette distinction et a ainsi sim-plifié la situation en instituant uneinterdiction générale de la participationdu rapporteur au délibéré quelle que soitson activité préalable.

(7) Voir La Revue du Trésor 2001.352 et nos obs.(8) JO, 26 décembre 2001, p. 20575.

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Cependant, comme nous le notions dansnos observations sous la décision « Razel »précitée, le législateur n’interdit pas à unmême rapporteur d’exercer sa missiond’abord au titre d’un contrôle non juridic-tionnel puis au titre d’une procédure degestion de fait ou de jugement descomptes patents. Le seul fait que le rap-porteur ne participe pas au délibéré est-ilune garantie suffisante dans ce cas ? Onpeut s’interroger dans la mesure où lerapport détermine largement la façondont le juge abordera une affaire.

Enfin, dans la troisième espèce (Perrin etDeltana, affaire faisant suite à une précé-dente cassation : CE, 28 octobre 1998,Rec. CE 415 qui avait cassé le premier arrêtde la Cour pour avoir prononcé lesamendes de gestion de fait sans audiencepublique. La Cour a logiquement repris lesmêmes sanctions en audience publique le6 octobre 2000 ; c’est ce nouvel arrêt quifait l’objet du présent pourvoi), le jugerappelle que la question de la participationdu rapporteur au délibéré du jugementd’une CRC ne peut pas être soulevée pourla première fois en cassation. Mais l’intérêtde cette décision est autre. Elle précise eneffet que l’interdiction faite de participerau délibéré ne vaut pour le seul rappor-teur et non pour le magistrat de la Courdes comptes investi des fonctions decontre-rapporteur dès lors qu’il n’aexercé aucun pouvoir d’investigation. LeConseil semble donc vouloir « transposer »pour partie la jurisprudence « Razel » aucontre-rapporteur alors qu’elle estdevenue inutile s’agissant des rappor-teurs avec la nouvelle rédaction dul’article L. 140-7 du Code des juridictionsfinancières. En effet, il visait déjà, dansl’arrêt « Razel », les « larges pouvoirsd’investigation » du rapporteur.

Il sera intéressant de voir dans quellemesure, lorsque le contre-rapporteuraura exceptionnellement exercé des pou-voirs d’instruction, en provoquant lesmesures supplémentaires qu’il jugenécessaires, il ne participera pas au déli-béré. Néanmoins, la solution présente lesmêmes inconvénients de complexité queceux dont nous nous étions fait l’échodans nos annotations sous l’arrêt« RMR » (9) et il faudra s’interroger sansdoute sur l’application de la « théorie desapparences » au contre-rapporteur dèslors qu’un doute est permis sur son rôleexact. En effet, le justiciable comprendramal pourquoi, dans certaines affaires, lecontre-rapporteur participe et pourquoidans d’autres, il ne participe pas. Le légis-lateur devra-t-il là encore intervenir ?

La communication du rapport

Les requérants, dans l’affaire « Perrin etDeltana », soulevaient par ailleurs le faitque les rapports du rapporteur et ducontre-rapporteur ne leur avaient pas étécommuniqués. La question peut semblerréglée et le Conseil d’Etat l’a cru. Ilreprend, suivant les conclusions de soncommissaire du Gouvernement, le consi-dérant qui traitait de cette question dansl’arrêt « RMR ». On doit nécessairementnoter cette reprise au mot près. En effet,une différence majeure doit être notéeentre l’affaire « RMR » et l’affaire « Perrinet SARL Deltana ». Dans la première affaire,le rapporteur participait au délibéré ; dureste le Conseil d’Etat en l’espèce indi-quait que cette participation n’avait pas

entaché l’arrêt d’un manquement auprincipe d’impartialité. Depuis, le législa-teur étant intervenu, le rapporteur neparticipe en aucune hypothèse au déli-béré de quelque phase que ce soit de laprocédure de gestion de fait ou du pro-noncé d’une amende : il n’y participaitdonc pas dans la seconde affaire.

Logique dans la première situation, lasolution retenue par le Conseil appelle desréserves dans la seconde. En effet, com-ment encore estimer que le rapporteurparticipe à la fonction de juger dès lorsqu’il ne participe plus au délibéré. Certes,le Conseil d’Etat a de la « fonction dejuger » une conception extensive puisqu’ilestime que le commissaire du Gouverne-ment y participe, ce qui justifie que sesconclusions ne soient pas communiquées(CE, 29 juillet 1998, Esclatine, Rec. CE 320,concl. Chauvaux ; AJDA 1999.69, noteRolin). Mais il faut faire ici une distinctionentre les conclusions et le rapport. Lesconclusions sont prononcées « après laclôture de l’instruction à laquelle il a étéprocédé contradictoirement » commel’indique le Conseil dans l’affaire Esclatine.Le rapporteur, comme le note le commis-saire du Gouvernement Seban dans sesconclusions sur « Razel », dispose de« pouvoirs d’investigation », de la possibi-lité de réaliser des vérifications sur pièceset sur place ... donc en fait de pouvoirsqui participent pour beaucoup plus à l’ins-truction que ceux du rapporteur devantles juridictions administratives de droitcommun et en tout cas du commissairedu Gouvernement. Dès lors, il paraît doncà tout le moins curieux de justifier la non-communication du rapport par le fait quece document « participe à la fonction dejuger dévolue à la formation collégialedont ce magistrat est membre » sansexpliquer autrement qu’il en soit ainsi,bien qu’il ne participe pas au délibéré etqu’il dispose de pouvoirs d’investigation.Dans ces conditions, et sachant que main-tenant l’article 6, paragraphe 1 s’appliqueà la procédure de gestion de fait selon lajurisprudence de la Cour EDH (10), il paraîtdifficile de ne plus le communiquer auxparties au moins s’agissant de l’amende,ce qui est le cas en l’espèce. En effet, lajurisprudence de la Cour EDH est assezclaire sur ce point. Résumons-la :

Le rapport du conseiller rapporteur, s’iln’est pas communiqué aux parties dansdes « conditions identiques » à celles de sacommunication à l’avocat général, créeun « déséquilibre au détriment du requé-rant » [§ 105] (11). Or, dans la procéduredevant les juridictions financières, le rap-port peut être communiqué au Ministèrepublic afin qu’il puisse prendre sesconclusions (art. L. 141-8 du Code des juri-dictions financières). Comme devant lesjuridictions judiciaires, les conclusions duParquet devant les juridictions financières« conseillent les juges quant à la solutionà apporter », et conjuguées avec « l’auto-rité que lui confèrent ses fonctions » ellessont de nature à « influencer leur déci-sion ». Certes, la Cour EDH n’a traité cesquestions jusqu’alors que s’agissant dujuge judiciaire. Mais on sait, du moins enmatière d’amende, que c’est le voletpénal de l’article 6, paragraphe 1 CEDH quiest retenu par la Cour. Dès lors, la simili-tude des situations est frappante et l’onpeut légitimement s’interroger sur la

pertinence du maintien de la jurispru-dence « RMR » sur la non-communicationdu rapport. C’est sans doute dans ce sens,à moins que le législateur n’intervienne,que devra évoluer la jurisprudence si leConseil ne veut pas encourir la sanctiondu juge européen.

On notera enfin, que s’agissant desconclusions du commissaire du Gouver-nement (12) et des conclusions del’avocat général devant la Cour de cassa-tion (13), la Cour EDH impose à tout lemoins que le sens général en soit com-muniqué aux parties. Rien de tel n’est misen place s’agissant du rapport du rappor-teur et des conclusions du Parquetdevant les juridictions financières. Enfin,la Cour retient aussi comme élément per-mettant de conclure à une non-violationde la CEDH que les parties peuvent pré-senter une note en délibéré. Or là encore,cette possibilité n’est pas prévue devantle juge financier.

Personnes susceptibles d’être décla-rées comptables de fait

Obsolète sur la question de la participa-tion du rapporteur au délibéré, la pre-mière espèce Cans (req. nº 213531) vienten revanche confirmer la position de laCour sur la question de la déterminationdes personnes susceptibles d’être décla-rées comptables de fait. On sait, en effet,que le juge financier admet que les sim-ples exécutants sans initiative d’ordre hié-rarchique ne peuvent se voir déclaréscomptables de fait (C. comptes, 15 janvier1875, Janvier de la Motte, Départementde l’Eure et Commune d’Evreux , GAJF,4e éd., nº 42. CRC Alsace, 11 mars et18 novembre 1994, Courtes, Krauss etReiminger et la Société d’assurance Grou-pama, Rec. C. comptes 26). Pour parvenirà ce résultat, la juridiction financière tientcompte de différents critères tels quel’existence d’une situation de subordina-tion pour estimer que l’intéressé n’a pasjoué un rôle actif dans la gestion defait (CRC Alsace, 7 avril 1995, Directeurgénéral des services de la régionAlsace et Société RMR, La Revue duTrésor 1998.104), le fait que les subor-donnés ignoraient la fraude mise en placeet que, sitôt celle-ci connue d’eux, ils ontalerté leurs supérieurs hiérarchiqueset l’agent comptable (C. comptes,21 décembre 1955, Fonds d’action socialepour les travailleurs immigrés etSARL Tacha, Rec. C. comptes 115) ainsi quele grade des agents pour déterminer s’ilsétaient effectivement ou non placésdans une situation de dépendance(C. comptes, 8 décembre 1982, Lan-dowski, Rec. C. comptes 248). Cette juris-prudence pouvait logiquement conduireà s’interroger sur la situation des agentscontractuels de l’Administration. Sont-ilsdans une situation leur permettant des’opposer à la mise en œuvre d’une ges-tion de fait ou le contrat qui les lie à

(9) CE, ass., 14 décembre. 2001, RFD adm. 2002.1152.Nous estimions la solution retenue pour le rapporteurcomme « inutilement complexe » dès lors que la partici-pation au délibéré devrait être examinée au cas par cas.(10) CEDH, 7 octobre 2003, Richard-Dubarry,req. 53929/00 (volet civil pour les première phases, voletpénal pour l’amende).(11) Cour EDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/France, AJDA 1998.911, chron. Flauss ; RD publ. 1999.877.(12) Cour EDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. 39594/98 ;AJDA 2001.675, note Rolin. Cour EDH, 10 octobre 2002,T. c/ France, req nº 44565/98.(13) Cour EDH, 8 février 2000, Voisine c/ France,req. 27362/95 ; RD publ. 2001.669.

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l’Administration les conduit-ils à êtreautomatiquement dans une situation desubordination interdisant qu’ils puissentêtre constitués gestionnaires de fait ?

Pour régler cette question, la juridictionfinancière fait appel au critère du degréd’initiative de l’agent concerné dans lesopérations de gestion de fait et ne tientpas compte du grade de l’intéressé(C. comptes, 10 janvier 1952, GénéralDomino, Rec. C. comptes 21. C. comptes,23 juillet 1959, Damien, du Chalard etGrandjean, Rec. C. comptes 32). C’est ainsiqu’elle avait estimé qu’un contractuel,dès lors qu’il a joué un rôle actif dans lesopérations de gestion de fait, pouvait,nonobstant, être constitué gestionnairede fait (C. comptes, 18 février 1999, SFDE,La Revue du Trésor 2000.204 ; RFDadm. 2000.1121). Cette possibilité est iciconfirmée par le juge de cassation dans lapremière espèce.

Le Conseil d’Etat et la seconde cassa-tion

L’affaire « Perrin et Deltana » permet enfinde soulever un problème procéduralauquel le Conseil d’Etat sera confrontéavec de plus en plus d’acuité dans les pro-chaines années : un second pourvoi dansla même affaire. En effet, dès lors qu’ilcasse l’arrêt de la Cour pour une questionde procédure, la Cour reprend logique-ment la même décision sur le fond dansle respect de la décision du Conseil. Elleapplique ainsi les prescriptions de la juris-prudence Botta (CE, 8 juillet 1904, GAJA,14e éd., nº 14). Mais on conçoit que le jus-ticiable soit déçu de ce résultat et se pour-voie à nouveau comme c’est le cas enl’espèce mais aussi, dans l’affaire Wachreproduite ci-dessus. Le Conseil se trouvedonc dans la situation prévue à l’arti-cle L. 821-2, alinéa 2 qui le contraint, dansl’hypothèse où il devrait à nouveau casser,à statuer définitivement. Heureusementdans les affaires Perrin et Deltana, d’unepart, Wach, d’autre part, le Conseilconfirme l’arrêt de la Cour. Nous avonsdéjà montré dans l’affaire Wach que lecommissaire du Gouvernement a hésité àproposer la confirmation (voir les extraitsdes conclusions que nous mentionnons).Dans l’affaire Perrin et Deltana, le jugeestime, comme nous le montrerons ci-dessous, qu’il n’y a pas de préjugementet donc pas de nécessité de casser. Dansles deux, le Conseil aurait dû juger aufond ; peut-être a-t-il préféré ne pas yêtre contraint.

Préjugement, inscription au rapportpublic

L’arrêt « Perrin et Deltana » présente pour-tant un intérêt supplémentaire dans le faitmême que le juge de cassation acceptede se pencher sur la question de la par-tialité de la Cour. Le Conseil d’Etat avaitrefusé d’examiner ce moyen dans le cadredu débet prononcé par la Cour àl’encontre de C. Nucci (CE, 28 septembre2001, La Revue du Trésor 2002.225 et nosobservations) Le juge de cassation justi-fiait sa décision en ces termes : « M. Nuccine peut utilement, à l’encontre de l’arrêtattaqué qui ne fait que statuer de manièreobjective sur les comptes et n’avait paslégalement à porter aucune appréciationjuridique sur la qualification des faits àl’origine de la gestion de fait, se prévaloird’un défaut d’impartialité de la Cour... ».

Nous en avions déduit que cette questionne pouvait être soulevée qu’à l’encontredes arrêts déclaratifs de gestion de fait etqu’ensuite la question ne pouvait plusêtre débattue. En fait, si la question nepeut être soulevée dans le cadre de la fixa-tion de la ligne de compte, c’est du faitdu caractère objectif de cette phase de laprocédure de gestion de fait. Le prononcéde l’amende n’ayant pas ce caractère, laquestion de la partialité de la formationde jugement peut donc être soulevéepour la première fois à ce stade. Heureu-sement, comme nous l’avons dit, il n’yavait pas eu, dans l’affaire qui nousoccupe, qualification juridique des faits niappréciation portée sur les agissementsdes personnes impliquées. Ceci conduit àéviter une situation délicate comme cellerencontrée dans l’affaire « Dugoin » repro-duite ci-dessous.

Conseil d’Etat, 13 février 2002,Abran,

req. nº 219785

Cassation (oui). Gestion de fait ; préjuge-ment ; insertion au rapport public.

Vu la requête présentée pour M. JeanAbran qui demande au Conseil d’Etat :

1º D’annuler l’arrêt en date du 2 décembre1999 (14) par lequel la Cour des comptesl’a, d’une part, déclaré comptable de faitdes deniers de l’Etat à raison du maniementdes fonds versés sur les comptes enbanque qui lui avaient été ouverts en saqualité de président du tribunal de com-merce de Toulon ou au nom du tribunal et,d’autre part, l’a déclaré comptable de faitdes deniers de l’Etat à raison de la réceptionet de l’emploi des fonds versés sur lescomptes en banque ouverts au nom del’association des magistrats consulaires dutribunal de commerce de Toulon et des-tinés au paiement de dépenses de fonc-tionnement de ce tribunal ;

2º De condamner l’Etat à lui verser lasomme de 25 000 F au titre de l’arti-cle L. 761-1 du Code de justice administra-tive ; (...)

