Pierre Abélard en trompe l'oeil_LA VIE EN CHAMPAGNE (57) 2009

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LA PENSÉE MÉDIÉVALE 4 > La Vie en Champagne n° 57 Que savons-nous sur Pierre Abélard ? Ce brillant philosophe et théologien du XII e siècle fait partie sans réserves de l’imaginaire contemporain sur le Moyen Âge et nous avons de lui, de façon plus ou moins fondée sur les connaissances qui nous ont été transmises sur cette période et ce personnage, une idée, une impression, une sympathie ou une antipathie – pourquoi pas ? –, enfin, une image. Cela est surtout dû à l’immense célébrité des lettres échangées avec Héloïse qui ont inspiré des écrivains depuis la fin du XII e et le début du XIII e siècle tel que Jean de Meun dans Le Roman de la Rose en passant pour Pétrarque et jusqu’aux romantiques (1). Le couple formé par Abélard et Héloïse a épousé le goût des hommes et des femmes de lettres mais ces deux personnages ont également pris place dans notre mémoire à travers de nombreuses pièces de théâtre, des romans historiques et des films pour la télévision et le cinéma. La marque de leur existence est encore matériellement visible, entretenue dans des lieux de mémoire publique : par exemple, lorsqu’on se promène dans Paris, on peut voir aux bords de la Seine l’indication de l’endroit où se serait trouvée la maison d’Héloïse. Abélard figure parmi les très rares personnalités médiévales représentées par les statues des grands hommes qui entourent les murs du Louvre, à côté de Bernard de Clairvaux, de Suger de Saint-Denis, de Grégoire de Tours. En outre, le tombeau d’Abélard et d’Héloïse toujours orné de fleurs lancées par les amoureux qui font vœu d’une passion éternelle est un des lieux les plus visités dans le cimetière du Père-Lachaise. Enfin, des rues gardent encore leurs noms dans des villes marquées par leur trajectoire. Pierre Abélard en trompe-l’œil par João Gomes Si ces deux personnages exercent une fascination durable au long de l’histoire, elle n’est pas toujours restée la même, bien évidemment. Mais on pourrait dire sans crainte que ce qui revient souvent avec plus ou moins de force est l’image de l’intellectuel rebelle, arrogant et génial, du séducteur qui a dû payer dans sa chair et son esprit le prix de son insoumission à une pratique, à une éthique sociale obscurantiste dominée par l’Église et par son intransigeance en matière amoureuse. Abélard serait du côté des troubadours et des trouvères, des poètes goliards anonymes cachés dans l’univers des nouvelles écoles urbaines. Quant à Héloïse, son histoire se prête bien à la contre-image de la femme silencieuse et dominée par un monde exclusivement masculin où elle aurait dû se conformer à son destin de bien d’échange pour les alliances familiales, de reproductrice du lignage.

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Pierre Abélard et sa querelle avec Roscelin et Bernard de Clairvaux.

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LA PENSÉE MÉDIÉVALE

4 > La Vie en Champagne n° 57

Que savons-nous sur Pierre Abélard ? Ce brillant philosophe et théologien du

XIIe siècle fait partie sans réserves de l’imaginaire contemporain sur le Moyen

Âge et nous avons de lui, de façon plus ou moins fondée sur les connaissances

qui nous ont été transmises sur cette période et ce personnage, une idée, une

impression, une sympathie ou une antipathie – pourquoi pas ? –, enfin, une

image. Cela est surtout dû à l’immense célébrité des lettres échangées avec

Héloïse qui ont inspiré des écrivains depuis la fin du XIIe et le début du

XIIIe siècle tel que Jean de Meun dans Le Roman de la Rose en passant pour

Pétrarque et jusqu’aux romantiques (1). Le couple formé par Abélard et

Héloïse a épousé le goût des hommes et des femmes de lettres mais ces deux

personnages ont également pris place dans notre mémoire à travers de

nombreuses pièces de théâtre, des romans historiques et des films pour la

télévision et le cinéma. La marque de leur existence est encore matériellement

visible, entretenue dans des lieux de mémoire publique : par exemple,

lorsqu’on se promène dans Paris, on peut voir aux bords de la Seine

l’indication de l’endroit où se serait trouvée la maison d’Héloïse. Abélard

figure parmi les très rares personnalités médiévales représentées par les

statues des grands hommes qui entourent les murs du Louvre, à côté de

Bernard de Clairvaux, de Suger de Saint-Denis, de Grégoire de Tours. En

outre, le tombeau d’Abélard et d’Héloïse toujours orné de fleurs lancées par

les amoureux qui font vœu d’une passion éternelle est un des lieux les plus

visités dans le cimetière du Père-Lachaise. Enfin, des rues gardent encore

leurs noms dans des villes marquées par leur trajectoire.

Pierre Abélard en trompe-l’œilpar João Gomes

Si ces deux personnages exercent une fascinationdurable au long de l’histoire, elle n’est pas toujours restéela même, bien évidemment. Mais on pourrait dire sanscrainte que ce qui revient souvent avec plus ou moins deforce est l’image de l’intellectuel rebelle, arrogant etgénial, du séducteur qui a dû payer dans sa chair et sonesprit le prix de son insoumission à une pratique, à uneéthique sociale obscurantiste dominée par l’Église et par

son intransigeance en matière amoureuse. Abélard seraitdu côté des troubadours et des trouvères, des poètesgoliards anonymes cachés dans l’univers des nouvellesécoles urbaines. Quant à Héloïse, son histoire se prêtebien à la contre-image de la femme silencieuse etdominée par un monde exclusivement masculin où elleaurait dû se conformer à son destin de bien d’échangepour les alliances familiales, de reproductrice du lignage.

Héloïse est devenue très rapidement une héroïne fémi-niste, mais qui, contrainte par un contexte trop répressif,n’a pu mener au bout sa passion et l’exercice de sa librevolonté et de son libre désir. Voilà, à très gros traits, lescouleurs qui ont recouvert au fil des siècles le visage denos deux amants. J’ai ici exclu, bien sûr, le regard que leshistoriens ont porté sur eux et leur période et qui n’estpas imperméable à la subjectivité historique de chaquechercheur.

Mais je reviens à ma question : que savons-nousd’Abélard ? Et j’ajouterai maintenant : l’ambiguïté de l’af-faire Abélard-Héloïse, ressentie et perpétuée jusqu’à nosjours, était-elle absente de la perception qu’avaient d’euxleurs proches contemporains ? Autrement dit, et en meconcentrant désormais sur Abélard, ne constituait-il pasdès le début un problème de représentation ? La ques-tion pourrait appeler une réponse rapide et simple ensachant que personne n’est entièrement saisi, appréhen-dable totalement par ceux qui l’entourent, mais elle posepar ailleurs pour moi, historien – problème que je voudraispartager avec vous – les limites d’une biographie, d’une

autobiographie au Moyen Âge. La question me sembled’autant plus intéressante quand on sait qu’Abélard estun des premiers auteurs en Occident à avoir écrit un texteproche du genre « autobiographique », la fameuse lettre àun ami anonyme – peut-être fictif – l’Historia calamitatummearum (l’Histoire de mes malheurs) (2) qui, en arrivantaux mains d’Héloïse, déclenchera la série que l’onconnaît bien. L’impression d’ambiguïté laissée parAbélard à ses contemporains et que j’essaierai de vousmontrer peut être considérée comme une autre face dela représentation biographique d’Abélard. Lui-même eneffet ne serait qu’un maillon, certes central, de la chaînequi compose son image, celle qu’il veut ainsi donner delui-même et pour laquelle il va devoir se disputer (3).

