Pierre Buraglio

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Pierre Buraglio d’après… Delacroix et autres maîtres La Cohue - Musée des Beaux-Arts de Vannes éditions Apogée

description

« Ma pratique des Dessin d’après..., et plus précisément d’après des sujets qui appartiennent à l’iconographie chrétienne, s’inscrit dans une tradition revendiquée. Ils passent le témoin. Par leur truchement, je peux dessiner un crucifié en me confortant sur Philippe de Champaigne, le Greco ou Matthias Grünewald. La citation, la référence ne sont pas restrictives, mais permettent au contraire une ouverture. » Pierre Buraglio

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« Ma pratique des Dessin d’après..., et plus précisément d’après des sujets qui appartiennent à l’iconographie chrétienne, s’inscrit dans une tradition revendiquée. Ils passent le témoin. Par leur truchement, je peux dessiner un crucifié en me confortant sur Philippe de Champaigne, le Greco ou Matthias Grünewald. La citation, la référence ne sont pas restrictives, mais permettent au contraire une ouverture. »

Pierre Buraglio

Pierre Buraglio d’après…

Delacroix et

autres maîtres

La Cohue - Musée des Beaux-Arts de Vannes

éditions Apogée25€

ISBN 978-2-84398-412-9

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De longue date, au musée de Vannes, l’art ancien dialogue avec l’art contemporain. La rencontre des genres et des époques, est au cœur du projet porté par le musée ; elle constitue son identité.

Aujourd’hui, Pierre Buraglio, par le dessin, nous conduit à une lecture originale et contemporaine du tableau de Eugène Delacroix. Rappelons qu’en son temps, cette œuvre avait fait scandale à Vannes, et aussi à Paris, avant de devenir une des références de l’Histoire de l’art. À ce titre Le Christ sur la croix, joyau de notre collection, est l’ambassadeur du musée, et de notre ville dans des expositions internationales.

Eveiller la curiosité des publics à la création vivante constitue à chaque nouvelle exposition un défi lancé à l’imagination ; il faut inventer de nouvelles formes de médiation, toucher au registre de l’émotion, avant même celui de la connaissance, donner le goût du musée, le plaisir, et l’habitude naturelle de le fréquenter.

Notre souhait est d’accompagner le développement de nos musées, dans toutes leurs composantes : beaux-arts, art moderne et contemporain, histoire et archéologie, où les lectures croisées sont diverses. Notre ambition est de permettre une valorisation des collections et une visibilité optimum. Les missions sont multiples, la conservation et l’étude des œuvres, mais aussi l’accessibilité de ce patrimoine au plus grand nombre.

La culture, plus largement, s’inscrit un peu plus chaque jour dans la cité, elle est le chemin qui permet à chacun un éveil au monde.

David RoboMaire de Vannes

Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition

Pierre Buraglio d’après…

Delacroix et

autres maîtres

présentée à La Cohue-Musée des Beaux-Arts de Vannes, du 16 juin au 30 septembre 2012

En couvertureNom de peintre : le nom, d’après… Delacroix, Épreuve d’artiste I/I, 2012, tirage numérique sur papier kraft avec intervention manuelle, agrafé sur papier kraft. Studio Franck Bordas, détail

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De longue date, au musée de Vannes, l’art ancien dialogue avec l’art contemporain. La rencontre des genres et des époques, est au cœur du projet porté par le musée ; elle constitue son identité.

Aujourd’hui, Pierre Buraglio, par le dessin, nous conduit à une lecture originale et contemporaine du tableau de Eugène Delacroix. Rappelons qu’en son temps, cette œuvre avait fait scandale à Vannes, et aussi à Paris, avant de devenir une des références de l’Histoire de l’art. À ce titre Le Christ sur la croix, joyau de notre collection, est l’ambassadeur du musée, et de notre ville dans des expositions internationales.

Eveiller la curiosité des publics à la création vivante constitue à chaque nouvelle exposition un défi lancé à l’imagination ; il faut inventer de nouvelles formes de médiation, toucher au registre de l’émotion, avant même celui de la connaissance, donner le goût du musée, le plaisir, et l’habitude naturelle de le fréquenter.

