Pied-à-terre à Piémanson au FIIE
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PIED-À-TERRE À PIÉMANSONun d ispos i t i f ar t i s t i que par t i c i pa t i fphoto stud io performance 2009-2010
ANNE RANSQUIN MARIELLE CHAUVIN
JORGE LUIS ALVAREZ PUPOTHIERRY JULLIAND
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Les plages splendides perdues aux confins de la Camargue sauvage, autour de l’embouchure du Rhône (Beauduc, la plage
Napoléon), où le campement des familles de la région était toléré depuis des décennies, ne s(er)ont plus accessibles.
Beauduc a « fermé » ; les occupants qui y vivaient à l’année ont été expulsés.
A la plage Napoléon, un vaste espace de parking fait maintenant le bonheur des touristes d’un jour, mais les caravanes et
leurs estivants semi-permanents de jadis y sont désormais non grata.
A Piémanson, il n’y a pas d’eau courante, ni électricité, ni sanitaires, ni magasins, ni internet... A l’ère où tout se normalise,
loin des bungalows numérotés, chaque caravane, chaque campement est aménagé, personnalisé... c’est la dernière plage
en France à connaître une forme d’occupation temporaire libre et “autogérée” sur un territoire naturel en bord de mer (en
infraction à la loi Littoral). L’été 2010 sera vraisemblablement le dernier.
Conscients des enjeux socio-économiques, politiques, touristiques et environnementaux liés à cette forme d’occupation
en plein parc naturel de Camargue, le Collectif Art’chivistes y a vu un bel exercice à y mener sur les traces des mémoires
populaires. Nous y avons donc monté un projet de photo studio performance, invitant les estivants à venir y prendre la pose
et nous raconter leur(s) histoire(s) avec la plage.
Durant l’été 2010, les 4 membres d’art’chivistes retournent à Piémanson pour y proposer cette fois aux Piémansonnais un
studio itinérant. Non plus en numérique, mais en photographie argentique moyen format... dispositif léger et mobile, il
permettra de poursuivre l’exercice de création et de collecte d’archives. Sorte de radiographie sélective de la plage, nous
livrerons aux familles qui nous connaissent déjà le travail déjà réalisé en 2008-2009 et leur proposerons à nouveau de se
mettre en scène, cette fois devant leurs installations et campements.
L’Ephéméride, collectif d’art’chivistes
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II
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Le collectif (association 1901, artistes et activistes se retrouvent dans « art’chivistes ») a été créé en France, en septembre
2009 par Marielle Chauvin et Anne Ransquin en vue de la préparation du projet de photo-studio autour de Piémanson. En
2010, les photographes Jorge Luis Alvarez Pupo (Cuba-Brésil) et Thierry Julliand (France-Belgique) rejoignent le collectif
pour une nouvelle expérience photographique à Piémanson et pour développer de nouveaux projets en Europe et ailleurs.
Les objectifs de l’Ephéméride sont la création de conditions d’échange de compétences (par des ateliers, résidences, mais
aussi via un espace participatif sur le web) pour promouvoir des projets visant l’archivage et la préservation des mémoires
collectives du riche patrimoine humain immatériel.
Dans un souci d’implication dans le présent et considérant avec inquiétude l’évolution des rapports de force mondiaux
actuels, le formatage de l’offre médiatique et culturelle globale, les exodes de populations qui coupent les liens culturels,
familiaux, sociétaux et environnementaux, nous travaillons prioritairement avec des populations ayant un accès limié aux
TIC (en privilégiant des partenariats Sud-Sud) afin de leur permettre de surmonter l’obstacle technologique et d’ouvrir de
nouveaux champs et modes d’expression.
OBJETS DE L’ASSOCIATION
La promotion et la transmission par l’audiovisuel, la photographie et le multimédia de la mémoire de lieux et de formes de vie
précaires, périphériques, nomades, archaïques ou menacées de disparition.
La création de conditions d’échanges et de partage de compétences technico-artistiques, intellectuelles dans le domaine des
nouveaux outils de communication en Europe et ailleurs dans le monde.
MOYENS D’ACTIONS
Ateliers/workshops dans le domaine de l’audiovisuel, du multimédia et de la photographie et du reportage journalistique.