Sans qu’il soit besoin d’examiner lesautres moyens de la requête :

Considérant, d’une part, que l’arti-cle L. 131-2 du Code des juridictions finan-cières dispose : « La Cour des comptes jugeles comptes que lui rendent les personnesqu’elle a déclarées comptables de fait... Lesdispositions définitives des arrêts portantsur des gestions de fait sont délibéréesaprès l’audition, à leur demande, des per-sonnes déclarées comptables de fait... » ;qu’aux termes de l’article R. 131-3 dumême code : « La Cour des comptes renddes arrêts par lesquels elle statue à titreprovisoire ou à titre définitif. La procéduredevant la Cour est écrite et contradictoire.Les dispositions provisoires des arrêts enjoi-gnent, en tant que de besoin, au comp-table de rapporter, dans un délai fixé par laCour et ne pouvant être inférieur à un mois,toutes explications ou justifications à sadécharge » ;

Considérant, d’autre part, que l’arti-cle L. 136-1 du Code des juridictions finan-cières est ainsi rédigé : « La Cour descomptes adresse au président de la Répu-blique et présente au Parlement un rapportannuel, dans lequel elle expose ses

observations et dégage les enseignementsqui peuvent en être tirés » ; qu’aux termesde l’article L. 136-5 du même code : « Lerapport de la Cour des comptes ... estpublié au Journal officiel de la Républiquefrançaise... » ;

Considérant que la 4e Chambre de la Courdes comptes, statuant provisoirement parun arrêt nº 16292 du 7 mai 1997, a, d’unepart, déclaré M. Jean Abran président dutribunal de commerce de Toulon, comp-table de fait des deniers de l’Etat à raisondu maniement des fonds versés sur lecompte en banque qui lui avait été ouverten cette qualité et, d’autre part, déclaréM. Abran président du tribunal de com-merce de Toulon et de l’association desmagistrats consulaires de ce tribunal,comptable de fait des deniers de l’Etat àraison de la réception et de l’emploi desfonds versés sur le compte ouvert au béné-fice de cette association et destinés aupaiement de dépenses de fonctionnementde ce tribunal ; que le rapport public de laCour des comptes pour l’année 1997, éditéen novembre 1997 par le Journal officiel afait état, aux pages 59 à 74), de « la gestionextrabudgétaire des tribunaux de com-merce » ; que la Cour des comptes, citant àplusieurs reprises pour illustrer ses proposle cas du tribunal de commerce de Toulon,soulignait l’irrégularité des pratiquesconsistant pour les tribunaux de com-merce, sans mettre en œuvre la procéduredu rattachement au budget de l’Etat parvoie de fonds de concours, à financer unepart souvent importante de leurs dépensesde fonctionnement grâce à des subven-tions allouées par des établissementspublics ou des collectivités territoriales ver-sées sur des comptes bancaires ouverts aunom des présidents des tribunaux oud’associations transparentes créées à ceteffet ; qu’enfin, par l’arrêt attaqué,nº 24414 du 2 décembre 1999, la2e Chambre de la Cour des comptes, sta-tuant définitivement, a confirmé la décla-ration de gestion de fait visant M. Abran ;

Considérant que, eu égard à la nature despouvoirs du juge des comptes et auxconséquences de ses décisions pour lesintéressés, tant le principe d’impartialitéque celui des droits de la défense font obs-tacle à ce qu’une décision juridictionnelleprononçant la gestion de fait soit réguliè-rement rendue par la Cour des comptesalors que, comme en l’espèce, celle-ci aprécédemment évoqué cette affaire dansun rapport public en relevant l’irrégularitédes faits ; que, par suite, M. Abran est fondéà soutenir que la Cour des comptes ne pou-vait plus régulièrement statuer et àdemander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Sur les conclusions de M. Abran tendantau remboursement des frais exposés etnon compris dans les dépens :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circons-tances de l’espèce, de faire application desdispositions de l’article L. 761-1 du Code dejustice administrative et de condamnerl’Etat à verser à M. Abran une somme de1524,49 c au titre des frais exposés par luiet non compris dans les dépens ;

Décide :

Art. premier. – L’arrêt de la Cour descomptes du 2 décembre 1999 est annulé.

(14) Voir Rec. C. comptes 92.

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Art. 2. – L’Etat versera à M. Abran unesomme de 1 524,49 c au titre de l’arti-cle L. 761-1 du Code de justice adminis-trative.

Observations

Nouvelle application « à l’identique » del’affaire « Labor Métal » (CE, ass., 23 février2000, La Revue du Trésor 2000.683 etnotre note), le Conseil d’Etat maintient icila solution retenue de la cassation sansrenvoi, laissant à nouveau une impressionde « déni de justice » alors même que lefonctionnement des tribunaux de com-merce n’était pas exempt de critique.Encore faut-il, pour que la Cour puisseêtre disqualifiée que l’inscription au rap-port public soit sans ambiguïté. Ainsi,comme l’indique le juge dans l’affaire« Perrin et Deltana » du 24 février 2003(reproduite ci-dessus) dès lors que le rap-port se contente d’évoquer l’ouvertured’une procédure par une chambre régio-nale des comptes, sans autres précisions,elle ne préjuge pas des appréciationsqu’elle pourrait ensuite porter dans l’arrêtd’appel qu’elle pourrait être amenée àrendre.

Conseil d’Etat, 17 octobre 2003,Dugoin,

req. nos 237290, 237291, 237292

Cassation (oui). Gestion de fait ; préjuge-ment ; partialité structurelle ; insertion aurapport public ; renvoi devant le Conseild’Etat ; participation du rapporteur au déli-béré (première instance) ; renvoi au juge depremière instance.

Vu les requêtes présentées pour M. XavierDugoin qui demande au Conseil d’Etat :

1º D’annuler, sans renvoi, l’arrêt nº 28838des 29 juin 2000 et 26 avril 2001 (15) parlequel la Cour des comptes s’est déclaréeincompétente pour connaître des appelsformés contre le jugement nº 99-0832 Jdu 5 juillet 1999 et le jugement nº 99-0832 Jdu 15 novembre 1999 par lesquels lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France, statuant à titre définitif, l’a déclarécomptable de fait des deniers du départe-ment de l’Essonne, conjointement et soli-dairement avec Mme J. Bernier, M. F. Marlinet Mme J. Marlin ;

2º D’annuler, sans renvoi, l’arrêt nº 28836des 29 juin 2000 et 26 avril 2001 (16) parlequel la Cour des comptes s’est déclaréeincompétente pour connaître des appelsformés contre le jugement nº 99-0831 J du5 juillet 1999 par lequel la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France, statuantà titre définitif, l’a déclaré comptable defait des deniers du département del’Essonne, conjointement et solidairementavec Mme X. Tiberi ;

3º D’annuler l’arrêt nº 28834 des 29 juin2000 et 26 avril 2001 (17) par lequel la Courdes comptes s’est déclarée incompétentepour connaître de l’appel qu’il avait formécontre le jugement nº 99-0860 J du 5 juillet1999 par lequel la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France, statuant à titredéfinitif, l’a déclaré comptable de fait desdeniers du département de l’Essonne,conjointement et solidairement avecMme M.-A. Hugot, son épouse ; (...)

Jonction

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autremoyen des requêtes :

Considérant que saisie d’appels contrequatre jugements par lesquels la chambrerégionale des comptes d’Ile-de-France adéclaré M. Dugoin, solidairement avecd’autres personnes, comptable de fait desdeniers du département de l’Essonne, laCour des comptes, par trois arrêts des29 juin 2000 et 26 avril 2001, s’est déclaréeincompétente pour statuer sur cesrequêtes, au motif que les faits en causeavaient fait l’objet d’une insertion dans sonrapport public pour 1998 adopté le 7 janvier1999 et que, dès lors, elle ne pouvait plusrégulièrement en connaître ;

Considérant que le deuxième alinéa del’article L. 111-1 du Code des juridictionsfinancières prévoit que la Cour descomptes « statue sur les appels forméscontre les jugements prononcés à titredéfinitif par les chambres régionales et ter-ritoriales des comptes » ; qu’il en résultequ’elle ne peut s’abstenir de statuer sur unappel formé devant elle et priver ainsi lesjusticiables du droit qui leur est donné parla loi de faire appel des jugements deschambres régionales des comptes ; quedans le cas où elle estime ne pas pouvoir seprononcer régulièrement sur un appelparce que les faits en cause ont été évo-qués dans son rapport public, il lui appar-tient de transmettre l’affaire au Conseild’Etat afin que celui-ci, dans le cadre de sespouvoirs généraux de régulation de l’ordrejuridictionnel administratif, donne à cettetransmission les suites qui conviennent et,le cas échéant, se prononce lui-même surles conclusions d’appel qui avaient été pré-sentées à la Cour ;

Considérant, dès lors, qu’en estimantqu’elle devait décliner sa compétence pourjuger les appels dont elle avait été saisie aumotif que le principe d’impartialité faisaitobstacle à ce qu’elle se prononçât sur desfaits qu’elle avait auparavant évoqués etqualifiés dans son rapport public pour 1998,sans transmettre ces appels au Conseild’Etat, la Cour des comptes a entaché sonarrêt d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précèdeque M. Dugoin est fondé à demanderl’annulation des arrêts qu’il attaque ;

Considérant qu’aux termes de l’arti-cle L. 821-2 du Code de justice administra-tive, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annu-lation d’une décision d’une juridictionadministrative statuant en dernier ressort,peut « régler l’affaire au fond si l’intérêtd’une bonne administration de la justice lejustifie » ; qu’eu égard à la nécessité de nepas priver les personnes déclarées compta-bles de fait d’une voie de recours, prévuepar la loi, à l’encontre de jugements rendusen premier ressort, il y a lieu, dans les cir-constances particulières de l’espèce, derégler les affaires au fond ;

Considérant que par trois jugements du5 janvier 1999 et par un jugement « àsuivre » du 15 novembre 1999, la chambrerégionale des comptes d’Ile-de-France, sta-tuant définitivement, a déclaré M. Dugoinsolidairement avec respectivement, en pre-mier lieu, Mme Bernier, M. et Mme Marlin,en deuxième lieu, Mme Tiberi, et en dernierlieu, Mme Hugot, comptable de fait desdeniers du département de l’Essonne ; queM. Dugoin, M. Marlin et Mme Tiberi ont faitappel de ces jugements ;

Considérant que le désistement deM. Marlin est pur et simple ; que rien nes’oppose à ce qu’il soit donné acte du désis-tement de ses conclusions d’appel ;

Considérant que les appels de M. Dugoin etde Mme Tiberi présentent à juger des ques-tions semblables ; qu’il y a lieu de les joindrepour statuer par une seule décision ;

Considérant qu’en vertu du XI de l’article 60de la loi de finances du 23 février 1963,toute personne qui reçoit ou manie direc-tement ou indirectement les fonds ouvaleurs extraits irrégulièrement d’unecaisse publique doit rendre compte au jugefinancier de l’emploi des fonds ou valeursqu’elle a irrégulièrement détenus oumaniés ; que le caractère d’ordre public decette obligation de rendre compte dumaniement de deniers publics ainsi que lesprincipes d’indivisibilité des opérations degestion de fait et de solidarité des compta-bles de fait conduisent la Cour descomptes, lorsqu’elle est saisie d’un appelformé par une seule des personnes décla-rées comptables de fait, à statuer sur laqualité de comptable de fait de l’ensembledes personnes qui avaient été mises encause par le juge de première instance ;qu’il appartient, dans ces conditions, auConseil d’Etat de se prononcer sur les juge-ments contestés, pris dans leur ensemble ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner lesautres moyens des requêtes :

Considérant que le principe d’impartialitéapplicable à toutes les juridictions adminis-tratives fait obstacle à ce que le rapporteurd’une chambre régionale des comptes par-ticipe au jugement de comptes dont il a euà connaître à l’occasion d’une vérificationde gestion ; qu’il en résulte que la partici-pation au délibéré de la formation de juge-ment chargée de se prononcer, à titreprovisoire ou à titre définitif, sur une décla-ration de gestion de fait du membre de laChambre auquel avait été confiée la vérifi-cation de la gestion de l’organisme dont lesdeniers sont en cause, entache d’irrégula-rité la composition de cette formation dejugement ;

Considérant qu’il ressort des pièces de laprocédure suivie devant la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France qu’unmembre de la Chambre a assuré la vérifica-tion des comptes et de la gestion du dépar-tement de l’Essonne ; qu’à la suite de sonrapport, des procédures juridictionnellesde déclaration de gestion de fait ont étéengagées respectivement à l’encontre, enpremier lieu, de M. Dugoin, Mme Bernier,M. et Mme Marlin, en deuxième lieu, deM. Dugoin et Mme Tiberi, et en dernier lieu,de M. Dugoin et Mme Hugot, à raison degriefs tirés de l’extraction irrégulière defonds départementaux par le moyen decontrats fictifs de collaborateurs decabinet ; que le même membre de lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France a ensuite, en tant que magistrat,occupé les fonctions de rapporteur devantla formation de jugement de cettechambre chargée de se prononcer, à titreprovisoire, sur les opérations présuméesconstitutives de gestion de fait des deniersdu département de l’Essonne ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précèdeque la composition de cette formation de

(15) La Revue du Trésor 2002.25 et nos obs.(16) La Revue du Trésor 2002.25 et nos obs.(17) La Revue du Trésor 2002.25 et nos obs.

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jugement était irrégulière et que cettecirconstance entache d’irrégularité l’en-semble de la procédure suivie ;

Considérant que, par suite, les requérantssont fondés à demander l’annulation destrois jugements provisoires du 12 août1997, des trois jugements définitifs du15 juillet 1999 et du jugement « à suivre »du 15 novembre 1999 de la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France ; qu’ilappartiendra, le cas échéant, à la chambrerégionale des comptes d’Ile-de-France dedéterminer s’il y a lieu d’ouvrir de nouvellesprocédures de gestion de fait des deniersdu département de l’Essonne ;

Sur les conclusions présentées au titre del’article L. 761-1 du Code de justice admi-nistrative :

Considérant que les dispositions de l’arti-cle L. 761-1 du Code de justice administra-tive font obstacle à ce que M. Dugoin quin’est pas, dans la présente instance, lapartie perdante, soit condamné à verser audépartement de l’Essonne les sommes quecelui-ci demande au titre des frais exposéspar lui et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article premier. – Les trois arrêts des29 juin 2000 et 26 avril 2001 de la Cour descomptes sont annulés.

Art. 2. – Il est donné acte du désistementde l’appel de M. Marlin.

Art. 3. – Les trois jugements provisoires du12 août 1997, les trois jugements définitifsdu 15 juillet 1999 et le jugement « à suivre »du 15 novembre 1999 de la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France sontannulés.

Art. 4. – Les conclusions présentées par ledépartement de l’Essonne tendant à l’appli-cation de l’article L. 761-1 du Code de jus-tice administrative sont rejetées.

Conclusions de Mathias Guyomar,commissaire du Gouvernement

L’affaire dont nous allons vous entreteniret qui concerne la gestion du départementde l’Essonne a connu un certain retentisse-ment, notamment en raison des dévelop-pements qui l’ont marquée sur le planpénal. Mais son inscription à votre rôled’aujourd’hui tient à tout autre chose :cette affaire vous amènera en effet àdécider des conséquences qu’il appartientà la Cour des comptes de tirer de l’applica-tion de votre décision Société Labor Metal(Ass., 23 février 2000, p. 83).

En 1997, la chambre régionale des comptesd’Ile-de-France décide de vérifier lescomptes des exercices 1991 à 1995 etd’examiner la gestion du départementde l’Essonne. Ce contrôle administratifdébouche sur l’ouverture d’une procédurede gestion de fait, en raison du versementde rémunérations à des membres pré-sumés fictifs du cabinet du président duConseil général, M. Dugoin.

C’est ainsi que, par un jugement (nº 99-832)du 5 juillet 1999, la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France, statuant à titredéfinitif, déclare M. Dugoin et Mme Berniersolidairement comptables de fait desdeniers du département de l’Essonne, pourun montant de 696 526,96 F. Par un juge-ment à suivre en date du 15 novembre1999, la chambre régionale des comptesélargit le cercle des personnes mises en

cause et déclare M. Dugoin, Mme Bernier,M. et Mme Marlin solidairement comptablesde fait pour le même montant.

Par un deuxième jugement (nº 99-831) du5 juillet 1999, la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France, statuant à titredéfinitif, déclare M. Dugoin et Mme Tibérisolidairement comptables de fait pour unmontant de 213 355,39 F.

Par un troisième jugement (nº 99-860) du5 juillet 1999, la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France, statuant à titredéfinitif, déclare M. Dugoin et son épouse,Mme Hugot solidairement comptables defait pour un montant de 703 396,36 F.

M. Dugoin ayant relevé appel de ces troisjugements, ainsi que M. Marlin etMme Tibéri, la Cour des comptes, par troisarrêts en date des 29 juin 2000 et 26 avril2001, se déclare incompétente pourconnaître de ces requêtes au motif que lesaffaires litigieuses ont fait l’objet d’unemention à son rapport public adopté le7 janvier 1999. M. Dugoin se pourvoit régu-lièrement en cassation contre ces arrêts,sous les nos 237290, 237291 et 237292.

Vous pourrez joindre ces trois pourvois quicomprennent des moyens identiques pourstatuer par une même décision.

Le requérant soutient en premier lieu qu’endéclinant sa compétence pour connaître deses appels au motif que les faits à l’originedes déclarations de gestion de fait avaientfait l’objet d’une mention à son rapportpublic, la Cour des comptes a commis uneerreur de droit. Il soutient en second lieuque ce faisant, la Cour a méconnul’étendue de ses compétences de juged’appel. Comme vous pouvez le voir, lesdeux moyens sont très proches et peuventaisément être rapportés à la question sui-vante : la Cour des comptes pouvait-elle seborner à décliner sa compétence sans sta-tuer sur les appels dont elle était saisie ?

Nous croyons nécessaire de vous citer lamotivation retenue par la Cour descomptes pour justifier son dispositif, quiest la même – aux considérations de faitprès – dans les trois arrêts attaqués :« Attendu que la Cour des comptes, délibé-rant en chambre du Conseil le 7 janvier1999, a adopté, antérieurement au juge-ment définitif de la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France et sur propositionde ladite chambre régionale, une insertiondans son rapport public, relative à la gestiondu département de l’Essonne ; attendu quedans ladite insertion la Cour a fait état degraves irrégularités ayant motivé l’engage-ment de procédures de gestion de fait [...] ;attendu que les faits ainsi qualifiés ont étérapportés dans des termes suffisammentprécis pour permettre le rapprochementavec la procédure de gestion de faitengagée devant la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France [...] ; considérantqu’eu égard à la nature des pouvoirs dujuge des comptes, que celui-ci soit saisi enpremier ressort ou en appel, et aux consé-quences de ses décisions pour les inté-ressés, tant le principe d’impartialité quecelui des droits de la défense font obstacleà ce qu’une décision juridictionnelle se pro-nonçant sur une gestion de fait soit régu-lièrement rendue par la Cour des comptesalors que celle-ci a précédemment évoquéla même affaire dans son rapport public enrelevant l’irrégularité des faits ; considérantque ces principes sont constitutifs demoyens d’ordre public qu’il appartient àtoute juridiction de relever d’office ;

considérant qu’il résulte de ce qui précèdeque la Cour des comptes ne peut plus, danscette espèce, régulièrement statuer enappel et ne peut que décliner sa proprecompétence. »

On comprend, à cette lecture, que la Courdes comptes a entendu faire application devotre jurisprudence Labor Metal dont elle arepris exactement la motivation.

