Petit Manuel d’Humanité Cahier 07-Le Phare ruiné d’Alexandrie

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    Jacques Henri PREVOST

    Petit Manuel dHumanit

    CAHIER 7 Le Phare ruin dAlexandrie

    MANUSCRIT ORIGINAL

    Tous droits rservs

    N 00035434

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    e Phare ruin dAlexandrie.

    Garde bien dans ton intellect tout ce que tu veux savoir,

    et moi je tinstruirai. (Herms Trismgiste - Poimandrs).

    Lil par lequel je vois Dieu

    est le mme il par lequel Dieu me voit.

    Mon il et lil de Dieu sont un seul il,

    une seule vision, une seule connaissance,

    un seul amour. (Matre Eckhart).

    Lhomme ne peut vivre que tant quil a un contact

    avec la main chaude de Dieu. (Alexandre Soljenitsyne).

    Nous allons maintenant nous pencher sur les origines de notre propre civilisation occidentale. Ici commeailleurs, lapproche historique est une dmarche indispensable. Elle seule autorise la prise en compte desinfluences rciproques des diverses civilisations primitives. Celles-ci sont entres trs tt en interaction.Dans nos rgions occidentales, elles staient dj heurtes et adaptes les unes aux autres avant mme quesoient formules les bases de notre civilisation et des religions et croyances quelle a ensuite produites ouportes. LHistoire donne une conscience plus claire des origines des mythes ainsi que de leur volution aucours du temps. Elle permet de reconnatre les situations relatives des diffrents peuples alors mme que

    leurs relations ne sont pas videntes. En Europe de lOuest, on peut ainsi tablir que lrection des mgali-thes a trs largement prcd la construction des Pyramides gyptiennes.

    Les Mgalithes sont plus anciens que les Pyramides.

    Lrection des mgalithes semble pouvoir tre place entre ~3500 et ~2500 avant le dbut de notre re. Lacivilisation des mgalithes aurait donc trs largement prcd la construction des Pyramides gyptiennes. Enoccident, elle aurait t contemporaine des plus anciennes civilisations connues, sumrienne, msopota-mienne, syrio-phnicienne, genne, crtoise et achenne. Les dolmens tabulaires ont t tardivement utilisscomme des ncropoles, mais ils avaient une vocation originelle aujourdhui oublie. Leur zone de rpartitionest trs large. Elle va de la Scandinavie lEspagne, en France, en Corse, en Afrique du Nord, Malte, enTurquie, en Palestine, en Inde, et mme en Core. Beaucoup de mgalithes ont t dtruits mais il en resteencore un grand nombre. On en dnombre quatre mille cinq cents en France, huit cents dans lle de Man,

    neuf cents en Allemagne, cinq mille en Algrie, trois cents en Core. Les menhirs ou pierres leves posentles mmes insolubles problmes. Ils sont galement parfois groups en grand nombre. Les alignements deCarnac comptent trois sries de plusieurs milliers de menhirs rangs et hirarchiss. Tous ces monuments ontt levs par des populations nombreuses et trs organises.

    Les hommes qui difiaient ces normes monuments ne connaissaient pas lcriture. Probablement Ibres,prcurseurs des Celtes, ils ne nous ont laiss que quelques vagues gravures, peut-tre symboliques, qui res-tent encore pour nous, jusqu ce jour, dpourvues de sens. Venus du mystre, ils sont rentrs dans le mys-tre. Heureusement, dautres civilisations europennes nous sont mieux connues. Beaucoup plus tard, et plusprs de nous, la civilisation lusacienne puis les civilisations celtiques de Hallstatt et de la Tne ont laissquelques vestiges. A partir du ~2me millnaire, venant dAllemagne, les peuples celtes occuprent unegrande partie de lEurope, (La Grande Bretagne, la Gaule, lEspagne, lItalie du Nord, les Balkans, lAsieMineure). Ils entrrent occasionnellement en conflit avec les Grecs ou les Hittites, (Prise de Delphe, Incendie

    de Troie).

    L

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    Cependant, les dieux oublis des Celtes et de leurs druides mtaphysiciens ne nous sont gure connus quepar les relations assez inexactes de Csar. Les Gaulois semblent avoir dabord rvr la desse mre Mlu-sine. Probablement devenus presque monothistes, ils paraissent avoir ensuite ador un grand dieu dont lestraces subsisteraient dans le mythe de Gargantua. Comme les autres Celtes, Gallois ou Irlandais, les Gauloistaient des guerriers froces et redouts. Ils pratiquaient des sacrifices de chevaux et de btail, et des sacrifi-ces humains occasionnels, parfois multiples, par noyade dans un tonneau, ou par crmation. Tous les Celtes

    croyaient lunicit et lternit de ltre, travers la multiplicit des formes de sa manifestation. Voici unerminiscence assez rcente trouve dans la tradition du Pays de Galles.

    Jai t sous de nombreuses formes,

    Avant dtre libre. (...)

    Jai t errant dans les airs, (...)

    Jai observ les toiles, (...)

    Jai t une lampe brillante, (...)

    Jai t route, jai t aigle,

    Jai t coracle sur la mer. (...)

    ( Kat Godeu Gallois ).

    La mythologie celte est dfinitivement perdue car ses rares crits sont indchiffrables. Il ne nous reste que les

    traces de quelques lgendes comme celle du roi Ambigatus (Conchobar ?) dont les neveux Segovesos (C-chulainn ?) et Bellovesos (Conall Cernach ?) auraient franchi les Alpes et fond Milan. Il y a beaucoupdautres rcits merveilleux et feriques dans les cycles insulaires dUlster et dOssian, comme la trs myst-rieuse lgende du mariage de Branwen o apparat dj le lointain anctre du Graal, le fameux chaudron dersurrection des guerriers morts au combat, ainsi que lhistoire de la tte coupe de Bran, reste vivante etprotectrice du royaume avant le roi Arthur.

    Csar nous dit des Gaulois quils taient natio dedida religionibus, une nation adonne la religiosit. Ilsusaient dune criture (hlas illisible). La classe sacerdotale des druides se proccupait surtout de concep-tions religieuses mtaphysiques, ternit des dieux, immortalit de lme, existence dun autre monde, tatsmultiples de ltre. Les druides nutilisaient pas de temples de pierres ni dimages durables. Les lieux etobjets de culte taient en bois. Il sagissait souvent de simples clairires consacres, dans les forts. Derrireles apparences du folklore lgendaire, la mystrieuse religion celtique tait la fois intellectuelle et sacerdo-tale.

    Mais les mystres concernent aussi dautres objets dans diverses rgions du Monde. Dautres secrets antiquesne sont pas rellement claircis. Citons comme exemple le mystre des goglyphes. Ce sont dimmensesfigures formes damas de pierres (souvent retournes), quon trouve dans diffrents sites du Monde, tels lesdserts dAmrique centrale ou dAmrique du Sud, mais aussi en Californie, dans lOhio, en Australie, dansle Sina, et mme en Grande Bretagne. Les plus vieux goglyphes du monde se trouvent en Australie, sur lesite de Jinmium. Ils auraient 50 000 ans. Ceux du Nguev et du Sina dateraient de 30 000 ans. En Arizona,les dessins de pierre, ou intaglios, vieux de 9000 ans, auraient t tablis par les tribus indiennes, en particu-lier les Patayams, et constitueraient des chemins initiatiques reprsentant les tapes de lexistence terrestre,en reliant le Monde des vivants et lAu-del.

    En Amrique du Nord, on peut aussi citer le tertre du Grand Serpent, dans lOhio, mais cela semble tre uneconstruction plus rcente, datant du 11me sicle. Dans les Alpes franaises, la Valle des Merveilles prsentegalement de nombreuses gravures ou inscriptions mystrieuses ralises ciel ouvert, il y a 4/6000 ans. EnAngleterre, on trouve le Cheval dUffington qui mesure 110m de long et semble dater de lge du bronze,(1500 ans avant JC.). Le Gant du Cerne Abbas, (clbre par son aspect viril particulirement avantageux),serait bien plus tardif, datant du 18me sicle. Au Prou, sur le site de Nazca, dimmenses rseaux de lignesont t dcouverts partir des survols ariens. Ils sont accompagns de dessins gigantesques reprsentant destres divers, animaux pour la plupart. Leur signification serait lie au cycle des eaux et au Dieu des sources,(Kn). Ils seraient dats de ~500 500 aprs JC. Maria Reiche, prhistorienne allemande (dcde), a consa-cr sa vie leur tude. Dans le dsert dAtacama, dans le nord du Chili, les goglyphes consistent en structu-res de pierres amasses. Les entassements reprsentent des animaux, camlids par exemple, ou des person-nages gigantesques. Le gant dAlcatama a plus de cent mtres de long. Les dessins auraient t ralisslentement par les caravaniers, partir du 4me sicle.

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    Lorsquils ont une signification religieuse, la construction de ces immenses figures pourrait tre une dmar-che dinterpellation de la divinit, en relation avec la dimension quon lui donne et avec le ciel o on la situe.Il faut que le message envoy par les petits hommes soit enfin vu et compris par le dieu invoqu qui parait nepas les percevoir. Il doit donc tre sa taille. Nous faisons parfois la mme chose, en chantant tous ensemble,pour que notre voix plus forte arrive enfin aux lointaines oreilles de notre propre Dieu, lequel parait souventbien trop sourd.

    De profondis clamavi at te, Domine.

    Domine exaudi vocem meam.

    Revenons-en donc aux cieux mditerranens. Ainsi donc, il y a trois mille huit cents ans, les Hyksos apport-rent en Egypte la rfrence Seth. Celui-ci fut parfois identifi au 3me fils dAdam et Eve, concept qui futultrieurement repris dans la religion des Sthiens. Le mythe fondateur aurait donc dj exist en Asie ant-rieure, cette poque. Au dbut de lge de fer, deux mille ans avant notre re, au Moyen Empire, sous les11me et 12me dynasties, les Egyptiens avaient colonis la Nubie et tendu leur influence sur la Phnicie et laPalestine. Ils avaient engag des relations commerciales avec tous les riverains de la Mer Rouge.