Notre souhait est d’accompagner le développement de nos musées, dans toutes leurs composantes : beaux-arts, art moderne et contemporain, histoire et archéologie, où les lectures croisées sont diverses. Notre ambition est de permettre une valorisation des collections et une visibilité optimum. Les missions sont multiples, la conservation et l’étude des œuvres, mais aussi l’accessibilité de ce patrimoine au plus grand nombre.

La culture, plus largement, s’inscrit un peu plus chaque jour dans la cité, elle est le chemin qui permet à chacun un éveil au monde.

David RoboMaire de Vannes

Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition

Pierre Buraglio d’après…

Delacroix et

autres maîtres

présentée à La Cohue-Musée des Beaux-Arts de Vannes, du 16 juin au 30 septembre 2012

En couvertureNom de peintre : le nom, d’après… Delacroix, Épreuve d’artiste I/I, 2012, tirage numérique sur papier kraft avec intervention manuelle, agrafé sur papier kraft. Studio Franck Bordas, détail

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Nom de peintre : le nom, d’après… Delacroix Variation I/IV, 2012, tirage numérique sur papier quadrillé agrafé sur papier quadrillé. Studio Franck Bordas, 80 X 55 cm. 5

Cher Pierre Buraglio,

Vous êtes passé à La Cohue au cours de l’été 2003, vous en souvenez-vous ? Catherine Putman vous accompagnait ainsi qu’un jeune stagiaire de chez Gallimard. Vous avez traversé les salles du musée, mais le temps manquait vous étiez attendu à l’artothèque de Hennebont. La rencontre ce jour-là ne s’est pas faite entre vous et Eugène Delacroix.

Dès cette époque pourtant, mon projet était de vous proposer un travail d’après…Ce jour est venu. Le tableau fondateur de la collection du musée, présenté à la

rétrospective Eugène Delacroix à la Caixa de Madrid et de Barcelone, fait l’objet à cette occasion d’une nouvelle et nécessaire restauration. Son retour au musée après presque deux années d’absence nous permet de vous inviter enfi n.

Vous avez à plusieurs reprises traité du thème de la crucifi xion, d’après Philippe de Champaigne ou du Greco. Il ne s’agit pas ici de vous enfermer dans un genre ; qui le pourrait ? Ou dans une quelconque idée de l’art sacré, vous vous êtes souvent exprimé à ce sujet. Rappelons juste que votre retour aux musées vers 1976, vous a conduit à interroger l’iconographie chrétienne très présente dans les collections. Ce choix cor-respondait à l’époque à des questionnements personnels, philosophiques et formels.

Pour Eugène Delacroix, issu d’un milieu républicain et laïc, héritier de la pensée de Voltaire, les écritures saintes sont une source inépuisable de sujets qui, dit-il « s’adressent au sens intime de l’homme ». L’époque romantique qu’il incarne a exalté l’expression du tragique, de l’angoisse et de la solitude face à la mort.

Si la crucifi xion du musée de Vannes a tant choqué en son temps, c’est que le peintre rend lisible cette part d’humanité, au moyen d’une expression picturale nouvelle.

Ainsi vous deviez un jour rencontrer Eugène Delacroix et nous conduire dans une lecture de son tableau, par votre dessin.

Le musée de Vannes fait une place particulière au travail sur papier, au dessin, à l’estampe, dans leurs déclinaisons les plus inventives. Nous partageons avec un large public le goût des rencontres avec des artistes aux parcours singuliers, les œuvres aux frontières de la peinture et du dessin. Vous êtes de ceux-là, conjuguant les expressions abstraites et fi guratives, dont on sait qu’elles ne sont pas la négation l’une de l’autre, tout juste un masque, un détour.

Les variations créées pour notre exposition s’inscrivent dans une tradition renou-velée de l’interprétation, très pratiquée au siècle dernier, notamment en gravure. Il ne s’agit pas ici d’une restitution documentaire ou d’un support de diffusion d’une image, mais de la mise en lumière d’une composition par le détail.