Il convient en premier lieu, avant de vérifierla validité des conséquences qu’en a tiréesla Cour des comptes, de s’assurer que cettejurisprudence trouvait bien à s’appliquer aucas de l’espèce. Pour ce faire, nous abor-derons successivement trois points.

En premier lieu, les mentions au rapportpublic sont-elles effectivement de nature àrévéler un préjugement de la Cour descomptes ? Nous n’avons sur ce premierpoint aucun doute. Comme l’exposaitAlain Seban, dans ses conclusions surl’affaire Labor Metal, pour qu’il y ait préju-gement de l’affaire, encore faut-il que lerapport ne se borne pas à des constatationsde fait mais « procède déjà à une véritablequalification juridique ». Il suffit de sereporter au chapitre 14 du rapport publicpour 1998 relatif à la gestion du départe-ment de l’Essonne pour constater que telest bien le cas. Nous en citons quelquesextraits : « La chambre régionale descomptes d’Ile-de-France a contrôlé en1996-1997 les comptes et la gestion dudépartement de l’Essonne [...] De gravesirrégularités ont été relevées à cette occa-sion ; elles ont motivé l’engagement desprocédures pénales et de gestion de fait »(p. 531). Nous relevons le caractère particu-lièrement précis voire nominatif de certainspassages, notamment ceux consacrés aux« rémunérations attribuées dans des condi-tions irrégulières [...] à des membres ducabinet du président du Conseil général »(p. 533 et 534).

Nous estimons, au vu de ces extraits, qu’enadoptant le 7 janvier 1999 le rapport publicpour 1998, la Cour des comptes a publique-ment pris position sur les trois affaires dontelle a eu ensuite à connaître au stade del’appel. Telle était d’ailleurs l’opinionexprimée par le procureur général près laCour des comptes, dans ses conclusions du30 novembre 2000. Ce dernier extrait durapport public achève de nous enconvaincre : « [...] le contrôle de la chambrerégionale des comptes révèle la fréquenceet la gravité de pratiques irrégulières ou cri-tiquables dans la gestion du départementde l’Essonne » (p. 541).

En deuxième lieu, l’affaire en était-elleencore à un stade auquel le préjugementrévélé par le rapport public était susceptibled’avoir une incidence sur la régularité de laprocédure ?

Vous avez en effet cantonné la portée devotre jurisprudence Labor Metal en jugeantque le défaut d’impartialité de la Cour descomptes ne pouvait utilement être invoquédès lors que les faits à l’origine de la gestionde fait avaient déjà reçu leur qualificationpar une décision juridictionnelle passée enforce de chose jugée (28 septembre 2001,M. Nucci à mentionner aux tables). Nous nesommes pas dans cette hypothèse. Dès lorsque la Cour des comptes, saisie en appeldes trois jugements de déclaration défini-tive de gestion de fait, était appelée àporter une appréciation juridique posté-rieurement à l’adoption de son rapportpublic le 7 janvier 1999, son préjugementétait bien susceptible d’affecter la régula-rité de la procédure devant elle.

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En troisième lieu, la jurisprudence LaborMetal dégagée à l’occasion d’une affairedont la Cour des comptes avait eu àconnaître en premier ressort s’applique-t-elle lorsque celle-ci est saisie en appel ?C’est ce qu’a considéré la Cour elle-même,en ajoutant aux termes du considérant deprincipe de votre décision du 23 février2000, « eu égard à la nature des pouvoirsdu juge des comptes » les termes « quecelui-ci soit saisi en premier ressort ou enappel ». Nous partageons son analyse. Votredécision Labor Metal vise l’hypothèse d’une« décision juridictionnelle [de la Cour descomptes] prononçant la gestion de fait ».Cette rédaction nous paraît s’appliquer toutaussi bien aux cas dans lesquels la Cour estappelée à statuer en première instance,comme dans l’affaire Labor Metal, qu’àceux dans lesquels elle est saisie par la voiede l’appel.

Ces trois points étant entendus, nousn’avons aucun doute sur l’application auxprésents cas de la jurisprudence LaborMetal : il s’ensuit que la Cour des comptesne pouvait pas régulièrement statuer surles appels formés devant elle parM. Dugoin.

C’est à ce stade du raisonnement qu’il nousrevient d’apprécier les conséquences qu’ena tirées la Cour. Elle a déduit son incompé-tence de son impossibilité à connaître régu-lièrement des appels dont elle était saisie.Les trois arrêts comportent la même for-mule : la Cour, « par ses motifs, se déclareincompétente pour connaître des requêtesci-dessus visées ».

Nous relevons que la Cour des comptes asuivi, sur ce point, son procureur général :« sa disqualification structurelle [...] touchedirectement à sa compétence, c’est-à-direà son aptitude à régler le point de droit quilui est soumis ».

Nous ne sommes pas de cet avis. La diffi-culté tient au choix effectué par l’Assem-blée du contentieux, dans Labor Metal, decensurer la partialité de la Cour descomptes, prise en tant qu’institution. Mais,l’impossibilité de la Cour des comptes destatuer régulièrement, en raison de la par-tialité structurelle qui l’affecte, pour avéréequ’elle soit au cas d’espèce, ne touche enrien à sa compétence. Comme le rappellele président Odent, dans son cours decontentieux administratif, « la compétenced’une juridiction, c’est le droit et l’obliga-tion qu’a cette juridiction de connaîtred’une certaine matière » (p. 109). En ce quiconcerne nos affaires, la compétence de laCour des comptes est posée par l’articleL. 111-1 du Code des juridictions financièresaux termes duquel elle « statue sur lesappels formés contre les jugements pro-noncés à titre définitif par les chambresrégionales et territoriales des comptes ».

Le président Odent précise : « Le juge nedoit considérer que ce que la requête pré-sente à juger : c’est cela et cela seul quicommande la compétence ». Or, la régula-rité, et en l’espèce l’irrégularité, de la com-position de la juridiction est sans incidencesur la nature du litige. Votre jurisprudenceest constante : le défaut d’impartialitéstructurelle, qui est d’ordre public parcequ’il touche à la composition de la forma-tion de jugement (voyez en ce sens : 19 mai1961, Sieur Gianotti, p. 346) est un vice deprocédure (19 avril 2000, M. Lambert, T.,p. 1168).

Dès lors qu’elle est, par détermination de laloi, le juge d’appel des jugements définitifs

des chambres régionales des comptes, laCour des comptes a commis une erreur dedroit en se déclarant incompétente pourstatuer sur les appels dirigés contre lesjugements du 5 juillet 1999.

Certes, si la Cour avait accepté de connaîtredes appels formés devant elle, les arrêtsqu’elles auraient rendus se seraientexposés, comme nous venons de le voir, encas de pourvoi en cassation, à une censurecertaine. Nous convenons bien volontiersqu’il y aurait quelque absurdité à direaujourd’hui à la Cour des comptes qu’elleaurait dû statuer, en dépit des consé-quences inévitables de votre jurisprudenceLabor Metal. Et nous sommes bienconscients que dans l’hypothèse où,comme en l’espèce, l’irrégularité de la com-position de la formation de jugement netient pas à ses membres mais à la juridictionelle-même, bien peu sépare la disqualifica-tion structurelle de l’incompétence. Unpetit peu quand même. Si la compétence,c’est à la fois, pour reprendre la définitionque nous venons de citer, « le droit et l’obli-gation » de connaître d’un litige, le préju-gement révélé par le rapport public privaitbien la Cour des comptes du « droit » dejuger régulièrement des requêtes en appelmais certainement pas du devoir d’enconnaître. En d’autres termes, en commet-tant une erreur de droit sur l’étendue desconséquences de la mention de la gestiondu département de l’Essonne au rapportpublic, la Cour des comptes a méconnu sapropre compétence.

Or, comme le rappelle le président Odent,« aucune juridiction administrative ne peutméconnaître sa compétence, soit positive-ment, en statuant sur un litige qu’elle n’apas qualité pour trancher, soit négative-ment en refusant de connaître d’une ques-tion qui relève de sa compétence ». Le jugene peut jamais renoncer à sa propre com-pétence (voyez pour des exemplesd’incompétence négative, sect., 24 janvier1930, Ministre des Travaux publics c/Sieur Durand, p. 113 ; sect., 18 février 1955,Sieur Offner, p. 101. La chambre régionalede discipline de Paris de l’ordre des experts-comptables avait méconnu sa propre com-pétence en refusant de statuer sur lespoursuites engagées contre un membre duconseil régional de l’ordre ; 6 octobre 1995,Hassini, T., p. 994).

En agissant de la sorte, la Cour des comptesa-t-elle commis un déni de justice ?

La doctrine milite en faveur d’une accep-tion stricte de la notion de « déni de jus-tice », qui va toutefois au-delà de la défini-tion qu’en donne l’article 4 du Code civil(« le juge qui refusera de statuer, sous pré-texte du silence, de l’obscurité ou del’insuffisance de la loi, pourra être poursuivicomme coupable de déni de justice ») : lerefus du juge de statuer doit être absolu ettotal. C’est pourquoi, il est généralementadmis qu’il n’y a pas déni de justice s’il a étéjugé d’une manière quelconque, même sicelle-ci ne correspond pas au vœu dudemandeur, par exemple par une décisiond’incompétence – réserve faite de l’hypo-thèse dans laquelle les juridictions des deuxordres ont, sur le même litige, décliné lacompétence de l’ordre auquel elles appar-tiennent, la procédure de prévention deconflit négatif ayant, dans ce cas, pourobjet d’éviter un déni de justice.

Nous ne nous attarderons pas sur ces sub-tiles distinctions. Ce qui nous importe aupremier chef, c’est, pour reprendre les

termes de Marcel Waline, dans sa préfacede la thèse de Louis Favoreu consacrée au« déni de justice en droit public français »(1965), le « point de vue du justiciable ». Or,dans nos affaires, le justiciable s’est trouvé« frustré dans sa prétention légitime detrouver, parmi toutes les juridictions del’Etat, l’une de celles-ci qualifiée pour luirendre justice ». En se bornant à constaterson incompétence, la Cour des comptes arejeté les requêtes dont elle était saisie et,ce faisant, elle a privé les requérants d’unevoie de recours effectif, pourtant prévuepar la loi, contre les jugements prononcésen premier ressort par la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France qui ontcontinué de produire leurs effets sans pou-voir être utilement contestés. C’est pour-quoi nous vous invitons sans hésiter à fairedroit aux pourvois de M. Dugoin en annu-lant les trois arrêts qu’il attaque au motifque la Cour des comptes a méconnu, ens’abstenant de statuer sur les appelsformés devant elle, l’étendue de sa com-pétence juridictionnelle.

Qu’aurait dû faire la Cour des comptes ?Cette question n’est pas sans intérêt, ycompris pour l’avenir, la juridiction finan-cière étant susceptible de se trouver à nou-veau dans pareille situation.

La Cour des comptes se trouve confrontéeà deux impératifs inconciliables. Saisie enappel, elle doit épuiser son pouvoir juridic-tionnel en statuant sur les conclusions pré-sentées devant elle mais elle ne peut régu-lièrement statuer, ayant, en adoptant sonrapport public, préjugé, en tant qu’institu-tion, l’issue du litige.

Nous nous sommes demandés, dans unpremier temps, si la Cour des comptes nepouvait pas sortir d’une telle impasse par lejeu d’un renvoi pour cause de suspicionlégitime. Vous admettez, depuis votre déci-sion Sieur Nemegyei (sect., 3 mai 1957,p. 279), la possibilité, pour tout justiciable,de demander le renvoi d’une affaire pourcause de suspicion légitime lorsque « le tri-bunal compétent est suspect de partialité ».Il s’agit d’une règle générale de procédure(8 janvier 1959, Commissaire du Gouverne-ment près le Conseil supérieur de l’ordredes experts-comptables et comptablesagréés, p. 15).

S’agissant de la juridiction administrative, lademande de renvoi pour cause de suspi-cion légitime est enserrée dans un certainnombre de conditions. Elle doit être pré-sentée à la juridiction immédiatementsupérieure – ce qui suppose qu’il en existeune – au plus tard, avant que la juridictioncompétemment saisie n’ait rendu une déci-sion au fond (12 mai 1958, Sieur Demaret,p. 271 ; 30 mars 1979, Jeault, p. 146). Enfin,il doit exister d’autres juridictions de mêmenature et de même niveau devant les-quelles l’affaire pourra être renvoyée :comme l’énonce votre décision précitéeSieur Nemegyei, avant de rejeter lademande comme irrecevable : « cette pro-cédure ne peut toutefois s’exercer que s’ilexiste une autre juridiction de mêmenature, à laquelle le requérant puisse, le caséchéant, être renvoyé ».

Au cas d’espèce, plusieurs de ces condi-tions sont réunies. Dans l’hypothèse quinous intéresse, c’est bien la juridiction elle-même qui est soupçonnée de partialité. Ilexiste une juridiction supérieure à la Courdes comptes, le Conseil d’Etat. S’agissantde l’existence d’une demande de renvoi,vous avez déjà admis que les juridictionspuissent agir d’office, « comme en matière

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de renvoi pour cause de suspicion légitime »(5 février 1997, M. Thibault, T., p. 1042).Dans cette affaire, les membres de la sec-tion des assurances sociales du conseilrégional de l’ordre des chirurgiens-den-tistes avaient estimé ne pas pouvoir se pro-noncer sur la plainte formée contre unancien secrétaire général du conseilrégional de l’ordre en raison des liens qu’ilsavaient avec lui. Vous avez estimé que c’està bon droit que la section des assurancessociales du Conseil national de l’ordre avaitprocédé, en l’absence de toute demandeen ce sens, comme en matière de renvoipour cause de suspicion légitime ettransmis le jugement de la plainte à uneautre juridiction. On pourrait transposercette solution et envisager que la Cour descomptes vous saisisse spontanément.

La difficulté vient de ce que la dernièrecondition tirée de l’existence d’au moinsune autre juridiction de même nature n’estpas remplie. La Cour des comptes est eneffet une juridiction unique dont la com-pétence s’étend à l’ensemble du territoire.Or, depuis 1957, vous avez opposé, avecune constance jamais démentie, une irre-cevabilité aux demandes de renvoi lorsqu’iln’existe aucune autre juridiction de mêmenature à laquelle l’affaire puisse, le caséchéant, être renvoyée (voyez notam-ment : 6 octobre 1982, M. Launosne, T.,p. 716 ; 24 octobre 1984, Charbit, T., p. 708 ;16 janvier 2002, M. Ribault, nº 217255).

Permettre à la Cour des comptes de sortirde ce dilemme (ne pas statuer ou statuerde manière nécessairement irrégulière) enrecourant à la procédure du renvoi pourcause de suspicion légitime impliqueraitdonc l’abandon de cette dernière condi-tion. A la réflexion, nous ne sommes paspersuadés de l’opportunité d’une telleentorse à votre jurisprudence. Si vous avezenserré cette procédure, qui a pour effetd’entraîner une dérogation à l’ordre normaldes compétences, dans des conditions derecevabilité fort strictes, c’est afin d’éviterd’offrir aux justiciables une faculté incon-trôlable de récuser ou de choisir leur juge.L’équilibre auquel est parvenue votre juris-prudence ne nous paraît pas devoir êtremodifié dans le seul but de résoudre unedifficulté, certes remarquable, mais heu-reusement peu fréquente.

Il nous semble préférable de dégager unesolution ad hoc, propre aux hypothèsesdans lesquelles la Cour des comptes estimene pas pouvoir se prononcer régulièrementsur un appel formé devant elle en raison desa « labormétallisation » pour recourir à unnéologisme en vogue rue Cambon. Nousestimons en effet que, dans pareille hypo-thèse, il appartient à la Cour des comptesde transmettre le jugement de l’appel dontelle est saisie au Conseil d’Etat afin quecelui-ci décide, dans le cadre de ses pou-voirs généraux de régulation de l’ordre juri-dictionnel administratif, des suites à donnerà l’affaire. Les suites se déduisent aisé-ment : faute de pouvoir désigner une autrejuridiction, le Conseil d’Etat gardera l’af-faire.

Des objections de plusieurs ordres pour-raient être opposées à cette solution. Lasolution est excessivement prétorienne.Elle entraîne une dérogation à l’ordrenormal des compétences. Elle conduit leConseil d’Etat à se faire juge des comptesà la place de la juridiction financière. Disonsle d’emblée : aucune ne nous retient devous la proposer.

Prétorienne, cette solution l’est assuré-ment. Mais il nous faut bien faire preuved’une certaine imagination en l’absence deprocédure prévue à cet effet. Le Code dejustice administrative a certes réglé cer-taines hypothèses du même ordre. L’articleR. 312-5 du Code de justice administrativedispose ainsi que « lorsque le président d’untribunal administratif saisi d’un litige rele-vant de sa compétence constate qu’un desmembres du tribunal est en cause ouestime qu’il existe une autre raison objec-tive de mettre en cause l’impartialité du tri-bunal, il transmet le dossier au président dela section du contentieux du Conseil d’Etatqui en attribue le jugement à la juridictionqu’il désigne ». La même procédure estprévue, s’agissant des cours administra-tives d’appel, à l’article R. 322-3 du Code.Mais ces dispositions ne sont pas applica-bles aux juridictions spécialisées pas davan-tage que l’article R. 351-8 du Code de jus-tice administrative qui autorise le présidentde la section du contentieux du Conseild’Etat, « de sa propre initiative ou sur lademande d’un président de tribunal admi-nistratif ou de cour administrative d’appel »à déroger aux règles de compétence« lorsque des considérations de bonneadministration de la justice l’imposent ».