    LEgypte tait alors en contact avec les peuples extrieurs et profitait de leurs apports matriels et culturels.A ce moment, les souverains favorisrent le culte dAmon (Dogme Thbain), et les prtres sy opposrent en

    renforant le culte Osirien. Le mythe dOsiris se prsentait alors sous une forme simplifie, diffrant un peude ce que vous avez lu dans le prcdent chapitre.

    Le dieu suprme, Ptah avait cr la Terre, (le sol mle, Geb), le Ciel, (la vote cleste, Nout), spars parlAir, Chou. De la mme faon, dans le Brahmanisme indien, Brahm spara luf primordial en deux par-ties, Svarga, le Ciel, mle, et Prithiv, la Terre, et il plaa entre eux lAir, Antariksha. En Egypte, Nout sunitensuite Geb et donna naissance deux jumelles, Nek-Bt et Ist, (Nephtys et Isis pour les Grecs). PuisNout sunit son pre suprme, Ptah, et conut Oussir, (Osiris), fondateur de lEgypte. Ensuite Osiris pousaIsis et engendra Hor, (Horus), qui deviendra Harpocrate lpoque Ptolmaque.Trois cent ans plus tard, lEgypte fut conquise par des tribus asiatiques smites, les Hyksos, qui avaient deschevaux et des chars de guerre inconnus des Egyptiens. Ils sinstallrent dans le pays, pendant deux sicles,en y amenant leurs propres cultes et leurs croyances drives des religions dAsie antrieure. Cest ce mo-ment et sous cette influence trangre impose, que le mythe osirien fut modifi et quOsiris devint le fils deGeb, (le sol), et de Nout, (la vote cleste). Les Hyksos vnraient tout particulirement Seth, lun des nom-breux Baal smites. Ils en firent un dieu gyptien nouveau, autre fils de Geb et de Nout, ce qui le mettait surun pied dgalit avec Osiris. Seth fut intgr au panthon gyptien sous le nom dOussit. Les deux couplesjumeaux, Osiris (Oussir), et Isis, Seth (Oussit), et Nephti, furent alors placs sur un mme plan. Au dbut duNouvel Empire, vers ~1580 avant JC, le roi thbain Ahmosis fonda la 28me dynastie, expulsant les Hyksosqui se rfugirent en Palestine, mais Seth resta en place.

    Le dieu nouveau devint le dieu du mal.

    Les Egyptiens rglrent leurs vieux comptes avec Seth et en firent un dieu malfique personnifiant le mal.Les nouvelles bases du mythe osirien taient poses, qui mettaient en opposition le Bien et le Mal, concep-tion drive des concepts apports dAsie antrieure par les envahisseurs Hyksos. Ultrieurement, les rois

    gyptiens devinrent suzerains de la Nubie, et soumirent tribut tous les tats dAsie antrieure, la Syrie, lesroyaumes hittites, jusqu lEuphrate. Plus tard les Hittites reprirent la seule Syrie. Ramss II rtablit la paix.Entre ~1370/~1350, apparut ce que lon a appel la rvolution amarnienne.

    Akhenaton et Nfertiti instaurrent difficilement le culte monothiste provisoire dAton et fondrent la capi-tale dAkhet-Aton. Toutankhamon, successeur dAkhenaton, rtablit, aprs sa mort, le culte traditionneldAmon. Freud nous dit qu cette priode les Hbreux ont quitt lEgypte sous la conduite de Mose. Celui-ci avait ses entres au palais, et il tait donc un prince ou un gnral gyptien, (comme le dit trs clairementFlavius Josphe). Au dclin du culte dAton, lanarchie sinstalla dans le pays. Accompagn des fidles mo-nothistes irrductibles, (les futurs Lvites), Mose sduisit quelques nomades smites installs en Egypte, etles emmena la conqute de Canaan. La Palestine tait alors une colonie gyptienne. Mose ne partait doncpas laventure travers un dsert inconnu. Beaucoup plus tard, les Judens, librs par Darius, ramenrenten Egypte leur foi en un Dieu unique. Ils y revinrent en trs grand nombre aprs la conqute par Alexandre le

    Grand, tel point quAlexandrie en vint compter plus de Juifs que Jrusalem.

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    La mise en perspective temporelle permet de pointer le danger de la mise en relation indue dvnementstrop spars dans le temps. La construction des Pyramides a provoqu linvention du premier culte dOsirispar les prtres dHliopolis pendant la priode Memphite de lAncien Empire, vers ~2700. Lexpulsion desHyksos par Ahmosis vers ~1580 a entran la reformulation du mythe originel avec lintroduction du Sethjumeau, du dmembrement et de la rsurrection dOsiris. Mille deux cents ans sparent les deux vnements.La grande dure de lintervalle temporel ne peut pas tre escamote. Cela quivaudrait juxtaposer Clovis et

    Napolon, ou Hitler et Charlemagne.On peut encore moins relier sans prcaution les mystrieuses religions solaires de lpoque des Pyramidesaux mythes tardifs des priodes ptolmaque ou romaine, entre ~330 et +400, poque de lapparition progres-sive des cultes mystres, tels ceux dIsis, dOsiris, (ou Srapis), de lOrphisme, de lHermtisme, (HermsTrismgiste), de la Gnose et du Christianisme primitif, lequel nous semble bien avoir t tout autre chosequun schisme du Judasme. Pour comprendre ce qui sest pass au dbut de lre chrtienne, il faut se repr-senter clairement ce qutait rellement le contexte dans lequel les vnements se sont drouls. Lapprochequen ont les Occidentaux est trs charge de prjugs. Les premiers concernent lenvironnement ethnique etphysique. Nous imaginons un milieu compos de peuples pauvres et semi-nomades, vivant dans un environ-nement dsertique, avec des organisations, des religions et des comportements assez primitifs. Tout cela estparfaitement erron, car le contexte de cette poque est le Monde Romain.

    LEmpire de Rome est alors son apoge.

    Il a mme intgr le grand Empire dAlexandre et runit une part trs importante de la population mondiale.Il stend de la Manche la Mer Rouge et lAtlantique, incluant Grande Bretagne, Gaule et une partie de laGermanie, Ibrie, Italie, Grce et Balkans, Afrique du Nord et Egypte, Perse, Turquie, et tous les petits tatsriverains de la Mditerrane, laMare internum, la Mer Romaine prive. Malgr les innombrables difficultslies la dimension de lempire et aux ambitions humaines, les empereurs romains ont su mettre en place lesstructures politiques, administratives, conomiques, commerciales, juridiques, militaires, (et mme religieu-ses), ncessaires pour faire fonctionner cet immense ensemble et assurer sa scurit. Rien de comparable nat reproduit par la suite. Jamais dans lHistoire, les changes nont t plus faciles et plus srs, au sein delensemble mditerranen unifi, quau temps des Romains. Les cits et des campagnes reoivent leau dis-tribue par des aqueducs. Des rseaux de voies de communication, terrestres et maritimes, permettent devoyager facilement dans tout lEmpire. De nombreux voyageurs les utilisent activement pour changer lesides et les marchandises.

    Rappelons ici les vnements que nous tudions maintenant ont dbut il y a trois mille huit cents ans, entrele ~16me et le ~14me sicle, et quils se sont poursuivis pendant plus de mille ans. La Bible hbraque a trdige plus tard, entre le ~11me et le ~3me sicle avant Jsus-Christ. En cette phase de ltude, nous noussituons nettement aprs cette priode. Linfluence grecque et les ides platoniciennes ont profondment mar-qu la socit romaine. Elles se sont progressivement tendues dans tout lEmpire. Rome et Alexandrie de-viennent des foyers dillumination et des creusets de transmutation. Regardons ce qui sy concocte.

    Les penseurs turbulents mais tolrants.

    Depuis Alexandre, le phare culturel dAlexandrie rayonne sur la Mditerrane. Dans les quelques sicles quiencadrent la naissance du Christianisme, de nombreux courants de pense agitent le monde antique. Les

    diffrentes coles envoient des missions un peu partout pour rpandre leurs cultes et leurs ides, et celaconcerne aussi la Palestine et le Judasme. Cette importante turbulence amne des confrontations qui oppo-sant les vieux cultes traditionnels aux religions nouvelles, et aux ides des penseurs no-platoniciens, herm-tistes, gnostiques et chrtiens.

    Les cultes extatiques des Mystres. Il faut maintenant parler des tonnants Cultes Mystres qui taientalors pratiqus en Grce et dans tout lEmpire Romain. Les plus connus sont les Mystres dEleusis, quiclbraient le culte des deux desses, Dmter (Crs Rome), et Persphone, mais dautres cultes taientrendus Apollon, Dionysos, Cyble et Attis, Mithra, Astart, Pan, Adonis (et Atargatis, desse syrienne dontle culte tait proche du prcdent). Il faut aussi citer des cultes gyptiens trs clbres tels ceux dIsis, Sra-pis, ou Anubis, et divers Baal, (sauveurs), connus sous les noms de Jupiter Hliopolitain, en Syrie, et deJupiter Dolichnien. Avant den examiner quelques-uns uns, je voudrais vivement attirer votre attention surlimportance de ces cultes Mystres. Ils introduisent dans les pratiques religieuses antiques les concepts

    dimmortalit de lme, de salut et de rsurrection. Sous linfluence de lhellnisme qui les tolre, et aucontact des trs nombreux immigrants qui sinstallent dans lempire, les Romains accentuent encore leur

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    grande facilit dassimilation. Ils adoptent les nouveauts doctrinales des croyances trangres et transfor-ment les cultes orientaux dont les pratiques inhabituelles viennent secouer la morne monotonie de leurs habi-tudes.