Quelle place pour l’individu dans la société du XIIe siècle ?

Avant d’aborder les détails de cette dispute, il fautavoir présent à l’esprit quelques éléments contextuels,une petite base historique sans laquelle le conflit identi-taire d’Abélard ne saurait être compris. S’il est possible

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La Vie en Champagne n° 57 > 5

MAT ms 802-1 : folio 1,

Historia calamitatum mearum.

(Cliché MAT)

de considérer le caractère exceptionnel de notre héros, ildoit être aussi relativisé pour l’apercevoir dans sa justemesure.

On considère souvent la période allant de la fin duXIe siècle à la première moitié du XIIIe comme une époqued’intenses transformations sociales et culturelles enEurope ; elle fut qualifiée, avec une certaine exagération,de « renaissance du XIIe siècle ». En tout cas, il est certainque la dynamique générale de l’Occident a changé. Unecroissance démographique considérable a été favoriséepar le développement des nouvelles techniques agricoleset par une relative pacification sociale correspondantsans doute à l’interruption des invasions qui ont ravagébien des territoires de l’Occident, mais aussi à la volontéde l’Église de discipliner les violences seigneurialesdepuis l’époque carolingienne. Par ailleurs, la Chrétientéfixe plus fortement et plus visiblement ses frontières exté-rieures en se démarquant des « autres », de l’Islam enparticulier. Le désir conquérant la mènera à réaliser undes plus impressionnants mouvements de masse, laPremière Croisade, qui prendra Jérusalem en 1099 :

l’effet d’ouverture au monde ne pouvait pas être minimesur la mentalité de toute une génération (4). Mais l’établis-sement des frontières concerne aussi l’hérésie, les juifs,ainsi que la Chrétienté et l’Église elle-même – si j’osedire – puisque la réforme qu’on appelle « grégorienne » (5)était en grande partie fondée sur la séparation plus stricteentre les laïques et le clergé, séculier comme régulier. Onédicte des règles de conduite et les interdits pullulent,surtout sur le sexe à travers le célibat des clercs et sur lecommerce d’indulgences, la simonie. Et nous savonscombien Abélard s’est montré déterminé à propos de lasituation qu’il a rencontrée à Saint-Gildas-de-Rhuysquand il a été nommé abbé. Le pouvoir pontifical, s’il nepeut être tenu pour le principal responsable, par cettetransformation sort renforcé par l’établissement d’un droitcanonique consistant. Par ailleurs, le mouvement monas-tique connaît un développement considérable. Lesanciennes maisons suivant l’ancienne règle de saintBenoît se restructurent et quelques-unes, comme Cluny,affirment solidement leur pouvoir. C’est aussi le grandmoment des nouvelles expériences et des nouvelles

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MAT ms 802-2 : f.17v-18,

Première lettre d’Héloïse.

(Cliché MAT)

fondations soucieuses d’un retour à la pureté et à larigueur originelles de la règle bénédictine ou de saintAugustin, comme Cîteaux fondée par Robert deMolesme non loin de Troyes, logiquement non loin aussidu futur Paraclet, qui rayonnera sous l’influence deBernard de Clairvaux. En outre, les Prémontrés deNorbert de Xanten et les Chartreux de Bruno à sesdébuts donneront un nouveau souffle à la vie cénobitique.Les expériences touchent aussi les limites de la retraiteérémitique ou la tentative de cohabitation masculine etféminine au sein de monastères mixtes comme à Fonte-vraud sous l’autorité de Robert d’Arbissel et peut-êtremême au Paraclet d’Héloïse. Ce sont des seigneurs quiont pris l’initiative de créer certains des nouveaux monas-tères, en plaçant des moines tout près des châteaux ouen renonçant à la vie séculière en emportant avec euxleurs biens comme leurs corps et leurs esprits. Un autre« autobiographe » contemporain d’Abélard, Guibert deNogent, a parlé de ce mouvement comme du « débutd’une ère de conversion » (6). Comme vous pouvez levoir, je me suis concentré volontairement sur la moitiénord de la France où se sont déroulés les faits qui nousintéressent aujourd’hui.

Et enfin, la fin du XIe et le début du XIIe siècle voientle modèle des écoles monastiques décliner peu à peu auprofit des nouvelles écoles urbaines accrochées auxcathédrales et qui occupent désormais le terrain intellec-tuel. Les choses sont bien visibles à Paris, qui est encoreloin d’être la grande ville du début du XIIIe siècle, précisé-ment à l’époque où arrive Abélard et à travers les initia-tives de maître Guillaume de Champeaux, qui sera lefondateur de Saint-Victor. Et à Laon aussi, sans doute,avec l’autorité d’Anselme et de son frère Raul vers quiAbélard se tournera aussi pour étudier la théologie. C’estdans les ateliers de l’école de Laon qu’est composé cequi constituera le modèle et la base des études bibliquesà venir, c’est-à-dire la Glosa ordinaria. Les textes desÉcritures y sont accompagnés de commentaires interli-néaires et marginaux des Pères de l’Église (saintAugustin, Bède le Vénérable, Grégoire le Grand, saintJérôme), mais aussi des Carolingiens comme Haymond’Auxerre, entre autres. Dans ce contexte, Jacques LeGoff évoque Abélard comme « le premier professeur » (7),celui qui a profité d’une nouvelle mobilité sociale desétudiants en se déplaçant au gré des besoins de saformation et en constituant lui-même un pôle d’attraction.

Vous pouvez voir alors à partir de cette présenta-tion schématique que la dynamique de la société médié-vale est en train de changer. Même si en me concentrantsur la proximité immédiate d’Abélard j’ai négligé lesrapports entre les seigneurs et les paysans, entre l’Égliseet les laïques, ce que je viens de vous dire est aussi direc-tement lié au cadre général où les forces sociales serééquilibrent. Ainsi, les individus sont alors plus ou moinscontraints de trouver leur place dans un environnementplus complexe où les rôles à jouer s’affinent, se différen-cient. Certains groupes comme les moines font preuve

d’une exigence accrue de cohérence dans les orienta-tions communautaires, la morale personnelle, les choixd’encadrement les plus appropriés. Au Moyen Âge, le liensocial est très important, notamment parce qu’il participeprofondément de la constitution de l’identité de chaquepersonne à travers les fonctions remplies et le réseau derelations qu’elle établit et dont elle dépend. Il ne sauraitêtre question au Moyen Âge, et surtout au XIIe siècle,d’une définition de l’individu isolé, qui se comprendraitcomme une unité en soi, « à part » ou simplement« avec » le reste de la société. Pierre Abélard ne fait pasexception.