Manifestations ayant pour supports des œuvres traitant des questions de mémoire, de transmission culturelle, de la connais-
sance de ces modes de vie particuliers.
Expositions virtuelles et publications sur internet. Expositions lors d’événements culturels.
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ANNE RANSQUIN
Historienne de formation, elle travaille en presse écrite durant 3 ans ( journal Le Soir). L’opportunité de collaborer comme assistante sur des projets de films documentaires en Belgique et à l’étranger lui ouvrent le champ de la photographie documentaire. Raconter des histoires en images, mêler les outils multimédia, échanger lors d’ateliers. Elle travaille actuellement à Bruxelles sur un projet documentaire sur le Congo. et les cinquantenaires des indépendances. Membre du collectif de photographes Caravane (Belgique) et Art’chivistes (France), elle développe divers projets artistiques et d’ateliers liés à la photographie et aux médias communautaires.
w www.anne-ransquin.be
www.issuu.com/phototypographics
www.collectif-caravane.com
MARIELLE CHAUVIN
Licenciée de philosophie et d’histoire de l’art, elle découvre la photographie aux côtés d’Aurore de Sousa qui la guide dans l’élaboration d’un journal photographique. Elle réside une année à Bruxelles où elle suit des cours au sein de l’École nationale supérieure des arts visuels de la Cambre. À Aix-en-Provence, elle entreprend ensuite un master de recherche en esthétique et philosophie de l’art. Allocataire-monitrice à Paris 8, elle termine une thèse sous la direction de Mr Plinio Prado Jr portant sur la fiction à l’œuvre dans les images fixes. Elle enseigne la philosophie et anime un atelier photo au lycée français d’Alexandrie et d’Accra (septembre 2010).
w www.marielle-chauvin.odexpo.com
http://al-iskandarrya.blogspot.com
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JORGE LUIS ALVAREZ PUPO
Né à La Havane en 1970. Diplômé en photographie de l’Institut international de journalisme José Martí (La Havane, Cuba); il a participé à l’atelier de photojournalisme donné par Colin Jacobson à La Havane. Son travail photographique est représenté dans plusieurs collections, le Musée Albertine à Vienne, Autriche; la Collection photographique de la FNAC à Paris, la Pinacothèque de Sao Paulo, Brésil, la Govinda Gallery, aux USA. En 2003, Perceval Press a publié son livre « Trance », sélectionné à la « top ten » liste annuelle du magazine Art Forum. Pupo a reçu la Mention spéciale du jury aux 5es Rencontres de la Photographie africaine à Bamako, Mali, en 2003.
w www.pupophotography.com
www.younggalleryphoto.com/photography/alvarez_pupo/alvarez.html
THIERRY JULLIAND
Né en 1969 à Marseille, il fait des études scientifiques à Toulouse. En 1994, il s’installe en Belgique. Suit en 1997 une formation en infographie au Cepegra et devient graphiste free lance dans diverses agences de publicité bruxelloises. En 2004, il lance la société Pili.be qui devient en 2008 T’ink Studio, studio graphique et atelier de tirages photographiques fine art. Il fréquante différents cours du soir de photographie : Sint Lukas, Ecole de photographie de la Ville de Bruxelles, Atelier Contraste... En 2007, il participe avec Anne et Marielle à un atelier international à Bamako durant les Rencontres africaines de la photographie qui aboutit à une série d’expositions à Bamako, à Bruxelles, en France. En 2010, il remporte le prix Fotografiecircuit Vlaanderen lors du 16e Concours de pho-tographie ouverte du Musée de la Photographie de Charleroi.