    La plupart des nouvelles liturgies, (et ultrieurement le Christianisme), sadressent des dieux souffrantsdont les cultes voquent la passion. Les fidles reproduisent sur eux-mmes les tribulations du dieu. Ces

    pratiques entranent des privations pnibles et des souffrances occasionnellement sanglantes. Elles provo-quent aussi de frntiques comportements de dfoulement et des motions violentes qui fascinent les ci-toyens romains blass et fatigus par la dcomposition politique et les traditions vieillissantes. Les initispratiquent mme parfois des automutilations et des rites pnitentiels de flagellation. Des paroxysmes extati-ques accompagnent la rvlation progressive du dieu. Les liturgies, prenantes et colores, sappuient sur desinitiations successives qui expliquent les significations caches des Mystres. Elles sont accompagnes debaptmes exaltants dont les rites de mort et de rsurrection marquent la progression des initis vers le salutdans un autre monde. Dans chaque niveau initiatique, des crmonies marquent lentre dans une fraternitaccueillante, et les rituels comportent souvent des repas en commun qui soudent la communaut.

    Les Mystres dEleusis, port voisin dAthnes, taient consacrs au culte des deux desses, Dmter,(lantique Terre Mre prhellnique), et Persphone ou Cor, la fille quelle conut de Zeus, (ou de Posidon?). Dmter est identifie Crs par les Romains. Desse agraire, elle est associe au bl et labondance et

    occupe une place importante dans la religion grecque. Dans la lgende leusinienne, Hads, dieu des enfers,a secrtement enlev la jeune Cor. Dmter brise par le chagrin, abandonne sa fonction et parcourt toute laTerre pour retrouver sa fille. Dguise en vieille femme, elle entre au service de Clos, roi dEleusis,comme nourrice tandis que la Terre devient strile.

    Devant le dsastre menaant, Zeus charge Herms de librer Cor. Pour garder chez lui la jeune femme, lerus Hads lui offre une grenade, (fruit associ au mariage), dont elle mange un seul grain. Ayant ainsi got la nourriture des morts, elle doit rester aux enfers. Zeus intervient alors et dcide que Cor-Persphonerestera chaque anne trois mois chez les morts, lhiver, et quelle reviendra sur la Terre des vivants tout lereste de lanne.

    Fconde par Zeus, Persphone conut ensuite un fils, Zagrus, galement ressuscit, dont lhistoire leusi-nienne est analogue celle de Dionysos. Poursuivi par la jalousie de Hra, (ou Junon), pouse de Zeus-Jupiter, Zagrus revtit plusieurs apparences. Transform finalement en taureau, il fut dvor par les Titansmais la desse Pallas, (Athna), russit prserver son cur encore palpitant. Zeus foudroya les Titans etabsorba le cur de son fils qui, rgnr, devint Iacchos, assimil Bacchus, lui-mme identifi Dionysos.(Les Romains identifiaient Persphone leur Proserpine, desse des Enfers).

    Les Eleusinies sont les ftes les plus connues du culte de la desse. Elles auraient t institues linitiativede Triptolme, fils de Cros, qui avait reu de Dmter la mission de rpandre le bl partout dans le Monde.Ils semblent provenir de cultes agraires primitifs assez fortement modifis en syncrtisme avec des cultesdionysiaques et lOrphisme. Ils taient annuellement clbrs dans le Tlestrrion dEleusis et faisaient parti-ciper le fidle la rsurrection de lenfant divin revenu de lempire de la mort. Il nous faut donc prsenter cetOrphisme, qui, en raison de la concordance des mythes orphites et leusiniens, russit sinfiltrer dans lareligion athnienne, influenant les rites des Mystres.

    Ctait une religion initiatique tendance monothiste marque. Elle reposait sur les philosophies pythagori-ciennes, platonicienne puis no-platonicienne et rassemblait donc diverses doctrines professant limmortalitde lme et la succession de cycles de rincarnations jusqu la purification dfinitive. LOrphisme proposaitaux fidles des rites mystiques, des suites dinitiations, et des rgles asctiques de vie. Les adeptes taientopposs toute violence. Ils taient vgtariens et ne consommaient aucune chair.Dans le mythe orphite, la mre de Dionysos, Sml, tait mortelle. Aime de Zeus, elle mourut deffroi ausixime mois de sa grossesse, la vue de la gloire du dieu. Zeus-Jupiter porta alors lenfant cousu dans sacuisse jusqu sa naissance. A travers sa double naissance, mortelle par sa mre et divine par son pre, Dio-nysos apportait lnergie sacre la nature ordinaire. Chaque anne, il entrait en cortge dans la cit grecquequi laccueillait avec des ftes bruyantes et colores. Il se manifestait diffremment dans les Mystres extati-ques accessibles aux seuls initis.

    Les deux lgendes concordent, mais ici Dionysos-Bacchus est originellement le fils de Zeus et de Pers-phone. Egalement jalous par Hra, il est tu et dvor par les Titans primordiaux. Zeus les foudroie, sauvant

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    le seul cur dont il fconde Sml. Dionysos ressuscit est ainsi n deux fois, ce qui est aussi son nom. Leshommes naissent des cendres des Titans foudroys. Leur nature est donc animale et matrielle, mais ils rec-lent cependant en leur me une parcelle du Dieu dvor.Sachez aussi que, dans le systme thogonique des adeptes dOrphe, six gnrations divines se succdent enbouclant sur elles-mmes. Phans, (la Lumire originelle), Fils de Zeus et de Mtis, est le premier roi desDieux, suivi de Nuit, dOuranos, de Kronos, et de Zeus, prononc Deus par les Romains, et aussi par nous-

    mmes. Celui-ci remet enfin son pouvoir au fils, deux fois n, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatolo-gique de Phans, le Lumineux des origines.

    A Eleusis, en septembre, avant lautomne, des crmonies extrieures traditionnelles prparaient la clbra-tion des Mystres. Ces manifestations prliminaires ont t souvent dcrites et nous sont relativementconnues. Des reliques mystrieuses, (les hira sacres), taient transportes en procession jusqu Athnes etdposes dans un sanctuaire particulier, lEleusinion. Une excommunication solennelle tait prononcecontre les infidles et les impurs, puis les mystes, (les candidats jugs dignes), entraient dans la mer pour sepurifier. Aprs quelques jours de retraite et de jene, la procession immense des fidles et des mystes retour-nait Eleusis, prcde de leffigie de Iacchos, des hira, et des autorits. Les crmonies secrtes commen-aient alors, et nous devons ici avouer notre trs grande ignorance.

    Les rites des Mystres dEleusis sont rests mystrieux.

    La divulgation des rites secrets tait rigoureusement interdite. Les Mystres dEleusis taient extrmementpopulaires au-del mme des limites de la Grce, au point que la salle dinitiation, le Tlestrrion, atteignitfinalement une surface de deux mille six cents mtres carrs. Malgr le nombre immense des fidles, aucunauteur ancien na jamais commis le sacrilge de rompre cet interdit. Nous savons seulement quils taientdestins sparer les initis, appels jouir ternellement de la vraie vie au-del de la mort, des non-initisdestins au bourbier infernal. Aprs avoir rompu le jene et absorb le Kykn, simple bouillie de bl com-mmorant le premier repas de Dmter Eleusis, les mystes recevaient des initis une rvlation boulever-sante.

    Bienheureux qui a reu cette vision,

    avant de descendre sous la terre,

    Il connat ce quest la fin de la vie.

    Il sait ce quest le principe donn par Zeus

    (Pindare, Hymne, vers ~480).

    Je voudrais ici attirer vivement lattention du lecteur en le priant de remarquer que linitiation leusinienneassuraitpar elle-mme le salut et la future survie personnelle du myste. Dfinitivement sauv par les vertusmagiques de cette entremise extrieure, il ntait tenu aucun comportement thique ou moral particulier. Encela, au moins autant que par les proccupations relatives la vie future et la tendance au monothismehrite de lOrphisme, les Mystres dEleusiniens ont prpar le passage du paganisme aux cultes modernes,et tout particulirement au Christianisme.

    Adonis. Les Addonies, les mystres associs au culte dAdonis, nous sont galement mal connues. Adonisest un dieu Syrio-phnicien, driv du vieux dieu sumrien Tammouz. Dieu des arbres, des fleurs et des

    fruits, son lieu saint est Byblos. Son culte voque la mort et la renaissance de la vgtation. Rappelons lemythe. Aphrodite, desse de lamour, tombe elle-mme amoureuse dAdonis ds sa naissance. Elle confielenfant aux soins de Persphone, desse des enfers. Celle-ci sen prend son tour et refuse de le rendre sarivale. Zeus arbitre le conflit et le rsout son habitude en dcidant quAdonis vivra lt avec Aphrodite etlhiver avec Persphone. Mais Adonis part la chasse et il est tu par un sanglier furieux.

    Du sang dAdonis nat une anmone.

    Les eaux rouges du fleuve Adonis seraient teintes du sang du dieu. Moins aussi populaire que celle dAttisque nous verrons ensuite, la commmoration de sa fin tragique avait lieu chaque anne au cur de lt, Athnes, Byblos, et Alexandrie. A Byblos, terre natale dAdonis, qui sappelle ici Gauas, la fte publiquemobilise toute la population. Les jeunes filles pleurent avec Aphrodite, la mort du bel adolescent et ellestendent sa statue sur un lit mortuaire garni de fleurs. On lui offre un imposant sacrifice funraire. Ds le

    lendemain, la statue du dieu est crmonieusement redresse, puis il est proclam vivant et, lui aussi, ressus-cit.

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    Mais il y avait aussi dautres rites insolites et anciens telle lobligation faite aux femmes de se prostituer

    cette journe aux seuls trangers et den verser le prix au temple dAphrodite.

    La fte est plus simple Athnes, plus proche des vieux rites agraires. Les femmes la clbrent lintrieurdes maisons. Elles la prparent en cultivant des plantes et des aromates dans des terrines ou des couffins, les

    clbres jardins dAdonis. Cest autour de ces jardinets que se droulent les crmonies, les pleurs et leslamentations. La fte sachve par la cueillette des aromates, et des graines, promesses de plaisir et de renou-veau. Autre conteste Alexandrie, o la commmoration est monte en spectacle. Le premier jour, Aphro-dite-Isis et Adonis-Osiris sattendrissent dans un dcor champtre, accompagns de banquets, de chants, etde danses. Le second jour commence par la procession funbre. Les femmes en pleurs portent la statuedAdonis hors de la ville, vers la mer. Le dernier jour, Aphrodite descend aux Enfers et ramne Adonis res-suscit dans lallgresse gnrale.