La trajectoire d’Abélard : une accumulation de rôles

Nous pourrions donc commencer à affiner cetteidée par un témoignage bref et révélateur qui probléma-tise tout ce que je viens de vous dire. Il s’agit d’un textecompilé à Tours avant 1227 et qui transmet les impres-sions et le récit de Guillaume Godel, un contemporaind’Abélard et d’Héloïse, sur les mésaventures du couplequi étaient connues de tous. Dans un passage de cetexte, il donne l’épitaphe supposée qu’Héloïse auraitcomposée pour son mari : « Ci-gît Pierre Abélard, le seulqui sut ce qu’il a pu être » (8). Étonnante définition ! D’au-tant plus qu’elle aurait dû servir de lemme d’une mémoireà commémorer au Paraclet puisqu’il en était le fondateur,particulièrement attaché à sa première abbesse. Pour-rions-nous douter de la profonde connaissance qu’Hé-loïse avait d’Abélard ou supposer qu’elle aurait purenoncer à dire ce qu’il était pour sa communauté ? Biensûr, il nous faut garder un doute sur l’authenticité d’un teltémoignage parce que nous ne disposons pas d’uneautre source plus probante, et que c’est ce même textequi a fait passer à la postérité la belle légende sur la mortet l’ensevelissement d’Héloïse à côté d’Abélard, légendeselon laquelle il aurait étendu les bras et l’aurait accueillieen son sein pour l’éternité (9). Une image qui confortebien l’idée que la renommée romantique du couple a déjàpris racine à leur époque. Mais il nous faut précisémentessayer de démêler un peu toutes ses images. Ce témoi-gnage serait-il un cas isolé ? Pour aller vite, non. Et sasignification peut être effectivement approfondie par lacomparaison avec d’autres textes et avec la trajectoiresingulière d’Abélard. Lui, comme tant de ses contempo-rains a expérimenté plusieurs positionnements dans lasociété, en les faisant s’entrecroiser, se superposer, defaçon problématique. Sa condition d’aîné au sein de samaison lui promettait la succession des biens et deshonneurs de son père, mais il les a abandonnés poursuivre une carrière intellectuelle, pour être un lettré. Safamille ne semble pas l’avoir découragé pour autant.Cette première rupture, même si elle peut différer de lacoutume, n’est pas exceptionnelle. C’est son parcoursd’étudiant et de maître d’école, et surtout après saviolente castration, qui lui attireront de véritablesproblèmes d’identification, d’auto-identification et degestion de son image publique.

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Rappelons-nous donc cette trajectoire pleine derebondissements à partir du moment où il commence savie d’étudiant. Ses premiers pas se font à Loches, où ilétudie la logique avec Roscelin de Compiègne. Cemaître, partisan des thèses nominalistes – et je reviendrailà-dessus – sera le premier à souffrir des critiques et del’impertinence de son disciple, et la tension entre les deuxpersonnages qui a perduré tout au long de leur vie s’esttraduite par des échanges de lettres très agressifscomme nous aurons l’opportunité de le voir plus loin.Ensuite, c’est auprès de Guillaume de Champeaux, àl’école du cloître de Notre-Dame de Paris, qu’Abélarddécouvrit les raffinements de la dialectique. À cetteépoque, maître Guillaume, futur évêque de Châlons-sur-Marne, de tendance réaliste, est le plus célèbre dans cetart. « J’arrivais enfin à Paris – dit Abélard – qui était déjàle haut lieu de cette discipline, pour suivre l’enseignementde Guillaume de Champeaux, qui était le maître le pluséminent dans cette discipline, réputation conforme à laréalité. Je restai auprès de lui quelque temps : mais si maprésence lui fut tout d’abord agréable, il en vint à latrouver insupportable, lorsque je me mis à réfutercertaines de ses thèses, cherchant toujours plus à leconfondre par mes arguments. (…) Et c’est ainsi – nousexplique Abélard – que débuta le long cortège demalheurs dont je suis encore accablé… » (10). Dès sescontroverses avec Guillaume qui était un personnage fortinfluent dans l’Île de la Cité, Abélard est obligé de seretirer de Paris, et tout en affichant publiquement sonimpétuosité, il s’installe à Melun où il établit une école. Ilfait ensuite de même à Corbeil, s’approchant ainsi deplus en plus de Paris, l’assiégeant, comme il le dit lui-même dans son habituel langage chevaleresque etféodal. Entre les années 1105 et 1108, il se retire dansson pays natal, la Bretagne, prétextant quelquesproblèmes de santé. Cette période sur laquelle nous nesavons rien correspond au moment où Étienne deGarlande, un des protecteurs d’Abélard, entre en conflitavec le roi et voit ainsi son influence sur le domaine ecclé-siastique de l’Île de la Cité s’affaiblir. Après son retour àParis, Abélard continue donc son entreprise pour prendrela chaire magistrale à l’école cathédrale en passant ànouveau par Melun et par l’école de la montagne Sainte-Geneviève (extra muros à cette époque).

En 1113, après le retour de Guillaume de Cham-peaux à Paris et au moment où il est nommé évêque,Abélard se lance de nouveaux défis et part à Laon pourétudier la théologie avec le prestigieux Anselme. Il aprobablement été attiré par la réputation de cette écoleen raison surtout des études bibliques et des critiquestextuelles récentes qui y étaient menées et qui ont certai-nement intéressé le jeune philosophe. Mais, commetoujours, les rapports entre maître et disciple dégénèrent :« Je me rendis donc – dit Abélard – auprès de ce vieillard,qui devait sa réputation à une longue expérience plutôtqu’à l’acuité de son intelligence ou à la profondeur de samémoire. Si d’aventure une personne venait frapper à sa

porte pour sortir du doute sur une question quelconque,elle le quittait avec des doutes plus grands encore. Admi-rable aux yeux de ceux qui l’écoutaient, il était nul auregard de ceux qui l’interrogeaient : sa maîtrise de lalangue était certes admirable, mais son esprit étaitpitoyable et vide de sens. Voulait-il allumer un feu qu’ilenfumait toute la maison, au lieu d’y faire briller lalumière » (11).

C’est finalement de retour à Paris, bien installé entant que maître et en attirant des étudiants venus de toutel’Europe pour l’écouter, comme Jean de Salisbury parexemple (12), qu’Abélard rencontre Héloïse : « Il y avaitalors dans la ville de Paris une jeune adolescente au nomd’Héloïse, nièce d’un chanoine appelé Fulbert. Comme ilavait pour elle la plus grande affection, il s’efforçait de luitrouver tout ce qui pouvait la faire progresser dans l’étudedes lettres. Sa beauté, il faut le dire, n’était pas des moin-dres, mais elle avait surtout un don sans égal pour les artslibéraux. La jeune fille y brillait d’autant plus que ce talent– je veux dire l’aptitude aux disciplines du savoir – est trèsrare chez les femmes, et c’est ce qui fit qu’elle devintcélèbre dans tout le royaume. Je fis le catalogue de toutce qui pourrait attirer un amant, et conclus que c’était ellequ’il me fallait m’attacher par amour ; d’ailleurs, j’étaiscertain que ce serait chose très facile » (13). Noussommes donc autour des années 1115 et 1116. Selonune hypothèse formulée très récemment par GuyLobrichon, Héloïse pouvait avoir à ce moment-là plus devingt ans (vingt-quatre peut-être) et non les quinze ouseize habituellement retenus (14). Ce seul fait expliqueraitdonc l’avance intellectuelle d’Héloïse si surprenante pourune « adolescente » à l’époque et relativise tout autantl’image romantique des premiers contacts entre les deuxamants et même la trop forte impression donnée parAbélard de son entreprise de séduction.