@ [email protected] w www.pili.be
www.tinkstudio.be
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RÉFÉRENCES WEB
L’ÉPHÉMÉRIDE, COLLECTIF D’ART’CHIVISTES
www.facebook.com/artchivistes
/ Issuu
www.issuu.com/artchivistes
/ Blog
http://artchivistepiemanson.blogspot.com
/ Publications
http://www.so-multiples.com/revue/numeroc.php
http://www.viewmag.be/site/index.php?node_id=229
http://issuu.com/artchivistes/docs/piemanson_studio_photo
http://issuu.com/artchivistes/docs/l_hiver
http://issuu.com/artchivistes/docs/2009_portfolio_piemanson
/ Projection « Photomatic » au Bar du Matin / Bruxelles
http://issuu.com/phototypographics/docs/bdm_artchivites
AUTRES
/ Collectif Caravane, Regards croisés à Piémanson
http://www.collectif-caravane.com/pages/piemansoncollectif.html
/ Atelier international de photographie de Bamako (Mali, 2007)
http://www.photo-contraste.com/bamako/index.html
http://issuu.com/phototypographics/docs/dp_expo_bamako_2009
http://www.la-metairie.fr
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INTRODUCTIONPiémanson est un lieu unique en son genre, logé au cœur du delta du Rhône, cette plage située au bout de la départe-
mentale qui mène d’Arles à Salin-de-Giraud accueille les derniers robinsons d’Europe. En effet, entre mai et septembre,
« tolérés par les pouvoirs publics jusqu’à maintenant », les « gratte-plage » comme certains les appellent viennent poser
leur caravane face à la mer. En peu de temps, la plage devient un véritable village où chacun joue de son ingéniosité et de
sa créativité pour singulariser son campement. Piémanson est un de ces lieux où l’on réalise ces rêves d’enfant : construire
une cabane sur la plage et y vivre. Ne respectant pas la loi littorale, ce lieu est amené à disparaître dans les années à venir.
Avec les membres du collectif Art’chivistes, nous avons imaginé un dispositif scénique sur la plage. En effet, transformant
une vieille caravane en studio photo, nous avons demandé à ces Piémansonnais de longue date de venir se mettre en
scène devant nos objectifs. Se prêtant au jeu du dispositif, cette expérience photographique a été l’occasion d’une prise
de conscience collective. La mise en scène de soi en tant qu’occupant actif de Piémanson mais aussi en tant que détenteur
d’une mémoire qui ne s’est jamais écrite est l’occasion d’une série d’images, portrait(s) éphémère(s) d’un lieu en voie de
disparition.
DISPOSITIF La plage de Piémanson est depuis quelques années une mine visuelle et télévisuelle sans précédent : reportages de TF1,
France 3. « Piémanson est ses robinsons » est un de ces derniers hauts lieux « exotiques » en Europe rivalisant avec « la
banlieue et ses sauvages ». Comment montrer ce lieu autrement ? Comment représenter ces lieux « a-normaux », « hors
norme », hors de l’exotisme qui nous rend aveugle et sourd à leur forme de vie ? Imaginer un dispositif scénique partici-
patif fut donc le premier enjeu de Pied-à-terre à Piémanson. Le collectif Art’chivistes a donc posé une caravane comme les
autres, au milieu des autres, avec l’aide précieuse des occupants des lieux. La caravane a été transformée en un sommaire
studio photo. Dans un dispositif restreint – lit de caravane, recouvert d’un drap noir, rideaux blancs – nous avons invité les
occupants de la plage à venir poser.
un d i s p os i t i f a r t i s t i q u e p a r t i c i p a t i fPAR MARIELLE CHAUVIN UNIVERSITÉ DE PARIS VIII / COLLECTIF ART’CHIVISTES
Article publié dans « Scènes contemporaines », 2010
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S’ensuit alors l’amorce d’une démarche participative : il faut inciter les vacanciers à venir poser. Il ne s’agit plus de s’intro-
duire chez eux, en anthropologue, mais de les inviter à participer à une mise en scène d’eux-mêmes en « Piémansonnais »
dans notre dispositif caravane. Pourquoi venir poser ? Et d’abord, pourquoi faire un studio photo dans une caravane ? Hors
de l’aspect mercantile, certains ne voient pas l’intérêt d’une telle démarche. Il faut alors expliquer, parfois convaincre, que
venir poser, « offrir son visage » est ici un acte militant, le « hic et le nunc » d’un lieu tellement fragile et tellement décrié.
Venir poser dans la caravane, prototype anonyme du mode de vie piémansonnais, c’est témoigner du « ça a été » du lieu : j’y
étais et j’y étais heureux. Venir poser, c’est mettre son corps en scène dans un lieu où il faut trouver sa place. La nudité sur la
plage et dans les caravanes va de soi, ici, rentrer pour poser en tenue de plagiste entraîne un instant de gêne, de confusion.