Votre travail tout en tension conduit au dépouillement qui révèle le sujet.

Merci, cher Pierre, d’avoir si généreusement répondu à notre demande.

Bien sincèrement,

Marie-Françoise Le Saux

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Nom de peintre : le nom, d’après… Delacroix Variation I/IV, 2012, tirage numérique sur papier quadrillé agrafé sur papier quadrillé. Studio Franck Bordas, 80 X 55 cm. 5

Cher Pierre Buraglio,

Vous êtes passé à La Cohue au cours de l’été 2003, vous en souvenez-vous ? Catherine Putman vous accompagnait ainsi qu’un jeune stagiaire de chez Gallimard. Vous avez traversé les salles du musée, mais le temps manquait vous étiez attendu à l’artothèque de Hennebont. La rencontre ce jour-là ne s’est pas faite entre vous et Eugène Delacroix.

Dès cette époque pourtant, mon projet était de vous proposer un travail d’après…Ce jour est venu. Le tableau fondateur de la collection du musée, présenté à la

rétrospective Eugène Delacroix à la Caixa de Madrid et de Barcelone, fait l’objet à cette occasion d’une nouvelle et nécessaire restauration. Son retour au musée après presque deux années d’absence nous permet de vous inviter enfi n.

Vous avez à plusieurs reprises traité du thème de la crucifi xion, d’après Philippe de Champaigne ou du Greco. Il ne s’agit pas ici de vous enfermer dans un genre ; qui le pourrait ? Ou dans une quelconque idée de l’art sacré, vous vous êtes souvent exprimé à ce sujet. Rappelons juste que votre retour aux musées vers 1976, vous a conduit à interroger l’iconographie chrétienne très présente dans les collections. Ce choix cor-respondait à l’époque à des questionnements personnels, philosophiques et formels.

Pour Eugène Delacroix, issu d’un milieu républicain et laïc, héritier de la pensée de Voltaire, les écritures saintes sont une source inépuisable de sujets qui, dit-il « s’adressent au sens intime de l’homme ». L’époque romantique qu’il incarne a exalté l’expression du tragique, de l’angoisse et de la solitude face à la mort.

Si la crucifi xion du musée de Vannes a tant choqué en son temps, c’est que le peintre rend lisible cette part d’humanité, au moyen d’une expression picturale nouvelle.

Ainsi vous deviez un jour rencontrer Eugène Delacroix et nous conduire dans une lecture de son tableau, par votre dessin.

Le musée de Vannes fait une place particulière au travail sur papier, au dessin, à l’estampe, dans leurs déclinaisons les plus inventives. Nous partageons avec un large public le goût des rencontres avec des artistes aux parcours singuliers, les œuvres aux frontières de la peinture et du dessin. Vous êtes de ceux-là, conjuguant les expressions abstraites et fi guratives, dont on sait qu’elles ne sont pas la négation l’une de l’autre, tout juste un masque, un détour.

Les variations créées pour notre exposition s’inscrivent dans une tradition renou-velée de l’interprétation, très pratiquée au siècle dernier, notamment en gravure. Il ne s’agit pas ici d’une restitution documentaire ou d’un support de diffusion d’une image, mais de la mise en lumière d’une composition par le détail.

Votre travail tout en tension conduit au dépouillement qui révèle le sujet.

Merci, cher Pierre, d’avoir si généreusement répondu à notre demande.

Bien sincèrement,

Marie-Françoise Le Saux

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Eugène Delacroix, le Christ sur la croix, 1835, huile sur toile, 182 x 135 cm. Collection Musée de Vannes, Inv. D 865.1.1. 7