Pour en finir avec ce résumé trop rapide de l’his-toire d’Abélard et d’Héloïse, il faut rappeler encorequelques faits très importants pour les questions quinous occupent ici. D’abord, la naissance d’Astrolabe et lemariage qui s’ensuit, tenus secrets, loin des regardspublics de l’aristocratie locale, des ecclésiastiques et desétudiants, car trop compliqués pour la carrière d’un intel-lectuel ; ensuite la castration ordonnée par Fulbert, trau-matisante et déterminante pour la personnalité d’Abé-lard ; enfin la condamnation et la destruction par le feu dutraité d’Abélard, De l’Unité et de la Trinité Divines (Theo-logia Summi Boni) (15) en 1121 à Soissons. Selon sespropres mots : « Quand je songeais à ce qui venait des’abattre sur moi, après le supplice naguère infligé à moncorps, je me croyais le plus malheureux des hommes. Jetrouvais que l’ancienne trahison était bien peu de chosepar rapport à ce nouvel outrage, et je pleurais bien plusl’offense faite à ma gloire que la mutilation de mon corps »(16). Après Soissons, Abélard se sentira toujours victimed’une double émasculation, celle du corps, c’est-à-direde son image extérieure et évidente, et celle de son auto-rité intellectuelle. Ses ennemis n’ont pas manqué de lui

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faire ressentir le plus profondément possible ces deuxblessures. Certes, on note aussi toutes les tentatives deréconciliation entre Abélard et la communauté qui l’en-tourait, sa conversion, la fondation du Paraclet et son donà Héloïse, sa nomination comme abbé de Saint-Gildas,mais son goût pour la polémique ne l’abandonna pas,jusqu’à sa dernière grande dispute avec Bernard deClairvaux aboutissant à sa deuxième condamnation auConcile de Sens en 1141, un an avant sa mort au prieuréde Saint-Marcel-lès-Chalon sous l’autorité de Cluny.

De l’accumulation de rôles tout au long de latrajectoire d’Abélard et au moment de son aboutissementmonastique, nous pouvons comprendre ceci : il est philo-sophe et théologien, moine et professeur, homme aucorps brisé qui est mari et frère spirituel de la mêmefemme tout en étant en même temps le père de son filset son supérieur hiérarchique. En outre, contraint par saprofession de foi et sa règle au devoir de stabilité, il avécu en fait une longue errance. Écrite ou non parHéloïse, l’épitaphe citée plus haut demeure pleine desens, un sens que j’aimerais approfondir avec vous à la

suite des trois portraits d’Anselme de Laon, de Guillaumede Champeaux et d’Héloïse qui nous montrent une partieseulement du jeu de construction et de destruction del’image de l’autre en général, l’image vouée à circulercollectivement dans un milieu déterminé et à rejoindreainsi celle que chaque auteur des portraits voulait donnerde lui-même. Il nous faut aussi étudier de plus près l’in-tention et l’effet que les couleurs choisies par quelqu’unpour rehausser telle ou telle caractéristique, négative oupositive, ont eu sur la personne visée. Ce jeu de miroirs aété très courant au Moyen Âge et plus encore dans cesiècle moralisateur qu’était le XIIe siècle. La vie et la trajec-toire d’Abélard s’y prêtaient parfaitement.

Le cloître : la conversion d’Abélard

Certains historiens ont vu dans la fondation duParaclet et dans la tentative d’Abélard de se conduirecomme un directeur spirituel légitime une façon decombler le vide symbolique dans lequel son émasculationl’avait jeté. Dans la même direction, on remarque aussi

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MAT ms 802-3 : f.45v-46,

Lettres d’Abélard et Héloïse.

(Cliché MAT)

que la plupart de ses œuvres ont été composées dansles années suivant son entrée dans la vie monastique.Sans aller aussi loin, je proposerai d’y voir le conflitpermanent d’Abélard cherchant à trouver sa place dansla nouvelle dynamique sociale de son siècle et à se faireaccepter sans avoir à renoncer à ses plus profondesconvictions morales, religieuses et philosophiques. Aprèsson émasculation et sa conversion, l’effort de justificationde sa position actuelle est plus évident. C’est à cemoment-là qu’Abélard reçoit une lettre de consolation deson ami Foulques, prieur de Deuil. Dans ce texte pleind’affection, Foulques essaie de raisonner Abélard ensachant combien la castration lui est douloureuse et peutle mener à éprouver un sentiment de vengeance et d’in-compréhension, surtout s’il ne saisit pas le sens du bien-heureux châtiment divin pour ses pêchés d’orgueil etluxure. Mais ce texte invite aussi sérieusement Abélard àse concentrer sur ce qu’il est maintenant, c’est-à-dire unmoine : « Mais une fois éteinte la flamme funeste de l’in-cendie, il faut que tu reviennes à toi, et que tu rétablissessur du solide ton esprit qui vagabondait à travers les

multiples et douces folies de la luxure » (17) – et vers la findu texte, il lui dit de façon encore plus directe – « Maisécoute un bon conseil et la consolation d’un vrai ami : tues un moine, et l’habit de ton couvent, ce n’est pasmalgré toi, mais de ton propre mouvement [sed sponte],que tu l’as pris. Il ne te convient donc pas d’exiger uneplus grande vengeance à ton profit, si c’est en vérité quetu veux tenir et aimer ce que signifie clairement le contenude ce nom de moine » (18). Ce texte, semble-t-il, répondd’une manière assez juste à ce qui sera plus tard connuà travers l’Histoire de mes malheurs sur les motivationsd’Abélard, et je le cite : « Accablé par un malheur aussibrutal, j’avoue que ce fut davantage la honte qu’unesincère vocation religieuse qui me poussa à me réfugierdans l’enceinte d’un cloître monastique » (19).

Si Abélard a pu se confier dans ces termes àFoulques avant d’écrire son « autobiographie », nous n’ensavons rien. Ce qui est peut-être plus sûr, ce sont les atti-tudes d’Abélard après sa castration, comme sa querellecontre Roscelin et l’épisode critique à l’abbaye de Saint-Denis lorsqu’il a contesté l’identité de son saint patron,

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MAT ms 802-4 : f.93v-94,

La règle du Paraclet.

(Cliché MAT)

provoquant un immense scandale précisément là où ilavait été accueilli. Il semble aussi que la condamnationpromulguée par l’évêque contre les agresseurs d’Abélardet contre Fulbert n’ait pas apaisé son chagrin. Le plusimportant pour nous est de bien comprendre l’enjeuprofond d’une conversion monastique à cette époque,avec les lourdes exigences communautaires et person-nelles qui l’accompagnent : les vœux d’humilité, d’obéis-sance, de silence prisés par la règle de saint Benoît.Évoquons notamment, pour le cas qui nous occupe, levœu de stabilité qui signifie en même temps la fidélité àson monastère et à sa position stricte au sein de sacommunauté comme une exigence de s’autogouvernerqui se traduit par l’insistance qui opère dans le textemême de la règle de ne rien faire par sa propre volonté,de la haïr même, et de tout remettre au discernement deson abbé (20). C’est sur ces principes que la lettre deFoulques attire l’attention d’Abélard, si difficiles au débutà suivre convenablement pour quelqu’un si habitué audébat d’idées et à la critique des autorités considéréescomme illégitimes si elles ne font pas l’objet d’uneréflexion. Abélard se rend compte peu de temps aprèsqu’il doit se convaincre lui-même pour pouvoirconvaincre les autres et que pour lui il ne s’agit pas de seplier tout simplement extérieurement aux contraintes deson statut de moine, mais, en accord avec Foulques,d’être intérieurement « ce que signifie le contenu de cenom de moine ». Nous verrons comment les notions denom et de signification sont importantes dans la problé-matique de la reconnaissance de la personne auXIIe siècle. Auparavant, pour insister sur l’ambiguïté de lacondition d’Abélard, je voudrais vous donner aussi lepoint de vue d’un autre de ses célèbres opposants,Bernard de Clairvaux, cette fois-ci aux alentours de 1140.