    Isis, Osiris, Srapis, Anubis. Au sein des cultes gyptiens rpandus dans lempire, linitiation isiaque com-porte aussi une mort fictive et elle fait du myste un nouvel Osiris qui meurt et ressuscite chaque anne. Lesmystrieuses crmonies secrtes restent galement assez mal connues. Le nom dOsiris ne doit jamais treprofr. Hrodote lui-mme, qui avait t initi, est trs attentif ne jamais prononcer le nom sacr dans larelation de son voyage en Egypte, vers ~450. Voici quelques descriptions dHrodote.

    Dans le temple de Minerve, Sas, on peut voir la spulture du dieu dont il serait sacrilge de pro-

    noncer le nom (...).

    On donne de nuit, sur le lac de la Roue, Dlos, des reprsentations de sa passion que les Egyptiens

    appellent des Mystres. Jen sais beaucoup plus sur ces Mystres, mais je me garderai bien den par-

    ler, ainsi que des Mystres de Crs que les Egyptiens appellent la fte des Rites (...).

    A Sas, la nuit de la fte dIsis, tout le monde allume des lampes dehors, autour des maisons. On ap-

    pelle cela la Fte des Illuminations.

    Ceux qui nassistent pas la crmonie veillent quand mme chez eux toute la nuit et allument leurs

    lampes, si bien que, cette nuit-l, toute lEgypte est illumine.

    Un peu diffrent et plus tardif, le culte de Srapis fut lorigine de la diffusion des cultes gyptiens quistendirent ensuite lensemble du monde grco-romain. Srapis semble tre constitu par une associationentre Zeus, Osiris et Apis. Lorigine du nom nest pas claire. Il pourrait driver dOsiris-Apis, associantlimage divine du taureau aux concepts de mort et de rsurrection. Les Grecs identifiaient dailleurs Srapis Pluton, le dieu des enfers, ou Dionysos, le ressuscit.

    A Alexandrie, Ptolme Ster lui fit btir le Serapeum, un temple immense et somptueux. Au dbut de notrere, le culte de Srapis est install Rome ainsi que celui dIsis. La grande desse de vie et de rsurrection aun autel au Capitole. Elle est adore partout et son culte revt des aspects curieux et une importance consid-rable. En dpit des ractions et des destructions priodiquement ordonnes par le Snat, les cultes gyptiensdemeurent alors trs populaires, tout particulirement celui dIsis. Il apparat aujourdhui que certaines sta-tues chrtiennes, miraculeusement trouves, seraient en fait des idoles antiques consacres la trs paennedesse gyptienne.

    Les vierges noires pourraient tre des statues dIsis.

    La lgende dIsis et dOsiris est commmore Rome par deux grandes ftes, celle duNavigium ou du Vais-seau dIsis, au printemps, et celle de lInvention dOsiris, lautomne. La fte du Vaisseau dIsis dbute parun vritable carnaval, avec costumes divers et dguisements cocasses. Il est suivi dune grande processionrigoureusement ordonnance. En tte viennent les femmes, couronnes de fleurs, puis la foule, portant desflambeaux, suivie du groupe des mystes vtus de lin blanc. Les prtres avancent, le crne ras, suivis desreprsentations des dieux, statues dAnubis, dIsis-Hathor, vase dor contenant de leau du Nil (symbolisantOsiris). A la fin se tient le Grand Prtre portant une couronne de roses et un sistre dor. Au bord de la mer unvaisseau attend. Il est dcor lgyptienne, et le prtre le purifie et le consacre au nom dIsis. On le chargedes diverses offrandes apportes par la foule, on le libre, puis on le laisse sen aller au gr des courants.La fte de lInvention dOsiris commence fin octobre par trois jours de plaintes, de simulacres et de deuil quivoquent la mort dOsiris et la dsesprance dIsis recherchant le corps dmembr. Au matin du troisime

    jour, la foule sassemble pour une crmonie spectaculaire, ils crient et la joie explose.

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    Nous lavons retrouv ! .

    Les mystes sont ensuite baptiss avec de leau lustrale, le prtre appelle sur eux la bndiction divine, or-donne leur purification, et leur donne des instructions secrtes relatives aux mystres qui sont clbrs dixjours plus tard. Au soir de linitiation, le candidat vtu de blanc entre au fond du sanctuaire, et le vrai mys-tre commence. Sur celui-ci, nous ne savons pas grand chose, si ce nest que le myste passe alors le seuil de

    Proserpine et subit une mort symbolique. Au cours de la nuit, il semble que nouvel Osiris, il suivait symbo-liquement la course du soleil dans le sjour des morts. A laube, avec le soleil du matin, il rapparat vtu desdouze robes qui symbolisent les constellations. Il est couronn des palmes dHorus et revt la robe olym-

    pienne, attribut des dieux. Dans cette splendeur, il est alors prsent la foule, sur une estrade, face lastatue dIsis. Les nouvelles naissances sont suivies de banquets, ce jour l et le lendemain.

    Les cultes isiaques, par ailleurs, clbrent quotidiennement des rites qui voquent le rle solaire dOsiris. Il ya un office du matin, avec ouverture des portes du temple, allumage des feux, prsentation aux fidles deleau du Nil, (symbole dOsiris), toilette et vture des statues, chants et prires. Un autre office commencevers quatorze heures, avec hymnes et longue adoration extatique. Il dure jusqu ladieu du soir la desse etla fermeture du temple. Les dvots peuvent aussi louer des cellules pour la nuit, et une organisation conven-tuelle htelire permet mme aux fidles de faire retraite lintrieur du temple.

    On voit que lorganisation des cultes et du clerg est trs efficace. Cependant, aprs le suicide de Cloptre,incarnation pharaonique dIsis banalement tue par un aspic, la ferveur est trs prouve et la religion esttemporairement perscute. La plupart des empereurs romains vont cependant la soutenir. Caligula, Claude,Nron, Vespasien, Domitien, Hadrien, et Marc Aurle favorisent successivement le rtablissement des cultesalexandrins qui gnent lexpansion chrtienne dans lempire. Le cruel Commode, autoritairement difi,poursuit cette politique jusqu la caricature (et jusqu son assassinat). Au 2me sicle, la religion gyptiennerevitalise gagne mme les provinces extrieures de lEmpire, la Gaule, lEspagne, les plaines du Danube, etelle se rpand dans tout le Nord de lAfrique, y compris Carthage.

    Attis et Cyble. Nous entrons maintenant dans de plus sombres arcanes. Et pourtant, la sanglante religiondes mystres dAttis et de Cyble est galement une religion de salut. Aprs avoir t bien accepte enGrce, Cyble fut la premire divinit rellement trangre admise Rome. Puis, des dieux syriens et gyp-

    tiens sy installrent de faon rudimentaire. Plus tard, de vritables temples furent consacrs Isis, Astart,puis Mithra.

    Cyble est la mre de tous, la desse phrygienne de la terre, honore en Asie Mineure sous diverses appella-tions, Kubile, Misa, Hipta. Elle est parfois assimile Crs ou Dmter. Un culte analogue est celui de Ma,ou Sabazios, import de Syrie. Elle devient amoureuse dAttis quelle a trouv endormi sur la rive du fleuveGallos. Elle le coiffe dun bonnet toil, et le garde auprs delle. Attis, est le fils de la desse vierge Danaqui la conu en mangeant une amande. Il abandonne Cyble et va vivre avec la fille du fleuve, une nymphedont il est amoureux. Le chagrin de Cyble, folle de dsespoir, amne Attis sautodtruire par mascula-tion. Aprs cette mortelle et sanglante mutilation, la desse primordiale, mue, ressuscite le dieu repentantqui revient alors habiter avec elle.

    Le sacrifice dAttis prpare sa rsurrection.

    On commmore rituellement chaque anne le souvenir de la passion dAttis. Louverture des clbrations alieu au printemps, vers le 15 mars. Elle est suivie dune neuvaine, de jene, dabstinences diverses, et depnitence. Le 22 mars, au cours de la Crmonie de lArbre, on prsente aux fidles le pin sacr tach dusang dAttis. Les fidles, les galles, reproduisent la passion du dieu en se livrant des privations svressuivies de danses frntiques au son des fltes, des cymbales, et des tambourins. Certains fanatiques se cas-trent alors eux-mmes, avec des couteaux de silex mis leur disposition. Ils rendent la terre mre leursorganes virils et leurs facults de reproduction et, par cet acte, ils deviennent les fidles serviteurs, les escla-ves de Cyble, la Mre Universelle.

    La castration tant interdite aux citoyens romains, les pratiques rituelles furent adaptes aux exigences loca-les. Un sacrifice de substitution, le Taurobole, (probablement taureau de Baal), fut institu pour les Ro-mains. A Rome, cest un taureau qui est mutil. Son sang se dverse sur le myste qui est rput purifi, revi-

    gor, et ren, pour une priode de vingt ans. Il doit alors rpter la crmonie. Ultrieurement, ce baptmesanglant assurera,par lui-mme et par transfert, la rsurrection et le salut ternel de liniti, limage de la

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    rsurrection dAttis aprs son sacrifice volontaire et sanglant. Les rites de mutilation ont probablement tinduits par les pratiques de circoncision des Smites. Nous constatons aussi que, sous cette influence, ellesassociaient dj dune certaine faon la sexualit et le pch, et annonaient mme les traditions de clibat etles futures castrations de puret de mystiques comme celle dOrigne.