La solution que nous vous invitons à retenirs’inspire de la philosophie qui sous-tend lesprocédures instituées par les articles quenous venons de citer qui reposent sur lesouci d’une bonne administration de la jus-tice. Elle vient en quelque sorte combler lesilence du Code s’agissant de l’hypothèsetrès exceptionnelle à laquelle nous sommesconfrontés en confiant au Conseil d’Etat lesoin de désigner la juridiction appelée à sesubstituer à la Cour des comptes, dans sescompétences de juge d’appel des juge-ments des chambres régionales descomptes. Compte tenu de l’organisation dela juridiction financière, le Conseil d’Etatsera contraint, par dérogation à l’ordrenormal des compétences, de garder lesaffaires et régler, dès le stade de l’appel,des litiges dont il ne connaît normalementque par la voie du recours en cassation.

En consacrant une telle solution qui offre àla Cour des comptes la faculté de sortir dudilemme auquel elle est confrontée, envous fondant sur les « pouvoirs générauxde régulation de l’ordre juridictionnel admi-nistratif dont est investi le Conseil d’Etatstatuant au contentieux », vous n’irez pasplus loin que ce que vous avez déjà acceptéde faire en matière de règlement de juges.

Le rapprochement entre la solution ad hocque nous esquissons devant vous et lerèglement de juges n’est pas anodin. Lerèglement de juges est en effet une pro-cédure purement prétorienne, et heureu-sement exceptionnelle, qui vise à résoudrela contrariété qui existe entre deux déci-sions émanant de juridictions administra-tives. Elle vous conduit à déclarer nulle etnon avenue une décision juridictionnellesans vous arrêter à la double circonstanceque son annulation n’est pas demandée etqu’elle est revêtue de l’autorité de la chosejugée. Comme l’expliquait J.-H. Stahl, dansses conclusions sur Société coopérativeagricole de Brienon (10 novembre 1999,p. 351) : « vous tirez ce pouvoir excep-tionnel de la mission particulière qui est lavôtre pour ce qui a trait à l’organisation etau bon fonctionnement de la justice admi-nistrative ». Vos premières décisions se fon-daient sur « les pouvoirs généraux dont le[Conseil d’Etat] est investi par l’article 9 de

la loi du 24 mai 1872 » (voyez notamment :sect., 15 janvier 1932, Sieur Rambaud,p. 61 ; sect., 3 avril 1936, Sudre, p. 452),pouvoirs ensuite posés par l’article 32 del’ordonnance du 31 juillet 1945 et enfin parl’article L. 111-1 du Code de justice admi-nistrative (voyez pour un cas récentd’ouverture de règlement de juges28 juillet 2000, Consorts Demir, p. 357).

Nous ne nous trouvons bien entendu pasdans l’hypothèse d’un règlement de jugespuisqu’il ne s’agit pas de résoudre unecontrariété entre deux décisions juridic-tionnelles mais simplement de vous trans-former en juge d’appel des jugements deschambres régionales des comptes, à lademande de la Cour des comptes lorsquecelle-ci s’estimera se trouver dans l’impos-sibilité de statuer régulièrement. Maisl’audace dont il vous faut faire montre noussemble amplement justifiée par les consi-dérations mêmes que votre commissairedu Gouvernement Rigaud avançait à l’appuide la procédure de règlements de juge,dans ses conclusions sur votre décisionSieur Gardarein (sect., 31 janvier 1969,p. 54) : cette « technique extraordinaire »qui « échappe inévitablement aux règles lesmieux établies » « se justifie par des consi-dérations impérieuses d’ordre public ettrouve son fondement dans la missiongénérale de contrôle et de régulation dontvous êtes investis à l’égard des juridictionssubordonnées ».

Ces objections levées, reste celle tirée de ceque le Conseil d’Etat, sorti de son contrôlede cassation, ne pourrait se faire le juge descomptes. Vous n’en avez certes pas l’habi-tude. Mais ce manque d’expérience ne sau-rait justifier que vous renonciez à voussubstituer au juge financier d’appel défail-lant pour cause de partialité structurelle.Il s’agit en quelque sorte pour vousd’assumer aujourd’hui toutes les consé-quences de votre jurisprudence LaborMetal en faisant en sorte d’éviter que le res-pect du principe d’impartialité ne conduiseparadoxalement les justiciables, qu’il estcensé protéger, à être privés du bénéficedu double degré de juridiction lorsquecelui-ci est prévu par la loi. Il est vrai que,s’agissant des juridictions spécialisées, lajuridiction financière comme les juridictionsordinales, vous vous êtes toujours souciésde laisser aux juges du fond la plénitude deleur pouvoir d’appréciation. Nous n’enten-dons pas aujourd’hui remettre en causeune pratique que nous estimons parfaite-ment justifiée mais seulement y apporterune exception qu’appelle l’hypothèse toutà fait particulière que nous évoquons.Quant au caractère technique de la gestionde fait, elle ne nous rebute pas et ne doitpas vous retenir. Il est d’autres contentieuxégalement techniques dont vousconnaissez en votre qualité de juge admi-nistratif de droit commun.

Nous relevons, à l’appui de notre proposi-tion, que la Cour de cassation a procédé dela sorte en matière de contentieux discipli-naire des avocats. La question qui lui étaitposée était celle de savoir ce que doit faireune cour d’appel, compétente pourconnaître des décisions des conseils del’ordre des barreaux, lorsqu’elle est saisied’une demande de renvoi pour cause desuspicion légitime. La difficulté tient à ceque le conseil de l’ordre n’est compétent,en vertu de l’article 22 de la loi du31 décembre 1971, que pour connaître dela discipline des avocats inscrits à son bar-reau. En cas de bien-fondé de la demande,le renvoi devant un autre conseil de l’ordre

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n’est donc pas possible. La Cour de cassa-tion a considéré que, dans pareille hypo-thèse, « il appartient à la cour d’appel derechercher si la requête en suspicion légi-time contre le conseil de l’ordre est fondéeet, si tel est le cas, et en l’absence de dis-position légale permettant le renvoi devantun autre conseil de l’ordre d’évoquer et destatuer au fond » (1re civ., 7 novembre 2000,nº 97-21883 qui infirme la position de lacour d’appel de Paris mais confirme cellesdes cours d’appel de Douai et de Bordeaux).

Nous voudrions également vous préciserque cette solution rejoint celle que le Par-quet général avait proposée à la Cour descomptes, sans être suivi sur ce point. Nousvous invitons donc à juger que dans le casoù la Cour des comptes estime ne pas pou-voir se prononcer régulièrement sur unappel parce que les faits en cause ont étéévoqués dans son rapport public, il luiappartient de transmettre l’affaire auConseil d’Etat afin qu’il donne à cette trans-mission les suites qui conviennent et, le caséchéant, se prononce lui-même sur lesconclusions d’appel qui avaient été présen-tées à la Cour.

Il est temps désormais d’en revenir à nosaffaires. Vous ne vous trouvez pas dans lasituation que nous venons d’envisager etque vous serez peut-être amenés àconnaître un jour prochain. D’une certainemanière, la question qui vous est poséeaujourd’hui est plus simple. La cassation desarrêts attaqués étant certaine, quelle suiteconvient-il d’y donner ?

Nous ne reviendrons pas sur ce que nousvenons de vous dire : il n’est pas dans votrehabitude de régler l’affaire au fond aprèscassation des arrêts de la Cour descomptes. Vous avez ainsi procédé à unefort remarquée cassation sans renvoi nirèglement dans l’affaire Labor Metal alorsque votre commissaire du Gouvernement,Alain Seban, vous invitait à régler le litige aufond. Mais nous ne nous trouvons pasaujourd’hui dans la même situation. DansLabor Metal, la Cour des comptes était jugede premier et dernier ressort. Votre déci-sion du 23 février 2000 a donc pu mettreun terme définitif à la procédure. Dans nosaffaires, la Cour des comptes a été saisiecomme juge d’appel. Dès lors que vouscassez ses arrêts et que tout renvoi devantelle est exclu, pour cause de disqualificationstructurelle, vous devez, eu égard à lanécessité de ne pas priver M. Dugoin d’unevoie de recours, prévue par la loi, àl’encontre des jugements rendus en pre-mier ressort, régler les affaires au fond enapplication de l’article L. 821-2 du Code dejustice administrative. Certes, l’articleR. 143-3 du Code des juridictions finan-cières dispose que « après cassation d’unarrêt, l’affaire est renvoyée devant la Coursiégeant toutes chambres réunies ». Mais,le renvoi devant la Cour étant impossible,l’intérêt d’une bonne administration de lajustice commande que vous gardiezl’affaire. Vous marquerez, par là même etdès aujourd’hui, votre capacité à assumertoutes les conséquences concrètes devotre jurisprudence Labor Metal.

C’est pourquoi nous vous invitons à réglerles affaires au fond après avoir cassé lestrois arrêts des 29 juin 2000 et 26 avril 2001.Alors que la Cour des comptes avait étésaisie en appel par M. Dugoin contre lestrois jugements, mais également parMme Tibéri contre le jugement nº 99-0831et par M. Marlin contre le jugementnº 99-1278, seul M. Dugoin s’est pourvu en

cassation. Cela ne vous retiendra pasd’annuler les arrêts dans leur totalité euégard à l’indivisibilité qui caractérise lesopérations constitutives de gestion de fait– nous reviendrons plus longuement sur cepoint dans un instant. Nous notons quevous avez jugé, alors qu’un permis deconstruire était en litige, que lorsqu’unecour a joint plusieurs requêtes dirigéescontre le même jugement et qu’un seulrequérant se pourvoit en cassation contrel’arrêt rejetant les requêtes, il y a lieud’annuler, si un moyen est fondé, l’arrêtdans sa totalité et non en tant seulementqu’il concerne l’auteur du pourvoi. Et sivous réglez les affaires au fond, vous vousconsidérez, dans une telle hypothèse oùl’objet du litige est unique, comme à nou-veau saisis de l’ensemble des requêtesd’appel (28 juillet 1999, Société anonymed’HLM « Le nouveau logis Centre Limousin »,p. 272). C’est ce que vous ferez en l’espèce.

Vous voilà devenus juge d’appel, saisis detrois requêtes de M. Dugoin, d’une requêtede Mme Tibéri et d’une requête deM. Marlin. M. Marlin ayant déclaré, le 8 mars2000, se désister purement et simplementde l’instance, vous lui donnerez acte de sondésistement.

Vous pourrez joindre les trois appels deM. Dugoin et celui de Mme Tibéri pour sta-tuer par une seule décision.

Evacuons d’emblée le débat relatif à la rece-vabilité des moyens d’appel. Les deuxmoyens dont nous vous entretiendrons quitouchent à l’impartialité objective, de lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France pour le premier, de deux de sesmembres pour le second, sont en effetd’ordre public (sect., 5 juillet 2000,Mme Rochard, p. 298).

Le premier moyen qu’il vous revient d’exa-miner est tiré de la disqualification de lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France pour connaître, en qualité de juri-diction, de la gestion des deniers du dépar-tement de l’Essonne. Nous commençonspar ce moyen, qui comporte trois bran-ches, car s’il était fondé, il interdirait défi-nitivement à la chambre régionale deconnaître à nouveau des affaires.

Commençons par examiner la premièrebranche de ce moyen. Le requérant vousinvite à transposer à la lettre d’observationsdéfinitives adoptée, en application del’article R. 241-16 du Code des juridictionsfinancières, par une chambre régionale descomptes, le raisonnement que vous aveztenu à propos du rapport public de la Courdes comptes. La chronologie est la sui-vante : lors de sa séance du 12 août 1997,la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France formule, à l’encontre du départe-ment de l’Essonne, des observations provi-soires et adopte trois jugements dedéclaration provisoire de gestion de fait.Les 4 et 14 novembre, la Chambre arrêtedes observations définitives qui sont noti-fiées au département, le 20 novembre1997. Le 5 juillet 1999, soit postérieurementà la lettre d’observations définitives, elleprend les jugements attaqués.

Vous n’aurez pas à trancher cette questionde droit, encore inédite. Nous estimons eneffet, après avoir lu les observations défini-tives notifiées le 20 novembre 1997,qu’elles ne révèlent, en tout état de cause,aucun préjugement de la part de lachambre régionale. Pour reprendre les cri-tères posés par vos décisions Labor Metalet Société Habib Bank Limited (sect.,

20 octobre 2001 au Recueil), la lettre neprocède en effet à aucune qualification juri-dique des faits litigieux. Vous pouvez doncécarter cette branche du moyen sans avoirà trancher la question de savoir si la procé-dure prévue aux articles R. 241-12 et sui-vants du Code des juridictions financièresest ou non susceptible d’entacher la pro-cédure de gestion de fait de partialité struc-turelle.

Vous écarterez la deuxième branche dumoyen qui est tirée de ce que la chambrerégionale ne pouvait régulièrement pro-noncer la gestion de fait après avoir pro-posé au comité du rapport public de la Courdes comptes, prévu à l’article R. 112-24 duCode des juridictions financières, un projetde mention des faits litigieux. Ce moyenn’est assorti d’aucune précision permet-tant de vérifier selon quelle procédure lecomité du rapport public a été saisi d’uneproposition de la chambre régionale descomptes d’Ile-de-France. Deux hypothèsessont envisageables. Soit la chambre régio-nale a expressément saisi le comité du rap-port public d’une proposition de mention.Mais celle-ci étant restée confidentielle, ilest impossible d’apprécier si elle révèle ounon un préjugement. Soit la mention a étédécidée à la suite de la transmission de lalettre d’observations définitives à la Courdes comptes, qui est automatique, enapplication de l’article R. 241-24 du Codedes juridictions financières. Dès lors quenous estimons que la première branche dumoyen manque en fait, il en va dès lors demême, a fortiori, de la deuxième.

La troisième branche du moyen ne vousretiendra pas longtemps. Elle est tirée dece que la chambre régionale des comptesne pouvait régulièrement adopter les juge-ments de déclaration définitive de gestionde fait dans la mesure où elle avait préjugéde l’affaire en adoptant les jugements dedéclaration provisoire. Vous l’écarterez enfaisant application de votre décision SociétéRéflexions, médiation, ripostes (Ass.,14 décembre 2001 au Recueil) par laquellevous avez admis la régularité de la règle dudouble arrêt au regard du principe d’impar-tialité. Le jugement de déclaration provi-soire de gestion de fait, qui correspond enpratique à l’acte par lequel le juge descomptes s’autosaisit, identifie et limite lespoints en litige et invite le comptable às’expliquer, et le jugement de déclarationdéfinitive relèvent en effet d’une seule etunique procédure juridictionnelle.

Vous écarterez donc le premier moyen quiest tiré de la méconnaissance de l’impartia-lité structurelle de la chambre régionale descomptes.

Le deuxième moyen qu’il vous revientd’examiner est tiré de ce que deux magis-trats de la chambre régionale des comptesd’Ile-de-France ont successivement parti-cipé, pour le compte de celle-ci, au contrôledes comptes et de la gestion du départe-ment de l’Essonne et à l’adoption des juge-ments de déclaration provisoire de gestionde fait en date du 12 août 1997. Ce moyenest fondé, au moins en ce qui concerne unrapporteur. Pour vous en convaincre, nouscroyons nécessaire de nous attarder un ins-tant sur la chronologie des faits.

Le 20 mars 1997, la chambre régionale descomptes annonce au département del’Essonne la vérification des comptes desexercices 1991 à 1995 et l’examen de la ges-tion du département. La vérification est dili-gentée, conformément aux prescriptionsde l’article R. 241-1 et suivants du Code des

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juridictions financières. Comme le prévoitl’article R. 241-9 de ce code : « Les consta-tations auxquelles donnent lieu l’examenou le contrôle des affaires sont contresi-gnées dans un rapport. Les suites à leurdonner font l’objet de propositions moti-vées ». Il ressort des pièces du dossier quel’auteur du rapport à fin d’observationsprovisoires est M. Hernu. Or, il apparaît queM. Hernu ne s’est pas borné à participer, enqualité de rapporteur, à la procédure devérification administrative qui a débouché,comme nous l’avons vu, sur l’adoptiond’observations provisoires puis d’observa-tions définitives. Il a également été l’auteur,avec M. Meunier, d’un rapport complémen-taire à fin de déclarations provisoires degestion de fait, rapport qui a été à l’originede l’autosaisine de la chambre régionaledes comptes. Et il a participé, en qualité deconseiller rapporteur, au délibéré de laséance du 12 août 1997 au cours de laquelleont été adoptés les trois jugements dedéclaration provisoire de gestion de faitsdes deniers du département de l’Essonne,jugements notifiés le 7 mai 1998 et qui ontmarqué l’ouverture de la procédure juridic-tionnelle de gestion de fait.