Il s’agit de deux lettres parmi celles que Bernard afait circuler en vue du Concile de Sens de 1141, afin dedresser l’opinion générale, et principalement celle dupape Innocent II, contre Abélard. Dans la première,envoyée au cardinal Ive, il se réfère ainsi à Abélard :« Maître Pierre Abélard, moine sans règle, prélat sansresponsabilité, ne se tient à aucun ordre, et n’est tenu paraucun ordre. Homme dissemblant à soi-même : au-dedans un Hérode, au-dehors un Jean [Baptiste] ; entiè-rement ambigu, n’ayant rien du moine sauf le nom etl’habit… Il est un homme qui a excédé sa mesure… Il n’ya rien qu’il ne connaisse de tout ce qui est dans le ciel etdans la terre, sauf soi-même » (21). Dans la seconde lettreadressée à un autre cardinal, Bernard revient à la chargesur les mêmes fondements, avec quelques variantes :« Nous avons en France un moine sans règle, un prélatsans responsabilité, un abbé sans discipline. PierreAbélard, dialecticien avec les enfants, intime avec lesfemmes » (22). Comme vous le voyez l’abbé de Clairvauxdans son argumentation rhétorique inverse complète-ment les dispositions qui ont été celles de Foulquespresque une vingtaine d’années avant, ce qui prouve quela situation d’Abélard ne s’est pas améliorée, au contraire.

Durant la période s’étirant entre sa conversion et leConcile de Sens, – où il a quand même essayé d’être unbon abbé à Saint-Gildas malgré l’indiscipline de sesmoines et en essayant de remplir son rôle de fondateur etde directeur spirituel du Paraclet –, il n’a pas réussi à seforger une image conciliatrice. Ses autres traités sur laTrinité et sa continuelle proximité avec l’agitation de l’uni-vers des écoles urbaines ne lui seront pas pardonnés etBernard fera peser sur lui le sceau de l’hérésie. Parmitoutes les différences possibles entre Abélard et Bernard,ce sont davantage les questions de forme que de fondqui les séparent. Bien sûr, les formulations dialectiquesd’Abélard sur la nature des mystères divins ont beaucouppesé, mais c’est en fait la méthode employée et le stylede vie qui intéressent Bernard, extrêmement soucieux del’influence néfaste que pouvait avoir Abélard sur lesjeunes et sur les religieux en quête de nouvelles interpré-tations. Ces spéculations sont selon lui éloignées desvérités spirituelles. Bien qu’Abélard n’ait jamais soumis lafoi à la raison, sa façon de chercher à comprendre ce parquoi la présence de la foi doit suffire pose les plus grandsproblèmes. Selon les mots de Jean Jolivet et de JacquesVerger, « il reste qu’entre les procédures intellectuellesqu’il [Abélard] applique et la quête amoureuse et spiri-tuelle de Bernard la distance est assez grande pourqu’aucun point de rencontre ne puisse être trouvé ; et,selon la connexion normale de la forme et du fond, lesfaçons mêmes dont les deux hommes usent du langagediffèrent radicalement » (23). Toutefois, Abélard et Bernardsont d’accord quand il s’agit de prêcher pour davantagede sobriété à l’intérieur des monastères, pour une vie plussimple et moins fastueuse, puisqu’ils sont tous les deux,bien qu’à des degrés différents, touchés par le mouve-ment de réforme monastique de leur époque. En outre, ilsreprésentent les tendances les plus combatives en action,qui alimenteront une nouvelle spiritualité et une nouvellemystique, tout en portant leurs fruits dans le domaine dela scholastique aux siècles suivants.

Mais revenons encore un peu aux deux extraitsdes lettres de Bernard et regardons de plus près leurstermes. En premier lieu, retenons l’enchaînement defonctions et de comportements qui se présentent enopposition, en contradiction même. C’est une définitiond’Abélard en négatif, à partir de ce qu’il n’est pas, pourescamoter définitivement ce qu’il pourrait être. Mais c’estjustement cela la question, puisque l’attaque de l’exer-cice des fonctions monastiques n’est pas une fin en soi,comme s’il suffisait de dire qu’Abélard n’est pas un bonmoine ou un abbé convenable, ou qu’il se trompe grave-ment dans ses réflexions théologiques. Bernard dans sonattaque le précise bien, Abélard est « dissemblant » à lui-même, et du moine il ne porte que le « nom » et « l’habit ».Vous le savez, d’après le récit biblique, l’homme a étécréé à l’image et à la ressemblance de Dieu et tout aulong du Moyen Âge l’exégèse et la théologie, par lesvoies les plus diverses, se sont appliquées à expliquer ouà résoudre les problèmes fort complexes posés par ces

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La Vie en Champagne n° 57 > 11

termes qui renvoient à la nature de l’homme, à sonessence, aux conséquences du péché originel sur l’âmeaprès la chute (24). Durant son existence sur terre,l’homme souffre de la perte de la ressemblance à Dieu engardant tout simplement l’image. Il doit alors être aumoins ressemblant à lui-même, en se distinguant par uneconduite sans faute pour pouvoir se rapprocher unminimum de ce qui a été perdu. En un mot, Bernard deClairvaux signale la gravité de la faute d’Abélard, enconcluant d’ailleurs qu’il ne reste qu’un mot, un nom videde signification comme l’habit vide des valeurs quidevraient l’accompagner.

Il est très intéressant de voir à quel point ce typede problème n’a pas été exclusivement abélardien.Rappelons-nous que la nouvelle règle de vie des Cister-ciens à laquelle se soumet Bernard, le premier à donnerl’exemple, est très claire quant à l’interdiction faite auxmoines de s’impliquer dans des affaires séculières, oumême des affaires religieuses dépassant les murs de leurpropre monastère. La règle limitait aussi considérable-ment les déplacements extérieurs. Et pourtant si Bernardde Clairvaux a pu exercer une si grande influence danstoute la Chrétienté, cela est beaucoup dû à la contradic-tion entre l’exercice de son pouvoir et les règles de sapropre communauté. Dans un passage d’une ses lettresles plus connues, adressée au chartreux Bernard dePortes, il se sert d’un vocabulaire naguère utilisé pourtraiter d’Abélard : « Elles crient vers vous, ma vie mons-trueuse, ma conscience affligée. Je suis la chimère demon siècle, ni clerc, ni laïc. J’ai déjà abandonné la vie dumoine, mais j’en porte encore l’habit… » (25). Ne nouslaissons pas tromper ici par une apparente coïncidence,comme si un tel langage était plus ou moins banal. Ni parla tentation de voir-là la confession d’un acte d’hypo-crisie. En fait, le recours rhétorique employé par Bernard,avec des termes moins virulents que ceux dirigés contreAbélard, évoque le même type de questions, c’est-à-direla place occupée publiquement par le moine en lien avecsa place dans sa communauté, et les répercussionssubjectives de ce possible décalage. Mais à la différencede son évocation d’Abélard, Bernard quand il écrit sur lui-même estime qu’avouer sa peine, c’est déjà accomplirl’acte de repentance. Il ne nie pourtant pas ses activitésextérieures au cloître puisque pour lui cela est àcomprendre comme un sacrifice correspondant à laprofondeur du renoncement au siècle. Bernard construitson chemin sur un délicat équilibre, entre une implicationdans le monde et un renoncement. Dans son discourssur Abélard, il ne porte pas de conseil mais dresse unconstat et réprouve une suite d’engagements profession-nels et intellectuels qui ne révèlent, de son point de vue,aucun signe d’humilité. Je dirai que la coïncidence destermes dans un conflit similaire finit par démontrer qui estl’exemple et qui est le contre-exemple. Reste à savoir siAbélard vit à son tour ce conflit.

Après avoir vu les textes de Foulques de Deuil etde Bernard de Clairvaux, où situerions-nous Abélard ?