    Dans son traitDes dieux et du monde, le no-platonicien Sallustius nous donne une interprtation thologi-

    que de ce mythe. Cyble est la grande desse primordiale qui donne la vie. Attis est, en ce monde, lartisande ce qui est sujet au changement, cest pourquoi il est trouv au bord du fleuve. Comme les puissancesprimordiales perfectionnent continment les puissances secondaires, la Mre sprend dAttis et lui donne lapuissance cleste symbolise par la coiffure toile. Cependant Attis son tour sprend dune nymphe,symbole de la gnration. Toute gnration est destine prir. Attis en prend conscience et, craignant quedu mauvais ne sorte le pire, jette sa puissance gnratrice dans le monde du devenir et revient vivre avec lesdieux. On retrouve ici la doctrine dHerms concernant le destin de lme, la chute dans la matire et le re-tour aux dieux au prix du sacrifice de la personnalit terrestre. Dans la lgende gyptienne, Osiris aussi nestdevenu immortel quavec la perte de son phallus.

    Mithra. Cest un dieu solaire, mais aussi un sauveur des hommes. Il vient dIran par le canal des Phrygiens,et trouve probablement son origine plus lointaine dans le dieu indien vdique Mitra, lAmi . Son culte estapparu vers le ~5me sicle. Il est clbr dans le monde hellnistique qui tend lassimiler Herms. Mithra

    joue dabord le rle dun mdiateur entre Ahriman, le Mal, et le Dieu suprme, la Lumire du Soleil. Il gran-dit ensuite et en vient presque galer Ahura Mazd.

    Je le crai aussi digne de sacrifices, aussi digne de prires

    que Moi-mme, Ahura Mazd.

    (Avesta, Yasht 10, strophe 1).

    Il est une lumineuse image du Soleil, violent et guerrier, impossible vaincre et mme assimil tardivementau Sol Invictus dAurlien. Son culte ne se rpand gure qu partir de 90. Son importance devient ensuiteassez considrable, surtout chez les militaires. Voyons donc un peu le mythe. Sur lordre du Soleil, apportpar un corbeau, Mithra est associ au salut du monde en mettant mort un taureau quAhriman vientdinfecter pour vicier la source de la vie dans le monde. En sacrifiant lanimal, il rpand son sang ternelavant quil soit corrompu. De cet panchement, Mithra fait natre les plantes et les autres cratures. Il arracheses proies lEsprit du Mal et monte ensuite sur le char du Soleil. Il est donc la fois dmiurge et sauveur.Par ce baptme de sang, ses fidles obtiendront lternit.

    Ce culte Mystre comportait sept degrs dinitiation associs des symboles astraux, le Corbeau (Mer-cure), lEpoux (Vnus), le Soldat (Mars), le Lion (Jupiter), le Perse (Lune), le Courrier (Soleil), et le Pre(Saturne). Chaque groupe dinitis a un attribut et un rle prcis dans le rituel. Par exemple, les Lions brlentlencens et apportent les offrandes des sacrifices, les Corbeaux servent les repas sacramentels. La commu-naut est dirige par le Pre qui porte une mitre, une baguette et un anneau comme un vque. A Rome, lePre un Pre est le chef suprme de lglise mithriaque. Les crmonies dinitiation comportaient diversrenoncements, un baptme deau, un marquage au fer rouge sur le front, un simulacre de mise mort dumyste, et des rituels variant avec le degr abord.

    Les premiers temples de Mithra sont des cavernes troites ou des grottes naturelles o coulent des sources.Ils furent ensuite construits en pierre mais gardrent intrieurement cet aspect. Leur disposition est constante.On y trouve, droite et gauche, deux banquettes sur lesquelles les fidles sallongent la Romainepourprendre les repas sacramentels. Un couloir central va de lentre o sont places des vasques jusqu lautelo est dispose limage de Mithra clair de lampes. La vote est dcore dtoiles et les murs sont orns depeintures. Le culte est quotidien et lon sanctifie particulirement le dimanche, jour du Soleil.

    Lacte cultuel est un repas en commun. Il commmore le banquet quont fait Mithra et le Soleil aprs la mortdu taureau. Un sacrifice est offert dont la victime est consomme, parfois un mouton et souvent des poulets.Dans les initiations, on offre aux convives du pain, et semble-t-il du vin, en prononant des formules qui sontrestes secrtes. La fte de Mithra avait lieu le 25 dcembre. Elle semble stre perptue dans celle de Nol.Le culte de Mithra impliquait un systme cosmogonique complexe, qui donnait lastrologie une place im-portante dont on retrouve les traces dans les ruines des sanctuaires. Il est entr en concurrence avec le dve-

    loppement du Christianisme, tout particulirement au moment de la promotion par lempereur Aurlien dunculte solaire que nous allons rapidement voquer.

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    Sol Invictus. Quon traduira par Soleil invincible . Ce culte solaire fut lanc au 3me sicle par Aurlienqui fit lever un temple magnifique au champ de Mars, en lan 274. Lempereur considrait le Soleil commeson protecteur personnel, le proclamant Dieu Souverain de lEmpire Romain . Ce culte semble tre par-tiellement confondu avec celui de Mithra ou lui tre associ. La fte de la renaissance du Soleil aprs lhiverfut galement fixe au 25 dcembre, (qui tait dcidment une date trs demande). Aurlien tentait ainsi

    vainement de runir dans un mme culte solaire, les Chrtiens, les Mithriastes, les Syriens et les adorateursdIsis. Rappelons-nous que les souverains romains ont longtemps essay de fonder une religion universelletablissant la lgitimit de leur fonction. Ils ont dabord magnifi le culte de Quirinus, dieu fondateur, et onttabli le culte de la Rome Eternelle, en sappuyant sur le rle traditionnellement sacerdotal du prince. Ilsessayrent ensuite de capter des divinits populaires, telle Cyble par Marius,Mpar Sylla,Hercule Invictuspar Pompe. Csar prtendit prouver son ascendance avec Vnus et lui fit lever un temple dans son nouveauForum, (Vnus Gnitrix). Cela permit au Snat de diviniser lempereur de son vivant, et de lui consacrer untemple sous le nom deJupiter Julius. Aprs la mort de Csar, son culte fut institu commeDiuus Julius. Lefils adoptif de Csar, Octavien, prit ensuite le titre deDiui Flius, fils du divinis. Le culte imprial tait fon-d.

    Nous avons vu que les traditions romaines montraient une trs grande tolrance vis--vis de tous les cultes.Par contraste, la maison de lempereur avait russi transformer le respect des exigences du culte imprial en

    preuve de loyalisme envers Rome et son empereur. Cette politique cra de srieuses difficults (dont ontrouve la trace dans divers crits dont lEvangile). Les mentalits avaient volu. Les multiples divinitstaient de plus en plus considres comme les manifestations diversifies, les avatars, dune mme unique etgrande divinit universelle. En accord avec la pense sumrienne qui croyait que lhumanit progressait parvagues successives vers laccomplissement ternel, pour exprimer cette situation, nous dirons qu ce mo-ment de lEternit.

    La vague humaine a franchi un seuil dvolution spirituelle.

    On comprend mieux alors les essais varis qui tendaient tablir un culte romain national, politiquementindispensable. Les premiers pressentis avaient t Hercule, au 1er sicle, et surtout Isis, la Suprme Souve-raine, la Mre Universelle. Le pansolarisme dAurlien subsista cependant, timidement, jusquau toutdbut du 5me sicle. Il semble avoir t la dernire tentative impriale pour adapter les structures religieusesdEtat cet hnothisme, cette recherche dune dit souveraine et universelle, qui progressait rapidementdans les mentalits.

    Le succs limit dun culte bti sur la religion romaine traditionnelle et impos par lappareil dEtat, ne rsis-ta pas longtemps face aux puissants attraits mystiques des religions mergentes, aux nouveaux comporte-ments thiques des fidles, et aux merveilleuses promesses dternit des libres et mouvants cultes myst-res des Gentils qui crivaient alors.

    En ce qui regarde Dieu, quon tienne fortement ces quatre principes,

    la foi, la vrit, lamour, et lesprance.

    Il faut croire quil ny a de salut

    que dans la conversion vers Dieu.

    (Lettre Marcella - Porphyre - No-Platonicien - Vers 300).

    Il ne restait aux empereurs quune seule possibilit pour reprendre la main, promouvoir lun de ces cultes enlassociant aux pouvoirs dtat, politique, civil et militaire. Ils semblaient devoir logiquement choisir la po-pulaire religion damour, de joie, et dternit des pacifiques adorateurs dIsis, ou bien le culte viril de Mi-thra, si proche du culte solaire quils prnaient. Etonnamment, pour des motifs personnels tout fait mineurs,ils firent un autre choix. A ce moment, peut-tre, la vague de vie a pu rater la marche.

    Et, pour mille ans et plus, la face du monde en fut change.

    Tous ces bouleversements, tant des structures politiques et sociales que de la pense religieuse, concernentaussi la Palestine o va natre le Christianisme. A son gard, bien des ides communes sont fausses. Alpoque, la contre nest pas rellement unifie et comprend plusieurs provinces. En Jude, autour de Jru-

    salem, on pratique alors un judasme assez fervent, driv de la religion tablie aprs la dportation des Juifs Babylone.

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    La Galile, la Terre des Gentils, (des trangers), est le territoire le plus cosmopolite de cet ensemble. Richeet fertile, il est au centre dun rseau dchanges avec la Syrie, la Babylonie, la Phnicie, la Grce, etlEgypte. Il en a subi les influences culturelles et religieuses, conservant, vis--vis dIsral, une ferme volon-t dindpendance malgr son annexion peu de temps avant larrive des Romains. Beaucoup de religions etde sectes coexistent dans cette Galile trs tolrante. Il en est de mme en Samarie, la Terre de lHrsie,dont la religion isralite antique a intgr des pratiques cultuelles empruntes aux Syriens ou aux Phniciens.

    Les Juifs mprisent les Samaritains quils considrent comme des paens. Au Nord, en Samarie et en Galile,ainsi quau Sud, en Idume, on sadonne des formes de culte plus anciennes, beaucoup moins strictes, trsfortement marques par linfluence des cultures environnantes.