On se recoiffe, on se réajuste car on sait que l’on met ici son corps en barrage. Le problème, c’est le temps.
A la mise en scène de soi s’associe alors un récit de soi. En effet, venir poser dans la caravane s’accompagne nécessairement
d’une histoire. Il ne faut pas seulement trouver sa place dans l’espace mais il faut aussi se situer dans le temps. Chacun, à
sa façon, va raconter son Piémanson, sa rencontre avec les lieux, son histoire. On vient à Piémanson pour s’y ressourcer, y
retrouver « un je-ne-sais-quoi de vrai ». Le mot « liberté » revient tant de fois... Des enregistrements de ces témoignages
toujours particuliers, souvent anecdotiques, sont réalisés à la fois dans le studio et hors du studio. Il n’y a pas de discours
théorique sur Piémanson, il n’y a que des morceaux de vie racontés, des variations sur le même thème : le bonheur d’oc-
cuper les lieux. Aux portraits photographiques s’ajoutent des portraits écrits de personnages qui incarnent chacun à leurs
façons l’esprit de la plage. En voici des extraits :
IRÈNE
Ta caravane ressemble à une cabane d’enfant, on y dort sous la douce lumière des paréos bleu, rose et
jaune, la porte n’est pas fermée mais il faut un sésame pour entrer. Le matin, la cabane devient maison
de femmes, on y cause, on y rit, on se raconte des histoires pour les filles parfois tristes parfois gaies et
souvent les deux en même temps, un peu comme la vie. (…)
KAREN
Décrire Karen est la tâche la plus difficile qui soit. Non qu’elle soit indescriptible ou impressionnante, mais
plutôt parce qu’elle incarne certainement à elle seule tout ce qu’on peut aimer à Piémanson. Mieux vaut
alors peut-être une histoire :
Depuis de longues années, au fin fond d’un endroit sauvage et ensoleillé de la Camargue, vit une reine.
Elle veille sur un royaume éphèmère qu’on appelle Piémanson. Ses sujets ne sont pas les plus disciplinés
qui soient : certains boivent trop, d’autre refusent de mettre de vêtements, certains sont des enfants ter-
ribles qui vont et qui viennent, d’autres encore ont un fichu carafon. Mais la reine, elle, les prend comme
ils sont. Elle sait comment parler à chacun d’entre eux, elle sait se taire, elle sait rire, elle sait s’en aller. (…)
Peu à peu donc, le dispositif de Pied-à-terre à Piémanson se met donc à fonctionner comme lieu de création d’une archive
vivante, multiforme, éphèmère, mais aussi comme le lieu d’une prise de conscience d’un enjeu collectif.
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TÉMOIGNER ? En participant au « dispositif-caravane », les Piémansonnais témoignent donc de « l’ici et du maintenant » barthésien de ce
lieu atypique. Ils restituent par leur présence et leurs mots l’aura authentique des choses, si triviales et naïves fussent-elles.
La philosophie cherche depuis toujours à formaliser la compossibilité du chacun et du tout le monde, l’être-là et l’être en
commun. Il y a dans le projet Pied-à-terre à Piémanson, le rêve un peu de n’oublier personne, de saisir le singulier de chacun
tout en montrant le lien entre tous. Dans l’attention particulière qu’accorde le portrait au visage, chacun se montre irrem-
plaçable dans la complexité singulière de sa vie ; dans l’exercice même de la répétition dans un lieu toujours identique,
chacun est remplacé dans l’innombrable, dans le générique de l’humanité et de l’histoire.
A propos de son travail Hommes du XXe siècle, archive photographique systématique et neutre de l’Allemagne de l’entre-
deux-guerres, August Sander déclarait en 1927 :
On me demande souvent comment l’idée m’est venue de créer cette œuvre : voir, observer et penser est
la réponse.
En toute modestie, Pied-à-terre à Piémanson ne pourrait aspirer à une autre devise car c’est bien l’aspect réitératif et im-
personnel de la galerie des portraits caravane qui fait surgir le caractère fondamentalement « métis » des Piémansonnais.