La fi gure du Christ occupe dans l’œuvre de Delacroix une place particulière, bien que l’artiste ne semble pas avoir manifesté un grand intérêt pour la religion et qu’il lui fut souvent reproché, dans sa peinture sacrée, de manquer de sentiment pieux. C’est que, dans l’image du Christ, Delacroix considérait avant tout l’individu confronté à son des-tin et à la mort. L’exposition conjointe, au Salon de 1827, de La Mort de Sardanapale (Paris, musée du Louvre) et du Christ au jardin des oliviers, peint pour l’église Saint-Paul-Saint-Louis à Paris, souligne le désir du peintre de redonner au fi ls de Dieu sa dimension humaine et met en évidence la communauté d’inspiration qui unit la représentation du héros assyrien à celle du Christ : l’homme méditant sur la dialectique de l’être et du néant. Dans son Journal, Delacroix associe à plusieurs reprises Jésus et Marc-Aurèle, comme les deux vrais « philosophes », qui ont recommandé aux hommes « la résigna-tion à la destinée, non cet obscur fatum des anciens, mais à cette nécessité éternelle de se soumettre (…) aux arrêts de la sévère nature 1. » On notera ici les similitudes entre le destin du Christ et celui de l’artiste romantique. Aussi, dans les représentations qu’il livre de la Passion, Delacroix s’attache-t-il à accuser la solitude du Messie ; il met ainsi au jour l’épreuve que représente cette acceptation de la destinée et la menace latente du découragement, qu’il consigne bien souvent, à tire personnel, dans ses carnets 2.

Le tableau conservé au musée de la Cohue de Vannes occupe, dans ce contexte, une place particulière 3. En effet, exposé au Salon de 1835, il s’agit de la première grande Crucifi xion de l’artiste, lointainement inspirée par Le Coup de lance de Rubens. Si les conditions exactes qui ont présidé à l’exécution du tableau nous échappent, et que Delacroix ne s’exprime qu’à deux reprises sur ce qu’il appelle Le Calvaire, la toile s’inscrit clairement dans la lignée du Christ «  trop humain  » de Saint-Paul-Saint-Louis. Le texte inséré dans le livret du salon, tiré de l’Evangile selon Saint Matthieu, en ren-voyant à la solitude du Crucifi é et au caractère pathétique du découragement, ne laisse aucun doute sur sa perception de la scène : « …Ensuite, il jeta un cri et dit : Mon père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? ». La Crucifi xion est ainsi relue à l’aune du Jardin des Oliviers et Delacroix imprime à son sujet sa vision hautement personnelle et humaniste. Au calme du premier épisode succède l’agitation du second. Le Christ est déjà crucifi é, tandis qu’on amène le second larron, autour duquel la foule se presse. Le premier larron, qui n’a qu’un seul pied cloué, est pris de convulsions. Comme dans La Mort de Sardanapale, pour rendre l’animation désordonnée du drame, Delacroix multiplie les points de vue, déformant les perspectives, osant le choc des couleurs, l’orangé contre le rouge , le mauve contre le vert, le rose contre le bleu. Le seul élément stable est constitué par l’enlacement de saint Jean et de la Vierge, au premier plan. Delacroix prend ainsi soin de fi gurer les différents modes d’expression de la douleur, plus retenue pour la Vierge, «  la douleur évangélique  » pour reprendre l’expression d’Alexandre Decamps et plus expressionniste pour la Madeleine, une douleur plus

Delacroix, la solitude du Christ et la douleur de la Vierge Sébastien Allard

1. 20 février 1847, Journal, tome 1, p. 350.

2. Sur ces questions, voir. Sébastien Allard dir., Delacroix. De l’idée à l’expression, Madrid, El Viso éditeur, 2011.

3. Voir Autour de Delacroix. La Peinture religieuse en Bretagne au XIXe siècle, cat. exp. Vannes, musée de la Cohue, s. d. (notice de Ph. Bonnet), p. 90-93.