    Le Christianisme originel. Il existe en Isral de nombreuses sectes, dont les Nazorens mal connus, (gar-diens ?). Au 1er sicle apparaissent les Zlotes, extrmistes thocrates dont laction terroriste provoqua ladestruction de Jrusalem par Titus. Dautres courants plus modrs sont bien connus. Cest Flavius Josphequi parle le premier des diffrents groupes actifs en Jude, dans lenvironnement pr-chrtien. Lhistorienjuif les prsente comme des coles philosophiques analogues celles des Grecs. Mais ici, les positions reli-gieuses et politiques sont toujours lies. Les divers partis religieux se combattent farouchement et associentlaction politique nergique pour la conqute du pouvoir avec un ardent militantisme pour imposer leursconceptions spiritualistes.

    LesSaducens sont les reprsentants de laristocratie sacerdotale. Privilgis, fortuns et trs conservateurs,ils dtiennent lessentiel du pouvoir. Attachs au strict Judasme traditionnel et pratiquant un ritualisme ri-goureux, ils refusent toutes les innovations populaires et les croyances nouvelles, telles les promesses de findu monde, la foi en la rsurrection, la hirarchie anglologique.

    Les Pharisiens sont dorigines plus simples, petits propritaires, artisans et ouvriers, bien plus proches dupeuple dont ils refltent les aspirations religieuses. Ils contestent les privilges du clerg et lui opposent leursrabbins, ou sages, qui militent pour une application plus mesure et plus humaine de la Loi. Quoique Jsussoit probablement issu de ce milieu, ils ont t svrement critiqus par les Evangiles car ils faisaient talagede leurs vertus.

    Sous les Romains, la royaut est abolie. Un pontife pharisien rgne au Temple, et le parti dtient le mono-

    pole des interprtations juridiques permettant lapplication concrte de la Loi.

    LesEssniens constituent la troisime cole. Mal connue, elle mrite quon lui accorde un peu dattention.Son importance a t confirme par la dcouverte des Manuscrits de la Mer Morte, en 1947, dans des grottesdu dsert de Jude, proximit de Khirbet Qumrn, o lon a galement retrouv les ruines dun grand mo-nastre essnien. Les manuscrits et les ruines de Qumrn authentifient diffrents textes considrs jusque lcomme apocryphes. Ils permettent didentifier un groupe bien spar du reste la socit judaque du ~1 ersicle, cest--dire une vritable secte.

    Lordre essnien forme une vritable communaut monachique pratiquant le noviciat, le clibat, la mise encommun des biens, la charit fraternelle, une discipline austre, et le strict respect de la Loi de Mose. Lesinfractions sont sanctionnes par lexclusion. Les Essniens se disent dtenteurs de rvlations secrtes so-triques et de la connaissance du temps, et ils ont un calendrier particulier, beaucoup plus prcis que celui

    des Juifs. Leur pense semble avoir t influence par les Grecs et les Iraniens dualistes. Ils ont une anglo-logie trs foisonnante. Ils croient que le monde est lobjet de laffrontement de deux groupes de puissancesinvisibles, les Esprits de Lumire, larme de Dieu, et les Esprits des Tnbres commands par Blial.

    Les Essniens se considrent comme la communaut mre autour de laquelle le Peuple de Dieu doitsorganiser pour prparer la victoire de la lumire sur les tnbres et ltablissement du Royaume. En cestemps prochains, les douze tribus adopteront la doctrine et constitueront une grande communaut essnienne.La guerre apocalyptique finale opposera Isral aux fils de perdition promis la destruction. Au dbut du ~1 ersicle, un prtre essnien, le Matre de Justice, aurait rdig la Rgle rorganisant la communaut ainsi quedivers autres textes, puis aurait t supplici et tu par un prtre du Temple, (Hyrcan II), avant la prise deJrusalem par les Romains, en ~63. Son excution fut suivie de perscutions. Les Essniens prtendent quela profanation du Temple est la punition inflige par Dieu pour toutes ces exactions. Cela renforce leursattentes dun prophte, et dun messie-roi suivi dun messie-prtre avant les temps eschatologiques dun Fils

    dHomme et la fin du Monde. Or, prcisment, comme celle des Essniens, la doctrine du Christianismeoriginel est essentiellement eschatologique. Comme beaucoup dHbreux, les nouveaux Chrtiens croient

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    alors que la fin du Monde est imminente. Le Salut approche, le Mal sera vaincu, et le royaume de Dieu vatre fond. Un nouveau ciel et une nouvelle terre seront crs, et la nouvelle Jrusalem cleste, apparatra,descendant des cieux. Trs logiquement, les Chrtiens se disent donc trangers ici-bas, dans le Monde, maisils ont redoutable attitude intolrante.

    Nous avons vu combien les peuples de lAntiquit taient tolrants, considrant quaucune tradition reli-

    gieuse ne pouvait prtendre possder seule la vrit rvle peu peu par les dieux.

    Celle-ci est rvle par les dieux.

    Elle se rpand dans lhumanit sous diffrentes formes.

    Chaque peuple, chaque culte

    porte une part des secrets divins.

    Pour comprendre, ce qui ne signifie pas accepter, lintolrance, lintransigeance, voire le fanatisme qui ontultrieurement marqu la marche triomphante du Christianisme, il faut absolument revenir sur les particulari-ts de la religion hbraque dont il est issu. Elles ont dailleurs t largement exposes au prcdent chapitre.Cette religion repose sur laffirmation de lidentit particulire de la nation dIsral. Les Hbreux sont unpeuple saint, choisi entre tous, donc meilleur que les autres. Leur dieu vivant se tient prsent en permanence,au sein de la communaut, au cur de lArche dAlliance. Cette alliance privilgie avec le Dieu crateur est

    lexpression religieuse de la souverainet nationale. En tant que peuple choisi par lautorit du seul dieusouverain, les Hbreux ne sont aucunement soumis aux autorits terrestres.

    Leur unique loi est le Dcalogue, la rgle dicte ses vassaux par le suzerain YHWH, crateur du Monde. Ilsen sont les dpositaires exclusifs. La loi concerne tous les domaines et tous les dtails de la vie religieuse etsociale. Lobissance est obligatoire. Les obligations incontournables comportent la circoncision des jeunesgarons, rpandue chez tous les Smites, le sabbat, repos hebdomadaire rigoureux, et de nombreux tabousdivers, notamment alimentaires. La pratique des autres cultes est interdite. Isral ne peut servir quun dieucar YHWH, le Vivant, est un dieu jaloux. Par ailleurs, comme les Amorrites, les Hbreux attachent unegrande importance aux paroles extatiques prononces par les prophtes, et les considrent inspires par Dieului-mme. Issus dIsral dont ils ne sont pas encore spars, les Palochrtiens maintiennent ces traditionshbraques. Ils prtendent demeurer ce peuple lu parmi tous les autres et ils attendent aussi la fin prochainedu Monde. Et, comme les Essniens, leurs probables prcurseurs, ils se veulent chargs dune mission sa-cre,faire de leur propre Dieu le seul Dieu universel.

    Bien videmment, cela provoque lincomprhension puis lhostilit gnrale lorsque le Christianisme com-mence se rpandre dans la Gentilit. Dans notre culture traditionnelle, les fidles des autres cultes sontgnralement appels paens, (mot de mpris dsignant des paysans). Ce terme est tellement charg deconnotations pjoratives immrites, quil ne permet plus den parler sereinement. Je les appellerai donc lesGentils, ancien terme dsignant les trangers, ceux qui ont une autre religion que le Judasme, le Christia-nisme, ou lIslamisme. Lhostilit moqueuse des Gentils face la prtention intransigeante des Palochr-tiens va crotre en proportion du dveloppement du Christianisme. Nous voyons quelle est dj assez acerbeau cours du 2me sicle dans le discours ironique que Celse prte aux Chrtiens dans sa Polmique anti-chrtienne.

    Nous sommes ceux qui Dieu rvle et prdit tout.Cest pour nous seuls quil gouverne..

    ngligeant lunivers et le cours des astres..

    Cest pour nous seuls que tout a t fait

    et est organis pour nous servir.

    A lorigine du Christianisme, il y a initialement une simple secte hbraque, parmi les autres. Son activit neconcerne apparemment quIsral, et non pas la Gentilit. Je nai t envoy quaux tribus perdues de la mai-son dIsral. (Matthieu, 15,24).

    Dans le dsert de Jude, un personnage messianique prche alors tous les Juifs, quels quils soient, la re-pentance en vue du tout prochain Jugement dernier. Il purifie les repentis dans le Jourdain par un bain qui estaussi un baptme de pardon. Lannonce eschatologique est habituelle, mais lextension du salut aux pcheurs

    ordinaires, au commun coupable du petit peuple, est particulirement novatrice et surprenante compte tenu

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    des origines essniennes de Jean le Baptiste. Jsus tmoigne, par son propre baptme, de son adhsion cesides nouvelles, affirmant aussi quil rompt avec son milieu habituel, probablement pharisien.

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    Tu aimeras le Seigneur ton Dieu,

    de tout ton cur, de toute ton me et de toute ta pense.

    Cest le premier et le plus grand des commandements.

    Et voici le second qui lui est semblable.

    Tu aimeras ton prochain comme toi-mme.

    De ces deux commandements dpendent

    toute la loi et les Prophtes.(Matthieu, 22, 36).

    Cest sur la base de la grce divine offerte aux pcheurs repentants quil entreprend sa prdication person-nelle. Celle-ci est rvolutionnaire sur plusieurs plans. Elle affirme non pas limminence eschatologique delinstauration matrielle du Royaume de Dieu, mais bien sa prsence actuelle et permanente dans le cur deshommes. Elle rduit les rigoureuses et tatillonnes exigences de la Loi hbraque la seule obligation delamour de Dieu et du prochain. A tous, elle offre immdiatement la grce divine et la paix de lme. Bienvidemment cette provocation attire sur Jsus lhostilit et la haine des minences sacerdotales. Elle leconduit finalement la crucifixion avec la participation des autorits romaines. Le groupe des disciples pro-clame alors sa rsurrection puis rduit son activit publique la seule ville de Jrusalem, se repliant dans unecommunaut semi-monastique pour approfondir sa doctrine messianique dans le cadre de la religion hbra-que.