Or, le principe d’impartialité prohibe un telcumul des fonctions de vérification et dejugements des comptes. Vous l’avezexpressément jugé, par votre décisionSA Entreprise Razel Frères et M. Le Leuch(Ass., 6 avril 2001, p. 176) : « la participationau délibéré de la formation de jugementchargée de se prononcer sur une déclara-tion de gestion de fait du rapporteurauquel a été confiée la vérification de lagestion de l’organisme dont les denierssont en cause entache d’irrégularité lacomposition de cette formation ».

Nous n’avons aucun doute quant à l’appli-cation de votre jurisprudence Razel Frèreset Le Leuch aux cas de l’espèce alors mêmeque M. Hernu n’a pas participé au délibérédes jugements du 5 juillet 1999 de déclara-tion définitive de gestion de fait. En raisonmême de l’unicité de la procédure quicaractérise la règle du double arrêt et quevous avez consacrée par votre décision déjàcitée Société Réflexions, médiation,ripostes, l’irrégularité qui entache la com-position de la formation de jugement qui aadopté les jugements de déclarations pro-visoires vicie l’ensemble de la procédurejuridictionnelle dont ils constituent la pre-mière étape. Alors même que les conclu-sions des trois requêtes ne sont dirigéesqu’à l’encontre des jugements du 5 juillet1999, vous annulerez également les juge-ments de déclaration provisoire. Nousavons trouvé une ancienne jurisprudencede la Cour des comptes en ce sens : aprèsavoir relevé que les vices affectaient le juge-ment provisoire, la Cour a annulé non seu-lement le jugement définitif dont étaitappel mais aussi ce jugement provisoire(6 février 1906, Commune de Saint-Martin-Vésubie).

Vous annulerez donc les jugements atta-qués. La question se pose maintenant del’étendue de l’annulation qu’il vous revientde prononcer.

Vous n’avez été saisis, en qualité de juged’appel, de requêtes que par M. Dugoin etMme Tibéri. Les autres personnes qui ontété déclarées « solidairement comptablesde fait » avec M. Dugoin n’ont pas relevéappel des jugements de première instance.Il s’agit de Mme Hugot, de M. Marlin quis’est désisté mais aussi de Mme Marlin etde Mme Bernier. Les annulations que vous

prononcerez produiront toutefois deseffets à l’encontre de toutes ces per-sonnes. Nous vous invitons en effet à fairevôtre une jurisprudence constante de laCour des comptes en matière de gestionde fait. Ainsi que le rappelle M. Magnet,dans son ouvrage sur « Les gestions defait » : « La situation des parties non appe-lantes ni appelées ne peut être affectée parl’appel, sauf si elles sont en état de solida-rité avec les appelants ou les appelés : c’estnotamment le cas dans les gestions de faitcollectives, où l’appel élevé pour ou contrel’un des comptables de fait solidaires aeffets à l’égard des autres, même nonappelants ni appelés » (voyez notamment :6 et 13 avril 1905, Hospice du Dorat). L’arrêtde la Cour des comptes Commune de Nice(1er avril et 6 mai 1993, p. 41) comporte unemotivation très explicite : « attendu que lasolidarité entre comptables de fait,lorsqu’elle existe, doit conduire la Cour descomptes, lorsqu’elle est saisie en appel, parun des coauteurs des irrégularités, de l’exis-tence d’une gestion de fait, à statuer sur laqualité de comptable de fait des différentsauteurs ». Nous sommes convaincus dubien-fondé de cette solution, spécifique aucontentieux de la juridiction financière, quise fonde sur les principes d’indivisibilité desopérations constitutives de gestion de fait(voyez sur ce point : C. comptes, 15 janvier1875, Janvier de la Motte et Consorts, « Lesgrands arrêts financiers », 4e éd., p. 359) etde solidarité des comptables de fait. C’estdans cette perspective que la 6e sous-sec-tion de la section du contentieux a mis encause l’ensemble des personnes qui ont étédéclarées comptables de fait par lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France.

Vous annulerez donc les trois jugementsprovisoires du 12 août 1997, les trois juge-ments définitifs du 5 juillet 1999 ainsi que,par voie de conséquence, le jugement àsuivre en date du 15 novembre 1999 alorsmême que son annulation n’est pasdemandée (voyez en ce sens notamment :30 janvier 1911, Commune de Bourogne).

Il vous reste à décider des suites qu’ilconvient de donner à ces annulations.Comme nous venons de le voir, le viceentache la procédure ab initio. Comptetenu de l’annulation des trois jugementsprovisoires par lesquels la chambre régio-nale des comptes s’était autosaisie, il nereste rien de la procédure juridictionnelle.Il n’y a donc pas matière à renvoi devant lachambre régionale des comptes d’Ile-de-France.

Si vous décidiez d’en rester là, cela ne mar-querait pas, et c’est ce qui sépare nosaffaires du cas Labor Metal, l’extinctiondéfinitive de toute procédure juridiction-nelle. Les annulations que vous pronon-cerez ne préjugent en effet en rien de lafaculté pour le juge des comptes de pre-mière instance de s’autosaisir une nouvellefois, au vu des éléments révélés par la pro-cédure administrative de vérification descomptes et de la gestion du départementde l’Essonne, sous réserve de l’applicationdes règles de prescription fixées à l’articleL. 231-3 du Code des juridictions finan-cières, dans sa rédaction issue de la loino 2001-1248 du 21 décembre 2001, auxtermes duquel « l’action en déclaration degestion de fait est prescrite pour les actesconstitutifs de gestion de fait commis plusde dix ans avant la date à laquelle lachambre régionale des comptes est ensaisie ou s’en saisit d’office ». Les moyens

tendant à ce que vous constatiez la disqua-lification structurelle de la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France n’étantpas fondés, rien ne s’oppose, en théorie, àce qu’elle adopte, postérieurement auxannulations que vous prononcerez, denouveaux jugements de déclaration provi-soire de gestion de fait à la condition tou-tefois d’être autrement composée.

Mais vous pouvez tout aussi bien déciderd’évoquer. L’évocation n’est qu’une facultémais nous estimons que, dans les circons-tances très particulières de l’espèce, il y alieu d’y recourir dans l’intérêt d’une bonneadministration de la justice. Milite en cesens tout d’abord le souci de mettre unterme définitif à une procédure engagée ily plus de six ans déjà. Des considérationsde politique jurisprudentielle plaident éga-lement en faveur de l’évocation. Si l’onadmet, un instant de raison, que lachambre régionale des comptes se saisisseà nouveau des affaires, on ne doit pasexclure que les jugements définitifs qu’ellerendra soient frappés d’appel. Si la Cour descomptes, saisie en appel, fait application dela procédure que nous lui recommandionsd’adopter tout à l’heure, elle vous trans-mettra les litiges, en raison de son incapa-cité à en connaître régulièrement. Il nousparaît dès lors opportun de saisir l’occasionqui vous est offerte de clore, dès à présent,une procédure qui risque sinon de vousrevenir dans quelques années. C’estl’intérêt des justiciables qui seront fixés,plus rapidement, sur leur sort. Mais nouscroyons pouvoir dire qu’une telle solutionrépond également à des préoccupations demoralité publique. Il est en effet souhai-table que le nécessaire respect du principed’impartialité, dont les présentes affairesillustrent à quel point vous vous attachez àle garantir, ne se fasse pas au détriment dela mission d’ordre public de la juridictionfinancière.

C’est pourquoi, nous vous invitons résolu-ment à remplir aujourd’hui, pour la pre-mière fois, la fonction d’un juge descomptes de première instance. Nous vousdisions, tout à l’heure, à propos de l’appli-cation de l’article L. 821-2 du Code de jus-tice administrative, que les spécificitéstechniques du contentieux de la gestion defait ne devaient pas vous retenir. Nous réi-térons notre propos au stade de l’évoca-tion. Il est vrai que les affaires en cause sonten pratique relativement simples. Maisavant de pouvoir le constater, il vous fautfranchir un dernier pas, auquel ne s’opposenul obstacle d’ordre théorique, celui devotre propre autosaisine.

Nous ne revenons pas ici sur la faculté, trèsspécifique, qu’a le juge des comptes des’autosaisir, faculté que les développe-ments récents de votre jurisprudence ontheureusement préservée. La question n’estpas de savoir si vous pouvez le faire. Nousle croyons dès lors qu’après l’usage del’article L. 821-2 et après l’évocation, vouspossédez la plénitude des prérogatives dujuge financier. La seule question qui vousest posée est de savoir si vous décidez dele faire aujourd’hui alors que vous ne l’avezjamais fait.

Vous avez expressément décidé de prati-quer, dans Labor Metal, une cassation sansrenvoi ni règlement alors même que la sai-sine n’était pas viciée et que l’affaire étaiten l’état. Mais ce précédent ne vous lie pas.Et nous estimons que la retenue qui vousa caractérisés, la première fois que vousavez été confrontés à cette étrange situa-tion d’une juridiction devenue à jamais

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incapable de connaître d’un litige doitcéder face à ce nouveau cas où vous êtesappelés à suppléer au juge des comptes.

Reste la question de savoir si le vice de pro-cédure qui entache l’acte de saisine n’a paspour effet de faire définitivement dispa-raître le litige. Nous ne le croyons pas euégard à la spécificité de la juridiction finan-cière qui ne tranche pas une prétentionsoumise par des parties mais statue sur desfaits dont elle s’est saisie. C’est pourquoivous n’êtes pas davantage tenus par l’issueque vous avez donnée, dans votre décisiondéjà citée Société Habib Bank Limited, à uneprocédure engagée devant une juridictiondisciplinaire. Vous avez en effet procédé àune cassation sans renvoi ni règlement euégard aux conditions irrégulières dans les-quelles la commission bancaire s’était saisiedes manquements imputés à la sociétérequérante. Mais il s’agissait d’un conten-tieux répressif pour lequel nous compre-nons que vous n’ayez pas souhaité substi-tuer, dans le cadre ouvert par l’applicationde l’article L. 821-2 du Code de justice admi-nistrative, votre appréciation de « l’oppor-tunité des poursuites » à celle de la juridic-tion disciplinaire.

Rien de tel avec le jugement des comptesqui est un contentieux objectif. En vertudes dispositions de l’article 60-XI de la loi definances du 23 février 1963, il incombe aujuge des comptes d’apurer les comptesretraçant l’emploi des fonds publics ayantfait l’objet d’une détention ou d’un manie-ment irréguliers. La procédure de gestionde fait a pour seul objet le rétablissementdes formes budgétaires et comptables.C’est parce que la reddition des comptesdes deniers publics est d’ordre public qu’ilconvient d’y procéder d’office sans qu’il yait véritablement place à des considérationsd’opportunité (voyez notamment en cesens : C. comptes, 11 mars et 29 avril 1993,Commune de Grenoble, p. 20). Ceciexplique que le juge des comptes ne peutrefuser de connaître d’une gestion de faitdont il a constaté l’existence (notamment :C. comptes, 26 mars 1996, Centre hospita-lier départemental de Saint-Denis-de-la-Réunion). Ajoutons que votre autosaisinen’aura rien d’exceptionnel aux yeux de laCour des comptes qui a coutume, aprèsannulation, si l’affaire est en l’étatd’examen, de l’évoquer pour y statuer elle-même en première et dernière instance àpartir du dernier acte non annulé (voyeznotamment : 12 mars 1906, Communed’Augé ; 18 janvier 1910, Commune deNoyon-sur-Seine ; 3 janvier 1930, Com-mune de Terrasson ; 23 avril 1998, Com-mune de Tarascon).

Certes, vous ne disposez pas de tous leséléments au vu desquels la chambre régio-nale des comptes d’Ile-de-France a décidéde s’autosaisir, notamment pas du rapportà fin de déclarations provisoires de gestionde fait à la suite du contrôle des comptesdu département de l’Essonne présenté à laChambre par MM. Hernu et Meunier. Maisfigurent au dossier les conclusions en cesens du Ministère public qui visent expres-sément les personnes susceptibles d’êtredéclarées comptables de fait en raisond’extraction irrégulière : « en l’espèce, ontparticipé activement au montage, en onttiré un profit personnel qu’ils savaientd’autant plus indu que le service fait étaitinexistant ou quasi inexistant :[...] Mme Bernier (aucune prestation)– Mme Dugoin (dont les prestations appa-raissent miraculeusement avec sa mise en

cause et dont il est avéré que son nom nefigurait ni dans l’organigramme ni dansl’annuaire des services et qu’elle ne possé-dait aucun indicatif téléphonique [...]Mme Marlin (aucune prestation démontrée,ni indication précise de bureau, ni copie descourriers suivis ou rédigés, ni indication decoordonnées dans l’annuaire ou l’organi-gramme), Mme Tibéri (dont la maternité dela prestation n’est pas prouvée et qui selontoutes les informations concordantes n’ajamais fréquenté ni même approché leslocaux du Conseil général ». En outre, lesobservations définitives, qui sont au dos-sier, comprennent de nombreux élémentsqui, s’ils ne comportent aucune qualifica-tion juridique des faits, nous conduisent àestimer qu’il y a lieu, en l’état du dossier,de vous saisir d’opérations présuméesconstitutives de gestion de fait (voyez pourune saisine d’office au vu des élémentsrecueillis lors d’une vérification descomptes notamment : C. comptes,15 octobre 1996, Commune et Syndicatd’agglomération nouvelle d’Istres). Cetteétape étant franchie, que tirons-nous dudossier issu du contrôle administratif ?

Précisons que si nous estimons que vousne pouvez vous affranchir du respect desdifférentes étapes de la procédure de ges-tion de fait (déclaration de gestion de fait,fixation d’une ligne de compte, puis éven-tuellement mise en débet et amende),nous pensons en revanche qu’il n’y a paslieu de diligenter la procédure selon lesrègles spécifiques à la juridiction financière.Vous ferez application des règles normale-ment applicables devant vous en veillant àapporter aux intéressés toutes les garantiesqu’offre la procédure suivie devant le jugedes comptes.

L’article 110 de la loi du 26 janvier 1984 por-tant dispositions statutaires relatives à lafonction publique territoriale dispose queles collaborateurs de cabinet « ne rendentcompte qu’à l’autorité territoriale auprèsde laquelle ils sont placés et qui décide desconditions et des modalités d’exécution duservice qu’ils accomplissent auprès d’elle ».Mais rappelons à toutes fins utiles qu’envertu de l’article 136 de la même loi, lesagents non titulaires sont régis par lesmêmes dispositions que celles auxquellessont soumis les fonctionnaires, parmi les-quelles figure l’article 20 de la loi du13 juillet 1983 modifiée portant droits etobligations des fonctionnaires aux termesduquel « les fonctionnaires ont droit aprèsservice fait à une rémunération ». La juris-prudence financière est constante : toutedépense tenant à la rémunération d’unagent d’une collectivité locale ne corres-pondant à aucun service fait doit êtreregardée comme irrégulièrement extraitede la caisse publique et est donc constitu-tive d’un acte de gestion de fait (voyez parexemple : C. comptes, 12 mars 1998,M. Balkany, Commune de Levallois-Perret).

Qu’en est-il dans nos affaires ?

Nous commencerons par évoquer le cas deMme Bernier dont il apparaît, au vu despièces du dossier, qu’elle a été recrutéecomme collaborateur de cabinet par uncontrat signé par M. Dugoin en qualité deprésident du conseil général de l’Essonne.Elle a été rémunérée à ce titre par le dépar-tement de l’Essonne pour la période allantdu 1er juillet 1993 au 31 mars 1995 pour unmontant total de 696 526,96 F. Vousn’aurez pas à vous interroger sur le carac-tère régulier de l’extraction de la caisse dudépartement des sommes correspondant

à ces salaires. Il ressort en effet des piècesdu dossier qu’à la date du 1er mars 2000,Mme Bernier a reversé les sommes corres-pondant à ces rémunérations au conseilgénéral de l’Essonne. Nous estimons qu’iln’y a pas lieu, en raison de la régularisationainsi intervenue, d’ouvrir une procédure àfin de déclaration de gestion de fait àl’égard de M. Dugoin, Mme Bernier et M. etMme Marlin. Vous avez en effet jugé quedans le cas où il y a reversement de la tota-lité des sommes extraites irrégulièrementavant que n’intervienne la déclaration défi-nitive de gestion de fait, il y a non-lieu àdéclaration de gestion de fait en raison dela régularisation ainsi intervenue (23 février2000, Ministre de l’Economie, des Financeset de l’Industrie c/ Association des conseil-lers régionaux de Provence-Alpes-Côted’Azur, p. 98).

S’agissant du cas de Mme Hugot, qui étaitl’épouse de M. Dugoin, il apparaît, au vu despièces du dossier de la vérification descomptes, qu’elle a été recrutée comme col-laborateur de cabinet par un contrat signépar son mari. Elle a été rémunérée à ce titrepar le département de l’Essonne pour lapériode allant du 1er avril 1993 au31 décembre 1995 pour un montant totalde 703 396,36 F. Dès lors que nous esti-mons qu’en l’état du dossier, la réalité deson service en qualité de chargée de mis-sion auprès du président du Conseil généraln’est pas établie, nous vous proposonsd’ordonner, avant dire droit, à Mme Hugot,à M. Dugoin et au conseil général del’Essonne de communiquer au Conseild’Etat, dans un délai de deux mois àcompter de la notification de votre déci-sion, tous éléments utiles à la déclarationou non de gestion de fait des deniers dudépartement de l’Essonne.