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Eugène Delacroix, le Christ sur la croix, 1835, huile sur toile, 182 x 135 cm. Collection Musée de Vannes, Inv. D 865.1.1. 7

La fi gure du Christ occupe dans l’œuvre de Delacroix une place particulière, bien que l’artiste ne semble pas avoir manifesté un grand intérêt pour la religion et qu’il lui fut souvent reproché, dans sa peinture sacrée, de manquer de sentiment pieux. C’est que, dans l’image du Christ, Delacroix considérait avant tout l’individu confronté à son des-tin et à la mort. L’exposition conjointe, au Salon de 1827, de La Mort de Sardanapale (Paris, musée du Louvre) et du Christ au jardin des oliviers, peint pour l’église Saint-Paul-Saint-Louis à Paris, souligne le désir du peintre de redonner au fi ls de Dieu sa dimension humaine et met en évidence la communauté d’inspiration qui unit la représentation du héros assyrien à celle du Christ : l’homme méditant sur la dialectique de l’être et du néant. Dans son Journal, Delacroix associe à plusieurs reprises Jésus et Marc-Aurèle, comme les deux vrais « philosophes », qui ont recommandé aux hommes « la résigna-tion à la destinée, non cet obscur fatum des anciens, mais à cette nécessité éternelle de se soumettre (…) aux arrêts de la sévère nature 1. » On notera ici les similitudes entre le destin du Christ et celui de l’artiste romantique. Aussi, dans les représentations qu’il livre de la Passion, Delacroix s’attache-t-il à accuser la solitude du Messie ; il met ainsi au jour l’épreuve que représente cette acceptation de la destinée et la menace latente du découragement, qu’il consigne bien souvent, à tire personnel, dans ses carnets 2.

Le tableau conservé au musée de la Cohue de Vannes occupe, dans ce contexte, une place particulière 3. En effet, exposé au Salon de 1835, il s’agit de la première grande Crucifi xion de l’artiste, lointainement inspirée par Le Coup de lance de Rubens. Si les conditions exactes qui ont présidé à l’exécution du tableau nous échappent, et que Delacroix ne s’exprime qu’à deux reprises sur ce qu’il appelle Le Calvaire, la toile s’inscrit clairement dans la lignée du Christ «  trop humain  » de Saint-Paul-Saint-Louis. Le texte inséré dans le livret du salon, tiré de l’Evangile selon Saint Matthieu, en ren-voyant à la solitude du Crucifi é et au caractère pathétique du découragement, ne laisse aucun doute sur sa perception de la scène : « …Ensuite, il jeta un cri et dit : Mon père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? ». La Crucifi xion est ainsi relue à l’aune du Jardin des Oliviers et Delacroix imprime à son sujet sa vision hautement personnelle et humaniste. Au calme du premier épisode succède l’agitation du second. Le Christ est déjà crucifi é, tandis qu’on amène le second larron, autour duquel la foule se presse. Le premier larron, qui n’a qu’un seul pied cloué, est pris de convulsions. Comme dans La Mort de Sardanapale, pour rendre l’animation désordonnée du drame, Delacroix multiplie les points de vue, déformant les perspectives, osant le choc des couleurs, l’orangé contre le rouge , le mauve contre le vert, le rose contre le bleu. Le seul élément stable est constitué par l’enlacement de saint Jean et de la Vierge, au premier plan. Delacroix prend ainsi soin de fi gurer les différents modes d’expression de la douleur, plus retenue pour la Vierge, «  la douleur évangélique  » pour reprendre l’expression d’Alexandre Decamps et plus expressionniste pour la Madeleine, une douleur plus

Delacroix, la solitude du Christ et la douleur de la Vierge Sébastien Allard

1. 20 février 1847, Journal, tome 1, p. 350.

2. Sur ces questions, voir. Sébastien Allard dir., Delacroix. De l’idée à l’expression, Madrid, El Viso éditeur, 2011.

3. Voir Autour de Delacroix. La Peinture religieuse en Bretagne au XIXe siècle, cat. exp. Vannes, musée de la Cohue, s. d. (notice de Ph. Bonnet), p. 90-93.

12

Nom de peintre : le nom, d’après… Delacroix Variation II/IV, 2012, tirage numérique sur papier kraft, papier vert agrafé, Studio Franck Bordas, 80,3 X 51 cm. 13

Du catalogue : Autour de Delacroix…, relevés et commentaires à la lecture de La peinture religieuse en France au XIXe siècle, vue de la Bretagne,de mon ex-collègue à l’ENSBA de Paris, Bruno Foucart.