Les portraits montrent que vouloir cataloguer les « gratte-plages » en une population asociale, marginale, sans conscience
écologique comme voudraient le faire croire certains pouvoirs publics (et certains médias) est un mensonge. Les portraits
donnent à voir des couples, des familles, des amis, des jeunes, des anciens, des enfants réunis dans une seule et même
forme de vie qui permet, le temps d’une saison, de jouir librement de l’eau et du soleil. N’oublions pas que l’œuvre d’August
Sander fut confisquée et brûlée par les nazis en 1936. Le portrait bigarré et protéiforme de l’Allemagne que donnaient à
voir ses images ne correspondait sans doute pas au modèle unique auquel aspirait le parti.
La pratique systématique du portrait à laquelle s’est livrée August Sander dans l’Allemagne du début du XXe siècle, pratique
que l’on retrouve dans l’œuvre de Malick Sidibé dans son studio photo bamakois des années 60 ou encore dans « Back in the
days » retraçant le Harlem des années 80 par Jamel Shabazz, est en soi un acte militant. Cette pratique oppose à l’idée d’une
unicité totalisante et annihilante l’image d’une société, ici une société éphémère et ponctuelle, la vision d’une humanité
caractérisée par sa diversité. C’est dans la multiplicité des visages et des formes de vie que naît la volonté de vivre ensemble
à un moment donné du temps. La systématicité et la nudité du dispositif de prise de vue mis en place dans la caravane
gomment les « rôles » sociaux ordinaires. Tout le monde est en maillot dans une quasi-nudité qui ne permet pas d’identifier
les gens à leur manière de se vêtir, de se présenter. Le contexte hors plage n’existe pas et d’ailleurs on n’en parle peu ou
pas. Ainsi, c’est bien le visage qui apparaît, « visage » au sens où peut l’entendre Emmanuel Lévinas dans Ethique et Infini :
Le visage est signification, et signification sans contexte
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WORK IN PROGRESSPiémanson est un lieu à dimension variable, impossible de faire le tour, de recenser véritablement. C’est aussi ce qui fait
son charme, la liberté d’aller et de venir. De fait, l’archive est nécessairement infinie, sans cesse à parfaire et à refaire. C’est
le sens du texte intitulé « Aux oubliés, aux inconnus, aux anonymes ».
Au projet d’ « archivage » initial s’est donc peu à peu greffé l’éphémère auquel nous avons dû nous faire quand vous, les
inconnus, les oubliés, les anonymes vous nous échappiez presque à chaque fois. Peu à peu, la tâche s’est avérée impossible
à complaire, toujours à refaire et à re-voir, à re-penser. Comme peut l’écrire Arlette Farge dans Le goût de l’archive :
Il faut partir d’événements banals de la vie quotidienne pour repérer des identités sociales. L’archive per-
met de « comprendre comment une population se pense elle-même.
L’essentiel dans Le goût de l’archive serait donc justement l’inverse de la complétude, à savoir une disponibilité que le
chercheur doit sans cesse renouveler. Garder le goût de l’inaccompli, voilà ce à quoi invite cette historienne spécialiste du
XVIIIe siècle. Ainsi, la constitution d’une archive de Piémanson ne peut être qu’une quête des entrelacs, des interactions et
de leurs représentations dans l’espace de la plage.
Hors du studio, la géographie de Piémanson ne cesse de se modifier au gré des allers et venues des Piémansonnais. Si des
repères existent du fait de l’installation en campements des caravanes, le lieu change sans cesse et les petits drapeaux des
résidants ne servent parfois qu’à tromper davantage. De part et d’autre de la « piste », arpenter Piémanson, c’est suivre
la ligne d’eau, aller jusqu’au Rhône ou en revenir, mais c’est aussi se perdre dans un dédale toujours mouvant. Comment
rendre compte de cet espace ? Les images du hors studio témoignent des signes de vie de cet en dehors, de ces moments
de vie propre à la plage, de l’habitat, des habitus… Un dispositif pour arpenter le « rien » – puisque aucun point de vue
remarquable n’émerge – reste à inventer pour poursuivre cet archivage créatif et militant. Dessinons des cartes, série d’iti-
néraires arbitraires où chacun découvre ce qui peut être vu et à voir à partir du seul dispositif adopté. Autrement, c’est vrai,
il n’y a peut-être rien à voir à Piémanson.