Le cas de Mme Tibéri est plus délicat. Ilapparaît, au vu des pièces du dossier,qu’elle a été recrutée comme collaborateurde cabinet par un contrat signé parM. Dugoin. Elle a été rémunérée à ce titrepar le département de l’Essonne pour lapériode allant du 1er mars 1994 au31 décembre 1994 pour un montant totalde 336 193,07 F. Mais le jugement du5 juillet 1999, que vous venez d’annuler, nel’a déclarée comptable de fait solidairementavec M. Dugoin, qu’à hauteur de213 355,39 F. La chambre régionale descomptes a en effet estimé que le caractèrefictif des mandats de paiement n’étaitétabli que pour la période allant du 1er marsau 18 octobre 1994, date d’une lettre demission de M. Dugoin passant commandeà Mme Tibéri d’un rapport sur la coopéra-tion décentralisée. Or, figure au dossier unecopie de déclaration de recette correspon-dant au versement, par Mme Tibéri, d’unesomme de 213 355,39 F à la caisse dudépartement de l’Essonne, soit l’intégralitéde la somme pour laquelle elle avait étédéclarée comptable de fait. Nous ne vousproposons toutefois pas de prononcer unnon-lieu à déclaration de gestion de fait.L’annulation du jugement du 5 juillet 1999a fait disparaître la fixation du périmètre dela gestion de fait. Rien ne permet de pré-juger que vous vous rangerez à l’apprécia-tion, sur ce point, de la chambre régionaledes comptes d’Ile-de-France, conditionnécessaire pour que le remboursement de213 355,39 F sur les 336 193,07 F perçusvaille régularisation. La réalité du service faitn’étant pas établie en l’état du dossier,nous vous proposons d’ordonner, avantdire droit, à Mme Tibéri, à M. Dugoin etau conseil général de l’Essonne de

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communiquer au Conseil d’Etat, dans undélai de deux mois à compter de la notifi-cation de votre décision, tous élémentsutiles à la déclaration ou non de gestion defait des deniers du département del’Essonne. C’est ultérieurement, après avoirestimé s’il y avait gestion de fait et, danscette hypothèse, en avoir déterminé lepérimètre, qu’il vous reviendra de tenircompte de ce remboursement.

Par ces mesures avant dire droit, vous met-trez les intéressés à même, dans le respectdu caractère contradictoire de la procé-dure, de produire tous les éléments néces-saires à l’établissement de la réalité du ser-vice fait, d’une part, et de l’intérêtdépartemental des dépenses litigieuses,d’autre part.

Nous en aurons presque terminé aprèsvous avoir invités à rejeter les conclusionsdu département de l’Essonne tendant à lacondamnation de M. Dugoin à lui verser lessommes qu’il demande au titre des fraisexposés par lui et non compris dans lesdépens.

Nous terminerons nos conclusions par unedernière série de considérations. La com-plexité de la présente affaire tient principa-lement au choix opéré par l’Assemblée ducontentieux dans la décision Labor Metalqui entraîne la disqualification définitive dela Cour des comptes. Votre récente déci-sion Dubreuil (Ass., 4 juillet 2003), rendue àpropos de la Cour de discipline budgétaireet financière, démontre que le respect del’impartialité objective individuelle offre auxjusticiables autant de garanties que celui del’impartialité structurelle. Nous ne vousproposons toutefois pas d’apporteraujourd’hui un tempérament à votre déci-sion du 23 février 2000 de nature à per-mettre, après cassation, le renvoi de nosaffaires devant la Cour des comptes. Ladécision Labor Metal est à la fois troprécente et trop emblématique de votrejurisprudence sur la portée du principed’impartialité pour que nous estimionsopportun d’opérer dès à présent un telrevirement qui risquerait d’être perçu,certes à tort, comme une régressionfondée uniquement sur des considérationsd’opportunité.

L’édifice procédural que nous venons debâtir présente le grand mérite de vous per-mettre, dans le strict respect de la jurispru-dence, de clore à brève échéance les litigesportés devant vous. Certes, il vous conduit,pour la première fois, à vous substituertotalement aux deux degrés de la juridic-tion financière. Nous sommes convaincusqu’une telle métamorphose, que nous nevous proposons qu’en raison de la combi-naison exceptionnelle de plusieurs de vosjurisprudences, n’est pas hors de votreportée. Nous voudrions également insistersur le fait qu’elle ne sera que temporaire. Ilsuffira en effet à la Cour des comptes deveiller à l’avenir à la rédaction de son rap-port public pour n’être plus contrainte derecourir à la procédure exceptionnelle quenous lui reprochons aujourd’hui de ne pasavoir suivie, de même qu’il suffira auxchambres régionales des comptes de veillerà mieux séparer leurs fonctions administra-tives et leurs fonctions juridictionnelles.Enfin et surtout, soulignons que cettemétamorphose ne vise qu’à permettre quesoit rempli sans encombre et jusqu’à sonterme l’office du juge des comptes.

Par ces motifs, Nous concluons :

– à l’annulation des trois arrêts du 29 juin2000 et 26 avril 2001 de la Cour descomptes ;

– à ce qu’il soit donné acte du désistementde M. Marlin ;

– à l’annulation des jugements provisoiresdu 12 août 1997, des jugements définitifsdu 5 juillet 1999 et du jugement à suivre du15 novembre 1999 de la chambre régionaledes comptes d’Ile-de-France ;

– à ce qu’il n’y ait pas lieu d’ouvrir une pro-cédure de déclaration en gestion de fait desdeniers du département de l’Essonne àraison des rémunérations perçues parMme Bernier ;

– à ce qu’il soit ordonné, avant dire droit,à M. Dugoin, à Mme Hugot, à Mme Tibéri,et au conseil général de l’Essonne de com-muniquer au Conseil d’Etat, dans un délaide deux mois à compter de la notificationde votre décision, tous éléments utiles à ladéclaration ou non de gestion de fait desdeniers du département de l’Essonne ;

– au rejet des conclusions du départementde l’Essonne tendant à l’application des dis-positions de l’article L. 761-1 du Code dejustice administrative.

Note

Voilà un nouvel épisode de l’affaire« Département de l’Essonne ». La décisionrendue par le Conseil d’Etat a déjà étéreprise dans les médias « classiques », la« grande presse » certes (Le Monde,15 novembre 2003 p. 14 ; Libération,15 novembre 2003), mais également parKarl Zéro et Laurent Ruquier, ce qui, il fautbien l’avouer, est assez rare pour notrediscipline. Mais on se doute que ce n’estpas la solution juridique qui intéresse ainsices « chansonniers » modernes mais lesconséquences inattendues (mais prévisi-bles) de la solution retenue par la HauteJuridiction. Le Conseil d’Etat s’est, selonnous, arrêté au milieu du gué (I) alors qu’ildevra, nécessairement, le franchir unjour (II).

I. Un progrès apparent

Si le Conseil d’Etat prononce dans cetteaffaire une cassation attendue des arrêtsde la Cour, il ne pouvait, pas plus que dansl’affaire Labor Métal, lui renvoyerl’affaire (A). Dès lors il accepte de modifiersa jurisprudence Labor Métal confirméepar l’arrêt Abran (voir ci-dessus) et doncd’évoquer l’affaire. Mais cette cassationsans renvoi lui permet de juger au fond,elle ne lui permet pas de juger le fond (B).

A) Une cassation annoncée

La CRC a, par trois jugements du 5 juillet1999, déclaré comptable de fait desdeniers du département X. Dugoin, ex-président du Conseil général, qui a faitappel. La Cour, par trois arrêts identiquesdes mêmes jours (C. comptes, 29 juin2000 et 26 avril 2001, Département del’Essonne, La Revue du Trésor 2002.25avec les conclusions du Parquet et notrenote), examinait ces appels mais se trou-vait en fait, comme enfermée dans l’indé-chirable tunique de Nessus. En effet,l’affaire était, si l’on nous permet cetteformule, « Labor-métallisée » ! Dans le rap-port public pour 1998 un chapitre (nº 14)est consacré à « la gestion du départe-ment de l’Essonne » et évoque dans unencadré de graves irrégularités ayant

« motivé l’engagement des procédurespénales et de gestion de fait » (18). Desindications nominatives sans ambiguïtépermettaient d’ailleurs à la presse del’époque de faire écho de ces faits mon-trant que nous étions là, à l’évidence, enprésence d’un préjugement au sens de lajurisprudence « Labor Métal » (CE, ass.,23 février 2000, La Revue duTrésor 2000.683 et notre note). Dès lors,la Cour n’avait le choix qu’entre deuxmauvaises solutions : se déclarer incom-pétente (19) et, privant l’appelant de sondroit à appel, encourir nécessairement lacensure du Conseil d’Etat ; juger l’appelet, n’étant pas impartiale structurelle-ment, encourir encore la censure de laHaute Assemblée. Face à ce dilemme, laCour choisissait de se déclarer incompé-tente. Un pourvoi fut donc déposé parX. Dugoin : la cassation devait s’ensuivre,logique (20).

Restait donc au Conseil d’Etat à trouverune solution qui n’aboutisse pas (encorecomme dans l’affaire Labor Métal) à laisserla question de fond sans solution. Hélas,si de la fumée est apparue à la cheminéedu Palais-Royal, celle-ci n’est pas franche-ment « blanche ». L’arrêt de la Cour descomptes est logiquement cassé : la Courdes comptes ne peut s’abstenir de statuersur un appel formé devant elle et priverainsi les justiciables du droit qui leur estdonné par la loi de faire appel des juge-ments des chambres régionales descomptes car ce faisant elle commet uneerreur de droit. La suite en revanche estplus inattendue.

Le Conseil d’Etat pouvait en effet, une foisla cassation prononcée, choisir entre troissolutions :

– renvoyer devant la Cour qui, jugeant aufond, violait le principe d’impartialité. Unnouveau pourvoi était inévitable et unenouvelle cassation renvoyait au cas précé-dent. C’était la pire des solutions ; ellenous est heureusement épargnée ;

– casser sans renvoi dans la ligne strictede « Labor Métal » et de la décision« Abran » reproduite ci-dessus. La solutionpouvait se justifier car renvoyer était inu-tile, la Cour des comptes étant, par le fait,partiale et ne pouvant donc juger l’affaireau fond. Mais alors les jugements renduspar la CRC d’Ile-de-France se voyaient ainsigratifiés de l’autorité de la chose jugéepour impossibilité de faire appel, lorsmême que le Conseil d’Etat vient decasser l’arrêt de la Cour pour avoir privél’appelant de ce droit. On aboutissait, dupoint de vue du justiciable, au même« déni de justice ». Il fallait donc rompre iciavec la jurisprudence « Labor Métal » et seranger à la troisième solution comme lefit le Conseil d’Etat ;

– casser et évoquer l’affaire dans l’intérêtd’une bonne administration de la justiceeu égard à la nécessité de ne pas priverles personnes déclarées comptables defait d’une voie de recours, prévue par la

(18) Nous renvoyons le lecteur aux extraits du rapportcontenus dans les conclusions du Parquet publiées p. 28de La Revue du Trésor 2002.(19) On notera que le commissaire du Gouvernementregrette que la Cour se soit déclarée « incompétente »estimant qu’un juge ne peut jamais renoncer à sa proprecompétence. On doit dire que l’on voit mal quel autre« moyen » la Cour aurait pu utiliser dès lors qu’elle nesouhaitait pas juger au fond.(20) On se permet de renvoyer ici à notre note sous l’arrêtde la Cour (La Revue du Trésor 2002.29) dans laquelle nousmontrions les diverses solutions possibles pour la HauteAssemblée.

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loi, à l’encontre de jugements rendus enpremier ressort. Le juge de cassationdevient ici juge d’appel des jugements dela CRC d’Ile-de-France par application del’article L. 821-2 du Code de justice admi-nistrative.

B) Une annulation pressentie interdi-sant de juger le fond

Cependant, l’évocation des jugements depremière instance devait elle aussiconduire le Conseil à dénoncer la partialitédu juge de première instance. On pouvaitcraindre, qu’à ce stade aussi, l’affaire soit« Labor-métallisée ». En effet, les termesutilisés par la Chambre dans une lettred’observation définitive qu’elle avaitadressée au département de l’Essonnerévélaient sans ambiguïté l’existenced’emplois fictifs et, par voie de consé-quence, de mandats fictifs. Or, c’est dansle prolongement de cette lettre que laChambre avait entrepris la procédure degestion de fait contestée, laissant ainsiplaner le doute sur un éventuel « préju-gement ». Il eût été inédit que la HauteAssemblée constatât la disqualificationstructurelle pour cause de partialité dujuge d’appel et du juge de première ins-tance. Fort heureusement, comme lenotent le commissaire du Gouvernementet le parquet de la Cour des comptes dansses conclusions sur l’arrêt cassé, cettelettre ne procédait à aucune qualificationjuridique des faits litigieux. La HauteAssemblée pouvait donc écarter lemoyen.

Restait pourtant une seconde cause deviolation du principe d’impartialité,conjoncturelle celle-là. En effet, en pre-mière instance, le rapporteur de laChambre qui avait participé au délibérédes jugements provisoires de gestion defait, avait, auparavant, rédigé le rapport àl’origine de l’autosaisine de la Chambre etplus encore assuré la vérification descomptes et de la gestion du départementde l’Essonne. La composition de cette for-mation de jugement la frappait donc departialité [application combinée des arrêts« Razel » sur la participation du rapporteur(CE, 6 avril 2001, RFD adm. 2001.1299,concl. Seban, et notre chronique ; voiraussi CE, 13 février 2002, Cans ci-dessus)et « RMR » sur l’unicité de la procéduredite « du double arrêt » (CE, 14 décembre2001, Société RMR, La Revue duTrésor 2002.226 et notre note)], enta-chant dès lors d’irrégularité l’ensemble dela procédure suivie devant la Chambre,lors même qu’à l’époque où les juge-ments étaient rendus, la jurisprudence duConseil d’Etat n’était pas fixée dans cesens.

Le Conseil d’Etat, juge d’appel, procède àl’annulation des jugements entrepris. Il nereste rien de la procédure de gestion defait entreprise sur l’autosaisine de la CRC.On paraît retomber dans les errements de« Labor Métal », laissant sans sanction uneviolation éventuelle des règles essentiellesde la comptabilité publique. Certes leConseil ouvre la possibilité au juge de pre-mière instance de déterminer, le caséchéant, s’il y a lieu d’« ouvrir de nouvellesprocédures de gestion de fait des deniersdu département de l’Essonne ». Mais cen’est pas un véritable renvoi à la juridictionde première instance, une simple possibi-lité lui étant ouverte de recommencer sonoffice. On n’est pas loin du résultat de

Labor Métal mais ce n’est plus le Conseild’Etat qui choisit de ne pas sanctionnerles gestionnaires de fait, il renvoie ce soinà la chambre régionale ! En effet, alorsmême qu’il prononce une cassation sansrenvoi, le Conseil d’Etat ne juge pas lefond de l’affaire, solution rarissime (21)que l’on pouvait pourtant espérer éviter.

II. Tôt ou tard le Conseil d’Etat devranécessairement juger le fond

Alors que le Conseil aurait pu, avecquelque audace, juger le fond et clorerapidement cette affaire (A) il a préféré lavoir revenir devant lui pour juger ce fondplus tard, mais peut-être trop tard (B).

A) Un espoir déçu

Pour éviter que ne soient réitérées les cri-tiques faites sur ce plan dans l’affaire« Labor Métal », le Conseil, devenu juged’appel, ayant annulé les jugements depremière instance, pouvait évoquer etjuger le fond en se muant en juge de pre-mière instance. Cette proposition, faitepar Mathias Guyomar, se heurtait certes àtrois obstacles majeurs mais les conclu-sions montrent comment les surmontersans parvenir, hélas, à emporter la convic-tion du Conseil d’Etat.

• Il fallait d’abord que le Conseil d’Etats’autosaisisse. En effet, il n’y a pas de par-quet devant la Haute Juridiction adminis-trative pour la saisir et en l’espèce, il n’yavait plus rien à juger. Le juge de premièreinstance s’étant autosaisi, l’annulation desjugements faisait disparaître toute« contestation » : pas de requête introduc-tive d’instance, pas de demande pré-sentée à un juge qu’il eût fallu trancher,pas de dernier acte juridictionnel nonannulé et pas non plus de réquisitoireintroductif ayant saisi la Chambre, per-mettant de justifier l’évocation à partird’un élément existant. La solution eûtsans doute été différente si la procédurede gestion de fait avait été le résultatd’une saisine de la Chambre par son Par-quet et non d’une autosaisine. Le Conseild’Etat aurait peut-être pu s’estimer saiside ce réquisitoire et poursuivre alorsl’évocation, par-delà l’annulation desjugements, sans avoir à s’autosaisir. Ilpouvait alors suivre plus aisément la pro-position de M. Guyomar pour juger « enpremière instance ». Ceci ne manque pasde reposer la question de l’opportunitéde laisser aux juridictions financières lafaculté de s’autosaisir en matière de ges-tion de fait. Ne faut-il pas réserver au seulParquet la saisine de la juridiction ? C’estun débat qu’il faudra sans doute ouvrir ettrancher.