L’écrin religieux des « convaincus » – de ce fait convaincant, des XIIIe et XIVe siècles m’apparaît à l’opposé du programme de restauration idéologique qu’impose l’Église au cours du XIXe, pour contrecarrer la montée du Rationalisme, du Progrès scientifi que, ainsi que du Mouvement ouvrier. D’où cette prolifération d’édifi ces cultuels roman-gothique ou byzantin… Lisieux, le Sacré Cœur de Montmartre…

«  Il faut le terreau de beaucoup de médiocres pour permettre l’éclosion de rares génies » écrit Bruno Foucart. Médiocres pas nécessairement, mais moins dotés de moyens, de possibilités matérielles dirais-je. L’auteur souligne «  l’inquiétude du Clergé méfi ant (à juste titre…) devant le libre-arbitre spirituel et iconographique des artistes…».

«  Delacroix, seul dans notre siècle incrédule, a conçu des tableaux de religion qui n’étaient ni vides, ni froids comme… ». Le Christ en croix n’est ni vide, ni froid et romantique «  libérateur des énergies et expressions personnelles, même si celles-ci dérangent les orthodoxies iconographiques ».

«  Les énergies…  » en effet… Avec les Variations réalisées dans la technique de l’impression numérique, celles-ci sont mises à jour – soient : les verticales des deux croix dressées, les obliques de la troisième, ainsi que la haute échelle – d’une part. Et d’autre part, les rouges variés, chauds par défi nition, sonores qui zèbrent la surface peinte opposant à la verticalité, à l’oblicité, une circulation dynamique.

Nous entrons dans le tableau avec le rouge déployé de la robe de Marie-Madeleine, et sortons avec l’accent rouge la déchirure dans le ciel tourmenté (selon la tradition), en passant par le jeu de drapés des vêtements opulents des protagonistes de l’action.

Bruno Foucart ajoute : « …mais avec tort et injustice – ce qui est le droit des génies –, Baudelaire niait la possibilité d’une peinture catholique cherchant à exprimer dans le respect de la tradition les vérités révélées… »

…autre lecture, celle de Pierre Michon. Je relève dans les Vies minuscules, celle de Georges Bandy à son sujet  :  … « un athée mal convaincu  », merveilleusement intelligent et drôle. Mais un agnostique (qui déclare la vérité inaccessible à l’esprit humain) n’est-il pas un idéaliste qui se voile la face ?

Bruno Foucart  à nouveau : «  Tout ce qui précède Raphaël est supposé respirer une naïveté qui serait celle des temps heureux où prier et peindre allaient de paire… ». Oui et non. Les Pierro della Francesca, Brunelleschi, etc… inventent la perspective, le Nombre d’Or, scrutent le corps humain.

Notons que Matisse questionné, harcelé à propos de son admirable « Chapelle du Rosaire » de Vence répond qu’il prie en travaillant.

Retour à Marie-Madeleine… à la fortune critique du tableau… Un tel s’effarouche en ces temps d’hypocrisie où la Bourgeoisie se rencontre dans «  La maison Tellier  » devant sa gorge découverte… » Notez que la femme de La liberté guidant le peuple a les deux seins dénudés ! La mise à plat géométrique de la composition fait apparaître que la poursuite des obliques de la croix du mauvais larron, ainsi que celle de la

Notes discontinues rédigées à l’atelier en avril 2012, autour de Le Christ en croix, huile sur toile, 182 x135 cm, 1835, d’Eugène Delacroix.

Pierre Buraglio

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Nom de peintre : le nom, d’après… Delacroix Variation II/IV, 2012, tirage numérique sur papier kraft, papier vert agrafé, Studio Franck Bordas, 80,3 X 51 cm. 13

Du catalogue : Autour de Delacroix…, relevés et commentaires à la lecture de La peinture religieuse en France au XIXe siècle, vue de la Bretagne,de mon ex-collègue à l’ENSBA de Paris, Bruno Foucart.