Le projet Pied-à-terre à Piémanson, parce qu’il est multiple, inépuisable (tout au moins jusqu’à une fermeture de la plage) et
participatif, pose nécessairement la question de sa forme ? Comment le montrer ? Durant l’élaboration du projet, la forme
du blog est apparue comme évidente, permettant à la démarche participative de se prolonger ; aux critiques et remarques
de s’exprimer. Chacun devenant aussi un peu acteur de la postproduction. Néanmoins une forme plus « achevée » est
encore en devenir. Il est clair que les ressources internet sont un enjeu clé de cette archive « in progress ». Une fenêtre sur
Piémanson doit être ouverte afin de permettre aux utilisateurs de la plage de continuer à enrichir et à rendre plus complexe
et multiple l’histoire de la plage. Mais comment faire vivre aussi Piémanson à ceux qui ne connaissent pas le lieu et ne le
connaîtront sans doute jamais sinon à travers cette mosaïque toujours partielle ? Si l’occupation de la plage est tolérée
par les pouvoirs publics, il est clair que son occupation est « sauvage » et, d’une certaine façon, Piémanson ne sera jamais
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plus vraiment Piémanson le jour où il deviendra un simple camping ou le jour où les caravanes devront stationner sur un
parking. De fait, le dispositif Pied-à-terre à Piémanson doit sans doute à son tour prendre acte de cette illégalité pour occu-
per le monde de l’art hors de ces murs. Si l’art est un principe actif, ce ne peut être qu’en trouvant des formes d’expression
libérées des institutions qui le fige. Puissent les visages de Piémanson et ses histoires hanter les murs de nos villes.
Ne l’oublions pas : sous les pavés, il y a la plage…
CONCLUSIONPiémanson est aujourd’hui l’un des derniers littorals européens où l’on peut venir poser sa caravane, sa tente, son camping-
car ou sa serviette face à la mer sur le sable. Un mode de vie ponctuel et éphémère s’y est développé et s’y perpétue selon
des rituels. Ce lieu est aussi une caverne d’Ali Baba des reporters en mal d’exotisme. Toujours est-il que ce lieu est amené
à disparaître. Un jour ou l’autre, les pouvoirs publics trancheront pour une solution alternative et plus légale, comme sur
d’autres plages. Le collectif Art’chivistes a pris acte de cette fin imminente d’une forme de vie qui, quoi qu’on puisse en
penser, fonctionne à bien des égards comme « une soupape de sécurité » de nos univers si bien polissés.
Dans une caravane placée au centre de la zone d’occupation, un studio photo a été installé et les Piémansonnais sont venus
prêter leurs visages à un travail d’archive visuelle qui recquiert une participation consciente de ceux qui font le lieu. Des té-
moignages ont aussi été recueillis sous forme sonore et écrite. L’archive reste ouverte et le dispositif artistique expérimenté
est le garant de cette disponibilité, il s’adapte mais ne se clôt pas. Il requiert la présence de chacun et l’attention de tous.
Solitaire et solidaire, l’art, du cœur de son œuvre, doit prendre part au débat.
Dans le roman Sartorius, Edouard Glissant invente un peuple, les Batotous. Les Batoutos incarnent ce que pourrait être un
peuple refusant toute position essentialiste ; il ne veut pas conquérir les autres peuples et leur imposer sa vision du monde
et il reste ouvert à la diversité. Ce peuple s’origine dans l’Afrique, mais non dans une racine africaine qui aurait fait souche,
plutôt dans le déploiement d’une diaspora (celle de la souffrance et du malheur de la traite négrière, par exemple). Les
Batoutos sont donc le ferment de la créolisation, les acteurs d’un métissage permanent, produisant le toujours imprévisible
dans le chaos-monde. Il écrit à leur propos : L’éclat d’un peuple est d’arrimer la beauté de son lieu à la beauté de tout l’existant.
Les Batotous de Piémanson existent. Puisse l’art sauver au moins leur mémoire à défaut de sauver leur terre.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
FARGE Arlette, Le goût de l’archive, Point Histoire, Paris, 1997, 152 pages.
GLISSANT Edouard, Sartorius, Le roman des Batotous, Paris, Gallimard, 1999, 352 pages.
LEVINAS Emmanuel, « Entretien entre Philippe Némo et Emmanuel Lévinas », in Ethique et Infini, LGF, Paris, 1984, 120 p.
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