Le vide juridictionnel imposait donc bienque le Conseil s’autosaisisse de la gestionde fait constatée lors du contrôle de ges-tion du département de l’Essonnecomme un juge des comptes de premièreinstance. Or, le Conseil d’Etat peut-ils’autosaisir sans justifier sa décision,autrement que par son pouvoir préto-rien ? Le commissaire du Gouvernementse fonde, pour justifier cette possibilité,sur le caractère d’ordre public du contrôledes comptes justifiant que l’on y procèded’office. Il estime dès lors que le juge descomptes ne peut refuser de connaîtreune gestion de fait dont il a constatél’existence. Cette solution n’est vraie,selon nous, que si le juge des comptes aconstaté que tous les éléments d’une

gestion de fait antérieurement déclarée àtitre provisoire sont réunis ; dans ce cas ilne peut renoncer à la déclarer à titre défi-nitif. C’est le sens qu’il faut donnerà l’arrêt cité dans les conclusions(C. comptes, 26 mars 1996, CHD deSaint-Denis-de-la-Réunion, Rec. C. comp-tes 37). Or ici, les jugements provisoiresn’existent plus. Seule subsiste une lettred’observation définitive qui ne contientaucune qualification juridique des faits. Iln’y a donc pas obligation pour le juge descomptes de s’autosaisir. L’autosaisine est,dans ce cas, une simple faculté quipermet de vérifier si les éléments décritsdans la lettre sont ou non constitutifsd’une gestion de fait. Le Conseil d’Etat n’yétait donc pas obligé, même s’il décidaitde se comporter en juge de première ins-tance. Il pouvait pourtant le faire.

• Si le Conseil d’Etat s’était autosaisi, il fal-lait ensuite que l’affaire soit en état d’êtrejugée. Certes, comme le notent lesconclusions de M. Guyomar, le dossier, s’ilne comporte pas le rapport du rappor-teur, contient les conclusions prises par leMinistère public à fin de déclaration pro-visoire de gestion de fait par la CRC. Cetélément, en quelque sorte « sauvé dunaufrage » de la procédure devant la CRCpeut-il suffire pour que le Conseil, s’auto-saisissant, juge le dossier ? Il ne s’agit pasd’un réquisitoire introductif d’instancemais bien de conclusions rendues, aprèsinstruction, la Chambre ayant décidé des’autosaisir. Ces conclusions subsistent-elles dès lors que le jugement pour les-quelles elles ont été rendues a étéannulé ? Rien ne permet de trancher si cen’est le pouvoir prétorien du juge qui làencore pouvait user de cette faculté pourinnover.

• Si le Conseil d’Etat autosaisi estimait ledossier en l’état d’être jugé, il fallait enfindéterminer selon quelle procédure il exer-cerait cet office de juge financier de pre-mière instance. Deux solutions possibles :suivre la procédure appliquée par le jugefinancier ou la procédure classique de laHaute Assemblée. Le commissaire duGouvernement propose un « mixte » res-pectant les étapes de la procédure finan-cière (déclaration de gestion de fait, fixa-tion de la ligne de compte et amende) ens’affranchissant de la distinction des juge-ments provisoires et définitifs et de lareconnaissance de l’utilité publique desdépenses. Or, comme en matière finan-cière c’est justement la règle du doublearrêt qui garantit, devant le juge descomptes, les droits de la défense, il fallaitque ceux-ci soient garantis autrement. LeConseil devait permettre aux présuméscomptables de fait de se défendre, ce quiconduit le commissaire à proposer desmesures « avant dire droit » permettant lerespect du contradictoire : productiondes éléments nécessaires à l’établisse-ment de la réalité du service fait, d’unepart, et de l’intérêt départemental desdépenses litigieuses, d’autre part.

Le Conseil d’Etat pouvait donc, au prixd’un effort de construction certes auda-cieux mais parfaitement concevable,juger l’affaire sur le fond et la clore lui-même sans retour devant la CRC. Trop

(21) Nous n’avons pas trouvé, dans le traité de « droit ducontentieux administratif » de R. Chapus, qu’une hypo-thèse de ce type se soit produite. Il faut dire que l’auteurn’envisage pas un seul instant que, évoquant l’affaireaprès la cassation, le Conseil d’Etat procède à ce que nouspourrions appeler « un renvoi putatif ».

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audacieux ! C’est nous semble-t-il la réac-tion qui a dû être celle du Conseil d’Etatqui refuse de s’autosaisir et de bâtir detoute pièce une procédure juridiction-nelle ad hoc. Pourtant, quoiqu’il arrive leConseil d’Etat devra juger le fond.

B) Une solution nécessairement provi-soire

Disons tout d’abord que l’arrêt présentedeux avancées majeures même si la pre-mière reste incomplète et il ne faut pasbouder son plaisir de voir les errementsde Labor Métal partiellement corrigés. Onregrettera simplement que le Conseil sesoit arrêté en chemin et que ses bonnesintentions ne l’aient pas conduit à unesolution définitive, là où il s’est enfermédans le provisoire.

• Le Conseil a trouvé une solution nonpoint « au litige » mais à tous les litiges àvenir dans lesquels la Cour des comptesest structurellement partiale comme juged’appel. Il est vrai qu’il était impossible delaisser les choses en l’état et decontraindre, dans chaque hypothèse dece type, la Cour des comptes à se rendrecoupable d’une erreur de droit, pour quele Conseil puisse ensuite faire jouerl’article L. 821-2 du Code de justice admi-nistrative. En l’absence d’une juridictionde « niveau » équivalent, enfermée dansle linceul de l’incompétence structurellequ’avait tissé l’arrêt Labor Métal, la Coursemblait, irrémédiablement, condamnéeà la sanction de la « cassation d’office ».En l’absence de tout texte, la solution nepouvait être que purement prétorienne :« que dans le cas où elle estime ne paspouvoir se prononcer régulièrement surun appel (...), il appartient (à la Cour) detransmettre l’affaire au Conseil d’Etat afinque celui-ci, dans le cadre de ses pouvoirsgénéraux de régulation de l’ordre juridic-tionnel administratif, donne à cette trans-mission les suites qui conviennent et, lecas échéant, se prononce lui-même surles conclusions d’appel qui avaient étéprésentées à la Cour ». En ce sens l’arrêtmarque donc un progrès. Mais un progrèslimité car il ne s’applique qu’à la Cour descomptes dans ses fonctions de juged’appel. Le Conseil d’Etat s’est bien gardéd’envisager le cas de toutes les juridic-tions spécialisées [en particulier le cas dela CDBF (22)], qu’elles statuent en appelou en première instance. Ainsi, l’arrêt nerègle-t-il pas la situation connue dansl’affaire Labor Métal. Lorsque la Cour eststructurellement incompétente pour sta-tuer en première instance dans uneaffaire de gestion de fait évoquée au rap-port public, elle ne peut pas renvoyer. Lesgestionnaires de fait potentiels restentimpunis.

Par ailleurs, en acceptant d’évoquer, leConseil permet de trancher le nœud gor-dien qu’il avait laissé soigneusement lacédans l’arrêt Labor Métal et confirmé dansl’arrêt Abran. Il accepte donc de jouer lerôle de juge d’appel et de connaître del’affaire au fond. Là encore, le progrès estsensible dès lors que les comptables defait n’ont plus droit à une impunité auto-matique.

• Las, en l’espèce, cela était encore insuf-fisant puisque, malgré tout, le fond n’estpas jugé laissant croire, sous une formeplus subtile, au maintien de Labor Métal.Pour les appelants et pour reprendre une

formule utilisée par le premier person-nage de l’Etat : l’affaire aurait-elle fait« pschitt » ? La presse, les humoristes etMme Hugot l’ont compris comme cela :le Conseil d’Etat assure l’impunité descomptables de fait. Mieux, il leur permetde demander que leur soient rendues lessommes perçues par eux au titre d’unemploi, qualifié de fictif dans le jugementannulé, et qu’ils avaient un temps resti-tuées (23). Dès lors n’imagine-t-on pasdes liens entre justice et politique ? Etc’est en cela que le résultat de la décisionest désastreux. Or, il faudra bien que leConseil juge les faits, c’est-à-dire qu’ilfasse demain ce qu’il n’a pas voulu faireaujourd’hui.

En effet, les faits ne sont pas prescrits ; ilsremontent aux exercices 1994 et 1995 etl’article L. 231-3 prévoit une prescriptiondécennale. Depuis la cassation de l’arrêtde la Cour et l’annulation des jugementsde première instance par le Conseil d’Etat,la CRC d’Ile-de-France a été saisie par sonParquet (24) pour « ouvrir de nouvellesprocédures de gestion de fait ». Unechaîne complète s’est donc de nouveauouverte : jugements provisoire puis défi-nitif de déclaration de gestion de fait et ...appel !

Or la Cour des comptes est (et restera)structurellement partiale. Elle appliquerala solution que le Conseil d’Etat vient delui indiquer et lui transmettra l’affaire afinqu’il y donne « les suites qui convien-nent ». Or, à moins qu’un nouvel incidentde procédure ne vicie de nouveau lesjugements, on ne voit pas sur quelle basele Conseil d’Etat pourrait ne pas juger dèslors qu’il ne peut renvoyer à aucune juri-diction (25). Certes, l’avantage est que,dans ce cas, le Conseil d’Etat restant juged’appel et n’ayant pas à devenir juge depremière instance, point n’est besoind’imaginer des moyens ad hoc garantis-sant les droits des appelants comme ilaurait été nécessaire de le faire cette fois,suivant les conclusions de M. Guyomar. Lasituation peut donc sembler meilleure.Non, car le danger vient d’ailleurs !

Repartant devant la chambre régionaledes comptes, il faudra encore plusieursannées avant que le dossier puisse êtredéfinitivement clos (26) par le Conseild’Etat. Dans ces conditions le risque d’unecondamnation par la CEDH pour lenteurexcessive de la procédure paraît presqueinévitable dès lors que l’on sait qu’ellevient de juger que l’article 6, paragraphe 1était applicable à la procédure de gestionde fait dans une affaire où un comptablede fait se plaint ... de la lenteur de la pro-cédure commencée en 1995 (27). C’est encela que la proposition du commissaire duGouvernement, non suivie par la Hauteassemblée pouvait, même si elle étaitaudacieuse, présenter un intérêt évident.L’affaire pouvait être jugée en quelquesmois, là où il faudra vraisemblablementplusieurs années pour que le Conseild’Etat juge enfin le fond ; sera-t-il encoretemps ? En effet, même si au regard dudroit interne les délais n’ont pas étéjusqu’alors excessifs (28), qu’en sera-t-il,dans quelques années, devant la Cour deStrasbourg, au regard de la notion qu’elledonne du « délai raisonnable » ? On ima-gine alors les réactions si la France estin fine condamnée à verser aux prota-gonistes de cette affaire, une

« satisfaction équitable ». Ne regrettera-t-on pas alors d’avoir trop attendu pourjuger enfin les faits eux-mêmes ?N’aurait-il pas fallu que le Conseil fit sienl’adage célèbre : « ne remets au lendemaince que tu peux faire le jour même ? »

Conseil d’Etat, 4 juillet 2003,Dubreuil,

req. nº 234353 (29)

Cassation (oui). CDBF ; partialité de la for-mation de jugement (non) ; participation dejuges de la CDBF à la chambre du Conseilde la CDBF ; partialité objective des mem-bres (oui) ; préjugement ; rapport public.

Vu la requête présentée pour M. A. Dubreuildemandant que le Conseil d’Etat annulel’arrêt, en date du 4 avril 2001, par lequel laCour de discipline budgétaire et finan-cière l’a condamné à une amende de10 000 F ; (...)

Considérant que la Cour de discipline bud-gétaire et financière a condamné, par unarrêt du 4 avril 2001, M. Dubreuil, anciendirecteur des services de l’office intercom-munal d’HLM de la région de Creil, à uneamende de 1 524,49 c (10 000 F) pour avoirengagé et mandaté des dépenses au-delàdes crédits ouverts au budget et pour avoiraccordé irrégulièrement des complémentsde rémunération au personnel de l’office ;

Considérant, d’une part, que selon l’arti-cle L. 311-2 du Code des juridictions finan-cières, la Cour de discipline budgétaire etfinancière « (...) est composée comme suit :– le premier président de la Cour descomptes, président ; – le président de lasection des finances du Conseil d’Etat, vice-président ; – deux conseillers d’Etat ; – deuxconseillers maîtres à la Cour des comptes.

(22) Voir ci-dessous notre note dans l’affaire Dubreuil.(23) Mme Hugot a déjà présenté une demande en ce sens.La réaction du nouveau président du conseil général del’Essonne ne s’est pas faite attendre : « C’est ubuesque,jamais je ne rembourserai ... » (Le Monde, préc.).(24) Une nouvelle autosaisine risquait de prendre dutemps et de laisser se prescrire les plus anciennes desinfractions présumées ; le Parquet de la Cour a donc pré-féré réagir tout de suite en demandant au commissairedu Gouvernement près la chambre régionale de la saisir.(25) On notera que ne trouve pas à s’appliquer ici l’arti-cle L. 821-2 du Code de justice administrative. En effet, ilne s’agira pas d’une hypothèse de second pourvoi en cas-sation et le Conseil d’Etat n’est dès lors pas obligé de juger« définitivement cette affaire ». On peut quand mêmeraisonnablement penser qu’il n’annulera pas à nouveaules jugements de première instance en laissant à laChambre, « le cas échéant », le soin de « déterminer s’il ya lieu d’ouvrir de nouvelles procédures de gestion de fait ».La saisine émanant cette fois du Parquet, comme nousl’avons dit, il subsistera un élément permettant au Conseilde trancher le fond sans devoir s’autosaisir. Il est doncpermis de croire que, même sans y être obligé, le Conseilstatuera définitivement sur cette affaire.(26) Et ce quelle que soit la solution retenue. On se douteque les présumés comptables de fait le redevenant, ilsferont appel. Mais si la CRC concluait maintenant àl’absence de gestion de fait, le département de l’Essonnene manquerait certainement pas de faire appel du juge-ment comme il en a la possibilité.(27) CEDH, 7 octobre 2003, Richard-Dubarry,req. 53929/00.(28) Encore qu’il ait fallu deux années et demie au Conseild’Etat pour casser les arrêts de la Cour. Pourtant on savaitla cassation inévitable et les jugements de première ins-tance partiaux structurellement (peut-être), conjoncturel-lement (sûrement). Du temps aurait sans doute étaitgagné si la Cour n’avait pas rendu une décision d’incom-pétence ! Mais pouvait-elle faire autrement ? Pouvait-oninterroger le Conseil d’Etat de la situation inextricable dela Haute Juridiction financière et lui demander un« conseil » ? Pouvait-on imaginer que la Cour renvoied’elle-même au Conseil d’Etat en invoquant l’arti-cle L. 821-2 du Code de justice administrative et que leConseil juge plus vite ? Pouvait-on même imaginer que leGouvernement sollicite un avis des sections administra-tives du Conseil d’Etat afin d’éclairer la Cour sur laconduite à tenir ? On ne refait pas l’histoire mais on peuttoujours espérer que notre justice trouve des moyenspour gagner en rapidité.(29) Les conclusions de M. Guyomar ont été publiées à laRFD adm. 2003.713.

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La présidence de la Cour est assurée par sonvice-président en cas d’absence oud’empêchement de son président. Ellesiège à la Cour des comptes » ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termesde l’article L. 136-1 du Code des juridictionsfinancières : « la Cour des comptes adresseau président de la République et présenteau Parlement un rapport annuel, danslequel elle expose ses observations etdégage les enseignements qui peuvent enêtre tirés » ; qu’aux termes de l’arti-cle L. 136-5 du même code : « le rapport dela Cour des comptes (...) est publié auJournal officiel de la République française(...) » ; que selon l’article R. 112-17 du Codedes juridictions financières, la chambre duConseil, qui est « composée du premierprésident, des présidents de chambre etdes conseillers maîtres », « est saisie desprojets de rapports publics » ;

Considérant qu’aucune règle ni aucun prin-cipe ne s’opposent à ce que, pour sanc-tionner les manquements des ordonna-teurs aux règles de la comptabilitépublique, soit institué un organe à compé-tence juridictionnelle qui comprenne desmembres de la Cour des comptes, alorsmême que celle-ci est chargée de juger lescomptes des comptables publics, et peut,en cas de gestion de fait, connaître de man-quements commis par les ordonnateurs ;

Mais considérant qu’une telle compositionne doit pas conduire à ce qu’un membrede la Cour de discipline budgétaire et finan-cière ait à juger d’accusations relatives à desfaits qu’il a déjà eu à apprécier dans le cadred’autres fonctions ; qu’il en va en particulierainsi lorsqu’un membre de la Cour de dis-cipline budgétaire et financière a antérieu-rement siégé lors d’une procédure de ges-tion de fait mettant en cause la mêmepersonne ou a pris part à l’adoption du rap-port public de la Cour des comptes, dontun des objets est de mettre en évidence lescomportements répréhensibles dans ledomaine des finances publiques, si les faitssoumis à l’appréciation de la Cour de disci-pline budgétaire et financière ont été pré-sentés dans ce rapport comme établis etirréguliers ;

Considérant que la Cour des comptes a faitétat, aux pages 445 à 455 de son rapportpublic pour 1995 publié au Journal officiel,de la gestion de l’office public intercom-munal d’HLM de la région de Creil ; qu’ellea indiqué que la gestion de cet officeencourait « de graves critiques » notam-ment s’agissant « des paiements en dépas-sement de crédits massifs et répétés »,« des avantages injustifiés octroyés au per-sonnel notamment de direction » et « desirrégularités nombreuses dans la passationet l’exécution des marchés publics » ;qu’elle a mis explicitement en cause ledirecteur de l’office alors en fonctions àraison de certaines de ces irrégularités, endes termes qui donnaient à penser que lesfaits décrits étaient d’ores et déjà établis etque leur caractère répréhensible au regarddes règles ou principes à appliquer étaitreconnu ; que, dans ces conditions, ce rap-port doit être regardé comme ayant prisparti sur la responsabilité de M. Dubreuil àraison des irrégularités reprochées ;

Considérant que le rapport public pour1995 de la Cour des comptes a été adopté,conformément aux dispositions de l’arti-cle R. 112-17 du Code des juridictions

financières, par la chambre du Conseil danslaquelle siégeaient deux conseillers maîtresà la Cour des comptes qui ont ultérieure-ment participé à la formation de jugementde la Cour de discipline budgétaire etfinancière qui a rendu l’arrêt condamnantM. Dubreuil à une amende ;

Considérant que M. Dubreuil est, dès lors,fondé à soutenir que l’arrêt de la Cour dediscipline budgétaire et financière a étérendu dans des conditions irrégulières et àen demander, pour ce motif, l’annulation ;qu’il y a lieu, dans les circonstances del’espèce, de renvoyer l’affaire devant laCour de discipline budgétaire et financière ;

Décide :

Article premier. – L’arrêt, en date du 4 avril2001, de la Cour de discipline budgétaire etfinancière est annulé, en tant qu’ilconcerne M. Dubreuil.