L’écrin religieux des « convaincus » – de ce fait convaincant, des XIIIe et XIVe siècles m’apparaît à l’opposé du programme de restauration idéologique qu’impose l’Église au cours du XIXe, pour contrecarrer la montée du Rationalisme, du Progrès scientifi que, ainsi que du Mouvement ouvrier. D’où cette prolifération d’édifi ces cultuels roman-gothique ou byzantin… Lisieux, le Sacré Cœur de Montmartre…

«  Il faut le terreau de beaucoup de médiocres pour permettre l’éclosion de rares génies » écrit Bruno Foucart. Médiocres pas nécessairement, mais moins dotés de moyens, de possibilités matérielles dirais-je. L’auteur souligne «  l’inquiétude du Clergé méfi ant (à juste titre…) devant le libre-arbitre spirituel et iconographique des artistes…».

«  Delacroix, seul dans notre siècle incrédule, a conçu des tableaux de religion qui n’étaient ni vides, ni froids comme… ». Le Christ en croix n’est ni vide, ni froid et romantique «  libérateur des énergies et expressions personnelles, même si celles-ci dérangent les orthodoxies iconographiques ».

«  Les énergies…  » en effet… Avec les Variations réalisées dans la technique de l’impression numérique, celles-ci sont mises à jour – soient : les verticales des deux croix dressées, les obliques de la troisième, ainsi que la haute échelle – d’une part. Et d’autre part, les rouges variés, chauds par défi nition, sonores qui zèbrent la surface peinte opposant à la verticalité, à l’oblicité, une circulation dynamique.

Nous entrons dans le tableau avec le rouge déployé de la robe de Marie-Madeleine, et sortons avec l’accent rouge la déchirure dans le ciel tourmenté (selon la tradition), en passant par le jeu de drapés des vêtements opulents des protagonistes de l’action.

Bruno Foucart ajoute : « …mais avec tort et injustice – ce qui est le droit des génies –, Baudelaire niait la possibilité d’une peinture catholique cherchant à exprimer dans le respect de la tradition les vérités révélées… »

…autre lecture, celle de Pierre Michon. Je relève dans les Vies minuscules, celle de Georges Bandy à son sujet  :  … « un athée mal convaincu  », merveilleusement intelligent et drôle. Mais un agnostique (qui déclare la vérité inaccessible à l’esprit humain) n’est-il pas un idéaliste qui se voile la face ?

Bruno Foucart  à nouveau : «  Tout ce qui précède Raphaël est supposé respirer une naïveté qui serait celle des temps heureux où prier et peindre allaient de paire… ». Oui et non. Les Pierro della Francesca, Brunelleschi, etc… inventent la perspective, le Nombre d’Or, scrutent le corps humain.

Notons que Matisse questionné, harcelé à propos de son admirable « Chapelle du Rosaire » de Vence répond qu’il prie en travaillant.

Retour à Marie-Madeleine… à la fortune critique du tableau… Un tel s’effarouche en ces temps d’hypocrisie où la Bourgeoisie se rencontre dans «  La maison Tellier  » devant sa gorge découverte… » Notez que la femme de La liberté guidant le peuple a les deux seins dénudés ! La mise à plat géométrique de la composition fait apparaître que la poursuite des obliques de la croix du mauvais larron, ainsi que celle de la

Notes discontinues rédigées à l’atelier en avril 2012, autour de Le Christ en croix, huile sur toile, 182 x135 cm, 1835, d’Eugène Delacroix.

Pierre Buraglio

28

d’après… Saint Sébastien, 2002, graphite sur papier, 63 X 49 cm. Collection Pierre Buraglio 29

d’après… Le Caravage. La chute de Saint Paul, (ou l’éblouissement de Saint Paul), 1990, fusain et acrylique sur papier calque, 112 X 84 cm. Collection Pierre Buraglio

d’après… Saint Sébastien, 2002, fusain sur papier, 63 X 49 cm. Collection Pierre Buraglio

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d’après… Saint Sébastien, 2002, graphite sur papier, 63 X 49 cm. Collection Pierre Buraglio 29

d’après… Le Caravage. La chute de Saint Paul, (ou l’éblouissement de Saint Paul), 1990, fusain et acrylique sur papier calque, 112 X 84 cm. Collection Pierre Buraglio