    Nous avons vu que de nombreux Juifs vivent hors de Palestine, dans tout le Bassin oriental de la Mditerra-ne, tout particulirement en Egypte et Alexandrie. Quoique imprgns de culture grecque, ils reviennentsouvent vers Isral. Certains disciples proviennent de ces colonies. Ces hellnistes dsirent rpandre active-ment les ides de la communaut, rejetant toute prudence lgard du terrorisme zlote. Inquiet, le groupe deJrusalem, se constituant en Eglise, finit par les exclure et ils sen vont fonder ailleurs les diverses glisesmissionnaires dont tmoignent les ptres, en Samarie, en Phnicie, en Syrie, ou Chypre.

    Ces missions connaissent une extension considrable au sein de la diaspora isralite. Elle ncessite la mise enplace dun coordinateur intelligent et efficace qui est trouv en la personne de Sal de Tarse (Paul). Converti la suite du martyre dEtienne par les Zlotes, il russit faire admettre, Jrusalem, que les Gentils pou-vaient devenir chrtiens sans passer pralablement par le Judasme et la circoncision. Lapport de Paul auChristianisme est vraiment immense. Il la hellnis et organis, en mettant en place des structures efficacesdvques et de presbytres et en crant des sacrements. Il la surtout profondment transform en y introdui-sant la notion du rachat collectif des hommes par la mort de Jsus, un salut offert par la seule grce de Dieu,non plus en rcompense du mrite individuel des fidles. Son action a t dcisive pour assurer le succs etla rapide extension de cette religion de salut universel, facile comprendre, agrable pratiquer, quil arendue accessible aux hommes de toutes les nations.

    La rvolte zlote de 66 entrane la destruction de Jrusalem, la dmolition du Temple, et une effroyable r-pression. Ltat dIsral cesse dexister et la communaut hbraque se raidit, se rassemblant autour des rab-bins de Jamia. Tout rapprochement avec le Judasme devient impossible. Comme les Juifs, les Chrtiensrefusent de sacrifier au culte imprial, bravant lautorit civile, ce qui provoque quelques perscutions. Lanouvelle religion se spare compltement de lancienne. Elle labore ses propres rites et crmonies en em-pruntant beaucoup aux cultes mystres auxquels elle aurait pu joindre sa lumire. Mais, persuade de

    limportance de sa mission sacre, elle va affronter les autres croyances et travailler fanatiquement leurtotale limination.

    LEmpire entre les mains. En 325, pour rgler les querelles qui empoisonnent les relations des glises,Constantin convoque le concile cumnique de Nice. Appropriant le pouvoir doctrinal et les structuressacerdotales, il dclare que le Christianisme est la religion de lEtat. Mais le vritable instaurateur du Chris-tianisme autoritaire est lempereur Thodose. La conversion des empereurs donne lintransigeance chr-tienne lappareil du pouvoir et ses terribles moyens de coercition. Elle sen sert durement. En 382, lautel dela Victoire, symbole de la religion romaine, est enlev du Snat malgr les protestations de Symmaque, lePrfet de Rome.

    Nous rclamons le respect

    pour les dieux de nos pres, les dieux de notre patrie.

    Il est juste de croire que tous les hommes adorent le mme Un.

    Car nous regardons les mmes toiles,le mme ciel nous recouvre, le mme univers nous entoure.

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    Quimporte le moyen par lequel chacun de nous atteint la vrit.

    On ne peut parvenir par une seule voie un si grand mystre.

    En 391, tous les cultes traditionnels des Gentils sont interdits dans lEmpire, les flambeaux steignent et lestemples sont dtruits.

    Et, en 435, il devient obligatoire dtre chrtien, sous peine de mort.

    Le doux prophte galilen prchait la libert, la tolrance, le salut par la seule grce et lamour de Dieu et deshommes. Le destin de la religion fonde en son nom fut dtablir impitoyablement sur les structures romai-nes, lempire dun Dieu jaloux, limage du vieux Dieu biblique, forant la conversion, par le fer et le feu, leviol des consciences et la torture, la prison et les bchers. Derrire nos blanches cathdrales, cette ombreobscure, hlas, demeure. Dans le paganisme, nous dit J.J.Rousseau, o chaque tat avait son culte et sesdieux, il ny avait pas de guerres de religions.

    En charge institutionnelle du contrle de la justesse des actes et des consciences jusqu la tte de lEmpire,le Christianisme monte en puissance. Il se heurte vite au pouvoir, excommuniant Thodose, (qui nest pas unsaint et a fait massacrer de nombreux prisonniers), obtenant mme de lui une pnitence publique en 390.Aprs la soumission spectaculaire du puissant empereur de Rome, plus rien ne peut arrter lEglise. Au cours

    des sicles suivants, aprs linterdiction des cultes traditionnels et la destruction des temples, le Christia-nisme sattache effacer progressivement et mticuleusement toutes leurs traces. Il construit ses sanctuairesdans les lieux consacrs, sur les monuments religieux et les ruines des temples dtruits. Il plaque ses ftesvotives sur les vieilles clbrations des cieux et des saisons et superpose ses propres symboles aux anciennesvocations des dieux. Il impose tous ses propres rites initiatiques et interdit la magie.

    La magie tente le lier le ciel avec des moyens de la Terre. Sans bien percevoir que ses propres pratiques sontaussi des rites magiques, le Christianisme combat trs vigoureusement, ds sa fondation, la divination et lamagie et, bien au-del delles, toutes les philosophies et religions orientales dEgypte, dEtrurie, dInde, dePerse, de Grce, ou dailleurs, qui exercent les formes traditionnelles de culte et denseignement. On pratiquealors couramment des sacrifices magiques et des rites de thurgie, on voque les dieux et les esprits desmorts, on utilise des moyens divers de divination (mantique). On observe chez lindividu, la prsence dedmons personnels, (du corps, de lme, de lintellect). Ainsi dsigne-t-on les phnomnes ou pulsions pr-sents dans la psych humaine. On croit aussi que le destin des hommes est une fatalit fixe la naissance,inscrite dans le zodiaque et les plantes, lesquelles sont les manifestations visibles ou les corps physiques desdieux. Lastrologie permet donc de prvoir ce destin.

    Voici ce que nous disait Kafka de la magie. Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se

    tienne prte cot de chaque tre et toujours dans sa plnitude, mais quelle soit voile, enfouie dans les

    profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant l, ni hostile, ni malveillante, ni sourde. Quon linvoque

    par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. Cest l lessence de la magie, qui ne cre pas mais invo-

    que.

    En ce qui concerne la magie, les anciens exeraient surtout la magie malfique, lanathme, le mauvais sortjet sur lennemi. Religion et magie taient souvent confondues. Le Christianisme les a spars. Mais les

    civilisations pr-chrtiennes de la Gentilit ne se laissent pas effacer sans ragir. Les cultures, les philoso-phies mystiques, les pratiques cultuelles et les mythes en usage se dfendent prement. Malgr les risquesgraves, les philosophes et les penseurs rcuprent les principes spiritualistes et cultuels de la sagesse antique,menacs de disparition. Les traditions rivales du Christianisme, sont bties sur des reformulations syncrti-ques dhritages issus des enseignements de la philosophie grecque, (surtout no-platonicienne), delHermtisme rcent, et sur les fondements des cultes gyptiens et assyro-babylonniens parfois associs audualisme iranien. Nous allons maintenant nous pencher un peu sur les coles syncrtiques issues des tradi-tions no-platoniciennes grco-romaines et gyptiennes. Les divers aspects lis lHermtisme et aux reli-gions gnostiques seront dvelopps le prochain chapitre.

    La tolrance doit tolrer lintolrance, afin de demeurer.

    Plotin et le No-Platonicisme. Le No-Platonicisme est une doctrine philosophique orientation mystique,

    fonde par Ammonius Saccas. Produit de la rencontre des civilisations grecques et orientales, elle apparat Alexandrie puis stend jusqu Rome, entre le 2me et le 5me sicle. Les No-Platoniciens transforment la

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    philosophie rationalisante en une vritable science thologique. Avec Plotin, dans sa forme romaine, la doc-trine est tablie sur les fondements de plusieurs thories associes.

    Une thorie de ltre. Toutes choses manent du Un, (Bien ou Intelligence universelle), par dgradationssuccessives, et lEtre se manifeste par trois hypostases, Un, Intelligence, et me.

    Une thorie du salut. Par la conversion ou mouvement de retour vers le Un, lme individuelle peut re-trouver lunit originelle jusqu se fondre en elle.

    Chez les No-Platoniciens, la religion devient une dmarche individuelle tout intrieure. Ils renoncent auxjustifications philosophiques et mtaphysiques excessivement rationalisantes des croyances. Ils abandonnentaussi les pratiques religieuses qui sont considres comme des artifices que le culte utilise pour asservir lesfidles en influenant leur imagination (surtout chez les Romains). Chez Plotin, la prire est avant tout unedmarche intellectuelle, un puissant effort volontaire de lintelligence pour lever lhomme au niveau dudivin. Dans luvre de Platon, ils sintressent surtout au Parmnide, et cest pourquoi je vous ai donn unaperu de cet ouvrage dans le prcdent chapitre.

    Cette transformation de la philosophie en science thologique se traduit par deux attitudes. La premire estcelle dun syncrtisme pouss. Les No-Platoniciens tendent runir toutes les traditions humaines accessi-bles, de quelque nature quelles soient, littraires, musicales, mythiques, cultuelles, ou philosophiques. Ils lesreconnaissent comme des analogies relatives aux manifestations varies des mmes dieux. Ils les combinentet les utilisent donc en tant que matriaux pour la construction de ldifice thologique quils proposent. Laseconde est une dmarche de mise en ordre, une tentative de hirarchisation chronologique visant attribuer chaque divinit identifie une place exacte dans lhistoire et dans le rang au sein du panthon syncrtiquereconstruit.

    Les mythes, sils sont vraiment des mythes, doivent sparer dans le temps les circonstances du rcit et

    distinguer bien souvent les uns des autres des tres qui sont confondus et ne se distinguent que par

    leur rang ou par leurs puissances.