Quelle est sa place entre ses deux exigences ? Si l’onpeut dire sans crainte qu’il ne se retrouve évidemmentpas sous la plume de Bernard, on pourrait dire égalementqu’il n’est pas tout à fait conforme à l’aspiration deFoulques. Alors, que signifie le « mot » moine, appliqué àla situation d’Abélard ? Nous allons voir combien leschoses se compliquent encore davantage quand onregarde non pas du côté de la spiritualité monastique,mais du côté de la dialectique.

L’école : la dialectique d’AbélardRevenons à nouveau aux alentours de l’année

1120. À cette époque, Abélard reprend les ancienneshostilités avec son premier maître, Roscelin. C’est aprèsavoir su que ce dernier aurait attaqué ses idées expri-mées dans le De l’Unité et de la Trinité Divines et s’enserait pris à Robert d’Arbissel et à Anselme de Canter-bury qu’Abélard écrivit une lettre à Gilbert, évêque deParis. Il y dénonce l’infondé de l’argumentation deRoscelin en rappelant à l’autorité ecclésiastique lacondamnation d’hérésie, juste selon lui, que ce dernier asubie en 1092. Bien qu’il n’ait pas eu de réponse immé-diate, Roscelin est mis au courant de l’initiative d’Abélardet lui adresse une lettre d’une rare violence dont je vouslivre quelques extraits : « Tu as envoyé une lettre débor-dant de critiques contre moi, fétide des immondicesqu’elle contient, et tu dépeins ma personne couverte destaches de l’infamie comme des taches décolorées de lalèpre… Et de même que le dommage subi par ton corpset dont tu te lamentes est irréparable, de même ladouleur par laquelle tu t’opposes à moi est inconsolable.Mais tu dois craindre la justice divine : la queue de tonimpureté, avec laquelle auparavant, tant que tu en avaisla possibilité, tu piquais sans discernement, t’a été à bondroit coupée ; prends garde que ta langue, par laquelle tupiques actuellement, ne te soit pareillement enlevée.Avant, en piquant de la queue, tu ressemblais à uneabeille, tandis que maintenant tu piques de la langue et turessembles au serpent » (26). Comme vous pouvez levoir, il est déjà beaucoup question du corps, dans samétaphore simplement rhétorique par l’usage de l’imagedu lépreux, mais aussi du corps comme métaphoreproprement dite : la « queue » est donnée comme signede la luxure physique et la langue, dans ce cas, commele signe de la luxure de la parole. Gardons alors à l’espritcette idée du corps comme métaphore et voyonscomment Roscelin va l’approfondir encore plus, annon-çant : « … je discuterai des nouveautés inouïes de ta vieet je démontrerai à quelle ignominie tu t’es abaissé àcause de ton impureté » (27).

Ainsi Abélard se verra rappelé encore une fois ausujet de sa rencontre avec Héloïse, considérée parRoscelin comme la victime d’un pervers, sa trahisoncommise contre l’hospitalité de Fulbert, son grave péchéde fornication, au point d’être accusé de viol. Il lui serarappelé aussi combien la miséricorde divine lui avaitépargné un châtiment beaucoup plus grand comparé à la

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12 > La Vie en Champagne n° 57

simple perte d’une partie du corps. Et il est dit de sacondition présente qu’il est devenu « presque un moine »(28). C’est pourtant à la fin de sa lettre que Roscelinrévèle, selon lui, toute l’incohérence de l’existence d’Abé-lard en avançant contre le maître en dialectique des argu-ments logiques très sensibles : « Tu as pris l’habit, et tuas usurpé la fonction de maître en enseignant desmensonges. Tu as cessé d’être moine, car saint Jérôme,moine lui-même, le définit ainsi : « le moine n’a pas lafonction d’enseignant mais de pleurant ; il doit pleurer lemonde, et, tremblant, attendre l’arrivée du Seigneur ».Mais le rejet de ta condition de clerc atténue la convictionque tu en es un, et tu es encore moins un laïc, ce que lavue de ta tonsure prouve suffisamment. Si donc tu n’esni clerc, ni laïc, ni moine, je ne sais pas trouver de quelnom te désigner. Mais peut-être, par habitude, tumentiras en affirmant que l’on peut t’appeler Pierre. Or jesuis certain qu’un nom du genre masculin ne peutconserver sa signification habituelle s’il est détaché deson genre. Car les noms propres perdent leur sens s’ilarrive qu’ils s’éloignent de leur perfection. Ainsi

– continue Roscelin en donnant un exemple bien choisi –on ne peut parler de maison si on ôte le toit ou le mur,mais de maison incomplète : la partie qui fait l’hommet’ayant été enlevée, tu dois être appelé, non Pierre, maisPierre l’incomplet… J’avais décidé de dire encore beau-coup de vérités manifestes, à ta honte ; mais puisquej’agis contre un homme incomplet, je vais laisser incom-plet ce que j’avais commencé ! » (29).

On arrive ainsi au comble de la contestation de lapersonnalité trouble d’Abélard. On retrouve encore unefois la note constante de l’irréductibilité de l’homme aumoine de sorte que n’importe quelle activité exercée neserait qu’un simulacre de la vérité que l’on trouve exclu-sivement quand la fonction et ses attributs sont réunisdans un seul et même endroit. Cette contestation estd’autant plus forte qu’elle est d’ailleurs forgée à partir dela matière privilégiée de la pensée abélardienne, la basesubstantielle de son propre langage : la dialectique. Si lacritique de Bernard de Clairvaux a la vertu d’énoncer lefaible compromis moral et spirituel auquel Abélard essaiede faire face, celle de Roscelin parvient à atteindre le

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La Vie en Champagne n° 57 > 13

MAT ms 458, t. 2, f.33v-34,

Bible de saint Bernard, initiale « O » du Cantique des Cantiques

(réalisée à Chartres vers 1140-1150).

(Cliché MAT)

tout ce qu’on dit afin de fournir une définition universellede n’importe quelle chose n’est qu’alignement de mots.Par convention, la première tendance à laquelle serattache Guillaume de Champeaux est appelée réaliste,et la seconde, à laquelle se rattache Roscelin, nomina-liste. Abélard, lui, est un peu plus proche des nomina-listes mais il relativise l’excessive faiblesse des simplesmots en les érigeant en concepts.

En résumé, c’est dans ce registre que Roscelinorganise son argumentation, en affirmant que si quelquechose qui peut donner sens à un mot lui manque, ou bienle mot même perd sa raison d’être – ce qui n’est pas lecas pour le nom « Pierre » puisqu’il existe plusieurshommes qui s’appellent ainsi –, ou bien la chosenommée serait hors de son contexte naturel et c’est lecas d’Abélard après sa castration et de la maison sanstoit ou sans mur.