Art. 2. – L’affaire est renvoyée devant laCour de discipline budgétaire et financière.

Note

Les questions de partialité des juridictionsque nous venons d’évoquer largement nedevaient pas épargner la CDBF. C’est iciencore la possibilité de préjugement dufait d’une insertion au rapport public quiest présentée comme moyen de cassa-tion. Deux questions se posaient donc aujuge de cassation : le rapport publiccontenait-il une insertion qui puisse êtreconsidérée comme un « préjugement » etsi oui, en quoi cette insertion dans un rap-port de la Cour des comptes peut-elleavoir une influence sur la partialité de laCDBF ou de certains de ses membres.

De la partialité des membres de laCDBF

S’agissant des termes employés par lerapport public, le juge de cassation estimeque les termes utilisés donnaient à penserque les faits décrits étaient d’ores et déjàétablis et que leur caractère répréhensibleau regard des règles ou principes à appli-quer était reconnu. Dans ces conditions,ce rapport est regardé comme ayant prisparti sur la responsabilité de M. Dubreuilà raison des irrégularités reprochées.

Cependant, contrairement à ce qui a puêtre jugé pour la Cour des comptes elle-même, dès lors que la CDBF est une juri-diction distincte de la Cour, il n’était paspossible de considérer que cette insertionau rapport public disqualifie « structurel-lement » la juridiction tout entière. LaCDBF, rappelons-le, est composée, outrepar le Premier président de la Cour descomptes qui la préside et le président dela section des finances du Conseil d’Etatqui en est le vice-président, de deuxconseillers d’Etat et de deux conseillersmaîtres à la Cour des comptes. Ce qui estreproché ici c’est que les deux conseillersmaîtres membres de la CDBF aient parti-cipé à la chambre du Conseil lorsqu’elle aadopté le rapport public contenantl’insertion contestée. Le requérant esti-mait que la CDBF avait alors une compo-sition irrégulière du fait de la partialitéindividuelle des deux conseillers maî-tres (30), du fait des fonctions successivesqu’ils avaient occupées non au cours dela même procédure (nous sommes biendevant des juridictions et donc des pro-cédures différentes) comme dans le cas

des affaires Didier et Leriche (CE,3 décembre 1999, Rec. CE 402), mais aucours de deux procédures distinctes : enl’espèce, une procédure administrative etune procédure juridictionnelle, concer-nant une même affaire. Encore faut-il queles magistrats suspectés de partialitéaient, dans la première fonction, prisparti sur l’issue de l’affaire et que leur partprise à la seconde fonction laisse à penserqu’ils ont également pris personnelle-ment position.

S’agissant de la première condition, parapplication de la décision Labor Métal, lasimple participation d’un magistrat à ladécision collégiale que constitue l’adop-tion du rapport public a été jugée commeprouvant, compte tenu de la compositionde cette Chambre exprimant en fait l’opi-nion de la Cour, que la juridiction toutentière était suspecte d’avoir pris parti, lafrappant « structurellement » de partialité.Qu’en est-il du cas des magistrats pris indi-viduellement dès lors que la Chambre astatué collégialement ? Si chaque jugereste libre de son vote et que le sens duvote n’est pas connu, il est permis des’interroger (voir les concl. Rougevin-Baville sur CE, sect., 25 janvier 1980,Gadiaga, Rec. CE 44, cité par M. Guyomar).Mais en fait la « théorie des apparences »que défend la CEDH (31) invite à ne pasretenir cette voie que le Conseil d’Etat lui-même semble condamner dans la décisionSyndicat des avocats de France (CE, sect.,5 avril 1996, Rec. CE 119). Qui plus est, lesdeux magistrats en cause dans la présenteaffaire ne se sont pas déportés aumoment du vote de la chambre du Conseilsur l’insertion litigieuse comme il en ont lapossibilité : le Journal officiel auquel estpublié le rapport public l’indique claire-ment rendant ainsi publique cette prise deposition et l’on ne peut donc que consi-dérer comme remplie la première condi-tion. Les mêmes causes produisant lesmêmes effets, ils est également certainque les deux conseillers maîtres en pre-nant part à la décision collective de laCDBF, ont également personnellementpris position. Dès lors la cassation était iné-vitable.

De la cassation avec renvoi

Restait, pour le Conseil d’Etat, l’éternellequestion casser sans renvoi et laisserimpuni le requérant, casser et renvoyer sicela est possible ou juger au fond soit parimpossibilité de renvoyer, soit, nel’oublions pas « dans l’intérêt d’une bonneadministration de la justice » (art. L. 821-2,al. 1, du Code de justice administrative).En l’espèce le renvoi n’était possible quesi la CDBF, dans sa composition aumoment où elle statue sur le renvoi,n’aura pas, parmi les membres présents,des magistrats ayant participé à la séancelitigieuse de la chambre du Conseil. Pourcela, il faut, compte tenu du quorum(4 membres) imposé par l’article L. 314-13

(30) Selon les dispositions de l’article R. 112-17, c’est lachambre du Conseil qui est saisie des projet de rapportspublics ; elle est composée du Premier président, des pré-sidents de chambre et des conseillers maîtres. Dansl’espèce qui nous occupe, le Premier président n’avait passiégé lors de la séance litigieuse.(31) On rappellera que l’article 6, paragraphe 1 est appli-cable à la CDBF depuis la décision Lorenzi (CE, sect.,30 octobre 1998, Rec. CE 374). On notera pourtant queles visas de l’arrêt Dubreuil ne font pas référence à la CEDHmais seulement aux codes de justice administrative et desjuridictions financières. On voit bien par là que le Conseiln’envisage pas de traiter la question de la partialité dansle cadre de la Convention mais dans le cadre des « prin-cipes » de droit interne.

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du Code des juridictions financières, quetous les membres du Conseil d’Etat soientprésents et qu’un membre issu de la Courdes comptes n’ait pas siégé ou se soitdéporté lors de l’adoption de l’insertionlitigieuse. C’est heureusement le cas et leConseil procédera donc au renvoi.

De l’impartialité de la juridiction derenvoi

La CDBF statuera donc, dans l’affaire« Dubreuil 2 » juste au quorum puisque lePremier président actuel et l’un desconseillers maîtres ont siégé lors de laséance qui nous occupe. Cependant, onnotera que les trois conseillers d’Etatn’ayant pas changé, ils connaîtrontl’affaire pour la seconde fois, ce qui n’estpas, comme l’indique M. Guyomar, sansconstituer un certain paradoxe. Commenten effet peut-on estimer que la participa-tion de deux magistrats à la fonctionadministrative exercée par une juridictionpuisse les frapper de partialité pourexercer des fonctions juridictionnellesdans une autre juridiction et admettreque les magistrats qui se sont prononcésune première fois puissent sans partialitése prononcer dans la même affaire uneseconde fois après cassation. Certes, dèslors que la juridiction est unique, le Conseild’Etat n’a pas vraiment d’autre choix (saufcelui d’évoquer, ce qui, on l’a bien com-pris, ne constitue pas dans notre matière,son penchant naturel). On peut pourtantse poser la question de la conformité decette situation avec l’article 6, para-graphe 1 de la CEDH. La question est évi-demment évoquée par le commissaire duGouvernement qui rappelle que ce renvoidevant la même juridiction a été validé parla Cour EDH s’agissant d’une juridictionordinale (26 septembre 1995, Diennet c/France, Série A, nº 325, § 38 ;AJDA 1996.384, chron. Flauss). Il l’a étéaussi, mais le commissaire du Gouverne-ment ne le mentionne pas, par la Com-mission (9 mars 1998, Guisset c/ France,AJDA 1998.992, chron. Flauss) et qui plusest, s’agissant de la CDBF.

Nous sommes néanmoins moins certainsque le commissaire du Gouvernementque l’on puisse considérer la questioncomme définitivement tranchée dans lecadre de la CEDH. En effet, dans les deuxcas précédemment évoqués la juridictionappelée à statuer était composée desmêmes membres à raison de 3/7 s’agis-sant de la juridiction ordinale et de 2/6s’agissant de la CDBF, c’est-à-dire, danschaque hypothèse, moins de la moitié desmembres composant la juridiction derenvoi. Jamais encore, la question de laprésence de trois quarts de membresayant siégé lors du premier examen del’affaire n’a été tranchée. Or, la formuleutilisée par la Commission concernant laCDBF n’incite pas à l’optimisme : « la Com-mission relève que, lors de la premièredécision de la CDBF en 1989, la Cour étaitcomposée de cinq membres... En 1995,après cassation et renvoi par le Conseild’Etat, la Cour se composait de six mem-bres, dont seulement (32) deux avaientdéjà siégé dans l’affaire en 1989 ». L’usagepar la Commission de l’adverbe « seule-ment » ne va donc guère dans le sensd’une admission de l’impartialité lorsquetrois quarts de la juridiction a déjà siégé.Il serait à tout le moins fâcheux queM. Dubreuil puisse trouver là un argument

pour obtenir une décision de violation dela Cour EDH et de surcroît, une satisfac-tion équitable.

De l’avenir de la CDBF

Même si tout se passe bien dans l’affaireDubreuil à l’avenir, la disqualification desmembres de la Cour ayant participé à lachambre du Conseil statuant sur le rap-port public risque de poser des pro-blèmes dans d’autres cas. Certes, il appar-tient depuis l’affaire Labor Métal etmaintenant avec l’affaire Dubreuil, à laCour d’édulcorer le rapport public pourqu’il ne contienne rien qui puisse ressem-bler à un préjugement d’une gestion defait ou d’une infraction passible de laCDBF. Mais en attendant des affaires sontpendantes ! Rien ne serait étonnant à ceque, pour certaines d’entre elles, le pré-sident de la CDBF et les deux conseillersmaîtres soient frappés de partialité objec-tive et ne puissent siéger. Dans ce cas quefaire ?

La CDBF nous semble n’avoir que troissolutions (33) :

– statuer, nonobstant la présence desmembres partiaux et attendre que leConseil d’Etat casse et trouve une solu-tion ;

– statuer en présence des seuls conseil-lers d’Etat et violer la règle du quorum etde la parité Cour/Conseil ;

– renvoyer au Conseil d’Etat par applica-tion de la jurisprudence Dugoin.

Cette dernière hypothèse est, on doit ledire, assez séduisante. Elle mettrait leConseil d’Etat dans une situation inat-tendue. Mais peut-on être sûr que leConseil tranche alors l’affaire. En effet, laformulation même du considérant deprincipe de l’arrêt Dugoin est restrictive :« dans le cas où elle (la Cour des comptes)estime ne pas pouvoir se prononcer régu-lièrement sur un appel... ». L’arrêt Dugoinn’est donc pas un « arrêt de règlement »qui permet le renvoi dès lors qu’une juri-diction spécialisée est dans l’incapacité dejuger : il ne dispose que pour la Cour descomptes, juge d’appel et pour aucuneautre situation. Il est d’ailleurs symptoma-tique que l’arrêt Dugoin soit ainsi rédigéalors que l’arrêt Dubreuil lui est antérieur.Le Conseil d’Etat n’a pas voulu devenirjuge de première instance ni en matièrede gestion de fait (voir notre note sousDugoin) ni en matière d’infractions passi-bles de la CDBF.

Le Conseil a partiellement sorti la Cour descomptes de l’indéchirable tunique deNessus pour mieux y enfermer la CDBF.

On pourrait donc songer à revoir la com-position de la CDBF. M. Guyomar, dans sesconclusions, propose d’adjoindre dessuppléants pour les deux conseillersd’Etat et les deux conseillers maîtres de laCour des comptes en choisissant dans cedernier cas des conseillers référendairesqui ne participent pas à la chambre duConseil et donc à l’adoption du rapportpublic. Cela ne règle pas la situation pourtoutes les hypothèses. En effet, l’arrêtDubreuil indique aussi que sont frappésde partialité objective les membres de laCDBF qui auraient eu à connaître del’affaire devant la Cour dans le cadre d’uneprocédure de gestion de fait. Rien negarantit que les référendaires puissentdès lors siéger.

De quelques considérations termi-nales

On terminera en disant que l’arrêt LaborMétal fut une erreur. Chacun en estconvaincu mais il est peu probable, sinonpar de petits changements progressifs etau cas par cas, que le Conseil d’Etat fasseun revirement de jurisprudence. Dès lors,on le voit à la lecture combinée des deuxdécisions que nous rapportons ici(Dugoin - Dubreuil), il est plus que néces-saire que le législateur intervienne et, parune loi de procédure envisageant touteces hypothèses, règle une fois pourtoutes ces questions, dans le respect del’article 6, paragraphe 1 de la CEDH (34),dès lors que le juge régulateur ne peut yparvenir. C’est urgent si l’on veut que lejuge financier puisse continuer de jugerles administrateurs indélicats soit par laprocédure de gestion de fait soit par lerenvoi devant la CDBF. C’est urgent car lamise en œuvre de la LOLF (35), du nouveau« nouveau Code » des marchés publics, duprogiciel ACCORD ainsi que l’évolution dela jurisprudence du Conseil d’Etat (voir ladécision Marty rapportée ci-dessus)conduisent nécessairement à une diminu-tion des hypothèses de mise en œuvre dela responsabilité du comptable. S’il perdprogressivement son rôle de payeur pourn’être plus qu’un caissier, il faudra bienrechercher ailleurs les responsabilités et« ailleurs » c’est nécessairement versl’administrateur (36) (l’ordonnateur) quel’on se tournera. Le contrôle de l’efficacitéet de l’efficience de sa gestion vont êtreau cœur de la réussite des changementsinduits par la LOLF. Or il semble que lesprocédures efficaces à son endroitdeviennent impossibles à mettre enœuvre (37). Il faut donc d’ores et déjà sepencher sur l’évolution de la responsabi-lité financière et partant sur les procé-dures que l’on souhaite appliquer.

(32) C’est nous qui soulignons.(33) On n’ose pas imaginer que le Parquet de la CDBFattende pour la saisir qu’une heureuse conjonction per-mette au moins à l’un des membres de la Cour descomptes de participer au jugement de l’affaire ! Retarderainsi sa mise en œuvre conduirait sans aucun doute àvioler l’article 6, paragraphe 1 s’agissant du « délai raison-nable » comme l’a jugé la Cour EDH dans l’affaire Guisset(26 septembre 2000, RD publ. 2001.668).(34) Ce qui permettrait de supprimer l’article L. 314-15prévoyant que les audiences ne sont pas publiques, met-tant ainsi la loi en accord avec les faits...(35) La fongibilité des crédits qui est prévue dans ce cadreet la mise en place du progiciel « ACCORD » vont néces-sairement diminuer les contrôles que le comptable doitopérer sur les opérations réalisées par l’ordonnateur. Enfait, le principe même de la séparation entre l’ordonna-teur et le comptable payeur peut être remis en question.L’avenir du rôle du comptable au regard des évolutionslégislatives et jurisprudentielles récentes mérite doncl’attention. Il semble hélas qu’on ne se pose pas vraimentla question des conséquences de ces évolutions sur lesmécanismes actuels de responsabilité des comptablespatents. Il faut en fait repenser l’ensemble du mécanismedu débet. Mais on comprend bien que l’intérêt qu’il pré-sente actuellement en laissant en fait le dernier mot auministre après l’intervention du juge, donne à celui-ci unemaîtrise du « réseau » qu’il ne veut pas abandonner. Pour-tant à trop retarder une réflexion sur ces questions, c’esttout le système qui risque d’être emporté.(36) Nous utilisons ce terme car les justiciables de la CDBFne sont pas uniquement des ordonnateurs.(37) Du reste, les juridictions financières étant de plus enplus sollicitées par le contrôle de gestion et par la certifi-cation (du moins la Cour des comptes pour ce dernierpoint, mais l’idée fait son chemin pour étendre cela auxcomptes locaux), pourquoi continueraient-elles à mettreen œuvre des procédures qui sont sans espoir (que ce soitvis-à-vis des comptables patents ou des administrateurs) ?Il serait intéressant de recenser le nombre des débets etsurtout des injonctions et des déclarations de gestion defait prononcés par les CRC sur les dix dernières années.On pourrait alors se rendre compte si le contrôle juridic-tionnel des comptes et la gestion de fait ont un avenir àmoyen terme.

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