Petites mythologies

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Petites mythologies Le cycle débute avec la trilogie Petites Mythologies publiée en 1993 en présentant I.L. et E.L., et les mettant en scène, démontre que les actes mêmes insignifiants de la vie humaine peuvent être traités comme des objets historiques. La stratégie d'utiliser une voix extérieure, à laquelle peut s'identifier le lecteur, vise à dé-théâtraliser le souvenir en s'en tenant au plus près (les limites de la mémoire) tout en laissant planer le doute,le souvenir comme mémoire infidèle, la dimension amoureuse et utopique d'une réalité passée). Il faut bien réaliser qu'aucun des récits de ce cycle n'a la prétention de vouloir être déchiffré. Plutôt, le cycle, en tout ou en segments, est fait pour être vu, regardé et lu mais c'est au spectateur que revient la tâche d'interpréter, pour son propre plaisir, le donné visuel xénochronique. Les récits ne connaissent pas de parfait état d'achèvement mais sont plutôt laissés ouverts donnant naissance à une oeuvre complexe, celle que chaque lecteur élabore. Chaque album, chaque récit, si court soit-il, porte ainsi en lui son développement futur. Dans la majorité des albums de ce cycle, PETITES MYTHOLOGIES en étant l'exemple premier, la réalité se trouble à l'occasion de fantastique ou de féerique, cette autre vérité qui vient éblouir le quotidien en révélant l'intimité, le caché, des personnages. Apparitions, disparitions, sirènes et autres signes prennent la forme d'allégories englobant à la fois le privé et le public de I.L. et E.L.

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Contes de 1993

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Petites mythologiesLe cycle débute avec la trilogie Petites Mythologies publiée en 1993 en présentant I.L. et E.L., et les mettant en scène, démontre que les actes mêmes insignifiants de la vie humaine peuvent être traités comme des objets historiques. La stratégie d'utiliser une voix extérieure, à laquelle peut s'identifier le lecteur, vise à dé-théâtraliser le souvenir en s'en tenant au plus près (les limites de la mémoire) tout en laissant planer le doute,le souvenir comme mémoire infidèle, la dimension amoureuse et utopique d'une réalité passée). Il faut bien réaliser qu'aucun des récits de ce cycle n'a la prétention de vouloir être déchiffré. Plutôt, le cycle, en tout ou en segments, est fait pour être vu, regardé et lu mais c'est au spectateur que revient la tâche d'interpréter, pour son propre plaisir, le donné visuel xénochronique. Les récits ne connaissent pas de parfait état d'achèvement mais sont plutôt laissés ouverts donnant naissance à une oeuvre complexe, celle que chaque lecteur élabore. Chaque album, chaque récit, si court soit-il, porte ainsi en lui son développement futur.

Dans la majorité des albums de ce cycle, PETITES MYTHOLOGIES en étant l'exemple premier, la réalité se trouble à l'occasion de fantastique ou de féerique, cette autre vérité qui vient éblouir le quotidien en révélant l'intimité, le caché, des personnages. Apparitions, disparitions, sirènes et autres signes prennent la forme d'allégories englobant à la fois le privé et le public de I.L. et E.L.

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I

Les jours sans vent

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I.L. avait ouvert la porte en se demandant si après tout, au yin et au yang, il ne préférait pas le cric crac croc de ses céréales. E.L. avait oublié son mascara et son sac. E l le rev iendra i t certainement ce soir. I.L. avait faim.

La maison était silencieuse et chaude un peu jaune: une lampe brillait au salon. Un petit bibelot japonais manquait. Le lit était vide. I.L. dormirait seul ce soir.

Dans la chambre, I.L. avait repris, pour la centième fois peut-être, le coquillage trouvé un jour près d'un motel de bord de mer et y avait vu, sans pouvoir rien y faire, se noyer un matelot breton.

Il ne lui restait de sa première f e m m e q u ' u n e m a u v a i s e photographie, prise au petit matin, un jour de rage, lors d'un voyage en Europe. I.L. la conservait dans un coffret parmi le peu de choses qu'il aimait.

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I.L. avait ouvert la porte en se demandant si après tout, au yin et au yang, il ne préférait pas le cric crac croc de ses céréales. E.L. avait oublié son mascara et son sac. E l le rev iendra i t certainement ce soir. I.L. avait faim.

I.L. aurait aimé rencontrer de grandes femmes. Cependant la vie, le hasard ou simplement la malchance en avait voulu autrement. Vivant seul depuis deux ans, I.L. n'avait connu, à son grand désespoir, que de rares maîtresses de passage.

I.L. n'avait jamais souffert de complexes véritables. Certaines de ses connaissances étant affligées d'infirmités pires que la sienne. I.L. détestait depuis son enfance les corneilles, les promeneurs du dimanche et les gens qui aimaient l'opéra.

Un jour, après avoir écouté à la télévision une émission sur les mutilations sexuelles en Asie du sud-est, I.L. s'était cruellement coups sur le rebord d'une boîte de jus de fruits. On avait cru à un accident.

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I.L. avait ouvert la porte en se demandant si après tout, au yin et au yang, il ne préférait pas le cric crac croc de ses céréales. E.L. avait oublié son mascara et son sac. E l le rev iendra i t certainement ce soir. I.L. avait faim.

Un jour, traînant dans un bazar d e b a n l i e u e , I . L . a v a i t a c h e t é , s a n s t r o p s a v o i r pourquoi,une petite toile sans prétention. Plus tard, I.L. se souviendrait qu'il n'avait jamais eu qu'un seul ami.

S a n s d o u t e u n p e u exhibitionniste certains samedis d'été, I.L. aimait en se réveillant p r e n d r e d e s p o s e s avantageuses, «des poses de culturiste, ma chérie», expliquait-il à quelque rare maîtresse, nu devant son miroir.

Certains dimanches maussades d'automne, il lui arrivait de se souvenir, bien que cela soit un peu vague, d'un ami d'enfance parti un jour à la guerre. Le café sentait bon; I.L. s'efforçait de n'en prendre qu'une tasse.

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I.L. avait ouvert la porte en se demandant si après tout, au yin et au yang, il ne préférait pas le cric crac croc de ses céréales. E.L. avait oublié son mascara et son sac. E l le rev iendra i t certainement ce soir. I.L. avait faim.

Un jour, d'humeur joyeuse, I.L. avait laissé, bien en vue sur la table, un court message : «Je suis parti rejoindre une sirène. Je vous en prie, oubliez-moi sans tristesse...» Croyant au suicide, on s'était un peu inquiété. Lui riait, bien caché à la cave.

Connaissant sa grande pudeur, certains de ses amis s'amusaient à prendre devant lui des poses sans équivoque. Alors fâché, I.L. partait pour ne revenir que des heures plus tard. À la maison, on se rhabillait en riant.

À son retour, au début de la nuit, un peu de son enfance était revenu à sa mémoire. La pluie avait repris. La fin de semaine s'annonçait mal.

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I.L. avait ouvert la porte en se demandant si après tout, au yin et au yang, il ne préférait pas le cric crac croc de ses céréales. E.L. avait oublié son mascara et son sac. E l le rev iendra i t certainement ce soir. I.L. avait faim.