Ce dernier exemple ne me semble pas avoir étéchoisi au hasard, bien qu’on puisse objecter qu’il pourraits’agir d’un cas d’école plus ou moins banal, ce que je nepense pas. Abélard lui-même l’avait utilisé, précisémentdans son traité sur la Trinité condamné à Soissons aumoment même où avait lieu l’échange des lettres entre luiet Roscelin. Dans une partie importante de son livre où iltraite de la définition du divers pour arriver à comprendrecomment quelque chose de multiple, comme la Trinité,peut être simultanément une, Abélard explique que« nous disons en effet que des choses sont diversesselon l’essence chaque fois que l’essence de l’une n’estpas l’essence de l’autre. De cette façon, même une partieest différente de son tout, comme le mur est différent dela maison puisque le mur n’est pas ce qu’est la maison » ;un peu plus loin, il reprend par deux fois l’exemple :« c’est pourquoi il y a des choses qui sont essentielle-ment diverses sans être numériquement différentes,comme la maison et le mur, et n’importe quel tout parcomposition par rapport à sa partie » ; et pour finir : « eneffet celui qui possède la maison a aussi en sa posses-sion le mur, qui n’est pas la maison, mais tout en étantdifférent essentiellement de la maison dans laquelle il est,le mur n’en est pas différent numériquement, puisqu’il estcompris dans la quantité même de la maison » (30). Nousne pourrions pas le dire de façon plus claire. Pierre peuttrès bien s’appeler Pierre même si les attributs masculinslui manquent. Le raisonnement d’Abélard va dans unedirection entièrement opposée à celle de Roscelin sur lemême sujet. Il est d’ailleurs très risqué de voir ici unetentative de justification générale de la condition d’eu-nuque – et nous rencontrons dans le même livre desexemples qui mettent aussi en scène des parties ducorps comme la main. Mais, si Abélard ne cherche pasou ne soumet pas sa théorie à sa propre expériencepersonnelle, les conclusions auxquelles il arrive lui ôtentau moins indirectement le doute sur son intégrité la plusprofonde. Il dira quelque part dans un autre livre,l’Éthique, que ce qui touche au corps est sans effet surl’âme.

LA PENSÉE MÉDIÉVALE

14 > La Vie en Champagne n° 57

Manuscrit du Roman de la Rose

avec représentation d’Héloïse et d’Abélard.

Musée Condé, Chantilly.

(Cliché Giraudon)

point où Abélard a toujours su trouver sa force. C’estdans la réflexion philosophique représentée par sesœuvres et son attirance pour la disputatio, cette nouvellepratique d’enseignement des écoles, qu’Abélard a pu seconstituer une personnalité propre, problématique.

Nous ne saurions comprendre toute la portée del’investissement logique de la fin de la lettre de Roscelinsans quelques brefs éclaircissements sur leur positiondans la querelle des universaux qui s’étend jusqu’à la findu Moyen Âge. Cette querelle se résume aux problèmesissus de la lecture de Porphyre et de Boèce sur la réalitéou la non-réalité des catégories qui seraient dans l’es-sence de chaque être ; par exemple, si nous pensons àl’homme ou à l’arbre, peut-on dire qu’il existe une« essence homme » ou une « essence arbre » présentréellement à l’intérieur de chaque homme et de chaquearbre, donc universellement réelle ? Ou, au contraire,doit-on estimer que rien de tel ne peut exister et, qu’ainsi,

De toute évidence, le traité d’Abélard n’est pasune réponse à la lettre de Roscelin puisqu’il a été écritavant. C’est très probablement Roscelin, qui les retournecontre son opposant pour démontrer l’infondé de saréflexion en ayant pris connaissance des termes utiliséspar son adversaire et en suivant les règles de l’art de ladispute. Mais il n’est pas question ici uniquement delogique et nous ne sommes pas dans l’atmosphère desécoles cathédrales. L’infondé, pour Roscelin, c’est l’exis-tence proprement dite d’Abélard. Voilà toute la portée deson attaque implacable. Il s’en prend simultanément àtoute la série de définitions qui pourraient garantir àAbélard un minimum d’autorité face à ses contempo-rains : sa renommée de maître, sa condition de moine, samasculinité. Et il le fait au moment précis où Abélard a dûsubir la destruction de son livre, obligé de le jeter auxflammes de ses propres mains, ce qui a été pour lui uneautre forme de castration. En somme, c’est l’essencemême d’Abélard qui en souffre et il a eu beaucoup demal, face à toutes ses destitutions, à trouver une image,ou mieux, à reconstituer une image passible de satisfaireles exigences de son époque et capable d’apaiser leshumeurs de ses pairs. C’est finalement dans sa proprethéorie qu’il retrouvera le seul réconfort, l’unique certitudequ’à l’intérieur il continue d’être intègre et cohérent ; etl’unique moyen d’en donner raison à sa foi est de seperpétuer en ressemblant à soi-même et en restantencore proche de Dieu.

Et Héloïse ?Après tout ce que je viens de vous dire, vous aurez

certainement remarqué une immense et impardonnableabsence : celle d’Héloïse. Cela provient d’un choix déli-béré et difficile ; j’ai eu l’intention de vous présenter leconflit identitaire d’Abélard à travers quelques protago-nistes et quelques textes moins connus. Cependant, ilfaudrait dire un ou deux mots sur l’importance considé-rable d’Héloïse dans ce conflit. Ni l’œuvre philosophiqueet théologique d’Abélard toute seule, ni même les lettresde consolation de ses collègues ne pourraient résoudre lacomplexité de sa personnalité. C’est aussi grâce à laréussite du Paraclet due à ses conseils et à la directiond’Héloïse qu’il aurait dû trouver la possibilité d’harmoniserson image intérieure et son image extérieure. Malheureu-sement, nous savons par la célèbre correspondanceentre eux deux que les intentions d’Abélard n’ont pastrouvé un écho parfait chez son épouse. Elle lui a résistémagistralement en argumentant, elle aussi, avec lesarmes de son ancien professeur. Tout nous mène aussi àcroire qu’elle aurait choisi de ne pas appliquer intégrale-ment la règle qu’Abélard avait composée pour sesmoniales. Ainsi, devant celle qui le connaissait le mieux,Abélard resta – il me semble – dans la solitude intègre deson incomplétude. Après sa mort en 1142, c’est finale-ment Héloïse qui recueillit de l’abbé de Cluny, Pierre leVénérable, la première expression qui aurait pu saisirl’image d’Abélard : « Son esprit, sa langue, son œuvre

méditaient, enseignaient, parlaient toujours de chosesdivines, philosophiques, érudites » (31). �

L’auteur : João Gomes est doctorant à l’Universitéde Paris I Sorbonne et à l’EPHE (Paris).

Notes

(1) Sur ce point, les textes du catalogue de l’exposition Très Sage Héloïse,

Troyes, hors-série de la revue La Vie en Champagne, 2001, font une présen-

tation d’usage assez pratique et détaillé.

(2) Je signale que le meilleur et le plus ancien témoin des lettres d’Abélard et

de Héloïse susbsistant de nos jours parmi une tradition manuscrite réduite

est le ms Troyes MAT 802 du XIIIe siècle. Voir absolument l’article de J.

DALARUN, « Nouveaux aperçus sur Abélard, Héloïse et le Paraclet », Francia

32/1 (2005), p. 19-66.

(3) Les réflexions qui suivent proviennent en partie de mon Master brésilien,

Traces du Surgissement de l’Individu au XIIe siècle : Abélard et Héloïse,

Unesp, Franca, 2002. Je rejoins ici, en ayant un point de vue différent sur

quelques développements et quelques conclusions, les travaux récents de

Win VERBAAL, « Sens : une victoire d’écrivain. Les deux visages du procès

d’Abélard », dans J. Jolivet et H. Habrias (éd.), Pierre Abélard. Colloque

International de Nantes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003,

p. 77-90 et de Jean-Marc HEMION, « L’Imprésentable Abélard d’Héloïse »,

idem, p. 161-172. Voir aussi C. W. BYNUN, Metamorphosis and Identity, New

York/Cambridge, Zone Books, 2001.

(4) G. LOBRICHON, 1099. Jérusalem Conquise, Paris, Seuil, 1999.