    Les mythes, disent-ils, reclent toute la structure de la ralit du monde, laquelle englobe le monde sensibleet les dieux. Cherchant rvler les secrets immanents quils recouvrent, les No-Platoniciens vont tablir

    quatre catgories de mythes, thologique, physiques, psychologiques, et matriels. Concernant ces derniers,ils recherchent dans les corps les traces laisses par leur origine divine. Puis ils tenteront dtablir des prati-ques de magie sympathiques permettant de remonter jusquaux dieux. Mais ils sintressent surtout linterprtation des mythes thologiques.Puisque, en principe, nous dit Proclus, toutes choses drivent et delUn et de la Dyade postrieure lUn, et sont de quelque manire mutuellement unies, mais ont aussi une

    nature antithtique, comme il y a une sorte dantithse entre le Mme et lAutre, le Mouvement et le Repos,

    et que toutes les ralits du monde participent ce genre, on ne saurait que bien faire en considrant

    lopposition qui pntre tout le rel. (Ceci est une faon un peu complique de nous prier dadmettre quecest lopposition des contraires qui assure lquilibre de ce monde).

    A mesure que progresse la christianisation des structures politiques et administratives, la pratique des cultesantiques devient dangereuse et plus clandestine. Leurs derniers adeptes la pratiquent en petites communautsavec beaucoup de pit. Ils la transforment en une dmarche religieuse de plus en plus spiritualiste et mysti-

    que. Les manifestations publiques et les sacrifices sanglants sont remplacs par des petites crmoniescultuelles quotidiennes et prives. Elles comportent des prires et des pieuses allocutions, on y brle delencens et on y chante des hymnes qui sont rputs inspirs par les dieux. Les mtaphysiciens mystiquesno-platoniciens ont compos un grand nombre de trs beaux hymnes dont la plupart ont t systmatique-ment dtruits. Voici, par exemple, un hymne compos par Ploclus, ou Procklos, un No-Platonicien grec nen 412, dj cit plus haut pour son discours sur la structure dialectique du monde.

    Ecoute-moi, Athna,

    toi dont le visage rayonne une pure lumire.

    Conduit bon port lerrant que je suis sur la Terre.

    En rcompense de mes saints hymnes en ton honneur,

    donne mon me lumire pure, amour et sagesse.

    Par ton amour, insuffle mon me assez de force

    et dune telle vertu quelle se retire des creux de la Terreet remonte lOlympe vers la demeure du Pre.

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    Aie piti de moi, Desse aux doux conseils,

    parce que je me flatte dtre toi,

    Salvatrice des mortels, ne permet pas que,

    gisant terre, je tombe en proie et en butin

    aux mains des Punisseuses

    qui me font frissonner.

    Jamblique, tmoin de la tradition paenne. Jamblique est un philosophe no-platonicien, n en Syrie verslan 250. Il se fixe dabord Alexandrie, et il y rside environ vingt ans, puis il retourne en Syrie et fondeune cole Apame. Initi aux doctrines sotriques des Egyptiens et des Chaldens, il pratique le No-Platonicisme syrien comme la vraie religion, en lopposant au Christianisme. Il considre que tous les Chr-tiens sont des athes. Il meurt en 330. Les textes cits ci-aprs sont extraits de la rponse dun no-platonicien syrien traditionnel, (gyptien), la lettre dun romain rnovateur rationaliste. La forme littrairetablie comme une rponse une lettre est commune lpoque.

    NR. Jai parfois trononn les phrases pour faciliter la lecture, lorsquelles taient trop longues ou

    alambiques, mais je nai pas modifi le vocabulaire. Quelques courtes explications sont entre paren-

    thses. Les rappels du texte de Porphyre sont en italique, ceux de Jamblique sont droits.

    Rponse une lettre de Porphyre, ardent disciple de Plotin, questionnant Anbon, disciple de Jambli-que, au sujet des contradictions et des absurdits quil constate dans les traditions des Assyriens etChaldens, par rapport au No-Platonicisme rationalisant romain et lapparition dune religion touteintrieure. Jamblique rpond, sous le pseudonyme de Matre Abammon, pour dfendre les traditions etles pratiques des Egyptiens, (Les rfrences lastrologie, aux sacrifices et aux mthodes de divinationne sont pas reprises dans cet extrait).

    1 - Tu as lair de croire que la mme connaissance vaut pour les choses divines et pour les autres, quellesquelles soient, et que les contraires fournissent le membre oppos, comme cest lordinaire dans les pro-

    blmes dialectiques . En ralit, ce nest pas du tout pareil. La connaissance des dieux est part, sparede toute opposition. Elle ne consiste pas dans le fait quon la concde maintenant ou quelle prend nais-sance. De toute ternit, elle coexistait dans lme en une forme unique.

    2 - Conois donc comme du limon tout le corporel, le matriel, llment nourricier et gnrateur, ou toutesles espces matrielles de la nature quemportent les flots agits de la matire, tout ce qui reoit le fleuvedu devenir et retombe avec lui, ou la cause primordiale, (pralablement installe en guise de fondement),des lments et de toutes leurs puissances. Sur ces bases, le Dieu auteur du devenir, de la nature entire, detoutes les puissances lmentaires, lui qui est suprieur celles-ci et sest rvl dans sa totalit sorti delui-mme et rentr en lui-mme, immatriel, incorporel, surnaturel, inengendr, indivis, prside tout celaet enveloppe en lui-mme lensemble des tres. Et parce quil a tout embras et se communique tous lestres du monde, il est apparu sortant deux. Parce quil est suprieur tout et souverainement simple enlui-mme, il apparat comme spar, transcendant, sublime, minent de simplicit, en lui-mme au-dessusdes puissances et des lments cosmiques.

    3 - Avant les tres vritables et les principes universels il y a un Dieu qui est lUn, le Tout Premier mme par

    rapport au Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la solitude de sa singularit. Aucun intelligible,en effet, ne senlace lui, ni rien dautre. Il est tabli comme modle du Dieu qui est soi-mme un pre etun fils, et est le Pre unique du vrai Bien, car il est le plus grand, premier, source de tout, base des tres quisont les premires Ides intelligibles. A partir de ce Dieu Un se diffuse le Dieu qui se suffit, cest pourquoiil est soi-mme un pre et un principe car il est principe et dieu des dieux, monade issue de lun, ant-rieure lessence et principe de celle-ci. De ce deuxime dieu, en effet, drivent la substantialit etlessence, aussi est-il appel le pre de lessence, car il est ltre par antriorit ltre, principe des intelli-gibles, aussi le nomme-t-on Premier Intelligible.

    4 - Tu dis maintenant que La plupart des Egyptiens font dpendre notre libre arbitre du mouvement desastres . Ce quil en est, il faut te lexpliquer plus longuement, en recourant aux conceptions hermtiques.Daprs ces crits, lhomme a deux mes. Lune est issue du Premier Intelligible, et elle participe aussi lapuissance du dmiurge. Lautre est introduite en nous partir de la rvolution des corps clestes. Cest en

    celle-ci que se glisse lme qui voit Dieu, (la prcdente). Les choses tant ainsi, celle qui descend desmondes, (... clestes, la fatalit inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la rvolution de ces mon-

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    des, tandis que lme issue de lIntelligible, prsente en nous selon le mode propre lintelligible, est sup-rieure au cycle des naissances. Cest par elle que, dlivrs de la fatalit, nous remontons vers les dieux in-telligibles. (...).

    5 - Mais tout dans la nature nest pas non plus li la fatalit. Il est un autre principe de lme, suprieur toute nature et toute connaissance, selon lequel nous pouvons nous unir aux dieux, nous tenir au-dessus

    de lordre cosmique et participer la vie ternelle et aux activits des dieux supra-clestes. Selon ce prin-cipe, nous sommes capables de nous librer nous-mmes. En effet, quand agissent les meilleures parties denous-mmes et que lme slve vers les tres suprieurs, elle se dtache des parties infrieures. A laplace de sa vie elle acquiert une vie nouvelle et se donne un autre ordre, en abandonnant compltement leprcdent. (...). Ds leur premire descente, Dieu a envoy les mes dans lintention quelles retournent lui. Il ny a donc pas de changement par suite dune telle lvation, ni de conflit entre les descentes et lesremontes des mes. De mme, en effet, que dans le tout, le devenir et cet univers-ci dpendent delessence intellective, de mme, dans lordre des mes, leur souci du monde cr saccorde avec la libra-tion du devenir.

    - Fin de citation -.

    Nous avons vu que la tolrance tait trs large au sein de la Gentilit, et que les mentalits avaient beaucoup

    volu. On constate bien, dans ces derniers exposs, quel point les multiples divinits taient considrescomme les manifestations diversifies dune grande divinit universelle. Les extraits choisis ci-dessus mon-trent aussi que la pense no-platonicienne gyptienne ou syrienne, quoique restes trs conformiste vis--visde la religion gyptienne antique, avait atteint un trs haut degr de crbralit et de mysticisme. Il en taitdailleurs de mme en ce qui concernait le No-Platonicisme romain et les autres doctrines en comptition lpoque. Elles taient devenues admirables sur le plan intellectuel, mais fort complexes, hors de porte pourle petit peuple commun.

    La religion chrtienne, relativement simpliste enseigne quun envoy divin ralise le salut universel par laseule grce divine (et par le moyen dun rachat li au sacrifice rituel du Fils de Dieu). Lobtention du salutest plus facile puisquil est collectif et extrieur au mrite personnel des hommes. Sur ces bases comparati-ves, et en y ajoutant leffet de la mise en uvre de la puissance de lappareil imprial, on comprend mieuxquelle se soit rapidement et largement dveloppe.

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    Le Feu dans le Monde.

    Riche de la sve du Monde,je monte vers lEsprit

    qui me sourit,

    au-del de toute conqute,

    drap dans la splendeur concrte

    de lUnivers.

    Et je ne saurais dire,

    perdu dans le mystre

    de la Chair divine,

    quelle est la plus radieuse

    de ces deux batitudes,

    Avoir trouv le Verbepour dominer la Matire,

    ou possder la Matire

    pour atteindre et subir

    la Lumire de Dieu.

    (P. Teilhard de Chardin - Hymne de lUnivers)