(5) Le terme a été proposé par Augustin FLICHE, La Réforme Grégorienne,

3 vol., Louvain-Paris, 1924-1937 (vol. 3, Louvain) rééd. : Genève, Slatkine,

1978 et idem, La Réforme Grégorienne et la Reconquête Chrétienne (1057-

1123), Paris, Bloud et Gay, 1940 en faisant référence au pape Grégoire VII

(1073-1085) qui n’a pas été pour autant son initiateur ni le dernier à la conti-

nuer. Voir aussi : J. VAN LAARHOVEN, « Christianitas et la réforme grégo-

rienne », Studi Gregoriani 6 (1959-1960), p. 1-98 et C. VIOLANTE, « La réforme

ecclésiastique du XIe siècle : une synthèse progressive d’idées et de struc-

tures opposées », Le Moyen Âge 97 (1991), p. 355-365.

(6) GUIBERT DE NOGENT, Autobiographie, éd. et trad. E.-R. Labande, Paris, Les

Belles Lettres, 1981, L. I, XI, p. 73.

(7) J. LE GOFF, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1985 (1957).

(8) P. DRONKE, Abelard and Heloise in Medieval Testimonies, Glasgow, Univer-

sity of Glasgow Press, 1976, p. 51 (édition d’après le ms. Berlin, Deutsche

Staatsbibliothek, Phill. 1852, ff. 204v-205r du XIIIe siècle) : Petrus hic iacet

Abailardus, /Cui soli patuit scibile quicquid erat.

(9) Et sic, eadem defuncta ad tumulum apertum deportata, maritus eius qui

multis diebus ante eam defunctus fuerat, elevatis brachiis illam recepit, et ita

eam amplexatus brachia sua strinxit, idem, p. 51.

(10) Lettes d’Abélard et Héloïse, texte établi et annoté par Eric Hicks et Thérèse

Moreau, préface de Michel Zink et introduction de Jean-Yves Tilliette, Paris,

Le Livre de Poche [Lettres Gothiques], 2007, p. 45.

(11) Lettres d’Abélard et Héloïse, p. 51.

(12) Voir le portrait que l’auteur fait d’Abélard et de son enseignement dans

Ioannis Sarasberiensis Metalogicon, éd. J. B. Hall, Turnhout, Brepols, 1991.

(13) Lettres d’Abélard et Héloïse, p. 57-59.

(14) G. LOBRICHON, Héloïse. L’Amour et le Savoir, Paris, Gallimard, 2005, p. 143 :

« A quel âge a-t-elle été présentée aux religieuses d’Argenteuil, nous l’igno-

rons autant que la raison qui a donné au chanoine Fulbert, quelques années

plus tard, autorité sur l’éducation de sa nièce. On apprend pourtant au

détour des textes que des fillettes de quatre, cinq ans sont entre les mains

des moniales (c’est le cas d’Elisabeth de Thuringe). Par hypothèse, je

retiens ce qui suit par des faits : Héloïse a été confiée aux dames d’Argen-

teuil, elle pouvait avoir cinq ans alors ; rien n’interdit en outre d’imaginer

que cela se produise aux alentours de 1096, lors des premiers départs en

croisade, ce qui situerait sa naissance aux alentours de 1090, 1092. Plus tôt

qu’on ne croyait ».

(15) ABÉLARD, De l’Unité et de la Trinité Divines, introd., trad. et notes de J.

Jolivet, Paris, J. Vrin, 2001. Voir aussi : J. JOLIVET, « Sur quelques critiques

de la théologie d’Abélard », Archives d’Histoire Doctrinale et Littéraire du

Moyen Âge 30 (1963), p. 7-51.

LA PENSÉE MÉDIÉVALE

La Vie en Champagne n° 57 > 15

(16) Lettres d’Abélard et Héloïse, p. 95.

(17) « Lettre de Foulques, prieur de Deuil, à Pierre Abélard », dans Héloïse et

Abélard. Lettres et Vie, intr. et trad. par Y. Ferroul, Paris, GF-Flammarion,

1996, p. 200. Texte latin dans Migne, PL 178, 371-376.

(18) Lettre de Foulques, p. 204.

(19) Lettres d’Abélard et Héloïse, p. 77.

(20) La Règle de Saint Benoît, éd. A. de Vogüé et J. Neufville, Paris, Cerf

(Sources Chrétiennes, 181-186), 1972.

(21) Ep. 193 : Ad magistrum Ivo cardinalem, PL 182, 359 : Magister Petrus Abae-

lardus, sine regula monachus, sine sollicitudine praelatus, nec ordinem

tenet, nec tenetur ab ordine. Homo sibi dissimilis est, intus Herodes, foris

Joannes ; totus ambiguus, nihil habens de monacho, praeter nomen et

habitum. Sed quid ad me ? Unusquisque onus suum portabit… Transgre-

ditur terminus quos possuerunt Patres nostri… Homo est egrediens

mensuram suam, in sapientiam verbi evacuans virtutem crucis Christi. Nihil

nescit omnium quae in caelo et quae in terra sunt, praeter seipsum. Voir Win

VERBAAL, « Sens : une victoire d’écrivain… » op. cit. Après avoir fini cet

article, j’ai pu avoir accès au texte de M. B. PRANGER, « Elective Affinities :

love, hatred, playfulness and the self in Bernard and Abelard », dans S.

Gersh and B. Roest (ed.), Medieval and Renaissance Humanism. Rhetoric,

Representation and Reform, Leiden/Boston, Brill, 2003, p. 55-72, qui

travaille sur les mêmes passages des lettres de Bernard sur Abélard et qui

répond de façon très intéressante aux questions esquissées dans mon

texte.

(22) Ep. 332 : Ad G. cardinalem, PL 182, 537 : Habemus in Francia monachum

sine regula, sine sollicitudine praelatum, sine disciplina abbatem. Petrum

Abaelardum, disputantem cum pueris, conversantem cum mulieribus.

(23) J. JOLIVET et J. VERGER, Le Siècle de saint Bernard et Abélard, Paris, Perrin,

2006, collection Tempus, p. 209.

(24) J. JAVELET, « La Création ad extra. III : Parenté et Image » dans Image et

Ressemblance au Douzième Siècle, Paris, Letouzey et Ané, 1967, p. 135-

138.

(25) Trad. citée dans J. JOLIVET et J. VERGER, op. cit., p. 182.

(26) « Lettre de Roscelin à P. Abélard », trad. Y. Ferroul, op. cit., p. 191-196 (ici

p. 192-193) ; texte latin dans PL 178, Ep XV : Quae est Roscelini ad P. Abae-

lardum, 357-372.

(27) Lettre de Roscelin, p. 193.

(28) Lettre de Roscelin, p. 194.

(29) Lettre de Roscelin, p. 195-196. Texte latin : Si igitur neque clericus neque

laicus neque monachus es, quo nomine te censeam, reperire non valeo. Sed

forte Petrum te appelari posse ex consuetudine mentieris. Certus sum

autem, quod masculini generis nomem, si a suo genere deciderit, rem

solitam significare recusabit. Solent enim nomina propria significationem

amittere, cum eorum significata contigerit a sua perfectione recedire, Neque

enim ablato tecto vel pariete domus, sed imperfecta domus vocalibur.

Sublata igitur parte quae hominem facit non Petrus, sed imperfectus Petrus

appellandus es. (…) Plura quidem in tuam contumeliam vera ac manifesta

dictare decreveram, sed quia contra hominem imprefectum ago, opus quod

coeperam imperfectum relinquo, PL 178, 372.

(30) ABÉLARD, De l’Unité et de la Trinité Divines, op. cit., L. II, ch. IV, p. 81-83.

(31) PIERRE LE VÉNÉRABLE, « Ep. XXI », PL 189, 351 : Mens ejus, lingua ejus, opus

ejus, semper divina, semper philosophica, semper eruditoria meditabatur,

docebat, fatebatur.

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LA PENSÉE MÉDIÉVALE

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